Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2015

Chapitre 15 de la voie du paradis

2015   Des paroles de Jésus à son épouse où il parle de la voie du paradis ouverte à son avancement; de l’ardente charité qu’il nous a manifestée, souffrant, depuis le jour de sa naissance jusqu’au jour de sa mort, tant de peines et de travaux, et le tout, pour l’amour de nous. En quelle manière la voie de l’enfer est large, et celle du paradis étroite.

  Vous admirez avec étonnement pourquoi je dis et pourquoi je vous ai montré tant de choses. Pensez-vous que ce soit seulement pour votre seule édification ? Certes, je ne l’ai pas fait pour votre seul salut, mais pour enseigner et sauver les autres, car le monde était jadis comme une vaste solitude en laquelle il n’y avait qu’une seule voie, qui conduisait au grand et profond abîme. (Math. 25.)

  Or, dans cet abîme, il y avait deux réceptacles : l’un était si profond qu’il n’avait point de fond, dans lequel celui qui tombait une fois n’en sortait jamais. L’autre n’était pas si profond ni si horrible que le premier, mais quiconque y descendait, attendait secours, avait des désirs et quelque dilection, mais ne ressentait pas les misères ; il expérimentait les ténèbres et non les peines.

Or, ceux qui étaient en ce second réceptacle, criaient tous les jours à quelque très bonne cité qui leur était contiguë, qui était pleine de toute sorte de biens et de plaisirs.

Or, ils criaient hautement, car ils savaient la voie pour aller à cette cité; mais la solitude était si profonde, la forêt si touffue et si épaisse, qu’ils étaient empêchés d’aller à raison de la diversité et de l’épaisseur; ils n’avaient pas même la force de se frayer un chemin. Mais ceux qui criaient, criaient en cette sorte: O Dieu! Venez; donnez-nous votre secours, montrez-nous la voie et illuminez-nous, nous vous attendons il n'y a de salut qu’en vous.

  Cette clameur déplorable et entrecoupée montait au ciel entrait en mes oreilles elle m’a attiré à faire miséricorde. Or, étant apaisé par une si grande clameur, je suis venu en cette solitude comme en pèlerin. Mais avant que je commençasse d’aller et de travailler, une voix résonna et me dit: La cognée est maintenant à l’arbre.

  Quelle a été cette voix sinon celle de saint Jean-Baptiste, qui devant moi envoyé au désert, s'écriait: La cognée est maintenant à l’arbre? Comme s'il disait : Que l’homme soit préparé maintenant, puisque la cognée est préparée, et il est venu, celui qui préparera la voie au ciel, coupant tous les empêchements et obstacles.

  Or moi, étant venu, j’ai travaillé dès la pointe du jour jusques au soleil couchant, c'est-à-dire, dès mon incarnation ineffable jusques à ma passion et à ma mort odieuse sur la croix. J’ai opéré le salut des hommes-; fuyant dès le commencement en cette solitude à raison qu'Hérode me pourchassait. J'ai été tenté du diable et ai souffert des persécutions des hommes. Après, j'ai souffert et enduré un nombre infini d'opprobres. Je mangeais et je buvais, et j’ai accompli le reste des nécessités de nature sans pécher, pour l’institution de la foi, et pour marquer et manifester que j’avais pris d’une manière ineffable la nature humaine, préparant la voie pour aller à cette cité céleste, et détruisant la contraire, les épines poignantes ont cruellement percé ma tête, et les clous ont douloureusement blessé mes mains; mes pieds et mes mains, mes dents et mes joues ont été frappés cruellement. Or, moi, souffrant tout cela patiemment, je n’ai pu reculer, mais j’ai avancé avec plus de ferveur.

  Comme un animal pressé par la faim, voyant que l’homme lui tend la lance, se rue sur cette lance, pour le désir qu’il a de dévorer l’homme; et plus l’homme enfonce sa lance dans le ventre de l’animal, d’autant plus l’animal se pousse contre la lance pour approcher de l’homme le plus près, jusqu’à ce que ses entrailles, son ventre et son corps soient tout percés, de même moi, j’ai brûlé d’un feu d’amour si grand envers l’âme, que plus l’homme se portait volontairement à me tuer, plus j’étais ardent à pâtir pour le salut des âmes.

  C’est donc de la sorte que je marche en la solitude de ce monde, en labeur et misère, et ai préparé la joie du ciel, en mon sang et en ma sueur. Certainement, le monde pouvait être appelé à juste raison une solitude, attendu qu’il n’y avait pas une seule vertu, et seulement les vices s’en étaient emparés, et il n’y avait qu’une voie par laquelle tous descendaient en enfer, les damnés à la damnation, les bons allaient seulement aux ténèbres. Exaucent donc miséricordieusement les longs et ardents désirs d’un salut futur, je suis venu comme un pèlerin, pour travailler et étant inconnu, selon ma Puissance et ma Divinité, j'ai préparé et disposé la voie qui conduit au ciel. Mes amis voyant cette voie, et considérant mes labeurs et mes peines, et la générosité de mon esprit, m'ont suivi fidèlement et joyeusement un long temps. Mais maintenant, la voix qui criait : Soyez prêts s’est changée, et ma voie aussi; et derechef, les épines et les broussailles ont crû dans cette solitude, de sorte que personne n'y marche plus.

  La voie de l’enfer est ouverte, plusieurs passent par elle. Toutefois, afin que ma voie ne fût point mise en oubli, un petit nombre de mes amis, atteints et touchés du désir de la patrie céleste passent encore par ma voie, à guise des oiseaux qui vont de branche en branche et de buisson en buisson et comme servant par crainte et en cachette. Il semble à tous que c'est un bonheur aussi de passer par la voie du monde. Et parce que ma voie et étroite et celle du monde large, je crie maintenant dans la solitude c'est-à-dire, dans le monde, à mes amis, afin qu'ils arrachent les épines et les broussailles de la voie qui conduit au ciel, et qu'ils la disposent à ceux qui y marchent; car il est écrit: Bienheureux ceux qui m'ont cru et ne m'ont pas vu; de même bienheureux ceux qui maintenant croient à mes paroles et accomplissent par oeuvres ce qu'ils croient.

  Vraiment, je suis comme une mère qui, va au-devant de son fils qui est errant et vagabond, qui lui donne de la lumière en la voie, afin qu’il voie le chemin; elle lui va au-devant, poussée par l'amour, abrégeant son chemin, et s’en étant approchée, elle l’embrasse, se congratulant avec lui. J’en fais de même à tous ceux qui reviennent à moi, et j’irai avec amour au-devant de tous mes amis, et j’illuminerai leur esprit et leur âme à la sagesse divine. Je les veux embrasser avec toute sorte de gloire, et avec toutes mes troupes célestes, où il n’y a point de ciel en bas, ni terre, mais la vision divine; où il n’y a point de viande ou boisson, mais une divine délectation. Or, aux mauvais, la voie de l’enfer est ouverte; ceux qui entrent dans l’enfer n’en sortent jamais ; ils seront privés de la gloire et de la joie, et seront remplis de misère et d’éternels opprobres. C’est pourquoi je dis ces paroles et vous manifeste mon amour, afin que ceux qui se sont retirés de moi reviennent à moi et me reconnaissent pour leur Créateur, lequel ils ont oublié.


Chapitre 16 Jésus-Christ parle à son épouse. Pourquoi il parle plus à elle qu’à d’autres meilleurs qu’elle?

2016   Ici Jésus-Christ parle à son épouse. Pourquoi il parle plus à elle qu’à d’autres meilleurs qu’elle? De trois commandements que Jésus Christ fait à l’épouse. De trois choses défendues, de trois choses permises, et de trois documents très excellents.

  Plusieurs s’étonnent pourquoi je parle avec vous, et non pas avec les autres, qui sont d’une meilleure vie et m’ont servi plus longtemps que vous. Je leur réponds par un exemple.

Un Seigneur avait plusieurs vignes et en plusieurs lieux, et le vin sentait et avait le goût du terroir de chaque vigne. Or, quand le vin fut foulé et coulé, le maître de la vigne en but du médiocre et du plus petit, et point du meilleur. Que si quelques-uns de ceux qui sont présent et assistants lui demandent pourquoi il a fait de la sorte; le maître de la vigne leur dira: Parce que ce vin était alors de son goût et lui semblait le plus doux et pourtant, le maître de la vigne ne répand pas le meilleur, ni ne le méprise, mais il le garde à son temps et saison pour lui faire honneur et lui porter de l'utilité, donnant un chacun à son propre temps.

  Je vous en ai fait de même. J’ai plusieurs amis dont la vie m’est plus douce que le miel, plus délectable que le vin et plus luisante devant mes yeux que le soleil. Néanmoins d'autant qu'il m'a plu de la sorte de vous élire en mon Esprit, non pas parce que vous étiez meilleure, ou que vous leur était égale, ou que vous étiez plus digne qu'eux en mérite, mais parce que je l'ai voulu ainsi; car des insensés j'en fais des sages; des pécheurs j'en fais des justes; ni parce que je vous ai fait une telle grâce, je ne les méprise pas, mais plutôt je me les réserve pour mon utilité et honneur, selon que ma justice l'exige. C'est pourquoi, humiliez-vous en toute chose et ne vous mettez en peine que de vos péchés. Aimez tout le monde, voire même ceux qui vous semblent vous haïr le plus et ou détracter le plus, car ceux-là vous offrent et vous donnent de plus grandes occasions de couronnes. Je vous défends de faire trois choses; je vous permets de faire trois choses; je vous conseille de faire trois choses.

  D’abord, je commande de faire trois choses, la première, de ne rien désirer que Dieu; en deuxième lieu, de repousser toute sorte de superbe et d’arrogance, en troisième lieu, de fuir perpétuellement la luxure charnelle.

  Je vous commande de ne pas faire trois choses: la première, de n’aimer point les paroles vaines et plaisantes ; la deuxième, de ne point chercher les superfluités des viandes et des autres choses ; la troisième, de fuir la légèreté du monde et ses joies.

  Je vous permets de faire trois choses : la première, de prendre un sommeil modéré pour avoir une bonne complexion ; la deuxième de veiller tempérament pour l’exercice du corps, la troisième, de manger des viandes avec modération pour fortifier et sustenter le corps.

  Je conseille trois choses : la première, le labeur dans les jeûnes et les bonnes oeuvres, auxquelles est promis le royaume des cieux; la deuxième, que vous disposiez bien de tout ce qui redonde à l’honneur et à la gloire de Dieu; la troisième, je vous conseille de considérer continuellement deux choses eu votre coeur : la première, ce que j’ai fait pour vous, souffrant et mourant pour vous. Cette pensée excite l’amour envers Dieu; la deuxième: considérez ma justice et mon horrible jugement, car cela excite à la crainte.

  Enfin ce que je vous commande, ce que je vous mande, ce que je vous conseille et vous permets, c’est que vous obéissiez comme vous êtes tenue de le faire. Je vous commande cela d’autant que je suis votre Dieu. Je vous mande cela, afin que vous le fassiez, car je suis votre Dieu. Je vous permets cela, parce que je suis votre Epoux. Je vous conseille cela, attendu que je suis votre ami.


Chapitre 17 Jésus-Christ parle à son épouse de la manière dont la Divinité doit être appelée vraiment vertu ;

2017 d’une multitude de déceptions de l'homme suggérées par le diable, et de la multitude de remèdes que Jésus-Christ a donnés pour aider et secourir l’homme.

  Le Fils de Dieu, parlant à son épouse lui disait : croyez-vous fermement que ce que le prêtre tient en ses mains soit le corps du Fils de Dieu?

Elle répondit : Je crois fermement que, comme le Verbe qui a été envoyé à la Sainte Vierge, a été fait chair et sang dans son ventre, de même, maintenant ce que je vois dans les mains du prêtre, je crois que c’est le vrai Dieu et le vrai homme

  Notre-Seigneur lui répondit : Je suis le même qui parle avec vous, étant en la Divinité de toute éternité, et humanisé dans le temps, au sein de la très Sainte Vierge, sans néanmoins perdre ma Divinité. Ma Divinité peut être appelée à bon droit vertu, attendu qu’en elle il y à deux choses l’une est une puissance très puissante, de laquelle dépend toute puissance; l’autre, une sagesse très sage de laquelle dérive toute sagesse. Car en ma Divinité, toutes les choses qui subsistent ont été raisonnablement et sagement ordonnées, car il n’y a pas au ciel une des plus petites choses qui n’ait été faite, constituée et prévue par elle; il n’y a pas un atome en terre ni une petite étincelle en enfer, qui ne soient contenus dans les bornes de son ordonnance, et qui se puissent cacher aux yeux de sa providence.

  N’admirez que j’ai dit qu’il n’y avait pas au ciel un petit point sans mon su. Enfin, comme le point est la perfection du verbe glosé, de même le Verbe divin est la perfection de toutes choses et est pour l’honneur de toutes choses. Pourquoi pensez-vous qu’il n’y a pas un atome en terre que je ne voie, si ce n’est parce que toutes les choses terrestres sont périssables et néanmoins, elles ne sont pas hors de la disposition et ordre de la providence divine, mais elle les sait et les enveloppe. Pourquoi ai-je dit qu’il n’y avait pas une petite étincelle de feu dans l’enfer sans mon su, si ce n’est d’autant que, dans l’enfer, il n’y a qu’envie. Car comme l’étincelle procède du feu, de mène toute malice et envie proviennent des esprits immondes, de sorte qu’eux et leurs fauteurs sont incessamment rongés d’envie, et ne sont point émus d'amour ni de charité.

Donc, d’autant qu’en Dieu, il y a une parfaite science et puissance, partant, toutes choses sont si bien rangées que personne ne lui peut résister ni prévaloir; il ne peut même arriver à elle aucun évènement irraisonnable, mais toutes choses sont faites avec autant de raison qu’il en était convenable à une chacune.

  Sachez donc aussi que la Divinité peut véritablement être appelée vertu. Il l’a manifestée être très grande en la création des anges, car il les a créés pour son honneur et pour leur délectation et plaisir, et afin qu’ils l’aimassent et lui obéissent, qu’ils l’aimassent en telle sorte que leur amour ne fut que divin, et qu’ils lui obéissent en tout et partout.

  Contre ceci, il y eut deux des anges qui, errants, portèrent leur volontés directement contre les volontés divines de sorte que tout ce que Dieu avait en horreur, leur était cher, et la vertu leur était odieuse. Et par ce mouvement déréglé ils méritèrent la chute, non pas que la Divinité les eut inclinés à la chute en les créant, mais eux-mêmes par l'affection désordonnée et déréglée de leur beauté, ils se causèrent leur chute

  Quand Dieu donc vit qu'en ses troupes célestes il y avait du déchet, à raison de leur faute, Dieu créa l'homme avec le corps et l'âme, et lui donna deux sortes de biens, savoir : la liberté de bien faire et d'omettre le mal; car puisque plusieurs autres anges ne devaient être crées, il était juste et raisonnable que l'homme eut la liberté de monter, s'il voulait, à la dignité des anges. Dieu donna aussi à l'âme de l'homme, deux sortes de biens, savoir la raison pour discerner les choses contraires des contraires, et les meilleures des très bonnes, et la force pour persister dans le bien. Mais lorsque le diable vit que Dieu, par son amour, avait communiqué à l'homme de si grands biens, poussé d'envie, il pensa à part soi en cette sorte : Voici que Dieu a fait une chose nouvelle, qui peut monter en notre lieu et dignité, et en combattant, surmonter et posséder ce que nous avons perdu négligemment. Si nous le pouvions supplanter et décevoir il défaudra en la bataille, et alors, il ne montera point à une si grande dignité. Après, ayant pensé au moyen et au conseil de le tromper, ils le déçurent, et par ma juste permission, ils ont prévalu sur soi.

  Mais quand et comment a-t-il été vaincu ? Certes, ce fut lorsqu’il abandonna la vertu, enfreignit mon commandement, et lorsque la promesse du serpent lui porta plus de plaisir que mon obéissance. Donc à cause de cette rébellion, il ne doit pas être au ciel, car il a méprisé Dieu; ni en enfer, car l’âme, considérant ce qu’elle avait commis, eut contrition de sa faute:

  Partant, Dieu, qui est la puissance même voyant la misère dont l’homme était assailli, disposa pour lui une prison et un lieu de captivité, afin que là l’homme expérimenta ses misères et ses infirmités, et pleurât sa désobéissance, jusqu’à ce qu’il méritât de monter à la dignité qu’il avait perdue. Le diable, considérant de nouveau cela, voulut tuer I’âme de l’homme par l’ingratitude ; mettant de la fiente en son âme, il obscurcit tellement son esprit, qu’il n’avait amour ni crainte de Dieu, car la justice divine était mise en oubli, et partant, on ne la craignait point ; sa bonté et ses dons étaient oubliés, et partant, il n’était pas aimé. Mais la conscience étant ainsi endurcie et obscurcie, les hommes vivaient misérablement, et plus misérablement ils tombaient.

Et bien que l’homme fut ainsi, néanmoins, la vertu et la force divine ne lui manquaient pas voire même il leur manifesta sa miséricorde et sa justice : sa miséricorde, quand il manifesta à Adam et à ceux qui étaient bons, qu’au temps déterminé par les arrêts et décrets de la providence divine, ils obtiendraient le secours. Cette promesse excitait en eux la ferveur et l’amour envers Dieu. Il leur manifesta sa justice, savoir au déluge de Noé, par 1equel la crainte de Dieu et l’effroi saisirent les coeurs des hommes.

  Après ceci, le diable ne cessa pas d’inquiéter encore l’homme, mais il l’assaillit par deux autres sortes de maux: 1° il lui suggéra la perfidie; 2° le désespoir : la perfidie, afin que les hommes ne crussent en la ruse du diable par parole divine, et qu’ils rapportassent au destin toutes ces merveilles; le désespoir, afin qu’ils n’attendissent plus de salut ni de pouvoir acquérir la gloire qu’ils avaient perdue.

  Contre ces deux maux, le Dieu des vertus ne manqua pas de donner deux remèdes : en effet contre le désespoir, il donna l’espérance, nommant le nom d’Abraham, promettant de naître de sa semence, et de le ramener à l’héritage perdu, lui et tous ceux qui suivraient sa foi parfaite.

  D’abondant, il institua des prophètes auxquels il manifesta les manières de sa rédemption, les lieux et le temps de sa passion; contre la perfidie, Dieu parlait à Moïse, et lui montra sa loi et sa volonté, et accomplissait sa parole par signes et miracles. Ces choses étant accomplies, la malice du diable ne se désista point : mais poussant l'homme à des choses pires, il suggéra à son coeur d'autres choses : la première de penser que la loi et l’inquiétude de son observance étaient intolérables ; la seconde, qu’il était tout, à fait, incroyable, que Dieu eût voulu mourir d’amour et souffrir par amour. Contre ces deux suggestions,

  Dieu donna derechef deux autres remèdes : le premier, afin que l’homme ne s’inquiétât point en la rigueur de la loi, il envoie son Fils pour prendre chair humaine dans le ventre virginal de Marie, en laquelle il accomplit tout ce qui était de la loi; et après, il adoucit 1ui-meme cette loi. Contre le second, Dieu lui manifesta une grande vertu, car le Créateur est mort pour la créature, le juste est affligé pour l'impie, et l’innocent tourmenté, jusqu’au dernier période de sa vie, ainsi qu’il avait été prédit par les prophètes.

  La malice du diable ne cessa point encore, mais il s’éleva contre l’homme, lui suggérant deux autres choses car en premier lieu, il suggéra à son coeur d’avoir mes paroles en dérision, et en second lieu, que mes oeuvres fussent mises en oubli.

  Contre ces deux choses la puissance divine montra encore deux autres remèdes le premier, qu’on eût mes paroles en honneur et mes oeuvres en imitation. C’est pourquoi Dieu vous a conduit en son esprit et a manifesté par vous sa volonté à ses amis, spécialement à raison de deux choses la première afin que la miséricorde divine soit manifestée par laquelle les hommes, étant ramenés, se souviennent de mon amour et de ma passion; la seconde, afin qu’on ne néglige pas la justice divine et qu’on craigne la sévérité de ses jugements.

  Partant, puisque vous avez appris et savez que ma miséricorde est maintenant venue, manifestez-la au jour, afin que les hommes la recherchent et qu’ils prennent garde à mes terribles jugements. D’ailleurs, dites-leur bien que quoique mes paroles soient écrites, elles doivent néanmoins être publiées, et de la sorte, venir aux oeuvres qu’elles nous recommandent de faire, comme vous le pourrez comprendre par, un exemple.

  Quand Moïse devait recevoir la loi, la verge était toute prête, et les tables étaient dolées et disposées. Néanmoins, il ne fit point de merveilles avec la verge avant que la nécessité le demandât et que le temps fut venu ; or, lors les miracles ont été faits et manifestes, et mes paroles ont été déclarées par oeuvres, de même la loi nouvelle venant, mon corps croissait et profitait à l’age parfait, et mes paroles étaient écoutées. Néanmoins, bien que mes paroles fussent écoutées, elles n’avaient pas en elles-mêmes la force, avant que les oeuvres arrivassent, elles n ‘avaient pas leur complément jusqu’à ce que toutes choses ont été accomplies par ma passion, comme elles avaient été prophétisées. De même en est-il maintenant, car bien que les paroles de mon amour soient écrites et qu’elles doivent être portées au monde, néanmoins, elles ne pouvaient point avoir la force avant qu’elles vinssent à la lumière pleine et parfaite.


Chapitre 18 Comment la vision des anges est intolérable à cause de l’éclat de leur beauté, et celle des diables, à raison de leur laideur

2018   De trois merveilles que Jésus-Christ a faites avec son épouse. Comment la vision des anges est intolérable à cause de l’éclat de leur beauté, et celle des diables, à raison de leur laideur. Pourquoi Jésus-Christ a daigné loger cette veuve, sainte Brigitte.

  J’ai fait trois merveilles avec vous, car vous voyez de vos yeux spirituels, vous entendez de vos oreilles spirituelles, vous sentez d’une main corporelle que mon Esprit vit en votre coeur. La Vision que vous avez, ne l’appréhendez pas comme elle est, car si vous pouviez voir l’éclat et la beauté spirituelle des anges et des âmes bienheureuses, votre corps ne les pourrait supporter, mais il romprait en deux, comme un vase puant et corrompu, à raison de la joie que l’âme recevrait de cette vision. Si aussi vous voyiez les démons comme ils sont, vous vivriez avec une grande douleur, ou vous mourriez subitement à raison de leur horreur et laideur; c’est pourquoi vous voyez les choses spirituelles comme corporelles; vous voyez les anges et les âmes comme des hommes qui ont l’âme et la Vie, car les anges vivent par leur esprit. Les démons vous semblent des morts, ou comme des hommes mortels, ou comme des animaux ou autres créatures, car ces animaux ont un esprit mortel; car leur chair mourant, leur esprit meurt aussi.

  Or, l’esprit des diables ne meurt point ils meurent sans fin et vivent sans fin. Or mes paroles spirituelles vous sont dites et représentées avec similitudes, car votre esprit ne saurait autrement les comprendre ; mais entre toute autre chose, celle-ci est des plus admirables, que vous ressentez que mon Esprit s’émeut en votre coeur.

  Lors elle répondit : O mon Seigneur et Fils de la Vierge! Comment est-ce que vous daignez loger et visiter une veuve si vile, qui suis pauvre en toute sorte de bonnes oeuvres, sans esprit, et consommée en toute sorte de péchés, dans lesquels j’ai croupi longtemps?

  Il lui répondit J’ai trois choses : 1° je puis enrichir le pauvre, faire sage l’insensé, et donner un grand esprit et intelligence à ceux qui en ont peu. Je puis aussi renouveler la vieillesse : car comme le phénix, étant arrivé à l’age décrépit, porte et amasse dans une vallée de petites bûchettes sèches, et entre autres, d’un arbre dont le bois est extérieurement sec de sa nature, et chaud intérieurement, et qui, soudain que la chaleur et les rayons du soleil le touchent, s’enflamme et fait enflammer et brûler toutes les autres bûchettes, de même il vous faut amasser toute sortes de vertus, afin que par elles vous puissiez être rajeunie de la vieillesse du péché ; entre lesquelles vous devez avoir une sorte de bois, qui est chaud intérieurement, et extérieurement sec, c’est-à-dire, un coeur pur intérieurement et sec extérieurement de toute sorte de délectation mondaine, et au-dedans, empli du feu d’amour et de charité, de sorte que vous ne vouliez ni désiriez autre chose que moi.

Alors, viendra le feu de mon amour, qui allumera en vous le feu et l’ardeur de toute sorte de vertus, par lesquelles tous vos péchés seront consommés, et desquels vous serez purifiée ; et vous vous renouvellerez comme un oiseau se renouvelle, ayant déposé la peau de la délectation sensuelle.


Chapitre 19 Dieu parle à ses amis par ses prédicateurs et par les tribulations.

2019   Jésus-Christ enseigne à son épouse la manière dont Dieu parle à ses amis par ses prédicateurs et par les tribulations. Comment Jésus-Christ est désigné par le possesseur des mouches à miel, l’Eglise par la ruche, et les chrétiens par les mouches ; et en quelle sorte on permet que les mauvais chrétiens vivent entre les bons.

Je suis votre Dieu. Mon Esprit vous a introduite en moi pour vous faire ouïr, voir et sentir : ouïr mes paroles, voir des visions et sentir mon Esprit avec joie et dévotion de l’âme. En moi est toute miséricorde avec justice, et justice avec miséricorde. Je suis comme celui qui voit ses amis tomber en la voie où il y a un horrible et formidable chaos, d’où il est impossible de sortir quand on y est tombé une fois. Je parle à mes amis par ceux qui ont l’intelligence de l’Ecriture ; je leur parle par les fléaux des angoisses et des tribulations ; je les avertis des dangers dans lesquels ils se vont plonger, mais eux vont au contraire, ne se souciant pas de mes paroles. Mes paroles ne sont quasi qu’une parole, c’est-à-dire, convertir le pécheur à moi ; car ils marchent périlleusement ; car bien que leurs ennemis ne marchent que de jour, néanmoins, ils sont cachés aux ténèbres de l’esprit, et ils ne les voient pas comme ils sont.

Cette mienne parole est méprisée et cette mienne miséricorde est négligée : néanmoins, bien que je sois si miséricordieux que d’avertir les pécheurs, je suis aussi si juste que, quand même tous les anges les attireraient, ils ne seraient pourtant si convertis, si eux-mêmes n’émeuvent leur volonté à la pénitence et au bien. Or s’ils tournent leur volonté vers moi et consentent à moi avec amour, tous les diables de l’abîme ne sauraient les retenir.

Il y a un vermisseau qui est appelé apis, non à raison de la possession de son seigneur, mais à raison que les mouches rendent à leur roi trois sortes de révérences et prennent de lui trois sortes de vertu : 1° les mouches apportent à leur roi toute la douceur qu’elles peuvent fleureter de toutes les plantes ; 2° elles lui obéissent comme il veut, et soit qu’elles aillent ou qu’elles s’arrêtent, elles sont toujours portées d’amour et d’affection envers leur roi ; 3° elles le suivent, s’unissent à lui et lui obéissent.

Elles ont aussi de leur roi un triple bien :

1° de sa voix, elles savent le temps où il faut sortir et où il faut travailler ;

2° elles ont de lui le régime et mutuelle charité entre elles, car de sa présence, principauté et amour qu’il a envers elles et elles envers lui, toutes sont conjointes ensemble par amour et par charité. Chacune se réjouit de l’avancement de l’autre, et elles s’en congratulent ensemble.

3° Par la charité et la joie qu’elles ont avec leur chef, elles sont fécondes et fructueuses.

  Car comme les poissons en la mer font leurs oeufs en se jouant, lesquels, tombant en la mer, fructifient, de même les abeilles par leur mutuelle charité, amour et joie qu’elles ont avec leur chef, sont rendues fertiles et fécondes, de l’amour desquelles et de ma vertu procède quelque semence comme morte qui prend vie de ma bonté. Mais le seigneur, c’est-à-dire, le maître des mouches, est soigneux d’elles ; il en parle à son serviteur, lui disant qu’il lui semble que quelques mouches sont malades et qu’elles ne peuvent voler.


Le serviteur répond : Je n’entends point cette maladie ; mais si cela est ainsi, je demande comment cela se peut savoir.

Le maître répond : Vous pourrez savoir leurs défauts et infirmités par trois signes :

Le premier : elles sont invalides et paresseuses à voler, et cela vient de ce qu’elles ont perdu leur roi, duquel elles avaient leur soulas et leur soutien.

Le deuxième est d’autant qu’elles sortent à des heures incertaines et hors de saison, et cela, parce qu’elles n’entendent point la voix de leur chef ;

La troisième, attendu qu’elles n’ont point d’amour à leur ruche : c’est pourquoi étant rassasiées, elles s’en retournent à leur ruche, sans porter rien dont elles se puissent sustenter à l’avenir.

Or, les mouches qui, saines et bien disposées, sont constantes et fortes en leur vol, gardent et observent le temps convenable d’entrer et de sortir, rapportant de la cire pour faire leurs petites logettes, et du miel pour s’en nourrir.

Alors, le serviteur répondit à son maître : Si elles sont donc infirmes, pourquoi souffrez-vous qu’elles vivent encore, puisqu’elles ne profitent de rien ?

Le maître répondit : Je les souffre pour trois raisons, car elles apportent trois commodités, mais non pas de leur vertu.

Elles occupent, en premier lieu, leurs ruches, de peur que les chenilles n’y entrent, inquiétant celles qui sont saines et utiles ;

En second lieu ; afin que les autres soient fructueuses, se roidissant au travail, voyant la malice et la négligence des autres ; car les bonnes mouches voyant les mauvaises ne travailler que pour leur assouvissement, s’excitent d’autant plus d’être auprès de leur roi et de travailler avec plus de ferveur. Elles profitent aussi, en tant qu’elles défendent les bonnes mutuellement, car il y a un vermisseau qui a coutume de manger les mouches, lequel venant, toutes les mouches bonnes et mauvaises s’unissent avec une haine mortelle qu’elles lui portent, pour le combattre et l’abattre tout à fait. Car autrement, si les mouches mauvaises et malades étaient ôtées et que les bonnes fussent seules, bientôt le vermisseau les auraient vaincues ; et c’est pourquoi, dit le maître, je les souffre.

  Néanmoins, quand l’automne viendra, j’aurai soin des mouches saines ; je les séparerai des mauvaises ; car si on les mettait maintenant dehors, elles mourraient de froid. Que si elles sont dans leur ruche et n’amassent rien, elles périront de faim, puisqu’elles n’ont pas amassé quand elles pouvaient.

Moi, qui suis Seigneur et Créateur de toutes choses et maître des mouches ; moi, de mon intime charité et par le sang que j’ai répandu, j’ai fondé mes ruches, c’est-à-dire, mon Eglise, en laquelle les chrétiens devaient demeurer et s’assembler par l’unité de la foi. Ces lieux sont leurs coeurs, dans lesquels doit loger la douceur des bonnes pensées et des saintes affections, qui devraient sortir de la considération de mon amour infini à les créer, à les racheter, et à souffrir pour eux, et de ma miséricorde, en les ramenant et les renouvelant dans cette ruche, c’est-à-dire, dans mon Eglise, en laquelle il y a deux sortes de gens, comme il y a deux espèces de mouches.

Les premiers sont les mauvais chrétiens, qui n’amassent rien pour moi, mais tout pour eux ; qui s’en retournent vides et qui ignorent leur chef, ayant quelque stimule de quitter ma douceur et sentent quelques désirs de ma charité. Mais les bonnes mouches sont les bons chrétiens, qui m’offrent une triple révérence :

1° ils me tiennent toujours pour leur chef et pour leur Seigneur, me présentant le miel de leur douceur, c’est-à-dire, leurs oeuvres de charité, qui me sont très douces et à eux très utiles.

2° Leurs volontés dépendent de ma volonté ; leur volonté est conforme à la mienne, leurs pensées sont liées à ma passion, et les oeuvres n’ont autre fin que mon honneur et gloire.

3° Ils me suivent et m’obéissent en tout et en tous lieux, soit dedans, soit dehors, soit en tribulation, soit en joie ; leur coeur est toujours dans mon coeur ; c’est pourquoi ils ont de moi trois vérités :

  La première, la voix de l’inspiration et de la vertu, le temps convenable et dû, savoir : la nuit au temps de la nuit, et la lumière au temps de lumière ; voire même ils changent la nuit en lumière, c’est-à-dire, la joie du monde en la joie éternelle, et les plaisirs caducs et périssables en l’éternel bonheur et félicité.

Ceux-ci sont en tout raisonnables, car ils se servent des choses présentes pour la nécessité, et non pour la volupté ; ils sont constants en l’adversité, sages dans la prospérité, modérés dans le soin de leurs corps, soigneux et circonspects en tout ce qu’il faut.

  La deuxième : comme les mouches saines ont entre elles une bonne et mutuelle charité, de même les bons chrétiens ont tous un même coeur, uni au mien, aiment leur prochain comme eux-mêmes, et moi sur toutes choses et par-dessus eux-mêmes. En troisième lieu, je les rends fructueux. Qu’est-ce être fructueux, si ce n’est avoir mon Esprit et en être rempli ? Car celui qui n’a point le Saint-Esprit, et qui ne ressent point ses douceurs, est infructueux, tombe, est inutile et va au néant.

Or, le Saint-Esprit, Esprit d’amour, enflamme celui dans lequel il demeure par son amour, et lui ouvre et transporte l’esprit. Il extirpe, chasse et ruine la superbe et l’incontinence ; il excite l’esprit à l’honneur de Dieu et au mépris du monde. Les mouches, c’est-à-dire, les âmes infructueuses, ignorent cet Esprit, c’est pourquoi elles fuient l’obéissance et le gouvernement d’autrui, l’utilité et la société charitable. Elles sont vides de toute bonne oeuvre ; elles changent les lumières en ténèbres, la consolation en pleurs, la joie en douleurs.

  Néanmoins, je souffre qu’elles vivent, à raison de trois choses : 1° De peur que les infidèles n’entrent en leur place, car si les méchants hommes étaient ôtés tous ensembles ; il en demeurerait pur, car les bons sont en petit nombre, à cause de quoi les infidèles et les païens, qui sont en grand nombre, les surmonteraient bientôt et molesteraient les bons habitants avec eux. 2° Je les souffre pour la probation des bons, car la malice des méchants éprouve la constance des bons ; car en l’adversité, on voit combien la patience d’un chacun est grande, et en prospérité, on connaît combien on est constant et modéré. Mais d’autant que les justes pèchent souvent et que les vertus les élèvent, c’est pourquoi je permets que les mauvais vivent avec les bons, de peur que les bons ne se réjouissent par trop et se rendent paresseux, et afin qu’ils aient toujours les yeux vers Dieu, car là où le combat est petit, la récompense est petite. 3° Je les patiente pour le secours même des bons, de peur que les païens et les infidèles ne nuisent aux bons, mais les craignent d’autant plus qu’il semble y en avoir un grand nombre. Et comme les bons résistent aux mauvais, poussées et émus de l’amour et de la justice divine, de même les mauvais résistent aux bons pour défendre leur vie et pour penser éviter la fureur d’un Dieu tout-puissant ; et de la sorte, les bons et les mauvais s’aident entre eux, et les mauvais sont supportés pour l’amour des bons, et les bons sont couronnés plus éminemment, à raison de la méchanceté des mauvais.

Les gardiens de ces mouches sont les prélats et princes vigilants de la terre, soit bons ; soit mauvais. Je parle pourtant aux bons gardiens, lesquels, moi, Dieu, leur protecteur et gardien, je les avertis de garder mes mouches. Qu’ils considèrent leur entrée et sortie ; qu’ils voient si elles sont infirmes ou saines.

  Que s’ils ne les savent connaître, je leur marque trois signes par le moyen desquels ils discerneront si les mouches sont inutiles, paresseuses ou lâches à voler en leur saison, et vides à apporter la douceur des fleurs. Ceux-là sont lâches à voler qui ont plus de soin des choses temporelles que des choses éternelles ; qui craignent plus la mort corporelle que la mort spirituelle ; qui parlent de cette sorte à part soi : Pourquoi prendrais-je de l’inquiétude, puisque je puis être en repos ? Pourquoi me ferais-je mourir, puisque je puis vivre ?

Misérables ! Ils ne considèrent pas que moi, Roi tout-puissant, ait embrassé les misères et les infirmités qui n’étaient point péché. Je suis aussi très paisible, voire je suis la vraie paix, et néanmoins, j’ai pris pour l’amour d’eux les inquiétudes, dont je les ai affranchis par ma mort.

  Mais eux sont grandement indisposés en ce temps, puisque leurs affections cherchent les choses terrestres ; leurs paroles ne sont que bouffonneries, leurs oeuvres que leur propre intérêt, et leur temps se passe selon les désirs de leur corps et de leurs sentiments.

Or ceux-là n’ont point d’amour à leur ruche, qui est l’Eglise, ni n’amassent de la douceur, car ils ne font point de bonnes oeuvres par amour, mais seulement par la crainte du supplice. Et bien qu’ils aient quelques bonnes oeuvres pieuses, ils ne laissent pas pourtant leur propre volonté ; ils veulent avoir Dieu en telle sorte qu’ils ne laissent jamais le monde, et ne veulent souffrir ni privations ni troubles. Ceux-ci s’encourent à la maison, ne portant que fiente en leurs pieds ; ils volent, mais non pas par les ailes de la véritable et raisonnable charité.

Partant, quand l’automne viendra, c’est-à-dire, le temps de séparation, les mouches inutiles seront séparées des bonnes, qui, pour leur amour-propre, seront éternellement, tourmentées d’une faim perpétuelle et enragées. Pour le mépris qu’elles ont eu de Dieu et le dégoût qu’elles ont ressenti du bien, elles seront affligées d’un froid excessif, sans jamais mourir.

  Néanmoins, mes mais se doivent donner de garde de la malice des mauvaises mouches,

1° afin que leur puanteur ne vienne à leurs oreilles, car elle est vénéneuse et pestiféré ; car le miel étant ôté, elles sont sans douceur, au lieu de laquelle abonde une amertume mortifère ;

2° qu’ils se gardent la prunelle de leur yeux et leurs ailes, car elles sont aiguës comme des aiguilles ; 3° qu’ils gardent leurs corps, et qu’ils ne l’exposent pas à elles tout nu, car elles ont de poignants aiguillons avec lesquels elles percent cruellement. Qu’est ce que tout ceci signifie ? Les sages le savent expliquer, qui considèrent leurs moeurs et leurs affections. Or, ceux qui ne le savent expliquer, qu’ils craignent le danger, qu’ils fuient leur compagnie et qu’ils ne suivent leur exemple, autrement ils apprendront à leur dommage et expérimenteront ce qu’ils n’ont pas voulu savoir en écoutant.

Après la Sainte Vierge Marie parlait, disant : Béni soyez-vous, mon Fils, qui êtes, qui avez été et qui serez éternellement ! Votre miséricorde est douce et votre justice est grande.

Il me semble, mon Fils, parlant par comparaison, que la miséricorde ressemble à une nuée qui monte au ciel avec vous, et qu’un air léger va au-devant de la justice.

Or, la nuée apparaissait comme quelque chose d’obscur et de ténébreux, mais qui était hors de la maison, et qui ressentait la douceur de l’air ; il éleva les yeux, et vit l’obscurité épaisse de l’air ; et la considérant, il dit en soi-même : L’obscurité de cette nuée me semble présager la pluie, et soudain, suivant son conseil, il se retira à couvert. Mais les autres, qui étaient aveugles, ou qui peut-être ne s’en souciaient point, faisant peu d’état de la légèreté variable de l’air, ni ne craignant l’obscurité de la nuée, expérimentèrent ce que ces nuées signifiaient. Ces nuées croissant par tout le ciel, vinrent fondre comme un torrent impétueux avec tonnerres horribles et épouvantables feux, de sorte qu’ils perdirent la vie d’effroi et de crainte. Après, toutes choses de l’homme, tant intérieures qu’extérieures, seront consommées par le feu, de sorte que rien n’y demeurera.

Cette nuée, ô mon Fils ! C’est vos paroles, qui semblent obscures et incroyables à plusieurs, d’autant qu’elles n’ont pas été ouïes souvent, ni administrées aux ignorants, ni déclarées par signes. Ma demande précède ces paroles, et votre miséricorde va au-devant d’elles, avec laquelle vous pardonnez à tout le monde, et les alléchez à vous, comme une mère attire ses enfants. Cette miséricorde est douce en patience et souffrance, comme l’air est chaud en amour, car vous attirerez comme le feu à se servir de votre miséricorde ceux qui vous provoquent à colère et indignations, et présentez chose admirable à ceux qui méprisent votre piété et votre clémence.

Donc, que tous ceux qui entendront ces paroles élèvent les yeux, et ils verront en leur intelligence d’où procèdent mes paroles. Qu’ils s’enquièrent si mes paroles publient la miséricorde et l’humilité ; qu’ils soient attentifs si elles prêchent les choses présentes ou futures, la vérité ou la fausseté.

Que s’ils les trouvent vraies, qu’ils s’enfuient du mal et se retirent à l’humilité avec l’amour divin, car quand la fureur de la justice viendra, alors l’âme sera séparée du corps de crainte et d’effroi.

Le feu enveloppera l’âme qui n’a pas bien vécu, et la brûlera intérieurement et extérieurement sans la consommer.

  Partant, moi qui suis Reine de miséricorde, je crie aux mondains afin qu’ils élèvent leurs yeux et voient ma miséricorde. Je vous avertis et vous prie comme Mère, et vous conseille comme Dame et Maîtresse, car quand la justice viendra en sa fureur, il sera impossible de résister. Croyez donc fermement ; regardez et éprouvez en vos consciences cette vérité ; changez vos volontés, car alors, celui qui montrera les paroles de charité montrera aussi les oeuvres et les signes d’amour.

Après, le Fils de Dieu me parlait, disant : Je vous ai montré ci-dessus que les mouches retiraient trois sortes de biens de leur malice. Je vous dis maintenant que telles mouches devraient être de ceux qui portent la croix (Les religieux de Notre-Dame de la Merci, Trinitaires et Mathurins.), que j’ai mis aux fins du monde.

Or, eux, maintenant combattent contre moi, car ils ne se soucient point du salut des âmes, n’ont point de compassion, ni ne travaillent point à convertir les dévoyés à la foi catholique, et à les tirer de l’erreur dans laquelle ils sont plongés, car ils les oppriment de labeurs, les privent de leur liberté, ne les instruisent point en la foi, les frustrent des sacrements, et avec une plus grande douleur, les envoient dans l’enfer comme s’ils étaient encore en leur paganisme. Ils ne combattent point non plus, si ce n’est pour dilater les branches de leur insupportable superbe et augmenter leur insatiable cupidité. C’est pourquoi le temps viendra qu’on leur cassera les dents ; on leur coupera la main droite, et on arrachera les nerfs de leur pied droit, afin qu’ils vivent et qu’ils connaissent l’état de leurs misères.




Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2015