Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2009

Chapitre 9 comme le diable a attaqué ce chevalier susdit, et de l’horrible condamnation que la justice divine en fit

2009   Paroles de Jésus-Christ à son Épouse, par lesquelles il lui déclare le chapitre précédent ; comme le diable a attaqué ce chevalier susdit, et de l’horrible condamnation que la justice divine en fit.

  Tout le temps de cette vie n’est quasi qu’une heure devant moi. C’est pourquoi ce que je vous dis maintenant a été de toute éternité en ma présence. Je vous ai dit en premier lieu qu’il y en avait un qui avait commencé la vraie milice, et un autre qui s’en était misérablement retiré, et avait jeté son bouclier devant mes pieds et son glaive à mon côté, quand il enfreignit sa profession sainte et sa promesse.

  Or, qu’est-ce que signifie le bouclier qu’il a jeté, sinon la foi droite, qu’il devait défendre contre les ennemis de la foi et de son âme ? Quels sont mes pieds, avec lesquels je vais à l’homme, si ce n’est la délectation divine, avec laquelle j’attire à moi les hommes, et ma patience, avec laquelle je les souffre patiemment ?

  Or, il jeta ce bouclier, lorsque entrant dans le temple, il pensait à part soi : Je veux suivre ce Seigneur, qui ne me conseille ni ne me commande aucune abstinence ; qui me donne ce que je désire ; qui me permet d’ouïr ce qui me plaît à mes oreilles.

C’est ainsi qu’il jeta le bouclier de la foi, quand il aima mieux suivre sa volonté propre que moi, quand il aima plus la créature que le Créateur : car s’il eût eu une foi droite, s’il m’eût cru tout-puissant, juste juge, et celui qui donne la gloire éternelle, il n’eût désiré autre chose que moi, il n’eût craint autre chose que moi.

  Or, il a jeté ma foi devant mes pieds, quand, ayant méprisé la foi et l’ayant réputée pour néant, il ne cherchait ni mes plaisirs ni ne considérait ma patience.

Après, il a jeté son glaive à mon côté. Que marque le glaive, sinon ma crainte, que le vrai soldat doit avoir continuellement en ses mains, c’est-à-dire, en ses oeuvres ? Qu’est-ce que signifie mon côté, sinon ma garde et ma protection, sous lesquelles je fomente et défends mes enfants comme une poule défend ses poussins, afin que le diable ne leur nuise et que les périls intolérables ne les accueillent?

  Mais lui, il a rejeté le glaive de crainte de Dieu, quand il ne s’est soucié de pécher à ma puissance, ni ne considérait mon amour et ma patience.

Or, il l’a rejeté à mon côté, comme s’il disait : Je ne crains point ni ne me soucie de votre protection ; tout cela vient de mon industrie et de mon sang noble et illustre.

  Il a aussi enfreint la promesse qu’il m’avait faite. Quelle est cette promesse vraie que l’homme est obligé de faire à Dieu, sinon l’oeuvre d’amour, afin que tout ce qu’il fera, il le fasse par le mouvement de l’amour de Dieu ? Mais il a violé cette promesse, quand il a converti l’amour de Dieu en l’amour propre, préférant sa volupté aux délectations éternelles.

  C’est de la sorte qu’il se sépara de moi et sortit du temple de l’humilité, car tous les corps des chrétiens dans lesquels règne l’humilité, sont mon temple ; les corps dans lesquels la superbe domine, ne sont pas mon temple, mais le temple du diable, qui les conduit, selon sa volonté, aux appétits désordonnés du monde.

  Or, étant sorti du temple de l’humilité, y ayant rejeté le bouclier de la foi et abandonné le glaive de ma crainte, il monta au champ, enflé et bouffi de superbe ; il s’exerça et s’adonna à toute sorte de volupté et appétits de sa volonté, méprisant ma crainte, se plongeant de plus en plus dans les abîmes du péché, et s’ensevelissant dans les sales voluptés.

  Or, étant arrivé au dernier période de sa vie, quand son âme s’exhalait de son corps, les diables s’emparèrent avec une grande impétuosité, et soudain trois voix résonnèrent de l’enfer contre elle.

  La première dit : Eh quoi ! N’est-ce pas celui-ci, qui, se retirant de l’humilité, nous a suivis en toute sorte de superbe ? Et s’il eût pu même nous surpasser en orgueil et en superbe, il l’eût fait librement. L’âme lui répondit : Vraiment, c’est moi. La justice lui répondit : La récompense de votre superbe est que vous tombiez d’un démon en un autre, jusqu’à ce que vous soyez plongée au plus profond abîme de l’enfer. Et comme il n’y a pas de démon qui ignorât sa peine être certaine et le supplice qu’il fallait infliger à cette âme misérable pour toutes ses pensées inutiles et ses mauvaises oeuvres, de même il n’y aura aucun supplice dont vous ne subissez la violence.

  La deuxième voix criait et disait : N’est-ce pas celui-ci qui s’est séparé de la milice de Dieu, qu’il avait professée, et s’est enrôlé en notre milice ? L’âme répondit : Je suis vraiment celle-là. Et la justice dit : Telle sera la source de votre récompense, que tous ceux qui suivront votre malice par leur malice et par leur peine, augmenteront votre peine et rengrégeront votre douleur ; et quand ils viendront où vous êtes, ils vous perceront comme d’une plaie mortelle. Car comme celui qui a une plaie cruelle, si on lui ajoutait plaie sur plaie jusqu’à ce que le corps fût couvert de plaies, serait affligé de douleurs intolérables et s’écrierait : Malheur ! Malheur sur moi ! C’est de la sorte qu’une misère attirera sur vous un monde de misères. Votre douleur se renouvellera sur toute autre douleur ; votre peine ne cessera jamais, et votre malheur ne diminuera point.

  La troisième voix disait : N’est-ce pas celui-ci qui a vendu le Créateur pour la créature, son amour pour son propre amour ? L’âme répondit : Certainement je le suis. C’est pourquoi, que deux portes lui soient ouvertes : par l’une en toute peine et toute douleur, infligées pour le plus petit péché jusques au plus grand, attendu qu'il a vendu son Créateur pour sa volupté propre. Par la seconde entrent en lui toute sorte de labeurs et confusion, et jamais n’entreront en lui; ni consolation ni amour divin, car il s’est aime au lieu d'aimer son Créateur.

  Partant, sa peine durera sans fin et vivra sans jamais mourir, d'autant que tous les saints lui détourneront leur face.

Voila, o mon épouse combien misérables seront ceux qui me méprisent, et quelles peines et quelles douleurs ils achètent et souffrent pour une petite et passagère volupté.


Chapitre 10 comment est désigné par le buisson que Moise vit le corps de la Vierge Marie par Pharaon le diable et par le peuple d’Israël les chevaliers nouveaux

2010   Parole de Jésus-Christ a son épouse, avec lesquelles il montre comment est désigné par le buisson que Moise vit le corps de la Vierge Marie par Pharaon le diable et par le peuple d’Israël les chevaliers nouveaux; et en quelle manière les chevaliers et les nouveaux évêques préparent en ces nouveaux temps des demeures au diable.

  Il est écrit en la loi de Moise, que Moise gardant les troupeaux au désert, voyant le buisson enflammé et qui ne brûlait point, frémit de peur et voila son visage. ‘La voix sortant du buisson lui dit L’affliction de mon peuple est venue jusques à mes oreilles; j’ai compassion d’eux, d’autant qu’ils sont aggravantes, voire opprimés sous un joug dur et pesant. Je suis cette voix qui crie du buisson et qui parle avec vous. La misère de mon peuple est venue jusques à mes oreilles.

  Quel était-il, mon peuple, sinon Israël? Par mon peuple, j‘entends les chevaliers qui dans le monde ont fait profession de ma milice, qui devraient être à moi, mais ils sont trop affligés par le monde. Qu’est-ce que Pharaon a fait à mon peuple Israël en Egypte ? Certainement trois maux le premier, qu’il ne faisait point donner de la paille à ceux qui bâtissaient les maisons pour faire cuire la brique, mais il fallait qu’eux-mêmes, contre toute sorte de droit, en amassant là ou ils pouvaient. Le deuxième, qu’on ne remerciait point de leur labeur les architectes, bien qu’ils eussent fait tout ce qu’on leur avait commandé. Le troisième, ils étaient grandement affligés par les commissaires, s’ils manquaient d’accomplir et parfaire le nombre et la quantité qu’on leur avait commandés. Le peuple a édifié à Pharaon deux villes avec grand travail et peine.

  Qui est ce Pharaon, si ce n’est le diable, qui afflige mon peuple, c’est-à-dire, les chevaliers qui sont obligés d’être mon peuple? Je vous dis en vérité que si mes chevaliers eussent persisté et persévéré en la constitution et disposition que mon cher ami leur avait commandées, ils seraient maintenant entre mes chers amis, car comme Abraham, ayant reçu le premier le commandement de la circoncision et m’obéissant, a été mon très cher ami, et tous ceux qui ont suivi sa foi et ses oeuvres, ont été participants de sa dilection et de sa gloire, de même les chevaliers, entre les autres ordres, m’ont principalement plu, d’autant qu’ils m’ont voué ce qu’ils avaient de plus cher, savoir, de répandre leur sang pour l’amour de moi. Par ce voeu, ils m’avaient grandement plu, comme Abraham par sa circoncision et se purifiaient tous les jours en l'observance de leur profession et réception de la sainte charité. Or, maintenant, les chevaliers sont approuvés par la misérable servitude de Satan de sorte que le diable, les frappant d’une plaie mortelle les abîme encore dans les supp1ice et les douleurs.

  Les évêques aussi; comme les enfants d'Israël, édifient deux villes au diable: la première est le labeur du corps, une sollicitude superflue, la deuxième est une inquiétude, une perturbation d’esprit des appétit du monde, qui ne leur donne point de repos, le labeur est en l’extérieur, et l’inquiétude et l’anxiété sont en l’intérieur, rendant les choses spirituelles onéreuses. Mais comme Pharaon ne donnait point à mon peuple ce qui était pour faire les briques; comme les greniers n’étaient pleins de froment, ni les caves de vin; comme tout le reste de ce qui était utile leur manquait; comme avec labeur et peine d’esprit, il s’acquérait lui-même leur vie : de même maintenant le diable fait de ceux-ci: bien qu’ils travaillent de toutes leurs forces, et que de toute leur industrie ils s’adonnent au monde, néanmoins, ils ne peuvent avancer ni profiter en ce qu’ils désirent, ni étancher la soif de leur ardente cupidité. Partant, ils brûlent intérieurement par un feu de douleur, et extérieurement par le 1abeur, à raison de quoi j’ai grande compassion de leur affliction et de ce que mes chevaliers et môn peuple bâtissent des demeures au diable, et travaillent incessamment pour cela; qu’ils ne puissent accomplir leurs désirs, et qu’ils se peinent et s’affligent pour des choses vaines, et qu’ils ne cueillent aucun fruit de bénédiction de leur peine, mais une récompense de confusion éternelle.

  Partant, quand Moïse fut envoyé au peuple, Notre-Seigneur lui donna un signe pour une triple raison, d’autant que, premièrement en Egypte, chacun adorait particulièrement son Dieu, et il y avait des dieux innombrables il était donc nécessaire qu’il y eût un signe, afin qu’ayant manifesté ce signe admirable et la puissance divine, ils adorassent un seul Dieu, et crussent par le signe qu’il était créateur de toutes choses, et qu’on éprouvât que les idoles étaient toutes vaines.

  Il était, en deuxième lieu, donné ce signe à Moïse en figure et représentation de mon corps futur. Que signifiait en effet le buisson ardent sans être brûlé, sinon une Vierge faite féconde par l’opération du Saint-Esprit, et qui enfante sans douleur? Certainement, j’ai pris chair humaine de ce buisson et pris mon humanité de la chair virginale. Semblablement aussi, le serpent de Moïse donné en signe, signifiait mon coeur.

  En troisième lieu, il fut donné ce signe à Moïse pour affermir la vérité de ce qui se devait faire et s’accomplir par la figure des signes, afin que la vérité de Dieu fût connue être autant certaine et infaillible qu’on verrait être en leur temps évidemment accomplies, les choses que les signes nous présageaient. Or, maintenant, j’envoie mes paroles aux enfants d’Israël et aux chevaliers, auxquels il n’est pas besoin de faire des signes, pour trois raisons : la première, d’autant que maintenant on croit et on adore un seul Dieu, auteur et créateur de toutes choses, connu par les saintes Ecritures et par plusieurs signes passés. La deuxième, parce qu’ils n’attendent plus ma naissance, car ils savent que vraiment je suis ne et incarné sans corruption, car toute l’Ecriture est accomplie.

  Certes,on ne doit pas croire une foi meilleure et plus certaine que celle qui a été publiée et prêchée par moi et par mes prédicateurs Néanmoins j‘ai fait trois choses avec vous,, par lesque1les on peut croire: la première, que mes paroles sont:vraies et ne sont point contraires à la foi vrai ; la deuxième, d’autant qu'à ma parole,1e diable s’est retire d’un homme obsédé, la troisième, parce que j'ai donné à un même homme des volontés contraire pour reformer la charité mutuelle. Partant, ne doutez pas de ceux qui croiront en moi, car ceux qui croient en moi croient à mes paroles. A ceux auxquels je délecte, mes paroles délectent, c’est pourquoi il est écrit que Moise, ayant parlé a Dieu, voilait sa face; mais vous ne devez point voiler votre face, car de fait, je vous ai ouvert les yeux spirituels, afin que vous voyiez les choses spirituelles; je vous ai ouvert les oreilles, afin que:vous entendiez les choses spirituelles, enfin, je vous montrerai l'édifice de mon corps tel qu'il a été en ma passion, après ma passion, et quel après ma résurrection tel que Magdalène, Pierre et les autres l’ont vu.

Vous entendrez aussi ma voix, qui a parlé à Moïse dans le buisson ardent. La même voix vous parle maintenant au fond de votre âme.

Chapitre 11 se souvenir tous les jours de la passion douloureuse du Fils de Dieu, car à cette heure de la passion, toute choses s’étaient troublées,

2011   La Mère de Dieu avertit son épouse de se souvenir tous les jours de la passion douloureuse du Fils de Dieu, car à cette heure de la passion, toute choses s’étaient troublées, l’humanité, la Mère, les anges et tous les éléments, et les âmes des vivants et des morts, voire les démons. Pour le jour de la Passion.

  La Mère de Dieu parle à son épouse, disant : En la mort de mon Fils, toutes choses s’étaient troublées, car la Divinité, qui ne s’est séparée jamais, non pas même en cette heure de la mort, en laquelle il semblait que la Divinité compatît, bien que la Divinité ne puisse souffrir ni douleur ni peine, d’autant qu’elle est impassible et immuable, le Fils pâtissait une douleur très amère en tous ses membres, et voire même dans le coeur, qui, néanmoins, était immortel selon la Déité. Son âme était aussi immortelle et pâtissait beaucoup en la séparation. Les anges aussi assemblés, semblaient se troubler de voir Dieu pâtir en l’humanité/

  Mais comment les anges se peuvent-ils troubler, étant immortels ? Certainement, comme le juste, voyant son ami pâtir quelque chose dont il lui revenait une grande gloire, se réjouirait de l’acquisition de la gloire, et s’affligerait de ce qu’il pâtît, de même les anges se contristaient de sa peine, bien qu’ils soient impassibles, et se réjouissaient de la gloire et du mérite de sa passion.

  Tous les éléments aussi se troublèrent : le soleil et la lune perdirent leur splendeur ; la terre trembla ; les pierres se fendirent ; les sépulcres s’ouvrirent à l’heure de la mort de mon Fils. Tous les Gentils se troublaient en tous lieux où ils étaient, car il y avait alors en leur coeur comme une pointe de douleur, bien qu’ils ignorassent d’où en venait le sujet ; Le coeur aussi de ceux qui le crucifiaient, se troubla à cette heure, mais, non certes à leur gloire. Les malins esprits étaient encore troublés à cette heure, et étaient comme assemblés en un. Or, ceux qui étaient dans le sein d’Abraham, étaient beaucoup troublés, en telle sorte qu’ils eussent mieux aimé être éternellement en l’enfer que de voir une si horrible peine en leur Seigneur. Mais moi, Vierge Marie, sa Mère, j’étais devant mon Fils. Pensez aussi quelle était ma douleur ! Certes, personne ne le peut comprendre.

Partant, ô ma fille ! Souvenez-vous de la passion de mon très cher Fils. Fuyez l’inconstance du monde, qui n’est qu’une vue passagère et une fleur qui se fane et se flétrit soudain.


Chapitre 12

2012 J’ai reçu toute la peine pour l’amour de vous, et vous ai fait le chemin pour éviter la peine et pour venir à moi. La justice vraiment veut que vous n’entriez en paradis que vous n’ayez satisfait à vos crimes. J’ai souffert en moi-même cette peine, d’autant que vous êtes incapables de les souffrir et d’y satisfaire sans moi. Je vous ai montré par les prophètes tout ce qui devait arriver, et n’ai pas laissé passer un point que je n’aie accompli tout ce que les prophètes avaient prédits de moi. Je vous ai manifesté autant d’amour que je pouvais manifester, afin que vous vous convertissiez à moi. Mais d’autant que vous vous êtes détournés de moi et que vous avez méprisé ma justice, vous êtes dignes de mes fureurs.

  Mais néanmoins, je suis encore si miséricordieux que, s’il était possible de souffrir derechef les mêmes peines que j’ai endurées en la croix, je les souffrirais encore pour l’amour de vous, avant de permettre que vous fussiez jugés à telles peines. Mais ma justice dit: Il est impossible que vous mouriez une autre fois. Ma miséricorde dit: S’il était possible, je mourrais franchement pour l’amour de vous. Voyez donc comment je suis miséricordieux et charitable, même envers les damnés, car tout ce que je fais, je le fais pour manifester mon amour, car dès le commencement, j’ai aimé l’homme, voire même lorsque je semblais être en colère. Mais aucun ne considère mon amour ni ne s’en soucie.

  Donc, maintenant, d’autant que je suis juste et miséricordieux, j’avertis ceux qui sont appelés chevaliers, afin qu’ils cherchent ma miséricorde, de peur que ma justice ne les trouve, qui est stable comme une montagne, ardente comme un feu, horrible comme le tonnerre, prompte et rapide comme une flèche poussée par un arc bien tendu. Je les avertis en trois manières: 1° comme un père ses enfants, afin qu’ils retournent à moi, qui suis leur Père et leur Créateur, et leur donnerai le patrimoine qui leur est dû par droit paternel. Qu’ils retournent donc, car bien qu’ils m’aient méprisé, néanmoins, je les recevrai avec joie et leur irai au-devant avec amour. En deuxième lieu, je les prie comme frères, afin qu’ils se souviennent de mes labeurs et de mes plaies. Qu’ils reviennent, et je les recevrai comme frères. En troisième lieu, je les prie comme Seigneur, afin qu’ils se retirent à leur seigneur, à qui ils doivent la foi, à qui ils sont obligés par obéissance et engagés par jurement.

  Partant, ô soldats! Retournez à moi, votre Père, qui vous ai nourris et élevés avec amour. Considérez que je suis votre frère, qui me suis fait semblable à vous pour l’amour de vous. Retournez à votre Seigneur clément et pieux, car c’est être déloyal et infidèle que de donner la foi à un autre, et de lui rendre l’obéissance que vous me devez. Vous m’avez donné une foi, promettant que vous défendriez mon Église, que vous aideriez aux misérables, et voici que vous secourez mon ennemi et lui obéissez. Vous ôtez mon étendard, et dressez et érigez celui de mon ennemi. Partant, ô chevaliers! Retournez à moi avec une vraie humilité, puisque la superbe vous a retirés de moi. S’il vous semble dur et amer de souffrir quelque chose pour l’amour de moi, considérez ce que j’ai enduré pour l’amour de vous. Je suis allé, pour l’amour de vous, les pieds sanglants à la croix; j’ai eu les pieds et les mains percés pour l’amour de vous; je n’ai épargné aucune parties de mon corps pour l’amour de vous: je n’ai pardonné à aucune. Est-il possible que néanmoins vous méprisiez tout cela, en vous retirant de moi!

  Retournez donc, et je vous donnerai trois choses pour vous y aider: la première sera la force contre les ennemis corporels et spirituels; la deuxième, la magnanimité, que vous ne craindrez autre chose que moi, et que rien ne vous sera plaisant et agréable que travailler pour moi. En troisième lieu, je vous donnerai la sagesse, par laquelle vous concevrez la vraie foi et la volonté divine.

  Donc, retournez et soyez constants et généreux, car moi, qui vous en avertis, je suis celui que les anges servent, qui ai affranchi de misères vos parents obéissants, qui ai condamné les rebelles et humilié les superbes. J’ai été le premier au combat et le premier à la passion. Suivez-moi donc, de peur que vous ne vous fondiez et liquéfiiez comme la cire auprès du feu. Pourquoi rescindez-vous et faussez-vous votre promesse? Pourquoi méprisez-vous le jurement que vous en avez fait? Eh quoi! Suis-je moins ou plus indigne que votre ami temporel, à qui vous ne faussez pas la foi promise? Et à moi, qui suis l’auteur et le donateur de la vie et de l’honneur, et le conservateur de la santé, vous me faussez promesse coup à coup! Partant, ô bons soldats! Rendez-moi votre promesse. Que si vous ne pouvez par effet, rendez-la-moi par désir, car moi, ayant compassion de votre servitude, sous laquelle le diable vous opprime, je recevrai votre volonté pour l’effet. Si vous retournez à moi avec amour, travaillez pour la foi de mon Église; et moi, comme un père plein de piété et de clémence, je vous irai au-devant et vous donnerai pour salaire cinq sortes de bien:

1° l’honneur éternel ne se retirera jamais de votre ouïe;

2° la face et la gloire de Dieu seront toujours devant vos yeux;

3° la louange de Dieu ne sortira jamais de votre bouche;

4° votre âme jouira de l’accomplissement de tous ses désirs et n’en désirera d’autres;

5° vous ne serez jamais séparés de Dieu, mais votre joie durera sans fin, et sans fin votre vie sera en joie.

  Voyez, ô chevaliers! Quelle sera votre récompense, si vous défendez la foi et si vous travaillez plus pour mon honneur que pour le vôtre. Souvenez-vous, si vous avez de l’esprit, quelle patience j’exerce en votre endroit, et quelles calomnies vous vomissez sur moi, que vous ne voudriez souffrir. Mais bien que je puisse toutes choses et que ma justice crie vengeance contre vous, néanmoins, ma miséricorde, qui est en ma sagesse et bonté, vous pardonnera encore. Partant, cherchez ma miséricorde, car je vous donne par amour ce qu’on devrait me demander très humblement.


Chapitre 13 contre les chevaliers de ce temps; de la forme qu’il faut tenir en leur création,

2013   Il est ici traité des paroles de la puissance de Jésus-Christ à son épouse, contre les chevaliers de ce temps; de la forme qu’il faut tenir en leur création, et en quelle manière Dieu leur donne la force et l’aide quand il faut agir.

  Je suis un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, trine en personnes; l’un n’est pas séparé ni divisé de l’autre, mais le Père est dans le Fils et dans le Saint-Esprit, et le Fils dans le Père et dans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit en tous deux.

Dieu envoya son Verbe à la Vierge Marie par son ange Gabriel; néanmoins, le même Dieu envoyait et était envoyé de lui-même, et était avec l’ange en Gabriel, et devant Gabriel en la Vierge. Mais la parole étant dite par l’ange, le Verbe a été fait chair en la Vierge.

  Je suis ce Verbe qui vous parle. Le Père avec le Saint-Esprit m’a envoyé de soi-même dans le ventre de la Vierge, non pas en telle sorte que les anges aient perdu la vision divine et sa présence; mais moi, Fils, qui ai été avec le Père et le Saint-Esprit dans le ventre virginal de la Vierge, j’étais le même au ciel avec le Père et le Saint-Esprit en la vision des anges, gouvernant toutes choses et soutenant toutes choses, bien que mon humanité, prise par moi seul, Fils, se soit reposée au ventre virginal de Marie.

  Je suis donc en Déité et humanité un seul Dieu. Pour montrer mon amour et pour fortifier la foi sainte, je ne dédaigne pas de parler avec vous. Et bien que mon humanité semble être auprès de vous et vous parler, néanmoins, il est plus vraisemblable que votre âme et votre conscience sont avec moi et en moi, car rien ne m’est impossible ni difficile dans le ciel et sur la terre. Certes, je suis comme un roi puissant, qui, venant en quelque ville avec ses armes, remplit et occupe tout: de même ma grâce vous remplit toute et vous fortifie toute. Enfin, je suis en vous intérieurement et extérieurement, et bien que je parle avec vous, je suis pourtant la même gloire. Quoi me serait difficile à moi,

Qui, de ma puissance, soutiens toutes choses ; qui, de ma sagesse, dispose de toutes choses, et les surmonte toutes de ma force et de ma vertu ? Je suis donc un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, sans commencement et sans fin, qui, pour le salut des hommes, ai souffert en l’humanité, que j’avais prise sans faire tort à ma Divinité, les peines et la mort. Je suis ressuscité et suis monté au ciel; et maintenant, je parle avec vous.

  Je vous ai parlé ci-dessus de la milice qui me fut autrefois agréable, à raison qu’elle était liée avec moi par le lien d’amour et de charité, car les chevaliers de cette milice s’obligeaient par voeu de donner leur chair pour ma chair, leur sang pour mon sang : c’est pourquoi je les approuvais et les aimais, et les avais liés à moi par un saint lien, et attaché par une sainte société.

  Mais maintenant, je me plains d’eux, qui sont obligés d’être à moi, et ne sont point à moi, car je suis leur Créateur adorable, leur Rédempteur, leur aide et leur secours. J’ai créé leur corps et leur âme, et tout ce qui est au monde pour leur utilité et profit. Je les ai rachetés par le prix de mon sang ; je leur ai racheté un héritage éternel par ma douloureuse passion. Je les défends contre toutes sortes de dangers ; je leur donne la force pour agir et faire. Mais maintenant, ils me sont en tout contraires ; ils réputent à néant ma passion ; ils négligeant mes paroles puissantes et douces, par lesquelles leur âme se devait plaire et repaître ; ils me méprisent, et choisissent à dessein, et d’affection, ils veulent donner leur chair à déchirer pour la louange humaine, vaine et trompeuse, répandre leur sang pour assouvir leur cupidité misérable, et franchement mourir pour des paroles mondaines diaboliques et vaines.

Néanmoins, bien qu’ils me soient si contraires, ma justice et ma miséricorde les attendent. En effet, par la bonté de ma miséricorde, je les conserve, afin qu’ils ne soient tout à fait en la puissance du diable, et par ma justice, je les souffre patiemment. Que s’ils voulaient revenir, je les recevrais joyeusement, et je leur irais au-devant avec contentement.

  Dites-lui donc que celui qui veut convertir sa milice en moi, peut me plaire en gardant ces formes. Quiconque veut être chevalier doit venir à mon Eglise, et laisser son cheval et sa suite au cimetière ; car le cheval n’est pas créé pour servir la superbe de l’homme, mais pour l’utilité de la vie, pour sa défense et pour combattre les ennemis de Dieu. Après, qu’il prenne son manteau, le lien duquel il faut mettre sur le front, afin, que, comme le diacre prend l’étole en signe d’obéissance et de patience divines, de même le chevalier prenne le manteau, et mette son lien sur le front, en signe qu’il a professé la milice et l’obéissance, à laquelle il s’est engagé pour la défense de ma croix. Il faut aussi que l’étendard de la puissance séculière le précède, afin qu’il sache qu’il doit obéir à la puissance mondaine, en tout ce qui n’est pas contre Dieu. Or, lui étant entré dans le cimetière, les ecclésiastiques lui vont au-devant avec la bannière de l’Eglise de Dieu et sa foi, et obéir à ses prélats.

Or, quand il entre dans l’église, que l’étendard de la puissance séculière demeure au hors de l’église, et que le mien aille devant lui, quand il y entre, en signe que la puissance divine va devant la séculière, et qu’il faut plus se soucier des choses spirituelles que des choses temporelles. Mais la messe étant dite, jusqu’à l’Agnus Dei, que le plus digne, à savoir, le roi, aille auprès de l’autel et qu’il lui dise : Voulez-vous être chevalier ? S’il répond oui, qu’il ajoute et lui dise : Promettez-vous à Dieu et à moi que vous défendrez la foi de la sainte Eglise, et d’obéir à ses prélats en tout ce qui est de Dieu ? S’il répond oui, qu’il lui baille l’épée en sa main et qu’il lui dise :

  Voici que je vous donne l’épée en vos mains, afin que vous n’épargniez pas votre vie pour la foi et pour l’Eglise de Dieu ; afin que vous opprimiez les ennemis de Dieu et défendiez ses amis. Après, qu’il lui donne le bouclier, et qu’il lui dise : Voici que je vous donne le bouclier, afin que vous vous défendiez contre les ennemis de Dieu, afin que vous soyez l’aide et l’appui des veuves et des orphelins, et que vous augmentiez l’honneur et la gloire de Dieu. Tout de suite il lui met la main au cou, disant : Voici que vous êtes sujet à l’obéissance et à la puissance : prenez donc garde que vous vous êtes lié par cette profession, que de même vous l’accomplissiez par oeuvre et par effet. Enfin, qu’il mette son manteau et son lien, pour qu’il se souvienne continuellement du voeu qu’il a fait à Dieu, et qu’il est obligé par sa profession, à la face de l’Eglise, de défendre, avant tous les autres, l’épouse de Dieu, qui est l’Eglise.

  Ces choses étant parachevées et l’Agnus Dei étant dit, que le prêtre qui célèbre la messe lui donne mon corps, afin qu’i défende la foi de mon Eglise sainte et sacrée. Je serai en lui et il sera en moi. Je lui donnerai les forces et l’enflammerai des feux de mon amour, afin qu’il ne veuille ni ne désire autre que moi, et qu’il ne craigne autre que moi, qui suis son Dieu. Que si par aventure, il est dans le camp, qu’il s’y enrôle dans la milice pour mon honneur et pour défendre ma foi ; et que si son intention est droite en tout, il profitera et méritera toujours. Enfin, je suis partout par ma puissance, et tous ceux qui ont une bonne et droite intention, me plaisent partout. Je suis la charité même, et aucun ne peut venir à moi, si ce n’est ceux qui ont la charité : c’est pourquoi je n’ai pas commandé, mais conseillé cette milice, car on m’y eut servi par crainte. Mais qui voudra de la sorte s’enrôler en ma milice, me pourra plaire et agréer. Certes, il serait digne et raisonnable que celui qui s’est retiré de la profession de la milice par la superbe, y retournât par l’humilité.

  (On croit que ce chevalier a été le fils de sainte Brigitte.)



Chapitre 14 Jésus-Christ est signifié par un ouvrier, et les paroles de Dieu, par l’or.

2014 En quelle manière Notre-Seigneur Jésus-Christ est signifié par un ouvrier, et les paroles de Dieu, par l’or. Comment il faut préférer telles paroles, la charité et la bonne conscience, aux sentiments désordonnés ; et comment les prédicateurs de la parole de Dieu doivent être soigneux, et non paresseux, de vendre cet or, c’est à dire, de prêcher la parole de Dieu.

  Je suis comme un orfèvre qui envoyant son serviteur pour vendre son or par le monde, lui dit : vous devez faire trois choses :

1° vous ne devez bailler mon or à pas un, si ce n’est à ceux qui ont les yeux clairvoyants ;

2° ne le donnez point à ceux qui ont mauvaise conscience ;

3° Vendez mon or pour dix talents, le pesant deux fois, car celui qui ne le voudra pas peser deux ou trois fois, n’aura point mon or.

  Or, mon ennemi a trois choses contre toi desquelles tu te dois prendre garde :

1° Il te veut rendre fainéant et paresseux à montrer l’esprit et la valeur de mon or ;

2° Il veut mélanger quelque chose d’impur en mon or, afin que ceux qui le verront et l’éprouveront, croient que mon or n’est que boue et pourriture ;

3° Il met en la bouche de ses amis les moyens de résister à vos desseins et de faire hautement et impudemment dire que mon or n’est pas bon.

  Je suis l’ouvrier qui ni fait tout ce qui est au ciel et sur la terre, non avec des marteaux et des instruments, mais avec ma puissance adorable et mon admirable vertu ; et toutes choses ont été, sont et seront en ma présence, car le moindre vermisseau et le moindre grain ne sont pas sans moi ni ne peuvent subsister sans moi, ni chose, quelque petite qu’elle puisse être, ne se peut cacher de ma présence, car toutes choses sont de moi et dépendent de moi.

  Néanmoins, entre toutes les choses que j’ai faites, les paroles que j’ai dites de ma bouche sont plus dignes que toutes ces choses susdites, comme l’or est plus éminent que tous les métaux. Partant, mes amis familiers, à qui j’envoie l’or de ma parole par les terres étrangères, doivent faire trois choses :

  1° qu’ils ne communiquent point l’or de ma parole à ceux qui n’ont pas les yeux clairvoyants. Mais vous pourriez me demander : Que veut dire les yeux clairvoyants ?

Certes, celui-là voit clairement qui a la sapience divine avec son amour. Mais comment faut-il connaître cela ? Vraiment, cela est manifeste, car celui qui vit comme il sait ; qui se retire de la vanité du siècle et de la curiosité du monde ? Qui ne cherche rien avec tant de passion que Dieu ? Oui celui qui vit de la sorte est illuminé et clairvoyant, et c’est à celui-là qu’il faut communiquer et commettre l’or de ma parole divine.

Or celui qui a la science et non pas l’amour divin, et fait ce qu’il connaît, celui-là est semblable à un aveugle, qui semble avoir les yeux tournés vers Dieu. Mais il n’en est pas ainsi, car il regarde le monde des yeux de son esprit, et tourne le dos à Dieu.

  2° Il ne faut pas communiquer l’or de ma parole à celui qui n’a point bonne conscience. Or, qui est celui qui a bonne conscience, sinon celui-là qui dispose les choses périssables pour l’éternité ; qui a l’esprit dans le ciel et le corps sur la terre ? Qui pense incessamment à la manière dont il faut sortir de la terre, et comme il sera fidèle à Dieu en toutes ses actions ? C’est à celui-là qu’il faut communiquer et commettre l’or de ma parole.

  3° Il doit avoir mon or vénal pour le poids de dix talents pesés deux fois, ce qui est marqué en la balance en laquelle on ne pèse autre chose que la conscience. Quelle sera la main qui la pèsera, sinon la bonne volonté et l’ardent désir ? Que faut-il peser, sinon les oeuvres corporelles et les oeuvres spirituelles ? Donc, celui qui voudra acheter mon or, c’est-à-dire, mes paroles, doit examiner sa charité en la balance de sa conscience, et considérer avec une bonne volonté, afin qu’on lui rende dix talents pour ses oeuvres, pesées selon ma volonté.

  Le premier talent est la vue de l’homme sage et modeste ; afin qu’il pense combien de distance il y a de la vue corporelle à la vue spirituelle ? Quelle est l’utilité de la vue et beauté corporelle ? Quelle honnêteté est en la beauté et l’honneur des anges et des vertus célestes, qui surpassent en éclat les astres du firmament ; quelle douceur et quelle joie d’esprit sont dans les commandements de Dieu ou à l’honorer. Ce talent, savoir, la vue corporelle et spirituelle, qui est dans les commandements de Dieu, dans la chasteté et la pudeur ; ne peut se peser avec une balance égale, car la vue spirituelle surpasse de beaucoup la vue corporelle, parce qu’il faut ouvrir les yeux aux nécessités corporelles et spirituelles, et les clore aux choses vaines et légères.

  Le deuxième talent est une bonne ouïe. Que l’homme donc considère à quoi profitent les paroles légères et vaines, à quoi les ineptes et excitant : le rire : certes, elles ne sont que vanité et un air qui passe, fuit et se perd. Il doit donc ouïr les louanges de Dieu, ses cantiques, et ce que mes saints ont fait et dit : Il doit écouter ce qui est nécessaire au corps et à l’âme pour l ‘édification de tous deux, car ouïr ceci doit plus peser en la balance que ce qu’on a ouï de vain et de léger. Que cela donc pèse grandement, et que ceci s’évanouisse dès l’instant.

  Le troisième talent est le talent de la bouche. Que l’homme pèse dans la balance de sa conscience les paroles d’édification et de modestie ? Combien elles sont utiles et honnêtes, et qu’il considère aussi combien sont nuisibles les paroles vaines et oiseuses, afin qu’il laisse les paroles vaines et qu’il aime les bonnes.

  Quatrième talent : qu’est autre chose le goût du monde, si ce n’est misère en son commencement, labeur en son progrès, fâcherie et amertume à la fin ? Que l’homme pèse diligemment et considère attentivement le goût spirituel avec le temporel, et que le spirituel surpasse le temporel, car le goût spirituel n’a jamais de bornes, n’apporte jamais de dégoût et ne se diminue jamais en soi. Ce goût spirituel commence en cette vie, en la mortification fidèle des voluptés, en la prudente et sage disposition et règlement de sa vie, et dure sans fin dans le ciel avec la jouissance et la douceur de Dieu.

  Le cinquième talent est l’attouchement. Que l’homme pèse quelle sollicitude et misère il ressent de son corps ? Quelle inquiétude du monde ? Quelle contrainte du prochain et quelle misère partout. Qu’il considère de quel repos jouissent une âme et un esprit bien morigénés ? Quelle douceur de n’être sollicité des choses superflues, et lors, il ressentira partout et en tout une grande consolation. Que celui donc qui voudra bien peser ceci, mette en la balance l’attouchement spirituel et corporel, et fasse en sorte que le poids de l’attouchement des choses spirituelles l’emporte sur celui des choses corporelles. Cet attouchement spirituel prend son commencement, son avancement et ses progrès en la patience de ce qui nous contrarie, en la persévérance des commandements de Dieu, et dure éternellement en la paix et repos. Or, celui qui a plus de poids en la balance de l’attouchement des choses corporelles et mondaines, des joies temporelles que des éternelles, n’est pas digne de toucher mon or ni de jouir de ma joie.

  Les oeuvres des hommes sont le sixième talent : Que l’homme pèse diligemment en la balance de sa conscience, les oeuvres spirituelles et corporelles : celles-là conduisent au ciel et celles-ci au monde ; celles-là à la vie éternelle sans supplice, et celles-ci aux tribulations cuisantes avec des supplices horribles. Mais que celui qui désire mon or fasse plus d’oeuvres spirituelles en mon amour et dilection, pour mon honneur et gloire, que d’oeuvres corporelles, car les spirituelles demeurent, et les corporelle périssent.

  Le septième talent est la disposition du temps: L’homme partage le temps, tant pour vaquer aux choses spirituelles, tant pour la nécessité du corps, sans laquelle il ne peut être, ce qui est au nombre des choses spirituelles quand on le fait avec raison, tant pour l’exercice et l’utilité du corps. Et d’autant que l’homme doit rendre compte et raison de son temps et de ses oeuvres, il doit faire en sorte que son temps soit si bien disposé et si bien examiné, que le poids des oeuvres spirituelles soit plus grand que celui des oeuvres corporelles.

  Le huitième talent est une égale dispensation des biens temporels que Dieu leur a donnés, de sorte que celui qui est riche en départe aux pauvres avec charité et à proportion de ses richesses. Mais vous pourriez vous enquérir à quoi est tenu et obligé le pauvre qui n’a rien : il doit avoir une bonne volonté de donner. Qu’il pense en soi-même : si j’avais quelque chose, j’en élargirais franchement aux pauvres ; car cette volonté est réputée par l’effet. Or, si le pauvre a une telle volonté que, s’il était riche comme les autres, et qu’il n’en voulût donner aux pauvres que peu, et encore des choses les plus viles, cette volonté lui sera réputée pour une oeuvre fort petite. Donc, que l’homme riche qui a des biens, en distribue charitablement, et que celui qui n’en a point, ait volonté d’en donner, et cela lui profitera. Or, celui qui entasse plus de choses corporelles que de choses spirituelles, qui me donne un denier, cent au monde, et à soi mille, ne mesure pas bien également, et celui-là est indigne d’avoir mon or, car moi, qui ai donné toutes choses et qui puis les ôter, je mérite la plus grande part.

Or, les choses temporelles sont créées, non pour la superfluité de quelques-uns, mais pour l’utilité de tous les hommes.

  Le neuvième talent est une diligente considération du temps passé. Que l’homme considère ses actions, quelles elles ont été, en quel nombre, quantité et qualité ; comment et combien dignement elles ont été amendées, étant vicieuses ; qu’il voie aussi si ses bonnes oeuvres sont moindres que les mauvaises et en plus petit nombre ? Qu’il prenne la ferme résolution de s’amender, et qu’il s’excite à une vraie et poignante contrition des fautes et offenses commises. Que s’il fait ceci, en vérité il sera devant Dieu de plus grand prix que tous les péchés n’étaient horribles.

  Le dixième talent consiste en la considération et disposition du temps qui est à venir. Si l’homme a une telle intention de ne vouloir rien aimer ni chérir que Dieu et celui qui lui appartient, rien désirer que ce qui plaît à Dieu, de pâtir et souffrir franchement même les peines horribles de l’enfer, si Dieu le voulait ainsi, il aurait un talent très excellent, et on éviterait facilement par celui-là toutes les rencontres mauvaises, et les choses difficiles nous seraient faciles.

  Quiconque donc donnera ces dix talents aura l’or de mes paroles. Mais que ceux qui apportent l’or de mes paroles prennent garde que l’ennemi les en veut empêcher, comme j’ai dit, par trois manières: il les veut rendre lâches et paresseux. Il y a deux lâchetés : l’une est corporelle, et l’autre spirituelle.

  La lâcheté corporelle, c’est quand le corps se dégoûte du travail, se fâche de se lever, et n’est point prompt aux exercices divins.

  La lâcheté spirituelle, c’est quand l’homme spirituel, sentant la douceur et la pureté de mon Esprit et de ma grâce, aime mieux se reposer en cette douceur qu’aller aider les autres, afin qu’ils participent avec lui à la même douceur. Eh quoi ! Saint Pierre et saint Paul ne ressentirent-ils pas une grande et indicible douceur de mon Esprit ? Que si la suavité intérieure qu’ils ressentaient, m’eût été plus acceptable que la conversion des âmes, ne se fussent-ils pas plutôt cachés dans la terre que d’aller parmi le monde ?

  Néanmoins, afin de faire les autres participants des douceurs indicibles qu’ils ressentaient, et pour les gagner et les attirer à Dieu, ils aimèrent mieux sortirent, pour l’avancement d’autrui et pour leur grande gloire, que de demeurer seuls et ne pas consoler les autres des grâces dont Dieu les avait comblés. De même aussi maintenant, mes amis, bien qu’ils voulussent, être seuls, et se réjouissent des joies qu’ils ressentent, sortent néanmoins afin de rendre les autres participants des suavités et des douceurs dont ils tressaillent. Car comme celui qui foisonne en richesses temporelles, ne s'en réjouit pas seulement tout seul, mais aussi les communique aux autres, de même mes grâces et mes faveurs ne doivent pas être cachées, mais doivent être communiquées à tous, afin qu’eux et les autres en soient édifiés.

  Car il y a trois sortes de personnes que mes amis doivent aider et secourir:

Les premières sont les damnés selon la présente justice ;

les secondes sont les pécheurs qui tombent et se relèvent ;

les troisièmes sont les bons, qui persistent en la bonté.

Mais vous pouvez demander: Comment est-ce qu’on peut aider les damnés, puisqu’ils sont indignes de ma grâce et qu’il leur est impossible d’y revenir? A quoi je veux vous répondre par un exemple.

  Si, dans un profond abîme il y avait des fosses infinies, par lesquelles il faudrait que passât celui qui y tomberait, si quelqu’un bouchait une de ces fosses, celui-là ne descendrait pas aussi bas qu’un autre, si aucune fosse n’était bouchée: il en est de même des damnés ; car bien que par ma justice, à cause de leur malice, ils doivent être damnés à temps fixe et déterminé, leur supplice ne serait pas si dur et si horrible s’ils étaient retenus par quelqu’un des méchancetés qu’ils commettent, et s’ils étaient incités à quelque bien. Voyez combien miséricordieux je suis, même envers les damnés. Et combien ma justice leur voudrait pardonner ma justice néanmoins et leur malice s'y opposeraient.

  En deuxième lieu, ils peuvent aider ceux qui tombent et ceux qui se relèvent, s’ils leur enseignent comment il faut se relever, s’ils les avertissent des dangers de chopper, s'ils leur enseignent les manières d’avancer et de résister à leurs cupidités.    

  En troisième lieu, ils peuvent profiter aux justes et aux parfaits, car ne les voyons-nous pas tomber? Oui, vraiment mais pour leur plus grande gloire et pour la plus grande confusion du diable; car comme le soldat qui est légèrement frappé à la guerre, est plus excité et animé contre ses ennemis, il en est de même de mes élus, qui s'excitent et s‘encouragent étant importunés par les tentations diaboliques, aux labeurs spirituels et à l'humilité et: s'efforcent d'autant plus d'acquérir la couronne de gloire. Que mes paroles donc ne soient pas cachées à mes amis, car ayant ouï parler de mes grâces et de mes faveurs, ils peuvent être excités davantage à la vraie dévotion.

  Quant au deuxième, que l'ennemi fasse en sorte que mon or ressemble à de la boue, par quelque déception et tromperie c’est pourquoi quand l'écrivain transcrit quelque chose, il prend deux hommes fidèles ou bien un d'une bonne conscience, pour examiner ce qui est écrit, ce qu’il communique après à qui il veut, de peur que si, par aventure cet: écrit tombe entre les mains des ennemis, on y ajouta quelque chose de faux, dont la parole de vérité pu être dénigrée devant les simples.

  Quant au troisième, qui est que mon ennemi, met dans la bouche de ses amis des suggestions pernicieuses afin de résister à l'or de ma parole, mes amis diront à ceux qui contredisent:ces paroles: Dans les paroles qui nous sont montrées il n'y a quasi que trois mots, car elles enseignent droitement, d’aimer pieusement, et de désirer sagement les choses célestes.

Examinez ces paroles et voyez-les; et si vous les trouvez autrement, contredisez-les.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2009