Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4018

Chapitre 18   

4018   Sainte Brigitte loue la sainte et glorieuse Vierge. Réponse gracieuse de la Vierge à sa fille, d’autant que, par elle, plusieurs filles, apôtres et saints, sont allumés en l’amour, et de plusieurs autres biens.

  O douce Vierge Marie ! dit l’épouse, bénie soyez-vous d’éternelle bénédiction, car vous êtes vierge avant l’enfantement, vierge après, vierge avec l’époux, vierge aussi sans doute, lors même que l’époux (saint Joseph) est en doute ! Partant, bénie soyez-vous, puisque vous êtes vierge et mère ; puisque par-dessus toutes, vous êtes très chère à Dieu : puisque vous êtes très pure par-dessus les anges ; puisque vous êtes pleine de foi avec les apôtres ; puisque vous avez été très pleine d’amertume ; puisque vous êtes très signalée en abstinence par-dessus les confesseurs, très excellente en continence et chasteté par-dessus les vierges !

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Partant, que ce qui est au ciel et ce qui est en la terre vous bénisse, puisque par vous, Dieu Créateur est fait homme. Par vous, le juste a trouvé grâce, le pécheur pardon, la mort la vie, et le banni retourne en sa patrie.

La Sainte Vierge répondit : Il est écrit que Pierre rendant témoignage que mon Fils était Fils de Dieu, il lui a été répondu : Bienheureux êtes-vous, saint Simon, car la chair et le sang ne vous l’on pas révélé ! J’en dis de même maintenant : l’âme charnelle ne vous a pas révélé cette salutation, mais celui qui est sans commencement et sans fin. Partant, soyez humble, car je vous serai miséricordieuse ; saint Jean-Baptiste, comme il vous l’a promis, vous sera très doux ; saint Pierre vous sera mansuet, et saint Paul vous sera fort comme un géant ; et lors saint Jean vous dira : Ma fille, soyez assise sur mes genoux ; saint Pierre vous dira : Ouvrez la bouche et je vous repaîtrai d’une viande douce, et saint Paul vous revêtira et vous armera des armes de l’amour ; et moi, qui suis la Mère, je vous présenterai à mon fils.

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Vraiment, ma fille, vous pouvez entendre ceci spirituellement, car en Jean, qui signifie grâce de Dieu, est marquée la vraie obéissance, car il était doux : doux à ses parents, à cause de sa grâce admirable ; doux aux hommes, à raison de son excellente prédication ; doux à Dieu, pour l’obéissance et la sainteté de sa vie. Il a enfin obéi en sa jeunesse ; il a obéi en prospérité et en adversité ; il a obéi avec humilité, pouvant être honoré, et il a obéi en sa mort. C’est donc l’obéissance qui dit : Asseyez-vous sur mes genoux, c’est-à-dire, descendez aux choses humbles, et vous monterez aux hautes ; laissez les amères, et vous obtiendrez les douces ; laissez la propre volonté, si vous voulez être petite ; méprisez les choses terrestres, et vous serez céleste, retranchez les superflues, et vous jouirez d’une abondance spirituelle.

En Pierre est marquée la foi de la sainte Eglise, car comme la foi de Pierre a persévéré jusqu'à la fin, de même la foi de la sainte Eglise demeurera permanente jusqu’à la fin. Donc, Pierre, c’est-à-dire, la sainte foi, vous dit : Ouvrez la bouche, et vous goûterez une viande très bonne ; c’est-à-dire, ouvrez l’entendement, et vous trouverez en la sainte Eglise une viande très douce, c’est-à-dire, le précieux corps de Notre-Seigneur, au saint et auguste sacrement de l’autel. Vous y trouverez la vieille et nouvelle loi, les explications des docteurs, la patience des martyrs, l’humilité des confesseurs, la chasteté des vierges et le fondement de toutes les vertus. Partant, cherchez en l’Eglise de saint Pierre la sainte foi, et l’ayant trouvée, retenez-la en mémoire et consommez-la par oeuvres.

En saint Paul est marquée la patience, car lui fut fervent contre ceux qui combattaient la sainte foi, se réjouissant dans les tribulations, dans l’espérance, patient en ses infirmités, compatissant avec les tristes, humble en ses vertus, hospitalier aux pauvres, miséricordieux aux pécheurs, maître et docteur de tous, persévérant jusqu’à la fin en l’amour de Dieu.

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Donc Paul, c’est-à-dire, patience, vous armera des armes de vertu, car la patience est vraiment affermie et fondée par les exemples ; et la patience de Jésus-Christ et de ses saints, a allumé l’amour de Dieu en son coeur, et embrasé son âme pour faire de grandes choses ; elle a rendu son âme humble, douce, miséricordieuse et fervente aux choses célestes, ayant soin de son avancement et de persévérer en ce qu’il avait entrepris.

Tout homme donc que l’obéissance nourrit au genou de l’humilité, la foi le nourrit d’une viande douce, et la patience le revêt des armes des vertus. C’est celui-là que moi, Mère de miséricorde, introduis à mon Fils, qui le couronnera de la couronne de sa douceur, car en lui il y a une force incompréhensible, une incomparable sagesse, une vertu puissante, une charité admirable, et pas un ne le ravira à sa main.

Néanmoins, ma fille, bien que je vous parle à vous seule, j ‘entend pourtant par vous tous les hommes qui suivent la foi sainte par les oeuvres de charité, car comme en un homme Israël, j’entendais tout le peuple d’Israël, aussi par vous sont entendus tous les vrais fidèles.


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Chapitre 19 Pour le jour de la fête de la Nativité de la Sainte Vierge.

4019 Sainte Brigitte parle à Notre-Dame, de la vertu, de la louange, de la beauté. Réponse de la Vierge, confirmant sa louange. Manière dont le Fils compare la Vierge à un orfèvre.

Pour le jour de la fête de la Nativité de la Sainte Vierge.

  O douce Marie ! Beauté toute nouvelle, beauté toute resplendissante, venez à mon aide, afin que ma laideur et ma difformité soient ôtées, et que la charité s’allume en moi, car votre beauté donne trois choses à la tête :

1° elle purifie la mémoire, afin que les paroles de Dieu entrent doucement et avec goût ;

2° afin que ce qu’on a ouï soit retenu avec délectation ;

3° afin qu’on le communique au prochain avec amour.

Votre beauté donne aussi au coeur trois choses : 1° elle ôte le faix de la paresse et de la lâcheté, si on considère votre charité et votre humilité ; 2° elle donne des larmes aux yeux, si on contemple votre pureté et votre patience ; 3° elle donne au coeur, pour l’éternité, la ferveur de douceur si sincèrement qu’on pense à votre beauté. Vous êtes vraiment Dame, beauté très précieuse, beauté très désirable, car vous vous êtes donnée pour secours aux infirmes, en soulas aux affligés, et à tous en médiatrice.

Tous ceux donc qui oiront que vous naîtrez ou que vous êtes née, peuvent bien dire : Venez, ô beauté très éclatante, et ôtez notre opprobre ! Venez, ô beauté très douce, et adoucissez notre aigreur ! Venez, ô beauté très puissante, et affranchissez notre captivité ! Venez, ô beauté très honnête, et effacez notre laideur ! Bénie et vénérable soit une telle beauté, que tous les patriarches désiraient voir, de laquelle tous les prophètes ont chanté les louanges, et de laquelle tous les élus se réjouissent !

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La Mère de Dieu répondit : béni soyez-vous, mon Dieu ! Ma Beauté vous a fait dire ces paroles. Partant, je vous dis que la beauté très ancienne, éternelle et très éclatante, qui m’a faite et créée, vous confortera. La beauté très ancienne et nouvelle, renouvelant toutes choses, qui a été en moi et qui est sortie de moi, vous enseignera des merveilles. La beauté très désirée, réjouissant toutes choses, enflammera votre âme de son amour. Partant, confiez-vous en Dieu, car quand la beauté céleste apparaîtra, toute la beauté terrestre sera confondue et sera réputée comme fiente.

Après, le fils de Dieu dit à sa Mère : O Mère bénie, vous êtes semblable à l’orfèvre qui prépare un bel ouvrage. Tous ceux qui verront cet ouvrage s’en réjouiront, et alors, ils offriront leurs pierres précieuses, ou bien de l’or pour parfaire cet ouvrage. De même vous, ma Mère bien-aimée, vous donnez secours à tous ceux qui s’efforcent de venir à Dieu et ne laissez aucun vide de vos consolations. Partant, vous pouvez être très bien appelée le sang de mon coeur, car comme, par le sang, tous les membres du corps sont vivifiés, confortés et corroborés, de même, par vous, tous ressuscitent du péché et se rendent fructueux pour Dieu.


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Chapitre 20 Sainte Agnès instruit sainte Brigitte, sa fille spirituelle, de ne reculer jamais et de n’avancer plus qu’on ne doit

4020   Sainte Agnès instruit sainte Brigitte, sa fille spirituelle, de ne reculer jamais et de n’avancer plus qu’on ne doit. De la manière dont il se faut garder aux abstinences qu’on commence et en celles qui sont commencées, et quelle continence est agréable à Dieu.

  Sainte Agnès parle à sainte Brigitte, sa fille, disant : Ma fille, soyez ferme et constante, et ne reculez pas, car le serpent mordant et mortifère vous talonne ; ni aussi, n’avancez pas plus qu’il ne faut, car la pointe de la lance est devant vous, de laquelle vous serez blessée, si vous avancez plus qu’il n’est juste et raisonnable. Or qu’est-ce que reculer, sinon se repentir ès tentations d’avoir pris l’austérité et les choses salutaires, et vouloir retourner aux habitudes accoutumées, et se plaire à penser de sales pensées ? Que si telles choses délectent l’esprit, elles aveuglent à toute sorte de biens, et peu à peu retirent de tout bien. Vous ne devez pas aussi avancer plus qu’il ne faut, c’est-à-dire, vous affliger par-dessus vos forces, ou imiter les autres en leur bonnes oeuvres par-dessus les forces de la nature, car de toute éternité, Dieu a disposé que le ciel serait ouvert aux pécheurs par les oeuvres de charité et d’humilité, la mesure et la discrétion étant gardées partout.

Or, maintenant, le diable envieux suggère aux imparfaits de jeûner par-dessus leurs forces, de faire des choses inouïes et insupportables, de vouloir imiter ce qui est plus parfait, sans considérer ses forces et ses infirmités, afin que les forces manquant, l’homme continue ce qu’il a mal commencé, pour la honte des hommes plus que pour l’amour de Dieu, ou bien qu’il défaille plus tôt qu’il n’aurait fait, à raison de son indiscrétion et de son infirmité. C’est pourquoi mesurez-vous en vous même, c’est-à-dire, considérez vos forces et votre infirmité, car les uns sont de leur nature débiles, les autres forts ; les uns sont fervent par la grâce de Dieu, les autres joyeux de leur bonne inclination

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Partant, gouvernez votre vie selon le conseil de ceux qui craignent Dieu, de peur que, par inconsidération, le serpent ne vous morde, ou que la pointe du glaive vénéneux, c’est-à-dire, la suggestion pestiféré du diable, ne décerne votre esprit, que vous vouliez être vue ce que vous n’êtes pas, ou que vous désiriez être ce qui surpasse vos forces et votre vertu. Car il y en a quelques-uns qui croient obtenir le ciel par leurs mérites, lesquels Dieu préserve des tentations de Satan par une occulte dispensation. II y en a d’autres qui pensent plaire et satisfaire à Dieu par leurs bonnes oeuvres pour les excès qu’ils ont commis, l’erreur desquels est tout à fait damnable. Que si l’homme tuait son corps cent fois, il ne pourrait avec mille répondre à un, car c’est lui qui donne le pouvoir et le vouloir, le temps et la santé ; c’est lui qui remplit nos désirs de toute sorte de biens, qui donne des richesses et la gloire ; c’est lui qui mortifie et vivifie, qui exalte et humilie, et toutes choses sont en sa main ; partant, c’est à lui seul qu’il faut rendre l’honneur, et les mérites des hommes (1) ne sont d’aucun prix devant Dieu.

  (1) Qui sont faits sans la charité.

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Quand à ce que vous admirez de la Dame qui, venant aux indulgences, a été corrompue, je réponds: Il y a des femmes qui ont la continence, mais qui n’ont point d’amour, chez lesquelles la délectation n’est pas grande ni la tentation violente, et qui, si on leur présentait des partis honorables, les accepteraient ; mais parce qu’il ne s’en présente pas de grands, elles méprisent les petits. De là vient que, de leur continence, sortent une superbe et une présomption, à raison de quoi il arrive par la permission divine qu’elles tombent comme vous avez ouï. Que s’il s’en trouve quelqu’une qui, pour tout le monde, ne voudrait être corrompue, il est impossible qu’une telle soit abandonnée aux choses sales. Néanmoins, s’il arrivait qu’une telle tombât, ma justice occulte et cachée le permettant ainsi, cela lui réussirait à mérité et non à péché, pourvu que cela fût contre sa volonté.

Partant, sachez pour certain que Dieu est comme un aigle qui regarde d’en haut les choses basses : que s’il voit quelque chose s’élever de la terre, soudain il abaisse cela même ; que s’il voit quelque chose de vénéneuse contre lui, il le perce comme une sagette ; que si quelque chose d’immonde distille de plus haut sur lui, il le secoue fortement comme une oie, et le jette loin de lui. De même en fait Dieu. S’il voit les coeurs des hommes se dresser contre lui, ou par la fragilité de la chair, ou par les tentations du diable, et néanmoins contre la volonté de l’esprit, soudain, comme une fronde, il met cela à néant par l’inspiration de componction ou de pénitence, et fait retourner l’homme à soi-même et à Dieu.

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Que s’il voit que le venin de la cupidité de la chair ou des richesses entre dans le coeur, tout à l’instant il outreperce la volonté de la sagette de son amour, afin que, si l’homme vient à persévérer dans le péché (1), il ne soit séparé tout à fait de Dieu. Que si quelque chose immonde du péché de superbe, ou quelque sale luxure, vient à solliciter l’esprit, tout aussitôt comme une oie, il le chasse par la constance de la foi et de l’espérance, afin que l’âme ne s’endurcisse dans les vices, ou que l’âme unie avec Dieu ne soit coupablement souillée. Partant, ô ma fille ! Considérez en toutes vos oeuvres et toutes vos affections, la miséricorde et la justice, et pensez à la fin.

(1) C’est-à-dire, à la tentation, qui est appelée tentation, à raison qu’elle induit à péché, y consentant.


Chapitre 21 Pour le jour de saint Jérôme.

4021   L’épouse parle à Dieu de sa vertu et magnificence. Réponse de La Vierge à sa fille, la consolant. Comment les bons serviteurs de Dieu ne doivent jamais cesser de prêcher et d’avertir les hommes, soit qu’ils se convertissent, soit que non, ce qu’ils prouvent par un exemple.

Pour le jour de saint Jérôme.

  Béni soyez-vous, mon Dieu, qui êtes un et trine, trine en personnes et un en nature ! Vous êtes la même bonté et la même sagesse, la même beauté et puissance, la même justice et vérité, par lesquelles toutes choses sont, vivent et subsistent. Vous êtes semblable à la fleur qui croît singulièrement dans les champs ; tous ceux qui s’en approchent, en sentent l’odeur à l’odorat, l’allègement au cerveau, le plaisir aux yeux, la force en tout le reste des membres : de même tous ceux qui s’approchent de vous sont rendu beaux par le délaissement du péché, sont faits plus sage, suivant, non par la volonté de la chair, mais la vôtre ; ils sont fait plus justes, suivant l’utilité de l’âme et l’honneur de Dieu.

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Partant, ô Dieu très pieux ! Faites-moi la grâce d’aimer ce qui vous plaît, de résister courageusement aux tentations, de mépriser toutes les choses mondaines, et de me souvenir de vous incessamment.

La Mère répondit : Saint Jérôme vous a mérité cette salutation, lui qui, se retirant de la fausse sagesse, a trouvé la vraie ; qui, méprisant l’honneur terrestre, a gagné Dieu même. Heureux un tel Jérôme ! Heureux ceux qui imitent sa doctrine et sa vie ! Il a été le protecteur des veuves, le miroir des avançants et le docteur de toute pureté. Mais dites-moi, ma fille, qu’est-ce qui sollicite et touche votre coeur ?

Elle répondit : Une pensée me vient souvent en la mémoire, qui me dit : Si vous êtes bonne, votre bonté vous suffit. Que vous importe de promouvoir les autres, d’enseigner les meilleurs, qui ne sont ni de votre ordre ni de votre condition ? Cette pensée obscurcit tellement mon esprit qu’il s’oublie soi- même et se refroidit entièrement de la charité.

La Mère répondit : Cette pensée en éloigne plusieurs de Dieu, car le diable empêche les bons qu’ils ne parlent aux mauvais, de crainte qu’ils ne les convertissent. Il empêche aussi qu’on ne parle aux bons, de peur qu’ils ne soient élevés à un plus haut degré de perfection, car les bons, oyant la doctrine des bons, sont poussés et attirés à plus grande perfection et à plus grands mérites.

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Comme cet eunuque, lisant Isaïe, tomba aux peines petites de l’enfer, saint Philipe, lui allant au-devant, lui enseigna le chemin abrégé pour aller au ciel, et l’éleva à un lieu plus heureux, de même saint Pierre fut envoyé à Cornélius. Si Cornélius fût auparavant mort, il fût arrivé, à cause de sa foi, au réfrigère, mais saint Pierre, venant, le mit à la porte de vie. De même saint Paul vint à saint Denis, et le conduisit aux récompenses bienheureuses.

Donc, les amis de Dieu ne se doivent rendre lâches au service de Dieu, mais travailler afin que le méchant devienne bon, et que le bon parvienne à la perfection, car quiconque aurait une bonne volonté de mettre dans les oreilles de tous les passants que Jésus-Christ est vrai Fils de Dieu, et s’efforcerait autant qu’il pourrait de convertir les autres, bien qu’aucun ou bien peu se convertissent, néanmoins, en obtiendrait autant de récompense que si tous s’étaient convertis. Comme je vous dis par exemple : si deux mercenaires, par le commandement de leur maître, avaient foui une montagne fort dure, que l’un trouvât de l’or tout épuré et que l’autre ne trouvât rien, ces deux, à raison de leur labeur et bonne volonté, seraient dignes d’une récompense égale ; comme saint Paul, qui en a converti plus que les autres apôtres, qui en convertissaient peu, tous néanmoins en avaient une même volonté et désir ; mais l’ordre, la disposition occulte et cachée en ce fait, le permettait autrement : c’est pourquoi il ne faut pas cesser de prêcher, bien que peu ou pas un ne reçoive la parole divine, car comme l’épine conserve la rose et l’âme porte son maître, de même le diable, épine du péché, profite aux élus par les tribulations, comme les épines conservent la rose, afin que, par la présomption intérieure, ils ne s’évaporent en vanité, et comme un âne, il le porte aux consolations divines et aux plus grandes récompenses.

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Chapitre 22 la malice des hommes de ce temps surpasse les ruses de Satan

4022   Il est ici parlé de la manière dont la malice des hommes de ce temps surpasse les ruses de Satan. Comme les hommes maintenant sont plus prompts à pécher que le diable à tenter. De la sentence qui est fulminée contre telle sorte de personnes. En quelle sorte les amis de Dieu doivent courageusement travailler à prêcher, et de la science infuse en ses amis.

  Le Fils de Dieu parle, disant : Si je me pouvais troubler, à bon droit et raison dirais-je maintenant : Je me repens d’avoir fait l’homme, car l’homme maintenant est comme un animal qui court franchement dans les pièges ; et bien qu’on l’en avertisse, néanmoins il y court toujours, suivant les appétits de sa volonté. Il ne faut pas non plus maintenant en imputer la faute au diable, qu’il trahisse et violente l’homme, puisque l’homme prévient sa malice. Il fait comme les chiens de chasse : au commencement, on les mène accouplés, et puis, étant accoutumés à la chasse, à prendre et à dévorer les animaux, ils préviennent le chasseur, en chassant et en courant : de même maintenant, l’homme accoutumé à pécher est plus prompt à pécher que le diable à tenter. Ni n’est pas de merveilles s’il y a longtemps que le siège apostolique ne plaît pas à Dieu en sainteté de vie, comme il faisait en la primitive Eglise : c’est pourquoi le reste de ses membres se sont rendus débiles et languissants. Ni on ne considère pas pourquoi Dieu riche s’est fait pauvre, afin qu’il enseignât à mépriser les choses périssables et à aimer les choses célestes. Mais que l’homme, pauvre de sa nature, ait été fait riche des fausses richesses, c’est ce que tous désirent d’imiter, et il s’en trouve bien peu qui ne le suivent.

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C’est pourquoi le laboureur viendra du très puissant affiné par le très sage, qui ne cherche pas les terres et la beauté corporelle, qui ne craint point la force et la puissance des plus forts ni les menace des princes, qui n’a point d’acception de personnes, qui sèmera les terres des corps des hommes, et ruinera les bâtiments de l’esprit, qui donnera les corps à la vermine, et les âmes à ceux qu’elles ont servis.

C’est pourquoi, que mes amis auxquels je vous enverrai travaillent vitement et généreusement, car au dernier jour, il ne sera pas temps de faire ce que je dis, mais bien maintenant ; et les yeux de plusieurs qui vivent maintenant, le verront, afin que ce qui est écrit soit accompli : Que leurs femmes soient veuves ; que leurs fils soient sans père, et que tout ce qui est désirable leur soit ôté. Néanmoins, quiconque vient vers moi avec humilité, moi, qui suis Dieu miséricordieux, je le reçois avec joie. Or, ceux qui auront accompli par oeuvres les fruits et devoirs de la justice, à ceux-là je me donnerai moi-même, car il est juste et équitable que la maison soit nettoyée, en laquelle le roi doit entrer ; que le verre soit nettoyé, afin qu’on y voie clairement la boisson ; qu’on frappe et qu’on batte le blé, afin qu’il se sépare de l’arête.

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Néanmoins, si après l’hiver vient l’été, quand à moi, après l’affliction, je donnerai la consolation à ceux qui désirent être petits, et qui considèrent et estiment plus les choses célestes que les choses terrestres. Néanmoins, comme la naissance et la mort de l’homme ne sont pas en même temps, de même toutes choses s’accompliront maintenant en leur temps.

Sachez aussi que je me veux comporter avec quelques-uns selon la maxime commune : Frappez-le au col, et il courra, et la tribulation le contraindra de se hâter. Avec les autres, je ferai comme il est écrit : Ouvrez votre bouche, et je la remplirai. Aux autres, je dirai en les consolant et les inspirant : Venez, ô idiots et simples, et je vous donnerai parole et sagesse, auxquelles les babillards ne pourront résister. J’en ai fait de même ces jours passés : je remplis les simples de ma sagesse, et ils résistent aux doctes. J’ai arraché ces grands discoureurs et puissants, et soudain ils se sont évanouis, ni n’est de merveille, car j’ai dit aux sages, qu’ils coupassent les langues des serpents, comme vous avez ouï, et ils n’ont pas voulu mourir ; ni la Mère, qui a été la Vierge, n’a pas voulu boucher la bouche pour éteindre le feu de la cupidité allumé dans le coeur de ses enfants, comme j’ai dit, c’est pourquoi je les ai ôtés et ai coupé leurs langues.


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Chapitre 23 Saint Jean l’Evangéliste parle à la Sainte Vierge Marie d’un hypocrite fin et méchant

4023   Saint Jean l’Evangéliste parle à la Sainte Vierge Marie d’un hypocrite fin et méchant. Réponse de la Vierge. De quelle manière il est devenu tel. Des illusions que le diable lui donne. Comment, par sept signes, un bon esprit est connu, et par autant, le malin esprit.

  Saint Jean l’Evangéliste dit à la mère de Dieu : Oyez, ô Vierge et Mère d’un Fils unique, Mère du Fils unique de Dieu, Créateur et Rédempteur de tous, oyez, combien celui-ci est trompé du diable, combien il se peine pour acquérir ce qui est impossible ; de combien de choses il est instruit par l’esprit de mensonge ; combien il s’éloigne de Dieu en espèce de brebis et en forme de lion. J’ai enseigné qu’il y a trois choses qui donnent témoignage au ciel et en terre : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Or, à celui-là, le malin esprit lui porte témoignage qu’il est tout saint, non en effet, mais par tromperie de Satan et dissimulation, lequel le Père ne fortifie point par sa puissance, le Fils ne vivifie point par sa sagesse,ni le Saint-Esprit n’enflamme, point par son amour : ce n’est pas de merveille, car il aspire à la puissance contre la puissance du Père ; il veut être sage contre la sagesse du Fils ; il est enflammé, mais d’un autre amour que du Saint-Esprit.

Partant, dit saint Jean à la Sainte Vierge Marie, priez votre Fils, ou afin qu’il soit bientôt enlevé, afin qu’il ne perde les autres, ou qu’il soit soudain humilié pour ses fautes.

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La Mère de Dieu répondit : Oyez, vous, ô homme vierge ! Vous êtes celui qu’il a plu à Dieu d’appeler de ce monde par une mort si douce qu’elle s’approchait de la mienne, car je m’endormis quasi en la séparation de l’âme et du corps, et m’éveillai en une joie perpétuelle. Ni cela n’est pas de merveille, d’autant que j’ai souffert plus de peine et d’amertume à la mort de mon Fils ; c’est pourquoi il a plu à mon Dieu de me tirer du monde avec une mort fort douce et très glorieuse. Or, vous, entre tous les apôtres, m’avez approchée de plus près et avez expérimenté des signes d’un plus grand amour par-dessus les autres. La passion de mon Fils vous a été autant amère par-dessus les autres, que vous l’avez de plus près et plus clairement regardée ; et d’autant que vous avez vécu plus retiré et plus loin de vos frères, et quasi en leur éloignement, vous avez été martyr ; c’est pourquoi il a plu à Dieu de vous appeler du monde, par la plus douce mort après la mienne ; et d’autant que la Vierge vous fut recommandée, à vous qui êtes vierge, c’est pourquoi ce que vous avez demandé sera fait et ne sera point différé.

Toutefois ; mon fils, je veux vous montrer l’état et la manière de celui dont nous parlons : il est comme le serviteur d’un batteur de monnaie, c’est-à-dire, du diable, qui fond et bat monnaie (c’est-à-dire, celui qui le sert) par des suggestions et tentations, jusques à ce qu’il l’ait attiré à ses vouloirs.

  Quand il a corrompu les volontés des hommes, et les a inclinées aux délectations de la chair et de l’amour du monde, soudain il imprime en lui comme un cachet gravant sa forme et son inscription, car lors il paraît assez, des signes extérieurs, qu’il aime de tout son coeur ; or, quand l’homme accomplit par oeuvre les désirs de son coeur, et s’enveloppe plus dans les affaires du monde que son état et sa condition ne permettent, et ferait, s’il pouvait, comme il veut, lors on connaît que c’est la parfaite monnaie du diable.

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Néanmoins, autre est la monnaie du diable, autre celle de Dieu. La monnaie de Dieu est d’or, luisante, précieuse et de bon aloi. De même toute âme en laquelle Dieu a imprimé son cachet, est reluisante de la divine charité, habituée à la patience, précieuse par la persévérante continuation aux bonnes oeuvres. Donc, toute âme qui est bonne est faite par la vertu de Dieu telle, et est éprouvée par plusieurs tentations, par lesquelles l’âme, venant à penser à son origine et à ses défauts, et par la patience et pitié que Dieu en a, devient autant précieuse devant Dieu qu’elle est humble, patiente, et soigneuse de son salut. Or, la monnaie du diable est de cuivre et de plomb : de cuivre, d’autant qu’elle a quelques rapports avec l’or, en ce qu’il en a la couleur, et qu’il est flexible, bien que non pas comme l’or. De même l’âme de l’injuste juge tout le monde ; elle se préfère à tous, mais elle est inflexible à l’humilité et aux oeuvres d’humilité, molle en ses oeuvres, difficile à être rappelée de ses pensées, admirable au monde, contemptible à Dieu. La monnaie du diable est aussi de plomb, d’autant qu’elle est difforme, molle, flexible et pesante. De même l’âme de l’injuste est difforme en ses voluptueuses affections, pesante en la cupidité du monde, flexible et changeante comme un roseau, à tout ce que le diable suggère à son esprit ; voire, quelquefois, elle est plus facile à mal faire que le diable à tenter.

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De même est le serviteur du monnayeur, qui, ennuyé de persévérer dans les observances régulières qu’il avait vouées, songea à des voies pour plaire au monde par la simulation de sa sainteté, pour nourrir plus largement sa chair ; et soudain le diable mit en son esprit quelques songes et mensonges noirs et impossibles, et qui n’arriveront jamais, car sa vie sera abrégée et n’aura point l’honneur qu’il désire vraiment.

Quand on trouve quelque nouvelle monnaie, en quelque lieu que ce soit, il la faut envoyer à quelque homme sage qui en sache le poids et le cachet. Mais où trouvera-t-on celui-là ? Que si on en trouve, il se soucie bien peu, voire nullement de voir et considérer si cette monnaie est vraie ou fausse. Partant, en telles choses, il n’y a qu’un seul conseil que je vous vais donner par un exemple. Si on donnait de l’argent à un chien, il ne le recevrait point ; mais si on lui jetait un lopin de chair, sans doute il le prendrait. De même, si quelqu’un s’approche d’un autre et qu’on lui dise : Il est hérétique, on ne s’en soucie point, tant la charité est refroidie. Que si on dit : Il a de l’argent, tout le monde y court. Partant, soudain arrivera ce que saint Paul dit : J’anéantirai la sagesse des sages ; je les humilierai, et j’exalterai les humbles.

Vous pourriez, ma fille, connaître et discerner l’esprit immonde d’avec l’Esprit Saint, par sept choses :

1° l’Esprit de Dieu fait que l’homme méprise l’honneur du monde, et ne l’affectionne pas plus dans son coeur que du vent.

2° L’âme aime chèrement Dieu, et les délectations de la chair se refroidissent en elle.

3° Il lui inspire la patience dans les adversités et la seule glorification en Dieu.

4° Il incite l’esprit, et excite la volonté à l’amour du prochain et à la compassion, voire des ennemis

5° Il lui inspire la chasteté entière, voire l’abstinence de ce qui lui est licite.

6° Il la fait confier en Dieu en toutes ces tribulations et se glorifier en elles.

7° Il lui donne un désire de vouloir mourir, et être plutôt avec Jésus-Christ, que de demeurer au monde avec danger, en prospérant avec danger de s’y salir.

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Au contraire, le malin esprit fait sept autres choses :

1° il rend le monde doux et dégoûté du ciel.

2° Il fait désirer les honneurs et s’oublier soi-même.

3° Il excite la haine dans son coeur et l’impatience.

4° Il fait l’audacieux contre Dieu, et l’opiniâtre, et adheurte ès pensées de son esprit.

5° Il rend les péchés petits, et les excuses en se justifiant.

6° Il suggère l’inconstance de l’esprit et l’impureté de la chair.

7° Il fait croire qu’on vivra longtemps, et excite la honte de confesser ses fautes. Partant, soyez soigneuse et attentive à vos pensées, de peur d’être trompée et déçue par cet esprit.

  DECLARATION.

  L’homme dont il est parlé en ce chapitre, fut un prêtre de l’ordre de Cîteaux, qui, après avoir été apostat dix-huit ans, étant contrit, dolent et repentant de sa faute, retourna à son monastère, où il disait qu’il était impossible que quelqu’un fût damné, que Dieu ne parlait à aucun de ce monde, et qu’aucun ne pouvait voire la face de Dieu avant le jour du jugement.

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Sainte Brigitte voyant cela, le Saint-Esprit lui dit : Allez à ce frère, et dites-lui : Oh ! Vous ne voyez pas comme je vois. Comment encore en votre vieillesse, le démon occupe-t-il votre esprit et tient liée votre langue ? Dieu est éternel, et éternelles sont ses récompenses. Partant, retournez vitement à Dieu sans délai et avec un coeur parfait, car sans doute vous ne lèverez pas de la maladie ni du lit où vous êtes gisant. Si vous croyez, vous serez un vase honorable à Dieu.

Ce bon religieux, oyant ceci, fondit en larmes et rendit grâces à sainte Brigitte. Il corrigea si parfaitement sa vie qu’ayant fait assembler ses frères, il leur dit à l’heure de la mort : O mes frères, il m’a été certifié que Dieu m’a fait miséricorde, a reçu ma contrition, et qu’il me pardonnera. Priez pour moi, car je crois tout ce que croit la sainte Eglise, notre Mère. Et de la sorte, ayant reçu les saints sacrements, il décéda.


Chapitre 24 comment il se faut comporter entre les serviteurs de Dieu, contre les impatients

4024   La Sainte Vierge Marie dit à sa fille sainte Brigitte comment il se faut comporter entre les serviteurs de Dieu, contre les impatients, et comment la superbe est signifiée par un muid de vin.

  La sainte Mère de Dieu parle : Quand un muid de vin est chaud et bouillant, il croît et s’enfle, et quelques exhalaisons et écumes montent, tantôt s’enflant, tantôt diminuant tout à coup. Or, tous ceux qui sont auprès du tonneau, considérant que ces exhalaisons s’enflent soudain, et que tels transports et bouillons viennent de la ferveur du vin et marquent la chaleur qui est au dedans, attendent patiemment. La fin de cela est que le vin soit parfait.

p 204 Or, tous ceux qui environnent le tonneau, qui approchent par trop le nez de ces bouillons de vin, éprouvent en eux deux choses : ou ils éternuent par trop, ou leur cerveau y est par trop blessé.

De même en est-il dans les choses spirituelles, car il arrive quelquefois que les coeurs de quelques-uns s’enflent de vanité et bouffissent d’orgueil et d’impatience. Les hommes de vertu solide, considérant ces élèvements, disent qu’infailliblement ils procèdent, ou de l’incompétence de l’esprit, ou des mouvements charnels non retenus. C’est ce qui leur fait aussi attendre la fin et souffrir les paroles pour en voir l’origine, sachant qu’après la tempête, le calme arrivera, et que la patience est plus forte que celui qui surmonte les villes, d’autant qu’elle surmonte soi-même, ce qui est plus difficile. Or, ceux qui sont trop impatients et rendent également parole pour parole, sans avoir égard aux récompenses glorieuses promises à la patience, et sans considérer combien contemptible et méprisable est la faveur mondaine, ceux-ci tombent en infirmité d’esprit, par les tentations dont ils sont assaillis et pour l’impatience, car ils s’approchent de trop près de l’émotion du tonneau, c’est-à-dire, du bruit des paroles qui ne sont que vent, et néanmoins les prennent trop à coeur.

Partant, quand vous verrez quelques-uns être impatients, mettez-vous, pour aide et secours, Dieu pour garde à votre bouche, et n’abandonnez jamais les oeuvres que vous avez bien commencées pour les paroles d’impatience, mais dissimulez autant qu’il est juste ce que vous avez ouï, comme si vous ne l’aviez ouï, jusqu’à ce que ceux qui veulent trouver l’occasion d’impatience, expriment par parole ce qu’ils ont dans leur coeur.

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Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4018