Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6023

Chapitre 23.

6023 La Sainte Vierge Marie apparut à l'épouse, priant son Fils pour un grand seigneur qu'elle comparait à un larron. Notre-Seigneur lui disait ses détestables péchés, et il lui faisait, en considération de ses prières, trois grâces, car il lui donna un maître spirituel. La connaissance des peines effroyables et éternelles, et l'espérance droite de la miséricorde avec la crainte discrète.

La Sainte Vierge parle à son Fils et lui dit : Mon Fils, béni soyez-vous ! Je vous demande miséricorde pour ce larron, pour lequel votre épouse pleure en priant.

  Le Fils répondit et dit : Pourquoi, ô ma Mère, priez-vous pour lui ? Il a fait trois larcins : 1° il a dérobé les anges et mes élus ; 2° il a dérobé les corps de plusieurs hommes, séparant leurs âmes du corps avant le temps ; 3° il a dépouille plusieurs de leurs biens, car : 1° il a dérobé les anges, en tant que plusieurs âmes qui devaient être unies et associées avec les anges, en ont été séparées par lui par cajoleries, mauvaises oeuvres, exemples mauvais, par occasions et attrait du mal, et en ce qu'il souffrait les méchants en leur malice, lesquels il devait punir justement, 2° Il a commande que plusieurs innocents fussent punis et occis par colère et indignation ; 3° il a usurpe les biens des innocents, et mis d'intolérables calomnies sur les misérables.

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  Il a encore trois autres maux avec ces trois-ci : 1° une insatiable cupidité du monde ; 2° une vie incontinente, car bien qu'il soit lié par mariage, il n'en use pas par charité divine, mais pour assouvir ses cupidités ; 3° une superbe insupportable, de sorte qu'il ne pense pas qu'aucun lui soit semblable. Voyez quel est celui pour lequel vous priez ; vous voyez ma justice et savez ce qui est dû à chacun.

  Quand la mère de Jacques vint à moi et qu'elle m'eut demande que l'un de ses enfants fut assis à la droite et l'autre à la gauche, je lui répondis que celui qui aurait plus travaille et qui se serait plus humilie, serait assis à ma droite et à ma gauche. Comment donc pourra quelqu'un être assis à ma gauche ou à ma droite sans rien faire, qui n'est pas pour moi, mais contre moi ?

  La Mère repartit : Beni soyez-vous O mon Fils, plein de justice et miséricorde. Je vois votre justice terrible comme un feu embrase, et pas un ne s'en ose approcher ; et au contraire, je vois votre miséricorde très débonnaire, et c'est à elle que je m'adresse, que je parle ; c'est d'elle que je m'approche, car quoique j'aie bien peu de droit et de justice en votre endroit de la part du larron, et que je voie que, de ce côté-là, il ne sera pas sauvé si votre grande miséricorde n’y intervient, il est certainement semblable à un enfant qui, bien qu’il ait la bouche, les yeux, les mains et les pieds, ne peut pas pourtant parler de la bouche, ni discerner de ses yeux entre le feu et la clarté du soleil, ni ne peut marcher de ses pieds, ni travailler de ses mains : de même en est-il de ce larron : il a accru, depuis sa naissance, en oeuvres du diable ; ses oreilles ont été endurcies pour ouïr le bien ; ses yeux ont été obscurcis pour entendre les choses futures ; sa bouche a été close à votre louange, et ses mains ont été tout à fait débiles aux bonnes oeuvres, en sorte que toute vertu et toute bonté étaient comme éteintes en lui ; néanmoins, il s’arrêtait sur un pied comme en un chemin fourchu.

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  Or, ce pied n’est autre que son désir, qui attendait que quelqu’un lui dit en quelle manière il pourrait s’amender, comment il pourrait apaiser Dieu, car encore que je dusse mourir pour lui, je le ferai franchement, disait-il. Le premier de ses pas était la crainte et la considération de la peine éternelle ; le deuxième, la douleur de la perte du royaume des cieux. Partant, ô mon Fils très débonnaire ! je vous en conjure, par votre bonté et par mes prières, et parce que je vous ai porté en mon sein, ayez miséricorde de lui.

  Le Fils répondit : Bénie soyez-vous, ô Mère très débonnaire ! Vos paroles sont pleines de sapience et de justice ; et d’autant qu’en moi sont toute justice et toute miséricorde, je donne au larron trois biens pour trois autres qu’il m’a offert ; car d’autant qu’il a eu un bon propos de s’amender, je lui ai montré mon ami, qui lui montrera la vie. Pour le deuxième, c’est-à-dire, pour la connaissance sérieuse du supplice éternel, je lui ai augmenté la connaissance de la gravité du supplice éternel, afin qu’il entende et ressente en son coeur combien dure et amère est la peine éternelle. Pour le troisième, savoir, pour la perte du royaume des cieux, j’ai illuminé son espérance, afin qu’il fût maintenant plus sage qu’il n’avait été, et afin qu’il eût une crainte plus discrète. Lors derechef la Mère de Dieu parla :

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Béni soyez-vous, mon Fils, de toute créature, au ciel et en la terre, que vous ayez donné ces trois choses à ce larron par votre justice ! Maintenant, je vous supplie de lui donner aussi votre miséricorde, car aussi vous ne faites rien sans miséricorde. Donnez-lui donc une grâce de miséricorde en considération de mes prières et une autre pour l’amour de votre serviteur, qui me sollicite de prier pour ce larron ; mais donnez-lui la troisième grâce pour les larmes de ma fille, votre épouse sainte Brigitte.

  Le Fils lui répartit : Béni soyez-vous, ô ma Mère très chère, Dame des anges, Reine de tous les esprits ! Vos paroles me sont très douces et délectables comme un vin très bon, voire par-dessus tout ce qui se peut penser et qu’on peut trouver en la sapience et justice. Bénies soient votre bouche et vos lèvres, desquelles toute miséricorde s’écoule sur les pécheurs ! Vous êtes publiée Mère de Miséricorde, et l’êtes, attendu que vous considérez les misères de tous, et me fléchissez à miséricorde ; demandez donc ce que vous désirez, car votre charitable demande ne peut être vaine.

  Lors la Mère répondit : Ce larron, ô mon Fils et mon Seigneur, est trop exposé aux dangers ; il ne se soutient que d’un pied : donnez-lui la grâce de pouvoir s’arrêter plus ferme ; donnez-lui votre saint et auguste corps que vous avez pris du mien ; votre corps est un très salutaire secours aux infirmes ; il rend la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, redresse les boiteux ; il est le très doux et très fort emplâtre avec lequel les malades guérissent souvent. Donnez-lui cette faveur qu’il ressente en soi ce secours, qu’il se plaise avec la ferveur de l'amour.

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En second lieu, je vous en supplie, daignez lui montrer ce qu'il faut faire et comment il vous pourra plaire. En troisième lieu, je vous en prie, que les ardeurs de sa chair soient apaisées, en considération des prières de ceux qui vous en supplient

Le Fils répondit : Ma chère Mère, vos paroles sont très douces comme le miel en mes oreilles ; mais d'autant que je suis juste et que rien ne vous peut être refuse, c'est pourquoi je veux délibérer sur votre demande comme un sage seigneur, non pas que, pour cela, il y ait en moi quelque changement, ou bien que vous ne sachiez et voyiez tout en moi, mais je le fais afin que mon épouse assistante puisse entendre ma sagesse.


Chapitre 24.

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  est avec discrétion et que votre volonté tend à la miséricorde. C’est pourquoi je ferai miséricorde à ce larron.

  La Mère répondit : Donnez-lui donc ce qui m’est si cher, savoir est votre corps et votre grâce, car ce larron en est affamé, et il est privé de tout bien. Donnez-lui donc la grâce, afin que sa faim soit rassasiée, sa faiblesse affermie, et sa volonté enflammée au bien, qui a jusques à maintenant croupi dans les ordures sans charité.

  Le Fils répondit : Comme l’enfant à qui on ôte la viande meurt bientôt, de même celui-ci qui, dès son enfance, a été nourri du diable, ne pourra point revivre, s’il n’est repu de ma viande. Partant, s’il désire prendre et recevoir mon corps ; s’il désire être rafraîchi de ses fruits, qu’il s’approche de moi avec ces trois vertus, savoir, contrition des fautes commises avec volonté de s’amender et de persévérer à bien faire.

  Je réponds aux prières de ceux qui les font pour lui. Il faut que le larron fasse ce que je lui dirai, s’il cherche son salut : premièrement, d’autant qu’il a osé résister au Roi de gloire, pour amendement de ce forfait, il doit défendre la foi de mon Église sainte, et donner sa vie pour sa protection, s’il en est besoin, et que, comme il a auparavant travaillé pour les commodités mondaines, il en fasse de même, maintenant, afin que ma foi augmente, que les ennemis de la foi soient opprimés, et qu’il attire à la foi tous ceux qu’il pourra, par sa parole et par son exemple, comme auparavant il a retiré plusieurs du droit chemin.

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  Je vous jure pour certain que, quand il n’aurait fait que prendre le bouclier pour mon honneur, avec intention de défendre la foi, il lui sera réputé pour la foi, s’il est appelé en ce point même que si les ennemis s’approchent de lui, pas un ne lui nuira.

  Partant, qu’il travaille généreusement, car il a un maître puissant quand il me possède ; qu’il combatte virilement : les stipendes sont très grandes, savoir est la vie éternelle. Pour ce qu’il a offensé les anges et tué des hommes, qu’il fasse dire tous les jours une messe de tous les saints, un an entier, où il lui plaira, donnant au prêtre qui les dire aumône pour vivre, afin que, par ses sacrifices, les anges soient apaisés et qu’ils tournent leurs yeux vers lui. Certes, un tel sacrifice les apaise, savoir, quand on prend mon corps, qui est un royal sacrifice, avec charité et humilité. Après, d’autant qu’il a ravagé le bien d’autrui, fait injure aux veuves et aux orphelins, il doit rendre humblement tout ce qu’il sait avoir injustement, priant ceux qu’il a injuriés de lui pardonner miséricordieusement ; et d’autant qu’il ne saurait satisfaire à tous ceux qu’il a injuriés et à qui il a dérobé, qu’il fasse bâtir en quelque église un autel, où il lui sera plus convenable, auquel il laisse de quoi célébrer une messe jusques au jour du jugement. Et afin que ceci demeure ferme et stable, il donnera autant de revenu qu’un chapelain puisse être entretenu. Mais d’autant qu’il n’a point eu d’humilité, il doit maintenant s’humilier autant qu’il pourra, et rappeler à la paix et concorde tous ceux qu’il a offensés autant convenablement que faire se pourra. Et quand il entendra louer ou vitupérer les péchés qu’il a commis, qu’il ne les défende jamais, ni ne se justifie, ni ne s’en glorifie jamais, mais qu’avec humilité il dise : Hélas ! que le péché m’a trop plu ! Hélas ! que m’a-t-il profité ? J’ai excédé trop en présomption, et si j’eusse voulu, je m’en fusse donné garde.

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  Partant, ô mes frères, priez Notre-Seigneur qu’il me donne l’esprit de m’en repentir, de me convertir et de m’amender. Quant à ce qu’il m’a offensé par les excès de la chair, qu’il règle son corps par une tempérance modérée. Que s’il écoute mes paroles et les accomplit par oeuvres, il sera lors sauvé et aura la vie éternelle. S’il fait autrement, j’exigerai de lui jusques à la dernière maille de ses péchés, et il aura une peine plus amère de ce que je lui fais dire ceci, et il n’en a rien fait.


Chapitre 25. Après trois ans, sainte Brigitte eut la suivante révélation concernant ledit larron.

6025 Après trois ans, sainte Brigitte eut la suivante révélation concernant ledit larron

  Le Fils de Dieu, parlant à son épouse, lui dit : Je vous ai dit autrefois une plaisante chanson du susdit larron ; mais maintenant, je vous dis, non un cantique, mais une lamentation et malheur : S’il ne se convertit soudain de l’autre côté, il sentira horriblement les fureurs de ma justice, car ses jours seront abrégés, sa semence ne fructifiera pas ; les autres dissiperont ses richesses, et lui sera jugé comme un larron pernicieux, et comme un fils rebelle qui a méprisé les avertissements de son père.

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Chapitre 26.

6026   Notre-Seigneur dit à son épouse priant pour un roi, qu’il s’efforce, pour le conseil des hommes spirituels et sages, de réparer les murs de Jérusalem, c’est-à-dire, l’Église et la foi catholique, qui sont comme perdues, les murs de laquelle sont signifiés par la communauté des chrétiens, et les vases par le clergé et par les religieux.

  Le Fils de Dieu parle : Que celui, dit-il, qui, de membre du diable, a été fait membre de Dieu, travaille comme ceux qui édifient les murs de Jérusalem, qui travaillaient pour le rétablissement de la loi, qui remettaient les vases qui avaient été écartés de la maison de Dieu.

  Mais je me plains de trois choses :

1- que les murailles de Jérusalem sont détruites. Quelles sont les murailles de Jérusalem, sinon les corps et les âmes des chrétiens ? Car de celles-la, mon Église doit être bâtie, les murailles de laquelle sont maintenant tombées, d’autant qu’elles ont fait leur volonté, et non la mienne ; elles détournent maintenant leurs yeux de moi, et ne veulent ouïr ma parole ; mes paroles leur sont insupportables, mes oeuvres vaines, et ma passion leur est abominable à méditer, ma vie intolérable, et ils disent qu’il est impossible de l’imiter.

2. Je me plains que les instruments de ma maison sont transportés en Babylone. Quels sont les instruments de ma maison et mes vases divers, si ce n’est la disposition et la conversation des prêtres et des religieux ? Leur bonne disposition et ornement ont été transportés de mon temple en la superbe du monde eu aux volontés et plaisirs propres. Ma sapience et ma doctrine leur sont vaines, mes commandements onéreux ; ils ont enfreint mes promesses ; ils ont profané ma loi et les constitutions de leurs prédécesseurs, mes amis, et ont pour lois leurs inventions.

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3. Je me plains que la loi de mes dix commandements est perdue. Eh quoi ! Ne lit-on pas en l’Évangile que, quand quelqu’un m’interrogeait, disant : Maître, que ferai-je pour avoir la vie éternelle ? Je lui répondis : Gardez mes commandements, qui sont maintenant perdus et négligés. C’est pourquoi ce roi pour lequel vous priez, doit assembler des hommes spirituels, sages de ma sagesse, s’enquérir de ceux qui ont mon esprit, et leur demander comment les murs de Jérusalem doivent être réédifiés emmi les chrétiens. Il faut que l’honneur soit rendu à Dieu, que la foi droite fleurisse, que l’amour divin soit fervent, et que ma passion soit imprimée dans les coeurs des hommes. Qu’il considère aussi comment il pourra rétablir les vases en leur premier état, c’est-à-dire, comment les prêtres et les religieux, ayant quitté la superbe, pourront embrasser l’humilité ; que les innocents aiment la chasteté, et comment les mondains pourront quitter les appétits désordonnés du monde et être lumière aux autres. Qu’il s’efforce aussi de faire aimer l’observance de mes commandements, et le tout avec force et sagesse. Qu’il assemble les chrétiens qui sont justes, afin qu’avec eux il réédifie ce qui a été détruit. En vérité, mon Église est trop éloignée de moi, de sorte que si les prières de ma Mère n’y intervenaient, il n’y aurait point espérance de miséricorde. Or, entre tous les états des laïques, les soldats ont plus apostasié que toute leur apostasie et supplice, comme il vous a été montré ci-dessus.


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Chapitre 27. Notre-Seigneur défend à son épouse d’ouïr des choses nouvelles, des oeuvres des mondains et guerres des illustres

6027   Notre-Seigneur défend à son épouse d’ouïr des choses nouvelles, des oeuvres des mondains et guerres des illustres.

Hélas ! Pourquoi vous occuperiez-vous de choses si inutiles et si vaines, puisque je suis le Seigneur de toutes choses, et qu’aucune délectation ne doit être chérie que la mienne ?

  Que si vous vouliez ouïr les faits des seigneurs et considérer les actions magnifiques, vous devriez occuper votre esprit en la considération de mes faits, qui sont incompréhensibles et prodigieux à la pensée des hommes, et admirables à l’ouïe. Or bien que le diable meuve les grands du monde à sa volonté ; bien qu’ils prospèrent par un mien juste jugement, néanmoins, je suis leur Seigneur, et ils seront jugés par mon juste jugement. Ils ont entrepris et formé une nouvelle loi contre ma loi, et ils emploient tout leur soin à être honorés du monde, à savoir comment ils pourront acquérir des richesses, en quelle manière ils pourront accomplir leur volonté, dilater leur race. C’est pourquoi je jure en ma Divinité et humanité que, s’ils meurent en tel état, ils n’entreront point en cette terre qui était promise en figure aux enfants d’Israël, terre où découlaient le lait et le miel ; mais il arrivera comme à ceux qui désiraient les pots de viandes, qui mouraient d’une soudaine mort ; car comme ceux-là mouraient d’une mauvaise mort corporelle, de même ceux-ci meurent d’une mort de l’âme.

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  Mais ceux qui font mes volontés entreront en la terre où découle le miel, c’est-à-dire, en la gloire, en laquelle il n’y a point de terre dessous ni dessus, ni de ciel plus haut ; mais moi-même, Seigneur et Créateur de toutes choses, je suis au-dessous, au-dessus, aux côtés, dehors et dedans, d’autant que je remplis toutes choses de ma gloire, et rassasie mes amis d’une gloire, non de miel, mais d’une admirable suavité, de sorte qu’ils ne désirent que moi, n’ont besoin que de moi, en qui est tout le bien. Mes ennemis ne goûteront jamais ce bien, s’ils ne se convertissent de leur méchanceté, car s’ils considéraient ce que j’ai fait pour eux ; s’ils pensaient à ce que je leur ai donné, ils ne me provoqueraient jamais de la sorte à ire et à indignation. Certes, je leur ai donné tout ce qui était nécessaire, utile et désirable, avec la due tempérance ; je leur ai permis d’avoir des honneurs avec modération.

  Quiconque penserait à part soi : Puisque je suis en honneur, je veux avoir avec modération et honnêteté ce dont j’ai besoin, selon mon état. Je rendrai à Dieu honneur et révérence ; je n’opprimerai personne ; je fomenterai les moindres ; j’aimerai tout le monde : un tel, certes, me plaît en son degré d’honneur. Mais celui qui a des richesses et s’entretient en ces pensées : Puisque je suis riche, je ne prendrai rien injustement ; je ne ferai injure à pas un ; je me donnerai garde des péchés mortels, j’aiderai les pauvres : celui-ci m’est agréable en ses richesses. Mais celui qui est plongé dans les voluptés, s’il pense : Ma chair est fragile, ni ne pense pas me pouvoir contenir : c’est pourquoi soudain que j’aurai une femme légitime, je ne désirerai point la femme de mon prochain et me préserverai de la turpitude, celui-là me peut aussi plaire.

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  Mais d’ordinaire, tous ceux-là préfèrent leur loi à la mienne, d’autant qu’en leurs honneurs, ils ne veulent point avoir de supérieurs ; ils ne se peuvent jamais rassasier de leurs richesses ; ils excèdent en leurs voluptés par-dessus les manières louables. Partant, s’ils ne s’amendent et ne commencent une autre voie, ils n’entreront point en ma terre, en laquelle le lait et le miel sont spirituels, c’est-à-dire, ma douceur et l’admirable assouvissement ; ceux qui les goûtent ne désirent rien de plus et n’ont besoin de rien.


Chapitre 28. Une âme damnée pour de grands péchés et pour n’avoir eu douleur des plaies que Jésus-Christ souffrit en sa passion

6028   Une âme damnée pour de grands péchés et pour n’avoir eu douleur des plaies que Jésus-Christ souffrit en sa passion. Cette âme est damnée comme un enfant abortif. Ceux qui gardaient le sépulcre sont marques par ceux qui poursuivaient malicieusement Jésus-Christ en ses prédications, et par ceux qui le crucifiaient.

  Une grande troupe paraissait être devant Jésus-Christ, à laquelle il parlait, disant : Voilà que cette âme n’est plus à moi. Elle ne s’est non plus souciée de mes plaies et de la blessure de mon coeur que si on eût percé le bouclier de son ennemi ; elle s’est autant souciée des trous de mes mains que si un drap fripé était rompu; elle a eu autant en estime les plaies de mes pieds que si on eût coupé une pomme pourrie.

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  Lors Notre-Seigneur parlait à elle, disant : Vous avez souvent en votre vie demandé pourquoi j’avais voulu mourir : Or, maintenant, je vous demande pourquoi vous êtes morte.

  Elle répondit : D’autant que je ne vous ai point aimé.

  Vous m’avez été, dit-il, comme un enfant abortif est à sa mère, pour lequel elle endure tout autant que s’il était vivant. De même je vous ai rachetée avec tant de prix et d’amertume comme un des saints, bien que vous vous en soyez souciée bien peu. Mais comme l’enfant abortif ne goûte point la douceur des mamelles de sa mère, ni consolation de ses paroles, ni n’est échauffé en son sein, de même vous ne jouirez jamais de la douceur ineffable de mes élus, d’autant que vous n’avez recherché autre douceur que le vôtre. Vous n’oyez jamais ma parole pour votre avancement. Les paroles de votre bouche et celles du monde vous plaisaient trop, et les paroles de ma bouche vous étaient amères. Vous ne ressentirez jamais les effets de mon amour ni de ma bonté, d’autant que vous avez été froide à faire toute sorte de biens. Allez donc au lieu où on a accoutumé de jeter les abortifs, où vous vivrez en votre mort éternelle, car vous n’avez pas voulu vivre en la lumière et en ma vie.

  Après, Dieu parlait à la troupe : O mes amis, si toutes les étoiles et planètes étaient changées en langues ; si tous les saints me priaient, je ne lui ferais point miséricorde, d’autant qu’elle oblige ma justice à la damper.

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  Cette âme fut semblable à trois sortes de gens : Premièrement à ceux qui suivaient de malice mes prédications, afin de pouvoir trouver occasion en mes paroles et en mes faits de m’accuser et de me trahir ; ils ont vu mes bonnes oeuvres et mes merveilles qu’autre que Dieu ne pouvait faire ; ils ont ouï ma sapience, ont approuvé ma vie louable et néanmoins, ils enrageaient d’envie contre moi, et ils conçurent de la haine ; mais pourquoi cela ? d’autant que mes oeuvres étaient bonnes et que leurs oeuvres étaient mauvaises, et parce que je n’approuvais, mais je reprenais aigrement leurs péchés : de même cette âme me suivait avec son corps, non pas par le mouvement et l’attrait du divin amour, mais icelle était traînée à me suivre encore pour paraître devant les hommes ; elle oyait mes commandements et les voyait de ses yeux ; elle prenait de là sujet de se fâcher et s’en moquait ; elle ressentait ma bonté, et elle n’y croyait point ; elle voyait mes amis profiter, et elle les envoyait, mais pourquoi ? D’autant que mes paroles et celles de mes élus étaient contre sa malice, mes préceptes et mes avertissements contre sa volupté, mon amour et mon obéissance contre sa volonté ; néanmoins, sa conscience lui dictait que je devais être honoré par-dessus tout. Par les mouvements des astres, elle entendait que j’étais son Créateur, et par les fruits de la terre et par le bel ordre et la disposition de toutes les choses, elle savait que j’en étais l’auteur ; et bien qu’elle le sut, elle s’en fâchait et abhorrait mes paroles, d’autant que je reprenais ses mauvaises oeuvres.

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  En deuxième lieu, il était semblable à ceux qui me tuèrent, et qui disait ensemble : Faisons-le mourir sans crainte ; il ne ressuscitera point le troisième jour. Or, moi, j’avais prédit à mes disciples que je ressusciterais le troisième jour ; mais mes ennemis, les amateurs du monde, ne croyaient point que je ressuscitasse avec ma justice, et ce, d’autant que les Juifs me virent comme homme pur, et ne percèrent point jusques à la Divinité, qui était en moi : c’est pourquoi ils péchèrent, non avec tant de gravité, car s’ils eussent su que j’étais Dieu, ils ne m’eussent jamais occis.

  Cette âme pensait en elle-même : Je fais ma volonté comme il me plait. Je le ferai mourir sans craindre par mes volontés et par les oeuvres qui me plaisent et lui déplaisent ; elles ne me nuisent en rien : pourquoi ne les ferai-je donc ? Car il ne ressuscitera pas pour juger ; il ne jugera pas selon les oeuvres des hommes, car s’il voulait juger si rigoureusement, il nous eût pas rachetés ; et s’il avait tant de haine contre le péché, il ne supportait pas les pécheurs avec tant de patience.

  En troisième lieu, il est semblable à ceux qui gardaient ma sépulture, qui s’armèrent et environnèrent de soldats mon tombeau, afin que je ne ressuscitasse point, disant : Gardons diligemment de peur qu’il ne ressuscite et qu’il faille le servir. De même en faisait cette âme : elle s’armait de l’endurcissement du péché, car elle gardait diligemment le sépulcre, c’est-à-dire, la conversation de mes élus, sur lesquels je me repose ; elle les gardait avec grand soin, afin que mes paroles et leurs avertissements n’entrassent en son coeur, pensant en soi-même : Je prendrai garde de n’entendre point leurs discours de peur qu’étant piqué de quelque juste ressentiment, je ne vienne à laisser mes voluptés, et que je n’entende ce qui déplairait à ma volonté ; et de la sorte, par la malice, il se sépara d’eux, avec lesquels la charité le devait unir.

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DÉCLARATION.

  Cette personne damnée fut noble et se souciant peu de Dieu. Un jour, étant à table, blasphémant les saints, éternuant, elle mourut soudain sans les sacrements, et son âme a été vue comparaître en jugement, à laquelle le Juge disait : Vous avez parlé comme vous avez voulu, et avez fait comme vous avez pu : il est donc raisonnable que vous gardiez le silence maintenant et que vous écoutiez.

  Répondez-moi donc, sainte Brigitte l’entendant.

  Bien que je sache toutes choses, n’avez-vous pas ouï ce que j’ai dit ? Je ne veux point la mort du pêcheur, mais sa conversion. Pourquoi donc, le pouvant, n’êtes-vous pas revenue à moi ?

  L’âme répondit : Certes, je l’ai ouï, mais je ne m’en suis pas souciée.

  Le Juge lui dit derechef : N’avez-vous pas ouï : Allez au feu, maudits ! Et venez, mes élus ! Pourquoi ne veniez-vous donc pas ?

  Je l’ai ouï, dit-elle, mais je n’en croyais rien.

  Le Juge lui dit encore : N’avez-vous pas ouï que j’étais juste Juge et éternellement formidable ? Pourquoi donc ne m’avez-vous pas eu en crainte ?

  Je l’ai ouï, dit-elle, mais je m’aimais trop, et j’ai clos mes oreilles, afin de n’ouïr le jugement ; j’ai endurci mon coeur, afin de ne pas y penser.

  Le Juge dit : Il est donc juste que la tribulation et l’angoisse ouvrent votre esprit, puisque vous n’avez pas voulu entendre quand vous le pouviez.

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  Lors l’âme a été rejetée du jugement, gémissant et criant : Hélas ! Hélas ! Quelle récompense ! Mais aura-t-elle fin ?

  Soudain une voix a été ouïe qui disait : Comme le premier principe de toutes choses n’aura point de fin, de même votre misère n’en aura point.


Chapitre 29. Il est commandé à sainte Brigitte de recevoir souvent le corps de Notre-Seigneur

6029   Il est commandé à sainte Brigitte de recevoir souvent le corps de Notre-Seigneur, figuré par la manne du désert et par la farine dont la veuve rassasia le prophète. Il raconte aussi les grandes vertus, grâces et faveurs qui arrivent à l’âme qui communie comme il faut.

Je suis votre Dieu et Seigneur, la voix duquel Moïse ouït au désert au buisson, et Jean au Jourdain.

  Dès ce jour, je veux que vous receviez souvent mon corps, car il est le médicament et la viande qui affermit l’âme : celui qui est infirme d’esprit et débile en l’exercice de l’esprit, en est guéri et affranchi. N’est-il pas écrit que le prophète était envoyé à la femme qui le nourrissait d’un peu de farine, et que la farine ne diminuait point jusqu’à ce que la pluie tombât sur la terre ?


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  Je suis ce prophète en figure, et mon corps est figuré par la farine. Cette nourriture de l’âme ne se consomme point et ne diminue point, mais nourrit l’âme, et demeure sans être consommée, car la viande corporelle à trois choses :

1-étant mâchée, elle se rend liquide ;

2-elle s’anéantit ;

3- elle nourrit pour quelque temps ;

  mais ma viande est,

1-mâchée quant aux accidents, et n’est point mâchée quant à la Divinité et humanité ;

2-elle n’est point anéantie, mais elle demeure la même ;

3- elle ne rassasie point pour un temps, mais éternellement.

  Cette viande est préfigurée en la manne, que les anciens Pères ont mangée dans le désert ; elle est cette viande que j’ai promise en mon Évangile, et qui rassasie éternellement. Donc, le malade croît en force par la viande corporelle ; de même aussi tous ceux qui reçoivent mon corps dignement et avec bonne intention, croissent en force spirituelle. Elle est ce fort médicament qui, entrant en l’âme, l’affermit et la rassasie. Ceci est caché aux sens, et la foi le découvre à l’esprit demis. Cette viande est à dégoût aux méchants et à ceux qui goûtent les douceurs du monde, à ceux dont les yeux ne voient que cupidité, dont l’esprit ne discerne ni n’estime que les propres volontés.

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Chapitre 30. Jésus-Christ commande à son épouse sainte Brigitte de conformer entièrement sa volonté à la volonté de Dieu

6030   Jésus-Christ commande à son épouse sainte Brigitte de conformer entièrement sa volonté à la volonté de Dieu, tant en prospérité qu’en adversité, car la volonté est comparée à la racine de l’arbre : que si elle est bonne, c’est-à-dire, si l’âme est bonne, elle produit de bons fruits ; que si elle est inconstante, alors elle est rongée par la taupe, c’est-à-dire, par le diable, et l’âme est lors remplie des vents des adversités, ou bien elle se sèche sous les chaleurs du soleil, c’est-à-dire, de l’amour vain du monde.

  Le Fils parlait à son épouse : Bien que je sache toutes choses, dites-moi néanmoins en votre langage quelle est votre volonté.

  Soudain l’ange répondit pour l’épouse, disant : Sa volonté est comme on lit : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel.

  C’est ce que je demande, dit Notre-Seigneur, c’est ce que je veux, et c’est ce qui m’est une obéissance très agréable. Vous devez donc, ô mon épouse, être comme un arbre bien enraciné, qui ne craint point trois sortes d’accidents :

1- Si l’arbre est bien enraciné, les taupes ne l’arracheront point ;

2- Il n’est point ébranlé par l’impétuosité des vents ;

3- Il ne sèche point par l’ardeur du soleil.

  Votre âme est un arbre dont la principale racine est la bonne volonté de Dieu. En vérité, de cette bonne racine pullulent autant de vertus qu’il y a de racines en l’arbre. Or, la racine de laquelle les autres dépendent, doit être forte, grosse et plus profondément enfoncée en la terre : de même votre volonté doit être forte en patience, grosse en la divine charité, et profondément abaissée en la vraie humilité ; et si votre volonté est ainsi enracinée, elle ne doit point craindre les taupes.

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  Mais qu’est-ce que signifie la taupe fouillant sous la terre, sinon le diable, qui va invisiblement, trompant et troublant l’âme ? Le diable, par sa morsure, fend la racine de la bonne volonté, si elle est constante à pâtir, et en la fendant de sa morsure, il la dissipe quand il suggère de mauvaises affections au coeur, tire votre volonté à diverses choses, et fait désirer ce qui est contre votre volonté, dit Jésus-Christ à sainte Brigitte. Mais la première racine étant empoisonnée, toutes les autres le sont, et le tronc se sèche, c’est-à-dire, la volonté et l’affection sont corrompues ; toutes les autres vertus sont empoisonnées et me déplaisent, si on ne s’amende par pénitence ; l’âme est digne d’être sujette à la domination de Satan, bien que sa volonté ne parvienne à l’effet extérieur. Que si la racine de la volonté est forte et grosse, la taupe le peut ronger, mais non pas la fendre, et lors, par la morsure, la racine devient plus forte : de même, si votre volonté est toujours forte dans les adversités et les prospérités, le diable la peut bien ronger, c’est-à-dire, il peut lui suggérer de mauvaises pensées, mais si elle y résiste et n’y consent point de volonté, lors elles ne seront point adjugées à supplice, mais bien à plus grand mérite, si on les souffre avec patience, et à plus grande sublimité de vertu.

  Que s’il arrive que vous tombiez par impatience ou à l’improviste, relevez-vous soudain par la pénitence et contrition, et lors je remets le péché, et donne patience et force contre les suggestions de Satan.

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  En deuxième lieu, si l’arbre est bien enraciné, il ne doit point craindre les impétuosités des vents. De même si votre volonté est conforme à la mienne, vous ne devez point vous soucier des adversités du monde, qui sont comme un vent, pensant en vous-même que peut-être il vous est expédient que les tribulations du monde vous fassent souffrir. Vous ne devez pas aussi vous troubler du mépris du monde ni des affronts car j’exalte et j’abaisse ceux que je veux. Vous ne devez pas vous plaindre des douleurs du corps, car je le puis guérir et blesser, et je ne fais rien sans raison et sujet. Or, celui qui a une volonté contraire à la mienne, celui-là est affligé maintenant, d’autant qu’il ne peut accomplir ce qu’il désire, et il sera encore puni en l’autre vie, à raison de sa mauvaise volonté ; que s’il résignait et consignait sa volonté en moi, il pourrait souffrir facilement toutes les adversités.

  En troisième lieu, un arbre bien enraciné ne craint point les chaleurs excessives, c’est-à-dire, ceux qui ont une volonté accomplie ne se dessèchent point de l’amour de Dieu par les excès de l’amour du monde, ni ne sont pas retirés de l’amour de Dieu par l’homme corrompu. Mais ceux qui sont inconstants, leur âme est bientôt ébranlée de leur suggestion du diable, ou par les contrariétés du monde ou de l’amour vain, désirent ce qui est inutile. Partant, cet homme n’est pas un bon arbre, duquel vous pensez maintenant : La principale racine d’icelui est coupée, savoir : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, car il a embrasse l’austérité de la vie conscient, et lors je remets le péché, et donne patience et force contre les suggestions de Satan.

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  En deuxième lieu, si l'arbre est bien enraciné, il ne doit pas craindre les impétuosités des vents. De même si votre volonté est conforme à la mienne, vous ne devez point vous soucier des adversités du monde, qui sont comme un vent, pensant en vous-même que peut-être il vous est expédient que le tribulat insidu vous fasse souffrir. Vous ne devez pas vous troubler du mépris du monde et des affronts car j'exalte et j'abaisse ceux que je veux. Vous ne devez pas vous plaindre des douleurs du corps, car je le puis guérir et blesser, et je ne fais rien sans raison et sujet. Or, celui qui a une volonté contraire à la mienne, celui-là est affligé maintenant, d'autant qu'il ne peut accomplir ce qu'il désir, et il sera encore puni en l'autre vie, à raison de sa mauvaise volonté ; que s'il résignait et consignait sa volonté en moi, il pourrait souffrir facilement toutes les adversités.

  En troisième lieu, un arbre bien enraciné ne craint point les chaleurs excessives, c'est-à-dire, ceux qui ont une volonté accomplie ne se dessèchent point de l'amour de Dieu par les excès de l'amour du monde, ni ne sont pas retirés de l'amour de Dieu par l'homme corrompu. Mais ceux qui sont inconstants, leur âme est bientôt ébranlée de leur entreprise et de l'amour de Dieu, ou par la suggestion du diable, ou par les contrariétés du monde ou de l'amour vain,désirant ce qui est inutile. Partant, cet homme n'est pas un bon arbre, duquel vous pensez maintenant :La principale racine d'icelui est coupée, savoir : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, car il a embrassé l'austérité de la vie continente, mais l'ardeur de l'amour se refroidit en lui. Je l'ai aide a raison des prières de ma Mère. Il avait trois choses : la pauvreté sans les richesses, l'infirmité en ses membres et défaut en la science. Ma volonté était que, s'il eut demeuré patiemment en ces trois choses, il aurait eu une abondance éternelle, éternelle santé, beauté, connaissance et vision de Dieu. Et pour obtenir ces choses, je l'avais grandement aidé, lui donnant la force spirituelle, lui inspirant ma volonté. Mais sa volonté est contraire a la mienne, se fâche de la pauvreté, non pour l'amour de moi, mais pour son utilité; il se fâche de son infirmité, se fâchant de pâtir ; il s'inquiète de ne savoir, de peur d'être méprisé des autres.

  Partant, par le secret de ma science, il a obtenu les trois choses dont il était trouble, car il jouit d'une plus grande abondance qu'il n'avait auparavant de nécessités corporelles ; il a une plus grande science et une plus grande réputation. Partant, quand le diable le touche avec la tentation, il doit craindre la chute, d'autant que la volonté principale est rompue, et que l'amour du monde est échauffé en lui, soudain il quitte le bien et avance chemin aux cupidités. Que la tribulation l'accable partout, du tout il est abattu comme un arbre frappé des vents ; il n'est stable en rien, mais querelleur en tout. Que si le vent d'honneur souffle, il ne sera pas moins sollicité par les pensées de plaire à tout le monde et d'être par tous estimé bon. Et comment pourra-t-il parer sagement les coups au revers de fortune ? Voyez combien d'inconstance provient de la racine vicieuse.

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  Or, que ce que je dois faire ? Je suis comme un bon jardinier : en mon jardin, il y a plusieurs arbres infructueux et peu plantureux. Si on coupe tous les bons arbres, quel est celui qui entrera après dans ce jardin ? Que si on arrache entièrement tous les arbres infructueux, le jardin sera trop difforme et désagréable, a raisin de la fosse et de la poudre : de même si j'appelai de cette vie tous les bons, qui entrerait après dans le jardin de mon Eglise ? Si j'en arrachais tous les mauvais tout d'un coup, mon Eglise apparaîtrait trop difforme, à raison des fosses et puis les autres me serviraient par la crainte de la peine, et non par amour.

  C'est pourquoi je fais comme le bon enteur qui retranche du tronc tout ce qui est aride et sec et le met au feu, et ente là-dessus du bon fruit : de même je planterai des arbres doux ; je ferai des parterres de vertus et enterai là-dessus ; et de temps en temps, j'en retrancherai ce qui est sec et le jetterai au feu ; je nettoierai mon jardin, de peur qu'il n'y demeure quelque chose d'infructueux qui puisse empêcher les rameaux nouveaux et les fruits..

  DECLARATION

Il est traité en ce chapitre d'un certain prieur qui s'étant excite à la contrition par les paroles de Jésus-Christ, se rendit après grandement dévot. Ce prieur vis Jésus-Christ lui tendant la main et lui disant : Par ces os si durs les clous sont entres.

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  Ce prieur étant mort, Notre-Seigneur dit à sainte Brigitte : Ce frère, ton ami, n'est pas mort, mais il vit, d'autant qu'il a accompli par oeuvres ce que le nom de frère signifie. Mais vous me pourriez demander ce que signifie le nom de frère. Je vous réponds : celui-là est véritablement frère, qui, selon la maxime commune, porte tout ce qu'il a sur son dos, qui ne désire que Dieu, qui se contente du nécessaire, qui connaît que Dieu incarné est son frère et l'aime comme frère.

Ce frère ne pouvait qu'à grand'peine se persuader que sainte Brigitte eut tant de grâces de Dieu. Dieu, en un ravissement, la lui montra, elle et le feu qui descendait du ciel sur elle ; et admirant cela et croyant que c'était illusion, étant éveillé de ce sommeil, il fut plongé dans la même vision, en laquelle il ouït une voix qui lui dit deux fois : Aucun ne peut empêcher que ce feu ne sorte, car de ma puissance, j'enverrai ce feu à l'orient et à l'occident, au septentrion et au midi, et il enflammera le coeur de plusieurs.

  Après ceci, ce frère crut aux révélations, et les défendit et accomplit, et parfit par oeuvres ce que le nom de frère signifie, et finit très heureusement sa vie.

  D'ailleurs dans ce même chapitre, il est traité de quelque frère infirme depuis trois ans, le pied duquel se pourrissait et la moelle en coulait. Ce frère exerça tant de patience qu'il avait toujours Jésus dans son coeur et en sa bouche, disant : O Jésus très digne ! Je désire, je désire, oui, je désire ce que je ne peux dire. Jésus, mon désir, venez à moi. Ayant été interroge sur ce qu'il désirait, il répondit : Dieu ! du désir que j'en ai, et de la vision je m'en réjouis ; voire tressaille de tel contentement, que, pour le posséder, je donnerais franchement cent ans en cette infirmité.

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  Après ceci, le même frère, se réjouissant, mourut à minuit environ entre les mains des frères. Mais le jour suivant, qui était un dimanche, sainte Brigitte, étant ravie, en esprit, ouït : O fille, parce que les seigneurs et les maîtres ne veulent point venir à moi, je ramasse et attire à moi les pauvres et les moins fervents, car ce pauvre idiot a aujourd'hui trouvé plus de sagesse que Salomon, des richesses qui ne vieillissent jamais, et une couronne qui ne se flétrira jamais

  Dites aussi au frère qui l'a servi en la maladie, que son service lui servira comme pénitence pour ses fautes, qu'il sera affranchi des tentations, et qu'il aura une nouvelle force dans l'exercice des choses spirituelles, qu'il arrivera à la fin de ses joies, et qu'il veillera dans le repos de Lazare.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6023