Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6035

Chapitre 35. manière dont un moine était purifié en cette vie par les infirmités du corps

6035   Notre-Seigneur montre à l’épouse la manière dont un moine était purifié en cette vie par les infirmités du corps, et sa gloire était manifestée sous espèce d’une étoile. En quelle manière l’âme damnée d’un autre religieux était attendue par neuf démons devant le prince des démons ; et il lui est rendu raison pourquoi les mauvais religieux sont tolérés de Dieu.

  Le Fils de Dieu parlait à l’épouse : Vous avez vu, dit-il, l’âme de ce moine rayonnante comme une étoile, et à bon droit, car il était luisant et ardent en sa vie comme une étoile, et il m’a aimé par-dessus toutes les créatures. Il a vécu en l’observance et en la fidélité de ses résolutions. Cette âme aussi vous était montrée avant qu’elle mourût en cet état, où elle était avant qu’elle fût arrivée au dernier période de sa vie, et quand les signes évidents de la mort commençaient à paraître.

  Cette âme donc, s’approchant du dernier période de sa vie, vint en purgatoire, et ce purgatoire était son corps, dans lequel elle était purifiée par le feu de ses douleurs et de ses infirmités. Et c’est pourquoi elle vous était montrée comme une étoile enclose dans un vase, et cela, pour montrer comme elle avait brûlé des feux de mon amour ; c’est pourquoi elle est maintenant en moi et je suis en elle ; car si une étoile venait en un feu très lumineux, elle ne paraîtrait pas plus éclatante, de même ce religieux enclos en moi et moi en lui d’une manière ineffable, se réjouira de cette joie qui n’a point de fin. Or, étant en purgatoire, il brûlait d’un si grand amour en mon endroit, et moi envers lui, qu’il réputait la véhémence de la douleur très légère. Sa joie a commencé en tristesse et a fait son progrès en l’éternité. Ce que le diable regardant, et voulant trouver en elle quelque formalité de droit pour l’amour qu’elle m’avait porté, il eût volontiers donné toutes les âmes pour celle-ci.

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  Une autre âme vous était montrée, que le diable possédait par neuf sortes de droits. Je vous ai montré son jugement ci-dessus ; maintenant, je vous veux montrer son supplice, et comme toutes choses se sont passées en un point devant Dieu, bien que, pour votre intelligence, elles ne puissent être représentées que corporellement.

  Cette âme donc étant parvenue au supplice, soudain sept démons allèrent au-devant de leur prince, disant : Cette âme est à nous.

Le démon de superbe disait en premier lieu : Elle est mienne, d’autant qu’elle n’a réputé personne être légal, et a autant voulu être sur les autres que je le suis.

  Le démon de cupidité disait : En deuxième lieu, elle n’a jamais pu être assouvie comme moi : partant, elle est à moi.

  Le troisième démon de rébellion disait : Cette âme était liée et obligée à l’obéissance ; mais elle a été en tout rebelle à Dieu et obéissante à la chair : partant, elle est à moi.

  Le quatrième démon de la gourmandise disait : elle a excédé à manger ès heures illicites, comme je lui suggérais, et n’a point voulu l’abstinence : partant, elle est à moi.


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  Le cinquième démon de vaine gloire disait : Elle a chanté pour la vaine gloire et ostentation ; et lorsque la voix lui manquait, elle se fâchait, et lors, j’élevais sa voix et l’aidais à chanter plus haut : partant, elle est à moi.

  Le sixième démon de propriété disait : Elle devait être pauvre au monde et n’avoir rien de propre ; mais au contraire, elle amassait comme une fourmi tout ce qu’elle pouvait, et le possédait sans l’avoir demandé à son supérieur : partant, elle est à moi.

Le septième démon, qui est le mépris de la religion, disait : Elle était obligée d’observer en certain temps, et toutes ses actions, les temps ordonnés ; mais au contraire, elle avait tout déréglé : elle mangeait et buvait quand elle voulait ; dormait, veillait, parlait quand il lui plaisait, et le tout sans discipline régulière : partant, elle est à moi.

  Lors, le prince des démons disait : Par exemple, vous, ô esprit de superbe ! d’autant que vous l’avez possédée dedans et dehors, entrez en elle ; et partant, entrez en elle, et serrez-la si fortement que, si elle avait le corps, le cerveau et la moelle des os, les yeux, les os et les jointures, tout s’écoulât et se fracassât.

  Il dit au deuxième démon : Esprit de cupidité, vous l’avez possédée selon votre désir, et elle n’était jamais rassasiée : partant, entrez en elle avec un venin très ardent, et comme un plomb fondu, brûlez-la si misérablement qu’elle en soit et tout et partout affligée sans fin et sans repos.

  Il dit au troisième diable : Esprit de rébellion : Vous l’avez possédée en tout, et elle vous a plutôt obéi qu’à Dieu : partant, entrez en elle comme un glaive très aigu, et demeurez en elle sans en sortir, comme un glaive qui perce le coeur, qui ne peut sortir

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  Il dit au quatrième démon, c’est-à-dire, à l’esprit de gourmandise : Elle a consenti à toutes les intempérances : partant, brisez-la de vos dents et déchirez son coeur, afin que les sept esprits ci-dessus mentionnés en aient chacun sa part, et qu’ils l’affligent sans cesse et sans la consommer.

  Il dit au cinquième démon de vaine gloire : Entrez en elle, et ne permettez pas qu’en toute sa vie, elle jouisse tant soit peu de quelque repos ; et pour la vanité du chant, ne sortez jamais de sa bouche. Toute la joie qu’elle cherchait au monde sera changée en pleurs et misères éternelles.

  Il dit au sixième diable : Esprit de propriété, entrez en elle avec l’amertume, et faites qu’elle ne jouisse jamais d’aucun contentement ; mais en son lieu, elle sera riche des confusions éternelles, des damnations horribles, et des malheurs qui n’auront jamais de fin.

  Il dit au septième diable, c’est-à-dire, à l’esprit de mépris de religion : D’autant qu’elle a aimé et pratiqué le dérèglement, qu’elle ait un temps tout déréglé, où la rigueur du froid et l’ardeur du chaud ne finiront jamais.

  Lors soudain en un moment apparurent deux démons devant le prince des diables, disant : Nous avons aussi part en cette âme. Le premier dit : Cet homme fut un prêtre, et il n’a pas vécu comme un prêtre, et partant, il est ma part.

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  Le deuxième démon dit : Il avait en sa tête quelque lieu où la couronne de gloire devait être posée, et il ne l’a pas eue, et partant, il est à moi.

  Le prince des démons répondit et dit : Qu’on lui change le nom de prêtre et qu’il soit appelé Satan. Et d’autant qu’il a négligé d’avoir la couronne de gloire, qu’on pose en sa place l’opprobre de malédiction et de déjection éternelle.

  Après, Notre-Seigneur parlait à son épouse : Voici, mon épouse, quelle est cette récompense et combien elle est différente de l’autre : ces deux âmes ont été d’une même profession, mais bien inégales en leur récompense. Ne savez-vous pas pourquoi je vous montre ces choses ? Certainement, c’est afin que les bons soient récompensés, et que les mauvais, sachant cet horrible jugement, se convertissent. En vérité je vous dis que les hommes de cette profession se retirent grandement de moi, comme vous le pourrez entendre par un exemple.

  Je suis semblable au père de famille qui a pris des ouvriers auxquels il a commis le fossoir pour cultiver la terre, la pelle pour nettoyer les fossés, et le vase pour transporter la boue. Mais les ouvriers, méprisant le commandement de leur maître, rapportèrent les ustensiles à leur Seigneur, et dirent : Le fossoir n’est point aigu et la terre est trop sèche, et nous ne pouvons point travailler en icelle ; le balai est trop faible et le vase trop pesant : nous ne le saurions porter.

  Ces professeurs en font de même, car je leur ai commis comme à ceux qui cultivent la terre, la parole pour la prêcher, et la puissance de cultiver les coeurs par la terreur de mes jugements ; mais hélas ! ils ne s’en servent point, mais ils les méprisent et en prennent d’autres, d’autant qu’ils emploient mes paroles et mon institution au soulagement du corps, à plaire aux hommes et à s’enrichir de plus en plus ; les coeurs des hommes sont maintenant trop durs, et les paroles de Notre-Seigneur moins aiguës pour exciter la dévotion : et partant, ils proposent aux hommes des sujets agréables ; ils cachent ma justice ; ils dissimulent de reprendre les péchés, en quoi ils font que les pécheurs croupissent confidemment en leurs péchés, et s’en repentent avec moins de douleur.

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  En deuxième lieu, je leur ai commis le balai pour nettoyer la terre du fossé, c’est-à-dire, je voulais qu’ils aimassent l’humilité et la pauvreté, mais elle est maintenant trop faible, car ils disent : Si nous ne voulons rien avoir, comment vivrons-nous ? Si nous sommes entièrement humiliés, qui nous retirera ? Trompés donc et déçus de ce faux prétexte, ils sont autant superbes sur les autres qu’ils devraient être humbles.

  Je leur ai encore donné un vase pour porter la terre, c’est-à-dire, afin qu’ils pratiquassent l’abstinence des choses corporelles ; mais ils ont jeté ce vase à mes pieds, disant : Si nous voulons vivre en mêmes labeurs que nos pères, nous défaudrons et seront méprisés du tout en cette abstinence, de sorte donc que tout ce qu’il y a de bon dans la religion leur est pesant, et ils font ce que bon leur semble.

  Or, qu’est-ce que je dois faire, mes instruments étant jetés par terre, et eux refusant de travailler ? Certainement je leur dirai : Vivez selon votre volonté, faites vos oeuvres propres, et vous trouverez votre fruit ; ayez l’honneur du monde pour l’honneur éternel, ses richesses et son amitié pour les choses célestes,

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  les voluptés du siècle pour les délices qui n’auront jamais de fin. Je jure en ma vérité que si je n’avais égard à deux biens qui me les font souffrir, une maison de ceux-là ne demeurerait pas sur pied : le premier est la prière de ma très chère Mère, qui me prie incessamment avec leur patron ; le second est ma justice, car bien que je sois tenu de leur faire aucune miséricorde à raison de leur malice, néanmoins, pour les offrandes qui me sont agréables, je les tolère, car elles sont comme des instruments qui profitent aux autres ; car de leur chant et prédication, les autres sont excités de plus en plus à la dévotion, et prennent sujet et occasion de profiter ; mais ceux-là s’abaissent jusques aux fondrières infortunées, d’autant que, non pour l’éternité, mais véritablement pour le lucre, ils sont serviteurs ; et peu s’en trouvent d’autres, et si peu qu’à peine s’en trouve-t-il un sur cent !

  DÉCLARATION.

  Une âme apparut, revêtue du scapulaire et horriblement difforme en tout. Lors Jésus-Christ dit : Quelque peuple ouït le peuple d’Israël remporter la victoire partout, et craignant de lui être sujet, envoya des légats ayant aux pieds de vieux souliers, et du pain fort dur en leurs sacs, afin qu’en mentant, ils feignissent d’être des terres les plus lointaines. Mais la vérité étant connue, ils furent réduits en perpétuelle servitude.

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  De même plusieurs religieux, feignant de ne l’être pas, servent le monde sous l’habit de religion, sont exclus de l’héritage éternel, du nombre desquels est celui-ci, dont l’âme est possédée du diable par neuf sortes de droits.

1. D’autant qu’étant superbe, il se préfère aux autres, faisant semblant d’être vertueux, étant néanmoins tout plein de vices.

2. D’autant qu’il désirait ce qu’il voyait, n’étant pas content du nécessaire.

3. D‘autant qu’il obéit seulement à ce qui le contente ; le reste, il le fait par contrainte, ou il cherche l’occasion de fuir.

4. D‘autant qu’il se plaît à l’intempérance, compagne de ceux qui font un Dieu de leur ventre.

5. D‘autant qu’il cherche à être loué de tous, et non de Dieu ; c’est pourquoi il prêche des choses sublimes, chante les hauts accords, fait des choses signalées.

6. D‘autant qu’il se glorifie dans les choses superflues et a un habit étranger, la propriété duquel devait être la vraie pauvreté.

7. D‘autant qu’il ne se réglait pas aux heures, mais suivait en tout les désirs de la chair.

8. D‘autant qu’il allait à l’autel impudiquement et effrontément, sanctifiant et absolvant les autres, et lui, croupissant dans les liens du péché, et étant en tout digne de répréhension.

9. D‘autant qu’indignement il porte le signe de gloire en sa tête, ayant confédération et alliance avec mon ennemi : partant, s’il ne s’amende, il boira et sentira les rigueurs de ma justice.

Elle répondit : O mon Dieu ! Il dit les messes, il prêche, et ses prédications agréent à plusieurs : Peut-il donc être ailleurs qu’en votre Esprit ?

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  Notre-Seigneur répondit : Ses prédications sont de mon Esprit ; mais quand il ne prêche point avec charité ni avec la pure intention avec lesquelles un prédicateur doit prêcher, il n’a pas l’effet de la prédication ; et lors mon Esprit n’opère point en lui ; il mâche le fourrage, il suce la queue du serpent et cherche les fleurs périssables.

Lors elle repartit : O Seigneur, je n’entends pas ce que vous dites : partant, expliquez-le-moi, je vous en supplie.

  Notre-Seigneur lui dit : Lors il mâche le fourrage, quand pain éternel ne lui est point à goût, quand la divine sapience n’entre point dans son coeur, ma sapience qui dit : Venez à moi, humbles, et je vous réfectionnerai. Or, lors il suce la queue du serpent, quand la boisson de la divine intelligence ne lui est point à goût, mais bien la prudence du diable, qui dit : Mangez, et vos yeux vous seront ouvert. Il cherche les fleurs périssables, quand il ne se soucie point du fruit de la divine et éternelle douceur, mais a incessamment en la bouche les paroles du monde et de la chair.


Chapitre 36. Pour le jour de la sainte Pentecôte

6036 Notre-Seigneur Jésus-Christ révèle à son épouse comment, à raison de trois biens qui étaient aux coeurs vides et purs des apôtres, le Saint-Esprit y a été envoyé en trois manières. Comment le Saint-Esprit n’entre point dans les coeurs des hommes pleins de cupidité et de superbe. Notre-Seigneur veut que le vin des paroles de ce livre soit communiqué à ses amis, lesquelles paroles seront ensuite publiées aux autres.

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Pour le jour de la sainte Pentecôte.

  Je suis celui qui vous parle à vous, qui, un tel jour, ai envoyé à mes apôtres le Saint-Esprit, qui est venu à eux en trois manières :

1-comme un torrent ;

2-comme un feu ;

3- en espèce de langues.

  Or, il est venu à eux, les portes étant closes, d’autant qu’ils étaient retirés, et ils avaient trois sortes de biens, car

1-ils avaient la volonté de garder la chasteté et de vivre chastement en tout ;

2- ils avaient une profonde humilité ;

3- tout leur désir était envers Dieu, d’autant qu’ils ne soupiraient qu’après lui.

  Ils étaient comme trois vases purs et vides, c’est pourquoi le Saint-Esprit descendit en eux et les remplit. Il vint comme un torrent, les remplissant entièrement de sa douceur et de sa divine consolation. Il vint comme un feu, car il enflamma tellement leurs coeurs des ferveurs du divin amour, qu’ils n’aimaient et ne craignaient que Dieu. En troisième lieu, il vint en espèce de langues, car comme la langue est dans la bouche, et que néanmoins elle ne nuit point la bouche, mais est utile pour parler, de même le Saint-Esprit, étant dans leurs âmes, ne leur faisait désirer autre que lui-même ; la sapience divine les avait rendus éloquents, la vertu du Saint-Esprit, faisant l’office de la langue, disait toute vérité.

  Donc, ces vases, étant vides, et d’ailleurs, grandement désireux, furent dignes de recevoir le Saint-Esprit, car il n’entre point en ceux qui sont remplis et pleins. Or, ceux-là sont remplis qui ont leur coeur rempli de péchés et de vilenies, et ceux-là sont comme trois vases sales :

le premier est plein de fiente si puante des hommes que personne n’en peut souffrir la puanteur ;

le deuxième est plein comme de la corruption et pollution très-vile, que personne ne peut goûter ;

le troisième est plein de sang très corrompu et pourri, que pas un ne peut regarder à raison de l’abomination.

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  De même les méchants sont pleins des abominations et des cupidités du monde, qui sont puantes devant ma face et devant celles de mes saints, bien plus que la fiente des hommes, car que sont les choses temporelles, sinon fiente ? Les misérables se plaisent en cette méchante vilenie.

  Au deuxième vase, il n’y a que luxure et incontinence en toutes ses oeuvres ; cette incontinence m’est plus amère que la corruption. Je ne souffrirai point cela, et encore moins entrerai-je en eux par ma grâce. Comment pourrais-je, moi qui suis la pureté même, entrer en ces corrompus ? Comment moi, qui suis le vrai feu de la vraie dilection, enflammerais-je ceux qu’un grand feu de luxure enflamme ?

  Le troisième est de superbe : elle m’est comme un sang corrompu, car c’est elle qui corrompt les hommes au-dedans et au dehors, ôte la grâce que Dieu donne, et rend l’homme abominable devant Dieu et le prochain. Or, celui qui sera rempli de la sorte, ne pourra être rempli de la grâce du Saint-Esprit.

  Or, je suis comme un homme qui a du vin à vendre, lequel, en voulant boire, en donne plutôt à ses amis et à ses familiers pour le goûter, et après, le fait crier par les carrefours, disant que ce vin est bon, que qui en voudra vienne : de même, j’ai un vin très bon, c’est-à-dire, une douceur ineffable, laquelle j’ai fait goûter à mes amis, qui ont ouï les paroles qui procèdent de ma bouche. Entre tous ceux qui croyaient que le vin était bon, était celui qui est venu à moi ce jourd’hui, ayant comme trois vases à remplir, car il est venu ayant la volonté d’être continent, de se retirer de la vanité, de s’humilier profondément et de désirer tout ce qui me plaît.

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  C’est pourquoi j’ai aujourd’hui rempli ses vases, car 1. Il sera plus éclatant par ma sapience divine, plus éclairé pour comprendre mes mystères, et plus prompt à la contemplation qu’auparavant. 2. Je l’ai rempli de charité, et il sera plus fervent que jamais à tout bien. 3. Je lui ai donné une crainte discrète, de sorte qu’il ne craint que moi et ne cherche que ce qui me plaît. Afin donc qu’il sache appeler les autres à goûter mon vin, qu’il écoute les paroles que j’ai prononcées, qui sont écrites, afin qu’ayant oui combien je suis charitable et juste, il ait autant de soin d’appeler les autres à goûter la douceur de mon vin incomparable.


  DÉCLARATION.

  Ce frère suivait sainte Brigitte au voyage de Saint-Jacques. Il vit en esprit sainte Brigitte comme couronnée de sept diadèmes, et vit le soleil comme tout noirci ; de quoi s’étonnant, il ouït une voix qui lui disait : Ce soleil obscurci signifie le prince de votre terre, qui ayant relui comme un soleil, sera méprisé par l’opprobre des hommes ; et cette femme que vous voyez aura l’épi d’une grâce de Dieu septuple, laquelle est signifiée par la couronne septuple que vous avez vu, et ceci vous sera en signe que vous serez guéri de cette infirmité. Vous retournerez aux vôtres et serez élevé à une plus grande dignité.

  Etant retourné, il fut fait abbé, faisant progrès de vertu en vertu.

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Chapitre 37. En quelle manière la Sainte Vierge est saluée de quatre sortes d’hommes

6037   La Sainte Vierge parle à l’épouse. En quelle manière la Sainte Vierge est saluée de quatre sortes d’hommes : des vrais amis par amour, des autres par crainte de la peine, des autres pour être riches, des hypocrites par la présomption d’obtenir pardon. Les deux premiers sont récompenses entre les spirituels, le troisième temporellement, le quatrième abominablement.

  La Sainte Vierge Marie disait : Il y a quatre sortes de gens qui me servent :

  Les premiers sont ceux qui laissent en mes mains leur volonté, leur conscience et tout ce qu’ils font pour mon honneur ; leur salutation m’est agréable comme une boisson très douce.

  Les deuxièmes sont ceux qui craignent la peine, et par la crainte, péché. Je leur donne, s’ils persévèrent, la diminution de la mauvaise crainte, l’accroissement de la vraie charité, et la science par laquelle ils apprennent à aimer Dieu avec raison et sagesse.

  Les troisièmes sont ceux qui élèvent éminemment mes louanges ; mais ils n’ont autre affection ni intention, sinon que les richesses et les honneurs temporels leur soient accrus. Et partant, comme un seigneur à qui on envoie quelque don, et qui en renvoie un égal, de même, d’autant qu’eux demandent des choses temporelles ni ne désirent rien si chèrement, je leur donne ce qu’ils demandent, et je les récompense en cette vie présente.

  Les quatrièmes sont ceux qui feignent d’être bons, et néanmoins, ont le péché en délectation, car ils pêchent en secret quand ils peuvent, de peur qu’il ne semble aux hommes que soudain qu’on implore la Sainte Vierge, on obtient soudain le pardon ; leur voix me plaît comme le son d’un vase argenté par dehors, et qui, au dedans, est plein de fiente très puante que personne ne peut souffrir.

  Tels sont quelques-uns par la mauvaise volonté qu’ils ont de pécher.

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Chapitre 38. les signes du Saint-Esprit sont la douceur de l’esprit et la gloire ; et les signes du mauvais esprit sont l’anxiété et l’inquiétude

6038   Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à son épouse qu’il y a deux esprits, l’un bon et l’autre mauvais. Or, les signes du Saint-Esprit sont la douceur de l’esprit et la gloire ; et les signes du mauvais esprit sont l’anxiété et l’inquiétude de l’esprit procédant de la cupidité ou de la colère.

  Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : Le bon esprit est au coeur de l’homme. Or, quel est ce bon esprit, sinon Dieu ? Qu’est Dieu sinon la gloire et la douceur des saints ? Dieu est en eux, ils sont en lui ; et lors ils ont tout le bien quand ils ont Dieu, sans lequel rien n’est bon. Partant, celui qui a l’Esprit de Dieu a Dieu, et toute la milice céleste et tout bien ; Semblablement, quiconque a le mauvais esprit en soi, a tout le mal en soi. Or, quel est cet esprit mauvais, sinon le diable ? Or, le diable n’est que peine et tout mal. Celui donc qui a le diable a en soi la peine et tout le mal. Or, comme l’homme de bien ne ressent point d’où ou comment est versées en soi la douceur du Saint-Esprit, ni ne la peut goûter parfaitement, bien qu’en partie, de même l’homme mauvais, quand il est angoissé par les cupidités, quand il soupire après les ambitions, quand il est blessé de colère, ou corrompu par la luxure ou d’autres vices, a une peine du diable et un indice de l’éternelle inquiétude, bien qu’en cette vie, on ne puisse la comprendre comme elle est. Malheur à ceux qui adhèrent à cet esprit !

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Chapitre 39. le démon présentait au jugement divin sept livres contre l’âme d’un soldat décédé

6039   L’épouse voyait que le démon présentait au jugement divin sept livres contre l’âme d’un soldat décédé ; mais le bon ange présenta pour lui un livre où l’âme n’était point damnée éternellement, d’autant que, le diable l’ignorant, elle s’était repentie intimement à la fin de ses jours. Elle est néanmoins condamnée, dans le purgatoire, à sept peines, à raison de ses péchés, jusques au jour du jugement, car elle avait autant désiré de vivre. Mais Jésus-Christ révèle trois remèdes par lesquels elle pourrait être affranchie plus tôt ; et de fait, soudain trois peines lui ont été remises par les prières de la Sainte Vierge et des saints. La supplication du bon ange ne fut pas soudain exaucée, mais différant à quelque temps, Jésus-Christ la met en délibération.

  Un démon apparut au jugement divin, qui tenait une âme d’un décédé toute tremblante comme un coeur pantelant. Ce démon dit alors au Juge : Voici de la proie. Ton ange et moi avons suivi cette âme depuis sa naissance jusques à la fin de ses jours, mais lui pour la conserver, et moi pour la ruiner. Tous deux nous la guettions comme des chasseurs ; mais néanmoins, elle est à la fin tombée en mes mains, et pour gagner à moi, je me suis comporté avec toute sorte d’impétuosité, comme un torrent quand la brèche est faite, à qui rien ne résiste, sinon quelque digue, c’est-à-dire, votre justice, laquelle n’est pas encore éprouvée contre cette âme ; c’est pourquoi je ne la possède pas encore assurément. Je la désire aussi avec autant d’ardeur qu’un animal affamé, voire si enragé de faim qu’il mande ses membres. Donc, d’autant que vous êtes juste Juge, pourquoi est-elle plutôt tombée en mes mains qu’en celles de son ange ?

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Le Juge répondit : d’autant que ses péchés sont en plus grand nombre que ses bonnes oeuvres.

Puis le Juge demanda : Montrez lesquelles.

  Le démon répondit : J’ai un livre tout plein de ses péchés.

  Le Juge lui dit : Quel est le nom de ce livre ?

  Le démon répondit : Son nom est Désobéissance. En ce livre sont sept livres, et chacun a trois colonnes, et chaque colonne a plus de mille paroles, mais non moins de mille ; quelques-uns en ont plus.

  Le Juge répondit : Dites les noms de ces livres, car bien que je sache toutes choses, néanmoins, dites-les, afin que votre volonté et ma bonté soient connues.

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  Le démon répondit : Le nom du premier livre est la Superbe, et en icelui sont trois colonnes :

la première est la superbe spirituelle en sa conscience, d’autant qu’il s’enorgueillissait de la bonne vie, qu’il croyait avoir meilleure que les autres ; il s’enorgueillissait encore de son esprit et de sa conscience, qu’il estimait plus sages que les autres

La deuxième colonne était d’autant qu’il s’enorgueillissait des biens qui lui avaient été donnés, des vêtements et des autres choses.

La troisième était d’autant qu’il s’enorgueillissait de la beauté de ses membres, de sa noble race et de ses oeuvres. Et en ces trois colonnes, il y avait des paroles infinies comme vous connaissez mieux.

  Le deuxième livre était la Cupidité. Ce livre avait trois colonnes : la première était spirituelle, d’autant qu’il a cru que ses péchés n’étaient pas si grands qu’on le disait, et indignement a-t-il désiré le royaume céleste, qui ne se donne qu’aux purs.

La deuxième, d’autant qu’il a plus désiré d’être au monde qu’il n’était nécessaire, et que sa volonté ne tendait qu’à rendre recommandables son nom et sa race, afin de nourrir ses héritiers, non à l’honneur de Dieu, mais à l’honneur du monde.

La troisième fut qu’il désirait l’honneur du monde et d’exceller par-dessus les autres, et en ces choses, comme vous connaissez, il y a des paroles innombrables par lesquelles il recherchait les faveurs et bienveillances, par lesquelles il acquérait des biens temporels.

  Le troisième livre est l’Envie. Celui-ci a trois colonnes :

La première fut en l’esprit ; il enviait ceux qui excellaient sur lui et avaient plus que lui.

La deuxième, d’autant qu’il a reçu par envie les biens de ceux qui en avaient plus besoin que lui.

La troisième, que, par envie, il a nui secrètement au prochain par ses conseils, tant par lui que par les siens, et aussi publiquement, tant par paroles que par faits, tant par soi que par les siens, et a aussi incité les autres à des choses semblables

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  Le quatrième livre est l’Avarice, dans lequel il y avait trois colonnes :

La première était l’avarice dans son esprit, car il ne voulut jamais enseigner ce qu’il savait, dont les autres eussent pu prendre quelque consolation ou profit, pensant à ce qui suit : Quel profit m’en reviendra-t-il, si je donne tel ou tel conseil ? Quelle récompense en aurai-je, si je lui profite, en lui donnant conseil ? Et ainsi, celui qui lui demandait conseil, s’en retournait grandement affligé, pouvant être instruit de lui et ne l’étant point, le pouvant édifier et ne le faisant point.

La deuxième colonne est que, pouvant purifier ceux qui étaient en dissension, il ne le voulait point faire, et pouvant consoler ceux qui étaient en trouble, il n’en voulait rien faire.

La troisième colonne était l’avarice en ses biens, d’autant que, s’il lui fallait donner un denier pour Dieu, il s’en affligeait grandement, et il en eût donné cent pour l’honneur du monde. Or, en ces colonnes sont des paroles infinies, comme vous le savez très bien. Vous savez toutes choses, et rien ne vous peut être cache ; mais vous me contraignez de parler par votre puissance, afin que les autres profitent.

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  Le cinquième livre est la Paresse ; il a aussi trois colonnes :

La première : il était fainéant aux bonnes oeuvres pour votre honneur et pour accomplir vos préceptes, car pour avoir repos ne son corps, il a perdu son temps. L’utilité et la volupté de son corps lui étaient très chères.

La deuxième colonne : il était oisif en ses pensées, car quand vous lui inspirez quelque pensée, la contrition ou quelque connaissance spirituelle, elles lui semblaient trop longues, et il en retirait son esprit, et le portait aux joies du monde, qui lui plaisaient beaucoup.

La troisième : il était lâche à parler, à prier pour son utilité et celle d’autrui, et surtout pour votre honneur, et fervent à dire des paroles de gausserie et cajolerie. Or, combien grand en est le nombre et la quantité, vous seul le connaissez.

  Le sixième livre était la Colère ; il avait trois colonnes :

La première : d’autant qu’il se colérait contre son prochain des choses qui ne lui étaient point utiles.

La deuxième : d’autant qu’il a laissé le prochain par sa colère en ses oeuvres, d’autres fois en aliénant le sien.

La troisième : d’autant que, par sa colère, il troublait son prochain.

  Le septième livre était la Volupté ; il avait aussi trois colonnes :

La première : d’autant qu’il était impudique dans ses paroles et dans ses actes.

La deuxième : il était trop pétulant en ses paroles impures.

La troisième était qu’il nourrissait trop délicatement son corps, se préparant des superfluités de mets délicats pour contenter sa sensualité et pour être estimé grand. En cette colonne, il y a plus de mille paroles. Il demeurait à table plus longtemps qu’il ne devait, ne considérant pas le temps qu’il y restait, non pour cajoler ni pour recevoir plus que la nature ne requérait mais bien pour prier ou travailler.

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  Voici, ô Juge, que mon livre est rempli. Adjugez-moi donc cette âme.

  Or, le Juge ne disant mot, la Mère de miséricorde, qui semblait être fort loin, s’approchant, dit : Mon fils, je veux disputer de la justice contre ce diable.

  Le Fils répondit : Ma chère Mère, si la justice n’est pas déniée au diable, pourquoi vous serait-elle déniée, à vous qui êtes ma Mère et la Reine des anges ? Vous pouvez aussi et savez toutes choses en moi, mais vous parlerez, afin que les autres connaissent combien je vous aime.

  Lors la Mère parlait au diable, disant : Je te commande de répondre à trois choses que je te demande ; et bien que tu le fasses à regret, tu y es obligé par la justice, d’autant que je suis ta maîtresse.

Dis-moi, ne sais-tu pas toutes les pensées des hommes ?

  Le diable dit : Non, sinon celles-là qui se manifestent par l’oeuvre extérieure, et ce que j’en puis conjecturer de sa disposition, celles que je suggère dans le coeur, car bien que j’aie perdu ma dignité, néanmoins, par la subtilité de ma nature, il m’est demeuré tant de sagesse que par la disposition de l’homme, j’entre dans l’état de l’esprit, mais je ne puis pas connaître les bonnes pensées des hommes.

  La Sainte Vierge lui dit encore : dis-le-moi, ô diable, bien que contraint : qu’est-ce qui peut effacer les écrits de ton livre ?

  Le diable répondit : Une seule chose, qui est la charité, car quiconque l’obtient dans son coeur, soudain l’écriture de mon livre est effacée.

  La Sainte Vierge lui dit pour la troisième fois : Dis-moi, ô diable ! quelqu’un peut-il être si méchant et si corrompu qu’il ne puisse venir à résipiscence pendant qu’il vit ?

  P312

  Le diable répondit : Il n’y en a pas un qui, s’il veut, ne le puisse avec la grâce, car quand quelque pécheur que ce soit change sa mauvaise volonté en une bonne, est atteint des feux de la charité divine et veut demeurer ferme en icelle, tous les démons ne sauraient le retenir.

  Ces choses étant ouïes, la Mère de miséricorde dit à ceux qui étaient à l’entour d’elle : Cette âme, à la fin de sa vie, s’est convertie à moi et m’a dit : Vous êtes Mère de miséricorde et faites miséricorde aux misérables. Je suis indigne de prier votre Fils, d’autant que mes péchés sont trop grands et ne trop grande quantité ; j’ai trop provoqué sa colère, aimant plus mes voluptés et le monde que Dieu, mon Créateur : partant, je vous supplie d’avoir miséricorde de moi, car vous ne la refusez à pas un qui vous la demande ; et partant, je me convertis à vous, et je vous promets que, si je vis, je veux m’amender, convertir ma volonté à votre Fils, et n’aimer autre chose que lui. Mais je suis surtout marri de n’avoir rien fait pour l’amour de votre Fils, mon Créateur : partant, je vous prie, ô très clémente Dame, d’avoir compassion de moi, car je n’ai mon refuge qu’en vous. Par telles pensées et paroles, cette âme vint à moi à la fin de ses jours ; et ne la devais-je pas exaucer ? Car qui est celui-là qui, priant un autre de tout son coeur et avec résolution de s’amender, ne mérite d’être exaucé ? Combien plus dois-je ouïr ceux qui crient à moi, qui suis Mère de miséricorde !

P313

  Le diable répondit : Je n’ai rien su d’une telle volonté ; mais si cela est comme vous dites, prouvez-le par des raisons évidentes.

  La Mère répondit : Tu es indigne que je te parle. Néanmoins, parce que cela peut servir au prochain, je te répondrai : O misérable, tu as dit ci-dessus qu’en ton livre rien ne peut être effacé que par la divine charité.

Et lors la Sainte Vierge, s’étant tournée à lui, dit au Juge : O mon Fils, que le diable ouvre donc maintenant son livre, qu’il le lise, et qu’il voie si toutes choses sont là entièrement écrites, ou s’il y a quelque chose d’effacé.

  Lors le Juge dit au diable : Où est ton livre ?

  Et le diable dit : En mon ventre et ma mémoire, dit le diable, car comme dans le ventre sont toutes immondices et toute puanteur, de même en ma mémoire sont toute malice et toute méchanceté, qui sont puantes devant moi comme une corruption ; car quand je me suis retiré de vous et de votre lumière par la superbe, lors j’ai trouvé en moi toute sorte de malice, et ma mémoire a été obscurcie ès biens divins, et en cette mienne mémoire est écrite toute l’iniquité des pécheurs.

  Lors le Juge dit au diable : Je te commande de voir diligemment ce qui écrit dans ton livre, ce qui est effacé des péchés de cette âme, et de le dire publiquement.

  Le diable répondit : Je vois dans mon livre être écrit des choses que je n’ai jamais pensées, car je vois que ces sept choses sont effacées, et il ne demeure rien de plus en mon livre que moquerie.

  Après, le Juge dit au bon ange qui était là présent :Où sont les bonnes oeuvres de cette âme ?

  P314

  Elles sont en votre présence, dit le bon ange. Tout vous est connu. Nous voyons toutes choses en vous, de sorte qu’il ne nous est pas nécessaire d’en parler. Mais d’autant que vous voulez montrer votre charité, c’est pourquoi vous marquez votre volonté à ceux qu’il vous plaît, pourquoi, depuis que cette âme fut jointe à son corps, j’ai été toujours avec elle. J’ai écrit aussi un livre de ses biens : si vous voulez ouïr ce livre, il est en votre puissance.

  Le Juge répondit : Je ne puis juger sans les avoir ouï d’avance ; et ayant connu les biens et les maux, lesquels étant bien considérés, la justice demande alors qu’il soit jugé ou à la mort ou à la vie.

  L’ange répondit :

Mon livre est son obéissance par laquelle il vous a obéi, et en icelle, il y a sept colonnes :

La première est le baptême.

La deuxième est l’abstinence, au jeûne, des oeuvres illicites, péchés, et aussi des voluptés et des tentations de la chair.

La troisième est l’oraison et le bon propos qu’il a eu.

La quatrième est les bonnes oeuvres en aumônes et autres oeuvres de miséricorde.

La cinquième est l’espérance qu’il avait en vous.

La sixième est la foi qu’il a eue comme chrétien.

La septième est la divine charité.

  Ces choses étant dites, le Juge lui dit encore : Où est votre livre ?

  En votre vision et amour, ô mon Seigneur ! dit l’ange.

  Alors la Sainte Vierge, détrônant le diable : Comment, dit-elle, avez-vous gardé votre livre ? Comment s’est effacé ce qui y était écrit ?

  Lors le diable dit : Malheur ! Malheur ! Vous m’avez déçu !

  P315

  Après, le Juge dit à sa très bénigne Mère : Vous avez avec raison, obtenu en ce fait absolution et avez avec justice gagné cette âme.

  Le diable cria après : J’ai perdu ! Je suis vaincu ! Mais dites-moi, ô Juge, combien de temps tiendrai-je cette âme pour les moqueries et cajoleries qu’elle a faites.

  Le Juge lui dit : Je te le montrerai. Les livres sont ouverts et lus. Mais dis-moi, ô diable ! bien que je sache toutes choses, si cette âme doit entrer au ciel selon la justice, ou non. Je te permets de voir et savoir maintenant la vérité de la justice.

  Le diable dit : La justice est en toi. Que si quelqu’un décède sans péché mortel, qu’il n’entre point en enfer, et quiconque a la divine charité de justice, doit avoir le ciel. Cette âme donc, n’étant point morte en péché mortel et ayant eu la divine charité, est prête à entrer dans le ciel, après qu’elle aura été purifiée.

  Le Juge répondit : Puisque donc je te permets de dire la vérité de ma justice, dis, ceux-ci l’oyant, qu’est-ce qui me plaît et quelle doit être la justice de cette âme.

  Le diable répondit : Qu’elle soit purifiée en telle sorte qu’il n’y reste aucune tâche, car bien qu’elle soit à vous, pourtant elle ne peut arriver à vous avant qu’elle ne soit purifiée. Et d’autant que vous, ô Juge, m’avez demandé, je vous demande maintenant, comment elle doit être purifiée et combien de temps elle sera en mes mains.

  P316

  Le Juge répondit : Je te demande que tu n’entres point en elle et que tu ne l’absorbe pas en toi, mais tu la dois purifier jusqu’à ce qu’elle soit pure, et qu’elle ait enduré la peine selon la grandeur de la faute, car elle a péché en trois manières : trois en la vue, trois en l’ouïe, trois en l’attouchement, et partant, elle doit être punie triplement en la vue :

1. Elle doit voir ses péchés et ses abominations ;

2. elle te doit voir en ta malice ;

3. elle doit voir les peines terribles des autres âmes ; et que semblablement elle soit affligée en l’ouïe en trois manières :

1. Elle doit ouïr les malheurs horribles, d’autant qu’elle a voulu ouïr les louanges propres et les délectations du monde ;

2. elle doit ouïr les cris épouvantables et les moqueries des démons,

3. les opprobres et les misères effroyables, d’autant qu’elle a écouté avec plaisir plus les amours, les frayeurs du monde que celles de Dieu.

  Elle est aussi affligée en trois manières en l’attouchement :

1. elle sera brûlée d’un feu très ardent, tant au-dedans qu’au dehors, de sorte qu’il n’y aura pas la moindre tâche qui ne soit purifiée dans le feu ;

2. elle pâtira une grande rigueur de froid, d’autant qu’elle brûlait en ses cupidités et était glacée en ma charité ;

3. elle sera aux mains du diable, afin qu’il n’y ait pas la moindre pensée qui ne soit purifiée, jusqu’à ce qu’elle soit comme l’or passé par la coupelle à la volonté du possesseur.

  Lors le diable demanda derechef combien de temps cette âme serait en cette peine.

  P317

  Le Juge répondit : Tout autant de temps que sa volonté était de vivre au monde ; et d’autant qu’elle aurait voulu vivre en son corps jusques à la fin du monde, elle est obligée d’endurer cette peine jusques à la fin du monde, car telle est ma justice que quiconque a ma charité et me désire ardemment, souhaitant d’être avec moi et d’être séparé du monde, celui-là mérite d’avoir le ciel sans peine, d’autant que l’exercice de cette vie présente est sa purification. Or, celui qui craint la mort pour la peine de la mort et pour la peine qui suit la mort, et voudrait à raison de cela vivre plus longtemps afin de s’amender, celui-là aurait une peine plus légère dans le purgatoire ; mais celui qui a volonté de vivre jusques au jour du jugement, bien qu’il ne péchât mortellement, mais seulement pour l’amour qu’il a à cette vie, celui-là doit souffrir les peines du purgatoire jusques au jour du jugement.

  Lors la Sainte Vierge Marie, pleine de miséricorde, dit : Béni soyez-vous, ô mon Fils, pour votre justice, qui est en toute miséricorde ! Car bien que nous voyions et sachions toutes choses en vous, néanmoins, pour l’instruction des autres, dites-nous quel remède on peut appliquer pour diminuer un si long temps de peine, et quel pour éteindre un feu si ardent, et comment aussi cette âme peut être affranchie des mains des diables.

  Le Fils répondit : Rien ne peut vous être refusé, car vous êtes la Mère de miséricorde, et vous cherchez et procurez la consolation à tous. Il y a trois choses qui diminuent un si long temps de peine, qui éteignent ce feu et délivrent des mains des démons : la première, si on rend par quelque peine ce qu’il a pris injustement ou devait rendre aux autres justement, car ma justice veut que cette âme soit purifiée, ou par les prières des saints, ou par aumônes, bonnes oeuvres des amis, ou par quelque purification digne pour cela. La deuxième est par des aumônes très grandes, car par elles, le péché est éteint comme le feu par l’eau. La troisième est par les messes et sacrifices, et par les prières des amis. Ce sont ces trois choses qui la délivreront de ces trois peines.

  P318

  La Mère de miséricorde répondit derechef : Qu’est-ce que lui profitent maintenant les bonnes oeuvres qu’il a faites pour vous ?

  Le Fils répondit : Vous ne le demandez pas parce que vous l’ignorez, puisque vous savez toutes choses et les voyez en moi, mais vous le demandez afin que mon amour soit manifesté aux autres. Certainement, il n’y aura pas la moindre parole ni la moindre pensée pour mon honneur, qu’elles n’aient leur récompense, car toutes les choses qu’il a faites pour l’amour de moi, sont maintenant devant lui, et en sa peine, elles lui servent de soulagement, et moindres sont les rigueurs du feu qu’elles ne seraient.

Après, la Sainte Vierge dit à son Fils : Pourquoi est-ce que cette âme demeure immobile, ne bougeant ni remuant contre ses ennemis, bien qu’elle soit vivante ?

  Le Juge répondit : Le prophète a écrit de moi que je fus comme un agneau muet devant le tondeur : véritablement, je garde silence devant mes ennemis, et ma justice veut que, comme cette âme se soucia peu de ma mort, elle soit maintenant comme un enfant qui ne sait crier contre ses ennemis.

  P319

  La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô mon doux Fils, qui ne faites rien sans justice ! Vous avez déjà dit que vos amis pourraient secourir cette âme, et vous savez que cette âme m’a servie en trois manières :

1- par abstinence, jeûnant les vigiles de mes fêtes, et, le faisant pour mon nom ;

2- elle disait mes heures ;

3- elle chantait de sa propre bouche pour mon honneur. O mon Fils ! puisque vous exaucez ceux qui vous prient en la terre, daignez exaucez aussi ma prière.

  Le Fils répondit : Plus quelqu’un est ami de quelque seigneur, plus ses prières sont exaucées et le plus tôt ; et d’autant que vous m’êtes la plus chère par-dessus tous, demandez ce que vous voudrez, et il vous sera donné.

  La Mère répondit : Cette âme souffre trois sortes de peines en la vue, trois en l’ouïe et trois en l’attouchement : je vous supplie donc, ô mon Fils très cher,

1- de lui vouloir diminuer une peine de la vue, savoir, qu’elle ne voie point les diables horribles, mais qu’elle souffre les deux autres peines, puisque votre justice l’exige de la sorte, et à laquelle je ne puis aller contre, selon la justice de votre miséricorde.

2- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’ouïe, savoir, qu’elle n’entende l’opprobre et la confusion.

3- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’attouchement, savoir, qu’elle ne ressente pas un froid si rigide qu’elle mérite de ressentir, d’autant qu’elle était froide en votre charité.

  Le Fils répondit : Bénie soyez-vous, ma Mère très chère ! Rien ne peut vous être refusé. Que votre volonté soit faite.

  La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô, mon très cher Fils, pour l’amour et la miséricorde que vous portez aux âmes !

  P320

  Puis, on vit soudain un des saints avec une grande milice, qui disait : Louange vous soit,

Seigneur Dieu, Créateur et Juge de tous ! Cette âme dévote m’a servi en sa vie ; elle a jeûné pour mon honneur ; elle m’a loué, moi et tous les amis qui vous environnent. Partant, de leur part et de la mienne, je vous en supplie, Seigneur, faites-lui miséricorde pour l’amour de nos prières. Donnez-lui le repos en une des peines, savoir, que les démons n’aient point puissance d’obscurcir sa conscience, car leur malice obscurcit tellement son âme, s’ils n’en sont empêchés, qu’elle n’attendrait point la fin de sa misère ni l’acquisition de la gloire, si ce n’est que vous jetiez les yeux de votre grâce sur lui, et cela lui sera le plus grand supplice des supplices. Donnez-lui, ô Seigneur plein de miséricorde, en considération de nos prières, la grâce de savoir certainement que sa peine finira, et qu’il possédera un jour la gloire éternelle.

  Le Juge répondit : Ma justice veut que les démons obscurcissent son âme, d’autant que, quand elle vivait, elle retirait son esprit et sa pensée de la contemplation spirituelle, les tournait aux choses corporelles, et ne se souciait d’être sans connaissance et d’agir contre moi. Mais d’autant que vous, ô mes amis ! avez ouï et reçu mes paroles et mes inspirations, et les avez accomplies par oeuvres, il n’est pas raisonnable que je refuse et rejette vos demandes, mais je ferai ce que vous demanderez.

  Or, lors tous les saints répondirent : Béni soyez-vous, ô Dieu, en votre justice, qui jugez justement, qui ne laissez rien d’impuni !

  P321

  Après, l’ange gardien dit au Juge : J’ai accompagné cette âme des que l’âme fut unie à ce corps, et le suivais comme votre providence charitable l’avait ordonné, et elle faisait quelquefois ma volonté. Partant, je vous en prie maintenant, ô mon Seigneur, ayez miséricorde d’elle.

  Lors Notre-Seigneur dit : Nous voulons délibérer sur ce sujet.

Et Lors la vision disparut.

  DÉCLARATION.

  L’homme dont il est parlé en ce chapitre fut un soldat doux et ami des pauvres. Sa femme fit de grandes aumônes pour l’amour de lui, qui mourut à Rome, comme il avait été prédit d’elle au livre III, chapitre XII.



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6035