Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6065

Chapitre 65. Notre-Seigneur donne en ce chapitre à sainte Brigitte les enseignements de la vie active et contemplative.

6065 Notre-Seigneur donne en ce chapitre à sainte Brigitte les enseignements de la vie active et contemplative.

  Le Fils de Dieu parle, disant : Il y a deux vies qui sont comparées, l’une à Marthe, l’autre à Magdelaine : celui qui les voudra imiter et suivre doit faire premièrement une pure confession de tous ses péchés, s’excitant à une vraie contrition et résolution de ne plus pécher à l’avenir.

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  La première vie que je témoigne que Marie a embrassée, conduit à la contemplation des choses célestes, car celle-là est la meilleure part de la vie éternelle. A celui donc qui désire tenir la vie de Marie, il lui suffit d’avoir seulement les nécessités corporelles, savoir, des vêtements sans ostentation, le boire et le manger avec sobriété, et non en superfluité, la chasteté sans aucune mauvaise délectation, et qu’il garde les jeûnes selon les constitutions de l’Église. Or, que celui qui jeûne prenne garde de n’être malade par l’excès de quelque jeûne, et que ce jeûne ne lui fasse diminuer l’oraison ni les prédications, ou bien qu’il n’omette quelque autre bien à raison de cela, qui puisse profiter à soi ou à son prochain ; qu’il prenne encore prudemment garde que le jeûne ne le rende lâche à la rigueur de la justice, ou paresseux aux oeuvres de piété, car la force de corps et d’esprit est requise pour punir les rebelles et pour assujettir les infidèles. Partant, tout infirme qui voudrait mieux jeûner pour l’honneur de Dieu que manger, aura égale récompense à raison de sa bonne volonté, comme celui qui jeûne, ému de charité : semblablement celui qui mange par obéissance, voulant plus jeûner que manger, aura la même récompense que celui qui jeune.

En deuxième lieu, Marie ne doit se réjouir de l’honneur du monde ni de ses prospérités, ni s’affliger des adversités, mais qu’elle se réjouisse seulement en cela que les impies deviennent dévots, que les amateurs du monde aiment Dieu, que les bons avancent au bien, et combattant pour le service de Dieu, deviennent plus dévots. Qu’elle soit encore marrie de ce que les pêcheurs tombent de pis en pis, que Dieu ne soit point aimé de sa créature et que le commandement de Dieu soit méprisé.

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En troisième lieu, Marie ne doit point être oisive, ni Marthe, mais que le sommeil étant achevé, elle se lève et remercie Dieu de bon coeur, d’autant que, par sa bonté et son amour, il a créé toutes choses, montrant, par sa passion et par sa mort, l’amour qu’il portait à l’homme, amour si grand qu’il n’eut jamais d’égal.

Que Marie rende encore grâces à Dieu pour tous ceux qui ont été sauvés, pour tous ceux qui sont au purgatoire et pour ceux qui sont au monde, priant humblement Dieu qu’il ne permette qu’ils soient tentés par-dessus leurs forces. Que Marie soit aussi discrète en l’oraison et dans les louanges de Dieu, afin que tout soit réglé, car si elle a les nécessités de la vie en la solitude, elle doit faire les oraisons plus prolixes ; que si elle se dégoûte en priant et que les tentations s’accroissent, elle peut travailler de ses mains à quelque ouvrage honnête, utile pour soi ou pour les autres. Que si elle se dégoûte en l’un et en l’autre, elle pourra lors avoir quelque occupation honnête ou écouter des paroles d’édification avec toute honnêteté, sans aucune cajolerie, jusques à ce que le corps et l’âme se rendent plus habiles à l’oeuvre de Dieu.

Que si Marie n’a point ce qui est nécessaire pour sustenter son corps, si elle ne travaille, lors qu’elle fasse une plus courte oraison, à raison de l’oeuvre nécessaire, et ce labeur sera perfection et accroissement d’oraison. Que si Marie ne sait travailler ou qu’elle ne le puisse, qu’elle n’ait point honte de mendier, mais qu’elle se réjouisse de m’imiter, moi qui suis Fils de Dieu, qui me suis fait pauvre pour enrichie l’homme. Que si Marie est sujette à l’obéissance, qu’elle vive selon l’obéissance de son prélat, et sa couronne lui sera redoublée plus que si elle était en liberté.

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En quatrième lieu, Marie ne doit point être avare, ni aussi Marthe, ni aussi elle ne doit être trop prodigue, car comme Marthe donne le temporel pour l’amour de Dieu, de même Marie doit distribuer le spirituel, car si Marie a chèrement Dieu dans son coeur, qu’elle se donne garde de cette maxime : Il me suffit. Si je puis aider mon âme, que m’importent les oeuvres du prochain ? Ou si je suis bien, que m’importe la vie d’autrui ? O ma fille, si ceux qui pensent et disent telles choses voyaient leur ami être déshonoré et affligé, ils y courraient jusques à la mort, afin de l’affranchir de la tribulation. Marie en doit faire de même, car elle doit être marrie que Dieu soit offensé, que son frère, qui est le prochain, soit scandalisé ; ou si quelqu’un tombe en péché, que Marie, s’efforce autant qu’elle pourra de l’en arracher, avec discrétion néanmoins ; que si, pour cela, Marie est poursuivie, qu’elle cherche un autre lieu plus assuré, car moi, Dieu, j’ai dit : Quand on vous poursuivra en une cité, fuyez en une autre, car Paul en fit de même, d’autant qu’il était nécessaire pour un autre temps, c’est pourquoi, il a été mis dehors en une corbeille par la muraille.

Afin donc que Marie soit universelle et pieuse, cinq choses lui sont nécessaires :

1. la maison en laquelle dorment les hôtes ;

2. les vêtements pour vêtir les nus ;

3. la viande pour les malades, c’est-à-dire, paroles de consolation avec la charité divine.

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La maison du Marie est son coeur, les mauvais hôtes duquel sont tout ce qui trouble ce coeur, savoir, ire, tristesse, cupidité, superbe et autres choses semblables qui entrent par les cinq sens. Tous ces vices donc doivent être ou gisants ou dormants, comme ceux qui sont en un profond repos, car comme l’hospitalier reçoit les bons et les mauvais hôtes avec patience, de même Marie doit tout supporter avec paix pour l’amour de Dieu, et ne consentir en la moindre chose aux vices ni se plaire en eux, mais bien les repousser de son coeur autant qu’elle pourra avec la grâce de Dieu. Que si elle ne les peut chasser, qu’elle les souffre patiemment contre sa volonté, comme des hôtes, sachant pour certains qu’ils lui profitent à de plus grandes couronnes, et non à damnation.

Marie a des vêtements pour couvrir les hôtes, savoir, l’humilité intérieure et extérieure, et la compassion de l’esprit en l’affliction du prochain. Que si Marie est méprisée des hommes, elle revienne soudain en son esprit, pensant comme moi, Dieu, était content, et étant méprisé, je souffrais patiemment, et comme étant juge, je me tus, comment je ne murmurais point quand j’étais fouetté et couronné d’épines.

Que Marie considère aussi qu’elle ne montre point signe d’ire et d’impatience à ceux qui la reprennent aigrement, mais qu’elle bénisse ceux qui la poursuivent, afin que ceux qui la voient bénissent Dieu.

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  Que Marie imite, et Dieu lui donnera bénédiction pour la malédiction. Que Marie se donne encore garde qu’elle ne médise ou impropère ceux qui lui sont fâcheux, car c’est une chose damnable de médire et d’écouter les médisants et d’injurier le prochain par impatience.

  Partant, que Marie donne de bons exemples d’humilité et de patience parfaite ; qu’elle tâche d'avertir ceux qui médisent d’autrui, et leur marque le danger dans lequel ils se précipitent, et qu’avec charité, elle les porte à la vraie humilité, employant à cela sa parole et son bon exemple. D’ailleurs, le vêtement de Marie doit être la compassion, car si elle voit que son prochain pèche, elle en doit avoir compassion, priant Dieu qu’il lui pardonne ; que si elle voit qu’il souffre les injures, dommages, mépris, qu’elle en ait douleur avec lui ; qu’elle l’aide par ses prières, secours, et de soin, même parmi les puissants du siècle, car la vraie compassion ne cherche point ses intérêts, mais bien ceux de son prochain. Que si Marie est telle que les princes ne l’écoutent point et qu’elle ne profite de rien de leur parler, qu’elle prie lors Dieu pour les affligés, et Dieu, qui est celui qui regarde le coeur, convertira le coeur des hommes pour la paix de l’affligé, pour l’amour de celle qui le prie, ou bien il l’affranchira de la tribulation, ou Dieu lui donnera la patience pour la supporter, et afin que sa couronne soit redoublée. Telle doit donc être la robe d’humilité au coeur de Marie, car il n’y a rien qui attire tant Dieu dans le coeur que l’humilité et la compassion du prochain.

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3. Que Marie ait du pain et du vin pour les hôtes, car dans le coeur de Marie sont logés de grands hôtes, savoir : quand le coeur est ravi au dehors et appète des choses délectables, avoir les choses terrestres, posséder les temporelles ; quand l’oreille désire ouïr ses propres louanges ; quand la chair désire ses appétits charnels ; quand l’esprit s’excuse sur sa fragilité et diminue ses fautes ; quand le dégoût des choses bonnes la saisit ; l’oubli du futur ; quand elle a grande estime de ses bonnes oeuvres ; quand elle croit que ses maux soient petits, ou qu’elle les oublie. Contre tels hôtes, elle a besoin de conseil et de ne point dormir en dissimulant. Que Marie donc, animée par la foi, se lève fortement, et qu’elle réponde en cette sorte à ces hôtes : Moi, je ne veux rien posséder du temporel, mais je me contente de ma petite nourriture ; je n’en veux point ; je veux employer jusques au moindre moment du temps à l’honneur de Dieu ; je ne veux point occuper mon esprit à ce qui est beau ou laid, utile ou inutile à la chair, ce qui est à goût ou à dégoût, si ce n’est autant que cela plaît à Dieu et touche à l’utilité de l’âme. Certes, je ne me saurais plaire à vivre un seul moment que pour l’honneur de Dieu : une telle volonté est la viande des hôtes, et une telle réponse éteint les délectations déréglées.

4. Que Marie ait du feu pour chauffer les hôtes et pour les éclairer. Ce feu est l’amour du Saint-Esprit, car il est impossible que quelqu’un puisse entièrement renoncer à ses propres volontés, ou aux affections charnelles de ses parents, ou à l’amour des richesses, sans l’inspiration et le mouvement du Saint-Esprit ; ni même Marie, bien qu’elle soit parfaite, ne peut commencer ni continuer la vie bienheureuse sans la dilection et l’inspiration du Saint-Esprit.

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  Afin donc que Marie reluise aux hôtes qui arriveront, qu’elle pense à ceci : Dieu m’a créée afin que je l’honorasse sur toutes choses, et qu’en l’honorant, je l’aimasse avec crainte. Il est aussi né de la Vierge, afin de m’enseigner la voie du ciel, laquelle je devais suivre, en l’imitant avec humilité. Par sa mort, il a ouvert le ciel, afin que je soupirasse là en y allant. Que Marie examine encore toutes ses oeuvres, pensées et affections, savoir, comment elle a offensé Dieu, combien patiemment Dieu supporte les hommes, et en combien de manières Dieu appelle l’homme à soi.

Telles ou semblables pensées sont les hôtes de Marie, qui sont quasi en ténèbres, s’ils ne sont illuminés par les feux du Saint-Esprit. Ces feux viennent lors au coeur, quand Marie considère qu’il est raisonnable de servir Dieu, quand elle voudrait plutôt souffrir toute autre peine que provoquer à dessein Dieu à la colère, par la bonté duquel l’âme est créée et rachetée de son précieux sang. Lors aussi le coeur reçoit la lumière de ce bon feu, quand l’âme considère et discerne pour quelle intention l’hôte vient, c’est-à-dire, une chacune des pensées, quand elle examine si sa pensée tend à la joie éternelle ou à la joie passagère, si elle n’admet aucune pensée sans l’avoir reconnue, et nulle sans punition.

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  Afin donc qu’on obtienne ce feu, et que, l’ayant obtenu, il soit conservé, il est besoin que Marie y porte du bois sec pour le nourrir, c’est-à-dire, elle doit prendre garde aux mouvements de la chair, afin que la chair ne se rende insolente et qu’elle apporte toute sorte de diligence, afin que les oeuvres de piété et les oraisons dévotes s’augmentent, esquelles le Saint-Esprit se plaît et se délecte. Mais il faut prendre garde et considérer que là où le feu est allumé en un vase bouché sans issue, soudain il s’éteint et le vase se refroidit : de même en est-il quand il est expédient à Marie, si elle ne veut vivre pour autre chose, si ce n’est pour l’honneur de Dieu, d’ouvrir la bouche, et que la flamme de l’amour en sorte. Or, on ouvre lors la bouche, quand, en parlant, poussé par l’amour divin, on engendre des enfants d’amour à Dieu. Mais que Marie prenne diligemment garde que là elle ouvre la bouche de sa prédication, où les bons deviennent fervents et où les mauvais se rendent bons, où la justice peut être augmentée et où les coutumes dépravées peuvent être abolies, car Paul, mon apôtre, voulant parler quelquefois, mon Esprit le lui défendit, qui le fit parler et se taire à propos, qui lit fit user de paroles douces et rudes, qui proféra toutes ses paroles pour la gloire de Dieu et pour l’affermissement de la foi.

Que Marie, si elle ne peut prêcher, en ayant néanmoins la volonté et la science, fasse comme le renard, qui, voyant plusieurs montagnes, fait sa tanière là où il trouve le plus de repos : de même que Marie prenne garde à ses paroles, à ses exemples et aux oraisons du coeur de plusieurs, et quand elle trouve des coeurs disposés à recevoir la parole divine, qu’elle demeure là, persuadant et conseillant tout ce qu’elle pourra.

Que Marie travaille aussi afin qu’une issue convenable soit donnée à sa flamme, car plus grande est la flamme, plus plusieurs en sont illuminés et enflammés. Or, lors l’issue est convenable, quand Marie ne craint point le blâme ni ne cherche sa propre louange, quand elle ne craint point l’adversité ni ne s’attache point à la prospérité ; et lors elle est plus acceptable à Dieu, quand Marie fait plutôt les bonnes oeuvres en public qu’en particulier, de sorte que ceux qui les voient glorifient Dieu.

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  Nous devons savoir qu’il faut que Marie envoie deux flammes, une en public, l’autre en cachette, c’est-à-dire, elle doit avoir deux sortes d’humilité : l’une intérieure, dans le coeur, l’autre extérieure.

La première consiste à ce que Marie s’estime indigne et inutile à tout bien, et qu’elle ne se préfère à pas un, ni ne veuille être louée ; qu’elle ne désire être vue et qu’elle fuie l’arrogance, désirant et aimant Dieu sur toutes choses et imitant toutes choses. Or, si Marie jette telles flammes, signes de bonnes oeuvres, lors son coeur sera illuminé, et elle surmontera toutes les adversités et les supportera facilement.

En deuxième lieu, que sa flamme soit en public, car si elle a la vraie humilité dans le coeur, elle doit paraître dans le vêtement, être ouïe en la bouche et être accomplie en l’oeuvre. Or, c’est lorsque la vraie humilité est dans les habits que Marie choisit la robe de moindre valeur, de laquelle elle reçoit plus d’utilité et de service que d’une autre qui a plus d’éclat, de superbe et d’ostentation, car la robe qui est de peu de valeur est appelée vile et abjecte devant les hommes, et belle devant Dieu, d’autant qu’elle aide à l’humilité ; mais la robe qui est de grand prix est appelée belle devant les hommes et vile devant Dieu, d’autant qu’elle ôte la beauté des anges, qui est l’humilité. Que si Marie est obligée d’avoir une meilleure robe pour quelque chose raisonnable contre sa volonté, qu’elle ne se trouble pas pour cela, car de là ses récompenses s’augmentent. D’ailleurs, Marie doit avoir l’humilité en la bouche, savoir, parlant humblement et de choses humbles, évitant les cajoleries, se gardant de trop parler, ne subtilisant ses paroles, ne les préférant aux autres

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Que si Marie oyait se louer pour quelque bonne oeuvre, qu’elle ne s’élève point, mais qu’elle dise : Louange soit à Dieu, qui a donné toutes choses ! Car que suis-je autre chose que poudre devant la face du vent ? Ou bien : Quel bien peut-on attendre de moi, qui suis une terre sèche et sans eau ? Que si elle est blâmée, qu’elle ne s’afflige point, mais qu’elle dise : Je suis digne de cela, car j’ai tant de fois péché contre Dieu et n’en ai point fait pénitence, que je mérite de plus grandes afflictions ; partant, priez pour moi, afin que, tolérant les opprobres temporels, j’évite les éternels.

Que si Marie est provoquée à colère par la méchanceté du prochain, elle se garde de dire des paroles d’indiscrétion, car la colère est souvent accompagnée de la superbe : partant, le conseil veut que, la colère la pressant, elle contienne sa langue jusques à ce qu’elle puisse demander à Dieu la grâce de pâtir, et de délibérer avec paix sur ce qu’elle doit répondre et comment, afin qu’elle puisse se surmonter elle-même, car lors la colère est adoucie dans son coeur, et lors l’homme répond sagement aux fous.

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  Sachez aussi que le diable envie grandement Marie : que s’il ne la peut empêcher par l’infraction des commandements de Dieu, lors il l’excite à la colère, ou à s’épandre et dilater en vaine joie, ou aux paroles dissolues et provoquant le rire : partant, que Marie demande toujours à Dieu le secours ; que toutes ses paroles et ses oeuvres soient gouvernées par lui et dirigées vers lui. D’ailleurs, que Marie ait l’humilité en ses oeuvres, afin qu’elle ne fasse rien pour la louange mondaine, qu’elle n’entreprenne rien de nouveau, que l’humilité ne lui soit point honteuse, qu’elle fuie la singularité, qu’elle défère à tous, qu’elle se répute indigne de tous. D’ailleurs, que Marie élise plutôt d’être avec les pauvres qu’avec les riches, d’obéir plutôt que de commander, de se taire que de parler, d’être plutôt solitaire que d’être avec les grands, et de converser avec ses parents. Que Marie ait aussi en haine se propre volonté ; qu’elle médite toujours sa mort ; qu’elle ne soit point curieuse murmurante ni oublieuse de la justice de Dieu et de ses affections. Que Marie se confesse souvent aussi ; qu’elle prenne garde à ses tentations, ne désirant vivre pour autre chose que pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

Marie donc, étant telle que nous avons dit, pourra être élue en Marthe ; et étant obéissante par l’esprit d’amour, qu’elle entreprenne le gouvernement des âmes de plusieurs, car elle aura une double couronne, comme je vous le montrerai par une similitude.

Il y avait un seigneur qui était grandement puissant, qui avait un navire chargé de marchandises précieuses. Il dit à ses domestiques : Allez à un tel port ; là je dois gagner beaucoup et recevoir quasi un fruit inestimable. Si les vents s’élèvent, travaillez généreusement, et ne perdez point courage ; gardez-vous de la lâcheté, car votre récompense sera grande.

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  Or, les serviteurs cinglant en la mer, les vents les assaillirent, les orages s’élevèrent, les flots s’enflèrent, et le navire fut brisé en plusieurs lieux. Lors le pilote eut grande peur, et tous désespéraient de leur vie. Ils résolurent d’aborder à un autre port, où les vagues les portaient, et non à celui où le maître leur avait recommandé d’aller ; ce qu’oyant, un des plus fidèles serviteurs, étant marri de cette résolution, prit courageusement le gouvernail, et de ses forces pourra le navire au port que son maître désirait. On doit donc donner à ce domestique une plus grande récompense.

De même en est-il d’un bon prélat qui, pour l’amour de Dieu et pour le salut des âmes, a reçu le gouvernement des âmes, ne se souciant de l’honneur. Or, celui-là aura une double récompense : la première, d’autant qu’il sera participant de tous les biens de ceux qu’il a conduits au port de salut ; la deuxième, parce que sa gloire augmentera sans fin. Le contraire sera de ceux qui briguent les charges, honneurs et dignités : ils seront participants de toutes les peines et de tous les péchés de ceux dont ils ont entrepris le gouvernement. En deuxième lieu, leur confusion sera sans fin, car les prélats qui ambitionnent les honneurs, sont plus semblables aux prostituées qu’aux prélats, d’autant qu’ils déçoivent les âmes par leurs mauvais exemples et par leurs paroles, et sont indignes du nom de Marie ou de Marthe, s’ils n’en font pénitence.

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5. Marie doit donner des médecines à ses hôtes, c’est-à-dire, les réjouir par de bonnes paroles, car en tout ce qui lui peut arriver de triste ou de joyeux, elle doit dire : Je veux tout ce que Dieu veut que je veuille, et je suis prête à obéir à ses volontés, quand même j’irais en enfer. Une telle volonté est la médecine du coeur, et cette volonté est la délectation ès tribulations et le tempérament ès prospérités. Mais d’autant que Marie a plusieurs ennemis, c’est pourquoi elle se doit confesser souvent, car tandis qu’elle demeure sciemment en péché, ayant temps de se confesse, le néglige ou ne le considère, lors elle doit être plutôt appelée apostate devant Dieu que Marie. D’ailleurs, sachez, quant aux actions de Marthe, que, bien que la part de Marie soit la meilleure, la part de Marthe n’est pas mauvaise, mais louable et agréable à Dieu ; c’est pourquoi je vous dirai maintenant comment elle doit être formée.

Elle doit avoir, aussi bien que Marie, cinq sortes de biens :

1. une foi droite en l’Église de Dieu ; savoir,

2. les commandements de Dieu et les conseils de la vérité évangélique, et elle doit les accomplir par amour et par oeuvre ;

3. elle doit retenir sa langue de toute mauvaise parole, et doit contenir l’esprit des cupidités insatiables et des plaisirs déréglés, se savoir contenter de ce qu’on lui donne, sans vouloir le superflu;

4. accomplir avec raison et humilité les oeuvres de miséricorde, afin que, s’appuyant en ses oeuvres, elle n’offense Dieu ;

5. aimer Dieu sur toutes choses et plus que soi-même.

C’est de la sorte que Marthe se comporta, car elle se donna à moi fort joyeusement, suivant mes paroles et mes oeuvres ; et puis, elle donna tous ses biens pour l’amour de moi, et elle se dégoûta des choses temporelles et recherchait les célestes ; c’est pourquoi elle souffrait toutes choses patiemment, et avait autant de soin des autres que de soi-même ; elle considérait incessamment l’amour que je lui avais porté et les douleurs que j’avais souffertes, et se réjouissait en ses prières, et comme une mère, elle aimait tout le monde. Marthe me suivait aussi tous les jours, ne désirant qu’ouïr la parole de vie ; elle compatissait avec les affligés ; elle consolait les infirmes ; elle ne disait mal de personne, mais elle semblait ne voir les méchancetés du prochain ; n’y pouvant remédier, elle priait Dieu pour leur conversion. Celui donc qui désire avoir la charité en la vie active, doit suivre Marthe, aimant le prochain pour obtenir le ciel, mais non pas en entretenant ses vices, fuyant la louange propre, toute superbe, duplicité, ire, envie.

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  Mais remarquez que Marthe, priant pour le Lazare, son frère mort, vint la première à moi ; mais soudain son frère ne ressuscita pas. Mais Marie vint après, étant appelée, et lors, pour l’amour de toutes les deux, le Lazare ressuscita. De même en est-il dans la vie spirituelle, car celle qui désire être parfaitement à Marie, doit être premièrement Marthe, travaillant corporellement pour l’amour de moi, et elle doit plutôt savoir résister aux désirs charnels et aller au-devant des tentations du diable, que monter franchement au degré de Marie, car celle qui est éprouvée et tentée et qui n’a pas vaincu les mouvements charnels, comment pourra-t-elle s’unir continuellement ès choses célestes ? car souvent une bonne oeuvre se fait avec un intention indiscrète et d’un esprit indéterminé ; et partant, en son progrès, elle est avec lâcheté et froideur ; mais afin que la bonne oeuvre me soit agréable, elle ressuscité et revit par Marthe, c’est-à-dire, quand le prochain est sincèrement aimé et désiré sur toutes choses ; et lors toute bonne oeuvre est agréable à Dieu ; c’est pourquoi je dis en mon Evangile que Marie avait choisi la meilleure part, car la part de Marthe est lors bonne, quand elle est dolente des péchés du prochain, et lors la part de Marthe est meilleure, quand elle travaille, afin que les hommes vivent sagement et honnêtement, et lorsqu’elle fait cela pour la seule dilection et amour divin ; mais la part de Marie est meilleure, quand elle contemple le ciel et le gain des âmes.

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  Lors Notre-Seigneur entre en la maison de Marthe et de Marie, quand le coeur est rempli de bonnes affections et qu’il est en repos du tumulte du monde ; quand il considère toujours Dieu présent, et non seulement contemple l’amour divin, mais travaille nuit et jour pour posséder Dieu.


Chapitre 66. En ce chapitre, Jésus-Christ montre à sainte Brigitte les devoirs d’une épouse, ses ornements, etc ; puis il y est parle d’une âme condamnée en purgatoire, etc.

6066 En ce chapitre, Jésus-Christ montre à sainte Brigitte les devoirs d’une épouse, ses ornements, etc ; puis il y est parle d’une âme condamnée en purgatoire, etc.

  Le Fils de Dieu parle, disant : Un seigneur épousa une fille à laquelle il édifia une maison, lui donnant des serviteurs et des filles de chambre, et tout ce qui était nécessaire pour la nourriture, et lui après s’en alla fort loin. Or, revenant, il ouït que sa femme était une infâme, que ses serviteurs étaient rebelles, que ses filles étaient impudiques. Courroucé de cela, il mit sa femme en jugement, les serviteurs à la torture et les servantes au fouet.

Je suis ce seigneur-là, qui, ayant, par ma toute-puissante main, fait éclore du néant l’âme de l’homme, l’ai prise en épouse, désirant prendre avec elle les plaisirs indicibles. Or, je l’ai épousée en foi, dilection et en persévérance de vertus. J’ai bâti une maison à cette âme, quand je lui ai donné le corps mortel, dans lequel elle devait être éprouvée et exercée de vertus.

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  Cette maison a quatre propriétés : la noblesse, la mortalité, mutabilité et corruptibilité. Ce corps est noble, d’autant que c’est l’oeuvre de Dieu, et il participe à tous les éléments, et ressuscitera au dernier jour pour vivre éternellement ; mais l’âme surpasse sa noblesse, d’autant qu’il est terrestre et que l’âme est spirituelle. Mais d’autant qu’il a quelque espèce de noblesse, il doit être orné de vertus, afin qu’au jour du jugement, il puisse être glorifié. Le corps est mortel, d’autant qu’il est de terre, c’est pourquoi il doit s’opposer fortement aux plaisirs au milieu desquels, s’il succombe, il perd Dieu. Le corps est encore changeant, et partant, il doit être constant par la raison, car s’il suit ses mouvements, il n’est point différent des bêtes brutes ; il est corruptible : partant, qu’il se tienne en pureté, car le diable le pousse à l’immondicité, afin d’éloigner de lui la garde des anges.

Que celui donc qui habite en cette maison de ce corps, qui est l’âme, dans lequel elle est enfermée comme dans une maison, vivifie ce corps, car sans l’union de l’âme, il est puant, horrible et affreux à regarder.

  L’âme a aussi cinq serviteurs qui la servent pour le soulagement de la maison :

Le premier c’est la vue, qui doit être comme une bonté échauguette qui discerne les amis et les ennemis. Or, lors les ennemis viennent, quand les yeux désirent de voir des faces belles, ce qui est délectable à la chair et ce qui est nuisible et déshonnête. Or, lors les amis viennent, quand l’âme se plaît à voir et à contempler ma passion, les oeuvres de mes amis et ce qui touche à l’honneur de Dieu.

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  Le deuxième serviteur est l’ouïe, qui est comme un bon portier qui ouvre la porte aux amis et la ferme aux ennemis ; or, il ouvre lors aux amis, quand il prend plaisir à ouïr la parole divine, et la ferme ; quand il n’écoute point les médisantes et les paroles excitant au rire.

Le troisième serviteur est le goût au manger et au boire, et celui-là est comme un bon médecin qui range et ordonne la réfection pour la nécessité, non à la superfluité et volupté, car on doit prendre les aliments comme des médicaments. Partant, on doit considérer deux choses au goût, savoir, qu’on n’en prenne plus grande ni plus petite quantité qu’il ne faut, car la quantité nous cause l’infirmité, l’abstinence téméraire nous engendre le dégoût au service de Dieu.

Le quatrième serviteur est l’attouchement qui doit être comme un bon laboureur gagnant sa vie de ses propres mains pour sustenter le corps, travaillant avec discrétion pour les délices de la chair, travaillant avec amour pour obtenir la béatitude éternelle.

Le cinquième serviteur est l’odorat de ce qui est délectable ; celui-ci se peut mortifier en plusieurs choses pour la gloire éternelle : partant, que ce serviteur soit comme un bon dispensateur ; qu’il veille à ce qui est expédiant à son âme, à ce qu’elle mérite, si le corps pourra subsister avec cela ou cela ; que si l’âme considère que le corps peut subsister sans ces parfums, qu’elle s’en prive pour l’amour de Dieu, et ainsi elle méritera une grande récompense devant Dieu, car la mortification est grandement agréable à Dieu, quand l’âme s’abstient même de ce qui lui est licite.

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  Or, puisque l’âme a tels serviteurs, elle doit avoir aussi cinq servantes bien ornées, qui la gardent et la défendent des dangers et plaisirs :

Que la première soit la crainte affectueuse, afin que l’époux ne soit en rien offensé ou que l’épouse ne soit trouvée négligente.

Que la deuxième soit la dévote, afin qu’elle ne cherche que l’honneur de l’époux et l’utilité de sa maîtresse.

Que la troisième soit la modestie et la constance, afin que l’épouse ne s’écoule en joie ni qu’elle succombe en adversités.

Que la cinquième soit la pudeur et la chasteté, afin qu’on ne trouve en elle quelque chose d’indécent ou de dissolu en la parole ou en l’action.

Que si donc l’âme a une telle maison que dessus, des servitudes si vertueux, des servantes si honnêtes, il serait déshonnête si l’âme, qui est la maîtresse, était déshonnête et n’était belle.

  Partant, je vous veux montrer l’ornement de l’âme et son éclat : elle doit être raisonnable à discerner ce qu’elle doit au corps et à Dieu, car elle participe avec la raison et en la dilection : partant,

1. qu’elle traite la chair comme un âne, lui donnant avec modération les nécessités de la vie, l’exerçant par le travail, la corrigeant par la crainte et par l’abstinence, prenant garde à ses mouvements, afin qu’elle ne condescende aux infirmités de la chair, en telle sorte que Dieu en soit offensé. 2. Que l’âme soit céleste, puisqu’elle a l’image de Dieu : c’est pourquoi elle ne doit jamais chercher ses plaisirs ni ses goûts en la chair, de peur qu’elle ne se conforme à l’image du diable. 3. Qu’elle soit fervente en l’amour divin, d’autant qu’elle est soeur des anges, immortelle et éternelle. 4. Qu’elle soit belle et enrichie en toute sorte de vertus, car elle verra la beauté éternelle du Dieu vivant.

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  Que si elle consent au corps, elle sera éternellement difforme. L’âme a aussi besoin des viandes, qui sont la mémoire des bienfaits de Dieu, la considération de ses terribles jugements, et la délectation en l’amour et commandements divins ; et partant, que l’âme prenne diligemment garde qu’elle ne soit jamais gouvernée par la chair, car lors tout sera déréglé : oui, lors les yeux veulent voir les objets plaisants, les oreilles ouïr les cajoleries ; le goût cherche les choses douces, et le corps veut travailler pour l’honneur du monde. Lors aussi la raison est séduite ; l’impatience domine ; la dévotion diminue, la lâcheté s’y glisse ; les fautes sont rendues légères, et on ne considère point les choses éternelles. Lors aussi la viande spirituelle est rendue vile et tout le service de Dieu est onéreux, car comment pourrait être agréable la continuelle mémoire de Dieu, là où règne la délectation de la chair ? Ou comment pourrait se conformer l’âme à la divine volonté, là où sont seulement les plaisirs de la chair ? Ou comment le vrai peut-il être discerné du faux, là où tout ce qui est de Dieu est chargé ? De telle maison on peut dire qu’elle est péagère et tributaire de Satan.

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  Telle est l’âme du défunt que vous voyez, car le diable la possède par neuf sortes de droits :

1. d’autant que volontairement elle a consenti au péché.

2. D’autant qu’elle a méprisé la qualité et la dignité de son baptême.

3. D’autant qu’elle ne se soucia point de la confirmation que l’évêque lui avait donnée.

4. D’autant qu’elle n’a point considéré le temps qui lui était donné pour faire pénitence.

5. D’autant qu’elle ne m’a point craint en ses oeuvres, ni mes jugements, mais à dessein elle s’est retirée de moi.

6. D’autant qu’elle a méprisé ma patience, comme si je n’étais ou comme si je ne voulais point juger.

7. D’autant qu’elle se souciait moins de mes conseils et de mes préceptes que des hommes.

8. D’autant qu’elle ne rendait point grâces à Dieu de coeur des bienfaits dont Dieu l’avait enrichie, d’autant que son coeur était tout au monde.

9. D’autant que ma passion était comme morte dans son coeur.

C’est pourquoi elle souffre aussi neuf sortes de peines :

1. tout ce qu’elle pâtit, elle ne le pâtit pas par amour, mais avec une mauvaise volonté.

2. D’autant qu’elle laisse le Créateur et suit les créatures, toutes les créatures l’auront en abomination.

3. La douleur d’avoir perdu tout ce qu’elle aimait, et tout cela est contre elle.

4. Une ardeur et soif, d’autant qu’elle désirait plus les choses périssables que les choses éternelles.

5. Une terreur et puissance des démons, parce qu’elle n’a pas eu, quand elle devait, la crainte de Dieu.

6. La privation de la vision divine, d’autant qu’en son temps, elle n’a point considéré la passion de Dieu.

7. Un désespoir de pardon, d’autant qu’elle ne sait pas si elle sera sauvée ou non.

8. Un remords de conscience, d’autant qu’elle a perdu le bien et a fait le mal. Page 403

9. Le froid et les larmes, d’autant qu’elle ne désirait point l’amour de Dieu.

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Mais d’autant que cette âme a eu deux sortes de biens, l’un est que cette âme a eu une grande foi à ma passion, et résista autant qu’elle put à ceux qui en médisaient ; l’autre qu’elle aimait ma Mère et mes saints, et les honorait par des jeûnes : partant, pour l’amour des prières des saints qui prient pour elle, je vous dirai comment elle pourra être sauvée :

1. par ma passion, car elle a eu la foi de l’Église ;

2. par le sacrifice de mon corps, qui est l’antidote des âmes ;

3. par les oraisons des saints qui sont au ciel ;

4. par les bonnes oeuvres qui se font continuellement en l’Église ;

5. par les prières de ceux qui vivent au monde ;

6. par les aumônes faites des biens bien acquis ;

7. par le travail des justes qui sont en pèlerinage en ce monde pour le salut des âmes ;

8. par les indulgences concédées par les souverains pontifes ;

9. par les pénitences des vivants.

Voilà, ma fille, que saint Ericus, que cette âme a servi autrefois, vous a mérité cette révélation. Viendra le temps où le zèle des âmes s’excitera dans les coeurs de plusieurs et où la malice se refroidira.
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Révélations de Sainte Brigitte de Suède 6065