Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2005

Chapitre 5 comment Jésus-Christ est préfiguré par David

2005   Paroles de Dieu en la présence de l'épouse, où il parle de sa magnificence; et en figure, il traite comment Jésus-Christ est préfiguré par David; les juifs, les païens et les mauvais chrétiens, par les trois enfants de David; et enfin comment l'église a sept sacrements.

  Je suis Dieu, non de pierre ou de bois, non créé par quelqu'un, mais créateur adorable de toutes choses, étant sans commencement et sans fin. Je suis celui qui est venu à la Vierge sans perdre ma Divinité.

  Mais moi je suis celui qui était pour l'humanité en la Vierge, demeuré en la Vierge, sans perdre ma Divinité. Mais Moi je suis celui qui était pour l'humanité en la Vierge, sans laisser ma Divinité.

Je suis la même chose avec le Père et le Saint-Esprit, qui régnais au ciel et sur la terre par ma Divinité ; j'enflammais aussi par mon Esprit la Sainte Vierge, non pas que mon Esprit qui l'enflammait fût séparé de moi, mais le même Esprit qui l'enflammait était la même chose avec le Père et avec moi, qui suis le Fils, et le Père et le Fils étaient en lui, et ces trois personnes ne sont pas trois Dieux, mais un seul Dieu.

  Je suis semblable au roi David, qui a eu trois fils: l'un d'eux s'appelait Absalom, qui pourchassait à mort son père; le deuxième, qui était Adonias, le voulait débouter de son royaume ; le troisième obtint le royaume, savoir, Salomon.


Absalon représente les juifs

Le premier marque les juifs, qui me pourchassaient à mort et méprisaient mes conseils : partant, maintenant, ayant connu leur ingratitude, je puis dire d'eux ce que disait David de son Fils après son décès : O mon fils Absalom, c'est-à-dire, ô juifs, qui êtes mes enfants, où sont maintenant votre désir et votre attente ? ô mes enfants, où est maintenant votre fin ? Je compatissais avec vous, lorsque vous désiriez ma venue, qui vous a été annoncée par tant et tant de signes donnés, lorsque vous désiriez les choses passagères qui vous étaient déjà échappées toutes. Mais maintenant, je compatis plus avec vous, comme un autre David, qui réitérait souvent la dernière parole, disant: O mon fils Absalom! ô Absalom mon fils! Attendu que je vois maintenant votre fin en la misère de la mort, c'est pourquoi encore avec un grand amour je dis comme David :

O mon Fils, qui me donnera cette faveur de mourir pour vous ?

  Or, David sut bien que par sa mort il ne pouvait pas ressusciter son fils, mais en cela, il montrait l'amour paternel, et sa bonne volonté prompte à mourir pour le ressusciter, s'il eût été possible. J'en dis de même maintenant: O juifs, mes enfants, bien que vous ayez eu une mauvaise volonté contre moi, et ayez fait le pis que vous avez pu, s'il était pourtant possible et que cela plut à mon Père, je mourrais volontiers encore une fois pour l'amour de vous, tant j'ai compassion de votre misère, que vous-mêmes avez acquise, ma justice le permettant ainsi; car je vous ai dit par parole ce qu'il fallait faire et vous l'ai montré par exemple. Je vous ai précédés comme une poule, vous échauffant sous les ailes de mon amour; mais vous avez tout méprisé. C'est pourquoi tout ce que vous avez désiré s'est enfui de vous: votre fin est en la misère, et votre labeur est vain.

En Adonias, second fils de David, sont signifiés les mauvais chrétiens.

Adonias offensa son père en sa vieillesse, car il pensa ainsi à part soi: Mon père est vieux; la force lui manque. Si je lui parle de quelque chose de sinistre, il ne répondra pas; si je fais quelque chose contre lui il ne s'en vengera pas; si j'attente quelque chose contre lui, il le supportera patiemment; partant, je ferai ce que je voudrai.

  Il monta en une forêt où il y avait peu d'arbres, avec une poignée de serviteurs de son père, pour régner là. Mais la sagesse de son père éclatant, et ses volontés lui étant manifestées, ses conseils ont été changés, et ceux qui étaient avec lui ont été méprisés et rendus contemptibles. De même font les chrétiens: ils pensent de moi en la manière, disant: "Les signes de Dieu et ses jugements ne nous sont point connus; nous pouvons maintenant, comme devant, dire ce que nous voudrons, car il est miséricordieux et ne s'en avise point. Faisons ce qu'il nous plaira, car il pardonne facilement. "

Ils se défient de ma toute puissance, comme si j'étais maintenant plus infirme qu'auparavant pour faire ce que je veux; ils pensent que mon amour s'est diminué, comme si je ne voulais en avoir non plus de miséricorde que de leurs pères; ils estiment mes jugements moquerie et ma justice vanité, c'est pourquoi ils montent dans les forêts avec quelques serviteurs de David pour régner confidemment.

  Quelle est cette forêt où il y a si peu d'arbres, sinon la sainte Eglise, qui subsiste par les sept sacrements, comme par autant d'arbres ? Ils entrent dans cette Eglise avec quelques serviteurs de David, c'est-à-dire, avec quelques petites bonnes oeuvres, afin que confidemment ils obtiennent le royaume de Dieu; car ils font quelques petites bonnes oeuvres, dans lesquelles ils se confient tant que, bien qu'ils soient en quelque péché et en quelque crime que ce soit, bien que détestables, ils croient pourtant avoir le ciel comme par un droit héréditaire. Mais comme le fils de David, qui voulait avoir le royaume de son père, a été déshonorablement repoussé, attendu que, tout injuste qu'il était il voulait se l'arroger injustement et il a été donné à un plus sage et meilleur: de même ces chrétiens seront repoussés de mon royaume, et mon royaume sera donné à ceux qui font la volonté de David, car autre ne pourra obtenir le royaume céleste que celui qui aura la charité, ni autre ne pourra s'approcher de ma pureté, qui ne soit pur selon mon coeur.


Le troisième fils de David était Salomon, qui signifie les païens.

  Bersabée ayant ouï qu'un autre que Salomon était élu pour régner, à qui néanmoins David avait promis le royaume, alla vers David et lui dit:

Mon Seigneur, vous m'avez juré que Salomon régnerait après vous; or, maintenant un autre est élu; si cela passe de la sorte, je serai condamnée au feu comme une adultère, et mon fils sera illégitime.

David ayant ouï ces choses, se leva et dit: je jure de la part de Dieu que Salomon régnera après moi. Et il commanda à ses serviteurs qu'ils élevassent Salomon au trône de son royaume, et qu'on ne publiât roi que celui que David avait élu; lesquels accomplissant le commandement de leur seigneur, exaltèrent Salomon avec une grande puissance; et tous ceux qui avaient été de l'avis de son frère, furent chassés et faits serviteurs.

  Quelle est cette Bersabée, laquelle sera réputée pour adultère si on élit un autre roi, si ce n'est la foi de païens ? Car il n'y a pas de plus pernicieux adultère que de se retirer de Dieu et de la foi droite, et croire quelqu'autre Dieu que le Créateur de toute chose; mais comme une autre Bersabée, quelques gentils viennent à Dieu, disant d'un coeur humble et contrit: Seigneur, vous nous avez promis qu'à l'avenir nous serions chrétiens : accomplissez donc votre promesse. Si un autre roi, c'est-à-dire, une autre foi est née parmi nous; si vous vous séparez de nous, nous marcherons misérables, et nous mourrons comme des adultères qui ont pris pour un légitime mari un adultère. Et bien que vous viviez éternellement vous mourrez pour nous, et nous à vous, puisque, par la grâce, vous vous éloignez de nos coeurs, et nous nous opposons à vous par notre défiance.

Partant, accomplissez votre promesse; confortez notre infirmité et illuminez nos ténèbres, car si vous différez, c'est-à-dire, si vous vous éloignez de nous, nous périrons.

Ayant ouï ces choses, comme un autre David, je les veux élever par ma grâce et miséricorde. Je jure donc par ma Déité, qui est avec mon humanité, et par mon humanité, qui est en mon Esprit, et par mon Esprit, qui est en ma Déité et en mon humanité, (et les trois ne sont pas trois dieux, mais un Dieu) que j'accomplirai ma promesse. J'enverrai mes amis afin qu'ils introduisent Salomon, mon fils, c'est-à-dire, les païens, dans l'Eglise, qui subsiste par les sept sacrements comme par sept arbres: le Baptême, la Pénitence, la Confirmation, l'Eucharistie, l'Ordre, le Mariage et l'Extrême-onction; et ils se reposeront en mon siège, c'est-à-dire, en la foi droite de la sainte Eglise. Mais les mauvais chrétiens seront leurs serviteurs; ils se réjouiront de l'héritage perpétuel et de la douceur que je leur préparerai. Or ceux-ci gémiront leur misère, qui commencera en ce monde et ne finira pas en l'autre. Partant, ô mes amis! Ne dormons pas, et ne nous fâchons pas quand il est temps de veiller, car une récompense glorieuse suivra nos travaux.



Chapitre 6 ... comment, ayant rejeté les chrétiens, il envoie des prédicateurs aux païens

2006   Paroles du Fils de Dieu en présence de l’épouse, traitant de quelque roi assis en un champ avec ses amis à la droite et ses ennemis à la gauche; et en quelle manière Notre-Seigneur est signifié par un tel roi, qui a les chrétiens à la droite et les païens à la gauche; et comment, ayant rejeté les chrétiens, il envoie des prédicateurs aux païens.

  Le Fils de Dieu disait: Je suis comme un roi qui est aux champs, à la droite duquel sont ses amis, et à sa gauche ses ennemis, où tous assemblés, une voix de quelqu’un qui criait, vint à la droite, où tous assistaient armés, ayant leurs heaumes liés et leur face tournée vers Notre-Seigneur.

Or, cette voix criait ainsi: Tournez-vous vers moi et croyez-moi. J’ai de l’or à vous donner.

Lesquels, entendant cela, se tournèrent vers lui, et la voix leur dit pour une seconde fois: Si vous voulez voir l’or, déliez vos heaumes, et si vous le désirez posséder, j’attacherai derechef vos heaumes selon ma volonté; lesquels condescendants, il leur attacha les heaumes ce qui est devant derrière, de sorte qu’ils n’y voyaient pas; et ainsi criant, il les amenait après lui.

  Ces choses étant faites, quelques amis du roi l’annoncèrent à leur seigneur, disant que les hommes étaient méchamment séduits par les ennemis. Le seigneur dit à ses amis: Allez avec eux, et criez ainsi: Déliez vos heaumes, et voyez, car vous êtes déçus. Convertissez-vous à moi, et je vous recevrai en paix.

  Or, ils ne le voulurent point ouïr, mais ils s’en moquèrent. Ce que voyant, les serviteurs l’annoncèrent à leur seigneur, qui dit: D’autant donc qu’ils m’ont méprisé, allez-vous-en vite à leur gauche, et dites-leur ces trois choses:

La voie qui conduit à la vie vous est toute prête; la porte est ouverte, et notre seigneur en personne veux vous aller au-devant. Croyez donc que la voie vous est préparée; espérez fermement et constamment que la porte vous sera ouverte et que ces paroles sont vraies. Allez au-devant du seigneur avec amour, et il vous recevra avec charité, et il vous conduira au repos éternel.

Or, entendant les paroles de ceux qui étaient envoyés, ils crurent et furent reçus en paix.

  Je suis ce roi, dit Notre-Seigneur, qui ai les chrétiens à ma droite et qui leur ai préparé un bien éternel. Leurs heaumes étaient alors liés, et leurs visages tournés contre moi; ils ont eu une ferme et parfaite volonté d’accomplir la mienne, d’obéir à mes commandements, et de porter leurs désirs au ciel.

  Enfin, la voix du diable, c’est-à-dire la voix de la superbe, résonna au monde, leur enseignant les richesses du monde et la volupté charnelle, à laquelle ils se convertirent avec affection, et consentirent à leur superbe, pour la quelle alors ils posèrent leurs heaumes, quand ils accomplirent en effet leurs brutales affections, et préférèrent les choses temporelles aux choses spirituelles.
Ayant donc posé les heaumes des volontés divines et les armes des vertus, la superbe prévalut tellement en eux, qu’elle les obligea si entièrement qu’ils eussent voulu pécher toujours, et eussent voulu vivre éternellement pour éternellement pécher. Cette superbe les a tellement aveuglés qu’elle leur a mis les yeux derrière la tête. Que sont les trous du heaume, sinon la considération des choses passées et une sage circonspection des choses présentes?

Par le premier trou, ils devraient considérer les récompenses éternelles, et combien elles sont délectables, et combien les supplices futurs sont horribles, et combien sont terribles les jugements de Dieu.

Par le deuxième trou, ils devraient considérer ce que Dieu commande et ce que Dieu défend, combien ils s’éloignent des commandements de Dieu, et en quelle manière ils pourraient s’amender. Mais hélas! Les trous sont au derrière de la tête, où on n’y voit rien, car la considération des choses célestes est ensevelie dans l’oubli; l’amour de Dieu s’est refroidi en eux, et l’amour du monde est si doucement considéré et embrassé, qu’il les conduit où ils veulent, comme une roue bien ointe.

  Vraiment, mes amis, voyant qu’ils me déshonorent, considérant la chute des âmes et le domaine du diable, crient à moi tous les jours, par leurs instantes et humbles prières, lesquelles ont pénétré les cieux et percé mes oreilles; et moi, fléchi par leurs prières, je leur ai envoyé mes prédicateurs; je leur ai montré des signes et ai multiplié en eux mes grâces. Mais méprisant tout, ils ont ajouté un péché à un autre.
 Partant, je dirai à mes serviteurs, et en vérité, je l’accomplirai maintenant: Mes serviteurs, allez à ma gauche, c’est-à-dire, vers les païens, qui ont été jusqu’à aujourd’hui en mépris; allez, dis-je, et parlez en ces termes: Le Seigneur du ciel et le Créateur de toutes choses vous fait dire que la voie du ciel est ouverte: ayez volonté d’y entrer avec une foi ferme. La porte du ciel vous est ouverte; espérez fermement, et vous entrerez. Le Roi du ciel et le Seigneur des anges vous veut aller lui-même au-devant, vous donner la paix et perpétuelle bénédiction: allez-lui au-devant, et recevez-le avec la foi qu’il vous a montrée, par laquelle la voie du ciel est préparée. Recevez-le avec espérance, par laquelle vous attendez que vous posséderez le ciel qu’il vous veut donner. Aimez-le de tout votre coeur, et accomplissez par effet cet amour. Entrez à Dieu par les portes du ciel; les chrétiens qui ne veulent pas entrer par elles et s’en rendent indignes par les oeuvres, en seront repoussés.

  Je vous dis en vérité que j’accomplirai mes paroles, et je n’y manquerai pas. Je vous recevrai pour mes enfants, et je vous serai Père que les chrétiens ont méprisé.

  Vous donc, mes amis, qui êtes au monde, marchez sûrement; criez et annoncez-leur ma volonté, et aidez-les, afin qu’ils puissent accomplir mes volontés. Je serai dans votre coeur et dans votre bouche. Je serai votre conducteur en la vie, et votre conservateur en la mort. Allez sûrement, je ne vous laisserai point. La gloire croît par le labeur, car je pourrais toutes choses en un moment et en une parole, mais je veux que du combat croisse votre couronne, et que de votre courage croisse mon honneur.
 N’admirez pas ce que je vous dit, car si un homme sage pouvait considérer ceci dans le monde, combien d’âmes descendent tous les jours dans l’enfer, il verrait qu’il y en a plus que du sable dans la mer et que de petits cailloux au rivage, car la justice et l’équité veulent que ceux qui se sont séparés de Dieu soient conjoints avec le diable. Partant, afin que le nombre du diable soit diminué, qu’on voie le péril présent et que mes troupes soient augmentées. Je parle ainsi, afin que, par aventure, s’ils entendent, ils s’amendent.



Chapitre 7 Comment est désigné l’état des clercs et laïques par saint Pierre et saint Paul

2007   Paroles de Jésus-Christ à son épouse, traitant de la manière dont la Divinité est comparée à une couronne. Comment est désigné l’état des clercs et laïques par saint Pierre et saint Paul. Des moyens qu’il faut tenir avec les ennemis, et des conditions qu’il faut avoir avec les soldats de ce siècle.

  Le Fils de Dieu parlait à son épouse, lui disant: Je suis le Roi des couronnes. Ne savez-vous pas pourquoi je suis appelé Roi des couronnes? Certainement, ma Divinité est sans commencement et sans fin. Ma Divinité est comparé à une couronne, d’autant qu’elle est sans commencement et sans fin; car comme en un royaume, on garde toujours une couronne pour le roi futur, de même ma Divinité était réservée à mon humanité pour en être couronnée. Or, j’ai eu deux domestiques: l’un était clerc et l’autre était laïque; l’un était Pierre, ayant office de clerc, et Paul était comme laïque;

  Pierre était lié au mariage; mais voyant que le mariage ne pouvait s’accorder avec l’office de clerc, et considérant que sa pure intention périclitait en l’incontinence, il se sépara tant seulement de l’usage du mariage, afin qu’il fût uni à moi plus librement. Mais Paul garda la chasteté, et se conserva pur du lit de noces.

  Voici quelle charité j’ai faite au monde avec ces deux: j’ai donné à Pierre les clefs du ciel, de sorte que ce qu’il lie et délie en terre est lié et délié au ciel. J’ai donné à saint Paul cette faveur, qu’il fût semblable à saint Pierre en gloire et en honneur: car comme en terre ils ont été égaux et unis ensemble, de même maintenant au ciel, ils sont conjoints et glorifiés en la gloire perpétuelle. Mais bien que j’aie nommé ces deux expressément, néanmoins, j’entends avec eux les autres qui sont nos amis; car comme autrefois, en la loi, je parlais à un seul Israël comme à un homme, entendant parler en ce seul mot de tout le peuple d’Israël, de même maintenant, en ces deux, j’entends parler de plusieurs, que j’ai remplis de gloire et d’amour.

  Or, le temps allant en avant, les maux ont commencé de se multiplier, et la chair de se rendre infirme et d’être plus que de coutume encline au mal. Partant, à l’un et l’autre état des clercs et laïques, signifiés en Pierre et en Paul, ayant regard à ma miséricorde, j’ai permis aux clercs d’avoir modérément des biens de l’Église pour l’utilité du corps, afin qu’ils en fussent plus fervents et plus fréquents à mon service; j’ai permis aux laïques le mariage selon les cérémonies de l’Église.

  Entre les clercs, il y avait un bon homme qui considérait à part soi ceci: La chair m’entraîne aux perverses volontés, le monde à l’usage pernicieux; le diable me tend plusieurs embûches pour me faire tomber dans le péché.

Partant, afin que je ne sois pas supplanté par la chair et par la volupté, je mettrai un moyen en toutes mes actions: je modérerai ma réfection; je tempérerai mon sommeil; je garderai le temps qui est dû au travail et à l’oraison; je châtierai ma chair par des jeûnes.

En deuxième lieu; afin que le monde ne m’arrache de l’amour de Dieu, je veux laisser tout ce qui est du monde; car tout est périssable; il est plus sûr de suivre en pauvreté Jésus-Christ.

En troisième lieu, afin que le diable ne me trompe (car il montre toujours le faux pour le vrai), je me soumets à l’obéissance et au gouvernement d’autrui, et me montrerai disposé à faire tout ce qu’on me commandera.

  C’est celui-là le premier qui a institué la vie monastique, et qui, persévérant louablement en elle, a laissé aux autres l’exemple vif de sa vie pour le suivre et l’imiter.

  L’état des laïques fut bien disposé pour quelque temps. Quelques-uns d’eux cultivaient la terre et étaient fidèles au labourage des champs. Les autres allaient par mer, transportant les marchandises aux autres régions, afin que la nécessité d’une région fût soulagée par la fertilité de l’autre. Quelques autres s’adonnaient aux ouvrages d’art. De ceux-là, quelques-uns étaient défenseurs de mon Eglise, qui sont maintenant appelés curieux; qui ont pris les armes pour venger les injures qu’on fait à mon Eglise et pour combattre ses ennemis. Entre ceux-là, il apparut un bon homme, mon ami, qui considérait à part soi: Je ne cultive pas la terre comme un laboureur; je ne traverse pas les mers comme un marchand; je ne m’adonne pas aux ouvrages comme un ouvrier excellent. Qu’est-ce donc que je ferai, ou par quels ouvrages apaiserai-je mon Dieu? Même, je ne suis pas généreux à défendre l’Église. Mon corps est débile et mou pour souffrir les plaies; ma main est lâche pour frapper ses ennemis, et mon esprit dégoûté pour considérer les choses célestes. Que faut-il donc faire maintenant? Certainement, je sais ce que je ferai: je me lèverai, et je m’obligerai, avec serment ferme et stable sous un prince temporal, à défendre la foi de la sainte Église aux dépens de mon sang, à bien faire.

  Or, ce mien ami venant à ce prince, lui dit: Seigneur, je suis un des défenseurs de l’Église; mon corps est trop lâche pour souffrir les plaies; mes mains sont trop faibles pour blesser; mon esprit est inconstant pour la considération des choses bonnes et pour faire de bonnes oeuvres; ma volonté propre me plaît; mon repos ne me permet pas de résister et de combattre courageusement pour la maison de Dieu. Partant, je m’oblige avec jurement public, sous l’obéissance de la sainte Église et de la vôtre, ô princes! À la défendre tous les jours de ma vie, afin que si, peut-être, mon esprit et ma volonté sont lâches pour combattre, je sois obligé par jurement de bien agir et opérer. Le prince lui répondit: J’irai avec vous en la maison de Dieu, et serai témoin de votre promesse et de votre jurement.

  Or, tous deux venant à l’autel, mon ami, ayant fléchi le genou devant l’autel, dit; Je suis tout faible et infirme en ma chair pour souffrir des blessures; ma volonté propre m’est trop chère, et ma main est trop lâche pour frapper. C’est pourquoi maintenant, je promets obéissance à mon Dieu, et à vous, qui êtes chef, m’obligeant avec jurement à défendre l’Église contre ses ennemis et à aider ses amis; à faire du bien aux veuves, aux orphelins et à ceux qui sont fidèles à Dieu; à ne faire jamais rien contre l’Église ni contre sa foi. D’ailleurs, je m’oblige à votre correction, s’il advient que j’erre, afin qu’obligé d’obéir, je pèche moins, résiste à ma propre volonté, et avec plus de ferveur et de facilité, je suive la volonté de Dieu et la vôtre; et que je sache que désormais il me sera d’autant plus damnable, et me rendrai par-dessus les autres d’autant plus contemptible, si, ayant violé vos commandements, je présume d’y contrevenir.

  Or, ayant fait cette promesse devant mon autel, le prince, le considérant sagement, lui prépara un habit différent et distinct de celui du monde, en signe qu’il avait renoncé à la propre volonté, et afin qu’il sut qu’il avait un supérieur et qu’il lui devait obéir. Ce prince lui donna aussi en sa main un glaive tranchant, lui disant: Vous taillerez en pièces les ennemis de Dieu et les tuerez. Il mit aussi en ses bras un bouclier, lui disant: Défendez-vous avec ce bouclier des dards des ennemis, et souffrez patiemment les coups, de sorte que votre bouclier soit plutôt mis en pièces avant que vous finissiez.


Ce mien ami promit d’observer et de garder fidèlement ses promesses en la présence de mon clerc, qui l’ouït. Or, ce clerc lui donna mon corps pour force et fermeté, afin que mon ami, m’étant uni par mon corps, ne fût jamais séparé de moi. Tels ont été mon ami Grégoire et plusieurs autres; tels certes devraient être les chevaliers, qui devraient avoir le nom pour dignité, l’habit pour l’oeuvre et pour défense de la foi sainte. Oyez maintenant ce que mes ennemis font contre ce que mes amis ont fait.

  Enfin, mes amis entraient dans le monastère par crainte discrète et par amour. Mais hélas! Ceux qui sont dans le monastère vont au monde, poussés par la superbe et la cupidité, pour assouvir leur propre volonté et pour satisfaire aux contentements du corps. Ceux qui meurent en une si pernicieuse volonté, la justice veut qu’ils ne goûtent ni n’obtiennent les joies célestes, mais bien, dans l’enfer, les peines et les supplices sans fin. Sachez aussi que ceux qui vivent dans les cloîtres, s’ils sont contraints d’être prélats contre leur volonté, et sont portés seulement par l’amour divin, ne font pas le nombre avec ceux-là. Les chevaliers aussi, qui portaient mes armes et ont été prêts à donner leur vie pour la justice et à répandre leur sang pour la sainte foi, défendant justement les pauvres, humiliaient et déprimaient les mauvais. Mais maintenant, écoutez comment ils me sont contraires: il leur plaît plus de mourir en la guerre pour la superbe, la cupidité et l’envie, suivant les suggestions diaboliques, que de vivre selon mes commandements pour obtenir la joie éternelle. Donc, récompense sera donnée à tous ceux qui mourront en une telle volonté par le jugement de ma justice rigoureuse, savoir: aux âmes de ceux-là, une éternelle conjonction avec le diable; mais ceux qui me servent doivent avoir une récompense incorruptible, sans fin, avec les troupes célestes.

  Moi, Jésus, qui suis vrai Dieu et vrai homme, un Dieu avec mon Père et mon Saint-Esprit, j’ai dit ces paroles.


Chapitre 8 quelque chevalier qui s’était retiré de la vraie milice, c’est-à-dire, de l’humilité, obéissance, patience, foi, etc

2008   Paroles de Jésus-Christ à son épouse, par lesquelles il traite de quelque chevalier qui s’était retiré de la vraie milice, c’est-à-dire, de l’humilité, obéissance, patience, foi, etc. allant à la fausse, c’est-à-dire, à la superbe; et aussi au contraire de l’expérience de la damnation, et de la damnation qu’il a encourue, tant à raison de ses mauvaises volontés que pour ses oeuvres méchantes.

  Je suis le vrai Dieu. Il n’y a de fait, il n’y a eu, il n’y aura seigneur plus grand que moi, car mon domaine dépend de moi. Partant, je suis le vrai Seigneur, et autre ne doit être ainsi appelé que moi seul, d’autant que toute puissance est de moi.

  Je vous ai dit que j’avais des domestiques, dont l’un entreprit virilement et consomma glorieusement une vie louable, que plusieurs imitèrent et suivirent après, en même vie et en même milice. Qui vous dira maintenant qui est celui-là qui, le premier, s’est retiré de la profession de la milice instituée par mon ami? Je ne vous dis pas son nom, car vous ne le connaissez pas; par le nom, je vous montrerai quel il était par son intention et par son affection.

  Quelqu’un, voulant être chevalier, s’en vint à mon Église; à l’entrée, il ouït une voix qui lui disait: Si vous voulez vous enrôler en cette milice, il faut que vous ayez trois choses: 1 vous devez croire la substance du pain que vous voyez en l’autel, être le vrai Dieu et homme, Créateur du ciel et de la terre. 2 Vous devez- vous plus abstenir de votre propre volonté, après avoir péché, qu’auparavant. 3. Vous ne devez vous soucier de l’honneur du monde, et je vous donnerai la délectation divine et l’honneur éternel.

Ce soldat, ayant ouï ces trois choses, et délibérant de les suivre, ouït soudain en son esprit une autre pernicieuse voix qui lui disait trois choses contraires à ce que dessus: Si vous me voulez servir: je vous donnerai en possession tout ce que vous voyez; je vous ferai ouïr tout ce qui plaît aux hommes, et vous ferai obtenir tout ce que vous désirez.

  Ce chevalier, oyant ces choses, considéra à part soi: Ce premier seigneur me commande de croire ce que je ne vois pas, me promet ce que je ne sais pas, me défend les plaisirs que je désire et que je vois, et veux que je mette mon espérance en des choses qui sont incertaines en moi. L’autre me promet le monde et l’honneur que je vois, la délectation que je souhaite, ne me défend ni l’ouie ni la vue des choses délectables. Certainement, il vaut mieux suivre le maître que je vois, et jouir de ce qui est sensible; jouir des choses dont je suis certain, que mettre mes espérances en des choses incertaines.

  Cet homme, considérant les choses de la sorte, commença de se retirer de la milice, renonça à sa vraie profession, enfreignit sa promesse, jeta le bouclier de patience devant mes pieds, rejeta de ses mains le glaive par lequel il défendait la foi, et ainsi de mon Église, à qui cette pernicieuse voix avait dit: Si, comme je vous ait dit, vous voulez être à moi, vous devez aller au camp avec toute sorte d’orgueil, et par les places, avec toute sorte de vanité, car comme ce premier maître vous a commandé l’humilité en toutes choses, de même, étant à moi, il n’y doit avoir genre de superbe que vous n’expérimentiez. Et comme lui est entré avec subjection et obéissance, de même ne souffrez point qu’aucun de vous soit supérieur; ne faites pas la révérence à pas un par esprit d’humilité.

  Prenez le glaive en main pour répandre le sang de votre prochain et de votre frère, pour posséder ses moyens ; mettez votre bouclier au bras, afin de donner librement votre vie pour l’honneur. Pour la foi qu’il vous recommandait, aimez le temple de votre corps, afin que vous ne vous priviez d’aucune volupté, mais que vous les goûtiez toutes.

  Ce misérable attachant à ces choses son intention et sa volonté, son prince lui mit la main à son col en un lieu destiné pour cela, car le lieu, quel qu’il soit, ne nuit à personne, si on a bonne volonté, ni ne profite, si l’intention est mauvaise. Or, ayant profané les paroles qu’on use pour confirmer quelqu’un en sa milice, l’exerçant pour la superbe du monde, misérable qu’il était ! Faisant peu de compte de ce qu’il avait été appelé à de plus grandes choses qu’auparavant, parce qu’il était obligé à une vie plus austère de misères quasi infinies, il suivit et accueillit ce chevalier, pour suivre les superbes, et descend plus profondément en enfer, à raison de la profession qu’il fait de la milice.

  Mais vous me pouvez demander que plusieurs veulent s’agrandir au monde et être appelés grands, mais néanmoins, n’y peuvent pas arriver. Ceux-ci ne seront-ils pas punis, à raison de leur mauvaise volonté, comme seront ceux à qui tous les souhaits réussissent ?

  A cela je vous réponds : Quiconque a une entière volonté, et fait tout ce qu’il peut, afin d’être élevé aux honneurs du monde et être appelé d’un nom vain, et néanmoins, par un occulte jugement de la Divinité, en est privé, je vous dis pour certain que celui-là sera puni comme celui qui a acquis les honneurs, s’il ne fait pénitence. Voici que de deux hommes connus à plusieurs, je vous donne un exemple, l’un desquels prêchait selon sa volonté, et obtenait presque tout ce qu’il désirait ; l’autre avait les mêmes ambitions dans le coeur, ou le coeur dans les ambitions, mais il n’a pu en avoir l’accomplissement. Le premier a acquis les honneurs du monde ; il a aimé le temple de son corps avec toute sorte de voluptés ; il dominait comme il voulait, et profitait en tout ce qu’il entreprenait.

L’autre lui était semblable en volonté, mais dissemblable en effet ; il a acquis moins d’honneurs, bien qu’il eût cent fois répandu pour cela le sang de son prochain pour assouvir et accomplir ses cupidités. Il a donc fait ce qu’il a pu et a accompli sa volonté selon son désir. Ces deux-ci sont égaux en l’horreur du supplice, et bien qu’ils ne soient pas morts en un même temps et en une même heure, tous deux néanmoins sont en même damnation, car à tous deux a été faite la même voix en la séparation de leur âme d’avec leur corps.

  L’âme donc, étant séparée du corps, parlait au corps en ces termes : Dis-moi, où est maintenant la vision délectable de tes yeux, que tu m’avais promise ? Où est la volupté que tu m’as montrée ? Où sont les paroles délectables dont tu me faisais user ?

  Le démon fut présent soudain et répondit : Les vues promises, elles ne sont qu’en la poudre ; les paroles, elles ne sont qu’en l’air ; la volupté n’est que fiente et pourriture ; elles ne profitent de rien maintenant.

  Alors l’âme s’écria : Hélas ! Hélas ! Que je suis misérablement déçue ! Je vois trois choses : je vois que celui qui promettait de se donner à moi sous les espèces du pain, est le Roi des rois le Seigneur des seigneurs. Je vois que ce qu’il a promis est indicible et admirable. Je comprends que l’abstinence qu’il me persuadait est très utile. Après, elle s’écria plus haut, disant : Malheur! Malheur ! Que je sois née, malheur ! Que ma vie ait été si longue sur la terre, malheur ! D’autant que je dois vivre d’une vie qui est une mort éternelle, sans fin ni relâche. Voilà de combien de misères seront accablés ceux qui pour une félicité fausse et passagère, auront méprisé leur Dieu. Partant, O mon épouse, rendez-moi grâces de ce que je vous ai affranchie de tant de misères ! Obéissez à mon Esprit et à mes élus.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2005