Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3030

Chapitre 30 Pour le jour de sainte Agnès

3030 Sainte Agnès parle à sainte Brigitte de la dilection qu’on doit obtenir de l’Époux, pour la Sainte Vierge Marie sous la figure d’une fleur. Comment la Vierge Marie glorieuse, parlant, déclare l’immense et éternelle piété divine contre notre impiété et notre ingratitude ; et comment les amis de Dieu ne se doivent inquiéter en leurs tribulations.

Pour le jour de sainte Agnès.

  Sainte Agnès parle à l’épouse, disant : Fille, aimez la Mère de miséricorde, car elle est semblable à une fleur (le lis), la figure de laquelle est semblable à un glaive ; elle a les deux extrémités aiguës et la pointe menue ; elle surpasse les autres fleurs en hauteur et en largeur. De même la Sainte Vierge est la fleur de fleurs, fleur qui croît dans les vallées et s’est dilatée sur toutes les montagnes ; fleur, dis-je, qu’on nourrissait en Nazareth, et s’épandait jusques au Liban. Cette fleur a eu sur toutes la hauteur, car la sainte Reine du ciel excelle sur toutes les créatures en dignité et en puissance. Elle a aussi du coeur deux grands combats ou afflictions : l’un en la passion de son Fils, l’autre la constance au combat contre les incursions du diable, car elle ne consentait jamais au péché. Oh ! Que ce vieillard prophétisa vraiment, lorsqu’il dit : Le glaive transpercera votre coeur, car elle endura et souffrit spirituellement autant de contrecoups de glaives que Jésus-Christ endura de coups et qu’elle voyait et prenait des plaies en son Fils ! Elle a eu encore une latitude excessive, c’est-à-dire, une miséricorde quasi incompréhensible, car elle fut tellement pieuse et miséricordieuse, qu’elle aima mieux endurer toute sorte de tribulations et que les âmes fussent rachetées, que ne les endurer pas. Or, maintenant, étant conjointe avec son Fils, elle n’oublie pas sa naturelle bonté, mais elle étend et dilate sa miséricorde à tous, voire jusques aux méchants ; que comme par le soleil les choses célestes et terrestres sont illuminées et échauffées, de même qu’il n’y ait aucun qui, par la douceur de Marie, ne ressente, s’il les demande, sa piété et sa clémence. Elle a une pointe fort aiguë, c’est-à-dire, l’humilité, car par elle, elle plut à l’ange, disant qu’elle était la servante, bien qu’elle fût élue sublimement en Dame. Par là même, elle conçut le Fils de Dieu, car elle ne voulut plaire aux superbes. Par là même, elle monta au trône souverain, car elle n’aima rien que Dieu. Allez donc, ô âme charnelle ! Et saluez la Mère de miséricorde, qui vient tout maintenant.

Lorsque Marie apparaissant dit à sainte Agnès : Vous avez prononcé mon nom sans épithète : ajoutez-y-en une.

Sainte Agnès répondit : Si je vous dis très belle ou très vertueuse, cela ne convient de droit à autre qu’à vous, qui êtes la Mère du salut de tous.

La Mère de Dieu répondit à sainte Agnès : Vous avez dit vrai, car je suis la plus puissante de tous, mais j’ajouterai un substantif et un adjectif à celle-ci, c’est-à-dire, charnelle du Saint-Esprit. Mais venez, ô charnelle ! et écoutez-moi : vous vous affligez que la maxime suivante court parmi les hommes : Vivons selon notre plaisir, car Dieu est facilement apaisé. Servons-nous du monde et de ses honneurs pendant que nous pouvons, car le monde n’est fait que pour nous. Vraiment, ma fille, ces maximes ne viennent point de l’amour de Dieu, ni ne tendent ni n’attirent à l’amour de Dieu.

Néanmoins, pour cela, Dieu n’oublie pas l’amour qu’il nous porte, mais à toute heure, pour l’ingratitude des hommes, il manifeste sa piété, car il est semblable à un bon maréchal qui maintenant échauffe le fer, maintenant le refroidit. De même Dieu, très bon ouvrier qui a fait le monde de rien, manifesta son amour à Adam et à sa postérité. Mais les hommes se refroidirent tellement que, réputant Dieu comme rien, ils commirent d’abominables et énormes péchés.

  Partant, ayant manifesté sa miséricorde et ayant donné auparavant ses salutaires avertissements, Dieu montra les fureurs de sa justice par le déluge. Après le déluge, Dieu fit pacte avec Abraham et lui montra des signes de son amour, et conduisit toute sa lignée en signes et merveilles prodigieuses, Dieu donna de sa propre bouche sa loi au peuple, et confirma ses paroles et ses commandements par des signes évidents. Le peuple, après quelque laps de temps écoulé en vanité, se refroidissant et se laissant emporter et transporter à tant de folies qu’il rendait le culte aux idoles, Dieu, tout bon, pieux et clément, voulant derechef embraser et échauffer les froids, envoya au monde son propre Fils, qui nous a enseigné la voie du ciel, et nous a montré la vraie humilité que nous devons suivre. Or, maintenant, il est par trop oublié de plusieurs, voire négligé ; mais néanmoins, maintenant, il montre et manifeste ses paroles de miséricorde ; mais toutes choses ne s’accompliront pas plus maintenant qu’auparavant, car avant que le déluge vînt, le peuple était plutôt averti et attendu à pénitence, comme Israël a été éprouvé avant d’entrer dans la terre promise, et a été différé jusques à son temps ; car de fait, Dieu pouvait tirer le peuple en quarante jours sans y employer quarante ans, s’il eût voulu, mais la justice de Dieu exigeait que l’ingratitude du peuple fût connue, que la miséricorde de Dieu fût manifestée, et que le peuple futur fût d’autant plus humilié.

Or, maintenant, si quelqu’un voulait penser pourquoi Dieu affligeait de la sorte son peuple, ou pourquoi quelque peine doit être éternelle, puisque la vie ne peut être éternelle à pécher, ce serait une grande audace, comme celui-là est grandement audacieux qui s’efforce d’entendre et de comprendre comment Dieu est éternel. Enfin Dieu est éternel et incompréhensible, et en lui sont la justice, la récompense éternelle, et une miséricorde qui est au-delà de nos pensées. Autrement, si Dieu n’eût manifesté sa justice aux premiers anges, comment connaîtrait-on sa justice, qui juge toutes choses en équité ? Et si derechef il n’eût fait miséricorde à l’homme en le créant et l’affranchissant en signes infinis, comment connaîtrait-on sa bonté, son amour immense et parfait ?

Donc, d’autant que Dieu est éternel, sa justice est éternelle, en laquelle ne se font addition ni diminution aucune, comme se fait en l’homme qui pense faire en telle ou telle manière mon oeuvre ou dessein, ou en tel jour. Or, quand Dieu fait miséricorde ou justice, il les manifeste en les accomplissant ; car devant lui, passé, présent et futur, tout est présent de toute éternité. C’est pourquoi les amis de Dieu doivent demeurer patiemment en l’amour de Dieu, et ne s’inquiéter point, bien qu’ils voient que les mondains prospèrent, car Dieu fait comme une bonne lavandière, qui met entre les vagues et les flots les draps les plus sales, afin que, par l’émotion de l’eau, ils se nettoient et se blanchissent, et évite avec soin la pointe des vagues, de peur qu’ils ne soient submergés. De même, Dieu met en cette vie ses amis entre les orages des tribulations et des pauvretés, afin que, par elles, ils soient purifiés pour la vie éternelle, les gardant soigneusement qu’ils ne se plongent en quelque excessive tristesse ou intolérable tribulation.

       Fin du Livre 3 des Révélations Célestes de saint Brigitte de Suède.


Livre IV



Chapitre 1 Saint Jean l’évangéliste dit à l’épouse qu’aucune oeuvre n’est sans récompense.

4001   Saint Jean l’évangéliste dit à l’épouse qu’aucune oeuvre n’est sans récompense. Comment la bible excelle sur toutes les écritures. Du roi écumeur de mer, traître, prodigue, etc. Du conseil que saint Jean donna à ce roi, et en quelle manière il doit mépriser les richesses et les honneurs pour l’amour de Dieu.

  Il apparut à l’épouse un homme, dont les cheveux étaient tondus en opprobre et moquerie, dont le corps était oint d’huile tout nu sans honte, qui dit à l’épouse : L’écriture, vous appelez saint, parle en ces termes : Aucune oeuvre ne sera sans récompense, C’est cette Écriture qui est appelée parmi vous Bible ; mais en nous, elle est éclatante comme un soleil qui luit incomparablement plus que l’or ; fructifiante comme la semence qui porte le centuple fruit : car comme l’or excelle par-dessus tous les métaux, de même l’Écriture, que vous appelez sainte et qu’au ciel nous appelons dorée, excelle par-dessus toutes les écritures, d’autant qu’en elle Dieu est publié et honoré : les oeuvres des patriarches y sont redites ; les infusions des prophètes y sont exposées. Donc, d’autant qu’il n’y a aucune oeuvre sans récompense, écoutez ce que je vous dis:

  Ce roi, pour lequel vous priez devant Dieu, c’est un larron, un traître et trompeur des hommes, un prodigue, dissipateur des richesses. Partant, comme il n’y a traître pire que lui, qui se montre diligent, de même il trompe plusieurs spirituellement, aimant charnellement les justes, exaltant et rehaussant injustement les impies, en déprimant les justes, et dissimulant de corriger les excès.

  En second lieu, il n’y a écume de mer pire que lui, qui trahit celui qui met et abaisse sa tête en son sein. De même, toute la terre étant quasi en son sein, ce roi l’a misérablement ruinée, en permettant que les biens d’autrui en soient emportés, en imposant aux autres des subsides intolérables, et en exerçant trop lâchement la justice.

  En troisième lieu, il n’y a larron pire que celui qui dérobe, lorsqu’on lui a donné et confié les clés, contre la volonté du maître. De même celui-ci prend les clés de la puissance et de l’honneur, desquelles il a usé injustement et prodigalement, non à l’honneur de Dieu.

  Partant, d’autant qu’il a fait quelque chose pour l’amour de moi. Je lui conseille trois choses :

1- qu’il retourne comme celui de l’Évangile, qui, ayant laissé les auges des pourceaux, retourna à son père. De même, qu’il méprise les richesses et les honneurs, qui, au regard des choses éternelles, ne sont que des gousses de fèves, et qu’il retourne avec humilité et dévotion a Dieu son Père.
2- qu’il laisse aux morts ensevelir les morts, et qu’il suive la voie étroite du Crucifix de Dieu.
3- Qu’il laisse le poids lourd et pesant de ses péchés, et qu’il entre par cette voie qui est étroite au commencement, mais qui, à la fin, est toute pleine de contentement.

  Vous aussi, voyez et entendez que je suis celui-là qui a pleinement entendu les Écritures dorées, et qui, en les connaissant, les a augmentées. Je fus dépouillé ignominieusement. Mais d’autant que je souffris le tout patiemment, Dieu a revêtu mon âme d’un vêtement immortel. J’ai aussi été mis et plongé dans l’huile bouillante : c’est pourquoi maintenant je me réjouis de l’huile de joie éternelle, Je suis aussi après la Mère de Dieu, je suis décédé d’une douce mort, d’autant que j’ai été gardien de la Mère de Dieu, et mon corps est en lieu sûr et en grand repos.

 

Chapitre 2 Comment Dieu l'explique, en laquelle explication, les baptisés sont signifiés par l'animal, les gentils par les poissons, et les amis de Dieu par trois troupes

4002 p.123

D'une vision admirable et remarquable faite à l'épouse. Comment Dieu l'explique, en laquelle explication, les baptisés sont signifiés par l'animal, les gentils par les poissons, et les amis de Dieu par trois troupes.

Après tout ceci, l'épouse voyait comme deux balances posées près de la terre, dont les sommités et cordelettes allaient jusques aux nuées.

  Ces petits cercles pénétraient le ciel. En la première balance, il y avait un poisson, dont les écailles étaient aigues comme des rasoirs : sa vue était comme celle d'un basilic; sa bouche comme un alicor qui verse du venin; ses oreilles comme des lames de fer. En l'autre balance, il y avait un animal dont la peau était comme un caillou; il avait une grande bouche qui vomissait des flammes ardentes. Ses paupières étaient comme des glaives d'un fort acier; ses oreilles étaient si dures qu'elles jetaient des sagettes acérées, comme un arc bien tendu.

  Après ceci, apparurent trois troupes de peuple en terre : la première était petite, la deuxième moindre; la troisième très petite, auxquelles éclata une voix du ciel, disant : O mes amis, je désire grandement le coeur de cet animal admirable, s'il se trouvait quelqu'un qui me le présentât. Je désire aussi, avec très grande ferveur le sang de ce poisson, pourvu qu'il se trouvât un homme qui me l'apportât.

p.124

Une voix de la troupe répondit, comme de la bouche de tous : Oyez, dit-elle, O notre Créateur, comment nous pourrons vous présenter le coeur d’un si grand animal, dont la peau est plus dure que les cailloux, Si nous voulons l’approcher, sa bouche nous enflammera de ses feux. Si nous voyons ses yeux, nous serons outrés des scintilles et sagettes qu’il envoie. Et si peut-être il y avait quelque espérance d’avoir cet animal, on pourrait aussi prendre ce poisson, dont les écailles, les ailes et les plumes sont plus aiguës que des pointes ; dont les yeux éteignent notre vue ; dont la bouche épand en nous un venin mortifère.

Une voix répondit du ciel, disant : O mes amis ! Cet animal et ce poisson vous semblent invincibles, mais en moi cela est facile. Quiconque donc cherchera les voies pour abattre l’animal, je verserai du ciel la sapience pour le faire et la force pour l’exécuter. Quiconque est disposé à mourir pour moi, moi-même je me donnerai à lui en récompense.

La première troupe répondit : O Père souverain, vous êtes l’auteur de tout bien, et nous sommes vos créatures ; nous vous donnerons franchement notre coeur pour votre honneur et gloire ; tout le reste qui est hors de notre coeur, nous en disposerons pour la sustentation et réfection de notre corps. Et d’autant que la mort nous semble dure, l’infirmité de la chair onéreuse, notre science petite, nous désirons être gouvernés intérieurement et extérieurement, et recevez en bonne part ce que nous vous offrons, et rendez-nous en récompense ce qu’il vous plaira.

La deuxième troupe répondit à cette voix : nous connaissons nos infirmités, et nous nous attendons ainsi aux vanités et variétés du monde. C’est pourquoi librement nous vous donnerons votre coeur, et nous laisserons notre volonté dans les mains d’autrui, d’autant que nous aimons plus obéir que posséder tout le monde ni tant soit peu de monde.

La troisième troupe dit : Oyez, ô Seigneur, qui désirez le coeur de l’animal et avez soif du sang du poisson, nous vous donnerons franchement notre coeur, et nous sommes prêts à mourir pour vous. Donnez-nous la sagesse, et nous chercherons la voie pour trouver le coeur de l’animal.

Après ceci, résonna une voix du ciel, disant : O ami, si vous désirez trouver le coeur de l’animal, percez vos mains au milieu avec une tanière fort pointue ; prenez ensuite des paupières de la baleine, et collez-les fortement aux vôtres ; prenez aussi une lame d’acier, et appliquez-la à votre coeur, de sorte que la longueur et la largeur de la lame soient proches de votre coeur. Bouchez aussi l’ouverture des narines, attirant les respires vers vous, et de la sorte, ayant bouché la bouche et enfermé le respire allez hardiment contre la cruauté de l’animal ; et quand vous serez à l’animal, prenez de vos deux mains ses deux oreilles, dont les sagettes ne vous nuiront pas, mais passeront par les trous de vos deux mains. D’ailleurs, allez au-devant de l’animal la bouche close, et l’approchant, soufflez sur lui tout votre respire, à l’arrivée duquel ses flammes ne vous nuiront pas, mais retourneront sur le même animal et le brûleront.

Remarquez aussi diligemment que les pointes des couteaux sortiront des yeux de l’animal, auxquels vous conjoindrez vos yeux munis des paupières de la baleine ; de la forte et mutuelle conjonction d’iceux, il arrivera, ou qu’ils se ploieront, ou bien qu’ils rentreront dans l’animal jusques à son coeur. Considérez aussi attentivement le battement du coeur de l’animal, et la enfoncez puissamment la pointe de votre acier, et outre perçant la peau plus dure qu’un caillou, si alors sa peau est déchirée, sachez que l’animal mourra bientôt, et son coeur sera à moi. Que s‘il pèse un talent, j’en donnerai cent à celui qui me l’apportera. Que si sa peau n’est percée, mais que l’animal nuise à l’homme, je le guérirai, et s’il est mort, je le ressusciterai.

Or, celui qui me voudra présenter le poisson, qu’il aille au rivage, ayant un rets en ses mains, qui sont fait, non de fil, mais d’airain fort. Qu’il entre donc en l’eau, mais non pas plus avant que jusques aux genoux, de crainte que les ondes émues par les tempêtes ne le noient, et qu’il arrête son pied en lieu ferme et où est le sable sans boue ; après qu’il ferme un de ses yeux et qu’il se tourne vers le poisson, la vue duquel, qui est venimeuse comme celle du basilic, ne lui fera alors aucun mal. Qu’il prenne aussi un bouclier d’acier en son bras, et lors il ne lui nuira point par sa morsure serpentine. Tout soudain après, qu’il étende son rets sur lui si puissamment et si prudemment que le poisson ne le puisse rompre ou dépecer par ses rasoirs, ni s’en débarrasser par aucune force ni émotion ; que s’il sent que le poisson y est embrouillé et enveloppé, qu’il tire en haut les rets. Que s’il le peut tenir dix heures hors de l’eau, ce poisson mourra ; et l’apportant au rivage, qu’il le regarde, et il verra qu’il n’avait point de bouche ; qu’il l’ouvre au dos, où il doit y avoir plus de sang, et le présente de la sorte à son Seigneur. Or, si le poisson s’évadait ou nageait à l’autre rivage, nuisant à l’homme par son venin, je puis guérir celui qui en est infecté, et il n’aura pas moindre récompense du sang du poisson que du coeur de l’animal.

Dieu parle derechef : Ces balances signifient pardon, patience. Attendez et faites miséricorde. Comme quelqu’un, voyant l’injustice d’un autre, l’avertirait afin qu’il cessât de mal faire, de même, moi, Dieu et créateur de toutes choses, je fais comme une balance, tantôt descendant vers l’homme, l’avertissant qu’il se retire du péché, lui pardonnant et l’éprouvant par des tribulations ; quelquefois montant, illuminant l’esprit, enflammant le coeur des hommes, et les visitant par des grâces extraordinaires.

  Les lies de la balance qui sont en haut, signifient les nuées qui montent, c’est-à-dire, que moi, Dieu, le soutien de tous, illumine et visite de mes faveurs tant des Gentils que les chrétiens, tant les amis que les ennemis, si toutefois il s’en trouvait quelques-uns qui voulussent répondre à mes grâces, en retirant leur volonté et leurs affections du mal.

  L’animal signifie ceux qui ont reçu le baptême, et qui, parvenus aux ans de discrétion, n’imitent pas les paroles de l’Évangile, desquels le coeur et la bouche penchent toujours vers la terre, et n’ont jamais considéré les choses éternelles et spirituelles.

  Le poisson signifie les Gentils, agités et vagabonds par les tempêtes de la concupiscence, desquels le sang, c’est-à-dire, la foi est petite et l’esprit petit vers Dieu. C’est pourquoi je désire le coeur de l’animal et le sang du poisson, si toutefois se trouvait quelqu’un qui me les daignât présenter.

  Les trois troupes sont mes amis : les premiers, qui usent et se servent du monde raisonnablement ; les seconds, qui ont laisse tout ce qu’ils avaient, obéissant humblement ; les troisièmes, qui sont disposés à mourir pour l’amour de Dieu.


Chapitre 3 interrogation et réponse entre Dieu et l’épouse, au sujet du roi, du droit héréditaire du roi et de ses successeurs

4003   Colloque admirable par manière d’interrogation et réponse entre Dieu et l’épouse, au sujet du roi, du droit héréditaire du roi et de ses successeurs. En quelle manière il faut demander quelque chose des successeurs du royaume, et de ce qu’il ne faut pas demander.

  O Seigneur, dit l’épouse, ne vous indignez pas si je parle. L’Écriture m’apprend qu’il ne faut rien acquérir par l’injustice et ne retenir rien contre l’équité. Or, ce roi possède une terre que quelques-uns disent qu’il tient justement, les autres injustement ; et partant, c’est merveille que vous tolériez en celui-ci ce qui est réprouvé en autrui.

Dieu répondit : Après le déluge, aucun homme ne fut sauvé, sinon ceux qui étaient en l’arche de Noé; et de ceux-là une race sortit, qui vint en Orient, et quelques-uns d’eux vinrent en Suède ; et l’autre vint en Occident ; de là aussi quelques-uns sont venus en Dacie. Or, ceux qui furent les premiers possesseurs de cette terre, qui n’était point entouré d’eau, ne s’appropriaient rien de la terre qui était au delà des eaux, ni de ceux qui habitaient les îles, mais chacun se contentait de ce qu’il avait, comme il est écrit de Loth et d’Abraham : Si vous allez à droite, dit-il, j’irai à gauche ; comme s’il disait : Tout ce que vous vous approprierez sera vôtre et de vos héritiers.

  Après, quelque temps s’étant écoulé, les juges et les rois vinrent, qui, étant contents de leurs pourpris, n’occupaient point les terres de ceux qui habitaient au delà des eaux et dans les îles, mais chacun demeurait dans les bornes et les limites des anciens.

La servante répondit : Et si quelque partie du royaume était aliénée du royaume par quelque donation, ne faudrait-il pas que le successeur la redemandât?

Dieu répondit : En un royaume on gardait une couronne qui appartenait au roi.

Le peuple, considérant qu’il ne pouvait subsister sans roi, élut un roi, lui donnant la couronne, afin de la garder et de la consigner en son temps au roi futur. Si donc ce roi, élu de la sorte, voulait aliéner ou diminuer quelque chose de la couronne, certainement le roi futur pourrait et devrait la redemander, car aucune diminution ne doit être faite en la couronne ; le roi ne peut diminuer ni aliéner quelque partie de la couronne du royaume, si ce n’est peut-être pour quelque cause raisonnable durant sa vie ; car qu’est-ce autre chose la couronne, sinon la puissance royale ; et qu’est-ce autre chose le royaume, sinon le peuple qui lui est sujet ; qu’est-ce que le roi, sinon le médiateur et le conservateur de son peuple ? Donc, le conservateur et le protecteur de la couronne ne doit être diminué ou divisé au dommage du roi futur.

L’épouse répondit : Et si le roi était contraint, ou par nécessité, ou par violence, d’en aliéner une part?

Dieu répondit : Si deux hommes disputaient, et que l’un fût plus puissant que l’autre et ne lui voulût faire grâce qu’il ne lui donnât le doigt, certes le doigt, bien qu’il fut coupé, appartiendrait toujours à celui à qui il a été coupé. Il en est de même du royaume : si quelque roi diminuait quelque partie du royaume ou par nécessité ou captivité, certainement le roi futur le pourrait redemander avec équité, car le roi n’est pas seigneur de la couronne, mais recteur, ni la nécessité ne fait pas de loi.

Sainte Brigitte répondit : Si un roi donnait à quelque seigneur quelque partie de sa couronne, le roi étant mort, ce seigneur et ses successeurs tenant et possédant cette couronne en propriété, ne faudrait-il pas que les successeurs du roi redemandassent cette partie-là ?

Oui, vraiment, dit Notre-Seigneur, cette part doit retourner à son légitime successeur.

Sainte Brigitte répliqua : Que si une partie de la couronne était donnée en engagement à raison de dettes, et si celui qui la tenait, en ayant plusieurs années levé et cueilli les fruits, venait à mourir, et qu’après cette terre fut possédée par un autre qui n’aurait ni donné de l’argent ni rien, et néanmoins ne la voulût point quitter qu’on ne rendît l’argent qu’on a donné pour l’engagement ; que faudrait-il donc faire alors ?

Si quelqu’un, dit Notre-Seigneur, avait un globe d’or en sa main, et disait à l’assistant : Ce globe est à vous, si vous me rendez ce que je vous ai prêté ; si vous le désirez avoir, rendez-moi autant de livres que je vous en ai prêté, et certainement on les lui devrait rendre. De même quand une terre est occupée avec puissance et paix, il la faut sagement recevoir, ayant rendu l’argent qu’on en a reçu. Or, maintenant, comme un roi élu et élevé sur une pierre au spectacle du peuple, montre et manifeste qu’il a quelque domaine et possession dans les parties plus grandes du royaume, de même aussi cette terre, posée dans les parties inférieures et plus basses du royaume, par droit héréditaire, emption et rédemption, appartient au roi : c’est pourquoi le roi l’ayant obtenue, qu’il la conserve, de crainte que, faisant autrement, il n’en perde le domaine, et qu’elle ne soit séparée de la couronne.

D’ailleurs, l’épouse sainte Brigitte dit à Notre-Seigneur : Ne vous indignez pas si encore une autre fois ce roi a deux enfants et deux royaumes. En un des royaumes, le roi est élu par droit héréditaire, en l’autre, selon la faveur du peuple. Or, maintenant, le contraire a été fait, car l’enfant le plus jeune a été pris et établi en roi héréditaire, et le plus grand a été élu au royaume, qui est dû par élection.

Dieu répondit : En ces électeurs, il y avait trois inconvénients, et le quatrième était plus grand que tous : l’amour désordonné, la prudence dissimulée, la flatterie des fous, et la défiance de Dieu et de la communauté. C’est pourquoi leur élection a été contre la justice, contre Dieu, contre le bien de la république et contre l’utilité de la communauté.

Partant, pour avoir la paix et pour l’utilité de la communauté, il faut que l’enfant aîné ait le royaume héréditaire, et que le jeune vienne par l’élection. Autrement, si on ne retrait ce qu’on a fait auparavant, le royaume en pâtira, la communauté en sera affligée, les dissensions y naîtront, les jours des enfants y seront en amertume et les royaumes ne seront point royaumes ; mais comme il est écrit: Les puissants passeront de leurs sièges, et ceux qui marchent sur la terre seront rehaussés.

Voici un exemple de deux royaumes : en l’un était l’élection, en l’autre la succession héréditaire. Le premier, où était l’élection, est détruit et affligé, d’autant que le vrai héritier n’était pas élu. Ceci a été fait par les parties de ceux qui devaient faire l’élection et par la cupidité des brigands. Dieu donc n’afflige point l’enfant pour les péchés du père, ni ne s’en courrouce point éternellement, mais fait et garde la justice dans le ciel et sur la terre ; c’est pourquoi son royaume n’est pas arrivé à sa première gloire et à son heureux état, jusqu’à ce que le vrai héritier sera établi par la succession du père ou de la mère.


Chapitre 4 Dieu parle à son épouse sainte Brigitte du bon et du mauvais esprit

4004   Dieu parle à son épouse sainte Brigitte du bon et du mauvais esprit, d’une guerre admirable et utile née en l’esprit d’une dame par les inspirations du bon esprit et par les tentations du malin esprit. Ce qu’il faut choisir en ceci.

  Notre- Seigneur parle à son épouse, disant : Les considérations et influences sont suggérées ou versées en nos coeurs par deux esprits immondes : le bon pousse l’homme à la considération des choses célestes et à n’aimer les terrestres ; le mauvais pousse à l’amour des choses visibles, et à rendre ses péchés légers et petits. Il allègue les infirmités et propose les exemples des infirmes. Voici que je vous porte en exemple comment ces deux esprits enflamment le coeur de la reine que vous connaissez et dont je vous ai parlé autrefois, et vous ai dit que le bon esprit lui dirait ces choses et les lui suggérerait en son coeur. Les richesses sont onéreuses ; l’honneur du monde est comme l’air ; les délices de la chair sont comme un songe ; les joies y sont passagères, et toutes les choses mondaines, vanité ; que le jugement futur était aussi inévitable, que les tortures et les supplices étaient durs et amers.

C’est pourquoi il m’est fâcheux de tenir compte des richesses passagères, d’avoir un déshonneur spirituel pour l’air et le vent ; de souffrir un tourment éternel pour un plaisir momentané, et de rendre raison à celui à qui toutes choses sont connues avant qu’elles soient faites. Partant, il est plus assuré de laisser plusieurs choses et d’en faire peu de compte, que de s’embrouiller en plusieurs choses, et être tenu de rendre une longue et étroite raison.

  Le malin esprit répond au contraire à ces inspirations : Laissez telles pensées, car Dieu est doux et s’apaise facilement. Possédez les biens sans craindre. Donnez ce dont vous possédez largement. Vous êtes née à cela que vous soyez louée et que vous donniez des biens à ceux qui vous en demandent, car si vous laissez vos richesses, vous servirez à ceux qui vous servent ; votre honneur diminuera et le mépris croîtra, car une personne pauvre va sans consolation.

Il vous serait dur et amer de vous accoutumer à de nouvelles coutumes, de dompter la chair par des façons étranges et de vivre sans être servie.

C’est pourquoi, demeurez ferme et constante en l’honneur que vous avez accepté ; tenez votre état royalement ; disposez et ordonnez votre maison louablement, de crainte que, changeant votre état, vous ne soyez inconstante ; mais demeurez en ce que vous avez commencé, et vous serez glorieuse devant Dieu et devant les hommes.

p.134 Derechef le bon esprit suggère dans l’esprit de la reine ces choses qui sont éternelles : le ciel et l’enfer.

Or, tous ceux qui aiment Dieu par-dessus toutes choses, n’entreront point en enfer ; mais celui qui n’aime pas Dieu, n’entrera point dans le ciel. Dieu fait que l’homme a marche par ce chemin au ciel, et l’a confirmé par des signes et par la mort.

Oh ! Que glorieuses sont les choses célestes ! Oh ! Qu’amère est la malice diabolique ! Oh ! Que sont vaines les choses terrestres ! La Mère de Dieu et tous les saints ont imité Dieu ; embrassant toute sorte de peines, ils voulurent perdre toutes choses, voire se méprisèrent eux-mêmes, plutôt que de perdre les choses célestes et éternelles. Partant, il est plus assuré de laisser de bonne heure les honneurs et les richesses que les retenir jusqu'à la fin, de peur que la douleur se rengrégeant et augmentant en l’éternité, la mémoire de nos péchés ne diminue, et que ceux qui se soucient peu de leur salut, ne lui ravissent et emportent ce qu’elle avait amassé. Nous sommes des hommes infirmes, et Jésus-Christ est Dieu et homme. Nous ne devons point comparer nos oeuvres avec les oeuvres de saints, qui avaient une plus grande familiarité avec Dieu et une plus grande grâce.

Qu’il nous suffise d’espérer le ciel, de vivre selon notre infirmité, et de racheter nos péchés par des aumônes et des prières, car c’est faire comme les enfants et les fous que d’entreprendre des choses non accoutumées et ne les pouvoir accomplir.

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Le bon esprit répondit derechef : Je suis indigne d’être comparé aux saints, mais néanmoins, il est grandement bon et assuré de s’efforcer peu à peu d’arriver à la perfection. Car qu’est-ce qui m’empêche que je n’entreprenne ce qui ne m’est accoutumé ? Dieu est tout-puissant pour m’aider. Or, il arrive souvent que quelque pauvre suive la voie du maître puissant et riche ; et bien que le maître arrivé plus tôt au logis, jouisse des viandes plus délicieuses, et repose en un lit plus mou, le pauvre néanmoins arrive au même logis, bien plus tard ; et toutefois, il participe aux mêmes viandes, bien que ce soit de ses restes. Que s’il n’eût suivi le chemin du maître, il eût passé ou gauchi le logis; il n’eût mangé des mêmes viandes.

J’en dis maintenant de même : bien que je sois indigne d’être comparé aux saints, néanmoins, je veux entreprendre d’aller par la voie qu’ils sont allés, afin qu’au moins je puisse participer à leurs mérites. Car il y a deux choses qui me sollicitent en l’âme : 1- que si je demeure au pays, l’orgueil me dominera ; l’amour de mes parents, qui demandent toujours que je leur aide, abat mon esprit ; la superfluité de me famille et de mes vêtements m’est grandement à charge. C’est pourquoi il me plaît et m’est plus prudemment fait de descendre du siège de superbe, et en pélerinant, d’humilier mon corps, que de demeurer en l’état d’honneur et d’amonceler péché sur péché.

2- La pauvreté du peuple et son cri m’y sollicitent, du peuple que je charge partout où je le devais soulager par ma présence. Partant, un bon conseil m’est nécessaire.

  La mauvaise et diabolique suggestion répondit : Aller en pèlerinage n’appartient qu’à un esprit inconstant, puisque la miséricorde est plus agréable à Dieu que le sacrifice : car si vous vous retirez du pays, les hommes ambitieux et cupides, ayant ouï votre renommée, vous dépouilleront et vous prendront. Et lors, au lieu de liberté, vous ressentirez la captivité ; au lieu de richesses, pauvreté ; au lieu d’honneur, mépris ; au lieu de repos, tribulation.

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Le bon esprit répliqua derechef en inspirant : Écoutez, dit-il, quelque captif enfermé dans une tour, qui a eu plus de consolation en sa captivité et dans les ténèbres, qu’il n’en eût jamais en l’abondance et consolation temporelles. Partant, s’il plaît à Dieu que je sois affligée, il me sera en plus grand mérite, car Dieu est clément et pieux pour me consoler et prompt à me secourir, principalement si je sors de ma patrie, sinon pour mes péchés et pour mériter les feux du divin amour.

La mauvaise et diabolique suggestion répliqua encore : Que sera-ce, dit-il, si vous êtes indigne des consolations divines, et que vous soyez impatiente à supporter la pauvreté et l’humilité ? Lors vous vous repentirez d’avoir embrassé la rigueur ; lors vous aurez en la main un bâton au lieu d’un anneau, un petit voile au lieu d’une couronne, et un sac vil au lieu de pourpre.

Le bon esprit répliqua encore : J’ai ouï que sainte Élisabeth, fille du roi de Hongrie, nourrie délicatement, mariée noblement, avait souffert une grande pauvreté, vileté et déjection ; qu’elle a obtenu de Dieu une plus grande consolation en la pauvreté et une plus grande couronne que si elle eût demeure en l’honneur et consolation du monde.

Le mauvais esprit répliqua encore : Que ferez-vous si Dieu vous abandonne aux mains des hommes, et que vous soyez violée ?

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Pourrez-vous subsister de honte ? Ne serez-vous pas dolente immédiatement de votre folie ? et toute votre maison scandalisée pleurera et se lamentera toujours. Lors, certainement, l’impatience vous saisira ; lors les anxiétés presseront votre coeur, et vous serez ingrate à Dieu ; lors vous désirerez de finir vos jours. Et quand vous serez diffamée de tous, oserez-vous paraître ?

La bonne inspiration répondit encore : j’ai ouï que sainte Luce, Vierge, fut conduite dans des lieux infâmes pour être violée, fut constante en la foi, et étant confiante en la bonté divine, dit : Qu’on vexe tant qu’on voudra mon corps, néanmoins, je serai toujours vierge, et on me redoublera mes couronnes. Dieu, regardant sa foi, la conserva inviolable : de même je vous dis que Dieu, qui ne permet qu’aucun soit tente par-dessus ses forces, gardera mon âme, ma foi et ma volonté, car je me commets toute à lui. Que sa volonté soit faite en moi.

D’autant donc que cette reine est assaillie de ces pensées et tentations, dit Dieu à sainte Brigitte, je l’avertis de trois choses :
1- qu’elle réduise en mémoire à quel honneur elle a été élue et choisie ;

2-quel amour Dieu lui avait manifeste en son mariage ; 3-combien bénignement elle a été conservée en cette mortalité.

Derechef, qu’elle prenne aussi sagement garde à trois choses :

1- qu’elle rendra raison et compte à Dieu de tous les biens temporels, jusqu'à savoir comment une obole a été levée et donnée ;

2- que son temps est grandement bref et ne sait quand elle tombera ;

3-que Dieu ne pardonne pas non plus à la dame qu’à la servante.

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Partant, conseillez-lui trois choses :

1-de se repentir des péchés, fautes et offenses qu’elle a commis, d’amender avec fruit ce que vous avez confessé, et d’aimer Dieu de tout son coeur.

2° Je lui conseille de fuir avec raison les peines du Purgatoire : car comme celui qui n’aime Dieu de tout son coeur est digne d’un grand supplice, aussi celui qui n’amende ses péchés quand il peut, est digne d’endurer les peines du purgatoire.

3° je lui conseille de laisser les amis charnels pour quelque temps pour l’amour de Dieu, Et de venir au lieu où est l’abrégé entre le ciel et la mort, pour éviter les peines du purgatoire, car là, il y a des indulgences qui sont des élévations et des rédemptions des âmes, que les Saints pontifes ont données et que les saints de Dieu ont méritées.




Révélations de Sainte Brigitte de Suède 3030