Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2030


Livre III



\BChapitre I. avertissement et enseignement pour un évêque ; de la manière de vivre, vêtement et oraison

3001   Il est traité ici d’un avertissement et enseignement pour un évêque ; de la manière de vivre, vêtement et oraison ; comment il se doit gouverner en toutes choses, avant, durant et après le repas, et même pour son sommeil ; et en quelle sorte il doit en toutes choses exercer l’office épiscopal.

  Jésus-Christ, Dieu et homme, qui est venu en terre prendre l’humanité et sauver les âmes par son sang ; qui nous a illuminés ; qui nous a frayé la vraie voie et qui a ouvert la porte du ciel, m’a envoyé lui-même à vous. Écoutez donc, vous à qui est divinement donnée la capacité d’ouïr les choses spirituelles.

Si cet évêque propose d’aller par la voie étroite et parfaite, par laquelle peu de gens marchent, et d’être un de ce petit nombre, qu’il dépose premièrement le poids lourd et pesant qui l’environne, qui l’accable, c’est-à-dire, la cupidité du monde, usant seulement du monde pour la nécessité, conformément à l’humble sustentation d’un évêque. Ce bon Matthieu en fit de même, lui qui, étant appelé de Dieu, quitta soudain la charge lourde et pesante du monde, et trouva une charge légère.

Secondement, il doit être ceint, pour être conforme à la sainte Écriture qui dit : Tobie, préparé à aller en voyage, trouva un ange debout et tout ceint. Que signifiait cet ange ceint, si ce n’est que tous les évêques doivent être ceints de la ceinture de la justice et de l’amour divin, et être prêts à marcher par les voies où marcha celui qui dit : Je suis le bon Pasteur, qui donne son âme pour ses brebis ? Il doit aussi être prêt à dire la vérité nue et simple par ses paroles. Il doit être résolu de garder avec ses oeuvres l’équité et la justice, tant en lui qu’en autrui, n’abandonnant jamais la justice, ni pour les menaces, ni pour les opprobres, ni pour la fausse amitié, ni pour la vaine crainte. L’évêque donc qui apparaîtra de la sorte ceint, verra Tobie, c’est-à-dire, les hommes justes, venir à lui, suivre sa voie et imiter sa vie.

En troisième lieu, il doit manger du pain et boire de l’eau avant de se mettre en chemin, comme on le lit d’Élie, qui, étant éveillé, trouva à son chevet du pain et de l’eau. Quel est ce pain donné au Prophète, si ce n’est le bien corporel et spirituel qu’on lui administrait ? Car dans le désert, on lui préparait du pain corporel pour l’exemple ; et bien que Dieu l’eût pu sustenter, dans le désert, sans viande et sans pain corporel, il lui prépara néanmoins du pain matériel, afin que l’homme entendît qu’il plaisait à Dieu, quand il usait des biens avec sobriété et tempérance pour la consolation de la chair. L’infusion spirituelle était aussi inspirée au Prophète, puisqu’il marcha quarante jours en la force de ce pain ; car si l’intime onction de la grâce ne lui eût été inspirée, il eût certainement défailli en la peine de quarante jours, car il est faible de complexion, mais rendu fort pour faire un si grand chemin. Donc, puisque l’homme vit de la parole de Dieu, nous avertissons l’évêque de prendre une bouchée de pain, c’est-à-dire, d’aimer Dieu sur toutes choses. Il trouvera ce pain à son chevet, c’est-à-dire, la raison lui dire qu’il faut aimer Dieu sur toutes choses et plus que toutes choses, tant à cause de la création et rédemption que par sa longue patience et sa bonté. Nous le prions aussi de boire un peu de l’eau, c’est-à-dire, de considérer intimement les amertumes de la passion de Jésus-Christ ; car qui est celui qui puisse dignement considérer les angoisses que l’humanité de Jésus-Christ a souffertes, quand il demandait que ce calice fût transféré, quand les gouttes de son sang arrosaient la terre ? Que l’évêque boive donc cette eau de la grâce et mange le pain d’amour, et alors, il sera réconforté pour aller par la voie de Jésus-Christ.

Ayant donc ainsi commencé la voie de salut, si l’évêque veut passer plus avant, il lui sera fort utile, le matin, de rendre grâces à Dieu de tout son coeur, de considérer soigneusement toutes ses actions, et de demander aide à Dieu, pour faire en tout fidèlement sa divine volonté.

Ensuite, quand il se revêt de ses habits, qu’il considère, médite et prie en cette manière : La cendre doit être avec la cendre, et la terre avec la terre. Mais néanmoins, puisque je suis évêque, je revêts mon corps des habits terrestres, non pour leur éclat et leur beauté, ni pour l’orgueil, mais seulement pour couvrir ma nudité. Je ne me soucie pas que mon habit soit meilleur ou pire, pourvu que seulement on connaisse, pour l’honneur épiscopal, que c’est l’habit d’un évêque, et que l’autorité d’un évêque soit discernée par l’habit, pour la correction et l’instruction des autres. C’est pourquoi je vous prie, ô Dieu très pieux ! de me donner en l’esprit la constance, afin que je ne m’enorgueillisse pas de la cendre et de la terre, et que je ne me glorifie vainement de la couleur de la poussière. Mais, je vous en supplie, donnez-moi la force, afin que, comme l’habit épiscopal est discerné et est plus honorable que les autres, à cause de l’autorité divine, de même les habitudes de mon âme soient bien agréables à Dieu, de peur que je ne sois profondément humilié, usant indiscrètement et indignement de l’autorité sacrée, ou bien que, pour avoir porté vainement un habit vénérable, j’en sois ignominieusement dépouillé à ma damnation.

Ensuite, qu’il lise ou chante ses heures, car plus l’homme est échauffé et élevé à de plus grands et de plus importants honneurs, d’autant plus est-il tenu de rendre un plus grand honneur à Dieu. Néanmoins, un coeur pur plaît à Dieu dans son silence comme dans le chant, pourvu qu’il ait de plus justes et de plus utiles occupations. Quand il aura dit la sainte messe, qu’il exerce sa charge épiscopale, prenant bien garde de n’avoir plus de soin du corps que de l’esprit. Quand il s’approche de la table pour prendre son repas, qu’il ait les pensées suivantes : O Seigneur Jésus-Christ, qui commandez qu’on sustente d’une viande matérielle le corps qui va en corruption, donnez-moi la grâce de donner en telle sorte au corps les choses nécessaires, que la chair ne surmonte méchamment l’esprit par la superfluité des viandes, ni qu’elle soit lâche dans votre service par l’indiscrète sobriété; mais inspirez-moi la modération discrète, afin que, quand la terre est sustentée de viandes terrestres, le courroux du Seigneur de la terre ne soit provoqué par la terre.

Or, quand il est à table, une réfection modérée et la conversation lui sont permises, pourvu que cette conversation soit sans cajolerie et sans vanité, et que parole n’y soit ouïe ni prononcée, dont les auditeurs puissent prendre occasion de pécher, mais que tout s’y passe avec une honnêteté modeste, ayant en vue le salut des âmes. Car si à table toutes choses sont sans goût quand le pain et le vin manquent, de même, quand la bonne doctrine et l’exhortation manquent à la table épiscopale, toutes choses sont à l’âme sans goût. Et partant, pour éviter toute occasion de vanité, qu’on lise ou qu’on dise quelque chose dont les assistants soient édifiés. Or, la réfection étant achevée et ayant rendu grâces à Dieu en bénédiction, qu’il regarde ce qu’il faut faire, ou bien qu’il lise les livres, par la doctrine desquels il puisse être attiré à la perfection de l’âme. Mais ayant soupé, il pourra se consoler avec ses familiers amis ; mais qu’il se comporte comme la mère, qui, sevrant son enfant, oint sa mamelle d'une chose amère, ou y éparpille de la cendre, jusqu'à ce que l'enfant soit désaccoutumé du lait et s'accoutume aux viandes plus solides : De même, l'évêque doit attirer ses amis avec des paroles qui excitent à l'amour et à la crainte de Dieu, afin qu'il soit leur père par l'autorité divine, et leur mère par l'éducation spirituelle. Que s'il sait que quelqu'un de ses familiers amis pèche mortellement, et l'ayant averti et admonesté, ne s'amende point, il le doit chasser de sa compagnie. Que s'il le retient pour la commodité et l'utilité temporelle, il participera à ses péchés. Quand il ira se coucher, il doit examiner avec soin toutes ses oeuvres, actions et affections du jour passé, demandant à Dieu, créateur de l'âme et du corps, qu'il le regarde de l'oeil de sa miséricorde, et qu'il lui fasse la grâce que, par l'abondance du sommeil, il ne devienne plus tiède au service de Dieu, ni par l'inquiétude du sommeil, il ne défaille à son devoir ; mais il dira : Seigneur, modérez-le pour votre honneur, puisque vous l'avez enjoint pour le soulagement du corps ; et donnez-moi la force, afin que le diable, mon ennemi, ne m'inquiète ni ne me retire de la piété. Or, se levant du lit, qu'il confesse les fautes et les négligences qu'il aura commises, de peur que le lendemain, il ne se lève avec quelque délectation charnelle.


Chapitre 2 remèdes convenables pour obvier aux difficultés qui arrivent à un évêque en la voie étroite de la perfection

3002   La Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, des remèdes convenables pour obvier aux difficultés qui arrivent à un évêque en la voie étroite de la perfection. Comment la patience est désignée par les vêtements ; les dix préceptes, par dix doigts, et les désirs des choses éternelles et le dégoût des choses mondaines, par les deux pieds. De trois ennemis qui s’opposent en la voie à l’évêque.

  La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Dites à l’évêque que, s’il marche en la voie dont nous venons de parler, trois choses difficiles viendront au-devant de lui : la première, que la voie est étroite ; la deuxième, qu’il y a, sur cette voie, des épines poignantes ; la troisième, que la voie n’est pas frayée, qu’elle est pierreuse, difficile et inégale. Contre ces trois choses, je vous donnerai trois conseils :

1. que l’évêque se revête, contre la voie étroite, de vêtements forts et subtilement cousus ;
2. qu’il ait ses dix doigts devant les yeux, comme des barreaux entre lesquels il regarde, et se garde d’être blessé par les épines ;
3. qu’il pose ses pieds sagement, et à chaque pas, qu’il sonde si son pied est ferme et arrêté, avant qu’avec précipitation il y mette les deux pieds, qu’il soit certain de la bonté ou de la méchanceté du chemin.

Or, que signifie cette voie étroite, sinon que la malice des hommes impies est toujours contraire aux oeuvres des justes, dont ils se moquent, dépravent les voies et les avertissements des justes, et tiennent à vil prix tout ce qui est humble et pieux ? Que l'évêque s'habille contre telle sorte de gens, des vêtements de patience et de constance, car la patience rend doux et traitable ce qui est rude, et fait supporter joyeusement les calomnies qu'on vomit sur nous.

Que signifient les épines poignantes, si ce n'est les adversités du monde ? Il faut être muni contre elles des doigts des dix commandements de Dieu et de ses conseils, afin que, quand l'épine de l'adversité dure et amère, et l'extrémité de la pauvreté nous piqueront, nous considérions la passion douloureuse et la poignante pauvreté de Jésus-Christ ; et quand l'épine de la colère et de l'envie nous piquera, que nous considérions dans l'amour de Dieu, qu'il nous a commandé de conserver en nos coeurs ; car le véritable amour ne cherche point ses intérêts, mais il donne tout ce qu'il a pour l'honneur de Dieu et l'utilité du prochain. Mais quand on dit qu'il doit marcher sagement, nous disons qu'en tout, et partout il doit raisonnablement craindre, car l'homme de bien doit avoir deux pieds : le premier, le désir des choses éternelles, le second ; le dégoût du monde. Mais dans les désirs des choses éternelles, on doit avoir une grande discrétion, afin qu'on ne les désire pour soi seulement, comme si on en était digne, mais qu'on mette tous les désirs, les volontés et les récompenses entre les mains de Dieu. Dans le dégoût du monde, il faut aussi être sage et craintif, de peur que ce dégoût ne vienne à cause des adversités du monde et de l'impatience de cette mourante vie, ou bien pour un plus grand repos de cette vie temporelle, et pour s'affranchir et se décharger d'un plus grand labeur qui est utile et profitable aux autres. Mais que ce dégoût soit seulement à cause de l'abomination du péché et à raison des désirs insatiables de la vie éternelle. J'avais encore l'évêque de trois ennemis qui sont en son chemin, après qu'il aura vaincu et surmonté la difficulté de cette voie : le premier ennemi désire lui persuader qu'il bouche ses oreilles ; le deuxième est arrêté devant ses yeux pour les lui pincer ; le troisième est devant ses pieds avec un lacet pour les pendre quand il les lèvera de terre.

Le premier ennemi, ce sont les hommes qui, par leurs discours, tâchent de retirer et d'écarter l'évêque du droit chemin, disant : Pourquoi prenez-vous tant de peine et marchez-vous par une voie si étroite? Détournez-vous un peu par la voie fleurie où plusieurs marchent; Que vous importe que celui-ci ou celui-là vive ? Qu'ils vivent comme ils voudront. Que vous importe que ceux qui vous doivent honorer et aimer, s'injurient et s'offensent ? S'ils n'offensent ni vous, ni les vôtres, de quel soin vous chargez-vous s'ils vivent comme il faut ou s'ils offensent Dieu ? Si vous êtes bon vous-même, que vous souciez-vous du jugement qu'on fera un jour des autres ? Donnez plutôt des présents et prenez-en ; servez-vous de l'amitié des hommes, afin que vous soyez loué et que vous soyez estimé bon en cette vie.

Le deuxième ennemi désire vous aveugler comme le Philistin aveugla Samson. Cet ennemi, ce sont la beauté, la possession du monde, la superfluité des vêtements, la diversité des choses apparentes, les honneurs des hommes et leurs faveurs. En effet, quand on offre ces choses, elles plaisent aux yeux ; la raison s'aveugle ; l'amour des commandements de Dieu s'attiédit ; on commet le péché plus licencieusement, et quand le péché est commis, il semble peu ou rien. Partant, quand l'évêque aura ce qui lui est nécessaire, qu'il s'en contente, car il semble maintenant à plusieurs plus doux de demeurer à la meule de cupidité avec Samson, que d'aimer l'Eglise, selon la louable disposition d'un soin pastoral.

Le troisième ennemi, qui a un lacet, crie hautement, disant : Pourquoi allez-vous ainsi sur vos gardes, la tête baissée ? Pourquoi vous humiliez-vous tant, vous qui devez et pouvez être honoré de plusieurs ? Soyez plutôt un prêtre qui est aux premiers rangs, ou plutôt un évêque, afin que vous puissiez être honoré de plusieurs. Avancez-vous aux plus grandes dignités, afin que vous ayez de plus grands services et que vous jouissiez d'un plus grand repos. Entassez des trésors, avec lesquels aidant aux autres, vous puissiez être courtisé et caressé de tous, et être partout joyeux et content ; car quand l'esprit sera touché par toutes ces choses et sera incliné vers elles, il écartera toutes ces suggestions et affectera tout cela : soudain sans doute notre coeur s'élèvera, comme le pied d'une délectation déshonnête, vers les cupidités terrestres, et ainsi, il s'enveloppe dans les lacets des soins mondains, dont à grand peine il peut se débarrasser pour considérer sa misère, les récompenses ou les supplices éternels. Et ce n'est point de merveille que celui qui désire l'épiscopat désire une bonne oeuvre pour l'honneur de Dieu : mais maintenant, plusieurs désirent l'honneur, et fuient le labeur dans lequel se trouve le salut éternel de l'âme. Partant, que cet évêque demeure dans le degré qu'il a, et qu'il n'aspire point plus haut jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'y pourvoir autrement.


Chapitre 3 comment l'évêque doit exercer son office épiscopal, afin que Dieu y soit honoré du double fruit qui suit cette vraie dignité.

3003   La Sainte Vierge Marie déclare d'abord comment l'évêque doit exercer son office épiscopal, afin que Dieu y soit honoré du double fruit qui suit cette vraie dignité. De la double confusion qui suit une fausse dignité, et en quelle manière Jésus-Christ et tous les saints vont au-devant d'un évêque juste et vrai.

  La Mère de Dieu disait : Je veux expliquer à un évêque ce qu'il est tenu de faire et quel est l'honneur qu'on doit porter à Dieu.

L'évêque doit avoir la mitre, la bien garder entre ses bras, ne pas la vendre pour de l'argent, ne pas la donner aux autres pour amour charnel, ni la perdre par négligence et par tiédeur. Or, que signifie cette mitre épiscopale, se ce n'est la dignité, la puissance épiscopale d'ordonner les clercs, de faire les saints chrêmes, de ramener ceux qui s'égarent, et d'exciter les négligents par leur exemple ? La mitre qu'il doit garder soigneusement dans ses bras, signifie combien attentivement il doit considérer quelle est la puissance épiscopale, et en quelle manière elle lui a été donnée, quels fruits elle apporte et quelle est sa fin. Si l'évêque veut savoir comment il a été fait évêque, qu'il considère s'il a désiré cette charge plus pour son utilité que pour l'amour de Dieu : s'il l'a désirée pour l'amour de soi, son désir a été charnel ; si pour l'amour de Dieu, pour son honneur et pour sa gloire, son désir a été spirituel et méritoire. Après, si l'évêque considère pourquoi il a accepté l'épiscopat, il trouvera que c'est pour être le père des pauvres, le consolateur et le médiateur des âmes, car les biens d'un évêque, c'est le bien des âmes : que s'il les mange infructueusement et les dépense prodigalement, les âmes en crieront vengeance contre les injustes dispensateurs.

Or, quel sera le fruit de la dignité épiscopale ? Je vous le dirai : il sera de deux sortes, comme dit saint Paul, corporel et spirituel, car sur la terre, il est vicaire de Dieu, c'est pourquoi, pour l'honneur de Dieu ; il est honoré comme un dieu en terre ; dans le ciel, le fruit sera corporel et spirituel, à raison de la glorification du corps et de l'esprit : car là, le serviteur sera avec le maître, tant à cause de la vie épiscopale qu'il a menée sur la terre, qu'à raison de l'exemple d'humilité par laquelle il a provoqué les autres avec lui à la gloire. Or, celui qui a un vêtement et une dignité épiscopale, mais qui en fuit la vie et n'en pratique pas les actions, aura double confusion. Quant à ce que je dis que la dignité épiscopale ne doit pas se vendre, cela veut dire que l'évêque ne doit pas être simoniaque, ni ne doit pas exercer son office pour avoir de l'argent ou pour la faveur des hommes, ni les promouvoir pour les prières des hommes qu'il sait être de mauvaise vie.

Quant à ce que j'ai dit que la mitre ne devait pas être donnée aux autres pour l'amitié des hommes, cela signifie que l'évêque ne doit pas dissimuler les péchés des négligents et des lâches, et doit corriger ceux qu'il pourra, sans les renvoyer impunis. Il ne doit pas taire les péchés de ses amis à raison de l'amitié charnelle, ni mettre sur son dos les péchés de ses sujets, car l'évêque est celui qui contemple Dieu.

Quand j'ai dit que l'évêque ne doit pas perdre sa mitre par lâcheté, cela signifie que l'évêque ne doit confier aux autres, pour qu'ils la fassent, sa charge, qu'il est tenu de remplir lui-même personnellement et fructueusement ; qu'il ne doit pas la confier aux autres pour le repos charnel, que lui-même pourrait accomplir, car l'office d'un évêque n'est pas repos, mais labeur. L'évêque ne doit pas non plus ignorer les moeurs de ceux auxquels il confie ses offices, mais il doit les savoir et s'en enquérir, et voir comment ils gardent l'équité et la justice, et s'ils se comportent en ce qu'il faut faire, sagement et sans cupidité.

  Outre cela, je veux que vous sachiez que l'évêque, étant pasteur, doit avoir un faisceau de fleurs sous ses bras, avec lesquelles il attire les brebis proches et éloignées, qui, étant alléchées, courent soudain à l'odeur de ces fleurs. Ce faisceau de fleurs marque la prédication divine que l'évêque est tenu de faire ; les deux bras sur lesquels la prédication divine est portée, marquent deux oeuvres qu'il faut qu'un évêque fasse, l'une publique et l'autre en cachette, afin que les brebis voisines de son évêché, voyant la charité dans les oeuvres de leur évêque, entendant et comprenant ses paroles, glorifient Dieu en l'évêque ; et que toutes les brebis éloignées, entendant la renommée de l'évêque, désirant suivre ; car ce faisceau, qui est très odoriférant, n'a point honte de la vérité, ni de l'humilité, ni d'enseigner le bien et de faire ce qu'il enseigne, ni d'être humble en ses honneurs et dévot en son abjection.

Quand l'évêque aura accompli le cours de sa voie et qu'il sera parvenu à la porte, il est nécessaire qu'il ait quelque chose en sa main pour présenter au Juge souverain, en partant, qu'il ait en sa main un vase fort cher et vide, et qu'il l'offre à ce Roi souverain. Or, ce vase vide qu'il porte pour offrir, n'est autre choses que le coeur, que nous devons nuit et jour vider et purifier de toute volupté et de tous les désirs de la gloire passagère.

Quand il faudra introduire un tel évêque au royaume de gloire, Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, avec toute la milice céleste, lui viendra au-devant. Alors il entendra les anges qui diront : O notre Dieu ! ô notre joie ! ô tout notre bien ! Cet évêque a été pur en sa chair, généreux en l'action : il est donc raisonnable que nous vous la présentions, car il a toujours désiré notre compagnie. Partant, accomplissez ses désirs, et par son arrivée, augmenter notre gloire. Alors, tous les saints diront : O Dieu éternel ! Notre joie vient de vous, est en vous, sort de vous, et nous n'avons besoin que de vous. Néanmoins, notre joie est excitée par la joie de cet évêque, qui vous a désiré autant qu'il a pu, car il a porté des fleurs très odoriférantes en sa bouche, par lesquelles il a augmenté notre nombre. Il en a porté en son oeuvre, fleurs qui rafraîchissaient ceux qui habitaient près et loin de lui. Partant, donnez-lui la grâce de se réjouir avec nous ; et vous aussi, réjouissez-vous, puisqu'en mourant, vous lui désiriez tant de joie. Le Roi de gloire leur dira enfin : O mon ami, vous êtes venu me présenter le vase de votre coeur vide de vous-même et de votre propre volonté : c'est pourquoi je vous remplis de plaisirs indicibles et de ma gloire éternelle ; ma joie sera la vôtre, et je ne finirai jamais, mais je conserverai éternellement votre gloire.



Chapitre 4. de la concupiscence des mauvais évêques.

3004   La sainte Mère de Dieu parle à la fille, sainte Brigitte, de la concupiscence des mauvais évêques. Comment plusieurs obtiennent une dignité spirituelle, à raison de leur bonne volonté, que les évêques désordonnés méprisent ; et il est montré par un exemple ceux qui y sont appelés corporellement.

  La Sainte Mère de Dieu, parlant à l'épouse de son Fils, sainte Brigitte, lui dit : Vous pleurez en pensant que l'amour de Dieu envers les hommes est très grand, et que l'amour des hommes et petit envers Dieu. Véritablement, cela est ainsi, car quel est ce seigneur, ou évêque, qui ne désire plus avidement les charges pour en obtenir l'honneur du monde ou les richesses, que pour en secourir de ses propres mains les pauvres nécessiteux ? Et partant, puisque les seigneurs ni les évêques ne veulent pas venir aux noces préparées à tous dans le ciel, les pauvres et les infirmes y viendront, comme je vous le montrerai par un exemple.

Dans une cité, il y eut un évêque sage, beau et riche, qui, étant loué de sa sagesse et de sa beauté, n'en rendait pas grâces comme il devait à Dieu, qui lui avait donné la sagesse. Il était aussi loué et honoré à raison des ses richesses, et partant, il donnait beaucoup pour acquérir les fumées des faveurs mondaines. Il a aussi ardemment désiré beaucoup de richesses pour donner plus largement et pour se faire honorer davantage. Cet évêque avait en son évêché un clerc savant qui savait les pensées de son évêque. Cet évêque, disait-il à part soi, aime moins Dieu qu'il ne faut. Sa vie est tout employée et occupée au siècle. Partant, s'il plaisait à Dieu, je désirerais son épiscopat pour en honorer Dieu. Je ne désire pas de vrai pour l'honneur du monde, car il n'est que vent et fumée ; ni pour les richesses, car je ne dois avoir qu'un raisonnable repos, en sorte que mon corps puisse subsister au service de Dieu ; mais je le désire seulement pour Dieu et pour son honneur ; et bien que je sois indigne de tout honneur, néanmoins, pour gagner plusieurs âmes à Dieu, et pour profiter à plusieurs par parole et par exemple, et pour sustenter plusieurs pauvres des biens de l'Eglise, je recevrais la charge épiscopale, et j'entreprendrais de la porter ; car Dieu sait qu'une mort dure et amère me serait plus agréable et un supplice plus doux à supporter que la dignité épiscopale ; car bien que je sois sujet, comme les autres, aux passions furieuses, néanmoins, celui qui désire l'épiscopat désire une bonne oeuvre. Partant, je désire franchement l'honneur d'un évêque avec la charge épiscopale. L'honneur, en vérité, je le désire pour le salut de plusieurs, et la charge, pour l'honneur de Dieu et pour mon salut et le salut des âmes ; pour cette fin seule, je le souhaite, afin que je puisse largement distribuer les biens de l'Eglise aux pauvres, instruire les âmes plus librement, ramener plus fidèlement les errants et les dévoyés, mortifier plus sévèrement ma chair, me composer et me compasser plus soigneusement pour l'exemple et l'édification des autres.

Or, ce chanoine admonesta son évêque prudemment et sagement de tout cela ; mais l'évêque, portant aigrement ses paroles, confondit publiquement et imprudemment ce chanoine, se vantant d'être modéré et suffisant à tout, et le disant. Or, le chanoine pleura les excès de l'évêque, souffrant patiemment néanmoins les injures qu'il lui avait faites ; mais l'évêque, se moquant de la charité et de la patience du chanoine, médisait tellement de lui, qu'il en était réputé insensé et menteur, et que l'évêque était réputé juste et circonspect.

Enfin, quelque temps s'étant écoulé, l'évêque et le chanoine décédèrent et furent appelés au jugement de Dieu, en la présence duquel et des anges il semblait qu'on eût placé une chaire dorée, et devant la chaire, une mitre épiscopale et tout son ornement. Une grande multitude de diables suivaient le chanoine, désirant ardemment de trouver en lui quelque péché mortel : car de l'évêque, ils en étaient aussi certains que la baleine est assurée des petits poissons qui sont dans son ventre, au milieu des orages de la mer. Or, plusieurs plaintes et accusations étant proposées contre l'évêque, savoir : pourquoi et en quelle intention il avait pris la dignité épiscopale ; pourquoi il s'était enorgueilli du bien des âmes ; en quelle manière il avait régi et gouverné les âmes qui lui avaient été confiées ; ce qu'il avait fait pour Dieu en reconnaissance des faveurs dont il l'avait éminemment comblé.

Or, l'évêque n'ayant rien à répondre justement à ce qu'on lui demandait, le Juge lui dit : Qu'on pose sur la tête de l'évêque de la boue au lieu de mitre ; dans ses mains, de la poix au lieu de gants ; de la fange au pieds au lieu de sandales ; pour chemise et pour lin épiscopal, le plus sale et le plus puant des linges ; pour l'honneur, honte et confusion ; pour une famille plantureuse, qu'il ait une cruelle troupe de démons. Le Juge ajouta soudain : Qu'on mette sur la tête du chanoine une couronne rayonnante comme un soleil ; qu'on donne à ses mains des gants dorés ; qu'on chausse ses pieds, et qu'on l'habille avec tout l'honneur d'un vêtement épiscopal.

Quand le chanoine fut revêtu de la sorte, il fut présenté au Juge de la milice céleste, avec honneur, comme un évêque, et le misérable évêque descendit comme un larron qui a la corde au cou ; et le Juge détournait de lui les yeux de sa miséricorde ; et aucun des saints ne le voulait regarder.

Voyez comme quelques-uns, à raison de leur bonne volonté, obtiennent spirituellement les dignités que méprisent ceux-là qui les ont de fait. Tout ceci se faisait en Dieu en un moment ; mais pour votre considération, il a été prononcé par paroles, car devant Dieu, mille ans sont comme une heure. Il est aussi arrivé souvent que, quand les seigneurs et les évêques ne veulent faire la charge et l'office auxquels ils sont appelés, Dieu choisit pour soi de pauvres prêtres et des sonneurs de cloches, qui vivant en la meilleure conscience qu'ils peuvent, profiteraient franchement aux âmes, s'ils pouvaient, à l'honneur et à la gloire de Dieu ; et faisant ce qu'ils peuvent, ils possèdent les lieux préparés pour les évêques, car Dieu fait comme celui qui mettrait une couronne aux portes de sa maison et dirait à tous les passants : Quiconque, de quelque état et de quelque condition que ce soit, s'il veut, peut mériter cette couronne avec la grâce ; et celui qui sera noblement et éminemment enrichi des vertus, l'obtiendra. Néanmoins, sachez que si les évêques et les seigneurs sont sages d'une charnelle sagesse, Dieu est plus sage qu'eux, qui exalte les humbles et n'approuve point les superbes. Saches encore que ce chanoine qui est tellement loué, n'eut pas lui-même soin du cheval, quand il allait prêcher, ni d'allumer son feu au repas ; mais on le servait, et il avait ce qui lui était nécessaire pour se sustenter raisonnablement ; il avait aussi de l'argent, mais non pour assouvir ses désirs, car quand il aurait eu toutes les richesses du monde, il n'eût pas donné un denier pour être évêque ; pour tout au monde il n'eût pas laissé sons évêché, si cela eût été agréable à Dieu ; mais il avait toute sa volonté à plaire à Dieu, prêt à être honoré, afin que Dieu fût honoré, et disposé à être humilié et abaissé pour l'amour et la crainte de Dieu.



Chapitre 5 de la prière des bons pour le peuple.

3005 Saint Ambroise parle à Sainte Brigitte, épouse de Jésus-Christ, de la prière des bons pour le peuple. Comment sont désignés, les seigneurs séculiers et ecclésiastiques, par les gouverneurs ; par les tempêtes et les orages, la superbe, etc. et par le port, l'entrée de la vérité. De la vocation de l'épouse à l'esprit.

  Il est écrit que jadis les amis de Dieu criaient, disant : Plût à Dieu qu'il rompît les cieux, et qu'il descendît pour délivrer et affranchir le peuple d'Israël ! Semblablement, en ce temps, les amis de Dieu crient, disant : O Dieu très doux ! nous voyons un peuple innombrable périr en des orages misérables, attendu que les gouverneurs sont avides et insatiables d'appliquer leurs sujets à ce d'où ils pensent retirer plus de rentes, se conduisant, là où il y a les plus horribles abîmes d'eaux ; le peuple, ignorant l'assurance du port, et à raison de cela, un peuple quasi juif, y fait un misérable naufrage, et trop peu viennent au port salutaire. Partant, nous vous prions, vous qui êtres le Roi de toute gloire, de daigner illuminer le port des rayons de votre Divinité, afin que le peuple évite les écueils, et qu'il n'obéisse point à ses mauvais conducteurs, mais se détourne d'eux, mais qu'il soit directement conduit par votre lumière divine au port de salut.

Par les gouverneurs sont entendus tous ceux qui ont au monde puissance corporelle et spirituelle, car la plupart de ceux-là aiment tellement leur volonté propre, qu'ils ne se soucient point de l'utilité des âmes de leurs sujets, mais se plongent volontairement dans les ondes impétueuses du monde, de la superbe, de la cupidité et des immondicités ; la communauté misérable imite et suit leurs actions, croyant que cette voie est juste et droite, la voyant pratiquée par les juges ; et de la sorte, ils se perdent misérablement, perdant leurs sujets pour le misérable désirs qu'ils ont de suivre leurs appétits désordonnés.

Par le port, j'entends l'entrée de la vérité, qui est maintenant tellement obscurcie devant plusieurs, que quand quelqu'un dit que la vérité est la voie pour aborder au port de la vie céleste, qui est l'Evangile sacré de Jésus-Christ, ils disent que ce sont des mensonges, suivant plutôt les oeuvres de ceux qui se plongent en toute sorte de péchés, que croire à ceux qui prêchent la vérité évangélique. Par la lumière que les amis de Dieu demandent, j'entends quelque divine révélation faite au monde, afin que l'amour de Dieu soit renouvelé dans les coeurs des hommes, et que sa justice ne soit ni oubliée ni négligée. C'est pourquoi il a plu à Dieu, par sa grande miséricorde et par les demandes de ses amis, de vous appeler par le Saint-Esprit, afin de voir, d'ouïr et d'entendre spirituellement, et de révéler à autrui ce que vous auriez ouï en esprit, selon le vouloir de Dieu.




Révélations de Sainte Brigitte de Suède 2030