Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3006

Chapitre 6 Saint Ambroise parle à quelque épouse sous les formes et figures d'un mari, d'une femme et d'une chambrière.

3006   Saint Ambroise parle à quelque épouse sous les formes et figures d'un mari, d'une femme et d'une chambrière. Comment un mauvais évêque est signifié par l'adultère, l'Eglise par la femme, et l'amour du monde par la servante. De la sentence cruelle fulminée contre ceux qui adhèrent plutôt au monde qu'à l'Eglise

  Je suis Ambroise, l'évêque, qui vous apparaît, parlant avec vous par quelque similitude, car votre esprit ne saurait comprendre les choses spirituelles sans quelque similitude corporelle.

Il y avait un homme marié à une femme légitime, grandement belle, sage et prudente, à qui néanmoins la chambrière plaisait plus que sa femme ; et de ceux-ci sortaient trois choses : la première, que les paroles et les gestes de la servante réjouissaient plus son coeur que sa femme ; la deuxième, qu'il habillait la servante des plus belles étoffes, ne se souciant pas que sa femme fût vêtue d'étoffes communes, voire même des plus viles et déchirées ; la troisième qu'il avait coutume de demeurer neuf heures avec la servante, et une heure avec sa femme. Car la première heure, il l'employait à veiller avec sa servante, se réjouissant de contempler sa beauté. La deuxième, il dormait entre ses bras. La troisième, il supportait le travail pour l'amour d'elle. La quatrième, après la lassitude du corps, il se reposait avec elle. La cinquième heure, il l'employait à lui ôter les inquiétudes d'esprit et à avoir soin que rien ne lui manquât. La sixième, il contenait son esprit du soin qu'il avait eu que rien ne lui manquât. A la septième heure, l'ardeur de la concupiscence le brûlait. A la huitième, la satisfaisait. A la neuvième, il omettait ce qu'il lui était loisible de faire. A la dixième, il faisait ce qui ne plaisait pas à sa femme, de sorte qu'il demeurait seulement une heure avec sa femme.

Or, quelque parent de la femme venant à cet adultère, le reprit, lui disant : Retournez à votre légitime femme, en l'aimant et la revêtant comme il faut, et demeurant avec elle neuf heures, et une heure avec la servante : autrement, sachez que vous mourrez malheureusement.

Par cet adultère, dit Saint Amboise, j'entends le pévoyeur de cette église, qui a la charge et l'office d'évêque, et dont la vie est la vie d'un adultère. Et de fait, l'évêque est tellement conjoint par l'union spirituelle avec l'Eglise, qu'elle devrait être son épouse très chère ; il a néanmoins retiré d'elle le coeur et l'amour, aimant beaucoup plus le monde servile que sa maîtresse, son excellente et amoureuse épouse. C'est pourquoi il a fait trois malheurs : le premier est qu'il se réjouit plus des allèchements trompeurs du monde, que des belles et excellentes qualités de la Sainte Eglise. Le deuxième est qu'il aime grandement l'ornement et l'éclat du monde, sans se soucier de la défectuosité et pauvreté de l'ornement de l'Eglise. Le troisième est, qu'il emploie neuf heures pour le monde, et la dixième heure seulement pour l'Eglise Sainte, car il veille la première heure joyeusement avec le monde, contemplant avec plaisir sa beauté et son éclat. A la deuxième heure, il repose entre les bras du monde, qui sont la hauteur des murailles et la vigilance des hommes armés, entre lesquels il dort doucement, pensant tenir là heureusement l'assurance de son corps. A la troisième heure, il supporte joyeusement le labeur et la peine pour des commodités mondaines, afin qu'avec cela, il se réjouisse corporellement. A la quatrième heure, après avoir travaillé, il repose franchement son corps, car il a à suffisance tout ce qui lui plaît. A la cinquième heure, il a un monde d'inquiétudes d'esprit, de ce qu'il veut être estimé un grand et sage pourvoyeur du monde. A la sixième heure, il a le repos de l'esprit avec joie, voyant que son soin plaît universellement à tous les mondains. A la septième heure, entendant et voyant les choses délectable du monde, il les attire dans son coeur, où il en brûle avec une impatience intolérable. A la huitième, il accomplit actuellement et défait ce qu'auparavant il avait ardemment désiré. A la neuvième, il laisse inutilement quelques plaisirs, afin de ne sembler offenser ceux qu'il aime charnellement. A la dixième heure, il fait quelque bonne oeuvre, mais à regret, d'autant qu'il craint de se rendre infâmes et méprisable, et d'être jugé misérablement, s'il omet quelque chose entièrement pour quelque autre fin. Cette dixième heure, il l'emploie seulement avec la Sainte Eglise.

Le bien qu'il fait ne vient pas de la charité, mais de la crainte, craignant le supplice du feu de l'enfer. En effet, s'il pouvait vivre éternellement sans danger du corps, abondant en choses mondaines, il ne se soucierait point d'être privé de la félicité éternelle.

  Partant, je vous dis certainement, jurant de la part de Dieu, que celui qui n'aura point le commencement n'aura point aussi la fin. Que s'il ne se convertit bientôt à la Sainte Eglise, employant les neuf heures avec elle, et avec la servante, c'est-à-dire, le monde une heure, non pas néanmoins en l'aimant, mais ayant à regret et par contrainte ses richesses et ses honneurs, conformément à l'office épiscopal, disposant humblement et raisonnablement le tout pour l'honneur de Dieu, il aura en son âme des persécutions spirituelles aussi grande que celle de celui (pour parler par similitude), qu'on frapperait à la tête; dont tout le corps se dissoudrait jusqu'à la plante du pied; dont les veines et les nerfs se rompraient; dont les os seraient fracassés, et dont la moelle coulerait misérablement partout; et comme ce coeur semblerait être amèrement tourmenté, si le sommet de la tête et les membres voisins étaient en telle sorte frappés que la plante des pieds les plus éloignés en seraient blessés, de même cette âme misérable étant près d'ouïr prononcer la sentence divine, il lui semblera qu'elle est percée et outrée amèrement d'un coup si misérable, tandis qu'il voit que sa conscience est partout intolérablement blessée.



Chapitre 7 Comment un évêque qui aime le monde est comparé à un éventoir

3007   La Sainte Vierge Marie parle à l'épouse de Jésus-Christ. Comment un évêque qui aime le monde est comparé à un éventoir plein de vent et à une tortue croupissante en la pourriture; et comment celui-là sera jugé à l'opposite de Saint Ambroise, évêque.

  L'Ecriture dit que celui qui aime son âme en ce monde, la perd. Or, cet évêque aime son âme selon ses voluptés profanes, et la délectation spirituelle n'est point en son coeur. Partant, on le peut très bien comparer à un éventoir, plein de vent auprès du fourneau : car comme les charbons étant brûlés et l'air brûlant cessé, il demeure encore du vent dans l'éventoir, de même, bien que cet évêque donne à sa nature tout ce qu'il désire, consommant le temps inutilement, néanmoins, la même délectation demeure en désir et sentiment, et lui désire satisfaire, comme le vent demeure dans l'éventoir, car sa volonté ne se porte qu'à la superbe et aux ambitions du monde, lesquelles l'endurcissant dans son coeur, il donne à autrui l'exemple et l'occasion de pécher, lesquelles étant consommées en péchés, descendent dans l'enfer.

Saint Ambroise, évêque, n'était pas disposé de la sorte ; son coeur était plein de volonté divine ; son boire, son manger et son repos étaient raisonnable ; rejetant et repoussant loin de soi les voluptés du péché, il a parfaitement, utilement et honorablement employé son temps. Et de fait, on le peut appeler l'éventoir des vertus, car il a guéri les blessures du péché par les paroles de vérité ; il a allumé les froids du divin amour, par l'exemple de ses bonne oeuvres et par la pureté de sa vie ; il a tempéré, voire refroidi ceux qui brûlaient des feux des voluptés, et de la sorte, il a aidé plusieurs, afin qu'ils ne se précipitassent pas dans l'enfer, car la délectation divine arrosa doucement son coeur tant qu'il vécut.

Mais cet évêque est semblable à une tortue, qui croupit en sa pourriture naturelle, et attire sa tête vers la terre : de même bourbiers abominables des voluptés, tirant son âme à la terre, non au ciel. Qu'il se rappelle ces trois choses : 1° comment il s'est acquitté de l'office sacerdotal; 2° qu'est-ce que signifient ces paroles de l'Evangile : Les vêtements sont vêtements de brebis, mais au-dedans, ce sont des loups ravisseurs ; 3° pourquoi les choses temporelles lui touchent tant au coeur, et pourquoi le Créateur de toutes choses est aimé si froidement.


Chapitre 8 La Sainte Vierge Marie parle à l'épouse de Jésus-Christ de sa propre perfection,

3008   La Sainte Vierge Marie parle à l'épouse de Jésus-Christ de sa propre perfection, excellence des appétits déréglés des docteurs de ce temps, et de leur fausse réponse à la question que la Sainte Vierge leur avait faite.

  La Sainte Vierge Marie dit : Je suis celle qui ai été de toute éternité en l'amour divin, et dès mon enfance, le Saint-Esprit était parfaitement avec moi. Vous pourrez prendre un exemple de ceci, de la noix, laquelle croît quand le zeste qui est au dehors croît ; le noyau qui est au dedans croît aussi, de sorte que la noix en croissant est toujours pleine, ne donnant place à rien qui vienne de l'extérieur. De même, moi, dès mon enfance, j'ai été pleine du Saint-Esprit, et il me remplit tellement à mesure que je croissais en corps et en âge avec tant d'abondance, qu'il n'a rien laissé de vide en moi pour donner entrée ni place au péché. Et partant, je suis celle qui n'a jamais commis un péché véniel ni mortel, car de fait, j'ai été si ardente en l'amour de Dieu que rien ne m'a plu, sinon la perfection de la volonté de Dieu, car le feu de l'amour divin brûlait incessamment dans mon coeur. Dieu aussi, qui est béni sur toutes choses, qui m'a créée par sa puissance et m'a remplie de la vertu du Saint-Esprit, m'a aimée ardemment. La ferveur de son amour fit qu'il m'envoya un messager, me faisant entendre par lui ses volontés, savoir, que je fusse Mère de Dieu ; et ayant connu que c'était la volonté divine, soudain le feu d'amour que j'avais dans mon coeur me fit prononcer cette parole d'obéissance, par laquelle je répondis au messager : Qu'il me soit fait selon votre parole ; et au même instant, le Verbe fut fait chair en moi, et le Fils de Dieu a été fait mon Fils, et de la sorte, nous avons tous deux un même Fils, qui est Dieu et homme, et moi semblablement je suis Vierge Mère. Il est homme très sage et vrai Dieu, Jésus-Christ, qui, demeurant en mon ventre, me donna alors tant de sagesse, que, non seulement je puis entendre la sagesse de tous les docteurs, mais encore la voir dans leur coeurs, Dieu me la manifestant, et pénétrer si leurs paroles sortent de la divine charité, ou bien de l'artifice de leur science.

Partant, vous qui entendez mes paroles, dites à ce docteur que je l'interroge sur trois choses :

1° s'il désire plus les faveurs et l'amitié de l'évêque corporellement, que de présenter spirituellement son âme à Dieu ;

2° s'il prend plus de plaisir et de délectation en l'esprit de l'abondance des richesses, que dans leur privation ;

3° laquelle de ces deux choses le contente le plus, ou d'être appelé docteur et maître, et demeurer entre les plus honorés avec leur vanité mondaine, ou bien d'être appelé simple frère et demeurer avec les derniers.

Qu'il sonde avec soin ces trois choses, car s'il aime son évêque plus corporellement que spirituellement, il s'ensuit qu'il lui parle de ce en quoi il se plaît : c'est pourquoi il ne lui défend pas les péchés dans lesquels il se plonge. Que s'il se plaît plus en l'abondance des richesses qu'en leur privation, il aime plus les richesses que la pauvreté, et conseille le même à ses amis, leur disant qu'ils possèdent tout ce qu'ils pourront acquérir, que de laisser, le pouvant faire librement ; que s'il se plaît au nom de maître pour l'honneur du monde et pour avoir rang avec les honorables, alors il aime plus la superbe que l'humilité, d'où vient que, devant Dieu, il est plus semblable aux ânes qu'aux maîtres, car alors, il mâche la vile litière des bêtes, lui qui acquiert la science sans le bon blé de la charité ; car l'amour divin ne pourrait subsister en un coeur superbe.

  Après qu'il eut fait ses excuses, il dit qu'il aimait plus présenter spirituellement l'âme de l'évêque à Dieu, que l'aimer corporellement, et plus la pauvreté que les richesses, et qu'il ne se souciait aucunement du nom de maître.

La sainte Mère de Dieu lui répliqua et lui dit : Je suis celle qui a ouï de la bouche de Gabriel la vérité et cru sans douter d'où vient qu'il prit chair humaine de mon coeur et demeura en moi. J'ai engendré la même Vérité, qui est de soi Dieu et homme; et parce que la Vérité, qui est Fils de Dieu, a voulu venir à moi, demeurer en moi et naître de moi, j'entends pleinement s'il y a vérité en la bouche des hommes ou non ; mais je demande au maître trois choses.

Je dirais qu'il m'aurait très bien répondu, si la vérité était en ses paroles ; mais parce qu'elle n'était point en elles, c'est pourquoi je l'avertis de trois autres choses :

1° il y a quelque chose qu'il aime et qu'il désire corporellement, et il ne l'obtiendra pas ; 2° cela même qu'il possède maintenant, il le perdra avec la joie mondaine ;

3° les petits entreront dans le ciel, et les grands demeureront dehors, d'autant que la porte est étroite.


Chapitre 9 de la manière dont ceux qui voient et entendent, etc. fuient les dangers

3009   La Sainte Vierge parlait à l'épouse de Jésus-Christ de la manière dont ceux qui voient et entendent, etc. fuient les dangers, étant illuminés par les rayons du soleil ; et de ce qui arrive aux sourds et aux aveugles, etc.

  La Mère de Dieu disait : Bien que l'aveugle ne voie pas, néanmoins, tandis qu'il tombe dans le précipice, le soleil reluit en la splendeur de sa clarté et de son éclat Ceux qui sont clairvoyants, étant par le chemin, se réjouissent d'avoir évité les précipices avec cette lumière. Et bien que le sourd n'entende pas, néanmoins, celui qui entend, entend l'impétuosité d'un torrent qui tombe et fond horriblement sur le sourd, et il l'évite en s'enfuyant en quelque lieu assuré. Et bien que la mort ne puisse rien apporter de bon, néanmoins, pourrissant parmi la vermine, sa boisson conserve quelque douceur et quelque saveur, car lorsqu'il vivait, il avalait avec joie le calice des douleurs, et il était courageux à l'entreprise de toute sorte d'oeuvres généreuses.


Chapitre 10 assurance des choses susdits, des périls proches et éminents de la ruine de l'Eglise,

3010   La Sainte Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, lui donnant assurance des choses susdits, des périls proches et éminents de la ruine de l'Eglise, et en quelle manière, comme nous le voyons maintenant en plusieurs, les économes de l'Eglise (hélas ! quel malheur !) sont adonnés à la vie lubrique, à la cupidité, à prodigaliser les liens de l'Eglise par orgueil. De l'ire de Dieu provoquée contre telle sorte d'économes.

  La Mère de Dieu dit : Ne craignez pas en croyant que ce que vous verrez maintenant soit de l'esprit du diable, car comme par l'approche du soleil, deux choses arrivent, la lumière et la chaleur, à ceux qui ne suivent pas les lumières et la chaleur, à ceux qui ne suivent pas les lumières palpables, de même, par la venue du Saint-Esprit, viennent deux choses en votre coeur, savoir : la parfaite lumière de la sainte foi et l'ardeur de l'amour divin. Or, vous ressentez maintenant ces deux choses. Le diable aussi, qui est comparé aux nuits palpable, ne suit pas ces choses. Envoyez donc à lui le nonce que je vous ai nommé. Or, bien que je sache son coeur et sa réponse, et la prompte et proche fin de sa vie, néanmoins, vous lui devez envoyer les paroles suivantes.

Je le fais enfin certain qu'à la droite de la sainte Eglise, le fondement est tellement ruiné, que le sommet de la voûte a de grandes ruptures, menaçant de ruine totale grandement dangereuse, de sorte que plusieurs de ceux qui y viennent y perdront la vie. Plusieurs colonnes, qui devraient être debout, se courbent maintenant jusqu'à terre ; le pavé est tellement fossoyé et défait, que les pauvres aveugles, en y entrant, tombent avec péril de leur vie ; les clairvoyants mêmes y choppent lourdement ; et pour cela, l'Eglise de Dieu est en un grand danger, et n'a rien de si proche qu'une ruine totale. Certainement, je vous dis que si on ne la rétablit, la ruine en sera si grande qu'on la saura par toute la chrétienté.

Or, je suis cette Vierge en laquelle Jésus-Christ a daigné descendre sans aucune volupté charnelle. Et le même Fils de Dieu est sorti de mon sein, qui est demeuré clos avec grande consolation et sans peine. J'ai demeuré auprès de la croix, quand il surmontait l'enfer avec une patience invincible et victorieuse, et ouvrait le ciel par le sang de son coeur. J'étais aussi sur la montagne, quand le Fils de Dieu, qui est aussi mon Fils, monta au ciel. J'ai connu aussi très clairement tout la foi catholique, qu'il avait enseignée en évangélisant tous ceux qui voulaient entrer dans le ciel. Partant, moi qui suis la même, j'assiste maintenant par-dessus le monde en continuelle oraison, comme sur les nuées l'arc du ciel, qui semble s'incliner vers la terre et la toucher de ses deux bouts. Par l'arc-en-ciel, j'entends moi-même, moi qui, par ma prière, m'incline et m'abaisse aux habitants de la terre, tant bons que mauvais. Je m'incline aux bons, afin qu'ils soient fermes et constants dans les choses que la sainte Eglise leur commande, et aux mauvais, afin qu'ils n'avancent pas en leur malice et qu'ils ne deviennent pires. Je vous fais donc connaître celui que je vous ai nommé, que, d'une partie de la terre, s'élèveront des nuées horribles contre la clarté et l'éclat de l'arc. Par ces nuées, j'entends ceux-là qui mènent une vie lubrique, et sont insatiables d'argent comme un gouffre et un abîme de mer. Emus de superbe, ils donnent aussi les biens raisonnablement et prodigalement, comme un impétueux torrent verse de l'eau. Plusieurs, maintenant, économes de l'Eglise, exercent ces trois choses, et leurs horribles péchés montent jusqu'au ciel, en présence de la Divinité, contre ma prière, comme les nuées cruelles contre l'éclat de cet arc. De même aussi, ceux qui devraient apaiser avec moi l'ire de Dieu, la provoquent et l'attirent sur eux, et de tels économes ne devraient pas êtres exaltés dans l'Eglise. Quiconque donc voudra prendre soin que le fondement de l'Eglise soit stable, et que la vigne sainte et bienheureuse que Dieu a plantée par son soin, soit renouvelée et rétablie, s'il s'humilie, se jugeant insuffisant et incapable, moi, Reine du ciel, je viendrai à lui pour le secourir avec tous les anges, extirpant les racines fausses, arrachant les arbres infructueux et les mettant au feu, et entant en leur lieu des greffes fructueux et plantureux. Par la vigne, j'entends l'Eglise de Dieu, en laquelle on doit renouveler l'humilité et l'amour divin.

  ADDITION

Ce qui suit est une addition au chapitre.

(Le Fils de Dieu parle des nonces du pape) : Vous êtes venus en la société des grands, et vous montez encore à des choses plus grandes. Partant, celui qui travaille mérite grandement que son humilité soit exaltée, puisque la superbe était trop montée. Sera aussi accueilli avec grand honneur celui qui a une grande charité envers les âmes, car l'ambition et la simonie règnent maintenant en plusieurs. Heureux aussi sera celui que s'efforce tant qu'il peut que les vices soient extirpés du monde, car les vices prévalent et règnent plus qu'il ne faut et plus qu'ils n'avaient accoutumé. Il est aussi très utile de faire et de demander pénitence, car dans les jours de plusieurs qui vivent maintenant, le soleil sera divisé, les étoiles seront confondues ; là la sapience sera assottie et affolée ; les humbles cacheront leur feu en terre, les audacieux prévaudront. C'est sagesse d'entendre et d'interpréter ceci à ceux qui savent égaler ce qui est raboteux et prévoir ce qui est à venir. (Cette précédente révélation fut faite au cardinal d'Albane, qui était alors prieur.)


Chapitre 11 révélation faite à un légat cardinal, l'an du jubilé

3011   Paroles de foi que Sainte Brigitte dit à Jésus-Christ. Manière dont Saint Jean-Baptiste l'induit à la certitude de ce que Notre-Seigneur lui dit. Félicité d'un bon riche. Comment un évêque indiscret est semblable à un singe, à cause de sa sotte légèreté et de sa méchante vie.

  L'épouse Sainte Brigitte, en oraison, parlait à Jésus-Christ, lui disant humblement : O mon Seigneur Jésus-Christ, je me confie si fermement en vous, que je croirais que même, si un serpent était couché auprès de ma bouche, il n'y entrerait point, à moins que vous le permissiez pour mon bien.

Saint Jean-Baptiste lui répondit : Celui qui vous apparaît est Fils de Dieu, duquel le Père, comme je l'entendis, porta témoignage, disant : Celui-ci est mon Fils. C'est celui duquel le Saint-Esprit procède, et du Père, qui apparut sur lui en forme de colombe, lorsque je le baptisais. C'est celui qui est, selon la chair, le vrai Fils de la Vierge, dont j'ai touché de mes mains le corps. Croyez donc fermement et entrez dans ses voies, car c'est lui qui a montré les voies droites pour monter au ciel, par lesquelles le pauvre et le riche peuvent y monter.

Mais vous me demanderez comment le riche doit être disposé pour entrer au ciel, puisque Dieu même a dit qu'il est plus facile qu'un chameau entre par le trou d'une aiguille que le riche entre dans les cieux. (Math. 10. Luc.
Lc 19 Lc 10) Je vous réponds à cela : Le riche, qui est disposé en cette sorte qu'il ne veuille rien en soi de mal acquis ; qui est soigneux que ses biens ne se dépensent inutilement et contre Dieu ; qui, les possédant à regret, en désire librement séparer l'affection et l'honneur mondain qui lui en reviennent ; qui se trouble de la perte des âmes et du déshonneur qu'on rend à Dieu ; et bien qu'il soit contraint par la dispense divine d'aimer en quelque manière le monde, néanmoins, veille de toute son intention à l'amour de Dieu : un tel riche est fructueux, heureux et cher à Dieu.

Mais cet évêque dont nous parlons n'est pas riche de la sorte, car de fait, il est semblable à un singe qui a quatre conditions :

1° on lui fait des vêtements qui le couvrent entièrement, hormis les parties honteuses;

2° il touche de ses doigts les choses puantes ;

3° il a seulement la face humaine et tout le reste bête ;

4° bien qu'il ait des pieds et des mains, il foule de ses doigts la boue.

  De même l'évêque insensé est comme le singe, curieux en la vanité du monde, difforme dans les oeuvres louables, car il a ses vêtements, c'est-à-dire, les ordres épiscopaux, qui sont grandement honorables et précieux devant Dieu. Mais ses hontes paraissent toutes nues, attendu que la légèreté de ses moeurs et ses affections brutales se manifestent aux hommes à la ruine des âmes ; contre ceci, dit ce chevalier généreux, que les hontes des hommes ont plus d'honnêteté, marquant en cela que les mouvements brutaux des ecclésiastiques doivent être cachés par l'éclat des bonnes oeuvres, de peur que leur exemple ne scandalise les infirmes.

  Le singe aussi sent et touche ce qui est puant. Qu'est-ce que le doigt fait, sinon montrer ce qu'on a vu? Comme moi, voyant Jésus-Christ en son humanité, je dis : Voici l'Agneau de Dieu. Les doigts donc d'un évêque ne sont autre chose que les moeurs louables avec lesquelles il doit montrer la justice divine et la charité. Mais maintenant, il montre par les oeuvres qu'il est riche et généreux, sage du monde et prodigue d'argent. Or, que signifient ces choses, sinon porter ses doigts aux choses puantes ? Car se glorifier de la chair et du sang d'une nombreuse et féconde famille, qu'est-ce autre chose, sinon se glorifier des sacs enflés ?

  Le singe aussi a une face humaine, mais le reste est en forme de bête : de même celui-ci a son âme enrichie d'un caractère divin, mais elle est enlaidie par sa cupidité.

  Quatrièmement, comme le singe touche et foule la terre boueuse avec les pieds et avec les mains, de même celui- ci ne désire que la terre en ses oeuvres et en ses mains, détournant ses yeux du ciel, et les tournant vers la terre, comme un animal oublieux. Une telle personne pourrait-elle apaiser l'ire de Dieu ? Nullement, mais elle provoque davantage et attire sur elle la justice divine.


  ADDITION.

Cette révélation a été faite à un légat cardinal, l'an du jubilé, etc. Le Fils de Dieu parle en ces termes : O contentieux superbe ! Où sont maintenant vos pompes et le riche apparat de vos chevaux ? Vous n'avez pas voulu entendre quand vous étiez en honneur, c'est pourquoi maintenant vous êtes sans honneur. Dites donc, bien que je sache toutes choses, en la présence de cette épouse, ce que je vous demande. Et soudain, une personne tremblante et nue apparut misérablement enlaidie, et le juge lui dit : O âme, vous avez été posée au peuple en chandelier de lumière : pourquoi ne reluisez-vous pas par paroles et par exemple ? L'âme lui répondit : Je ne l'ai ni entendu ne conçu, d'autant que votre amour a été arraché de mon coeur. J'allais comme un homme sans mémoire, et comme un vagabond après les choses présentes, sans regarder ni considérer les choses futures. Cela ayant été dit, l'âme fut privée de la lumière des yeux. Et un Ethiopien, qui était là, dit : O juge, cette âme est à moi : qu'en ferai-je ? Le Juge répondit : Purifiez-la, et examinez-la comme si elle était en la presse, jusqu'à ce que le consistoire soit assemblé, dans lequel on ballottera les allégations des amis et des ennemis.


Chapitre 12 L'épouse parle à Jésus-Christ, en priant pour cet évêque

3012   L'épouse parle à Jésus-Christ, en priant pour cet évêque; Réponses faites par Jésus-Christ à la Sainte Vierge et à Sainte Agnès.

  O, mon Seigneur ! Je sais que pas un n'entre dans le ciel que le Père ne l'attire. Partant, ô Père très clément et très miséricordieux ! Attirez à vous cet infirme évêque. Et vous, ô Fils de Dieu ! Aidez celui qui s'efforce. Vous aussi, ô Saint-Esprit ! Emplissez du feu de votre amour cet évêque qui en est si vide.

Le Père répondit : Si celui qui tire est fort, et si la chose qu'il tire est trop lourde et trop pesante, soudain l'oeuvre sera dissipée et mise à néant. Si celui qui tire est lié, il ne peut pas aider ni soi-même ni celui qui doit être tiré ; et si celui qui tire est immonde, il se rend abominable en tirant et en touchant. Cet évêque est comme un homme qui est en un chemin fourchu, ne sachant de quel côté se tourner ni quelle voie tenir.

L'épouse lui répondit : O, mon Seigneur, n'est-il pas écrit que personne ne demeure stable en même état pendant cette vie, mais il fait progrès ç meilleur ou à pis ? Le Père lui répliqua : L'un et l'autre se peut dire, car il est arrêté comme entre deux voies de joie et de douleur. Il se trouble de l'horreur du supplice éternel ; il affecte d'obtenir les joies célestes, mais néanmoins, il lui semble dur de marcher parfaitement par la voie qui tend aux joies ; il se laisse emporter, en y marchant à ce à quoi la faveur le porte.

Après, Sainte Agnès parla : Cet évêque a les même dispositions qu'aurait un homme qui est entre deux voies, l'une desquelles il saurait être étroite en son commencement, mais agréable à la fin, et saurait que l'autre est délectable pour quelque temps, mais qu'à la fin, elle a un abîme profond et insatiable. Craignant, néanmoins l'insatiabilité de ce profond abîme, telles pensées lui arrivent : Il y a, dit-il, en cette voie agréable, un certain chemin abrégé : si je le puis trouver, j'y marcherai longtemps en assurance, et quand je m'approcherai de la fin et de l'abîme, si je trouve l'abrégé, rien ne me nuira. Et marchant avec assurance par la voie, et étant arrivé à l'abîme profond, il tomba misérablement, car il ne trouva pas le chemin abrégé, comme il pensait. Il se trouve aujourd'hui des hommes de même pensées, disant : Oh ! Qu’il est fâcheux de marcher par une voie si étroite ! Oh ! Qu’il est dur et amer de laisser sa propre volonté et les honneurs ! C'est pourquoi ils se forment une fausse et dangereuse espérance. Longue est notre vie, disent-ils. La miséricorde de Dieu est très grande. Ce monde est délectable et est créé pour le plaisir : partant, n'importe pas si j'use du monde selon mes volontés, car à la fin de la vie, je veux suivre Dieu. Il y a quelque abrégé de cette vie du monde, c'est à dire, la contrition et la confession : si je l'obtiens, je serai sauvé. Une telle pensée de vouloir pécher jusqu'à la fin de sa vie et vouloir lors confesser ses fautes, est une espérance très faible, car ils ne savent pas ce qui arrivera avant leur chute ; mais au contraire, quand ils sont à l'extrémité, souvent ils ressentent une douleur si grande et une fin si soudaine, qu'ils ne pourront aucunement obtenir la contrition, et à juste raison, car ils n'ont voulu prévoir les maux à venir quand ils le pouvaient, mais ils ont mis en leur choix et limite le temps de la miséricorde divine. Ils ne proposaient pas de mettre fin à leurs péchés, avant que le péché ne les eût pu plus délecter.

Semblablement, cet évêque était entre deux voies ; mais maintenant, il s'approche de la voie délectable de la chair, et a devant soi comme trois feuilles qu'il lit. Il lit la première doucement et à suite ; la deuxième, il la lit quelquefois, mais non pas avec plaisir ; la troisième, rarement, mais avec douleur. La première, ce sont les richesses et les honneurs auxquels il se plaît ; la deuxième, c'est la crainte de l'enfer et du jugement où il se trouble ; la troisième, c'est l'amour de Dieu et la crainte filiale, qu'il feuillette rarement, car s'il considérait ce que Dieu a fait pour lui, ce qu'il lui a donné, jamais l'amour de Dieu ne s'éteindrait en son coeur.

L'épouse répondit : O Dame, priez pour lui. Et alors, Sainte Agnès dit : Qu'est-ce que la justice fait, sinon le jugement, et qu'est-ce que la miséricorde fait, qu'allécher ?

La Mère de Dieu parle : On parlera en ces termes à l'évêque : Bien que Dieu puisse faire toutes choses de lui-même, néanmoins, l'homme doit coopérer, afin d'éviter le péché et qu'il obtienne la charité : car il y a trois choses qui induisent à fuir le péché, et il y a trois choses qui induisent à obtenir la charité. Les trois choses par lesquelles on fuit le péché, sont : une pénitence parfaite ; la deuxième, l'intention de ne vouloir jamais pécher ; la troisième, s'amender selon le conseil de ceux qu'il voit avoir méprisé le monde. Et les trois choses pour obtenir l'amour, sont l'humilité, la miséricorde et le labeur de charité, car quiconque ne dirait qu'un Pater noster pour obtenir la charité, bientôt les effets de la charité s'approcheraient de lui.

De l'autre évêque dont je vous ai parlé, je vous dis pour conclusion que les fosses lui semblent trop larges pour les sauter, les murailles trop hautes pour y monter, et les serrures trop fortes pour les rompre : partant, je demeure et je l'attends ; mais lui s'étant tourné à la tête et aux oeuvres de trois troupes, les considère avec plaisir et s'y plonge. La première d'icelles est la danse et le chant mélodieux, auxquels il dit : je me plais à vous ouïr ; attendez-moi. L'autre s'arrête à se mirer, à qui il dit : je me plais à voir ce que vous voyez, car je me délecte beaucoup à cela. La troisième se réjouit et prend son repos, et avec celle-ci, il cherche son repos et son honneur. Mais qu'est-ce que danser et chanter dans le monde, sinon passer d'une joie temporelle à une autre, et d'un appétit d'honneur à un autre ? Mais qu'es-ce que s'arrêter et penser, sinon relâcher ou arracher l'esprit de la contemplation divine, et le porter à la contemplation d'entasser, donner et prodigaliser des choses temporelles ? Or, que signifie se reposer, si ce n'est chercher les plaisirs de la chair ? Considérant donc ces trois troupes, il monta en une montagne haute, et il ne se soucia point des paroles que je lui ai envoyées, ayant mis en oubli cette clause que j'avais mise au contrat, Que s'il me gardait la promesse, je la lui garderais aussi.

L'épouse repartit : O Mère très bénigne ! Ne vous retirez point de lui. La Mère de Dieu lui répondit : Je ne m'en retirerai point jusqu'à ce que la terre reprenne la terre ; voire même s'il rompt les serrures du péché, je lui irai au devant comme une servante et l'aiderai comme une mère. Et la Mère ajouta : Vous, ô ma fille ! Pensez qu'il aurait été la récompense de ce chanoine d'Orléans, si son évêque se fut converti. Je vous dis que, comme vous voyez que la terre produit des herbes et des fleurs de diverses espèces, de même, si tous les hommes eussent louablement persévéré dès le commencement du monde en leur sainte institution, tous eussent reçu une récompense excellente, car tous ceux qui sont en Dieu passent d'une joie indicible en une autre, non pas qu'il y ait dégoût en quelqu'une, mais parce que la délectation s'augmente incessamment, et la joie ineffable s'accroît continuellement.

  DECLARATION.

Cet homme fut un évêque de Vexionen, lequel étant à Rome grandement travaillé de son retour, elle ouït en esprit ces paroles : Dis à cet évêque que ce retardement lui est plus utile que son avancement. Ceux aussi qui, de sa compagnie, sont allés au-devant, le suivront. Quand il sera retourné en son pays, il trouvera que mes paroles sont vraies. Aussi toutes ces choses arrivèrent de la sorte, car en revenant, il trouva que son roi était pris et tout le royaume en confusion. Ceux aussi de sa compagnie qui étaient allés au-devant, furent empêchés par le chemin, et le suivaient de loin. Sachez aussi que cette dame qui était en la compagnie de l'évêque, s'en retournera saine, mais elle ne mourra pas en son pays, et la chose vint de la sorte, car au second voyage, elle (Sainte Brigitte) mourut à Rome et y fut ensevelie.

  AUTRE REVELATION DU MEME EVEQUE.

  Quand Sainte Brigitte descendait du mont Gargan en la cité de Mafredoine, au royaume Puglia, le même évêque, étant en la compagnie de ladite dame, tomba du cheval et se rompit deux côtes. Avant qu'elle partît le matin pour aller à saint Nicolas de Baro, il l'appela, disant : Oh ! Qu’il m'est amer de demeurer ici sans vous ! Et il m'est aussi fâcheux que vous retardiez à mon occasion, principalement à raison de ces hommes corsaires ! Je vous supplie, pour l'amour de Jésus-Christ, de prier Dieu pour moi. Touchez le côté où est ma douleur, car j'espère que, par votre attouchement, ma douleur sera apaisée. Elle, fondant en larmes de compassion qu'elle en avait : O mon Seigneur, dit-elle, je me répute comme si je n'étais pas, et pire, car je suis grandement pécheresse devant Dieu. Néanmoins, nous prierons tous Dieu pour vous, et il répondra à votre foi. Ayant donc fait oraison et se levant, elle toucha le côté de l'évêque, disant : Notre-Seigneur Jésus-Christ vous guérisse ! Et soudain, la douleur cessa, et l'évêque, se levant, suivit Sainte Brigitte par tous les chemins jusqu'à ce qu'elle retourna à Rome.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3006