Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6031

Chapitre 31 ...damnée, d'autant qu'elle avait persévéré dans le mal

6031 L'épouse voyait au jugement divin un démon, et une âme semblable à la forme horrible d'un animal ; et elle était damnée, d'autant qu'elle avait persévéré dans le mal, et ne s'en était repentie à la fin. Comment Jésus-Christ est charitable et bénin aux bons, et vigoureux aux mauvais, et comment une autre âme montait.

L'épouse voyait au jugement divin comme deux démons semblables en tous leurs membres, la bouche desquels était ouverte ; leurs yeux étaient flamboyants, leurs oreilles pendantes comme celles des chiens ; leur ventre était enflé, grandement étendu et vaste ; leurs mains étaient comme des griffes, leurs cuisses sans jointures, leurs pieds comme boiteux et comme coupes au milieu

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Lors, un d'iceux dit au Juge : Donnez-moi pour femme cette âme qui m'est semblable.

  Le Juge lui dit : Quel droit y avez-vous ?

  Le démon répondit : Je vous la demande en premier lieu, puisque vous êtes juste : a-t-on pas accoutumé de dire que quand un animal est semblable à un autre, cet animal est fils d'un lion, car il lui ressemble, ou d'un loup, pour la même raison ? etc. Or donc, de quelle espèce est cette âme, ou a qui est-elle semblable, aux anges ou aux démons ?

  Le Juge lui repartit et lui dit : Elle n'est pas semblable aux anges, mais à toi et à tes semblables, comme il parait.

  Lors le démon, comme en se moquant, dit : Cette âme étant créée des ferveurs de votre amour, vous était semblable ; mais maintenant, ayant méprise votre douceur et clémence, elle est à moi par trois sortes de droits : 1° d'autant qu'elle est semblable à moi en ses dispositions ; 2° attendu qu'elle a un semblable goût ; 3° parce que nous avons un même accord de volontés.

Le Juge répondit : Bien que je sache toutes choses, néanmoins, pour l'amour de mon épouse ici présente, dites comment cette âme est semblable à vous en disposition.

  Le démon dit : Si nous avons des membres conformes, nous avons aussi des actes conformes, car nous avons les yeux ouverts, et nous ne voyons rien ; et de fait, je ne veux voir chose quelconque qui vous appartienne ; ni elle n'a aussi voulu voir, quand elle pouvait, ce qui concernait le salut de son âme, mais elle s'amusait aux choses temporelles.

  Nous avons aussi des oreilles, mais nous n'oyons rien pour notre avancement.

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De même celle-ci n'a rien voulu ouïr qui appartînt ou touchât à votre honneur ; à moi tout ce qui est de vous m'est très amère, c'est pourquoi la voix de votre doux concert n'entrera jamais en nos oreilles pour notre consolation et utilité. Nous avons les oreilles ouvertes, car comme elle a eu sa bouche ouverte à toutes les suavités du monde, et close aux louanges et pour vous louer, de même ai-je la bouche ouverte pour vous offenser et pour vous troubler, si je pouvais. Et de fait, si je pouvais, je vous troublerais toujours, et vous descendrais et débouterais du trône de votre gloire.

  Ses mains sont comme les mains d'un griffon, car tout ce qu'il a pu prendre, il l'a retenu sans le laisser, et l'eût plus longuement tenu, si vous eussiez permis qu'il eût vécu davantage. De même tous ceux qui viennent dans les mains de ma puissance, je les tiens si fermement que je ne les laisserais jamais aller, s'ils ne m'étaient ôtés contre mon gré par votre justice.

  Son ventre est enflé, d'autant que ses cupidités insatiables étaient sans bornes. Il était plutôt rempli qu'assouvi. En vérité sa cupidité était si ardente que toute la terre ne pouvait l'assouvir ; il eut voulu encore régner dans le ciel. J'ai aussi une semblable cupidité, car si je pouvais ravager les âmes qui sont au ciel, sur la terre et au purgatoire, je le ferai franchement ; et s'il m'en restait une seule âme, je ne laisserai pas celle-là franche de tourments, pour assouvir mes cupidités.

Sa poitrine est aussi froide que la mienne, car elle ne vous aima jamais, ni ne prit goût à vos avertissements, de même que moi, qui ne suis touché en votre endroit d'aucune atteinte d'amour, voire à raison de l'envie enragée qui me déchire au-dedans, je me laisserais tuer d'une mort amère, et désirerais que ce supplice me fût renouvelé incessamment, pourvu que je vous puisse défaire, et que cela fût possible.

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Nos cuisses sont sans jointures, d'autant que nous n'avons qu'une même volonté, car presque dès le commencement de la création, ma volonté s'est mue contre vous, ne voulant jamais ce que vous vouliez : de même la volonté de cette âme fut toujours contraire à vos préceptes et commandements.

  Nos pieds sont comme boiteux et mutilés, car comme avec les pieds on court aux utilités corporelles, de même on s'approche de Dieu avec l'amour et les bonnes oeuvres.. Cette âme non plus que moi, ne s'est jamais voulu approcher de vous par amour non par bonnes oeuvres, et partant, nous sommes semblables en tout et en l'usage des membres.

  Nous avons encore un semblable goût, car bien que nous sachions que vous êtes le souverain bien, nous ne vous goûtons pas pourtant ni ne savons pas combien doux et bon vous êtes. Donc, puisque nous sommes semblables en tout, jugez-nous conjointement.

  Lors un des anges répondit devant Notre-Seigneur : Seigneur Dieu m après que cette âme fut unie au corps, je la suivais toujours ni ne me séparai point d'elle, tant que je trouvai quelque bien en elle ; or, maintenant, je la laisse comme un sac vide de toute sorte de biens. Elle a eu enfin trois sortes de maux : 1° Elle réputait vos paroles à mensonge, ô Dieu ! 2° Elle croyait que votre jugement était faux. 3° Elle réputât votre miséricorde pour néant, voire la miséricorde fut comme morte en elle.

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Cette âme fut unie en mariage avec une seule femme, et garda la fidélité du mariage, non pour l'amour de Dieu, mais d'autant qu'il aimait si tendrement sa femme qu'il n'en désirait point d'autre. Elle oyait aussi des messes et assistait aux offices, non par esprit de dévotion, mais afin qu'il ne fût séparé des chrétiens et noté par eux. Elle allait aussi souvent à l'église afin d'obtenir de vous la santé corporelle, et que vous lui conservassiez les richesses et les honneurs du monde, non afin que vous la protégiez des chutes. O Seigneur, vous avez plus donné à cette âme qu'elle ne vous a servi au monde. Vous lui avez donné des enfants fameux, la santé corporelle, vous lui avez conservé les richesses et l'avez protégée des infortunes qu'elle craignait. Les secrets de votre justice lui ont donné l'accomplissement de ses cupidités, de sorte que vous lui avez donné cent pour un, et tout ce qu'elle a fait a été récompensé. Partant, je la quitte maintenant vide de toute sorte de biens.

  Lors le démon répondit : Donc ô Juge, puisqu'elle a suivi mes volontés, puisque vous l'avez récompensée au centuple, jugez-la être associée avec nous. N'est-il pas écrit en votre loi que là où il y aura une même volonté et un consentement de mariage, là se pouvait une conjonction de loi ? Or, il en est de même entre cette âme et les diables, car sa volonté a été la nôtre, et la nôtre, la sienne. Pourquoi serons-nous frustrés de la société et conjonction mutuelle ?

  Le Juge repartit et dit : Que l'âme dise ce qu'il lui semble de votre mariage avec elle.

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Elle dit au Juge : J'aime mieux être dans les peines de l'enfer que de venir dans les joies du ciel, afin que vous, ô Dieu, n'ayez consolation de moi ! Vous m'êtes à tant de haine que je ne me soucie point des peines, pourvu que vous n'ayez joie aucune de moi.

  Lors le démon dit au Juge : J'ai aussi les mêmes volontés. J'aimerais mieux être éternellement tourmente que de jouir de votre gloire, si vous deviez avoir de là quelque contentement !

  Lors le Juge dit à l'âme : Votre volonté est votre juge, et vous souffrirez le jugement selon icelle.

  Et lors le Juge s'étant tourné vers moi (sainte Brigitte ), qui voyais tout ceci, me dit : Malheur à cette âme ! Elle est pire que le larron : elle a eu son âme vénale ; elle a été insatiable des immondices de la chair ; elle a trompe son prochain, c'est pourquoi tous crient vengeance contre elle ; les anges détournent leur face de devant elle ; les saints fuient sa compagnie.

  Lors le démon, s'approchant de cette âme qui lui était semblable, lui dit : O Juge, me voici, moi qui suis plein de malice, qui ne suis point racheté ni ne serai point racheté. Cette âme est comme un autre à moi, car elle est rachetée, et elle s'est rendue semblable à moi, obéissant plutôt à moi qu'à vous. Partant, adjugez-la-moi.

  Le Juge lui dit : Si vous vous humiliiez, je vous donnerais la gloire, et si cette âme eut demande pardon avec résolution de s'amender au dernier point de la vie, elle ne fut jamais tombée en tes mains ; mais d'autant qu'elle persévéra jusqu'à la fin en ton obéissance, la justice veut qu'elle soit éternellement à toi. Néanmoins, les biens qu'elle a faits en sa vie, s'il y en a quelqu'un, restreindront ta malice, afin que tu ne la puisses tourmenter autant que tu veux.

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  Le démon repartit : Elle est chez moi, et comme par manière de dire, sa chair est ma chair, bien que je ne sois pas charnel, et son sang est mon sang, bien que je sois un esprit. Et le diable semblait se réjouir grandement de ces choses, et en menait un grand applaudissement.

Le juge lui dit : Pourquoi vous réjouissez-vous tant de la perte d'une âme ? Dites-le en sorte que mon épouse, ici assistante, l'entende.

  Le démon dit : Quand cette âme brûle, je brûle plus ardemment, et quand je l'allume, plus je suis allumé ; mais d'autant que vous l'avez rachetée par votre sang et l'avez tellement aimée que vous vous étés donne à elle ; lorsque je la puis arracher de vous par mes suggestions, je me réjouis.

  Le juge lui dit : Ta malice est grande, mais regarde, je le permets.

  Voici une étoile qui montait au plus haut des cieux ; et le démon la voyant, devint muet.

  Notre-Seigneur lui dit : A qui est-elle semblable ?

  Le démon répondit : Elle est plus luisante que le soleil, comme je suis plus noir que la fume ; elle est toute pleine de douceur et jouit des dilections divines, et moi je suis tout plein de malice et d'amertume.

  Et Notre-Seigneur lui dit : Quelles pensées en avez-vous en votre coeur, et qu'est-ce que vous voudriez donner pour qu'elle fût en votre puissance ?

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  Le démon répondit : Je donnerais toutes les âmes qui sont descendues en enfer depuis Adam jusques à maintenant, pour avoir celle-là, et voudrais endurer les peines les plus dures et les plus amères, comme si on donnait autant de coups de poignard sur moi si multiplies qu'il n'y eut pas l'espace de la pointe d'une aiguille, voire je descendrais du plus haut du ciel jusques à l'enfer pour l'avoir en ma puissance !

  Notre-Seigneur lui repartit : Ta malice est grande contre moi et contre mes élus, et moi je suis si charitable que, s'il en était besoin, je mourrais une autre fois et j'endurerais pour chaque âme et pour chacun des esprits immondes, le même supplice que j'ai endure une fois sur la croix pour toutes les âmes ! Mais vous êtes si envieux que vous ne voudriez pas qu'une seule âme vint à moi.

Lors Notre-Seigneur dit à cette bonne âme qu'on voyait comme une étoile : Venez, ma bien-aimée, jouir des contentements indicibles que vous avez tant désirés ; venez à la douceur qui ne finira jamais ; venez à votre Dieu et Seigneur, que vous avez tant de fois désiré. Je vous donnerai moi-même, en qui sont tout bien et toute douceur ; venez à moi du monde qui est semblable à la douleur et à la peine, car en lui, il n'y a que misère.

  Et lors Notre-Seigneur, se tournant vers moi (sainte Brigitte), qui voyais tout cela en esprit, me dit: Ma fille, tout ceci a été fait en moi en un instant ; mais parce que vous ne pouvez entendre les choses spirituelles que par les similitudes, je vous les ai voulu montrer de la sorte, afin que l'homme comprenne combien je suis rigoureux aux méchants, et combien débonnaire aux bons.

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DÉCLARATION.

  Une âme était présentée au juge ; elle était suivie de quatre Éthiopiens, qui dirent au juge : Voici la proie : suivons-la, et nous marquerons tous ses pas ; et étant une fois tombée en nos mains, qu’en ferons-nous ?

  Le juge leur dit : Qu’avez-vous à intenter contre elle ?

  Le premier Éthiopien dit : Vous, Dieu, avez dit : Je suis juste et miséricordieux par-dessus les péchés. Or, cette âme s’est en telle sorte comportée comme si elle avait été créée pour la damnation éternelle.

  Le deuxième Éthiopien dit : O Seigneur, vous avez dit que l’homme devait être juste avec son prochain et ne le tromper en rien. Or, cette âme a fraudé et trompé son prochain, a changé ce qu’elle a pu, et a pris ce qu’elle a voulu, sans dessein d’en restituer rien.

  Le troisième Éthiopien dit : Vous avez dit que l’homme ne doit point aimer la créature par-dessus son Créateur. Or, cette âme a aimé toutes choses fors vous.

  Le quatrième Éthiopien dit que pas un ne peut entrer dans le ciel, si ce n’est de tout son coeur ; mais cette âme ne désirait rien de bon, ni les choses spirituelles ne lui plurent jamais. Mais tout ce qu’elle faisait qui avait quelque apparence que c’était pour l’amour de vous, elle le faisait afin de n’être marquée des chrétiens qu’elle n’était pas chrétienne.

  Lors le Juge dit à l’âme : Que dites-vous de vous-même ?

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  Elle répondit : Je vous désire toute sorte de maux, bien que vous soyez mon Créateur et mon Rédempteur, et mon coeur est entièrement endurci ; néanmoins étant contrainte, je dirai la vérité. Je suis comme un avorton aveugle et boiteux, méprisant les avertissements du père. Ma conscience profère mon jugement : il faut que je suive aux peines ceux-là dont je suivis les moeurs et les conseils en la terre.

  Ces choses étant dites, l’âme est sortie de devant Dieu avec de grandes larmes. Lors la vision disparut.

  A la fin de cette révélation, il est fait mention de frère Algotte, prieur et docteur en théologie, qui, ayant été trois ans aveugle et tourmenté de la pierre, finit ses jours heureusement ; car sainte Brigitte, priant pour lui afin qu’il le guérît, ouït en esprit cette réponse : Il est une étoile luisante. Il n’est pas expédient que, pour le désir de la santé, son âme soit noircie, car elle a déjà combattu, vaincu et consommé sa course. Il ne reste que la couronne, et cela ne lui sera enseigné que de cette heure ; les douleurs de la chair lui seront soulagées, et l’âme sera enflammée des feux de mon amour.


Chapitre 32. les parents qui élèvent leurs enfants dans les moeurs mondaines, à acquérir les honneurs et la gloire mondaine, sont désignés par les serpents

6032   Paroles de Jésus-Christ à son épouse, lui marquant comment les parents qui élèvent leurs enfants dans les moeurs mondaines, à acquérir les honneurs et la gloire mondaine, sont désignés par les serpents qui, nourrissant leurs petits, leur enseignent à combattre avec l’aiguillon et venin mortifère.

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  Quand le mâle et le femelle des serpents s’accouplent, ils se communiquent le venin, et de leur nature, ils engendrent un serpent venimeux ; mais le serpent, étant conçu, ne peut avoir vie que par ma faveur, car rien ne peut être sans moi, ni recevoir l’esprit sans ma puissance et ma vertu. Mais le serpent étant né, la mère, n’ayant point de lait pour le nourrir, se pose en telle sorte sur lui et l’échauffe tellement que peu s’en faut qu’elle ne l’étouffe. Ce serpenteau, sentant au-dessus un trop grand chaud, et au-dessous un grand froid, poussé par la nécessité, applique sa bouche à la terre, et commence à sucer et à manger peu à peu la terre. Après, sa mère le pique à la queue, pour lui enseigner de serpenter, le poussant et le retirant. Après, la mère considère le lieu où l’ardeur du soleil est, et là, elle traîne son serpenteau, allant devant lui lentement, afin qu’il apprenne à aller et à suivre ; et le voyant au soleil, la mère pense si son petit a du venin pour empoisonner, et connaissant qu’il en a, elle lui enseigne à piquer. Mais parce qu’il a l’aiguillon tendre encore, la mère pense : Si je lui donne quelque chose de dur, son aiguillon tendre sera bientôt rompu ; c’est pourquoi la mère lui apporte quelque chose de mou devant lui, et puis sa mère l’excite à la colère et à la fureur, jusques à ce que son petit serpenteau pique le corps mou, et que de la sorte il apprenne à piquer et à renforcer son aiguillon ; et l’ayant après fortifié, il pique les pierres et les corps durs, et la mère, l’ayant de la sorte instruit, le laisse.

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  De telle trempe est l’homme que vous connaissez : il est de fait comme un serpenteau nouveau-né, d’autant qu’il est né d’un père et d’une mère qui imitent la nature du serpent, car tous deux conviennent en la nature du serpent, c’est-à-dire, en la superbe damnable, qui nuit à l’âme plus que nuit au corps le venin corporel. Or, enfin, ce serpent, ayant une grande affection aux ambitions et d’inextinguibles feux de volupté, brûlait en l’amour impur de sa femelle, et elle brûlait d’une pareille volupté en lui, c’est pourquoi ils s’approchèrent ensemble, bouffis d’orgueil, ayant oublié la crainte de Dieu, et engendrèrent un serpent venimeux d’une semence vénéneuse. Et moi, parce que je suis miséricordieux, ma justice l’exigeant de la sorte, j’ai créé l’âme. Mais d’autant que la mère n’avait point, pour nourrir son fils, les mamelles de la dilection divine, elle nourrit dessous soi, c’est-à-dire, selon l’amour du monde, et le fit élever avec les plus superbes, désirant d’une passion insatiable comment il le pourra rendre fameux parmi les grands du monde ; et l’incitant à sa ruine, il lui parle, disant : Si vous aviez ce domaine ou cette principauté, vous pourriez être semblable à votre père. Un tel honneur vous est convenable, et pour l’acquérir, vous devez faire tous vos efforts.

  Un tel serpenteau, étant ainsi nourri par sa mère, échauffé aux choses terrestres, refroidi du divin amour, commence de désirer les choses terrestres, de s’y attacher, de s’y échauffer de plus en plus. Après, afin qu’il apprenne à remuer les membres et à dresser la tête, la mère le pique lors à la queue, quand elle le pousse à attirer les autres à soi par promesses, et à se les associer par paroles et faveurs ; quand elle lui commande de ne point pardonner aux bons, afin qu’il soit appelé bon, ne pardonner à sa vie, et afin qu’il soit appelé généreux, n’avoir point de repos, et enfin elle lui enseigne d’éterniser son nom. Elle lui enseigne de ramper et de serpenter, le conduisant aux ardeurs du soleil, quand elle l’incite à vivre superbement et dissolument, lui disant en particulier et en public : C’est de la sorte qu’ont vécu votre père et vos prédécesseurs.

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  C’est ainsi que les grands doivent faire ; c’est une honte de vouloir être plus saint qu’eux, et c’est un déshonneur de vouloir être plus humble qu’ils n’ont été, eux, par leurs discours doux, flatteurs et emmiellés, se sont acquis les faveurs des hommes, et en se conformant à leurs moeurs, ils ont été grandement renommés. Par ces funestes avertissements, le serpent né, attiré par les vanités et les allèchements de la mère, la suit d’un péché à un autre, jusqu’à ce qu’il soit arrivé aux ardeurs de la lubricité, comme aux ferveurs du soleil ; et là où il pensait commencer ses plaisirs, là il a trouvé ses douleurs, et de là sont sortis les inquiétudes, les fureurs et les combats, qui lui ont été enseignés par la mère. Mais d’autant que la mère considérait ses infirmités et ses faiblesses en ses forces, elle commença de lui persuader ce qui est mol, savoir, l’acquisition des choses temporelles de moindre réputation, afin de là faire progrès aux honneurs médiocres qui semblent au commencement des choses douces et molles ; après, acquiesçant aux conseils envenimés, il afflige les pauvres misérables, ravissant leurs biens ; voyant qu’ils sont faibles pour leur résister, il injurie les uns, il pique par la haine les autres, il tue ses ennemis. Après, ayant affermi son aiguillon ès choses basses, étant soufflé par les ambitions de la mère, il commence de monter plus haut, portant envie aux plus grands, tendant aux trahisons, suscitant des querelles, semant des discordes, de sorte qu’il ne doute point d’étendre son aiguillon jusques aux injures de l’Église, si on ne s’en donne garde soigneusement et sagement.

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  Pour arracher la malice de cet aiguillon, il n’y a qu’un seul remède, savoir : il faut couper la langue du serpent. Or, les sages doivent discerner cette langue et la manière dont il la faut couper.

  Après, Notre-Seigneur dit : Comme on transperce le drap sans qu’il s’en sente, et comme la pomme est écorchée sans que le maître s’en sente, de même ma passion et mes peines sont au coeur de ce serpent, bien qu’il ne les considère jamais, car il met sa foi en la prédestination, disant : Si Dieu a prévu que je serais damné, pourquoi ne travaillerai-je plus ? S’il a prévu que je serais sauvé, facilement il acceptera ma pénitence. Malheur à lui, s’il ne s’amende promptement, car aucun n’est damné par ma présence ! Sachez aussi que la mère de ce serpent n’aura jamais ce qu’elle désire follement, ni même ses enfants, ni sa génération ne prospérera point, voire elle mourra en l’amertume et dans le chagrin, et sa mémoire sera éteinte.

  ADDITION.

  Le Fils de Dieu parle, disant : Qu’on se donne bien garde de cette espèce de serpent, et qu’on ne se confie point à ses inventions, car le jugement de Dieu approche, et ses jours ne seront point prolongés.
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Une autre fois, Notre-Seigneur apparut, disant : Sachez pour certain que ces diables n’obtiendront point ce qu’ils désirent, ni ses enfants ne prospéreront point, ni sa mémoire ne sera point provignée en générations.


Chapitre 33. Dieu le Père parle à son Fils, montrant comme il est semblable à l’époux, qui a tant aimé l’épouse qu’il a été crucifié pour l’amour d’elle

6033   Dieu le Père parle à son Fils, montrant comme il est semblable à l’époux, qui a tant aimé l’épouse qu’il a été crucifié pour l’amour d’elle ; mais elle a aimé l’adultère et a tué l’époux. En quelle manière sont signifiés l’âme par l’épouse, le lit nuptial par l’Église, les portes du cabinet par la volonté, l’adultère par les délectations de la chair. Il prédit aussi que l’épouse sera l’épouse de Jésus-Christ.

  Le Père parle à son Fils, lui disant : Vous êtes semblable à l’époux qui a épousé une épouse belle de face et honnête en ses moeurs, l’a introduite en son lit nuptial et l’a aimée comme soi-même. De même vous, ô mon Fils, vous avez épousé une épouse nouvelle, quand vous avez brûlé de tant d’amour et de charité envers les âmes, que vous avez voulu être déchiré et mourir au gibet de la croix pour l’amour d’elles, et les avez introduites en votre sainte Église, que vous avez dédiée par votre sang, comme en un lit nuptial. Mais hélas ! son épouse est maintenant adultère ; les portes du cabinet nuptial sont closes, et au lit de la vraie épouse. L’adultère est couchée très méchamment, qui s’entretient en ces pensées : Quand mon mari sera endormi, dépouillé dans son lit, lors je lui mettrai le poignard au sein et le tuerai, car il ne me contente point.


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  Or, qu’est-ce que l’âme signifie, sinon les âmes que vous avez rachetées de votre sang, lesquelles, bien qu’elles soient plusieurs en nombre, ne sont néanmoins qu’une épouse à raison de l’unité de la foi et de la charité, et plusieurs d’icelles sont maintenant adultères, d’autant qu’elles aiment le monde plus que vous, ô mon Fils ! Elles cherchent le plaisir d’autrui, et non le vôtre. Les portes de votre cabinet nuptial, c’est-à-dire, de l’Église, sont closes. Qu’est-ce que signifient les portes, sinon la bonne volonté, par laquelle Dieu entre dans les âmes ? Elle est close comme ne contentant rien de bon, mais elles font la volonté de leurs ennemis, car tout ce qui leur plaît, tout ce qui est délectable à leur corps, c’est tout ce qu’elles désirent, honorent et poursuivent, et c’est ce qu’elles estiment être bon et saint. Mais votre volonté, qui est ce que les hommes devaient choisir avec ferveur, désirer avec ardeur et donner tout pour vous, est négligée et méprisée ; et aussi quelques-unes, par aventure, entrent quelquefois en dedans des portes de vos cabinets nuptiaux, mais ce n’est pas pour accomplir vos volontés, pour vous y aimer de tout leur coeur, mais seulement par honte des hommes, de peur d’être estimés iniques, et afin qu’elles ne soient reconnues publiquement ce qu’elles sont devant Dieu.

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  Si donc la porte de votre lit nuptial est mal close, et il y a plus de plaisir à fréquenter les adultères que vous, elles conspireront de vous tuer quand vous serez couché en votre lit : en vérité, c’est lorsque vous leur avez paru tout nu, quand vous avez reçu le corps des pures entrailles de la Sainte Vierge sans laisser l’humanité ; et lorsqu’ils vous voient au saint et auguste sacrement, ils pensent qu’il n’y a que le seul pain, bien que vous y soyez vrai Dieu et vrai homme, que les yeux obscurcis des ténèbres du monde ne peuvent voir ne pénétrer.

  Vous leur semblez encore endormi quand vous les souffrez sans les punir, et c’est ce qui les fait entrer impudemment dans votre temple, pensant en eux-mêmes : J’entrerai et je recevrai le corps de Jésus comme les autres ; néanmoins, je ferai ce que bon me semblera quand je l’aurai reçu, car que me profite ou nuit-il de le recevoir ou de ne le recevoir pas ? Hélas ! qu’ils sont misérables ! Car lors ils vous tuent en quelque manière dans leurs coeurs, afin que vous ne régniez pas en eux, bien que vous soyez immortel, et en tout lieu, par la puissance de votre Divinité.

  Mais parce qu’il n’est pas décent que vous soyez sans une bonne épouse, c’est pourquoi j’enverrai mes amis, afin qu’ils vous amènent une épouse très pure, belle, nouvelle, honnête en moeurs, désirable, et qu’ils l’introduisent en votre lit nuptial. Or, ces miens amis seront aussi prompts que des oiseaux, d’autant que mon Esprit les conduira ; ils seront forts comme ceux devant les mains desquels les murailles sont renversées. Ils seront magnanimes comme ceux qui ne craignent point la mort et sont prêts à donner leur vie. Ceux-ci vous amèneront une épouse nouvelle, c’est-à-dire, les âmes de mes élus, et ce avec grand honneur, éclat, dévotion et charité, avec labeur et persévérance invincible. Je suis celui qui parle maintenant, qui ai crié au Jourdain et au désert : Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Mes paroles seront bientôt accomplies.

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Chapitre 34. comment la Sainte Vierge impétra de son Fils les paroles de ce livre, pour servir de prière

6034   La Mère de Dieu déclare à l’épouse par une similitude comment la Sainte Vierge impétra de son Fils les paroles de ce livre, pour servir de prière, et s’applique aux élus qui sont au monde. Ces paroles promettent malédiction aux superbes, miséricordes aux humbles. Ce livre contient encore des paroles par lesquelles il est donné pouvoir à certaines personnes de chasser les démons, et d’accorder ceux qui ont dissension, spécialement les rois de France et d’Angleterre.

  La Sainte Vierge Marie dit : Mon Fils est semblable à un roi qui a une cité en laquelle il y a soixante-et-dix princes. En tout ce domaine, il n’y en avait qu’un seul qui était fidèle au roi. Lors les fidèles, voyant que les infidèles n’attendaient que la mort et la damnation, écrivirent à une dame très familière au roi, la priant de prier Dieu pour eux, et qu’elle dit au roi qu’il leur écrivît quelques avertissements par lesquels ils retournassent à leur devoir. Elle parla au roi de l’importance du salut des infidèles.

  Le roi lui dit : Il ne leur reste que la mort, et ils en sont dignes. Néanmoins, en considération de vos prières, je leur écrirai deux mots.

Au premier sont trois choses : La damnation qu’ils méritent ;

2- la pauvreté et la confusion ;

3- la honte et la confusion comme à des pourceaux.

Le deuxième mot est que celui qui s’humiliera aura la grâce et jouira de la vie.

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  Mais quand la lettre où étaient ces deux paroles, fut parvenue à ces infidèles, quelques-uns d’entre eux dirent : Nous sommes aussi forts que le roi, et partant, défendons-nous. Les autres dirent : Nous ne nous soucions point de la mort ni de la vie, nous en négligeons l’évènement. Les autres dirent : Aussi, tout ce que nous avons ouï est faux et controuvé ; cette lettre n’a jamais été de la bouche et de l’intention du roi.

  Ayant donc ouï ces réponses, ces fidèles écrivirent à ladite dame familière du roi, disant : Ces infidèles ne croient point aux paroles du roi ni aux nôtres, c’est pourquoi demandez au roi qu’il leur envoie un signe signalé, afin qu’ils croient que la lettre est du roi.

  Ce que le roi oyant, dit : Deux choses appartiennent spécialement au roi, la couronne et le bouclier. Personne ne peut porter la couronne royale que le roi. Le bouclier du roi pacifie et réconcilie ceux qui ont débat entre eux. Je leur enverrai donc ces deux choses, pour voir s’ils se convertiront de leur malice et s’ils croiront à mes paroles.

  Ce roi ne signifie que mon Fils, qui est Roi de gloire, Fils de Dieu éternel et le mien. Il a le monde auquel il y a soixante-dix langues comme autant de domaines, et en chaque langue, un ami de mon Fils, c’est-à-dire, il n’y a point langue en laquelle mon Fils n’ait quelque ami, qu’on signifie néanmoins en un, à raison de l’unité de foi et d’amour. Mais moi, je suis la Dame très familière au roi, et mes amis, voyant les misères du monde, m’ont envoyé leurs prières, me suppliant d’apaiser mon Fils irrité contre le monde, mon Fils qui, étant fléchi par mes paroles et celles des saints, a envoyé au monde ces paroles de sa bouche, qui étaient presçues de toute éternité ; et afin que la cruauté et mécréance des hommes ne pensassent que c’étaient des paroles controuvées, j’ai impétré la couronne et le bouclier du Roi, en signe, la couronne pour la puissance qui sera donnée à un sur les esprits immondes ; le bouclier pour les ouvrages de la paix, qui seront donnés à un autre, savoir, réformer et pacifier les coeurs à un coeur, et la mutuelle charité. Or, les paroles de mon Fils ne sont quasi que deux mots, savoir, malédiction contre ceux qui s’endurcissent, et humilité à ceux qui s’humilient.

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  Ces choses étant dites, le Fils parlait à la Mère : Bénie soyez-vous comme une mère qui est envoyée afin de prendre une épouse pour son Fils ! C’est aussi ainsi que je vous envoie à mes amis, afin qu’ils unissent les âmes à moi par un mariage spirituel, tel qu’il est décent et convenable à Dieu. Partant, en considération de votre grande miséricorde et du fervent amour dont vous aimez les âmes, je vous donne autorité sur cette couronne et ce bouclier, afin que, non seulement vous la puissiez communiquer à deux, mais à ceux auxquels vous voudrez. Vous êtes pleine de miséricorde, et partant, vous attirez toute ma miséricorde sur les pécheurs. Bienheureux soit celui qui vous servira, car il ne sera délaissé ni en la vie ni en la mort !

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  Après, la Mère de Dieu parla à l’épouse : Il est écrit que saint Jean-Baptiste alla au-devant de la face de mon Fils, lequel tout le monde ne vit pas, d’autant qu’il était retiré dans les déserts : de même je vais au-devant du jugement effroyable de mon Fils avec miséricorde et clémence. Dites donc de ma part à celui qui a la couronne que toutes fois et quantes qu’il ressentira en soi l’Esprit d’amour et de ferveur de mon Fils, et que le mauvais esprit le vexera, il dise ces paroles :

Dieu le Père, qui êtes avec le Fils et le Saint Esprit, Créateur de toutes choses et Juge d’icelles ; qui avez envoyé votre Fils au sein de la Vierge pour notre salut. Je te commande, ô esprit immonde ! Je te commande de sortir, pour sa gloire et pour les prières de la Sainte Vierge, de cette créature de Dieu, au nom de celui qui est né de la Vierge, Jésus-Christ, un Dieu, qui est Père, Fils et Saint-Esprit.

  Après, on dira de ma part à l’autre qui a le bouclier : Vous m’avez envoyé souvent comme votre messager à Dieu, et j’ai prié souvent mon Fils pour vous. Or, maintenant, je vous prie d’aller, vrai messager, au souverain chef de l’Église, car bien que Lucifer y soit, néanmoins, les paroles de mon Fils y seront accomplies selon da volonté. Mais quand il sera arrivé en France, ayant assemblé les princes, qu’il leur dise devant eux ces paroles : Que Dieu, qui est avec le Père et le Saint-Esprit, Créateur de toutes choses, qui a daigné descendre dans les entrailles de la Sainte Vierge, et unir l’humanité au Verbe, sans se séparer de la Divinité ; qui a eu un si grand amour envers la créature, que, voyant la lance, les clous aigus et tous les instruments de mort devant soi, il aima mieux mourir, souffrir toutes les peines horribles, avoir les nerfs déchirés, les mains et les pieds percés, que de se départir de l’amour qu’il portait à l’homme ; que Dieu, par sa passion, vous réunisse tous en un coeur, dont vous êtes depuis si longtemps séparés ; enfin qu’il lui propose les peines horribles de l’enfer, les joies indicibles des justes, et les supplices des mauvais, comme mon Esprit le lui a inspiré.

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Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6031