Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4025

Chapitre 25 L’homme ne doit se soucier des désirs de la chair, mais bien nourrir le corps

4025   La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, avertit sa fille que L’homme ne doit se soucier des désirs de la chair, mais bien nourrir le corps, selon une modérée nécessité ; et en quelle manière l’homme est auprès de son corps, et non dans son corps.

  La Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, lui disant : Vous devez être comme une épouse qui est devant le marchepied, laquelle, dès qu’elle est appelée par l’époux, se montre préparée et disposée à suivre ses volontés.

Ce marchepied est le corps qui couvre l’âme : il le faut laver continuellement, l’éprouver et le tenter, car le corps est comme un âne ayant besoin d’une nourriture modérée, afin qu’il ne soit luxurieux ; d’un labeur discret, afin qu’il ne s’enorgueillisse ; d’un fouet continuel, afin qu’il ne soit lâche.

Demeurez donc auprès du marchepied, c’est-à-dire, auprès de votre corps, et non pas dans le corps, sans vous soucier des désirs charnels, mais seulement de le nourrir selon les nécessités, car celui-là est auprès du corps, et non dans le corps, qui retient son corps, non de la nécessité des viandes, mais de la volupté d’icelles. Demeurez aussi auprès du marchepied, méprisant les voluptés de la chair, honorant Dieu, et vous employant toute pour l’honneur de Dieu.

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C’est de la sorte qu’exposèrent pour Dieu leurs corps comme des vêtements, ces deux qui, à toute heure, étaient disposés à faire la volonté de Dieu, quand il plaisait à Dieu de les appeler, car ils n’avaient pas besoin de faire un long chemin pour trouver celui qu’ils avaient partout présent ; les charges lourdes et pesantes n’opprimaient pas leur épaules, car méprisant tout, ils étaient au monde seulement de corps : c’est pourquoi ils se sont fraîchement envolés au ciel, car rien ne les empêchait que quelque aride vêtement très bien discipliné, duquel s’étant dépouillés, ils obtinrent l’accomplissement de leur désirs. De même celui-ci est tombé périlleusement, s’est relevé sagement, s’est défendu virilement, a combattu constamment et a persisté avec persévérance, c’est pourquoi il sera couronné éternellement, et sera éternellement en présence de Dieu


Chapitre 26      

4026   La Sainte Vierge Marie dit à sa fille sainte Brigitte quelles sont les oeuvres vertueuses qui méritent la vie éternelle, et quelles non. Du très grand mérite de l’obéissance.

Il y a plusieurs fleurs en un arbre, mais toutes n’apportent pas de fruit. De même il y a plusieurs bonne oeuvres, mais toutes ne méritent pas récompense céleste, si elles ne sont faites avec discrétion, car jeûner, prier, visiter les lieux saints, sont des oeuvres vertueuses ; mais si l’homme ne les fait à cette intention et avec cet esprit, qu’il espère que, par l’humilité, il pénétrera les cieux, qu’il croit qu’il est en tout serviteur inutile,et qu’il ait en toutes choses une grande discrétion, car autrement, elles profitent bien peu pour le ciel.

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Représentez-vous deux hommes, l’un libre, et l’autre obligé à obéir. Si celui qui est libre jeûne, il a le mérite simple du jeûne. Que si celui qui est obligé à l’obéissance, mange de la viande selon l’obéissance de la règle, il jeûnerait néanmoins par dévotion, si l’obéissance le permettait : celui-là aura double mérite, l’un de l’obéissance, l’autre pour n’avoir effectué ses désirs et pour n’avoir fait sa volonté.

Partant, demeurez comme une épouse qui prépare d’abord son lit nuptial avant que l’époux vienne. En premier lieu, soyez comme une mère qui prépare ses vêtements avant que l’enfant naisse ; en deuxième lieu, comme un arbre qui pousse plus tôt les fleurs que les fruits ; en troisième lieu, soyez comme un vase pur, disposé à recevoir la liqueur avant qu’on l’y verse.


Chapitre 27 quelque dévot feint qu’elle compare à celui qui porte les armes en guerre corporelle, et est mal armé

4027   Ici la Sainte Vierge Marie se plaint à sa fille sainte Brigitte de quelque dévot feint qu’elle compare à celui qui porte les armes en guerre corporelle, et est mal armé.

  La Sainte Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Celui-là dit qu’il m’aime ; mais quand il me sert, il me tourne le dos. Or, quand je lui parle, il me dit : Que dites-vous ? et détourne ses yeux de moi, et les jette à ce qui lui plaît le plus. Il est admirablement armé comme celui qui est exposé à une guerre corporelle, le heaume duquel aurait les yeux derrière la tête, le bouclier duquel serait aux épaules au lieu de l’avoir au bras ; duquel les gaines et le fourreau seraient vides, ayant jeté l’épée et le couteau ; la cuirasse duquel, qui doit couvrir le corps et la poitrine, serait sur la selle, les sangles de laquelle seraient lâchées : de même cet homme est spirituellement armé devant Dieu, et c’est pourquoi il ne sait discerner entre ami et ennemi, ni ne sait offenser son ennemi.

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L’esprit avec lequel il combat est semblable à celui qui raisonne en son esprit, disant : Je veux être le dernier au combat, afin que je puisse voir si les premiers perdront. Que s’ils surmontent, je viendrai avec tant d’impétuosité que je serai compté des premiers. Partant, celui qu’il a envoyé à la guerre a suivi la sagesse charnelle, et non Dieu.


Chapitre 28 trois sortes de tribulations

4028   La Sainte Vierge Marie parle à sa fille de trois sortes de tribulations qui sont désignées par trois sortes de pains.

  La sainte Mère de Dieu parle : Là où se trouve de la pâte pour faire du pain, là il faut grandement considérer et travailler. Mais Notre-Seigneur apporte et met à table du pain de froment, et on donne à la communauté un mauvais pain. Il y a une troisième sorte de pain pire que l’on donne aux chiens. Par la considération, il faut entendre la tribulation, car l’homme spirituel et dévot s’afflige grandement qu’on ne lui rende l’honneur qu’on lui doit, et qu’on ait si peu d’amour en son endroit.

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Tous ceux donc qui sont affligés de la sorte, sont ce blé qui réjouit Dieu et tous les citoyens célestes. Or, tous ceux qui se troublent pour les adversités du monde, ceux-là sont comme un méchant pain, néanmoins il profite à plusieurs pour obtenir le ciel ; mais ceux qui s’affligent pour ne pouvoir faire le mal qu’ils désirent, ceux-là sont le pain des chiens qui sont en enfer.


Chapitre 29 il y a des démons qui veulent précipiter les hommes, quelques autres pour les retarder, quelques autres pour les tenter en leurs abstinences

4029   La Sainte Vierge Marie dit à sa fille comment il y a des démons qui veulent précipiter les hommes, quelques autres pour les retarder, quelques autres pour les tenter en leurs abstinences, et de la manière qu’il faut tenir contre eux.

  La Sainte Mère de Dieu parle à sainte Brigitte : Tous ceux que vous voyez qui vous entourent, sont vos ennemis spirituels, savoir, l’esprit du diable, car ceux qui ont des perches esquelles vous voyez des lacets, ce sont ceux qui vous veulent précipiter dans les péchés mortels. Ceux que vous voyez avoir des crochets en leurs mains, ce sont ceux qui vous veulent retarder du service de Dieu, afin que vous soyez oisive à bien faire. Ceux qui ont des instruments où il y a plusieurs dents comme des fourches, avec lesquels on pousse ou on retire ce que l’homme désire, ce sont ceux qui vous suggèrent d’entreprendre des biens par-dessus vos forces, savoir, dans les veilles, jeûnes, oraisons, labeurs, ou en d’irraisonnables dépenses d’argent. Or donc, ces esprits sont désireux de vous nuire ; soyez donc constante à ne vouloir offenser Dieu et à demander son secours contre leur cruauté, et alors, leurs menaces ne vous nuiront point.

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Chapitre 30 les choses belles et précieuses du monde, ne nuisent point aux serviteurs de Dieu, quand ils en usent pour l’honneur de Dieu

4030   La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte, lui disant que les choses belles et précieuses du monde, ne nuisent point aux serviteurs de Dieu, quand ils en usent pour l’honneur de Dieu, à l’exemple de saint Paul.

  Il est écrit que saint Paul, ce grand apôtre, dit devant ce prince qui tenait captif saint Pierre, qu’il était sage, et appela saint Pierre pauvre. Et il ne pécha pas en cela, d’autant que ses paroles tendaient à l’honneur et à la gloire de Dieu. Il en est de même de ceux qui veulent parler aux grands: que s’ils n’y peuvent entrer sans être bien habillés, ils ne pèchent point, pourvu que les pierre précieuses, l’or et l’argent, ne soient non plus en affection et estime dans leurs coeurs, que leurs vêtements ordinaires, car tout ce qui apparaît beau, précieux et luisant, n’est que terre.

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Chapitre 31 les prédicateurs et amis de Dieu sont non moins couronnés devant Dieu, s’ils ne convertissent les hommes, que s’ils les convertissaient,

4031   La sainte Mère de Dieu montre à sainte Brigitte, et prouve par exemple que les prédicateurs et amis de Dieu sont non moins couronnés devant Dieu, s’ils ne convertissent les hommes, que s’ils les convertissaient, ayant la droite et pure intention de le faire.

La Mère de Dieu parle, disant : Celui qui conduit les ouvriers au travail, disant ; Portez du sable du rivage, et regardez grain à grain si vous trouverez quelque grain d’or, celui-là n’aurait pas moins de récompense de n’en avoir pas trouvé que d’en avoir trouvé. Il en est de même aussi de celui qui, par, parole et par exemple, tâche d’avancer le salut des âmes, car il n’aura pas moins de récompense de n’en avoir converti pas un que d’en avoir converti plusieurs ; car comme le maître dit par exemple : Le combattant qui, au commandement de son maître, va à la guerre avec désir de batailler fortement et généreusement, s’en retournant blessé sans aucun captif, n’en obtiendrait pas moins de récompense d’avoir été vaincu que s’il eût vaincu, à raison de sa bonne volonté : de même en est-il avec les amis de Dieu, car pour chacune des paroles qu’ils auront dites, pour chacune des oeuvres qu’ils auront faites pour l’amour de Dieu et pour l’amendement des âmes, et pour chaque heure de tribulation qu’ils endurent pour l’amour de Dieu, ils sont couronnés, soit que plusieurs se convertissent, soit que pas un ne se convertisse.


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Chapitre 32 La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à sainte Brigitte de son infinie miséricorde


4032   La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à sainte Brigitte de son infinie miséricorde à l’endroit des pécheurs, et à l’endroit de ceux qui la louent et qui l’honneur

  La sainte Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : C’est une maxime qui court parmi vous : Il ne peut sortir de mon pays avec un tel. J’en dis de même maintenant qu’il n’y a pas tel et si grand pécheur au monde, qui dit de coeur que mon Fils est Créateur et Rédempteur de tous, qu’il est son ami intime et de coeur, que soudain je ne sois disposée à venir à lui, comme une mère charitable vient à son fils, l’embrassant et lui disant : Qu’est-ce qu’il vous plaît, ô mon fils ? Et quand même il aurait mérité les peines horribles de l’enfer, et qu’il aurait volonté de ne soucier des honneurs du monde, ni des cupidités et affections de la chair, que l’Eglise déteste, et qu’il ne désirerait rien plus que son seul entretien, lors lui et moi serions aussitôt amis.

Dites donc à celui qui compose un chant et une hymne à ma louange, non à sa louange ni récompense propre, mais pour la louange de celui qui, à raison de toutes ses oeuvres, est digne de louange, que, comme les princes du monde donnent des récompenses à ceux qui les louent, de même je les récompenserai spirituellement ; car comme une syllabe a sur soi plusieurs notes, de même Dieu se plaît à lui donner autant de couronnes pour chaque syllabe qui est au chant ; et on dira de lui : Voici venir celui qui loue, qui n’a point dicté ni composé le chant pour quelque bien temporel, mais seulement pour l’honneur de Dieu

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DECLARATION.

  Celui-ci, étant tenté sur le mystère de la sainte Trinité, étant ravi en extase, vit comme trois faces de femmes.

La première lui dit : j’ai été mariée plusieurs fois. Je n’ai jamais vu celui qui est un et trine.

La seconde répondit : S’ils sont trois et un, il est nécessaire que l’un soit premier et l’autre dernier, ou que deux soient en un.

Et la troisième ajouta : Ils ne peuvent pas se faire eux-mêmes : qui les a donc faits ? Et alors le Saint-Esprit dit clairement : nous viendrons à lui et demeurerons avec lui. Et s’éveillant, il a été délivré de la tentation.

Après ceci, Jésus-Christ dit à sainte Brigitte : Je suis Dieu, qui est trine en personne et un en essence. Je vous veux montrer quelle est la puissance du Père, quelle la sagesse du fils, quelle la vertu du Saint-Esprit. Et cette révélation a été accomplie là ou il parle du pupitre. D’ailleurs, Notre-Seigneur lui dit : Dite-lui qu’il méritera plus devant moi par son infirmité que par sa sainteté, car le Lazare a été plus beau et plus éclatant par sa douleur, et Job plus aimé par sa patience, et néanmoins, mes élus ne me déplaisent point quand ils sont saints, car leur coeur est toujours avec moi, et leur corps est toujours retenu par une discrète abstinence et labeur.

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Chapitre 33 choses notables de la ville de Rome

4033   Sainte Brigitte, épouse, dit ici des choses notables de la ville de Rome, proposant comme par question les consolations, ordres, dévotions, dont jouissaient anciennement tous les Romains, tant clerc que laïques, etc. Pourquoi maintenant tout cela est changé, hélas ! en désolation, désordre et abomination, comme il paraît ès susdites choses. Combien malheureuse est Rome corporellement et spirituellement.

  Mon révérend Seigneur, je vous prie qu’entre autre choses, on avertisse le pape, qu’on lui dise combien faible est l’état de Rome, qui était autrefois heureux corporellement et spirituellement, mais maintenant malheureux en ces deux manières : corporellement, d’autant que ses princes séculiers, qui devaient être sa défense et sa protection, lui sont des larrons très cruels.

C’est pourquoi plusieurs de leurs maisons sont détruites, plusieurs églises entièrement ruinées et désolées, dans lesquelles il y a plusieurs ossements de saints qui reluisent en plusieurs miracles, les âmes desquels sont éminemment couronnées au royaume de Dieu. Leurs temples, aussi tout découverts et dont les murailles sont abattues, sont changés en décharges des hommes des champs et des bêtes.

  Spirituellement, cette ville est malheureuse, d’autant que plusieurs constitutions et ordonnances, que plusieurs papes inspirés du Saint-esprit avaient faites, sont maintenant effacées de l’Eglise, au lieu desquelles, ô malheur trop funeste ! plusieurs nouveaux abus se sont introduits par la suggestion du diable, contre la révérence de Dieu et le salut des âmes.

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La constitution de l’Eglise était que les clercs allassent aux ordres sacrés, ayant une vie dévote et bienheureuse, servant Dieu incessamment et dévotement, montrant aux autres par bonne oeuvres la voie du paradis ; et à tels on donnait les rentes de l’Eglise. Mais maintenant, un abus est notre Eglise, que les laïques ont les biens de l’Eglise, qui ne se marient point, pour porter le nom de chanoine, mais impudemment ; ils ont le jour des concubines en leurs maisons, et la nuit en leurs lits, disant audacieusement : Il ne nous est pas loisible d’avoir des femmes, car nous sommes chanoines.

Autrefois aussi, les prêtres, diacres et sous-diacres avaient grandement en horreur l’infamie d’une vie immonde. Or, maintenant, quelques-uns d’iceux, au lieu d’en rougir, en tirent vanité. Partant, telle sorte de prêtres doivent plus justement être appelés lions du diable, que clercs ordonnés de Dieu souverain.

Les saint Pères, comme saint Benoît et autres, ont fait des règles par licence des souverains pontifes, bâtissant des monastères, où les abbés avait coutume de demeurer avec leurs frères, célébrant dévotement les heures du jour et de la nuit, informant et instruisant soigneusement les moines à bien vivre. Lors certainement, il leur était à joie et à contentement de visiter leurs monastères, quand, jour et nuit, les moines rendaient à Dieu, en chantant, l’honneur et la gloire. Les criminels se corrigeaient par l’éclat de leur bonne vie, et les bons étaient affermis en leurs résolutions par la divine doctrine des prélats, voire les âmes qui étaient en purgatoire en étaient affranchies par leur dévotes prières.

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Lors le moine qui observait très bien sa règle, était en un grand honneur devant Dieu et devant les hommes, et celui qui ne l’observait pas, savait qu’il encourait le dommage et le scandale de tous. Lors, un chacun pouvait discerner par l’habit quel moine il était. Mais contre cette honnête coutume, est né en plusieurs un abus détestable, car les abbés demeurent souvent en leurs châteaux, dans les villes, où il leur plaît. C’est pourquoi il est sanglant et douloureux de visiter maintenant les monastères, car on voit si peu de moines au choeur, à l’heure où il faut dire les heures, ou voire quelquefois aucun ne s’y trouve, où aussi on lit si peu, et souvent on n’y chante rien, et on demeure plusieurs jours sans y dire la sainte messe. Les bons sont molestés et moqués de la mauvaise volonté de ces religieux, et les méchants se rendent pires de leur mauvaise conversation. Il faut aussi craindre que peu d’âmes reçoivent de leurs prières du soulagement dans leurs peines. Il y a aussi dans la ville plusieurs habitations de moines, et chacun a sa maison pour soi ; et quelques-uns baisent un enfant à l’arrivée de leurs amis, disant : Voici mon fils.

A grand’peine aussi peut-on connaître un moine par l’habit, car la tunique, qui autrefois tombait sur les pieds, maintenant couvre à peine les genoux ; leurs manches, qui étaient autrefois grande et larges, sont maintenant étroites et tirées. On porte maintenant un glaive au lieu de tablettes et d’un style, et à grand ‘peine peut-on trouver maintenant un habit par lequel on puisse connaître un moine, hormis le scapulaire, qu’on cache souvent, afin qu’on ne le voie, comme si c’était scandale de porter un habit monacal.

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Quelques autres n’ont point de honte de porter une cuirasse et des armes sous leur tunique, afin qu’après le crépuscule, ils puissent faire ce qui leur plaît.

Il y a aussi de grands saints qui ont abandonné de grandes richesses, embrassant une règle avec la pauvreté, qui rejetèrent toute sorte de cupidités, ne voulant avoir rien de propre. Ils abhorraient toute sorte de superbe et de pompe du monde, se couvrant de pauvres habits, détestant et ayant en abomination la concupiscence de la chair, c’est pourquoi ils ont vécu purement. Or, ceux-ci et leur frères sont appelés mondains, les règles desquels les souverains pontifes ont confirmées, se réjouissant que quelques-uns voulussent embrasser une telle manière de vivre pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes ; mais maintenant, ce leur est un grand regret au coeur de voir leurs règles changées en des abus détestables,et n’être aucunement gardées, comme celles de saint Augustin, de saint Dominique et de saint François, qu’ils avaient dictées par l’Esprit de Dieu, et que plusieurs hommes riches et nobles avaient exactement gardées. Car de fait, on trouve maintenant plusieurs hommes qui sont appelés riches, qui sont aussi pauvres dans leurs coffres que ceux qui ont fait voeu de pauvreté, comme la renommée en est partout. C’est pourquoi plusieurs d’entre eux ont de propre ce que leurs règles ont défendu, se réjouissant plus de leur propre exécrable que de la sainte et glorieuse pauvreté. Ils se glorifient aussi, d’autant que leurs habits sont d’étoffes aussi riches et précieuses que ceux des évêques riches. D’ailleurs, il y a des monastères érigés par saint Grégoire et par d’autres saints, à cette fin et intention que les femmes y seraient tellement recluses qu’à peine on les pourrait voir en toute leur vie.

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Or, maintenant, il y a des abus si détestables, en ce qu’on donne indifféremment l’entrée à clercs laïques et aux soeurs auxquelles on se plaît ; voire leurs portes sont même ouvertes la nuit. Et partant ces lieux sont maintenant plus semblables aux lieux infâmes qu’à des monastères, à des cloîtres saints et sacrés.

Il y avait aussi une autre constitution en l’Eglise, qui défendait qu’aucun ne prendrait de l’argent pour ouïr les confessions, mais seulement des lettres qu’on leur dépêchait, comme il était juste d’en recevoir, quand le pénitencier en avait extrêmement besoin. Mais entre ceux-ci un autre abus s’est glissé : c’est que les riches, ayant fait leur confession, offrent et donnent ce qui leur plaît. Mais avant la confession, on pactise avec les pauvres. Et certainement, les pénitenciers n’ont point honte de mettre leur argent en leur bourse pendant qu’ils absolvent.

Il a été ordonné en l’Eglise,

1° que chaque personne laïque se confesserait une fois l’an, et pour le moins, recevrait le corps de Notre-Seigneur, car les clercs et les cloîtrés le font plus souvent en l’année.

2° Il fut ordonné que ceux qui ne pouvaient être continents se marieraient ;

3° que tous les chrétiens jeûneraient au carême, les Quatre-Temps, et à toutes les vigiles des fêtes, ce qui est assez connu d’un chacun, excepté de ceux qui sont atteints d’une grande infirmité ou qui sont en de grandes douleurs.

4° Il fut ordonné que chacun s’abstiendrait, les jours de fête, de tout labeur mondain et manuel.

5° Il fut aussi ordonné qu’aucun ne gagnerait par usure.

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Mais au lieu de ces cinq ordonnances très bonnes, se sont glissés cinq autres abus déshonnêtes et grandement nuisibles :

1° il y a à Rome cent personnes parvenues à l’âge de discrétion, qui meurent sans jamais avoir fait leur confession, et n’avoir non plus reçu le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ que de vrais idolâtres. J’en excepte les prêtres et religieux, et quelques femmes de dévotion, qui se confessent et communient souvent.

2° Plusieurs prennent en mariage des femmes légitimes. Que s’ils ont des discussions avec elles, ils les laissent autant qu’il leur plaît, sans avoir recours à la puissance ecclésiastique, prennent pour femmes des adultères, les ayant en honneur et les aimant. Quelques autres n’ont point horreur d’avoir en leurs maisons l’adultère avec la femme légitime, se réjouissant de les voir en même maison.

3° Plusieurs personnes saines mangent de la viande dans le carême, et parmi une grande multitude, il y en a peu qui soient contentes d’un seul repas le jour. On en trouve aussi d’autre qui, le jour, s’abstiennent de la viande, mange des viandes de carême, mais qui, la nuit, en quelque logis, se saoulent de chair. Certainement, les clercs et les laïques font cela, et sont semblables aux Sarrasins, qui jeûnent le jour, et qui, la nuit, se remplissent de chair.

 4° Bien que quelques ouvriers ne travaillent point les jours de fête, néanmoins, les riches en tels jours envoient leurs valets travailler à leurs vignes, labourer aux champs, couper du bois en leurs forêts et l’apporter en leurs maisons, et de la sorte, les pauvres valets n’ont pas plus de repos les fêtes que les autres jours.

5° Les chrétiens exercent l’usure comme les Juifs, et en vérité, les usuriers chrétiens sont plus insatiables et plus cupides que les Juifs !

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Il a été encore ordonné dans l’Eglise que ceux qui auraient introduit tels abus seraient anathématisés. Il y en a plusieurs qui abhorrent autant la malédiction que la bénédiction, et bien qu’ils sachent qu’ils sont excommuniés publiquement, n’évitent point de rentrer dans l’Eglise ni de parler avec les hommes, car il y a peu de prêtres qui défendent l’entrée de l’Eglise aux excommuniés ; peu aussi ont en abomination la conversation des excommuniés, s’ils sont conjoints par quelques liens d’amitié ; ils ne refusent pas non plus la sépulture aux excommuniés, pourvu qu’ils soient riches.

N’admirez dons point, mon Seigneur, si j’ai appelé malheureuse la ville de Rome, à raison de tels abus, et de plusieurs autres choses contraires aux saints décrets de l’Eglise. C’est pourquoi il faut craindre que la foi catholique dépérira bientôt, si ce n’est que quelqu’un arrive qui aime Dieu par-dessus toutes choses, et son prochain comme soi même, abolissant tous les abus avec une foi non feinte. Afin que le clergé aime Dieu de tout son coeur, abhorrant les coutumes pernicieuses, compatissez donc avec l’Eglise et le clergé, qui, à cause de l’absence du pape, ont été comme des orphelins, et néanmoins ont défendu en amour d’enfants le siège de leur père, et ont sagement résisté aux traités, persévérant en la défense, au milieu de plusieurs tribulations

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Chapitre 34 peines diverses qu’on préparait à une âme qui était encore dans le corps

4034   Il est traité ici d’une vision que sainte Brigitte, épouse, eut des peines diverses qu’on préparait à une âme qui était encore dans le corps, et en quelle manière tout ce genre de peines se devait changer en un très grand honneur et gloire, si elle se fût convertie avant de mourir.

  Il me semblait que je voyais des hommes debout, qui préparaient, les uns des cordes, les autres des chevaux ; les autres dressaient un supplice ; et tandis que je voyais ceci, il apparut une vierge comme troublée, me disant si j’entendais ceci ; et moi répondant que je ne l’entendais point, elle me dit : Tout ce que vous voyez, c’est une peine spirituelle qu’on prépare à cette âme que vous connaissez. Ces cordes serviront pour lier le cheval qui traînera cette âme, et ces forces serviront pour déchirer le nez, les yeux, les oreilles et les lèvres, et la fourche est pour la pendre. Et lorsque je me troublais de toutes ces choses, cette vierge me dit derechef : Ne vous troublez pas, car il est temps encore : si elle veut elle peut rompre les cordes, renverser les chevaux, faire fondre les forces comme de la cire, et ôter le poteau. Et davantage, elle peut avoir une si ardente charité envers Dieu, que tous ces signes de peines lui réussiront à un très grand honneur, de sorte que les cordes dont elle devait être liée, se changeront en des ceintures d’or ; au lieu des chevaux avec lesquels elle devait être traînée par les rues, on lui enverra des anges qui la conduiront devant Dieu : au lieu des forces avec lesquelles elles devait être déchirée, on donnera à son nez des odeurs suaves, à sa bouche de bonnes saveurs, à ses yeux de beaux objets, à ses oreilles une agréable et délectable mélodie.

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DECLARATION.

  Celui-ci fut Marséalons, roi, qui, venant à Rome, fut tellement humble, humilié et marri de ses offenses, qu’il fit souvent les stations tête nue, priant Dieu et le faisant prier de ne retourner point en son pays, s’il devait retomber en ses fautes passées. Dieu exauça sa voix, car sortant de Rome, et arrivé à Monte Fiasco, il tomba malade et mourut, duquel fut faite une autre révélation. Voyez, ma fille, ce qu’a fait la miséricorde de Dieu, et ce que fait une bonne volonté. Cette âme a été en la gueule des lions, mais sa bonne volonté l’a affranchie de leurs dents ; et maintenant, elle est en la voie qui conduit à la patrie, et sera participante de tous les biens qui se font en l’Eglise.


Chapitre 35 désir du salut des âmes

4035   L’épouse sainte Brigitte parle à Jésus-Christ du désir du salut des âmes, et de la réponse qui lui a été faite par le Saint-Esprit, que les excès et superfluités des hommes, tant au boire qu’au manger, résistent aux visites envoyées par le Saint-Esprit.

  O doux Jésus, Créateur de toutes les choses, plût à Dieu que ceux-ci connussent et comprissent les feux de l’amour du Saint-Esprit ! car certainement, ils désireraient alors davantage les choses célestes, et auraient en horreur et en abomination les choses terrestres et soudain il m’a été répondu en esprit ; leurs excès et superfluités résistent aux visites du Saint-Esprit, car l’excès dans les viandes ; dans la boisson et dans les convives, empêche que le Saint-Esprit ne soit doux en eux, et qu’ils ne soient rassasiés des délectations mondaines ; et l’excès en l’or, argent, en vases, vêtements et rentes, empêche que le feu de mon amour n’enflamme et n’allume leurs coeurs.

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L’excès aussi de la famille, des serviteurs, chevaux et animaux, empêche que le Saint-Esprit ne s’en approche ; voire mes anges, leurs serviteurs, s’éloignent d’eux, et les diables trompeurs s’en approchent, c’est pourquoi ils ne ressentent point la douceur des visites, dont moi, qui suis Dieu, visite les saints et mes amis.


Chapitre 36 Dieu parle à son épouse de la crainte et de l’amour de Dieu, avec lesquels anciennement les religieux entraient dans les monastères

4036   Dieu parle à son épouse de la crainte et de l’amour de Dieu, avec lesquels anciennement les religieux entraient dans les monastères. Et maintenant les ennemis de Dieu, c’est-à-dire, les faux religieux, vont au monde, poussés à ce faire par la superbe et l’inique cupidité ; et de même en font les soldats en leur milice.

  Oyez maintenant ce que maintenant mes ennemis font contre ce que mes amis avaient fait autrefois. Enfin, mes amis entrent dans les monastères de l’amour divin et d’une crainte discrète ; mais ceux qui sont maintenant dans les monastères, vont par le monde, poussés par la superbe et la cupidité, ayant leur propre volonté, et faisant et accomplissant leurs plaisirs.

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Ceux donc qui meurent en une telle volonté, la justice de Dieu veut qu’ils ne jouissent des joies célestes, mais qu’ils souffrent sans fin des peines effroyables dans l’enfer. Sachez aussi que ceux qui vivent dans les cloîtres, qui sont contraints, contre leur volonté, d’être prélats, ne sont pas du nombre. Les soldats aussi, qui autrefois portaient les armes, étaient préparés et disposés à donner leur vie pour la justice, et à répandre leur sang pour la sainte foi ; ils dénonçaient les indignes à la justice, et faisaient déprimer, humilier et abaisser les méchants. Mais maintenant, écoutez comment ils sont contraires à ceci : en vérité, ils aimaient mieux mourir à la guerre pour l’orgueil, cupidité et envie, selon les suggestions diaboliques, que de vivre selon mes commandements, et en ce faisant, obtenir les joies éternelles.

Donc, tous ceux qui meurent en telle volonté, on leur donnera la récompense selon le jugement de la justice, c’est-à-dire, ils seront donnés au diable en solde éternelle ; mais ceux qui me servent auront leur solde bienheureuse, qui sera sans fin avec la milice céleste.

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Chapitre 37 Jésus-Christ parle à son épouse sainte Brigitte, lui demandant comment est-ce que le monde est

4037   Jésus-Christ parle à son épouse sainte Brigitte, lui demandant comment est-ce que le monde est. Réponse de l’épouse : Le monde est comme un sac dilaté, auquel tous courent indiscrètement. Juste et cruelle sentence contre ceux-là.

  Le Fils de Dieu parle, demandant à sa fille comment le monde va, et elle répond : C’est comme un sac dilaté et étendu, auquel tous courent, et comme un homme qui court sans se soucier de ce qui suit.

Notre-Seigneur lui répondit : C’est pourquoi la justice veut que j’aille avec le soc sur le monde, sans pardonner à jeune ni vieux, pauvre ni riche, gentil ni chrétien ; mais je jugerai un chacun selon qu’il mérite, et un chacun mourra en son péché, et la maison sera délaissée, avec les habitants d’icelle ; néanmoins, je ne la perdrai pas encore tout à fait.

Et elle dit : O Seigneur ! Ne vous indignez pas si je parle. Envoyez quelqu’un de vos amis qui les avertisse des périls proches et infortunés qui pendent sur leur tête.

Il est écrit, dit Notre-Seigneur, que le mauvais riche, désespérant en enfer de son propre salut, demanda qu’on envoyât quelqu’un pour avertir ses frères, afin qu’ils ne se perdissent comme lui, et il lui a été répondu : Cela ne se fera point, car ils ont Moïse et les prophètes par lesquels ils peuvent être enseignés. J’en dis maintenant de même : ils ont les évangiles, les prophéties, les exemples et les paroles des docteurs ;

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Ils ont la raison et l’intelligence : qu’ils en usent, et ils seront sauvés, car si je vous envoie, vous ne pourrez pas crier si haut que vous soyez entendue. Si j’y envoie mes amis, ils sont si petits en nombre que, s’ils crient, à grand peine les oiront-ils. Néanmoins, j’enverrai mes amis à ceux qu’il me plaira, et ils prépareront la voie de Dieu.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 4025