Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3013

Chapitre 13. les paroles et les oeuvres de Jésus-Christ sont signifiées par le trésor ; la Déité par le chant ; les péchés par les serrures

3013   La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à sa fille de la manière dont les paroles et les oeuvres de Jésus-Christ sont signifiées par le trésor ; la Déité par le chant ; les péchés par les serrures : les vertus par les murailles ; la beauté du monde et les plaisir des âmes par les deux fossés ; et il est expliqué comment se doit gouverner l'évêque à l'endroit des âmes qui lui sont confiées.

  La Mère de Dieu parlait à l'épouse de son Fils, disant : Cet évêque demande ma charité, partant, il doit faire ce qui m'est très cher. Car de fait, je sais un trésor : celui qui le trouvera ne sera jamais la tribulation ni la mort. Quiconque le désirera aura tout le contentement de son coeur avec exaltation et joie. Or ce trésor est caché en un château fermé à quatre serrures, et est entouré de murailles bien hautes, bien épaisses et bien fortes. Hors des murs sont deux profonds et larges fossés. C'est pourquoi je le supplie de passer d'un saut ces deux fossés, de monter d'un pas les murailles, et de rompre d'un coup les serrures, et que de la sorte, il me présente une chose précieuse. Or, maintenant, je vous dirai tout ce que cela signifie.

Chez vous, on nomme trésor ce qui arrive rarement en usage et ce qu'on remue rarement. Ce trésor, ce sont les paroles de mon Fils et les oeuvres précieuse qu'il a faites, et avant la passion, et en sa passion, et aussi les oeuvres admirable qu'il fit, lorsque le Verbe fut fait chair en mon sein, et lorsque tous les jours, sur l'autel, le pain est transubstatié en son corps, par la force des paroles de Dieu.

  Toutes ces choses sont un précieux trésor, qui sont maintenant si négligées et oubliées, qu'il y en a peu qui s'en souviennent et qui s'en servent pour leur avancement. Mais néanmoins, le corps glorieux du Fils est dans un château muni, c'est-à-dire, en la vertu de la Déité, car comme il défend le château contre ses ennemis, de même la puissance de la Divinité de mon Fils défend l'humanité de son corps, afin qu'aucun ennemi ne lui nuise.

Les quatre serrures sont quatre péchés, par lesquels plusieurs sont repoussés de la participation du corps de Jésus-Christ. Le premier est la superbe et les ambitions des honneurs du monde ; le deuxième, les désirs des biens du monde ; le troisième est la volonté sale et brutales, qui tend à remplir immodérément et brutalement le corps ; le quatrième, ce sont la colère, l'envie et la négligence de son propre salut.

Plusieurs aiment trop ces quatre vices et y sont trop accoutumés, c'est pourquoi ils sont grandement éloignés de Dieu, car ils voient le corps de Dieu et le reçoivent ; mais leur âme est tellement éloignée de Dieu que les larrons la désirent dérober, mais ne peuvent, à raison des serrures fortes. C'est pourquoi j'ai dit qu'il rompît d'un coup les serrures. Ce coup signifie le zèle des âmes, par lequel l'évêque doit rompre les pêcheurs avec les oeuvres de justice faites en charité, afin que les serrures du péché étant une fois rompues, le pécheur puisse arriver jusqu'à ce précieux trésor. Et bien qu'il ne puisse frapper tous les pécheurs, qu'il fasse, comme il y est obligé, ce qu'il pourra, et principalement en ceux qui sont sous sa main, ne pardonnant ni au grand ni au petit, ou proche, ou à son allié, ami ou ennemi.

  C'est en cette sorte que se comporta Saint Thomas d'Angleterre, qui, ayant enduré un monde de tribulations pour l'équité de la justice, mourut enfin d'une mort cruelle, attendu qu'il frappa le corps par la justice ecclésiastique, afin que l'âme endurât moins. Que cet évêque imite cette vie, afin que tous sachent qu'il hait ses propres péchés et ceux d'autrui, et alors, un tel coup de zèle est ouï par-dessus tous les cieux en la présence de Dieu éternel et des anges, et plusieurs se convertiront et se rendront meilleurs, disant : Il ne nous hait pas, mais bien nos péchés. Amendons-nous donc, et nous seront amis de Dieu et de lui.

Or, ces trois murailles qui environnent le château, sont trois vertus : la première est quitter les délices du corps et faire la volonté de Dieu ; la deuxième est vouloir plutôt les dommages et les opprobres pour la vérité et la justice, que d'avoir des honneurs et possessions du monde, dissimulant la vérité ; la troisième, ne pardonner ni la vie ni les biens pour le salut de chaque chrétiens.

Mais voyez à quoi s'emploie maintenant l'homme; enfin, il lui semble que ces murailles sont si hautes, qu'il ne les pourra passer en aucune manière : c'est pourquoi les coeurs des hommes n'approchent point de ce corps glorieux avec permanence, ni leurs âmes, attendu qu'elles sont éloignées de Dieu ; et partant, j'ai commandé à mon ami de passer les murailles d'un seul pas ; car chez vous, en appelle un pas, quand on sépare les pas d'une grande distance, pour faire passer vite le corps : de même en est-il du pas spirituel, car quand le corps est en la terre, et l'amour du coeur au ciel, alors on passe par-dessus ces trois murailles, car alors, l'homme se plaît, par la considération des choses célestes, à quitter sa propre volonté, à pâtir repoussements, injures et persécutions pour la justice et l'équité, à mourir pour la gloire de Dieu. Les deux fossés qui sont hors des murs, sont la beauté du monde, la présence et le plaisir de ses amis.

Plusieurs se reposeraient volontiers en ces fossés, et ne ce soucieraient jamais de voir Dieu au ciel. Et partant, les fossés sont larges et profonds : larges, d'autant que les volontés de ces hommes sont distantes et éloignées de Dieu ; profonds, d'autant qu'ils détiennent plusieurs dans les profonds abîmes de l'enfer : c'est pourquoi ces fossés doivent être passés d'un saut ; car qu'est-ce qu'un saut spirituel, sinon arracher son coeur des choses vaines, et saillir de la terre au ciel ?

Il est maintenant montré comment il faut rompre les serrures et passer les murailles. Je montrerai maintenant comment cet évêque doit présenter et offrir une chose la plus précieuse qui ait jamais été.

Certainement, la Divinité a été de toute éternité et sans commencement, et est, attendu qu'en elle on ne peut trouver ni commencement ne fin et l'humanité fut en mon corps et reçut de moi chair et sang. Partant, elle est une chose fort précieuse, s'il y en a eu jamais et s'il en est maintenant. Donc, quand l'âme du juste reçoit le corps de Dieu en soi avec amour, le corps de Dieu remplit sont âme : alors, il y a en elle une chose fort précieuse, si elle a jamais été ; car bien que la Divinité soit en trois personnes sans principe et sans fin en soi, néanmoins, quand le Père envoya son Fils, le Saint-Esprit y survenant, le Fils reçut alors de moi son précieux corps.

Or, maintenant, je montrerai à cet évêque comment il faut présenter à Notre-Seigneur une chose précieuse. Où l'ami de Dieu trouvera le pécheur, aux paroles duquel il y a un peu d'amour envers Dieu et beaucoup envers le monde, là il trouvera une âme vide pour aller à Dieu. Partant, que l'ami de Dieu ait de l'amour envers Dieu, étant marri et dolent que l'âme, qui a été rachetée du sang du Créateur, soit ennemie de Dieu, et qu'il ait compassion de cette âme misérable, faisant deux choses pour elle : 1° qu'il prie Dieu de lui faire miséricorde. 2° qu'il lui montre le danger où il est.

Or, s'il peut accorder Dieu et l'âme, alors des mains de dilection, qu'il présente à Dieu une chose très précieuse, car quand le corps de Dieu qui a été en moi, et l'âme créée par Dieu, conviennent en une amitié, cela m'est grandement cher. Ce n'est pas de merveille si je l'aime, car j'étais présente lorsque mon Fils, ce chevalier généreux, sortit de Jérusalem pour aller au combat, qui fut si fort et si dur que tous les nerfs de ses bras furent étendus ; son corps étaie tout livide et ensanglanté ; ses mains et ses pieds étaient percés de clous, ses yeux et ses oreilles pleins de sang ; son cou étaie aussi abaissé quand il rendit l'esprit ; le coeur était ouvert par le fer de la lance ; et ainsi; avec grandes douleurs et peines, il a vaincu les âmes, et maintenant, résidant dans la gloire, il tend les bras aux hommes. Mais hélas ! Il s'en trouve peu qui lui présentent une épouse; partant, que l'ami de Dieu n'épargne point les biens ni ne pardonne à sa vie, en aidant aux autres en les présentant à mon Fils.

  Dites encore à cet évêque, d'autant qu'il me demande pour être sa chère amie, que je lui veux donner ma foi, et me lier avec lui d'un lien signalé, parce que le corps de Dieu a été en moi, et je recevrai son âme en moi avec grand amour et grande charité, car comme le Père avec le Fils a été en moi, qui ai eu mon corps et mon âme en soi, et comme le Saint-Esprit, qui, avec le Père et le Fils, a été partout avec moi, qui avait aussi mon Fils en moi, de même, ce mien domestique sera lié avec le même Esprit ; car quand il aime la passion de mon Fils, et qu'il a son très cher corps en son coeur, alors il aura l'humanité qu'il a en soi et hors de soi ; la Divinité et Dieu est en lui, et lui en Dieu, comme Dieu est en moi et moi en lui. Or, quand mon domestique et moi avons un même Dieu, nous avons aussi un même lien de charité, et le Saint-Esprit, qui est un Dieu avec le Père et le Fils.

Ajoutez encore une parole : si cet évêque me tient sa promesse, je l'aiderai tant qu'il vivra ; mais à la fin de sa vie, je veux le servir et l'assister en présentant son âme à Dieu, en lui parlant en ces termes: O mon Dieu ! Celui-ci vous a servi et m'a obéi, c'est pourquoi je vous présente son âme.

O ma fille ! Qu’est-ce que l'homme, quand il méprise son âme ? Eh quoi ! Dieu le Père, avec son incompréhensible Déité, aurait-il permis que son Fils innocent souffrît en son humanité des peines si cruelles, s'il n'eût pris plaisir des âmes, s'il ne les eût aimées, et s'il ne leur eût préparé une gloire éternelle ?

 (Cette révélation a été faite à l'évêque Lincopen, qui, après, a été fait archevêque. Il y en a encore une du même au liv. VI, chap. XXII qui commence ainsi : Ce prélat…)

  ADDITION

L’évêque pour lequel vous pleurez est allé en un léger purgatoire : partant, sachez pour certain que, bien qu’il ait eu au monde plusieurs qui l’ont empêché, maintenant ceux-là mêmes en ont rapporté leur jugement; et lui, à cause de sa foi et de sa pauvreté, est en gloire avec moi.


Chapitre 14 un évêque est signifié et marqué par le papillon et vermisseau

3014   La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à sa fille sous une figure admirable d’un évêque, de la manière qu’un évêque est signifié et marqué par le papillon et vermisseau, l’humilité et la superbe par les deux ailes. Trois espèces de maux palliés par les évêques, par les trois couleurs du vermisseau; les oeuvres de l’évêque par l’épaisseur de la couleur; ses deux volontés par les deux cornes du papillon; sa cupidité par sa bouche, et sa petite charité est expliquée par le petit corps.

  La Mère de Dieu parle à l’épouse de son Fils, disant : Vous êtes un vase que le possesseur remplit et que le maître vide néanmoins, et celui qui vide et celui qui possède ne sont que le même; car comme celui qui verserait dans un vase tout à la fois du vin, du lait et de l’eau, serait appelé maître, s’il séparait l’un de l’autre après qu’ils seraient mêlés, et les remettait en leur nature propre, de même, moi, Mère de Dieu et Maîtresse de tous, j’en ai fait en vous et le fais encore, car il y a treize mois que je vous ai dit plusieurs affaires, et toutes sont comme mêlées en votre âme. Que si on les épanchait soudain, elles sembleraient être abominables, si on en ignorait la fin; partant, je les distingue et les sépare maintenant comme il me plaît.

  Ne vous souvenez-vous pas que je vous ai envoyé à quelque évêque que j’appelais serviteur ? C’est pourquoi nous le comparons maintenant au vermisseau qui a des ailes larges, parsemées de couleur blanche, rouge et bleue. Quand on les touche, la couleur épaisse demeure aux doigts comme des cendres. Ce vermisseau a un petit corps, mais une grande bouche, deux cornes au front, et un lieu caché dans le ventre, par lequel il jette hors les immondices. Les ailes de cet évêque sont l’humilité et la superbe, car il paraît humble extérieurement en ses paroles, en ses débordements, vêtements et oeuvres; mais au dedans, il n’y a que superbe, s’estimant grand devant ses yeux, enflé d’honneur, ambitieux des faveurs mondaines, arrogant, préférant le sien à ce qui est d’autrui et jugeant mal les autres. Il vole donc par ces deux ailes d’humilité apparente, afin de plaire aux hommes et pour faire parler de lui, et par l’aile de la superbe, s’estimant plus saint que les autres.

  Mais les trois couleurs des ailes sont trois prétextes qui pallient ses maux, car la couleur rouge signifie qu’il dispute tous les jours de la passion de Jésus-Christ et des merveilles des saints, afin qu’il soit appelé saint; mais vraiment ils sont bien loin de son coeur, car il ne les a pas à goût.

  La couleur bleue signifie qu’à l’intérieur il semble ne se soucier des choses temporelles, mais il semble mort au monde et tout vivant au ciel, comme le bleu a la couleur du ciel; mais vraiment, cette deuxième couleur n’a pas moins de stabilité et de fruit que la première.

  La couleur blanche marque qu’il est religieux en ses vêtements, et louable par-dessus tous en ses moeurs. Mais il y a autant de douceur et de perfection en la couleur troisième que dans les deux autres, car comme la couleur du papillon est épaisse et adhère aux mains, ou pour le moins demeure aux mains comme de la cendre, de même ses oeuvres semblent admirables, car il désire être seul; mais elles sont, pour son utilité propre, vaines et sans fruit, car il ne cherche pas sincèrement ce qu’il faut chercher, ni n’aime ce qu’il faut aimer.

  Ces deux cornes marquent ses deux volontés, car il désire avoir la vie en ce monde sans incommodité aucune, et après la mort, la vie éternelle, afin qu’il ne soit privé en terre des grands honneurs, et qu’il soit couronné plus parfaitement dans le ciel.

Cet évêque est semblable au papillon, qui pense porter le ciel en une de ses cornes et la terre en l’autre, qui néanmoins, bien qu’il puisse, ne voudrait pas soutenir la moindre chose pour l’honneur de Dieu, et pense tellement profiter à l’Église par sa parole et son exemple, qu’il lui est avis que, sans lui, elle ne croîtrait pas, et il pense que les hommes terrestres s’engendrent spirituellement par ses mérites, et il se considère comme un bon soldat qui a bien combattu, disant en soi-même : Puisque je suis appelé dévot et estimé humble, qu’ai-je affaire de mener une vie plus étroite ? Si je pèche en quelques délectations sans lesquelles je vivrais sans plaisir, mes grands mérites et mes plus grandes oeuvres m’excuseront. Puisque même on peut obtenir le ciel par un verre d’eau froide, qu’est-il besoin de se travailler outre mesure ? Le papillon aussi a sa bouche large, mais plus amples sont ses cupidités, car bien qu’il eût dévoré toutes les mouches, excepté une, il désirerait encore celle-là; et s’il la tenait, il la dévorerait.

Il en est de même de cet évêque qui, s’il pouvait obtenir un seul denier pour l’entasser avec les autres, le recevrait avec plaisir, pourvu que cela se fît en secret et qu’il n’en fût pas marqué tel; et pour cela néanmoins, le feu de sa cupidité ne s’éteint pas.

  Le papillon a aussi un trou secret pour jeter ses immondices : de même ce méchant verse sa colère et son impatience, afin que ce qu’il tenait si secret soit manifesté aux autres. D’ailleurs, comme le papillon a un petit corps, lui aussi a une charité bien petite, car tout ce qui défaut en la grandeur et perfection de la charité, tout est suppléé en la latitude et extension des ailes.

L’épouse repartit : S’il a quelque étincelle de charité, il a espérance de vie et de salut.

  La Mère de Dieu répartit : Quelle charité avait Judas quand, en trahissant Notre-Seigneur, il dit : J’ai péché, trahissant le sang du Juste ? Il voulut faire voir qu’il avait de la charité, mais il n’en avait pas.



Chapitre 15 un tel évêque est signifié par la chenille

3015   La Mère de Dieu parle à sa fille, sous figure d’un autre évêque, de la manière dont un tel évêque est signifié par la chenille; l’éloquence des paroles par le vol; les deux considérations par les deux ailes, et les paroles plaisantes du monde par le mors. De l’admiration de la Vierge. De la vie de ces deux évêques et des prédicateurs.

  La sainte Mère de Dieu parle à l’épouse de son fils, lui disant : Je vous ai montré un autre évêque que j’ai appelé pasteur du troupeau. Nous le comparons à la chenille, qui, ayant la couleur de la terre, vole avec un grand bruit, et où elle s’arrête, elle mord intolérablement et avec douleur. De même, ce pasteur a la couleur de la terre, car étant appelé à la pauvreté, il désire d’autant plus être riche que pauvre, plus commander qu’obéir, avoir plus de volonté propre qu’être rangé par les autres. Il vole aussi avec un grand bruit, car au lieu de discours de Dieu, il abonde en éloquence de paroles; au lieu de parler de la doctrine spirituelle, il dispute de la vanité du monde; au lieu de la sainte simplicité de son ordre, il loue et suit la vanité du monde. Il a encore deux ailes, c’est-à-dire, deux considérations : la première est qu’il voudrait donner à tous de beaux mots plaisants et agréables, afin qu’il fût honoré de tous; la deuxième : il voudrait que tout le monde lui obéît et lui fit la révérence. La chenille mord dommageablement : de même celui-ci mord malheureusement aux âmes, car étant le médecin des âmes, il ne dit pas à celles qui s’approchent de lui leurs infirmités et leurs dangers, ni n’use point du couteau pour retrancher ce qui est pourri, mais leur dit des paroles plaisantes, afin qu’il soit nommé doux et que personne ne le fuit.

  Voici qu’en ces deux évêques il y a de grandes merveilles, car l’un paraît extérieurement pauvre, humble et solitaire, afin d’être appelé spirituel; l’autre désire posséder le monde, afin d’être appelé miséricordieux et charitable; l’un veut qu’on voie qu’il ne possède rien, et néanmoins, il désire posséder tout en cachette; l’autre veut posséder tout ouvertement, afin de donner beaucoup, et de la sorte, il veut être honoré beaucoup. Partant, selon la maxime vulgaire, d’autant qu’ils me servent en telle sorte que je ne le vois pas et ne l’approuve pas, aussi, je les récompenserai en telle manière qu’ils ne le verront pas.

  Vous admirez pourquoi tels sont loués en leurs prédications. Je vous réponds que quelquefois un méchant dit de bonnes choses, car l’Esprit de Dieu, qui est bon, leur est donné, non pour la bonté du docteur, mais pour la parole du docteur, en laquelle l’Esprit de Dieu est pour le bien des auditeurs. Quelquefois un homme de bien parle aux mauvais, et ils deviennent bons en l’entendant, à raison de l’Esprit de Dieu, qui est bon, et à cause de la bonté du prédicateur. Quelquefois, un froid dit des paroles froides, afin que les auditeurs qui sont aussi froids, tandis qu’ils les rapportent aux absents, soient plus fervents que les auditeurs mêmes. Partant, ne vous troublez pas à qui que vous soyez envoyée, car Dieu est admirable, qui met l’or sous les pieds et la boue entre les rayons du soleil.


Chapitre 16 La damnation des âmes déplait à Dieu : Des admirables questions d’un jeune évêque à un ancien

3016   Paroles du Fils de Dieu à son épouse : que la damnation des âmes déplait à Dieu : Des admirables questions d’un jeune évêque à un ancien, et des réponses de l’ancien au jeune.

  Le Fils de Dieu parle à l’épouse, disant : Que pensez-vous, quand on vous montre ces deux évêques? Vous semble-t-il pas que leur blâme et leur damnation plaisent à Dieu, et que c’est pour cela que je les nomme ? Nenni, ce n’est pas pour cela, mais afin que la patience et l’honneur de Dieu soient plus manifestés et que les auditeurs craignent les jugements de Dieu. Mais venez et oyez des merveilles. Voici un jeune évêque qui demanda à l’ancien, disant : Oyez, mon frère, et répondez-moi. Vous qui êtes obligé au joug de l’obéissance, pourquoi l’avez-vous délaissé ? Ayant choisi la pauvreté et la religion, pourquoi les avez-vous abandonnées ? Puisque, par l’entrée de la religion, vous vous étiez montré mort au siècle, pourquoi avez-vous désiré l’épiscopat ?

L’ancien répondit : L’obéissance, qui m’enseignait de me soumettre, m’était amère, c’est pourquoi j’ai cherché le repos du corps. L’humilité était en moi feinte, c’est pourquoi je désirais passionnément les honneurs ; et d’autant qu’il me semblait meilleur de commander que d’obéir, j’ai désiré l’épiscopat.

Le jeune évêque demanda encore : Pourquoi n’honoriez-vous votre siège par l’honneur du monde ? Pourquoi n’avez-vous acquis des richesses par la sagesse du monde ? Pourquoi ne les avez-vous pas dépensées et départies selon l’honneur du monde ? Pourquoi vous étiez-vous tellement abaissé extérieurement, et n’alliez plutôt selon les ambitions du monde ?

L’ancien répondit : Je n’ai pas dressé mon siège avec les honneurs du monde, parce que je m’attendais à être plus honoré, si j’apparaissais humble et spirituel, que temporel et mondain. Et parce qu’il me semblait être loué des mondains, je faisais semblant de mépriser tout ; mais afin d’être aimé des hommes spirituels, j’apparaissais humble et dévot. C’est pourquoi je n’ai pas acquis des richesses avec la sagesse mondaine, de peur que les hommes spirituels ne me marquassent ambitieux et me méprisassent à raison des choses temporelles. Je n’ai pas aussi donné de grands présents, attendu que je me plaisais plus à être avec ceux qui peuvent donner un peu qu’avec ceux qui peuvent donner beaucoup, et me plaisais plus à avoir mes trésors dans mes coffres que les départir de ma main.

De plus, le jeune évêque lui demande : Dites-moi : pourquoi avez-vous donné à l’âne un breuvage doux et délectable, tiré du vase immonde et corrompu ? Pourquoi avez-vous donné à l’évêque les cosses des fèves, tirées des auges des pourceaux ? Pourquoi avez-vous foulé aux pieds votre couronne ? Pourquoi avez-vous craché le blé et avez-vous mâché la zizanie ? Pourquoi avez-vous délié les autres et vous êtes-vous lié vous-même ? Pourquoi avez-vous appliqué aux plaies d’autrui des médicaments salutaires, et aux vôtres des médicaments mortels ?

L’ancien répondit : J’ai donné à l’âne une boisson douce d’un port corrompu et méprisé, d’autant qu’étant homme savant, je me plaisais plus à administrer les saints et augustes sacrements, surtout celui de l’autel, pour l’honneur du monde, que de vaquer au soin de siècle ; et par cela, les choses occultes de mon coeur étaient inconnues aux hommes et connues de Dieu ; je m’en suis rendu superbe et ai augmenté les justes et horribles jugements de Dieu.

Quant au deuxième, je dis que j’ai donné à l’évêque les cosses de l’auge des pourceaux, parce que je versais en moi les allumettes de la lubricité, et les accomplissais, et je n’étais constant à les éteindre et à les retenir.

Au troisième, je réponds : J’ai foulé aux pieds ma couronne, attendu que je me plaisais plus à faire miséricorde pour les faveurs des hommes, que justice pour l’honneur et l’amour de Dieu.

Au quatrième, je dis : J’ai craché le blé et mâché la zizanie, car je ne disais pas mes paroles par un mouvement d’amour de Dieu, ni ne me plaisais pas à faire ce que je disais aux autres.

Au cinquième je dis que je déliais les autres et me liais moi-même, quand je donnais l’absolution à ceux qui venaient à moi avec contrition; et ce qu’ils pleuraient en faisant pénitence, et laissaient en pleurant, c’est cela même qu’il me plaisait et délectait de commettre.

Je réponds au sixième : J’oignais les autres d’un onguent salutaire, et moi-même, d’un onguent mortel, car en enseignant aux autres la pauvreté de la vie, j’amende les autres et me suis moi-même rendu pire, car ce que je commande aux autres, je ne l’ai pas voulu toucher avec le doigt ; et d’où je voyais profiter les autres, c’est de là même qu’en défaillant j’ai séché d’envie, attendu que je me plaisais plus à aggraver le faix de mes péchés qu’à l’alléger.

Après tout cela, ouït une voix qui disait : Rendez grâces à Dieu que vous ne soyez avec ces vases vénéneux qui, en se cassant, s’en vont au même venin. Et soudain on annonça que l’un des deux était mort.


Chapitre 17 La Sainte Vierge Marie parle à sa fille, recommandant la vie et l’ordre de saint Dominique.

3017   La Sainte Vierge Marie parle à sa fille, recommandant la vie et l’ordre de saint Dominique. Manière dont il se convertit à la fin de ses jours à la Sainte Vierge. Comment, dans les temps modernes, peu de ses frères suivront le signe de la passion de Jésus-Christ que saint Dominique leur avait donné ; et plusieurs s’en vont, ce signe étant ôté, à celui que le diable leur a offert.

  La Sainte Mère de Dieu parle encore de nouveau à l’Épouse de Jésus : je vous parlai hier de deux qui étaient de la règle de saint Dominique. Certes, saint Dominique a eu mon Fils pour son cher Seigneur, et m’a aimée, moi qui suis sa Mère, plus que son coeur. Satan inspira à ce saint trois choses du monde qui déplaisent à mon Fils, savoir : la superbe, la cupidité et la concupiscence de la chair. Pour la diminution de ces trois vices, saint Dominique impétra avec de grands soupirs le secours et le médicament.

Dieu, ayant compassion de ses larmes, lui inspira la loi et la règle de bien vivre, en laquelle ce saint établi trois biens contre ces trois maux, car contre le vice de la concupiscence, il institua la pauvreté, de sorte qu’on ne peut rien posséder sans licence de son prieur. Contre la superbe, il ordonna qu’on porterait un habit humble et simple ; et contre les insatiables gouffres de la chair, il mit l’abstinence et le temps propre pour se régler et se contenir. Il créa aussi un prieur pour les frères, pour les contenir en paix et les entretenir en l’union. Après, voulant donner quelque signe spirituel à ses frères, il imprima comme une croix spirituelle et rouge en leur bras gauche auprès du coeur, pour la doctrine, et efficace de sa doctrine et de son exemple, quand il les avertit de se souvenir continuellement de la passion de Notre-Seigneur, de prêcher avec ferveur la parole de Dieu, non pour l’honneur du monde, mais pour l’amour de Dieu et l’utilité des âmes. Il leur enseigna d’ailleurs d’obéir plus que de commander, de fuir sa propre volonté, de souffrir patiemment les injures, et de ne désirer autre chose que la vie et le vêtement ; d’aimer de tout son coeur la vérité et de la proférer par parole ; de ne chercher point la louange, mais d’avoir incessamment la parole de Dieu en la bouche, de l’enseigner et de ne la laisser par honte, ni de la prêcher pour les faveurs humaines.

Le temps de son départ s’approchant, que mon Fils lui avait révélé, il s’en vint à moi, sa Mère, avec larmes, disant : O Marie, Reine du ciel, que Dieu a élue pour soi par-dessus les autres, pour unir sa Déité et son humanité, vous êtes cette Vierge singulière et très digne Mère ; vous êtes cette très puissante, de laquelle la puissance même est née ; oyez-moi qui vous prie, car je sais que vous êtes cette très puissante, de laquelle la puissance même est née ; oyez-moi qui vous prie, car je sais que vous êtes très puissante, c’est pourquoi j’espère en vous. Recevez mes frères, que j’ai nourris et fomenté sous mon scapulaire, quoique petit, et défendez-les sous l’étendue et l’ampleur de votre manteau ; régissez-les et les réchauffez, de peur que l’ennemi ne les surmonte et ne dissipe cette nouvelle vigne que la dextre puissante de votre Fils a plantée. Qu’est-ce que je marque autre chose par mon scapulaire étroit, qui est partie devant, partie derrière, si ce n’est deux considérations que j’ai eues envers mes frères ? De fait, je priais nuit et jour pour eux, afin qu’ils servissent Dieu d’une raisonnable et louable tempérance. Je priais afin qu’ils ne désirassent rien du monde qui offense Dieu, ou qui ternisse l’éclat de l’humilité et de la piété devant le prochain. Maintenant donc que le temps de ma récompense s’approche, je vous commets mes enfants : enseignez-les donc comme mes enfants ; portez-les comme mère. Et en disant ces paroles, Dominique est appelé à la gloire de Dieu.

Je lui répondis en telle sorte, parlant comme en similitude : O Dominique, mon ami et mon bien-aimé ! D’autant que vous m’avez plus aimée que vous-même, ayant ôté mon manteau, je défendrai et gouvernerai vos enfants, et tous ceux qui persévéreront en votre règle seront sauvés. Mon manteau large et ample est ma miséricorde, que je ne dénie à aucun qui la demande heureusement ; mais tous ceux qui la cherchent sont protégés et défendus dans le sein de ma miséricorde.

Mais que croyez-vous, dit la Sainte Vierge Marie à sainte Brigitte, que la règle de saint Dominique soit ? Certainement, humilité, continence et mépris du monde, car tous ceux qui prennent ces trois choses, et en persévérant, s’aiment, ne seront jamais damnés ; et ceux-là sont ceux qui tiennent et gardent la règle de saint Dominique. Mais oyez une merveille. Saint Dominique a recommandé ses frères sous la latitude et l’étendue de mon manteau, et voici que maintenant il y en a moins sous mon manteau large et ample, qu’il n’y en avait alors sous son scapulaire étroit ; ni voire du temps de saint Dominique, tous n’eurent point la laine de brebis ni les moeurs d’un Dominique. Je vous montrerai mieux leurs moeurs par un exemple. Si saint Dominique descendait du haut du ciel, où il est, et disait au larron qui est sorti de la vallée, et considère les brebis pour les tuer et les perdre : Pourquoi appelez-vous mes brebis et les cachez, lesquelles je connais être miennes par des signes très-évidents? Le larron pourrait répondre : Pourquoi, ô Dominique, approchez-vous des brebis qui ne vous appartiennent point ? Car quand on fait une violente subreption, on s’attribue alors ce qui appartient à autrui. Si vous voulez dire que Dominique les a nourries, domptées, conduites et enseignées, vous vous trompez, car le larron dira : Si vous les avez nourries et enseignées, je les ai retirées de vous en les alléchant doucement à leur propre volonté. Que si vous mêliez l’austérité avec la douceur, moi je les alléchais avec plus d’attrait, et leur montrais ce qui les délectait davantage ; et voici que plusieurs courent à ma pâture et à ma voix plus qu’à la vôtre. Partant, les brebis qui me suivent avec plus de ferveur, je les tiens pour miennes, d’autant qu’elles ont le libre arbitre de suivre celui qui les allèche. Saint Dominique répond derechef que ses brebis sont marquées du sceau rouge dans le coeur. Le larron dire : Mes brebis aussi sont marquées du signe de retranchement, et à l’oreille droite. Et d’autant que mon signe est plus évident et plus manifeste que le vôtre, c’est pourquoi je les connais mieux.

Ce larron est le diable, qui a amené plusieurs brebis de saint Dominique dans son bercail, qui sont incisées en l’oreille droite, car elles n’entendent point les paroles de vie qui disent : La voie qui conduit au ciel est étroite, mais font et écoutent avec plaisir et délectation celles qui leur plaisent et qu’il leur plaît d’accomplir. Or, il y a peu de brebis du bercail de saint Dominique qui aient le signe rouge dans leur coeur, qui considèrent la passion de Notre-Seigneur, qui prêchent avec ferveur la parole de Dieu, et qui mènent une vie heureuse en chasteté et pauvreté. Car telle est la règle de saint Dominique, comme on a accoutumé de dire par une maxime ordinaire : Porter tout avec soi. Ne vouloir rien posséder, sinon ce que la règle permet, et non seulement laisser ce qui est superflu, mais aussi s’abstenir quelquefois des choses mêmes licites et nécessaires, pour tempérer et arrêter les mouvements de la chair.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3013