Révélations de Sainte Brigitte de Suède 1055

Chapitre 55

1055   Jésus-Christ est comparé à un puissant seigneur qui édifie une grande cité et un très beau palais, par lesquels sont signifiés l’Église et le monde. Comment les juges et les défenseurs, et ceux qui travaillent en l’Église de Dieu, sont changés en un méchant arc.

  Jésus-Christ disait : Je suis semblable à un puissant seigneur qui, édifiant une cité, la nomme de son nom propre, puis bâtit un palais dans cette cité, où il y avait diverses demeures pour serrer les choses nécessaires. Ce palais étant bâti et toutes ses affaires disposées, il range son peuple en trois parties et le met par ordre.

  Mes voies, dit-il, sont dans les lieux et dans les demeures les plus éloignées. Travaillez courageusement pour mon honneur, car je vous ai ordonné et assigné les choses qui vous sont nécessaire et ce qui est de votre vivre. Vous aurez des juges qui vous jugeront ; vous aurez des défenseurs qui vous défendront de vos ennemis. Je vous ai aussi constitué des personnes pour travailler, qui vous nourriront, et me payeront de leur travail la dixième partie, qu’ils réserveront à mon honneur et utilité.

Mais quelque temps s’étant écoulé, le nom de la cité s’est oublié, et alors les juges ont dit : Notre maître et seigneur s’en est allé en des lieux fort éloignés. Rendons un jugement droit, et faisons la justice, afin que nous ne soyons pas repris lorsqu’il sera de retour, mais que nous en remportions de l’honneur et de la bénédiction. En même temps, les défenseurs dire : Notre maître et seigneur se confie en nous et nous a laissé la garde de sa maison ; abstenons-nous donc de trop boire et de trop manger, de peur que nous ne soyons inaptes au combat ; abstenons-nous aussi du sommeil désordonné, de crainte que nous ne soyons déçus à l’improviste et faute d’avoir été sur nos gardes ; soyons bien armés et veillons continuellement, de peur que nous ne soyons prêts quand nos ennemis viendront pour nous assaillir, car l’honneur de notre maître est en nous, et le salut de son peuple dépend entièrement de nous.

  Alors aussi ceux qui travaillent dirent : C’est la plus grande gloire de notre maître et seigneur, et la récompense qu’il nous garde est glorieuse. Travaillons donc vaillamment, et donnons-lui non seulement la dixième partie de notre labeur, mais offrons-lui tout ce qui sera superflu à notre vie, car notre récompense sera d’autant plus glorieuse qu’il verra que notre charité sera fervente.

  Après ces choses, derechef, quelque temps se passant, le maître de la cité et du palais a été mis en oubli ; et alors les juges dirent en eux-mêmes : Notre maître demeure longtemps en son voyage ; nous ne savons s’il reviendra ou non ; jugeons donc selon notre volonté, et faisons ce que nous trouverons bon de faire.

  Après, les défenseurs dirent : Nous sommes bien insensés, attendu que nous travaillons, et nous ne savons quelle récompense nous en aurons : faisons plutôt paix et alliance avec nos ennemis, et nous dormirons et boirons avec eux, et nous n’aurons point de souci de savoir quels auront été nos ennemis.

Puis ceux qui travaillent dirent : Pourquoi gardons-nous pour un autre notre or, notre trésor, et nous ne savons pas qui est celui qui l’emportera après nous ? Il vaut mieux donc que nous nous en servions nous-mêmes et que nous en disposions à notre volonté ; certes, donnons-en la dixième partie aux juges ; quand ils seront apaisés et adoucis, nous pourrons faire ce que nous voudrons.

  Vraiment, je suis semblable à ce puissant seigneur, dit la Sagesse infinie : je me suis édifié une cité, c’est-à-dire le monde, où j’ai bâti mon palais, c’est-à-dire, mon Église. Le nom du monde a été ma divine sagesse, parce que, dès le commencement, il a eu ce nom, d’autant qu’il était fait par ma main toute-puissante et par ma sagesse infinie. Ce nom était profondément révéré et honoré de tous, et Dieu était loué merveilleusement, publié et annoncé par ses créatures, à cause de l’insondable abîme de ma sagesse.

Mais maintenant, le nom de la cité est déshonoré et changé, et on a joint à elle un nom nouveau, c’est-à-dire, l’humaine sagesse ; car les juges, qui auparavant jugeaient en la justice et en la crainte du Seigneur, sont maintenant changés et convertis en superbe, et trompent les hommes simples. Ils désirent d’être éloquents afin d’obtenir la louange des hommes ; ils disent des choses qui plaisent à l’oreille des auditeurs, afin d’avoir de la faveur et du support ; ils sèment des paroles douces et emmiellées, afin d’être appelés doux et débonnaires ; ils reçoivent des présents et pervertissent le jugement ; ils sont sages pour leur profit temporel et pour leur propre volonté, mais ils sont muets à ma louange ; ils marchent sur le pied des simples et les rendent muets ; ils étendent leur convoitise sur tous, et d’une bonne cause, ils en font une mauvaise. Maintenant, cette sagesse est aimée et chérie, mais la mienne est mise en oubli.

  Or, les défenseurs de l’Église, qui en sont les gardiens et les soldats, voient mes ennemis et les persécuteurs de mon Église, et le dissimulent ; ils entendent les paroles de reproches qu’ils me font, et ne s’en soucient pas ;ils entendent et sentent les oeuvres de ceux qui contreviennent à mes commandements, et toutefois, ils le supportent patiemment ; ils regardent tous les jours ceux qui commettent librement tous les péchés mortels, et n’en sont point touchés ; mais ils dorment et conversent avec eux, et par serment, ils se lient à leur compagnie. Mais ceux qui travaillent (qui sont tout une communauté), rejettent mes commandements, retiennent mes dons et mes décimes ; ils offrent des dons à leurs juges pour les corrompre, et leur portent de l’honneur, afin qu’ils les trouvent faciles et bienveillants. Vraiment, je puis dire hardiment que le glaive de ma colère et de mon église est méprisé dans le monde, et qu’à sa place, on a pris l’argent.

Chapitre 56 Sentence que Notre Seigneur prononce contre telles personnes. Comme Dieu soutient les méchants pour quelque temps, à cause des bons.

1056   Moi, la Sagesse éternelle, je viens de vous dire que le glaive de mon Église était mépris, et qu’à sa place on a pris la bourse d’argent qui, d’une part, est ouverte, et de l’autre, est tellement profonde, que tout ce qui y entre ne touche jamais le fond et qu’elle n’est jamais remplie. Ce sac, c’est la convoitise qui surpasse toute règle et mesure, et a eu tant de force et de vertu, que le Seigneur en étant méprisé, on ne désirait rien autre chose que l’argent et la propre volonté. Mais toutefois, je suis comme le Seigneur, qui est Père et juge, à qui les assistants disent, lorsqu’il va au jugement : Seigneur, précipitez vos pas, hâtez-vous et jugez.

Le Seigneur leur répondit : Attendez jusqu’à demain, parce que d’aventure mon fils se corrigera encore derechef.

Or, venant le jour suivant, le peuple lui dit : Avancez-vous, Seigneur, et jugez les coupables. Jusques à quand différerez-vous le jugement ?

Le Seigneur leur répondit : Attendez encore un peu pour voir si mon fils ne se corrigera point, et alors, s’il ne revient à lui et s’il ne se corrige, je ferai ce qui est juste.

De même, je souffre patiemment l’homme jusqu’au dernier point, parce que je suis Père et juge. Mais toutefois, parce que ma justice est immuable, et bien qu’elle soit différée longtemps, toutefois, ou je punirai les pécheurs, s’ils ne se corrigent point, ou je ferai miséricorde à ceux qui se convertissent.

  Je vous ai déjà dit que j’ai divisé le peuple en trois parties, savoir : en juges, en défenseurs et en personnes de travail.

  Certes, ces juges ne signifient autre chose que les clercs, qui ont converti la divine sagesse en une vanité d’espérance. Ces clercs ont coutume de faire comme ceux qui entendent beaucoup de paroles, les mettent et assemblent en peu, et ce peu signifie autant que toutes ensembles. De même les clercs de ce temps ont reçu mes commandements et les ont mis et colligés en une parole. Que veut dire cette parole : Étendez la main et donnez de l’argent ? C’est là leur sagesse, que de parler avec des paroles choisies et hors du commun, et de faire mal ; et sous prétexte de faire quelque chose pour mon service, ils agissent méchamment contre moi. Enfin ceux-là, à cause des présents, endurent librement les pécheurs en leurs péchés, et ils précipitent les simples par leur exemple dépravé. De plus, ils haïssent ceux qui marchent par ma voie.

  Secondement, les défenseurs de l’Église, c’est-à-dire, les gardiens, qui sont infidèles, parce qu’ils ont rompu et faussé leur promesse et leur serment, tolérant et souffrant librement ceux qui péchaient contre la foi de mon Église et la constitution.

  En troisième lieu, les personnes de travail, c’est-à-dire, la communauté, sont comme les taureaux indomptés qui ont trois choses : 1° ils fouissent la terre avec leurs pieds ; 2° ils se remplissent jusqu’à ce qu’ils soient saouls ; 3° ils mettent en effet leur volupté selon leur désir : de même la communauté ne se remplit maintenant que de toutes sortes d’affections temporelles ; elle se remplit par la gourmandise immodérée et de la vanité du monde ; elle accomplit sans raison la délectation de sa chair.

  Mais bien que j’aie plusieurs ennemis, toutefois, parmi eux, j’ai beaucoup d’amis, bien qu’ils soient cachés. Comme il est dit d’Élie, qui pensait qu’il ne m’était resté aucun ami que lui seul, j’ai dit : Il y a sept mille hommes qui ne fléchissent point les genoux devant Baal : de même, bien que j’aie plusieurs ennemis, j’ai toutefois parmi eux plusieurs amis occultes qui pleurent tous les jours, voyant que mon nom est méprisé et que mes ennemis l’aient prévalu : c’est pourquoi, à cause de leurs prières, comme un roi bon et charitable qui sait les oeuvres méchantes de sa cité, tolère et supporte patiemment les habitants, et envoie des lettres à ses amis, les avertissant de leur péril, de même j’envoie mes paroles à mes amis, qui ne sont pas aussi obscures que l’Apocalypse, laquelle j’ai montrée avec obscurité à saint Jean, afin qu’en son temps, lorsque je le trouverais à propos, elle fût expliquée et déclarée par mon Esprit ; et elles ne sont pas tellement cachées qu’elles ne doivent être annoncées, comme ce que saint Paul voyait de mes mystères, desquels il n’était loisible de parler; mais elles sont si claires et si manifestes, que tous, petits et grands, les entendent ; elles sont si faciles, que tous ceux qui veulent y porter leur esprit, peuvent les comprendre.

  Donc, que mes amis annoncent mes paroles à mes ennemis, afin que si d’aventure ils se convertissent et qu’ils connaissent leur péril et leur jugement, ils se repentent de leurs faits, autrement, le jugement de la cité se donnera ; et de même qu’un mur s’écroule, lorsqu’on n’y laisse pierre sur pierre, et qu’au fondement deux pierres ne se trouvent jointes ensemble, de même il en arrivera à la cité misérable, c’est-à-dire, au monde. Mais les juges brûleront d’un feu très ardent. Or, il n’y a pas de feu plus ardent que celui qui est nourri par quelque graisse. Ces juges ont été gras et replets, parce qu’ils ont eu plus d’occasion d’accomplir leur volonté que pas un ; ils surpassaient de beaucoup les autres en honneurs et en abondance des choses temporelles ; ils abondaient aussi plus que les autres en malice et en iniquité. Partant, ils brûleront dans des flammes très ardentes, mais les défenseurs seront pendus en un infâme et haut gibet.

  Certes, le gibet est composé de deux pièces de bois, c’est leur peine très cruelle, qui est composée comme de deux pièces : la première est qu’ils n’espéraient pas que mon prix fût éternel et infini, et qu’ils ne travaillaient pas pour l’acquérir. La seconde pièce est qu’ils se défiaient sans sujet de ma puissance et de ma bonté, et disaient que je ne pouvais pas toutes choses ; et si je les pouvais, que je ne leur voulais donner et départir toutes choses suffisamment. Mais la pièce qui est en travers, c’est leur conscience dépravée, fondée en ce que, sachant certainement le bien, ils faisaient le mal, et n’avaient point de honte de le faire contre leur conscience, qui s’y opposait. Or, la corde du gibet, c’est le feu éternel, qui ne s’éteint jamais ; et ils seront, comme des traîtres, remplis de confusion ; et ils éprouveront des supplices insupportables, d’autant qu’ils ont été infidèles. Ils entendront des opprobres et des injures, parce que mes douces et attrayantes paroles leur ont déplu.

  Malheur sera en leur bouche, d’autant que leur honneur propre leur a été doux et agréable. Les corbeaux vivants, c’est-à-dire, les diables cruels, les déchireront et les mettront en lambeaux sur ce gibet ; et ces diables ne se lasseront jamais, bien qu’ils les aient mis en pièces. Les pendus vivront sans fin, et sans fin les bourreaux vivront pour les tourmenter. Là sera le plus grand des malheurs, qui ne finira jamais, une misère sans miséricorde, qui ne s’adoucira jamais. Malheur à eux d’avoir vécu dans le monde ! Malheur à eux parce que leur vie a été prolongée !

  En troisième lieu, la justice de ceux qui travaillent est semblable à celles des taureaux, qui ont une peau et une chair très dure : c’est pourquoi leur jugement est un fer très aigu. Ce fer, c’est la mort horrible et effrayante de l’enfer, laquelle tourmentera ceux qui m’ont méprisé, et qui, au lieu de me chérir et d’obéir à mes commandements, ont aimé leur propre volonté.

  L’Écriture donc, c’est-à-dire, ma parole est écrite, que mes amis travaillent, afin qu’ils viennent sagement et discrètement à mes ennemis, pour voir si par hasard ils veulent les entendre et se corriger.

Or, si quelques-uns, après avoir entendu mes paroles, disent : Attendons encore un peu ; le temps n’est point encore venu ; l’heure n’est pas arrivée ; je jure en ma Divinité, qui a chassé Adam du paradis, qui a envoyé à Pharaon dix plaies, je jure que je viendrai à eux plus tôt qu’ils ne pensent. Je jure en mon humanité, que j’ai prise sans péché pour le salut des hommes, dans le sein de la Vierge, humanité dans laquelle j’ai eu des tribulations en mon coeur et en ma chair, j’ai enduré la peine et souffert la mort pour la vie des hommes, et dans laquelle je suis ressuscité, je suis monté au ciel, et me suis assis, vrai Dieu et vrai homme en une personne, à la droite de mon Père, je jure que j’accomplirai mes paroles. Je jure en mon Esprit, qui a été envoyé le jour de la Pentecôte sur les apôtres, et les a enflammés afin qu’ils parlassent toute sorte de langues, que, s’ils ne reviennent à moi avec amendement, comme des serviteurs fragiles, je me vengerai sur eux en ma colère et en mon indignation.

Alors, malheur sera sur eux, en leur corps et en leur âme ! Malheur à eux, d’autant que j’ai vécu dans le monde, et qu’ils y sont venus et y ont vécu sans m’imiter ! Malheur à eux, d’autant que leur plaisir a été petit et vain ! Mais leur tourment sera perpétuel ; ils sentiront à cette heure-là ce qu’ils dédaignent de croire maintenant ; ils verront que mes paroles ont été des paroles de charité. Alors, ils entendront que je les ai avertis comme père et qu’ils n’ont pas voulu m’écouter. S’ils ne veulent de bon coeur ajouter foi à ces paroles, qu’ils y croient à tout le moins par oeuvres lorsqu’ils viendront.

Chapitre 57

1057   Paroles de Notre Seigneur à son épouse sainte Brigitte. Comment il est, dans les âmes des chrétiens, une viande abominable et méprisée ; et au contraire, comment le monde se plaît aux mauvaises oeuvres et les aime. Du jugement terrible rendu contre telles personnes.

  Le Fils de Dieu parlait à l’épouse sainte Brigitte, disant : Les chrétiens me font maintenant ce que les Juifs m’ont fait. Ceux-là m’ont jeté hors du temple, et ils avaient une parfaite volonté de me faire mourir ; mais parce que mon heure n’était pas encore venue, je me suis échappé de leurs mains. Les chrétiens m’en font maintenant de même : ils me jettent hors de leur temple, c’est-à-dire, de leur âme, qui devrait être mon temple, et me feraient volontiers mourir, s’ils pouvaient. Je suis en leur bouche comme de la chair pourrie et puante, et je leur semble comme un homme qui dit des mensonges ; et ils ne se soucient pas de moi ; ils me tournent le dos ; et moi je leur tournerai le derrière de la tête, parce qu’il n’y a en leur bouche que cupidité et convoitise. En leur chair, ils s’adonnent comme des juments à la luxure puante. Seule, la superbe a pris lieu et place en leur ouïe.

En leur vue, ils prennent plaisir et se délectent grandement aux choses du monde, mais ma passion et ma charité leurs sont abominables, et ma vie leur est insupportable.

  A cette cause, je ferai comme cet animal qui a plusieurs tanières, lequel, après avoir été poursuivi en une par les chasseurs, s’enfuit en l’autre : j’en ferai de même, parce que les chrétiens me poursuivent par mauvaises oeuvres, et me mettent hors de la tanière de leur coeur. Pour cela, je veux entrer dans le coeur des païens, en la bouche desquels je suis maintenant amer et sans goût, où je serai plus doux que le miel. Néanmoins, je suis encore tellement miséricordieux que quiconque me demandera pardon et dira : Seigneur, je connais que j’ai grièvement péché. Je veux librement me corriger par votre grâce.

Ayez pitié de moi, par le mérite de votre amère passion : je le recevrai joyeusement.

Mais ceux qui persisteront en leur mal, je viendrai à eux comme un géant armé de trois choses, savoir : la frayeur, la force et la rigueur. Je viendrai aux chrétiens, tellement épouvantable, qu’ils n’oseront pas même mouvoir contre moi leur petit doigt ; je viendrai tellement fort qu’ils succomberont et seront comme culbutés devant moi ; en troisième lieu, je viendrai à eux tellement rigoureux, qu’ils sentiront leur malheur dès à présent et éternellement.


Chapitre 58

1058   Paroles de la Mère de Dieu à l’épouse. Doux colloque de la Mère et du Fils. Comme Jésus-Christ est amer, plus amer, très amer aux méchants, et comme il est doux, plus doux, très doux aux bons.

  La Mère de Dieu disait à l’épouse sainte Brigitte : Considérez, ô épouse nouvelle, la passion très douloureuse de mon Fils, passion qui a passé en amertume celle de tous les saints ; car tout ainsi qu’une mère serait très cruellement troublée, si elle voyait son fils vif, j’étais de la sorte troublée en la passion de mon Fils, ayant vu toute son amertume.

  Et puis, elle parlait à son Fils, disant : Vous, soyez béni, ô mon Fils, parce que vous êtes saint, comme on le chante : Saint, saint, saint, le Seigneur, Dieu des armées ! Vous, soyez béni, parce que vous êtes, non seulement doux, plus doux, mais très doux ! Vous étiez saint au-delà du monde et avant l’incarnation, saint en l’incarnation et saint après l’incarnation. Vous avez aussi été doux avant la création du monde, plus doux que les anges, et m’avez été très doux en l’incarnation.

  Son Fils lui répondit, disant : Ma Mère, vous, soyez bénie par-dessus tous les anges, car ainsi que vous avez dit maintenant que j’ai été très doux, de même je suis aux mauvais, non seulement amer, plus amer, mais très amer. Je suis amer à ceux qui disent que j’ai créé plusieurs choses sans causes, qui blasphèment et disent que j’ai créé l’homme pour la mort et non pour la vie.

  O misérable et folle pensée ! N’est-il pas vrai que je suis très juste et très vertueux ? Et toutefois, ils disent que j’ai créé les anges sans raison ! Si j’eusse créé l’homme pour la mort, l’eussé-je enrichi et orné avec une si grande bonté ? Certes, j’ai fait toutes choses bien et en considération de ma charité.

J’ai donné à l’homme tout le bien qui se pouvait désirer, mais il change et tourne ce bien en mal, non que j’aie fait quelque chose mal, mais parce que l’homme meut autrement sa volonté que selon l’ordonnance et disposition divine. Mais je suis plus amer à ceux qui disent que j’ai donné le libre arbitre pour pécher, et non pour faire du bien ; qui disent que je suis injuste, parce que je justifie les uns et réprouve les autres ; qui mettent la faute sur moi, de ce qu’ils sont méchants, parce que je retire d’eux ma grâce. Mais je suis très amer à ceux qui disent que ma loi et que mes commandements sont très difficiles et que personne ne les peut accomplir ; qui disent que ma passion ne leur a servi ni profité de rien, c’est pourquoi ils n’en font aucun état.

  Partant, je jure par ma vie, comme je jurais autrefois par mes prophètes, que je m’excuserai devant les anges et en la présence de tous les saints, lesquels prouveront à ceux à qui je suis amer, que j’ai créé toutes choses bien à propos et avec raison, pour l’utilité et la science de l’homme, que même un petit ver ne subsiste pas sans cause. Or, ceux qui me tiennent plus amer approuveront que j’ai sagement donné aux hommes le libre arbitre pour le bien.

Ils savent aussi que je suis juste, moi qui donne à l’homme bon et pieux le royaume éternel, et à l’homme méchant, l’éternel supplice. Car il ne serait pas à propos que le diable, qui a été créé bon par moi et qui est tombé par sa malice, eût compagnie avec le bon. Les méchants prouveront aussi que ce n’est pas par ma faute qu’ils sont méchants, mais à raison de leur propre malice ; car s’il était possible, je prendrais librement une telle peine pour chaque homme en particulier, telle que j’ai reçue une fois sur la croix pour tous les hommes en général, et cela, afin qu’ils revinssent à l’héritage promis.

  Mais l’homme a toujours sa volonté contraire à la mienne, lui à qui pourtant j’ai donné la liberté de me servir ou de ne me servir pas ; que s’il voulait me servir, il aurait une récompense éternelle, mais que, s’il ne voulait pas, il aurait un supplice éternel avec le diable difforme et horrible, la malice duquel, et le consentement volontaire qu’il y a donné, ont été cause que l’enfer a été justement fait. Certes, d’autant que je suis très charitable, je ne veux pas que l’homme me serve par crainte ou contrainte, comme l’animal irraisonnable, mais je veux qu’il me serve par ma divine charité, parce qu’une personne qui me sert à regret ne peut voir ma face à cause de la peine.

  Or, ceux auxquels je suis très amer verront en leur conscience que ma loi a été très facile et mon joug très suave, et seront fâchés d’avoir méprisé ma loi, de lui avoir préféré le monde, dont le joug est beaucoup plus lourd et plus difficile que le mien.

  Alors sa Mère lui répondit : Vous, soyez béni, mon Fils, mon Dieu et mon Seigneur ! Comme vous m’avez été très doux, que les autres soient participants de ma douceur, je vous en prie.

Son Fils lui dit : Vous, soyez bénie, ma très chère Mère ! Vos paroles sont douces et pleines de charité : c’est pourquoi votre douceur servira grandement quiconque l’aura reçue en sa bouche et l’aura goûtée parfaitement ; mais celui qui l’aura reçue et rejetée, aura un supplice d’autant plus amer.

  Alors, la Vierge lui répondit : Vous, soyez béni, mon Fils, en toute l’étendue de votre amour !

Chapitre 59

1059   Paroles de Jésus-Christ dites en la présence de l’épouse, lesquelles expliquent comment Jésus-Christ est désigné et figuré par un rustique ; comment les bons prêtres sont désignés par un bon pasteur, les mauvais, par un mauvais pasteur, et les bons chrétiens par une femme. Il est ici traité de plusieurs choses utiles.

  Je suis la Vérité, qui n’ait jamais dit un mensonge. Je suis regardé dans le monde comme un rustique méprisable ; mes paroles sont censées fade, et ma maison est regardée comme une vile loge.

  Un rustique eut une femme qui ne voulut jamais rien que selon la volonté de son mari ; tout ce qu’elle avait, elle le possédait en commun avec lui, et elle l’a regardé et honoré toujours comme son seigneur, lui obéissant en tout comme à son maître.

  Cet homme rustique eut aussi plusieurs brebis, pour la garde desquelles il loua un pasteur à cinq écus de gages, afin qu’il eût ce qui était nécessaire à sa vie, d’autant que ce pasteur était bon, usait de l’or pour le seul profit, et des vivres pour les nécessités de sa vie.

  Après ce pasteur quelque temps s’étant écoulé, vint un autre pasteur, qui était plus méchant que lui, qui acheta avec l’or une femme, à laquelle il apporta tous ses vivres, prenant continuellement ses plaisirs avec elle, ne se souciant pas des brebis, qui furent misérablement éparses çà et là par la cruauté des bêtes farouches.

  Alors le rustique, voyant ses brebis égarées s’écria et dit : Mon pasteur m’est infidèle ; mes brebis sont toutes dispersées çà et là, quelques-unes dévorées, et j’ai perdu leurs corps et leur laine par les bêtes farouches ; quelques autres sont mortes, mais leurs corps n’ont pas été dévorés.

  Alors la femme dit à son mari : Il est certain que nous n’aurons jamais les corps qui ont été mangés ; portons donc à la maison les corps qui sont demeurés entiers, et servons-nous en, bien qu’ils soient morts, car il nous serait intolérable d’être frustrés de tout.

  Le mari lui répondit : Que ferons-nous ? Car les animaux qui les ont tuées ont leurs dents envenimées; leurs corps sont infectés d’un poison mortel ; la peau en est corrompue, la laine entassée en un monceau.

  La femme repartit : Si tout est infecté, tout est ôté. De quoi vivrons-nous ?

  Le mari répliqua : Je vois en trois lieux des brebis vivantes ; quelques-unes sont comme mortes, qui n’osent respirer de crainte ; quelques autres sont dans le bourbier profond et ne peuvent en sortir ; quelques autres sont dans des tanières, et elles n’osent en sortir. Venez donc, ma femme, aidons à sortir celles qui s’efforcent, et qui ne le peuvent sans secours, et servons-nous d’elles.

  Je suis ce rustique seigneur, qui suis réputé des hommes comme celui qui est curieusement nourri en son lit, conformément à ses manières et à ses moeurs. Mon nom est la disposition de la sainte Église : elle est réputée vile, attendu qu’elle reçoit comme par dérision les sacrements, le Baptême, l’Ordre, l’Extrême-Onction, la Pénitence et le Mariage, et les donne aux autres par ambition. Mes paroles sont estimées comme des fadaises, d’autant que j’usais de similitudes sensibles pour faire entendre les choses spirituelles. Ma maison leur semble méprisable, parce qu’on aime et qu’on choisit les choses terrestres pour les choses célestes.

  Par ce premier pasteur que j’ai eu, j’entends les prêtres qui sont mes amis, que j’ai eus autrefois dans mon Église : car par le mot qui est au singulier, j’entends plusieurs. A ceux-ci j’ai commis mes brebis, c’est-à-dire, le pouvoir de consacrer, de gouverner et de défendre les âmes de mes élus, auxquels aussi j’ai donné cinq biens plus précieux que l’or, savoir :

1° l’esprit de discerner le bien du mal, le vrai du faux, et de connaître tout ce qui est irraisonnable ;

2° je leur ai donné l’intelligence, la sagesse des choses spirituelles, qui est maintenant en oubli, et la sagesse humaine est aimée en son lie ;

3° je leur ai donné la chasteté ;

4° je leur ai donné la tempérance en toutes choses, et l’abstinence, pour modérer et pour retenir le corps ;

5° je leur ai donné la stabilité dans les bonnes moeurs, dans les paroles et dans les oeuvres.

  Après ces pasteurs, qui étaient mes amis et qui étaient autrefois dans mon Église, d’autres s’y sont maintenant glissés, qui, au lieu de l’or de la chasteté, ont acheté une femme ; et au lieu de ces cinq dons, ils ont épousé un corps efféminé, c’est-à-dire, l’incontinence, à raison de quoi mon Esprit s’est retiré d’eux. Car quand ils ont assouvi les désirs du péché et satisfait pleinement leurs voluptés infâmes, mon Esprit se retire d’eux, attendu qu’ils ne se soucient pas du dommage que mon bercail souffre, pourvu qu’ils puissent se plonger et se vautrer dans leurs sales voluptés.

  Or, les brebis qui sont entièrement dévorées, sont celles dont les âmes sont en enfer et les corps dans les sépulcres, attendant la résurrection pour être damnés avec les âmes. Mais les brebis dont l’esprit s’en est allé et dont le corps demeure, ce sont celles qui ne m’aiment ni ne me craignent, qui n’ont ni soin ni dévotion. De ceux-là mon Esprit est grandement éloigné, car leur chair, étant déchirée par les dents envenimées des bêtes, et tout empoisonnée, c’est-à-dire, leur âme et les pensées de leur âme désignées par la chair et par les intestins des brebis, m’est tellement amère et abominable, que je ne me puis non plus plaire en eux qu’en une chair envenimée. Leur peau, c’est-à-dire, leurs corps est aride et sec à tout bien, à tout amour, et ne sert à mon royaume pour autre usage que pour jeter dans le feu éternel après le jour du jugement. Leur laine, c’est-à-dire, leurs bonnes oeuvres sont partout inutiles, de sorte qu’on ne trouve en elles rien qui soit digne de ma grâce ni de mon amour.

  Qu’est-ce donc, ô ma femme, c’est-à-dire, ô bons chrétiens ? Que ferons-nous ? Je vois en trois lieux des brebis vivantes : quelques-unes sont semblables aux mortes, qui de crainte n’osent respirer : celles-là sont les Gentils, qui voudraient librement avoir une foi droite, s’ils en savaient la manière, mais ils n’osent respirer, c’est-à-dire, n’osent abandonner la foi qu’ils ont ni prendre la foi droite.

  Les autres sont des brebis qui sont dans les tanières et n’osent sortir : celles-là sont les Juifs qui sont comme sous des voiles, d’où ils sortiraient librement s’ils savaient que je fusse né. Or, ils se cachent comme sous des voiles, d’autant qu’ils attendent leur salut dans les figures et dans les signes qui prédisaient autrefois ce qui est maintenant accompli. Et à raison de cette vaine espérance, ils craignent de venir à la vraie et droite voie.

  En troisième lieu, les brebis qui sont plongées dans le bourbier, ce sont les chrétiens qui sont en péché mortel, car ceux-là, pour la crainte du supplice, en sortiraient librement, aidés par ma grâce ; mais ils ne le peuvent, à cause de la gravité de leurs péchés, et parce qu’ils n’ont point d’amour pour moi.

  Donc, ô bons chrétiens, aidez-moi, car comme la femme et le mari ne sont qu’une chair, de même le chrétien et moi ne sommes qu’un, d’autant que je suis en lui et qu’il est en moi. Partant, ô femme, c’est-à-dire, ô bons chrétiens, courez avec moi à ces brebis qui ont encore la vie ; tirons-les de là, et fomentons-les par l’amour.

  Compatissez avec moi, car je les ai achetées fort chèrement ; recevez-les avec moi, et moi avec vous, vous sur le dos, moi sur la tête, et ainsi je les conduirai joyeusement entre mes mains. Je les ai portées une fois sur mon dos, quand j’étais tout blessé, lié et attaché à la croix. O mes amis, j’aime si tendrement mes brebis, que, s’il était possible, j’aimerais mieux mourir autant de fois pour chacune d’elles de la mort que je souffris sur la croix pour la rédemption de toutes, que d’en être privé. Je crie à mes amis qu’ils ne s’épargnent point, mais qu’ils travaillent pour l’amour de moi ; qu’ils fassent de bonnes oeuvres. Que si on vomissait contre moi des opprobres et des calomnies, pendant que j’étais au monde, lorsque je disais la vérité, qu’eux aussi ne cessent de dire la vérité pour moi. Je n’ai pas eu honte de subir, pour l’amour d’eux, une mort ignominieuse : j’étais nu devant les yeux de mes ennemis comme le jour où je naquis ; je fus frappés aux dents d’un coup de poing ; je fus tiré par les cheveux ; je fus frappé de leurs fouets ; je fus attaché au bois par leurs clous et par leurs instruments, et fus pendu en la crois avec les larrons.

  Ne vous épargnez donc pas, ô mes amis, puisque l’amour m’a tant fait souffrir pour vous. Travaillez généreusement, et aidez aux brebis souffreteuses et indigentes. Je jure par mon humanité que je suis en mon Père et que mon Père est en moi, et par ma Divinité, qui est en mon Esprit, et l’Esprit en elle, et le même Esprit en moi et moi en lui, et ces trois un Dieu en trois personnes, que tous ceux qui travailleront et porteront avec moi mes brebis, j’irai au-devant d’eux au milieu du chemin pour les secourir, et je leur donnerai une récompense très précieuse, c’est-à-dire, moi-même en joie éternelle.


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 1055