Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3018

Chapitre 18 les Frères entendraient plutôt la voix du diable (voire maintenant ils l’écoutent), que celle de leur Père saint Dominique.

3018   La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte, lui disant que les Frères entendraient plutôt la voix du diable (voire maintenant ils l’écoutent), que celle de leur Père saint Dominique. Comment il y en a maintenant peu qui imitent ses vestiges, d’autant qu’ils désirent l’épiscopat pour les honneurs du monde, pour leur repos et pour leur liberté, et ne sont point en la règle de saint Dominique. De la terrible sentence qui est fulminée contre ceux-là, et de l’expérience de la damnation pour avoir désiré l’épiscopat.

  La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parlant à l’épouse, lui dit : Je vous ai dit que tous ceux qui sont en la règle de saint Dominique sont sous la protection de mon manteau. Maintenant, vous oirez quels y sont. Si saint Dominique descendait maintenant du lieu des délices dont il jouit maintenant, il crierait de la sorte : O mes très chers frères ; suivez-moi, car vous sont réservés quatre sortes de biens : l’honneur pour l’humilité ; les richesses permanentes pour la pauvreté ; les plaisirs qui vous satisferont sans dégoût, pour la continence, et la vie éternelle, qu’on ne peut ouïr ni comprendre, pour le mépris du monde. Mais au contraire, le diable monte soudain de la vallée, et leur promet quatre autres choses dissemblables. Dominique, dit-il, vous a promis quatre choses. Regardez-moi. Je vous montrerai avec la vue ce que vous désirez, car voici que je vous offre l’honneur ; j’ai les richesses en main ; ma volupté est toute prête, le monde sera plaisant pour en jouir. Prenez donc ce que je vous offre ; servez-vous des choses qui vous sont certaines ; vivez avec joie, afin que vous vous réjouissiez aussi après la mort.

Si ces deux différentes vois criaient maintenant au monde, plusieurs courraient plus a la voix du diable, larron infernal, qu’à la voix de saint Dominique, mon grand ami, si parfait et si excellent. Mais que dirai-je des frères de saint Dominique ? Certainement, il y en peu qui soient en l’observance de la règle, et il y en a moins qui, l’imitant, suivent ses pas, car tous n’entendent pas la même voix, d’autant que tous n’ont pas les mêmes sentiments, non pas que tous ne soient de Dieu, et que tous ne se puissent sauver, s’ils voulaient, mais parce que tous n’entendent pas la voix de Dieu qui dit, en se donnant soi-même : Venez à moi, et je vous soulagerai.

Mais que dirai-je de ces Frères qui, pour l’amour de monde, désirent l’épiscopat ? Sont-ils point dans la règle de saint Dominique ? Non. Ou bien, ceux qui acceptent l’épiscopat pour une cause raisonnable, sont-ils excusés de la règle de saint Dominique ? Non certainement, car saint Augustin vécut régulièrement avant l’épiscopat et en l’épiscopat ; il ne laissa point la vie régulière, bien qu’il montât à un plus grand honneur, car il prit cet honneur y étant contraint, non pas pour le repos, mais pour le plus grand honneur de Dieu, d’autant qu’il voyait qu’il pouvait profiter aux âmes. Il renonça librement à sa propre volonté et au repos de la chair pour l’amour de Dieu et pour lui en gagner plusieurs. Partant, ceux qui désirent et reçoivent l’épiscopat pour plus profiter aux âmes, ceux-là sont en la règle de saint Dominique, et leur récompense sera double, tant parce qu’ils se sont sevrés de la douceur de la règle, que pour la charge épiscopale à laquelle ils sont appelés. Partant, moi, la Vierge Marie, je jure sur Dieu, sur lequel juraient les prophètes sans impatience, mais parce qu’ils avaient reçu Dieu en témoignage de leur parole, de même maintenant, je jure sur le même Dieu qu’il viendra à ces frères qui ont méprisé la règle de saint Dominique, comme un chasseur puissant avec ses chiens affamés. Comme si le serviteur disait à son seigneur : Plusieurs brebis sont entrées en votre jardin, dont la chair est empoisonne, la laine entortillée de vilenie, le lait inutile, et qui sont trop insolentes en lasciveté. Commandez qu’elles soient tuées, dit-il, de peur que les pâturages ne manquent aux bonnes brebis, et qu’elles ne soient troublées par l’insolence des mauvaises ; à qui le seigneur répondrait : Fermez les avenues, afin qu’aucune n’y entre, sinon celles qui me duisent et me contentent ; et il est expédient qu’elles soient nourries et repues, puisqu’elles sont honnêtes et pacifiques. De même, je vous dis qu’en premier lieu, on ferme quelques avenues, mais non pas toutes. Après, le chasseur viendra avec ses chiens, qui ne leur épargnera point les sagettes et les traits pour blesser leurs corps, jusqu’à ce qu’elles meurent misérablement. Après viendront les gardiens, qui les considéreront attentivement, et verront quelle espèce de brebis il faut admettre aux pâturages de Dieu.

L’épouse répondit : O Dame, ne vous indignez pas si je vous demande une chose. Quand le pape mitige l’austérité de leur règle, sont-ils à reprendre, s’ils mangent de la viande ou bien ce qu’on leur présente ?

La Mère de Dieu repartit : Le pape, considérant l’infirmité de la nature humaine, et les défauts que quelques-uns lui ont proposés et représentés, leur a permis raisonnablement de manger de la chair, afin qu’ils fussent plus forts, plus disposés et plus fervents pour prêcher et travailler, non pas afin qu’ils fussent plus lâches et paresseux ; c’est pourquoi nous excusons le pape de cette permission.

L’épouse lui demanda encore : Saint Dominique a institué qu’on aurait des vêtements, non pas des étoffes les meilleures ni des plus viles, mais des moyennes : ne sont-ils pas répréhensibles, ceux qui se servent des meilleures ?

La Mère de Dieu répondit : Saint Dominique, qui a été la règle de l’esprit de mon Fils, commanda que les vêtements seraient, non des étoffes douces, molles et belles, de peur que les religieux ne fussent repris et affectassent la beauté et la valeur de l’habit, et qu’ainsi ils se rendissent superbes. Il a aussi institué que leurs habits ne fussent pas aussi de très viles étoffes, de peur qu’ils ne s’inquiétassent à raison de leur dureté, quand ils voudraient prendre leur sommeil après le travail ; mais il ordonna que les habits seraient moyens, tempérés, et pour la nécessité, de sorte qu’il ne se trouvât en eux aucun sujet de superbe ni de vanité, mais qu’ils ne fussent munis pour l’avancement de la vertu. C’est pourquoi nous louons saint Dominique en son institution, mais nous reprenons ses frères, savoir, ceux qui transforment leur habit en vanité, et non à l’utilité.

L’épouse sainte Brigitte demanda derechef. Ces frères, qui édifient à votre Fils de hautes et somptueuses églises, ne sont-ils pas répréhensibles ? Ou doivent-ils être vitupérés et jugés, si, pour édifier de tels bâtiments, il faut qu’ils mendient beaucoup ?

La Mère de Dieu répondit : Quand l’église est si large qu’elle contient ceux qui y viennent ; quand les murailles sont si hautes qu’elles ne nuiront à ceux qui y sont, ni les serreront ; quand l’épaisseur est si forte que le vent ne les croulera pas ni les fera tomber ; quand le toit est si bien et fermement agencé qu’il n’y a point de gouttières, il suffit d’en édifier de la sorte, car un coeur humble en une église humble et petite, plaît plus à Dieu que de hautes murailles, où les corps sont au dedans et les coeurs sont au dehors. C’est pourquoi ils n’ont point affaire d’entasser dans leurs coffres de l’or et de l’argent pour les édifices superbes, car il ne profita rien à Salomon d’avoir bâti des édifices si somptueux, puisqu’il négligea d’aimer celui pour qui il l’avait fait édifier. Ces choses étant dites et ouïes, soudain l’évêque ancien, qu’on a dit mort ci-dessus, cria, disant : Hélas ! Hélas ! On a ôté la mitre, et ce qui était caché dessous paraît. Où est maintenant cet évêque si honorable ? Où est ce prêtre si vénérable ? Où est ce pauvre Frère ? Certainement, l’évêque n’y est plus, qui a été oint d’huile pour l’office apostolique et pour la pureté de vie ; il demeure comme un cerf enlaidi de pourriture. Le prêtre qui a été consacré par des paroles saintes, afin qu’il changeât le pain inanimé, est mort en Dieu vivifiant ; mais le traître fallacieux demeure, qui a vendu pour la cupidité celui qui nous a tous rachetés par charité. Le pauvre frère n’y est plus, qui avait renoncé au monde avec jurement. Mais hélas ! Maintenant je suis contraint de dire la vérité : ce juste juge qui m’a jugé, eut mieux aimé me délivrer par sa mort amère qu’il souffrait alors en croix ; mais la justice à laquelle il ne pouvait contrevenir, s’opposait à ce que je fusse jugé de la sorte, comme j’expérimente maintenant à raison de mes fautes.


Chapitre 19 Réponse de l’épouse à Jésus-Christ. Pourquoi elle est agitée de pensées inutiles et extravagantes ;

3019 Réponse de l’épouse à Jésus-Christ. Pourquoi elle est agitée de pensées inutiles et extravagantes ; comment elle ne les peut point repousser. Réponse de Jésus-Christ à l’épouse. Pourquoi il les permet. De la grande utilité des pensées : les ayant en détestation, crainte avec discrétion, elles servent à mérites et à couronnes. Comment on ne doit point négliger les péchés véniels, de peur qu’ils ne nous induisent aux péchés mortels.

  Le Fils de Dieu éternel parle à son épouse, lui disant : Pourquoi vous troublez-vous et êtes-vous en anxiété ? Elle répondit : D’autant que je suis grandement assaillie d’un monde de diverses et inutiles pensées, lesquelles je ne puis chasser ; et d’ouïr parler de vos terribles jugements me trouble.

Le Fils de Dieu répondit : Celle-ci en est la vraie justice, que, comme vous vous plaisiez auparavant aux affections du monde contre ma volonté, de même maintenant je permets que diverses pensées vous importunent contre votre volonté. Néanmoins, craignez avec discrétion, et confiez-vous fortement en moi, votre Dieu, sachant pour certain que quand la volonté ne prend point plaisir dans les pensées de péché, mais les repousse en les détestant, elles servent à l’âme de purification et de couronne.

Or, si vous vous plaisez à faire quelque petit péché que vous connaissiez être péché, et le faites, vous confiant en l’abstinence et en la présomption de la grâce, n’en faisant point pénitence ni autre satisfaction, sachez qu’il vous dispose au péché mortel. Partant, s’il arrive en votre volonté quelque délectation de péché, quelle que ce soit, considérez soudain à quoi elle tend, et repentez-vous-en, car depuis que la nature a été débilitée par le péché, on pèche plus souvent, car il n’y a point homme qui ne pèche au moins véniellement.

Mais Dieu, tout miséricordieux, a donné à l’homme pour remède la vraie contrition de tous les péchés, voire même de ceux que nous avons amendés, de peur qu’ils ne soient pas bien amendés, car Dieu ne hait rien tant que le péché, et l’endurcissement de ceux qui n’ont soin de le quitter et qui présument sur les mérites d’autrui, sans vouloir faire de bonnes oeuvres, comme s’il ne pouvait être honoré sans eux ; et partant qu’il vous permettra de faire quelque mal, puisque vous faites plusieurs biens, vu même quand vous en feriez mille pour chaque péché, vous ne sauriez compenser un des moindres maux, ni ne sauriez satisfaire à Dieu, à l’amour qu’il vous a porté et à la bonté qu’il vous a communiquée. Que si vous ne pouvez éviter les pensées, supportez-les pour le moins patiemment, et efforcez-vous d’aller volontairement contre elles, car vous ne serez pas damnée à cause d’elles, bien qu’elles entrent en votre esprit, attendu que vous ne leur pouvez défendre l’entrée, mais bien la délectation.

Craignez aussi, bien que vous n’y consentiez pas, que la superbe ne soit cause de votre chute, car tout homme qui subsiste sans tomber, subsiste en la vertu du seul Dieu. Partant, la crainte est une introduction au ciel, car plusieurs sont tombés dans les précipites et en la mort pour avoir abandonné la crainte, et ont eu honte de confesser là leurs péchés devant les hommes, où ils n’avaient eu vergogne de les commettre devant Dieu : C’est pourquoi ils ne se soucient point de demander pardon pour un petit péché. Je dédaignerai aussi de relâcher et de pardonner leur péché, et de la sorte, les péchés étant augmentés par les actes, ce qui était rémissible par la contrition et était véniel, est grave par le mépris, comme vous pouvez voir en cette âme maintenant jugées, car après avoir commis quelque chose vénielle et rémissible, elle l’augmentait par la coutume, se confiant de quelques siennes bonnes oeuvres, ne considérant pas que je jugeais les choses petites ; et ainsi l’âme, étant enveloppée en iceux par la coutume qu’elle avait aux délectations déréglées, ne les a pas corrigées, ni n’a pas réprimé la volonté du péché, jusqu’à ce qu’elle a vu le jugement aux portes, et que la dernière période de sa vie s’approchait ; c’est pourquoi, la fin s’approchant, sa conscience s’embrouilla soudain misérablement, et était marrie de mourir sitôt, craignant de se séparer de ce peu de temporel qu’elle aimait, car Dieu souffre et attend l’âme jusqu’au dernier point, parce que, par aventure, elle voudrait quitter sa volonté libertine qu’elle a eu l’affection du péché : mais d’autant que la volonté ne se corrige point, c’est pourquoi l’âme est tourmentée sans fin. Le diable, sachant en effet qu’un chacun est jugé selon sa conscience et selon la volonté, s’efforce principalement à la fin de donner des illusions à l’âme pour d’écarter de la droite intention, ce que Dieu permet, car l’âme n’a pas voulu veiller sur elle quand elle le devait.

D’ailleurs, ne vous confiez et présumez pas trop, si j’appelle quelqu’un ami et serviteur, comme j’ai appelé ce juge autrefois, car aussi Judas a été nommé mon ami, et Nabuchodonosor serviteur, car comme j’ai dit : Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande, maintenant, je parle en cette sorte : Ceux-là sont mes amis qui m’imitent, et ceux-là mes ennemis qui me poursuivent et méprisent mes commandements et moi-même. Mais quoi ! David, après que j’eus dit qu’il était selon mon coeur, ne commit-il pas un homicide ? Salomon, à qui des choses si merveilleuses ont été données et promises, ne s’est-il pas retiré de ma bonté ? Et les promesses n’ont pas été accomplies en lui à raison de son ingratitude, mais seulement en moi, Fils de Dieu. Partant, comme ne ce que vous dites, vous mettez cette clause : finalement, de même, moi, j’aime la même la clause en mes paroles. Si quelqu’un fait ma volonté et quitte son héritage, il aura la vie éternelle. Or, celui qui l’oira et ne persévérera à la faire, sera comme un serviteur inutile et ingrat. Mais vous ne devez pas vous défier, si j’appelle quelqu’un ennemi, car soudain qu’il aura changé sa volonté au bien, il sera mon ami. Judas n’était-il pas un des douze, quand je dis : Vous êtes mes amis, qui m’avez suivi, et serez assis sur les douze sièges ? Certainement lors Judas me suivait ; il ne sera pas pourtant assis avec les douze.

Comment donc sont accomplies les paroles de Dieu ? Je réponds : Dieu, qui voit les volontés et sonde les coeurs des hommes, juge selon qu’il voit au visage. Partant, de peur que le bon ne s’enorgueillisse ou que le méchant se défie, Dieu appela à son apostolat les bons comme les mauvais, et chaque jour, il appelle aux dignités aussi bien les bons que les mauvais, afin que celui qui obtient en sa vie un bénéfice, se glorifie en la vie éternelle. Or, celui qui a de l’honneur sans charge, qu’il se glorifie pour quelque temps, puisqu’il périra éternellement. Partant, d’autant que Judas ne me suivait pas d’un coeur parfait, ces mots : Qui secuti esti me, qui m’avez suivi, ne furent point pour lui, attendu qu’il ne persévéra point jusqu’à la récompense, mais seulement étaient pour ceux qui devaient persévérer, tant pour ceux qui étaient alors que pour ceux qui étaient à venir. Car Dieu, à la présence duquel sont toutes choses, parle quelquefois en temps présent bien que cela appartienne au futur, et parle des choses qui sont à faire comme des choses faites ; quelquefois aussi, il mêle le passé avec le futur, et se sert du passé pour le futur, afin qu’aucun n’ose examiner le conseil de l’immuable et auguste Trinité.

Écoutez encore une parole : Plusieurs sont appelés et peu élus : de même celui-ci est appelé à l’épiscopat, mais n’est pas élu, car il est ingrat aux grâces de Dieu. Partant, il a seulement le nom d’évêque ; et parce qu’il dégénère, il sera à bon endroit nombré entre ceux qui descendent et non entre ceux qui montent.

  ADDITION.

Le Fils de Dieu parle à sa fille sainte Brigitte et lui dit : Vous admirez pourquoi l’autre évêque a eu si belle fin, et l’autre une fin si horrible, car une muraille tombant l’écrasa ; il vécut peu encore, et ce peu avec une grande douleur. Je réponds à vos admirations.

L’Écriture dit, je dis moi-même que le juste, de quelque mort qu’il meure, est toujours juste devant Dieu. Mais les hommes du monde réputent justes ceux-là qui ont une belle fin et meurent sans douleur et sans honte. Mais Dieu dit : Celui-là est juste qui est éprouvé par une longue abstinence, ou bien qui est affligé pour la justice, car les amis de Dieu sont affligés en ce monde, afin de l’être moins en l’autre et pour une plus grande couronne au ciel. Car saint Pierre et saint Paul sont morts pour la justice, mais saint Pierre, d’une mort plus amère que celle de saint Paul, car il a plus aimé la chair que saint Paul ; et d’autant qu’il a eu la primauté de l’Église, il devait donc aussi ce conformer à moi par une mort plus amère. Mais d’autant que saint Paul a plus aimé la continence et qu’il a plus labouré comme un généreux soldat, il est mort par le glaive, d’autant que je dispose toutes choses selon les mérites et selon la mesure.

Partant, au jugement de Dieu, ce n’est pas la fin ou la mort contemptible qui couronne, mais bien l’intention, la volonté des hommes, et la cause pourquoi on souffre. Il en est de même de ces deux évêques, car l’un endurait une peine amère et une mort méprisable et contemptible. Cela lui a été à moindre peine, bien que non pas à une plus grande gloire, car il n’endurait pas d’une bonne volonté. Quant à ce que l’autre a obtenu une fin glorieuse, cela est arrivé par les secrets de ma justice, mais non pas pour les récompenses éternelles, car il n’a pas corrigé ses volontés tandis qu’il vivait.


Chapitre 20 Manière dont saint Benoît multiplie en soi les dons du Saint-Esprit,

3020 La Sainte Vierge, Mère de Dieu, parle à sa fille, lui montrant comment par le talent, sont désignés les dons du Saint-Esprit. Manière dont saint Benoît multiplie en soi les dons du Saint-Esprit, et par quels moyens le Saint-Esprit et le malin esprit entrent en l’âme de l’homme.

  C’est la Mère de Dieu qui parle à sainte Brigitte : Ma fille, il est écrit que celui qui avait reçu cinq florins, en avait gagné cinq autres. Qu’est-ce autre chose, un talent, sinon le don du Saint-Esprit ? Car les uns reçoivent la science, les autres les richesses, les autres la familiarité des riches, et néanmoins, tous doivent rapporter à leur maître un double lucre, savoir : de la science, en vivant utilement pour soi et en instruisant les autres ; des richesses et autres dons, en usant raisonnablement et en aidant miséricordieusement les autres.

Ce bon abbé saint Benoît en fit de la sorte : il multiplia le don de grâce qu’il avait reçu, quand il méprisa tout ce qui était passager ; quand il contraignit la chair de servir à l’esprit ; quand il ne préféra rien à la charité divine ; que voire même, craignant que ses oreilles ne fussent tachées des paroles vaines, ses yeux souillés par la vue des choses délectables, il s’enfuit au désert, imitant celui qui, n’étant pas né encore, en tressaillant de joie entre les flancs de sa mère, connut l’avènement de son Sauveur très pieux et désespérément.

En vérité, saint Benoît eut bien obtenu le ciel sans le désert, car le monde était mort pour lui, et son coeur était tout plein de Dieu. Mais il plut à Dieu d’appeler saint Benoît à la montagne ; afin qu’étant connu de plusieurs, plusieurs fussent incités par son exemple à la perfection de la vie. Le corps de ce saint était comme un sac de terre dans lequel était caché le feu du Saint-Esprit, qui chassa de son coeur le feu diabolique : car comme le feu corporel s’allume de deux choses, de l’air et du souffle de l’homme, de même le Saint-Esprit entre en l’âme de l’homme, ou par l’inspiration personnelle, ou bien par quelque opération humaine, ou locution divine, qui excite l’esprit à Dieu. De même l’esprit diabolique visite les siens, mais d’une manière incomparablement différente, car le Saint-Esprit échauffe l’âme pour rechercher Dieu, mais il ne la brûle pas charnellement. Il luit et éclate en la modestie pure, et la malice n’offusque point l’esprit ; mais l’esprit du diable brûle le coeur et l’excite aux choses charnelles, et les rend intolérablement amères, offusque l’esprit par l’inconsidération de soi-même, et le déprime entièrement à terre.

Partant, afin que ce bon feu qui était en saint Benoît embrassât plusieurs, Dieu l’appela à la montagne ; et ayant appelé à soi plusieurs étincelles, il ne fit, par l’Esprit de Dieu, un grand feu, et leur composa la règle de l’Esprit de Dieu, par le moyen de laquelle plusieurs ont été parfaits comme saint Benoît. Or, maintenant, plusieurs flambeaux jetés de ce grand feu caché, sont dispersés partout, ayant pour la chaleur le froid, pour la lumière les ténèbres. Que s’ils s’assemblaient dans ce feu, ils donneraient et enverraient des flammes et des chaleurs partout.


Chapitre 21 les magnificences et les perfections de la vie de saint Benoît.

3021 La Sainte Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, montrant par exemple les magnificences et les perfections de la vie de saint Benoît. Comment l’âme fructueuse au monde est marquée et figurée par l’arbre infructueux, l’orgueil de l’esprit par le caillou. De trois étincelles grandement notables, tirées du cristal, du caillou et de l’arbre.

  La sainte Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, disant : Je vous ai dit ci-dessus que le corps de saint Benoît était comme un sac, qui était discipliné et gouverné et ne gouvernait pas. Enfin, son âme était comme un ange qui a donné de soi une grande chaleur et embrasement, comme je vous le montre par un exemple. Par exemple, s’il y avait trois feux, et si l’un de ces feux était allumé en la myrrhe, il donnerait de soi l’odeur de suavité ; le deuxième, s’il était allumé au bois vert, donnerait de soi des charbons ardents et une splendeur éclatante ; le troisième, s’il était allumé à l’olivier, donnerait de flammes de lumière et de chaleur.

Par ces trois feux j’entends trois sortes de personnes, et par ces personnes, trois états au monde. Le premier état était de ceux qui, ayant considéré l’amour et la charité de Dieu, ont renoncé à leur propre volonté entre les mains d’autrui ; qui ont pris, au lieu de la vanité et superbe du monde, la pauvreté et l’abjection ; qui, au lieu de l’intempérance, ont aimé la continence et la pureté. Ceux-ci ont eu le feu dans la myrrhe. Car comme l’amertume de la myrrhe chasse les démons, étanche la soif, de même leur abstinence est amère au corps, éteint la concupiscence déréglée et affaiblit toute la puissance des diables. Le second est de ceux qui ont telles pensées : Pourquoi aimons-nous les hommes du monde, qui n’est autre chose qu’un air qui bat les oreilles ? Pourquoi aimons-nous l’or, puisque ce n’est que terre rouge ? Or, quelle est la fin de la chair, sinon pourriture et feu ? Que nous profite-t-il de désirer les choses terrestres, puisque toutes sont vanité ? Partant, nous ne voulons vivre pour autre fin, ni travailler à autre intention, qu’afin que Dieu soit honoré en nous, et afin que les autres s’allument du feu de l’amour divin par nos paroles et par nos exemples. Ceux-ci eurent le feu au bois vert, car l’amour du monde a été mort en eux, et un chacun d’eux donnait des charbons ardents de justice, d’éclat d’une prédication divine. Le troisième état était de ceux qui, étant fervents en la passion de Jésus-Christ, désiraient de tout leur coeur de mourir pour Jésus-Christ : ceux-ci ont eu leur feu en l’olivier, car comme ce bois jette, quand il brûle, de la graisse grandement chaude, de même ceux-ci ont été engraissés de la grâce divine, par le moyen de laquelle ils ont puisé et donné la lumière de la divine science, l’ardeur d’une charité fervente et la force d’une honnête conversation.

Ces trois feux se sont dilatés au loin et au large. Le premier de ces feux s’est allumé dans les ermites et les religieux, comme dit saint Jérôme, qui, inspiré du Saint-Esprit, a trouvé leurs vies admirables et inimitables. Le Deuxième a été allumé dans les confesseurs et les docteurs ; le troisième, dans les martyrs, qui ont méprisé leur vie pour l’amour de Jésus-Christ, et d’autres l’eussent méprisée, s’ils eussent obtenu de Dieu la grâce et le secours.

Saint Benoît a été envoyé à quelques-uns de ces feux et de ces états, lui qui unit trois feux en telle sorte que les aveugles étaient illuminés, les froids étaient échauffés, et les fervents rendu plus fervents. Et c’est en ces trois feux que la religion de saint Benoît commença, qui conduisait en la voie de salut et bonheur éternel un chacun, selon la disposition et la capacité de l’esprit d’un chacun.

Or, maintenant, comme du sac de saint Benoît s’exhalait la douceur du Saint-Esprit, par laquelle plusieurs monastères se renouvelaient, de même maintenant, du sac de plusieurs de ses frères se retire le Saint-Esprit, car la chaleur de la cendre est éteinte, et les flambeaux gisent dispersés, ne donnent ni chaleur ni splendeur, mais bien une fumée d’impureté et de cupidité.

Néanmoins, pour la consolation et le soulas de plusieurs, Dieu m’a donné trois étincelles, sous le nom desquelles j’entends un grand nombre : la première est tirée du cristal par la chaleur et la splendeur du soleil, qui s’est prise au bois sec, afin qu’elle fasse un grand feu. La deuxième est tirée d’un caillou fort dur. La troisième est tirée d’un bois infructueux qui a crû avec ses racines et a dilaté ses feuilles. Or, par le cristal, qui est une pierre froide et fragile, est signifiée l’âme qui, bien qu’elle soit froide en l’amour de Dieu, s’efforce néanmoins d’aller à la perfection, et prie Dieu, afin qu’il la secoure. C’est pourquoi cette volonté la porte à Dieu, lui fait mériter que Dieu lui augmente les tentations, par lesquelles il la refroidit des tentations mauvaises, jusqu’à ce que Dieu, illuminant son coeur, s’arrête tellement en cette âme vide de volupté, qu’elle ne veut vivre désormais que pour l’honneur de Dieu. Par le caillou est marqué la superbe : qu’y a-t-il en effet de plus dur que la superbe de l’esprit de celui qui cherche et mendie les louanges de tous, et néanmoins désire patiemment d’être appelé humble et être estimé dévot ? Qu’y a-t-il de plus abominable que l’âme qui préfère ses pensées à toutes pensées, et ne veut être reprise de personne ni enseignée d’aucun ?

Vraiment, il y en a plusieurs qui, étant ainsi superbes, demandent humblement à Dieu qu’il arrache de leur coeur la superbe et l’ambition. C’est pourquoi Dieu ôte de leur coeur, leur bonne volonté coopérant, tout ce qui les empêche et les contrarie, leur donnant des choses douces par lesquelles ils sont retirés des choses du monde et excités aux choses célestes. Par l’arbre infructueux est signifiée cette âme qui, nourrie en la superbe, fructifie pour le monde, désire l’avoir et posséder l’honneur. Néanmoins, d’autant qu’il craint la mort éternelle, elle arrache force souches de péché, qu’elle perpétrait, n’était la crainte. Partant, Dieu s’approche de cette âme, à raison de cette crainte, et lui inspire sa grâce, afin que l’arbre inutile soit fructueux. C’est pourquoi l’ordre de saint Benoît, qui semble maintenant désolé et abject à plusieurs, doit être renouvelé avec telles étincelles.



Chapitre 22 La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte du moine qui a le coeur vilain

3022 La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte du moine qui a le coeur vilain, et comment il a apostasié de la vie angélique, voire de Dieu, par sa propre volonté, concupiscence et subterfuges.

  La Mère de Dieu parle à l’épouse de son Fils disant : Que voyez-vous en celui-ci qui soit répréhensible ? Elle répond : Je vois qu’il dit rarement la messe. Pour cela, dit la Mère de Dieu, il n’est pas à juger, car il y en a d’autres qui se souvenant de leurs actions, s’en abstiennent raisonnablement, et ils ne me sont pas moins agréables. Mais voyez-vous quelque autre chose en lui? Je vois, dit-elle, qu’il n’a pas les vêtements que saint Benoît a institués. La Vierge Marie répondit : Il arrive souvent qu’une coutume commencée et suivie, ceux qui la savent être mauvaise et la suivent, sont répréhensibles. Mais ceux qui ignorent les louables institutions, et seraient contents des vêtements vils, si la coutume qui est de longtemps ne prévalait, tels ne sont pas facilement et méchamment à juger.

Mais écoutez, et je vous montrerai celui qui est répréhensible en trois autres choses : 1-d’autant qu’il a son coeur sali de vilaines pensées ; 2- il a laissé peu, et ardemment désiré beaucoup de ce qui est d’autrui ; il a promis de renoncer à soi-même et il suit sa propre volonté ; 3- Dieu ayant créé son âme belle comme un ange, qui partant devrait avoir une vie angélique, son âme est maintenant semblable à l’image de cet ange, qui, bouffi de superbe, apostasia. Celui-ci est grand devant les hommes, mais Dieu sait quel il est devant Dieu, car Dieu fait comme celui qui, ayant quelque choses cachées en son poing, le cache aux autres jusqu’à ce qu’il ouvre le poing, car il choisit le plus infirme du monde, et cache les couronnes en la vie présente, jusqu’à ce qu’il rendra à un chacun selon ses oeuvres.

ADDITION. Cet homme fut un abbé trop séculier, ne se souciant des âmes ; il est mort soudain sans sacrements. Le Saint-Esprit en parle en ces termes : O âme, vous avez aimé la terre, la terre vous reçoit maintenant. Vous êtes mort à votre vie, et maintenant, vous n’avez pas ma vie, ni n’aurez pas participation avec moi, d’autant que vous avez aimé la société de celui qui est tombé de moi par sa superbe, et a méprisé la vraie humilité


Chapitre 23 Dieu le Père répond aux prières que son épouse lui a faites pour les pêcheurs

3023 Dieu le Père répond aux prières que son épouse lui a faites pour les pêcheurs. Comment ils sont trois qui donnent témoignage en terre, comme trois au ciel, En quelle manière toute la sainte Trinité donne témoignage à l’épouse. Comment elle lui est épouse par la foi, et tous ceux qui ont la foi droite de l’Église.

  O mon Dieu très doux ! Je vous prie pour les pécheurs, au nombre desquels je suis, afin que vous leur fassiez miséricorde.

  Dieu le Père répondit : Je sais et j’ai ouï votre volonté ; c’est pourquoi votre oraison charitable sera accomplie. Partant, comme dit saint Jean en son épître aujourd’hui, voire moi-même par lui : Trois sont qui donnent témoignage en terre : l’esprit, l’eau et le sang ; et trois au ciel : le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; aussi y a-t-il trois choses qui vous donnent un témoignage : car l’Esprit, qui vous a conservée aux entrailles de la mère, testifie à votre âme que vous êtes à Dieu par la foi du baptême, que vos parents ont professée de votre part. L’eau du baptême vous témoigne que vous êtes fille de l’humanité de Jésus-Christ, par la renonciation et émendation de la première transgression. Le sang aussi de Jésus-Christ vous rend témoignage que vous êtes rachetée, que vous êtes fille de la Déité, et que vous êtes séparée de la puissance du diable par les sacrements ecclésiastiques.

Nous aussi, Père, Fils et Saint-Esprit, trois en personne, mais un en substance et puissance, nous vous rendons témoignage que vous êtes notre par la foi, et semblablement tous ceux qui imitent la foi droite de la sainte Eglise. Et en témoignage que vous voulez faire notre volonté, approchez-vous et recevez le corps et le sang de l’humanité de Jésus-Christ, afin que le Fils vous rende témoignage que vous êtes à celui de qui vous recevez le corps pour fortifiez l’âme. Le Père, qui est dans le Fils, vous rend témoignage que vous êtes au Père et au Fils. Le Saint-Esprit vous rend aussi témoignage qu’il est dans le Père et le Fils, et que vous êtes à cette Trinité et unité par la foi vraie et la délectation amoureuse.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3018