Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4005

Chapitre 5 Saint Pierre parle à l’épouse du désir qu’il a eu de sauver les peuples

4005   Saint Pierre parle à l’épouse du désir qu’il a eu de sauver les peuples. Comment il lui enseigne d’avoir bonne mémoire. Des grandes merveilles qui se doivent encore accomplir en la Ville de Rome Pour la fête de saint Pierre

Saint Pierre parle à l’épouse de Jésus-Christ, disant : ma fille, vous m’avez acquis un soc qui fait les sillons larges et arrache les racines. Cela a été certainement vrais, car j’ai été si fervent contre les vices et si adonné aux bonnes moeurs, que, si j’eusse pu convertir tout le monde à Dieu, je n’eusse aucunement épargné ma vie ni mon labeur pour cela, Dieu m’a été toujours doux en ma pensée, doux en ma parole, doux en mon oeuvre, de sorte que toutes chose étaient amères à mes pensées, hors Dieu.

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Néanmoins, Dieu me fut encore amère, non de soi, mais de moi-même, car tout autant de fois que je considérais combien je l’avais offensé et en quelle manière je l’avais nié, j’ai pleuré amèrement, car je connaissais et savais parfaitement aimer. Mes larmes m’ont été plaisantes comme la viande m’était douce.

  Quand à ce que vous me priez que je vous donne mémoire, je vous réponds ; N’avez-vous pas ouï que j’étais oublieux, ayant été de fait pleinement instruit de la voie de Dieu ? Je me suis obligé par jurement de demeurer et de mourir avec Dieu. Mais interrogé par la parole d’une femme, j’ai nié la vérité, et pourquoi ? D’autant que Dieu me laissa à moi-même, et je ne me connaissais pas moi même, mais que fis-je alors ? Certainement, je considérai que je n’étais rien de moi ; je me levai et courus à Dieu. La vérité même imprima tellement la mémoire de son nom dans mon coeur, que je ne le pouvais oublier, ni devant les tyrans, ni entre les fouets, ni en la mort. Faites-en de même: levez-vous par humilité et allez au maître de la mémoire, et demandez-lui de la mémoire, car c’est Lui seul qui peut toutes choses. Quand à moi, je vous aiderai, afin que vous soyez participante de la semence plantureuse que j’ai jetée en terre.

D’ailleurs, je vous dis que cette cité de Rome était la cité des combattants ; ses places étaient décorées d’or et d’argent. Or, maintenant, ses pierres et ses saphirs sont couverts de boue ; ses habitants vertueux sont en petit nombre, l’oeil droit desquels est arraché, et leur main droite est coupée : les hiboux et les vipères habitent avec eux, et à cause de leur venin mortifère, les animaux doux et traitables n’osent s’en approcher ni apparaître, ni mes poissons lever la tête.

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C’est pourquoi les poissons s’y assembleront. Que s’ils ne s’y assemblent avec une si grande multitude comme autrefois, ils seront néanmoins aussi doux et courageux, de sorte que de leur jeu mutuel, les crapauds et les grenouilles s’en iront ; les serpents se changeront en agneaux, et les lions seront à leurs fenêtres comme des colombes

Il ajouta encore : je vous dis en outre qu’en vos jours on ouïra : Vive le vicaire de saint Pierre ! Et vous le verrez de vos yeux, car je fouirai la montagne de délices ; et ceux qui sont assis en elle descendront. Or, ceux qui ne voudront venir volontairement, y seront contraints, contre l’espérance de tous d’autant que Dieu veut être exalté avec vérité et miséricorde.


Chapitre 6 discours que saint Paul fit à sainte Brigitte, épouse de Dieu, de la manière dont il fut appelé de Dieu par les prières de saint Etienne

4006   D’un bon discours que saint Paul fit à sainte Brigitte, épouse de Dieu, de la manière dont il fut appelé de Dieu par les prières de saint Etienne. Du loup fait agneau. Comme il est bon de prier pour tous.

Saint Paul parle à l’épouse de Jésus-Christ, disant : ma fille, vous m’avez comparé à un lion qui a été nourri entre les loups, mais il a été admirablement affranchi des loups, Vraiment, ma fille, j’étais un loup ravisseur ; mais de loup Dieu m’a fait agneau, et cela pour deux choses :

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1° à raison de sa grande charité, qui fait des vases pour roi des choses les plus indignes, et ses amis des pécheurs.

2° A raison des prières de saint Etienne, premier martyr, car je vous veux montrer quelle intention j’avais, quand saint Etienne fut lapidé, et pourquoi j’ai mérité ses prières.

Je ne me réjouissais point de la peine de saint Etienne, ni n’enviais sa gloire, mais je désirais qu’il mourût à raison qu’il me semblait que,selon mon intention, il n’avait point la vraie foi ; et le voyant fervent outre mesure et patient a supporter les douleurs, je fus extrêmement marri qu’il était infidèle, bien qu’en vérité il fût très fidèle ; et étant tout aveugle ; infidèle et compatissant à lui, je priai de tout mon coeur que sa peine amère lui réussît à la gloire et à la couronne.

Partant, des que son oraison m’eut profité, je fus affranchi d’une multitude de loups, et je fus fait un agneau doux et mansuet. C’est pourquoi il est bon de prier pour tous, d’autant que l’oraison du juste profite à ceux qui sont disposés pour recevoir les grâces.

Or, maintenant, je me plains que cet homme, si éloquent entre les doctes, si patient entre ceux qui le lapidèrent, soit effacé maintenant des coeurs et de la mémoire de plusieurs, et principalement de ceux qui s’en devraient souvenir jour et nuit, car ceux-là lui apportent des vases, mais hélas ! cassés, vides, sales et abominables. C’est pourquoi, comme il est écrit, ils seront saisis d’une double confusion et honte, et seront chassés de la maison de plaisir et de volupté.


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Chapitre 7 Vision admirable d’une âme qui devait être jugée. Accusations du diable, défenses de la Sainte Vierge Marie.

4007 Vision admirable d’une âme qui devait être jugée. Accusations du diable, défenses de la Sainte Vierge Marie. Explication de cette vision, où le ciel est désigné par un palais, Jésus-Christ par le soleil, la Vierge par la femme, le diable par l’Ethiopien, l’ange par un soldat ; où sont rapportés trois remèdes et plusieurs autre choses admirables, et principalement des suffrages.

Une certaine personne, veillant en oraison et ne dormant pas, voyait en esprit un palais d’une grandeur incompréhensible, où se trouvait une innombrable multitude d’homme vêtus de vêtements blanc et éclatants, et chacun d’eux semblait avoir un siège propre. Il y avait principalement en ce palais un siège signalé, comme un soleil pour juge, et la splendeur qui sortait du soleil était incompréhensible en longueur, largeur et profondeur. Une vierge aussi était debout auprès du siège, ayant la tête ceinte d’une couronne.

Tous servaient celui qui était assis sur le siège, le louant avec des hymnes et des cantiques. Après, on voyait un Ethiopien terrible à voir, qui marquait en ses gestes être plein d’envie et enflammé d’une grande colère. Il s’écriait, disant : O juge, jugez cette âme ; oyez et voyez ses oeuvres, car il lui reste peu à vivre. Permettez-moi aussi de punir le corps avec l’âme, jusqu’à ce que la séparation en soit faite.

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Ce qu’ayant été dit, il semblait qu’un homme était devant le siège, comme un soldat armé, pudique et sage en ses paroles et modeste en ses actions, qui disait : O Juge, voici les bonnes oeuvres qu’il a faites jusques à cette heure.

Et soudain on ouït une voix sortant du soleil du siège, disant : Il y a là plus de vices que de vertus. Il n’est pas juste et équitable que le vice soit conjoint à la souveraine vertu.

L’éthiopien répondit ; Il est donc juste que cette âmes soit conjoint à moi, car comme elle a quelque vice en elle, de même en moi il y a toute sorte de méchancetés.

Le soldat répondit : La miséricorde de Dieu suit toute sorte de personnes jusqu’à la mort, voire jusqu’au dernier période de la vie ; et après, le jugement se fait. En l’homme dont il est maintenant question, l’âme et le corps sont encore conjoints ensemble, et la discrétion et la raison sont encore entièrement en lui.

L’éthiopien répondit : L’Ecriture, qui ne peut mentir, dit. Vous aimez Dieu sur toutes choses et votre prochain comme vous même. Voyez donc que toutes les oeuvres de celui-ci sont faites par l’esprit de crainte, et non par l’amour, comme il le devait ; et quand aux péchés dont il s’est confessé, vous trouverez qu’il s’en est confessé avec une petite contrition. C’est pourquoi il mérite l’enfer, car il a démérité le paradis. Et partant, les péchés sont ici manifestés devant la justice divine, car il n’a jamais obtenu de la divine charité la contrition des péchés qu’il a commis.

Le soldat répondit : Il a certainement espéré d’obtenir la contrition avant de mourir.

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L’Ethiopien répliqua : Vous avez amassé tout ce qui a fait du bien ; vous connaissez si toutes ces paroles pieuses profitent à son salut ; toutes ces choses, quelles qu’elles soient, ne sauraient entrer en comparaison avec la grâce, qui est appelée contrition, qui sort de la charité avec la foi et l’espérance, laquelle il n’a pas. Partant, tout cela ne saurait effacer ses péchés, car la justice est en Dieu de toute éternité, qui veut qu’aucun n’entre au ciel qui n’aura eu la parfaite contrition.

Il est donc impossible que Dieu juge contre l’ordre et la disposition qu’il a prévus de toute éternité.

Donc, il faut que cette âme soit jugée à l’enfer, et il faut la joindre avec moi aux peines éternelles.

Ces choses étant dites et représentées, le soldat ne sut que dire à ces paroles.

Après ceci,on vit une multitude innombrable de diables semblables à des étincelles courantes d’un grand feu excité ; et ils criaient tous d’une voix, disant à celui qui était assis sur le trône comme un soleil : Nous savons que vous êtes un Dieu en trois personnes ; que vous êtes sans commencement ni fin ;que vous êtes le même amour auquel la miséricorde et la justice sont conjointes.

Vous avez été en vous-même de toute éternité. Vous n’avez rien qui vous diminue en vous ni hors de vous, qui vous transporte, comme il est décent et convenable à Dieu ; rien n’a joie sans vous.

C’est pourquoi votre amour a fait les anges de rien par votre puissance, et a créé les âmes par votre sagesse, comme votre miséricorde voulait.

Mais après que l’orgueil, l’envie et la cupidité nous eurent embrasés, soudain votre amour, qui aime la justice nous précipita du ciel avec le feu de notre misère dans l’abîme incompréhensible et ténébreux, qui est maintenant appelé enfer.

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C’est de la sorte que votre charité se gouverne, lorsqu’elle ne se sépare pas encore de votre juste jugement, soit qu’il soit fait selon la miséricorde, soit selon l’équité.

  Nous disons bien davantage: si ce que vous aimez pardessus tout, qui est la Sainte Vierge qui vous a enfanté, qui n’a jamais offensé, eût offensé Dieu mortellement et qu’elle fût morte sans la contrition divine, vous aimez tellement la justice qu’elle n’eût jamais obtenu le ciel, mais elle serait avec nous dans l’enfer !

Pourquoi donc, ô Juge, ne nous adjugez-vous pas cette âme, afin que nous la punissions selon ses oeuvres ?

Après, on ouït un son comme d’une trompette, et tous ceux qui l’ouïrent se turent, et soudain une voix leur disait : Silence ! écoutez, ô vous, anges, âmes et diables, ce que dit la Mère de Dieu !

Et à l’instant, la Mère de Dieu, paraissant devant le siège du juge, et ayant sous son manteau comme quelques choses grandes et cachées, dit : O ennemis, vous poursuivez la miséricorde et aimez la justice sans amour : bien que dans les bonnes oeuvres, il y apparaisse du défaut, pour lesquels cette âme ne doive obtenir le ciel, voyez néanmoins ce que j’ai sous mon manteau.

La Sainte Vierge ayant ouvert des deux côtés son manteau, d’un côté apparut comme d’une petite église où on voyait quelques moines ; en l’autre côté apparurent des femmes et des hommes, amis de Dieu, religieux et autres, qui criaient d’une voix, disant : Miséricorde, ô Dieu miséricordieux !

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Puis on fit un grand silence, et la Sainte Vierge parlais disant : L’Ecriture dit que celui qui a la foi parfaite peut transporter les montagnes. Que doivent et que peuvent donc faire ces voix des justes qui ont eu l’amour ? que feront les amis de Dieu pour cette âme qui les a priés de prier Dieu pour elle, afin qu’elle pût éviter l’enfer et obtenir le ciel, ni n’a jamais cherché autre récompense de ses bonnes oeuvre que le ciel ? Eh quoi ! Toutes les prières et les larmes de tous ces saints ne pourraient-elles pas lui obtenir, avant sa mort, la vraie contrition avec l’amour ? D’ailleurs, j’ajouterai mes prières aux prières de tous les saints qui sont au ciel, que cette âme avait en singulière recommandation et honneur spécial.

Et derechef, la Sainte Vierge dit : O diables ! Je commande en la puissance du Juge d’être attentifs à ce que vous voyez maintenant en la justice.

Lors tous répondirent comme d’une voix : Nous voyons qu’au monde il y a un peu d’eau et force air; on apaise l’ire de Dieu, et même de votre oraison il apaise la miséricorde avec l’amour.

Soudain on ouït une voix sortant du soleil, disant : Pour les prières de mes amis, celui-là obtiendra, avant de mourir, la contrition divine, de sorte qu’il ne descendra point dans l’enfer, Mais il sera purifié avec ceux qui, ayant commis de grands péchés, endurent une grande peine dans le purgatoire. Et cette âme, étant purifiée, aura la récompense au ciel avec ceux qui ont eu en terre la foi et l’espérance avec quelque petite charité. Ces choses étant dites, les démons s’enfuirent.

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Après, il semblait à l’épouse sainte Brigitte qu’elle voyait un lieu fort terrible, formidable et obscur qui s’ouvrait, où apparut en dedans une fournaise ardente ; et ce feu n’avait autre chose pour brûler que les démons et les âmes toutes vivantes ; et sur cette fournaise apparut cette âme, de laquelle nous avons ouï ci-dessus le jugement. Or les pieds de cette âme s’étaient attachés à la fournaise, et cette âme demeurait debout comme une seule personne. Or, elle n’était pas debout au sommet de la fournaise ni au plus bas, mais comme il a été dit, la forme en était terrible et admirable. Or, le feu de la fournaise semblait se pousser en haut vers les pieds de cette âme, comme quand l’eau est poussée en haut par le tuyau, de sorte que ses pores étaient comme des veines ouvertes d’où sortait le feu. Ses oreilles semblaient comme des soufflets qui émouvaient son cerveau. Ses yeux paraissaient détournés et enfoncés, et semblaient comme noués et attachés au derrière de la tête. Sa bouche était tout ouverte, et sa langue était tirée par les trous du nez et pendait sur ses lèvres. Ses dents étaient comme des clous de fer attachés au palais de la bouche. Ses bras étaient si étendus qu’ils allaient jusques aux pieds. De ses mains aussi semblait s’égoutter quelque graine avec une poix ardente. La peau, qui semblait être sur l’âme comme sur un corps, était comme une chemise de lin toute sale et vilaine. Cette chemise était tellement froide que tous ceux qui la voyaient en frémissaient ; et il procédait d’elle comme une certaine gale, une puanteur si horrible qu’on ne la saurait comparer à une plus infecte et plus pernicieuse puanteur.

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Ayant donc vu cette effroyable calamité, elle ouït la voix de cette âme qui dit cinq fois : Malheur ! criant de toutes forces avec un déluge de larmes.

1° Malheur, dit-elle, que j’ai aimé si peu Dieu pour ses très grandes vertus et pour les grâces dont il m’a comblée !

2° Malheur à moi de n’avoir craint la justice comme je devais !

3° Malheur à moi d’avoir aimé les voluptés et les plaisir de mon corps, qui m’ont induite au péché !

4° Malheur à moi pour avoir été ambitieuse des richesses et pour mon orgueil !

5° Malheur à moi de vous avoir vus, vous, ô Louis et Jeanne !

Et alors l’ange me dit : Je vous veux déclarer cette vision. Ce palais que vous avez vu est une figure du ciel. La multitude de ceux qui étaient assis, vêtus de vêtements blancs et éclatants, sont les anges et les âmes des saints. Le soleil signifie Jésus-Christ en sa Déité ; la femme, la Vierge qui a enfanté Jésus-Christ. L’Ethiopien signifie le diable qui accuse l’âme ; le soldat, l’ange qui dit les bonnes oeuvres de l’âme ; la fournaise, l’enfer qui brûle en telle sorte que, bien que tout ce qui se voit et tout ce qui est au monde brûlât, néanmoins, il n’entrerait en comparaison de la grandeur de ce feu. En cette fournaise, on entend diverses et différentes voix, toutes contre Dieu, et toutes commencent par Malheur ! et finissent par Malheur ! Les âmes y apparaissent comme des hommes dont les membres sont étendus sans consolation, sans jamais avoir repos. Sachez aussi que le feu que vous voyez en la fournaise brûle dans les ténèbres éternelles, et les âmes qui y brûlent n’ont pas toutes une peine égale. Or, les ténèbres qui apparurent à la fournaise sont appelées les limbes, qui procèdent des ténèbres qui sont dans la fournaise, et toutes sont quasi un lieu et un enfer.

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Quiconque descendra là-bas ne demeurera jamais avec Dieu. Sur ces ténèbres, les âmes souffrent les peines du purgatoire ; et outre ce lieu il y en a encore un autre, où il y a moindre peine, qui n’est autre qu’un défaut de force en la force, et de beauté et autres choses semblables, comme par exemple, si quelqu’un était infirme, et l’infirmité et la peine cessant, n’aurait point de forces, jusqu’à ce qu’il les recouvrât peu à peu.

Le troisième lieu, qui est plus haut que celui-ci, est celui où il n’y a autre peine qu’un désir de parvenir à Dieu. Et afin que vous entendiez mieux en votre conscience ce que c’est, je vous dis par exemple : Si l’airain se mêlait avec l’or, et tous deux brûlaient ensemble en un feu ardent, où il devait se purifier longtemps, jusqu’à ce que l’airain en fût consommé, et où l’or demeurerait pour or tout autant que l’airain serait fort et épais : tout autant serait-il nécessaire d’un grand feu, jusqu’à ce que l’or fût liquide comme de l’eau et qu’il fût tout ardent ; après, l’orfèvre porterait l’or en un autre lieu, jusqu’à ce qu’il eût la couleur d’or à la vue et la bonté à l’attouchement ; après, il le mettrait en un troisième lieu, où il serait gardé pour être présenté à son possesseur. De même en est-il dans les choses spirituelles. En premier lieu, la très grande peine du purgatoire, ce sont les ténèbres, où vous avez vu cette âme être purifiée, où il y a l’attachement des diables. Là en figure paraissent des vers vénéneux et des animaux farouches. Là est la chaleur, là est le froid en extrémité ; là sont les ténèbres et la confusion, qui sortent des peines de l’enfer. Là quelques âmes ont une grande peine, les autres une petite, selon que les péchés ont été amendés pendant que le corps était avec l’âme.

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Après, le maître, c’est-à-dire, la justice divine, porte les âmes en un autre lieu où il y a quelque défaut de forces, lieux où elles demeureront jusqu’à ce que le réfrigère éternel leur arrive, ou par les prières de leur amis spéciaux, ou par les continuelles oeuvres de la sainte Eglise, car l’âme, plus elle sera aidée de ses amis, plus tôt sera-t-elle soulagée et affranchie de ce lieu.

Après, l’âme est portée en un troisième lieu, où elle n’endure point de peine, mais où elle désire d’arriver à Dieu et à la vision béatifique. En ce lieu demeurent plusieurs et très longtemps, d’autant qu’il y en a peu qui, pendant qu’ils ont vécu, aient eu un parfait désir de parvenir à la présence de Dieu et à la vision béatifique. Sachez aussi qu’il y en a au monde qui vivent si justement et si innocemment, qu’ils arrivent soudain à la présence et vision de Dieu, quelques-uns ayant tellement amendé leurs péchés par des bonnes oeuvres, que leurs âmes n’endurent aucune peine. Mais il y en a qui n’arrivent au lieu où les âmes ont des désirs de parvenir. Partant, toutes les âmes qui arrivent en ces trois lieux et y demeurent, participent aux prières de la sainte Eglise et aux bonnes oeuvres qui se font par tout le monde, principalement à celles qu’elles ont faites pendant qu’elles ont vécu, et de celles qui se font par leurs amis après la mort. Sachez aussi que, comme les péchés sont de plusieurs et de diverses sortes, de même aussi les peines sont diverses et différentes. Partant, comme le famélique se réjouit de la viande qui vient à sa bouche, le sitibonde de la boisson, le triste de la joie, le nu du vêtement, l’infirme de trouver un lit, de même les âmes se réjouissent et participent aux biens qui se font pour eux dans le monde.

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Ensuite l’ange ajouta : béni soit celui qui, étant dans le monde, aide les âmes par ces oraisons, par ses bonne oeuvres et par le travail de son corps ! Car la justice de Dieu ne peut mentir, elle qui dit que les âmes se doivent purifier après la mort par la peine du purgatoire, ou être bientôt affranchies par les bonnes oeuvres de leurs amis.

Après cela, on entendait plusieurs voix du purgatoire, disant : O Seigneur Jésus-Christ, juste Juge, envoyez votre amour et votre charité en ceux qui, dans le monde, ont une puissance spirituelle, car lors, nous y participerons avec plus d’abondance qu’a leur chant, lecture et oblation. Or, sur l’espace d’où était ouïe cette plainte on voyait comme une maison en laquelle on oyait plusieurs voix qui disaient que Dieu récompense ceux qui nous envoient du secours en nos besoins.

On voyait encore en cette maison comme une aurore qui allait croissant peu à peu ; sous l ‘aurore apparut une nuée qui n’avait rien de la lumière de l’aurore, d’où il sortit une grande voix, disant ; O Seigneur Dieu, donnez de votre incompréhensible puissance à un chacun une centième récompense à ceux, qui, étant au monde, nous élèvent avec leurs bonnes oeuvres en la lumière de votre Divinité et à la vision de votre face.




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Chapitre 8 l‘intercession de la peine de l’âme

4008   L’ange parle à sainte Brigitte, épouse de Jésus-Christ, de l‘intercession de la peine de l’âme que Dieu nous a montrée au susdit chapitre, et de la rémission de la peine, d’autant qu’il pardonna à ses ennemis avant de mourir.

Pour le jour de l’ange gardien

  L’ange parle encore disant : Cette âme, dont vous avez vu la disposition et ouï le jugement, est en la plus grande peine du purgatoire, d’autant qu’elle ne sait si elle viendra au repos ou à l’enfer après cette purification ; et cela, la justice divine l’ordonne quelquefois ainsi, car cet homme abusait corporellement de la conscience et de la discrétion spirituellement pour une fin mondaine, d’autant qu’il a oublié et négligé Dieu tandis qu’il vivait. C’est pourquoi son âme pâtit l’ardeur du feu et tremble de froid ; elle est aveuglée des ténèbres, effrayée de la vue horrible des diables, sourde de leurs clameurs, famélique et sitibonde intérieurement, et extérieurement, elle est revêtue de confusion. Néanmoins, Dieu lui a fait une grâce après la mort : il l’a affranchie de l’attouchement des démons, d’autant qu’elle a pardonné, pour le seul honneur de Dieu, de grands péchés à ses mortels ennemis, et a fait amitié avec son capital et mortel ennemi. Sachez aussi que tout le bien qu’il a fait, tout ce qu’il a promis et donné de biens bien acquis, et principalement les prières qu’il a faites à Dieu, diminuent et soulagent sa peine, selon qu’il a été défini et résolu par la justice divine. Mais les biens qu’il a donnés, qui n’étaient pas bien acquis, profitent spirituellement à ceux qui en avaient la possession, ou corporellement, s’ils en sont dignes selon l’ordre que Dieu y a mis.

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Chapitre 9 jugement de la justice divine contre l’âme susdite, et de la satisfaction qu’il fallait faire en cette vie pour elle, qui était au purgatoire

4009 L’ange parle a l’épouse du jugement de la justice divine contre l’âme susdite, et de la satisfaction qu’il fallait faire en cette vie pour elle, qui était au purgatoire. L’ange parle encore : Vous avez ouï que, pour les prières des amis de Dieu, cette âme avait obtenu la contrition amoureuse de ses péchés, quelque peu de temps avant de mourir, laquelle contrition l’arracha de l’enfer. C’est pourquoi la justice divine a jugé qu’après la mort, elle devait brûler dans le purgatoire durant six âges (1), qu’elle a eus depuis l’heure où elle commit sciemment le premier péché mortel, jusqu’à ce que, par la divine charité, elle fit pénitence fructueuse, qu’elle en obtint de Dieu la grâce de la faire par les prières des amis de Dieu.

  Le premier âge donc a été qu’elle n’a pas aimé Dieu, de ce que Jésus-Christ avait enduré en son précieux corps tant de peines et de tribulations, voire la mort pour le salut des âmes.

  La deuxième fut qu’elle n’aima pas son âme comme un chrétien doit, ni ne rendit pas grâces à Dieu du baptême, et de ce qu’elle n’était ni juive ni païenne.

  Son troisième âge fut d’autant qu’elle sut bien ce que Dieu avait commandé de faire, mais elle eut peu d’affection à le parfaire.

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Le quatrième âges fut qu’elle sut bien ce que Dieu défend à ceux qui veulent aller au ciel, et impudemment elle se porta contre cela, suivant, non la syndérèse et remord de la conscience, mais bien sa volonté et ses affections brutales.


 (1) Jusques au jour du jugement universel, qui se fera le sixième âge. L’âge cinquième fut qu’elle ne s’est pas servie comme il faut de la grâce et de la confession, en différant si longtemps.

  Le sixième âge fut qu’elle se souciait peu du corps de Jésus-Christ, ne le voulant recevoir souvent, car elle ne voulait quitter ses péchés, ni n’eut amour à sa réception avant la fin de sa vie.

  Après ceci, apparut quelqu’un comme un homme grandement modeste en sa vue, les vêtements duquel étaient blancs et éclatants, une étole rouge au col et sous ses bras, qui commençait ses paroles en cette manière : vous qui voyez ceci, considérez, remarquez et retenez en votre mémoire tout ce que vous entendez et tout ce qu’on vous dit, car vous qui êtes vivants au monde, ne pouvez en cette manière entendre et concevoir la puissance de Dieu, et ce qu’il a ordonné avant le temps, comme nous qui sommes avec lui, car ce qui se fait en Dieu en un instant, cela ne peut être compris de vous, si ce n’est par paroles et similitudes conformes aux façons du monde.

  Je suis donc de ceux que cet homme, jugé au purgatoire, honorait de ses dons pendant qu’il vivait ; c’est pourquoi Dieu ma donné par sa grâce, que si quelqu’un voulait faire ce dont je les avertis, lors cette âme serait transférée en un lieu plus sublime, où elle recouvrerait sa vraie forme, et ne sentirait autre peine que comme celui qui aurait eu une grande maladie et serait exempt de toute sorte de douleurs, et serait gisant comme un homme sans forces.

p.155 Néanmoins il se réjouirait, d’autant qu’il saurait certainement qu’il parviendra à la vie éternelle Partant, comme vous avez ouï que cette âme a crié cinq fois : Malheur ! C’est pourquoi je lui dis cinq choses de consolation.

  Le premier malheur fut qu’elle aima peu Dieu. Partant, afin qu’elle soit affranchie, qu’on célèbre trente messes, dans lesquelles on offre le sang de Notre-Seigneur, et que Dieu y soit plus honoré.

  Le deuxième malheur fut qu’elle n’eut crainte de Dieu ; c’est pourquoi, pour la délivrer de la peine, qu’on choisisse trente prêtres dévots selon le jugement des hommes, et que chacun d’eux dise, quand il le pourra, trente messes : neuf des martyrs, neuf des confesseurs, neuf de tous les saints, vingt-huit des anges, vingt-neuf de la Sainte Vierge, et la trentième de la sainte Trinité, et que tous prient pour l’intention d’icelle, afin que l’ire de Dieu soit apaisée,et que sa justice soit fléchie à la miséricorde.

  Le troisième malheur fut pour sa superbe et sa cupidité. Partant, pour abolir ce crime, qu’on prenne trente pauvres, desquels on lave les pieds avec humilité, et qu’on leur donne à manger, argent, vêtement, pour leur consolation : et tant celui qui les lave que celui qui est lavé, prient Dieu humblement, afin que, par humilité et la passion de Jésus, il pardonne à l’âme la superbe et la cupidité qu’il a commises.

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Le quatrième malheur fut à raison de la volupté lubrique. Partant, si quelqu’un donnait pour faire entrer une vierge en un monastère et une veuve aussi, et pour marier une fille, leur donnant à toutes autant qu’il en serait besoin pour leur vivre et pour leur vêtement, lors Dieu pardonnerait le péché qu’elle a commis en chair, car ce sont les trois voies de vie que Dieu a établies et élues en ce monde. Le cinquième malheur fut de ce qu’il avait commis plusieurs péchés au dommage et affliction de plusieurs, savoir, quand il employa toutes ses forces pour que deux proches parents se mariassent ensemble, ce qu’il fit plus en sa propre considération que pour l’utilité du royaume, faisant cela sans permission du pape contre l’ordre louable de la sainte Eglise.

Pour ce fait, il y a eu plusieurs martyrs, ne voulant souffrir qu’un tel acte se fit contre Dieu, contre l’Eglise et contre les moeurs et coutumes chrétiennes : disant que si quelqu’un voulait absoudre un tel péché, il fallait aller au pape, disant qu’un homme a commis un tel péché, sans nommer la personne ; et néanmoins, à la fin, il s’en repentit et en obtint l’absolution, la faute n’est pas amendée.

Imposez-moi donc telle pénitence que vous voudrez, pourvu que je la puisse porter, car je suis prêt à amender pour lui le péché.

Vraiment, si l’on n’eût imposé à celui-ci qu’un Pater noster, il aurait profité pour la diminution de la peine du purgatoire.


Chapitre 10 Notre-Seigneur Jésus-Christ se plaint des romains à son épouse, et lui parle de la cruelle sentence qui est prononcée contre eux, s’ils meurent en leurs péchés.

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Le Fils de Dieu dit ces paroles : O Rome, vous me rendez une mauvaise récompense pour tous les bienfaits dont je vous ai comblée. Je suis Dieu, qui ai créé toutes choses, et ai manifesté et témoigné mon très grand amour par la très dure et cruelle mort et passion que j’ai souffertes volontairement pour le salut des âmes.

Il y a trois voies par lesquelles je veux que vous soyez ouïe, et véritablement en toutes, vous m’avez voulu tromper. En la première voie, vous avez suspendu une grande pierre sur ma tête, afin qu’elle m’écrasât. En la deuxième, vous avez une lance fort aiguë, qui ne me permet d’aller à vous. En la troisième, vous m’avez creusé une fosse, afin qu’y tombant à l’improviste, je fusse suffoqué. Or, ce que je dis maintenant se doit entendre spirituellement, non corporellement. Certainement, je parle aux habitants de Rome qui font trois choses, mais non pas à mes amis, qui ne suivent point ses oeuvres.

La première voie donc par laquelle j’ai accoutumé de venir au coeur des hommes, est la vraie crainte de Dieu, sur laquelle l’homme suspend une grande pierre, c’est-à-dire, une grande présomption d’un coeur endurci, ne craignant le Juge auquel pas un ne peut résister. Mais hélas ! il dit en son coeur : Si la crainte de Dieu m’arrive, la présomption la brisera dans mon coeur.

La deuxième voie par laquelle je viens, est l’infusion de mon divin conseil, qu’on reçoit souvent dans les prédications et les enseignements. Or, l’homme met lors une lance contre moi en la voie, quand il pèche avec délectation contre mes préceptes, proposant de persévérer fermement en ses péchés jusques à ce qu’il ne puisse plus pécher. Certainement, c’est cette lance-là qui empêche que la grâce de Dieu ne vienne à lui.

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La troisième voie est l’illumination du Saint-Esprit dans les coeurs de chaque homme, par laquelle l’homme peut entendre et considérer quelles choses et combien j’ai fait pour l’amour de lui, et ce que j’ai souffert en moi-même pour l’amour de lui. Certainement, il m’a creusé en cette voie une fosse fort profonde, parlant en ces termes en son coeur : tout ce qui me plaît m’est plus cher que la charité, et me satisfait de penser les choses qui me plaisent en cette vie ; et de la sorte, la charité divine avec ses oeuvres sont suffoquées par lui comme une fosse profonde.

Véritablement, les habitants de Rome me font tout cela, et montrent vraiment cela par paroles et par oeuvres, réputant pour néant mes paroles et mes oeuvres, prenant pour jouet moi ; ma Mère et mes saints, ce qui est sérieux en risée, me maudissant par colère, m’offrant des contumélies pour des actions de grâces. Certainement, ils ne vivent point selon la coutume des chrétiens, comme la sainte Eglise le commande, car ils n’ont pas plus grande charité que les diables, qui aiment mieux souffrir éternellement leurs misères et retenir leur malice, que me voir et qu’être unis avec moi en gloire éternelle. Vraiment, tels sont ceux qui ne veulent point recevoir mon corps, qui est ce pain transubstantiel en mon corps par les paroles de la consécration que j’ai instituées, la réception duquel est grandement contre les tentations diaboliques.

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Oh ! Que misérables sont ceux qui, pendant qu’ils sont sains, rejettent et abhorrent un tel secours comme un venin, et ne veulent se retenir de pécher. Je viendrai donc maintenant à eux par une voie inconnue avec la puissance de ma déité, faisant la vengeance des outrages qu’ils ont faits à mon humanité, et contre ceux qui la méprisent. Et comme ils m’ont préparé en la voie trois obstacles, je leur en préparerai aussi trois autres, dont l’amertume sera ressentie en la vie et après la mort. La pierre que je leur suspendrai est la mort soudaine qui les écrasera, en telle sorte que tout ce qu’ils ont pour leur joie sera laissé, et leur âme seule sera contrainte de comparaître en jugement. Ma lance est ma justice, qui les éloignera tellement de moi qu’ils ne goûteront jamais ma bonté. Je les ai créés et rachetés, ils ne verront jamais ma beauté. Ma fosse est obscurité profonde de l’enfer, en laquelle ils tombent, vivant en misère éternelle. Tous mes anges et tous mes saints au ciel les condamneront ; tous les démons et toutes les âmes damnées les maudiront. Mais je parle de ceux-là qui vivent comme nous avons dit ci-dessus, soit qu’ils soient religieux, soit qu’ils soient clercs séculiers, soit laïques, soit femmes, soit leurs enfants, qui seront arrivés à l’usage de raison, pour connaître ce que Dieu a défendu tous les péchés desquels néanmoins ils s’enveloppent volontairement, bannissant l’amour de Dieu et méprisant sa crainte.

Néanmoins, j’ai la même volonté que j ‘avais quand j’étais pendu en croix ; je suis le même que j’étais quand je pardonnai au larron et lui ouvris les portes du ciel, quand il demandait miséricorde. J’ouvris aussi l’enfer à l’autre qui me méprisait, l’enfer où il est tourmenté éternellement pour ses péchés.




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Chapitre 11 Pour le jour de l’Annonciation de la Sainte Vierge


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4005