Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3024

Chapitre 24 Jésus-Christ répond aux prières de l’épouse faites pour les infidèles

3024 Jésus-Christ répond aux prières de l’épouse faites pour les infidèles, savoir, que Dieu est honoré de la malice des méchants, bien que non pas en vertu de leur mauvaise volonté, ce qu’il prouve par un exemple, auquel sont désignés l’Église, ou l’âme, par la Vierge ; les neuf ordres des anges par les neuf frères de la Vierge ; Jésus-Christ par le roi ; les trois états des hommes par les trois enfants du roi.

  O mon Seigneur Jésus-Christ ! Je vous prie afin que votre foi soi dilatée parmi les infidèles ; que les bons soient embrasés de plus en plus par les feux de votre amour, et que les méchants se convertissent.

Le Fils répondit : Vous vous troublez de ce que Dieu est moins honoré, et de ce que vous désirez que l’honneur de Dieu soit du tout accompli. Mais afin que vous entendiez que Dieu est honoré de la malice des méchants, quoique non en vertu d’icelle et de leur mauvaise volonté, je vous donnerai un exemple.

Il y avait une vierge sage, belle, riche et bien morigérée, qui avait neuf frères, un chacun desquels aimait sa soeur comme son coeur et leur coeur était dans le coeur de leur soeur. Or, dans le royaume où cette vierge était, il y avait une telle ordonnance et ordre que quiconque honorerait serait honoré, qu’on déroberait à qui aurait dérobé, et que qui violerait aurait la tête tranchée.

Le roi de ce royaume avait trois enfants, dont le premier aimait cette vierge. Celui-ci lui présenta des souliers dorés avec une ceinture dorée, un anneau en sa main et une couronne sur sa tête. Le deuxième désirait les possessions de la vierge, et les déroba. Le troisième désira la virginité d’icelle, faisant en sorte de la violer.

Or, ces trois enfants du roi sont pris par les neuf frères de la vierge et sont présentés au roi. Ils lui dirent : Vos enfants ont désiré notre soeur. Certainement, le premier l’a honorée et aimée de tout son coeur ; le deuxième l’a dépouillée de tous ses biens, et le troisième eût donné volontiers sa vie pour la pouvoir violer. Or, ils ont été pris sur le fait au moment où ils voulaient accomplir leurs mauvais desseins.

Le roi, ayant ouï ces choses, dit : Tous sont mes enfants, et je les aime tous également. Néanmoins, je ne puis ni ne veux agir contre la justice, mais j’entends faire le même jugement de mes enfants que de mes serviteurs. Partant, vous, ô mon fils ! Qui avez honoré cette vierge, venez et prenez l’honneur et la couronne avec votre père. Vous qui avez désiré et ravi les possessions de la vierge, vous entrerez en prison jusqu’à ce que vous ayez restitué ce que vous avez pris, car j’ai ouï que, vous en repentant, vous vouliez restituer ce que vous aviez pris. Mais d’autant que vous êtes prévenu de crime, et par un jugement inopiné, vous n’avez pas accompli votre restitution, vous entrerez en prison, jusqu’à ce que vous ayez satisfait jusqu’au moindre denier. Mais vous, ô mon fils, qui vous êtes efforcé autant que vous avez pu de violer la fille, et de fait, ne vous en êtes repenti, c’est pourquoi autant de manières que vous avez employées pour la déshonorer, en autant de manières votre peine s’augmentera.

Tous les frères de la vierge répondirent : Loué soyez-vous de votre justice, ô juge ! Car s’il n’y eût eu de la vertu en vous, de l’équité en votre justice, de l’amour en votre équité, vous n’eussiez jamais jugé de cette sorte.

Or, cette vierge signifie la sainte Église, dont la disposition est excellente en la foi, belle en ses sacrements, louable en ses moeurs et vertus, aimable en ses fruits, d’autant qu’elle nous montre le vrai chemin pour aller à l’éternité. Cette sainte Eglise a comme trois enfants, auxquels sont compris plusieurs : ceux qui aiment Dieu de tout leur coeur sont le premier ; ceux qui aiment les choses temporelles pour leur honneur, sont le second ; ceux qui préfèrent leur volonté à Dieu sont le troisième. Les âmes des hommes créées de la puissance divine, sont la virginité de l’Église.

Le premier enfant présente des souliers dorés quand il s’excite à contrition pour les fautes commises, et pour ses lâchetés et ses négligences présentes. Il présente des vêtements, quand il médite et considère les préceptes de la loi, et garde autant qu’il peut les conseils évangéliques. Il donne une ceinture quand il propose de demeurer fermement en chasteté et continence. Il lui met un anneau à la main quand il croit ce que l’Église commande, savoir : le jugement futur et la vie éternelle. La pierre de l’anneau est l’espérance, qui fait constamment espérer qu’il n’y a péché, quelque abominable qu’il soit, qui ne soit effacé par la pénitence et par la ferme volonté de se corriger. Il lui met une couronne sur la tête, quand il a une vraie charité. Car comme diverses pierres sont en la couronne, de même la charité contient diverses vertus. Or, le chef de l’Église ou de l’âme, c’est mon corps. Quiconque l’aime et l’honore est justement appelé fils de Dieu. Donc, quiconque aime en telle sorte la sainte Église et son âme, celui-là a neuf frères, c’est-à-dire, neuf choeurs des anges ; il sera leur compagnon et participera d’eux en l’autre vie éternelle, car ces anges embrassent d’un amour tout entier la sainte Église, comme si elle était au coeur d’un chacun ; car ce ne sont pas les pierres qui composent l’Église ni les murailles, mais bien les âmes des justes : C’est pourquoi ils se réjouissent de leur avancement, comme du leur propre.

Mais le deuxième frère, ou le fils, marque ceux-là qui, méprisant les ordonnances de l’Église, vivent selon l’honneur du monde et l’amour de la chair ; qui, changeant en eux l’éclat et la beauté de la vertu, vivent selon leur propre volonté ; néanmoins, ils s’en repentiront à la fin, et auront contrition de leurs actions mauvaises. Ceux-ci se doivent purifier, jusqu’à ce que, par les oraisons de l’Église et par les bonnes oeuvres, ils soient réconciliés.

Le troisième fils signifie ceux qui, scandalisant leur âme, ne se soucient de périr éternellement pourvu qu’ils puissent assouvir leurs sales et brutales volontés. Contre ceux- là des neuf ordres des anges demandent justice et vengeance, puisqu’ils ont méprisé de faire pénitence. Donc, quand Dieu fait justice, les anges le louent à raison de son inflexible équité. Quand l’honneur de Dieu s’accomplit, ils s’en réjouissent, en vertu de ce qu’il se sert de la malice des méchants pour son honneur. Partant, quand vous verrez les méchants compatir avec eux, réjouissez-vous de l’honneur de Dieu éternel, car Dieu, qui ne veut aucun mal, est créateur de toutes choses, et est véritablement bon de soi-même ; il permet néanmoins que plusieurs choses soient faites, comme juste juge desquelles il est honoré au ciel, et sur la terre, à raison de son équité et de sa bonté occulte.


Chapitre 25 Jésus-Christ, Agneau très innocent, est en ce temps négligé de sa créature

3025   La Sainte Vierge Marie se plaint à sa fille de la manière dont Jésus-Christ, Agneau très innocent, est en ce temps négligé de sa créature.

  La Vierge Marie parle, disant : Je me plains, en premier lieu, que l’Agneau très innocent est aujourd’hui porté, bien qu’il sache marcher. Aujourd’hui cet enfant se taisait, qui savait très bien parler. Aujourd’hui, cet enfant innocent est circoncis, qui n’a jamais offensé ; et partant, bien que je ne puisse me courroucer, il semble néanmoins que je sois en colère de ce que ce grand Dieu, étant fait petit enfant, est oublié en négligé de sa créature.


Chapitre 26 Notre Seigneur Jésus-Christ déclare le mystère ineffable de la sainte Trinité

3026   Notre Seigneur Jésus-Christ déclare le mystère ineffable de la sainte Trinité ; comment les pêcheurs diaboliques obtiennent miséricorde de Dieu par la contrition et par la volonté qu’ils ont de se corriger. De la réponse de Jésus-Christ. Manière dont il fait miséricorde à tous, tant Juifs qu’autres, et du double jugement des damnés et des sauvés.

  Le Fils de Dieu parle : Je suis, dit-il, le Créateur du ciel et de la terre, un vrai Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, car le Père est Dieu, le Fils est Dieu et le Saint-Esprit est Dieu, non pas pourtant trois dieux, mais trois personnes et un Dieu. Mais vous me pourriez demander : Pourquoi y a-t-il trois personnes et n’y a-t-il qu’un Dieu ? Je réponds qu’il n’y a autre Dieu que la puissance même, la sapience même et la bonté même, d’où est toute puissance sous le ciel et sur le ciel, toute sagesse et toute piété qu’on peut penser et imaginer. Or, Dieu est un et trine, un en nature et trine en personnes, car le Père est la puissance et la sagesse, de laquelle sont toutes choses, et qui est avant toutes chose ; puissant, non d’ailleurs, mais de lui-même de toute éternité. Le Fils, aussi égal au Père, est aussi puissance et sagesse, non puissant de soi-même, mais engendré du Père puissamment et ineffablement, principe du Prince, qui n’est jamais séparé du Père. Le Saint-Esprit aussi est puissance et sagesse, procédant du Père et du Fils, égal en puissance et en majesté.

Il y a donc en Dieu et trois personnes, et une opération (1) de trois personnes, une volonté, une gloire et puissance. Il est tellement un en essence qu’il y a néanmoins distinction de personnes, car tout le Père est dans le Fils et le Saint-Esprit, et le Fils dans le Père et dans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit en tous deux, en une nature de Déité, non pas comme première ou postérieure, mais d’une manière ineffable, où il n’y a ni prieur ni postérieur, rien de plus grand l’un que l’autre, ou d’un autre hors d’eux, mais tout y est ineffable et égal. C’est pourquoi il est à bon droit écrit que Dieu est admirable et grandement louable.

(1) Il faut entendre des opérations que Dieu fait dans les créatures.

Maintenant, je me puis plaindre que je suis peu loué et inconnu à plusieurs, attendu que tous cherchent leur propre volonté et peu la mienne. Or, vous demeurez stable et humble ; ne vous élevez pas en vos pensées, puisque je vous montre les périls et les dangers des autres ; ne déclarez pas leurs noms, si ce n’est qu’il vous soit commandé, car les périls ne vous sont pas montrés pour leur confusion, mais pour leur conversion, et afin qu’ils connaissent la justice et la miséricorde divines, ni ne les devez pas fuir et éviter comme des personnes jugées. Car bien que j’aie dit ce jour que quelqu’un est méchant, si demain il m’invoque et m’appelle à son secours avec contrition et avec volonté de s’amender, je suis prêt à lui pardonner ; et celui que j’aie appelé hier pernicieux, celui-là même, je le dis aujourd’hui ami très cher, à raison de sa contrition. Tellement que si la contrition est stable (1), je le tiens quitte, non seulement du péché, mais de la peine même du péché, comme vous le pourrez connaître par un exemple.

Pensez qu’il y a deux parties du vif-argent, et que toutes deux s’écoulassent vitement en un tout, et qu’en leur union, il n’en demeurât qu’un peu, comme un atome, Dieu pourrait faire encore qu’ils ne s’unissent en un. De même si quelque pécheur était enraciné en opérations diaboliques et qu’il fût sur le point de se perdre, il obtiendrait encore pardon et miséricorde, s’il invoquait Dieu avec contrition et volonté de s’amender.

(1) Parfaite, 1-en douleur du passé ; 2- en résolution de ne plus pécher à l’avenir, 3-en propos de se confesser ; 4- vouloir satisfaire.


Or, maintenant, puisque je suis si miséricordieux, vous pourriez me demander pourquoi je ne fais pas miséricorde aux Juifs et aux Gentils, dont quelques-uns, s’ils étaient instruits d’une foi droite, mourraient franchement pour l’amour de Dieu.

Je vous réponds : Je fais miséricorde tant aux Gentils qu’aux Juifs, et il n’y a aucune créature sans ma miséricorde, car quiconque oit que sa foi n’est ni bonne ni vraie, et désire avec ferveur la vraie : ou quiconque croit que ce qu’il tient est le meilleur, d’autant qu’il ne lui a été jamais prêché rien de meilleur, et fait de toutes ses forces ce qu’il peut, son jugement sera en quelque petite miséricorde

(1), car il y a double jugement des damnés et des sauvés.

Le jugement des chrétiens damnés sera sans miséricorde ; leur peine sera éternelle, en perpétuelles ténèbres, et leur volonté obstinée contre Dieu. Et le jugement des sauvés sera la vision de Dieu, la glorification en Dieu, et vouloir à Dieu du bien. De ceux-là sont forclos les Gentils, les Juifs, les mauvais et faux chrétiens, qui, bien qu’ils n’aient eu aucune foi droite, ont néanmoins eu la conscience propre pour juge, croyant que c’était le même Dieu qu’ils ont honoré et offensé.

Or, ceux dont les volontés et les actions étaient et sont contre le péché et selon la justice, auront, avec ceux qui sont moins mauvais chrétiens, jugement, miséricorde et supplice, à raison de la dilection, de la justice et haine du péché ; mais ils n’auront la consolation en la fruition de la gloire et vision de Dieu, à raison qu’ils ne sont pas baptisés ; car la considération des choses temporelles, ou quelque occulte jugement de Dieu, les a retirés, qu’ils ne cherchassent et obtinssent, fructueusement leur salut.

(1) Mieux avec plus grande miséricorde.

Or, si rien ne les a retirés de la recherche du vrai Dieu, ni le labeur, ni la peur, ni la perte de l’honneur et des biens, mais seulement un empêchement humain, qui vainquait la fragilité humaine, moi qui ai vu Cornélius et le Centurion, n’étant pas baptisés, être hautement et parfaitement récompensés, je sais qu’ils seront rémunérés comme leur foi l’exige, d’autant qu’autre est l’ignorance de malice, autre celle de piété, autre celle de difficulté ; semblablement autre est le baptême de l’eau, autre celui du sang, et autre celui d’une parfaite volonté, que Dieu connaît, lui qui voit le coeur de tous.

Partant, moi qui suis né sans principe, éternellement du principe ; moi qui suis encore né derechef temporellement, à la fin des temps, je connais et sais du commencement comment il fut récompenser les actions et donner à un chacun selon ses mérites ; ni le moindre bien qui est fait pour l’honneur de Dieu, ne sera sans récompense. Partant, vous êtes obligée de remercier grandement Dieu, que vous soyez née de chrétiens et en temps de salut, d’autant que plusieurs désireront voir et obtenir ce qui est offert aux chrétiens, et ne l’obtiendront point.


Chapitre 27. prière que l’épouse fait à Notre-Seigneur pour Rome. De la multitude innombrable des saints martyrs qui reposent à Rome.

3027   C’est une prière que l’épouse fait à Notre-Seigneur pour Rome. De la multitude innombrable des saints martyrs qui reposent à Rome. De trois visions faites à cette épouse, et en quelle manière Jésus-Christ, lui apparaissant, lui expliqua et déclara la susdite vision.

  O Marie, Mère du Tout-Puissant, bien que je n’aie pas été douce et bonne, toutefois je vous invoque à mon aide, et vous supplie qu’il vous plaise de prier pour Rome, ville si excellente et si sainte, car je vois de mes yeux corporels quelques églises, où reposent les os et les reliques des saints, être désolées et démolies. Quelques autres sont habitées, mais les coeurs et les moeurs de ceux qui en ont le gouvernement sont bien éloignés de Dieu. Impétrez donc pour eux la charité, car j’ai ouï qu’à Rome, il y a pour chaque jour de l’an sept mille martyrs. Et partant, bien que leurs âmes n’obtiennent pas moins d’honneur au ciel bien que leurs os soient en la terre, néanmoins, je vous prie de faire en sorte qu’il soit rendu en terre un plus grand honneur aux saints et aux reliques des saints, et qu’ainsi la dévotion du peuple soit excitée.

La Mère répondit : Si vous semiez la mesure de cent pieds de longueur et autant de largeur, du blé pur, si serré qu’il n’y eût distance d’un grain à l’autre que d’un doigt, et que chaque grain donnât et produisît le fruit au centuple, il y aurait encore à Rome plus de martyres et de confesseurs, depuis que saint Pierre vint à Rome avec humilité, jusques à ce que Célestinus se retira du siège et retourna à sa vie solitaire. Or, je parle de ces martyrs et confesseurs qui ont prêché la vraie foi contre la défiance, la vraie humilité contre la superbe, et qui sont morts pour la vérité de la foi, ou bien qui étaient volontairement disposés à mourir : car saint Pierre et plusieurs autres étaient si fervents et si embrasés à prêcher la parole divine, que, s’ils eussent pu mourir pour un chacun, ils l’eussent franchement fait. Néanmoins, ils craignaient que ceux à qui ils prêchaient et qu’ils consolaient, ne les ravissent aux mains des bourreaux, car ils leur désiraient plus le salut que la vie et l’honneur. Ils furent aussi sages ; c’est pourquoi ils allaient aux persécutions occultement pour le lucre de plusieurs âmes. Donc, entre ces deux, saint Pierre et Célestin, tous ne furent pas bons ni aussi tous mauvais. Partageons-les en trois degrés, comme vous les ayez aujourd’hui divisés en bons, meilleurs et très bon. Au premier degré furent ceux-là dont les pensées étaient telles. Nous croyons tout ce que la sainte Église commande. Nous ne voulons tromper personne, mais bien rendre tout ce que nous avons défraudé, et désirons servir Dieu de tout notre coeur. Ils étaient aussi semblables à ceux qui, du temps de Romulus, fondateur de Rome, selon leur foi s’entretenaient en ces pensées : Nous savons et entendons par les créatures que Dieu est créateur de toutes choses. Nous voulons donc l’aimer par-dessus toutes choses. Oh ! que plusieurs considéraient : Nous avons ouï des Hébreux que le vrai Dieu s’est manifesté à eux par des miracles ; et partant, si nous savions en quoi nous nous devons plus fonder, nous le ferions librement. Tous ceux-ci ont été quasi au premier degré. Or, saint Pierre vint à Rome en un temps fort convenable, qui éleva les uns au bien, les autres au mieux, les autres à un degré très bon, car ceux qui reçurent la vraie foi, qui étaient liés par le mariage, ou étaient en quelque louable disposition, ceux-là ont été en un bon degré ; mais ceux qui renoncèrent à tout ce qu’ils avaient, qui ont montré aux autres des exemples et bonnes oeuvres, voire qui n’ont rien tant estimé que Jésus-Christ, ceux-là sont mieux. Or, ceux qui ont donné leur vie pour l’amour de Dieu, ceux-là sont en un degré très bon.

Mais maintenant, cherchons en lequel de ces degrés la charité se trouve plus fervente. Cherchons-la dans les soldats et dans les docteurs ; cherchons-la dans les religieux, et en ceux qui méprisent le monde, qui sont obligés d’être au meilleur degré, voire au très bon, et certainement, il s’y en trouve trop peu, car il n’y a vie si austère que la vie militaire, si elle demeurait en sa vraie et pure institution. Car si on commande au moine de porter la cuculle, il est aussi commandé au soldat de porter la cuirasse. S’il est dur et fâcheux au moine de combattre contre les assauts de la chair, il est plus amer au soldat de passer à travers des hommes armés. Que si le moine a un lit dur, il est plus dur au soldat de coucher sur les armes. Si le moine se trouble et s’afflige par l’abstinence, il est plus dur au soldat d’être toujours en danger de perdre sa vie : car certes, la milice de la chrétienté n’a pas commencé par avoir des possessions au monde et des ambitions et cupidités, mais par affermir la vérité et dilater la vraie foi. Partant, les soldats militants et les religieux sont obligés d’être au meilleur ou au très bon degré ; mais tous les degrés ont apostasié de leur louable disposition, car la charité s’est changée en cupidité du monde ; car si l’on ôtait un seul florin de l’un de ces degrés, ils tairaient plutôt la vérité que de la défendre, s’ils le perdaient.

Or, maintenant, l’épouse parle, disant : J’ai vu encore en terre comme plusieurs jardins, où, entre ces jardins, il y avait des roses et des lis. En quelque autre lieu, j’ai vu un champ, qui avait en longueur et en largeur cent pieds ; en chaque pied, sept grains de blé étaient semés, et chaque grain donnait un fruit centuple.

Après ceci, j’ai ouï une voie qui disait : O Rome, Rome ! Vos murailles sont ruinées ; c’est pourquoi vos portes sont sans gardes ; vos vases se vendent ; c’est pourquoi vos autels sont désolés ; on brûle le sacrifice vivant et l’encens du matin dans la chambre, c’est pourquoi il ne sort point du Sancta Sanctorum la sainte odeur très suave.

Et soudain, le Fils de Dieu, apparaissant, dit à l’épouse : Je vous veux montrer l’intelligence de ce que vous avez vu. La terre que vous avez vue signifie tous les lieux où est maintenant publiée la foi chrétienne. Les jardins signifient les lieux où les saints ont reçu leurs couronnes. Néanmoins, au paganisme, savoir, à Jérusalem et en autres lieux, il y a plusieurs autres lieux que vous n’avez pas vus, où il y a eu plusieurs élus de Dieu. Le champ de cent pieds en longueur et largeur signifie Rome, car si tous les jardins du monde étaient conjoints à Rome, certainement Rome serait aussi grande qu’elle a eu de martyrs ; je dis que si ses martyrs vivaient en chair, elle en serait autant peuplée, car ce lieu-là est élu pour l’amour de Dieu. Le blé que vous avez vu en chaque pied signifie ceux qui sont entrés dans le ciel par la mortification de la chair, par contrition et vie innocente. Les roses signifient les martyrs rougis par l’effusion de leur sang en diverses manières et en divers lieux. Les lis sont les confesseurs, qui ont publié la sainte foi par de paroles, et qui l’ont confirmée par leurs oeuvres.

Or, maintenant, je puis parler de Rome comme le Prophète parlait de Jérusalem : Autrefois, disait-il, la justice était en elle, et ses princes étaient princes de paix. Or, maintenant, elle est changée en écume, et ses princes sont homicides. O Rome ! Si vous connaissiez vos jours, vous pleureriez certainement, et ne vous réjouiriez pas. Car Rome, les jours passés, était comme une toile colorée de la beauté et de l’éclat de plusieurs couleurs et tissu d’un excellent fil. Sa terre aussi était empourprée du sang que les martyrs y ont répandu, et était couverte des os des saints. Or, maintenant, ses portes sont désolées, car leurs gardiens et leurs défenseurs sont tous penchés à la cupidité. Ses murs sont par terre et sans garde, d’autant qu’on ne se soucie plus maintenant de la perte des âmes. Mais le clergé et le peuple, qui sont les murailles de Dieu, sont dispersés à la recherche des utilités charnelles; ses vases sacrés se vendent avec mépris, d’autant qu’on administre les saints sacrements pour l’argent et pour les faveurs mondaines. Les autels sont tous désolés, car celui qui célèbre avec les vases, a ses mains vides de l’amour de Dieu, et jette les yeux aux offrandes ; et bien qu’ils aient Dieu en leurs mains, leur coeur néanmoins est tout vide de Dieu, car il est rempli des vanités mondaines. Le Saint des Saints, où autrefois on consommait le grand sacrifice, signifie le désir ardent de la jouissance de Dieu et de sa vision, d’où se devaient allumer et l’amour et la charité tant envers Dieu qu’envers le prochain, et s’y évaporer l’odeur d’une continence entière et de la solide vertu. Or, maintenant, on consomme les sacrifices à la chambre, c’est-à-dire, dans le monde, car toute la charité est changée en incontinence et en vanité mondaine. Telle est Rome corporellement comme vous l’avez vue, car plusieurs de ses autels sont désolés, les offrandes sont appendues aux tavernes ; ceux qui les offrent sont plus occupés au monde qu’à Dieu. Néanmoins, sachez que, depuis saint Pierre, humble pontife, jusqu’à ce que Boniface (VIII) montât au siège de superbe, un nombre d’âmes montèrent au ciel. Néanmoins, maintenant encore, Rome n’est pas sans amis de Dieu. Si on avait recours à eux, ils crieraient au Seigneur, et il leur ferait miséricorde.


Chapitre 28 manière de savoir aimer

3028   La Sainte Vierge Marie instruit l’épouse de la manière de savoir aimer. De quatre cités dans lesquelles se trouvent quatre charités, et laquelle des quatre se doit proprement nommer charité parfaite.

  La Mère de Dieu parle à l’épouse, disant : Ma fille, ne m’aimez-vous pas ?

Elle répondit : O Dame, enseignez-moi comment il faut aimer, car mon âme a été noircie par la dilection fausse, et a été séduite d’un venin si mortifère qu’elle ne sait prendre la vraie dilection.

  Je vous enseignerai, dit la Mère de Dieu, car il y a quatre cités dans lesquelles on trouve quatre charités, car on ne doit pas nommer proprement charité, si ce n’est là où Dieu et l’âme sont unis en la conjonction des vertus.

La première donc est une cité de probation, qui est le monde, dans lequel l’homme est mis, afin qu’il soit prouvé s’il aime Dieu ou non ; afin qu’il expérimente son infirmité ; afin qu’il ait les vertus, par lesquelles il retourne à la gloire, et afin que, se purifiant sur la terre, il soit couronné plus glorieusement dans les cieux. En cette cité, on trouve une charité désordonnée, quand on aime plus la chair que l’âme ; quand on y désire avec plus de ferveur le corps que l’esprit ; quand on y honore le vice et qu’on y méprise la vertu ; quand on se plaît plus en pèlerinage qu’à la patrie ; quand on y craint plus un petit homme mortel que Dieu, qui régnera éternellement.

La deuxième cité est celle de la purification, en laquelle on lave les souillures de l’âme, car il a plu à Dieu d’ordonner de tels lieux, dans lesquels celui qui doit être couronné est purifié ; qui, négligeant sa liberté, était insolent, mais néanmoins avec crainte de Dieu. En cette cité, on trouve la dilection imparfaite, car Dieu est aimé sous l’espérance qu’il les affranchira ces captivités, mais non pas d’une ferveur d’affection, pour l’amertume et dégoût qu’ils ont de satisfaire à leurs fautes.

La troisième cité est de douleur, où est l’enfer. En celle-là se trouve la dilection de toute sorte de malice, immondice, envie et endurcissement. En cette cité aussi règne Dieu, par la fureur de sa justice bien ordonnée, pas la mesure des supplices et par l’équité des mérites ; car comme les damnés ont péché les uns plus, les autres moins, de même, des bornes sont constituées à leurs peines et mérites ; car bien que tous les damnés soient plongés et abîmés dans les ténèbres, tous ne seront pas pourtant d’une même manière, car les ténèbres diffèrent des ténèbres, l’horreur de l’horreur, et l’ardeur de l’ardeur. Dieu enfin dispose toutes choses par sa justice et sa miséricorde, voire même dans l’enfer, afin qu’autrement soient punis ceux qui ont péché par infirmité, autrement ceux qui n’ont que le péché originel, qui, bien que la punition de ce péché consiste en la privation de la vision divine et de l’éclat des élus, jouissent néanmoins du contentement de cette miséricorde, en ce qu’ils ne souffrent point l’horreur des supplices, puisqu’ils n’ont point commis de mauvaises oeuvres actuellement. Autrement, si Dieu n’ordonnait et disposait toutes choses en poids et mesure, le diable n’aurait mesure en ses supplices et tourments.

La quatrième cité est de gloire : en celle-là sont la délectation parfaite et la charité bien ordonnée ; on n’y désire autres choses que Dieu même et pour Dieu. Afin donc que vous arriviez à la perfection de cette cité, il faut que vous ayez quatre sortes de charités, savoir : bien ordonnée, pure, vraie et parfaite. La charité ordonnée est celle-là, quand la chair est seulement aimée pour le seul soutien ; le monde sans aucune superfluité ; le prochain pour l’amour de Dieu ; l’ami à raison de la pureté de sa vie ; l’ennemi pour la seule récompense. La pure charité est quand on n’aime point le vice avec la vertu ; quand on méprise les coutumes rompues ; quand on n’excuse point ses péchés. La charité vraie est quand on aime Dieu de tout son coeur, de toute son affection ; quand on considère l’honneur que nous devons à Dieu, et combien nous le devons craindre en toutes nos actions ; quand, appuyés sur nos bonnes oeuvres, nous ne commettons pas le moindre péché ; quand quelqu’un se modère soi-même, qu’il ne défaille par trop de ferveur, et quand il ne se laisse emporter au péché par pusillanimité et ignorance des tentations. La charité parfaite est quand rien n’est si doux à l’homme que Dieu : elle commence par des renouvellements d’amour en cette vie, et elle est accomplie au ciel.

Aimez donc cette parfaite et vraie charité, car tous ceux qui ne l’auront point seront purifiés avant d’entrer dans le ciel, si toutefois ils sont fidèles, fervents, humbles et baptisés, autrement ils iraient à la cité d’horreur. Car comme il y a un Dieu, de même il n’y a qu’une foi en l’Église de saint Pierre, un baptême, une gloire et une parfaite récompense. Partant, ceux qui désirent d’aller à Dieu, doivent avoir une même volonté et amour avec Dieu seul. Partant, misérables sont ceux-là qui parlent en ces termes : Il suffit que je sois au ciel le moindre ; je ne désire point être parfait. O folle pensée ! Comment y aura-t-il là quelque chose d’imparfait, où tous sont parfaits, les uns par l’innocence de leur vie, les autres par l’innocence d’enfant, les autres par purification, les autres de la foi et de bonne volonté.



Chapitre 29  Pour le jour de la Nativité de la Sainte Vierge

3029   L’épouse sainte Brigitte loue la Sainte Vierge Marie, contenant la similitude du temple de Salomon, la vérité inexplicable de l’unité de la Divinité avec l’humanité, et en quelle manière les temples des prêtres sont peints avec vanité.

 Pour le jour de la Nativité de la Sainte Vierge.

  Bénie soyez-vous, ô Mère de Dieu ! Temple de Salomon, dont les murailles furent dorées ; dont le toit fut tout splendide, le pavé tout parsemé de pierres précieuses, la composition, la structure tout éclatantes, le dedans excellent, beau et délectable à voir ! Enfin vous êtes en toute manière semblable à ce temple, dans lequel le vrai Salomon s’est promené et s’est assis ; dans lequel il a conduit l’arche de gloire et le chandelier pour luire. De même, vous êtes, ô Vierge bénie ! le temple de ce Salomon qui a fait la paix entre Dieu et les hommes, qui a réconcilié les coupables, donné la vie aux morts, et affranchi les pauvres de leurs créanciers. Vraiment, votre corps et votre âme ont été le temple de la Divinité, votre corps et votre âme où était le toit de la divine charité, sous lequel le Fils de Dieu, sortant du Père, vint à vous et habita joyeusement avec vous. Le pavé de ce temple fut votre vie tout bien composée et l’exercice assidu des vertus, d’autant que toute honnêteté a été en vous, car toutes choses ont été établies en vous humbles, dévotes, et toutes parfaites et accomplies. Les murailles de ce temple furent en figure quadrangulaire, d’autant que vous ne vous troubliez par aucun opprobre, vous ne vous enorgueillissiez d’aucun honneur, vous ne vous inquiétiez par aucune impatience, et n’affectionniez rien que l’honneur et l’amour de Dieu. Les peintures de ce temple furent les feux continuels du Saint-Esprit, dont votre âme était tellement embrasée et élevée, qu’il n’y avait vertu qui ne fût avec plus de perfection et d’accomplissement en vous qu’en aucune autre créature.

En ce temple, Dieu se promena ; lors il versa en vous les douceurs et les suavités de sa visite, et s’y reposa quand la Divinité s’associa avec l’humanité.

Soyez donc bénie, ô très heureuse Vierge ! en qui le grand Dieu s’est fait enfant, le Seigneur ancien un petit fils ; en qui Dieu éternel et Créateur invisible est fait visible entre les créatures. Partant donc, puisque vous êtes très pieuse et très puissante Dame, regardez en moi, je vous prie, et faites-moi miséricorde, car vous êtes la Mère de Salomon, non de celui qui a été fils de David, mais de celui qui est Père de David, et Seigneur de Salomon, qui édifiait ce temple merveilleux qui vraiment vous préfigurait ; car le Fils exaucera sa Mère, et une telle et si grande Mère ! Impétrez donc que l’enfant Salomon, qui fut en vous comme dormant, soit comme veillant en moi, afin qu’aucune délectation de péché ne me blesse, mais que la contrition des péchés commis soit constamment en moi ; que l’amour de monde soit mort en moi ; que la patience persévère en moi, et que ma pénitence soit fructueuse, car je n’ai point autre vertu en moi, sinon cette parole.

Miséricorde, ô Marie ! car mon temple est tout contraire au vôtre : il est obscurci de vices, de boue, de luxure, corrompu de la vermine des cupidités, inconstant, à raison de la superbe, vil à cause de la vanité des choses mondaines.

La Mère répondit : Béni soit Dieu, qui vous a inspiré de dire cette salutation, afin que vous compreniez combien de douceur et de bonté est en Dieu. Mais pourquoi me comparez-vous à Salomon et au temple de Salomon, puisque je suis Mère de celui qui n’a ni commencement ni fin, et de celui dont on lit qu’il n’a eu ni père ni mère, savoir, Melchisédech, car il est écrit qu’il fut prêtre, et le temple de Dieu appartient aux prêtres, et partant, je suis la Vierge Mère du souverain Prêtre ? Je vous dis en vérité que je suis l’un et l’autre, savoir, la Mère du roi Salomon, et la Mère du prêtre qui pacifie et allie tout ; car le Fils de Dieu, qui est aussi mon Fils, est l’un et l’autre prêtre et Roi des rois. D’ailleurs, il s’est revêtu en mon ventre spirituellement des vêtements sacerdotaux, desquels il a offert sacrifice pour le monde. En la cité royale, il était couronné d’un diadème royal, mais bien âpre et poignant ; hors de là, il courait dans le camp comme un très fort athlète, et s’exerçait au combat.

Or, maintenant, je me puis justement plaindre que mon Fils est oublié et négligé des prêtres et des rois. Certes, les rois se glorifient de leur palais, de leurs armées et de l’avancement de l’honneur du monde, et les prêtres s’enorgueillissent des biens et possessions temporelles des âmes, car comme vous avez dit que le temple était peint d’or, de même les temples des prêtres sont peints de vanité et de curiosité mondaine, car la simonie règne en leur tête. L’arche du Testament est ôtée ; les lumières des vertus sont éteintes ; la table de dévotion est désolée.

L’épouse répondit : O Mère de miséricorde, ayez en pitié et priez pour eux !

Le Mère répondit : Dieu, de toute éternité, a tellement aimé les siens que, non seulement il veut que soient exaucés ceux qui prient en leurs prières, mais encore que les autres sentent l’effet de leur demande. Partant, afin que les prières qu’on fait pour les autres soient exaucées, deux choses sont nécessaires : la volonté de quitter le péché, et le désir d’avancer dans le bien, car mes prières profiteront à tous ceux qui auront ces deux choses.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3024