Révélations de Sainte Brigitte de Suède 7013

Chapitre 13 De l'âme du fils de sainte Brigitte. Des jugement et accusation

7013   De l'âme du fils de sainte Brigitte. Des jugement et accusation, etc.

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  La Sainte Vierge Marie parla à sainte Brigitte disant : Je veux vous dire comment j’ai fait avec l’âme de Charles, votre fils, quand elle était séparée de son corps. Certainement, j’ai fait avec lui comme fait la personne qui assiste une femme en ses couches, et qui veille à ce qu’aucun accident n’arrive au nouveau-né, prenant aussi garde que les ennemis ne puissent tuer l’enfant : j’en ai, dis-je, fait de même, car de fait, j’ai été auprès de votre Fils Charles un peu avant qu’il rendît l’esprit, afin de lui ôter de la mémoire l’amour charnel, afin que, par le mouvement de cet amour, il ne fît quelque chose contre moi par pensée ou par oeuvre, ou qu’il ne voulût omettre quelque chose qui plût à Dieu, et qu’il ne voulût faire quelque chose contre la divine volonté au dommage de son âme. Je l'ai trouvé aussi en ce moment où il ne souffrait pas seulement une dure peine de la mort, mais de la peur qu’il avait de son inconstance et de ne se souvenir pas de Dieu, ou de désespérer. Je l’ai gardé en telle sorte, gardé son âme de ses ennemis mortels, c’est-à-dire, des démons, que pas un ne le pouvait toucher; mais soudain que son âme fut sortie du corps, je la reçus en ma garde et protection, d’où vient que les troupes des démons s’enfuirent bientôt, bien que leur malice tendît à la dévorer et à la tourmenter éternellement.

Mais comment le jugement dudit Charles a-t-il été fait? Je vous le dirai quand bon me semblera.

Après l’intervalle de quelques jours, la Sainte Vierge apparut à sainte Brigitte qui veillait en l’oraison, et lui dit : La divine bonté veut que vous voyiez maintenant le jugement de l’âme de votre fils, quand elle sortit du corps, qui fut rendue en un moment devant l’incompréhensible majesté divine. Cela vous sera montré par intervalles, par similitudes corporelles, afin que vous le puissiez mieux comprendre.

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  Donc, en la même heure, sainte Brigitte se vit porter en un grand et beau palais, où elle se voyait, et où elle voyait Notre-Seigneur Jésus-Christ assis en son siège de Juge, comme un empereur qui a sa couronne en sa tête, accompagné d’une infinité d’anges et de saints; et auprès de lui, elle voyait sa très digne Mère attentive au jugement.

Elle voyait encore devant le juge une âme nue comme un enfant qui vient de naître, craintive, effrayée et quasi aveugle, de sorte qu’elle ne voyait rien de ce qui était en sa conscience, mais comprenait bien ce qu’on faisait dans le palais. Un ange était à la droite du Juge auprès de l’âme, et un diable à gauche, mais ni l’un ni l’autre ne touchaient point l'âme. Lors enfin le diable cria, disant : Oyez, ô Juge tout-puissant, je me plains devant vous qu’une femme, qui est ma Dame et votre Mère, que vous aimez tant que vous l’avez rendue puissante sur le ciel, sur la terre et sur les diables de l’enfer, m’a fait certainement injustice touchant cette âme qui est ici assistante, car je devais, selon le droit et la justice, la prendre dès qu’elle fut séparée de son corps, et la présenter au jugement; et voici que cette femme, votre Mère, s’en est saisie, dès qu’elle a trépassé, et l'a présentée en jugement en sa puissante tutelle.

Et lors Marie, Mère de Dieu et Vierge, répondit en ces termes : O diable, oyez ma réponse. Quand vous fûtes créé, vous compreniez bien cette justice qui était en Dieu de toute éternité, aussi au-delà du temps et sans principe; vous eûtes aussi le libre arbitre de faire ce qui vous plairait le plus, et bien que vous ayez plutôt choisi de haïr Dieu que de l'aimer, vous entendez néanmoins ce qu’il devait faire selon la justice.

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Je vous dit donc qu’il appartenait plus,selon la justice, de présenter cette âme devant le Juge qu’à vous, car quand cette âme était dans le corps, elle eut un grand amour envers moi, pensant souvent en son esprit que Dieu m’avait daigné faire sa Mère, et qu’il m’avait sublimement exaltée et avantagée sur toutes les créatures; et de là elle commença d’aimer Dieu avec tant de ferveur qu’elle disait dans son coeur : Je me réjouis tellement que Dieu ait voulu exalter la Sainte Vierge, sa Mère, sur toutes les créatures, que je ne changerais pas cette joie avec toutes les joies du monde; voire je la préfère à tous les plaisirs du monde; voire elle eût plutôt voulu pâtir le supplice de l'enfer que vouloir que la Sainte Vierge diminuât en un seul point sa grandeur et sa dignité. Partant, que bénédictions soient rendues pour cette grâce-là, et pour la gloire dont il a comblé sa très chère Mère! oui, que grâces en soient rendues éternellement!

Partant, voyez, ô diable, voyez maintenant avec quelle volonté celui-ci est mort. Que vous en semble donc? N’était-il pas plus juste que son âme vînt en la défense de mes mains avant le jugement de Dieu, ou dans les vôtres, pour être tourmentée cruellement?

Le diable répondit : Le droit ne voulait pas que cette âme tombât en mes mains, puisqu’elle vous a plus aimée que soi-même, avant que le jugement fût fait. Mais bien que la justice le voulant ainsi, vous lui ayez fait cette grâce avant le jugement, néanmoins, après le jugement, ses oeuvres la condamneront à être punie par mes mains.

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  Maintenant, ô Reine, je vous demande pourquoi vous avez chassé tous les démons de la présence de son corps, quand l’âme sortait, de sorte que pas un de nous ne lui a pu donner quelque horreur ou lui causer quelque effroi.

La Vierge Marie répondit : J’ai fait cela à raison du grand amour qu’il me portait et pour la grande joie qu’il a eue que je fusse Mère de Dieu : c’est pourquoi je lui ai impétré de mon Fils la grâce que nul esprit malin ne s’approcherait de lui, en quelque lui qu’il fût ni où il est maintenant.

Après cela, le diable parla au Juge, disant : Je sais que vous êtes la justice et la patience même; vous ne jugez pas moins l’injustice au diable qu’à l’ange : jugez-moi donc cette âme, car en cette sagesse que j’ai eue quand vous m’avez créé, j’avais écrit tous ses péchés; je les avais aussi gardés en la malice que j’avais quand je descendis du ciel, car lorsque cette âme fut parvenue en cet état de discrétion qu’elle pouvait entendre que ce qu’elle faisait était péché, lors la propre volonté l’attirait plus pour vivre en la superbe du monde et dans les voluptés charnelles qu’à y résister.

L’ange répondit : Quand, premièrement, sa mère entendait que sa volonté se portait au péché, soudain elle y remédiait par des oeuvres de miséricorde et par prières continuelles, afin que Dieu en eût pitié et qu’il ne s’éloignât point de son devoir, à raison de quoi il obtint la crainte de Dieu. Partant, tout autant de fois qu’il tomba dans les péchés, il s’allait confesser dès l’instant.

Le diable répondit là-dessus : Il faut que je raconte ses péchés. Et dès qu’il voulut commencer, il s’écria, et se plaignait, et cherchait en son chef et membres qu’il semblait avoir, et il semblait tout tremblant et troublé, et il dit : Malheur à moi, misérable! J’ai perdu ma longue peine, car mon écriture est, non seulement effacée, mais encore abolie; voire tous mes codes sont brûlés, dans lesquels j’avais écrit ses péchés; je ne me souviens pas plus du temps où il a péché que de ses péchés.

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  L’ange dit alors : Les larmes de sa mère, ses oraisons ont fait cela, de sorte que Notre-Seigneur, compatissant à ses larmes, a donné à son Fils telle grâce qu’il eût la contrition de chaque péché qu’il avait commis, faisant une humble confession, poussé à cela par les feux du divin amour, c’est pourquoi ses péchés sont effacés et abolis de ta mémoire.

Le diable répondit, assurant qu’il en avait un sac plein d’écritures, par lesquelles il montrerait que ce soldat avait voulu corriger et amender sa vie, mais qu’il n’en avait rien fait : c’est pourquoi, dit-il, je suis obligé de le tourmenter jusques à ce qu’il ait satisfait par la peine, puisqu’il n’avait eu soin de s’amender durant sa vie.

L’ange répondit : Ouvrez votre sac, et demandez jugement sur les péchés pour lesquels vous êtes obligé de le châtier.

Cela étant dit, le diable cria comme un fol, disant : Je suis dépouillé de ma puissance, car non seulement le sac m’est ôté, mais aussi les péchés dont il était rempli. Le sac était paresse et lâcheté, dans lequel j’avais mis toutes les causes et raisons dont il devait être puni, d'autant que sa lâcheté lui avait fait omettre de faire ce qu’il devait.

L’ange répondit : Les larmes de sa mère ont pris le sac et effacé les écritures, tant elles étaient agréables à Dieu!

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Le diable répondit : J’ai encore quelques choses à dire, savoir, ses péchés véniels.

L’ange répondit : Il eut la volonté de sortir de son pays pour aller en pèlerinage visiter les lieux saints, laissant ses biens et ses amis, visitant les lieux sacrés avec grande peine, et il a accompli cela, se préparant, dès qu’il a été digne d’obtenir de l’Église indulgence de ses péchés. Il désirait encore apaiser Dieu par l’amendement de ses péchés, d’où vient que toutes les causes que vous dites avoir été écrites sont abolies.

Le diable répondit : Je dois pourtant le punir pour tous les péchés véniels qu’il a commis, car ils ne sont point effacés par les indulgences, car il y en a mille milliers qui sont écrits en ma langue.

L’ange répondit : Étendez la langue et montrez l’écriture.

Le diable répondit avec un grand cri comme un fol : Malheur à moi! Je n’ai pas un seul mot à Dieu, car ma langue m’est coupée avec toutes ses forces.

L’ange répondit : Sa mère a fait cela par ses prières continuelles et par ses travaux assidus, car elle aimait son âme de tout son coeur : c’est pourquoi il a plu à Dieu, par la charité de sa Mère, de pardonner tous les péchés véniels qu’il avait commis dès son enfance jusques au dernier période de sa vie, c’est pourquoi votre langue défaut par la force de la sienne.

Le diable répondit : J’ai encore une chose dans mon coeur que je garde soigneusement et que personne ne pourra effacer : c’est qu’il a acquis quelques choses injustement, lesquelles il ne s’est pas souvenu de rendre.

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L’ange répondit : Sa mère satisfit à cela par prières, oraisons et oeuvres de miséricorde, de sorte que la rigueur de la justice a été flétrie par les douceurs de la miséricorde, et Dieu lui donna une parfaite volonté, sans pardonner à ses biens, de vouloir satisfaire à tous, selon qu’il avait eu quelque chose injustement. Or, Dieu a pris cette volonté pour l’effet, car il ne voulait point vivre plus longtemps. Il faut donc que ses héritiers y satisfassent comme ils pourront.

Le diable répondit : Si je n’ai puissance de le punir pour ses péchés, il faut que je le châtie pour n’avoir exercé les bonnes oeuvres et acquis les vertus, quand il eut un bon sens et un corps sain, car les vertus et les bonnes oeuvres sont les trésors qu’il devait apporter avec lui dans le ciel. Permettez-moi donc de suppléer à cela avec peines et afflictions, et en ce qu’il a manqué ès oeuvres vertueuses.

L’ange dit : Il est écrit qu’on donnera à celui qui demande, et qu’on ouvrira à celui qui heurte. Écoutez donc, ô diable! Sa mère a heurté avec persévérance, par ses prières amoureuses, à la porte de la miséricorde, pour lui, l’espace de trente ans, épanchant plusieurs larmes, afin que le Dieu de son coeur daignât verser son Saint-Esprit en son coeur, de sorte que son fils eût donné pour le service de Dieu ses biens, son corps et son âme, car l’amour de ce soldat était si ardent qu’il ne se plaisait à vivre que pour suivre la volonté divine.

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  Et voici que Dieu, étant dès longtemps prié, versa en son coeur le fruit de ses bénédictions, et la Mère de Dieu suppléa à tout ce qui lui manquait concernant les armes spirituelles, et des vêtements que les soldats du ciel doivent avoir pour entrer en la gloire du souverain Empereur. Les saints aussi, placés au royaume céleste, que ce soldat a aimés, étant au monde, lui ont donné consolation de leurs mérites et l'ont assisté par leur intercession. Il a thésaurisé un trésor comme les pèlerins qui changent tous les jours les biens périssables en biens éternels; et d'autant que lui en a fait de même, il obtiendra la joie et l’honneur éternel pour le désir qu’il a eu d’aller à Jérusalem, et de ce qu’il a désiré d’exposer sa vie en bataille pour remettre la terre sainte au domaine des chrétiens, afin que le saint sépulcre de Notre-Seigneur eût la due révérence, s'il eût été suffisant et capable pour cela, il l’eût fait. Partant, criez, ô diable! Vous n’avez rien à dire sur ce manquement : il n’a pas tenu à lui.

Le diable répondit : Il lui reste une couronne, car si je lui en pouvais faire quelqu'une imparfaite, je le ferais franchement.

L’ange repartit : Il est certain que tous ceux qui se surmonteront, se repentant de leurs péchés, se conformant aux volontés divines et aimant Dieu de tout leur coeur, obtiendront la grâce de Dieu. Il plaît encore à Dieu de leur faire une couronne de sa couronne triomphante, de son précieux corps, s’ils sont purifiés selon la rectitude de la justice : partant, ô diable, il n’est pas convenable que vous contribuiez en rien à sa couronne.

Lors le diable, oyant ces choses, s’écria et rugit impatiemment, disant : Malheur à moi, d'autant que toute ma mémoire est ôtée! Je ne me souviens plus en quoi ce soldat a suivi mes volontés! et, ce qui est plus admirable, j’oublie comment il s’appelait quand il vivait au monde.

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L’ange répondit : Sache qu’il s’appelle maintenant fils de larmes.

Le diable, criant, dit : Oh! que maudite est cette truie, sa mère, qui a un ventre si long qu’elle y a pu contenir tant de larmes! Elle est maudite de moi et de tous mes compagnons.

L’ange dit : La malédiction redonde en l’honneur de Dieu, et bénédiction à tous ses amis!

Lors Jésus-Christ, Juge, parla, disant : Retire-toi, diable ennemi. Après il dit au soldat : Venez, ô mon bien-aimé! Et soudain le diable s’enfuit.

Lors l’épouse, voyant ceci, dit : O vertu éternelle et incompréhensible, vous êtes Dieu incompréhensible, ô Jésus-Christ! Vous versez dans les coeurs toutes les bonnes pensées, l’oraison et les larmes; vous cachez vos dons et vos faveurs, donnant pour eux les prix éternels. Or, honneur, service et actions de grâces vous soient rendus de toutes les créatures, ô mon Dieu très doux! Vous m’êtes très cher et plus cher que le corps et l’âme.

L’ange parla aussi à la même épouse, lui disant : Vous devez savoir que cette vision vous est, non seulement montrée pour votre consolation, mais aussi afin que les amis de Dieu entendent combien il se plaît à nous bien faire, à raison des prières, oraisons et larmes de ses amis qui prient et font de bonnes oeuvres pour l’amour des autres avec amour et persévérance. Vous devez aussi savoir que ce soldat, votre fils, n’eût pas eu une telle grâce, si, dès son enfance, il n’eût eu la volonté d’aimer Dieu et ses amis, et de s’amender des chutes du péché.

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Chapitre 14 De l’indulgence et de la grâce qu’ont les pèlerins

7014   De l’indulgence et de la grâce qu’ont les pèlerins en visitant le saint Sépulcre.

  Le Fils parlait à l’épouse : Quand vous entrâtes dans le temple dédié par mon sang, vous étiez tellement purifiée des fautes commises, comme quasi si lors vous étiez lavée dans le baptême; et pour les peines que vous avez prises venant en ce lieu, et pour les dévotions que vous y avez rendues, quelques âmes de vos proches parents ont été délivrées du purgatoire, sont entrées dans le ciel et jouissent de ma gloire, car tous ceux qui viennent en ce lieu avec une volonté parfaite de s’amender et de mener une meilleure vie, ne voulant plus retomber en leurs premières fautes, leurs péchés leur sont pardonnés, après s’être dûment confessés, et la grâce augmente en eux.

Chapitre 15 Pour le jour de la Passion

7015   De la passion de Notre-Seigneur, que sainte Brigitte vit à Jérusalem.

Pour le jour de la Passion

  Lorsque j’étais au mont de Calvaire, dit sainte Brigitte pleurant amèrement, je vis Notre-Seigneur tout nu, flagellé, conduit par les Juifs pour être crucifié, et il était soigneusement gardé par eux. Je vis lors aussi un trou en la montagne, et les bourreaux préparés pour exercer leur cruauté sur Jésus-Christ; et se tournant vers moi, il me dit : Considérez qu’en ce trou de la pierre, le pied de ma croix fut fiché.

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  Et soudain je vis en quelle manière les Juifs avaient fiché la croix et l’avaient affermie avec de grands coins de bois, afin qu’elle ne branlât point; et puis, on mit des degrés et des tables, afin que les bourreaux, étant montés là, pussent me crucifier avec dérision et moqueries. Et moi, je suis monté très franchement, lui dit Notre-Seigneur, comme un agneau sans tache, doux et mansuet, conduit à la boucherie. Et étant monté là, j’étendis mes bras, non par contrainte, mais franchement; et ayant ouvert ma main droite, je la posai sur la croix, laquelle les bourreaux cruels et barbares crucifièrent soudain, la perçant avec un gros clou, à la partie où les os étaient plus solides; et tirant et étendant la main gauche, ils la crucifièrent de même. Après, ayant tiré le corps outre mesure et ayant joint les pieds, ils les crucifièrent avec deux clous, et ils étendirent avec tant de véhémence le corps et les membres que quasi les nerfs, les veines et les muscles se rompaient. Ce qu’ayant fait, ils remirent sur ma tête la couronne d’épines, laquelle ils m’avaient ôtée pour me crucifier, les épines poignantes de laquelle percèrent si bas que mes yeux furent soudain remplis de sang, ainsi que tout mon visage, mes oreilles et ma barbe; et soudain après, les bourreaux retirèrent les câbles attachés à la croix, et la croix demeura seule, et Jésus crucifié en icelle.

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  Et lors étant remplie de douleur, je regardais la cruauté des Juifs. Je vis aussi la Mère de Dieu plongée dans les douleurs, abîmée en ses pleurs, et consolée par saint Jean, et par les autres soeurs, qui étaient lors non guère loin de la croix, à droite. La douleur de la Mère transperça tellement mon coeur qu’il me semblait qu’un glaive outre perçait mon coeur d’une amertume incomparable; et enfin, la Mère, se levant comme anéantie de douleur, regarda son Fils, soutenue des deux soeurs, étant toute ravie dans les excès des douleurs, vivante et animée de la douleur du glaive. Le Fils, la regardant avec les autres, ses amis tous éplorés, la recommanda à saint Jean d’une voix pleurante. Je connaissais bien à son geste et à sa voix que son coeur était outre-percé de douleur comme d’un glaive, de voir la douleur de sa Mère. Lors ses yeux très aimables et beaux apparaissaient à demi morts; sa bouche était sanglante et ouverte, son visage pâle, sa face avalée, anéantie et toute sanglante; tout son corps était livide, meurtri, et languissant à raison du sang qui coulait toujours. Sa peau et la chair vierge de son corps étaient si tendres et si délicates que le moindre coup qu’on lui donnait paraissait au dehors. Il s’efforçait quelquefois de s’étendre sur la croix, à cause de l’excès de la douleur qu’il ressentait, d'autant que la douleur de tous ses membres montait sur le coeur et le vexait cruellement d’un martyre trop amer, et de la sorte, sa mort était prolongée avec un tourment très cruel et une douleur qui n’a point d’égale; et lors, étant dans les angoisses de la douleur et proche de la mort, il cria à son Père d’une haute et pleurante voix, disant : O Père, pourquoi m’avez-vous délaissé? Il avait alors les lèvres pâles et la langue sanglante, le ventre enfoncé adhérent au dos, comme si au-dedans il n’y eût pas eu d’entrailles. Il cria encore pour la seconde fois avec une grande douleur : O Père, je remets mon esprit en vos mains; et élevant un peu la tête, soudain il l’abaissa, et ainsi, il rendit l’esprit. Ce que sa Mère voyant, elle trembla toute par l’excès de la douleur qu’elle souffrait; peu s’en manqua qu’elle ne tombât à terre, si les soeurs ne l’eussent soutenue.

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  Lors ses mains se retirèrent du lieu où elles étaient attachées à raison du grand poids du corps, et de la sorte, son corps se soutenait sur les clous des pieds. Or, ses doigts et ses mains étaient plus tendus qu’auparavant; ses épaules étaient comme collées à la croix. Lors enfin les Juifs qui étaient là commencèrent à crier contre la Mère, se moquant d’elle. Les uns disaient : Marie, ton Fils est mort maintenant. D’autres lui disaient des paroles de moquerie, et un de la troupe vint avec une grande furie et donna un coup de lance au côté droit avec une telle violence que quasi la lance passa de l’autre côté. Lorsqu’on arrachait la lance du corps, il sortit un grand ruisseau de sang qui teignit toute la lance. La Mère de Dieu, voyant cela, trembla avec un grand gémissement, de sorte qu’on lisait sur sa face que son coeur était outre-percé d’un glaive de douleur.

Or, ces choses étant accomplies, les troupes se retirant, quelques-uns des amis déposèrent le corps de Notre-Seigneur de la croix, que sa Mère reçut entre ses bras, lequel ils mirent sur mon giron. Je nettoyai toutes ses plaies et son sang; je fermai ses yeux, les baisant, et l’enveloppai en un drap pur et net; et de la sorte, ils le conduisirent au sépulcre avec un grand pleur et une grande douleur.

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Chapitre 16 Notre-Seigneur se plaint à sainte Brigitte de ce que les princes de la terre ni les prélats n’ont point en mémoire sa passion.

7016   Notre-Seigneur se plaint à sainte Brigitte de ce que les princes de la terre ni les prélats n’ont point en mémoire sa passion.

  Notre-Seigneur parla après cela à sainte Brigitte, lui disant : Ce que vous avez vu ci-dessus et ce que j’ai souffert par-dessus, les princes de la terre ne le considèrent point, ni ne méditent point sur les lieux où je suis né et où j’ai souffert. Certes, ils sont semblables à un homme ayant un lieu désigné pour mettre les bêtes farouches, dans lequel, envoyant ses chiens à la chasse, il se plaît à voir la course des chiens et des bêtes farouches : de même sont les princes de la terre et les prélats de l'Église, et quasi tous les états du monde regardent avec plus d’avidité les plaisirs terrestres que ma mort, ma passion et mes plaies. Partant, je leur enverrai encore par vous mes paroles, que s’ils ne changent leur coeur et ne le convertissent à moi, ils seront condamnés avec ceux qui ont divisé mes vêtements et ont mis le sort sur iceux.

  ADDITION.

  Le Fils de Dieu dit à sainte Brigitte : Cette cité (1) est Gomorrhe, ardente en luxure, superfluité et ambition : c’est pourquoi son édifice tombera; elle sera désolée, diminuée, et ses habitants s’en iront et gémiront sous le faix de la douleur et de la tribulation; ils défaudront, et leur confusion s’épandra bien loin, car je suis justement en colère contre eux.

(1) Famugusta.
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Quant au duc qui est coupable de la mort de son frère, Jésus-Christ dit : Il dilate sa superbe; il se glorifie de son incontinence; il ne considère pas le mal qu’il fait à son prochain; s’il ne s’humilie, je lui ferai selon la maxime commune : Il ne pleure pas peu qui pleure après la mort, comme celui qui pleure avant icelle; il n’aura pas une plus douce mort que son Frère; voire il en aura une plus dure, s'il ne se corrige bientôt.

Notre-Seigneur parle du confesseur de ce duc : Ce Frère-là ne vous a-t-il pas dit que ce duc est bon et qu’il ne peut mieux vivre, excusant son incontinence scandaleuse. Tels ne sont pas confesseurs, mais décepteurs, qui semblent des brebis simples, mais de fait, ne sont que des renards et des dissimulés : tels sont ces amis qui proposent et conseillent aux hommes les grandeurs et les abaissements pour la considération d’un peu de temporel. Partant, si ce Frère eût demeuré dans le couvent, il n’eût pas tant péché, ne se fût pas préparé un supplice si cruel, et eût acquis une plus grande couronne. Or, maintenant, il n’échappera pas à la main de celui qui le reprendra et l’affligera.

Quelques-uns conseillèrent à sainte Brigitte de changer de vêtements et de noircir sa face à cause des Sarrasins. Notre-Seigneur lui dit là-dessus : Ne changez point de vêtements; ne noircissez point votre face. Je suis puissant et sais tout; je ne crains rien et puis vous défendre. Je suis la sagesse, la toute-puissance même, moi qui prévois tout et puis tout : partant, tenez la manière accoutumée en vos vêtements, et soumettez votre face et vos volontés à moi, car moi qui ai gardé Sara de la main de captivité, je vous garderai en mer, en terre, et comme il est expédient, ma providence pourvoira à vos nécessités.

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  La Mère de Dieu parle de l’évêque Alphonse : Cet évêque, mon ami, vous doit aimer comme mère, comme maîtresse, comme fille, comme soeur : comme mère, à raison de votre âge et pour la maturité de vos conseils, qu’il doit toujours chercher; comme maîtresse, pour la grâce que Dieu vous a donnée, qui montre par vous les secrets de la sapience infinie; comme fille, d’autant que, vous enseignant et vous consolant, il pourvoit à ce qui vous est le plus utile; comme soeur, vous avertissant quand il en sera besoin; les avertissant et incitant par parole et par exemple à ce qui est le plus parfait.

D’ailleurs, la Sainte Vierge dit au même évêque : Vous devez être comme celui qui porte de belles et bonnes fleurs, qui sont mes paroles, qui sont aux sages plus douces que le miel, plus perçantes et plus aiguës que les flèches, plus puissantes et plus efficaces pour obtenir la récompense. Celui qui porte ces fleurs se doit donner garde des vents, des pluies, du chaud : des vents de la vaine et mondaine éloquence; de la pluie d’une vaine délectation; du chaud d’une faveur mondaine, car celui qui se glorifie de ces choses fait qu’on méprise ces fleurs, et lui-même se montre moins capable de les porter.

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  Notre-Seigneur parle ici de la reine de Cypre : O Brigitte, conseillez trois choses à la reine de Cypre: 1° qu’elle ne retourne point en son pays (cela n’est pas expédient), mais qu’elle s’arrête au lieu où elle est, pour servir Dieu de tout son coeur;

  2° qu’elle ne se marie point, prenant un second mari, car il est plus agréable à Dieu qu’elle pleure les péchés qu’elle a commis, et supplée par la pénitence le temps mal employé qu’à penser à de secondes noces;

  3° qu’elle induise ceux de son royaume à la concorde et charité, et qu’elle s’efforce que les bonnes moeurs et la justice y soient louablement exercées, et que la communauté ne soit chargée de nouvelles charges;

  4° qu’elle oublie les maux qu’on a commis contre son mari, et cela pour l’amour de Dieu, et qu’elle ne s’en venge point, car je suis Juge et je jugerai pour cela;

  5° qu’elle nourrisse son Fils avec l’amour divin, lui donnant des conseillers justes, non cupides, familiers, pudiques, bien composés et sages, desquels il puisse apprendre à craindre Dieu, à gouverner justement, à compatir aux misérables, à fuir le flatteur comme le venin, à chercher le conseil des justes mêmes, des pauvres, humbles et méprisés;

  6° qu’elle s’habille modestement et renonce au fard et autres artifices de la vanité, car toutes ces choses sont odieuses à Dieu;

  7° qu’elle ait un confesseur qui, ayant quitté le monde, aime plus les âmes que les présents, qui ne dissimule point les péchés, et n’ait point honte ni crainte de les reprendre, et qu’elle lui obéisse, en ce qui concerne le salut de son âme, comme à Dieu;

  8° qu’elle considère la vie des saintes reines et des autres femmes, et qu’elle s’informe comment l’honneur de Dieu s’accroîtra;

  9° qu’elle soit raisonnable en ses dons, payant ses dettes et les louanges des hommes, car il est bien plus agréable à Dieu de donner peu ou rien que de ne payer ses dettes et d’incommoder le prochain.

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Le Fils de Dieu parle du couronnement d’un nouveau roi : C’est un grand et pesant fardeau d’être roi; c’est un grand honneur et grandement fructueux. Il est donc convenable que le roi soit mûr, expert, prudent, juste, laborieux et plus amateur du bien de son prochain que de sa propre volonté, c’est pourquoi anciennement les royaumes étaient bien gouvernés, d'autant qu’ils élisaient un roi qui voulût, sût et pût gouverner justement ses sujets.

  Maintenant, les royaumes ne sont point des royaumes, mais puérilités, radoteries et larcins; car comme le larron cherche les manières, le temps comment il pourra mettre des embûches et comment il pourra prendre sans être remarqué, de même les rois maintenant cherchent des inventions comment leur tige sera élevée, comment ils pourront remplir leur bourse, comment ils pourront accortement charger les sujets qui rendent franchement la justice pour en tirer du lucre temporel, mais ils n’aiment pas la justice, afin d’obtenir la récompense éternelle; c’est pourquoi le sage dit sagement : Malheur au royaume dont le roi est un enfant qui, vivant délicatement et ayant des flatteurs délicats, ne se met en peine du bien commun ni de son avancement! Mais d’autant que son enfant ne portera point l’iniquité du père, partant, s’il veut profiter et remplir la dignité du nom de roi de Cypre, qu’il obéisse aux paroles que j’ai dites et qu’il n’imite point les moeurs de ses prédécesseurs. Qu’il dépose les légèretés d’enfant et qu’il marche par la voie royale, ayant de tels assistants qu’ils craignent Dieu et n’aiment pas plus les présents que son honneur et le salut de leur âme. Qu’il haïsse les flatteurs, et qu’il ait avec lui ceux qui ne craignent pas de dire la vérité; autrement, ni l’enfant ne se réjouira en son peuple, ni le peuple en celui qu’il a choisi.

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Chapitre 17 Du choix du logis que sainte Brigitte fit en l’hôpital.

7017   Du choix du logis que sainte Brigitte fit en l’hôpital.

  La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : En ce lieu de la montagne de Sion, il y a deux sortes de personnes : les unes aiment Dieu de tout leur coeur, les autres veulent avoir Dieu, mais le monde leur est plus agréable que Dieu; et partant, afin que les bons ne soient scandalisés et qu’occasion n’en soit donnée aux lâches et exemple à la postérité, il vaut bien mieux que vous logiez au lieu désigné pour les pèlerins que de loger ailleurs. Mon Fils pourvoira à tout ce qui vous sera nécessaire.


Chapitre 18 Des avertissements pour le roi de Cypre.

7018   Des avertissements pour le roi de Cypre.

  L’épouse sainte Brigitte écrit au roi de Cypre et au prince d’Antioche, et lui donne des conseils :

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Qu’un chacun fasse avec son confesseur une confession générale de tout ce qu’il a commis contre la volonté divine, et qu’après il reçoive le corps précieux de Notre-Seigneur avec crainte et amour.

Que vous soyez unis tous deux ensemble au vrai amour, de sorte que vous ne soyez qu’un coeur en Dieu pour son honneur, pour sa gloire et pour l'utilité de vos sujets.

Que tous deux (1) soyez unis en amour avec vos sujets, pardonnant, pour l’amour de la passion de Jésus-Christ et de sa mort, à tous ceux qui, de conseil, d’effet ou faveur, ont été cause ou occasion de la mort de Pierre, roi et votre père, les recevant tous en votre charité et amour de tout votre coeur, afin que Dieu vous daigne recevoir en sa miséricorde, et afin qu’il vous veuille aussi affermir en votre gouvernement pour son honneur et gloire.

Que, puisque la divine Providence vous a établis gouverneurs de ce royaume, vous y apportiez toute la diligence que vous pourrez, à prendre conseil, et à conseiller efficacement avec une âme fervente de charité, tous les prélats, tant séculiers que réguliers, que tous leurs sujets se corrigent en toutes les choses esquelles ils se sont écartés du saint état des Pères, leurs prédécesseurs, spirituellement ou temporellement, afin de vivre selon le premier état de leurs prédécesseurs. Qu’ils réforment donc au plus tôt leur état en tout et par tout, afin qu’eux et leurs sujets, étant vraiment amendés, obtiennent l’amitié de Dieu, et soient rendus dignes de prier Dieu qu’il daigne, par sa miséricorde, renouveler l’état de la sainte Église universelle en la sainteté des vertus.

Que, pour cette grande charité que Dieu a eue pour vos âmes, vous aimiez aussi celles de vos sujets, conseillant à votre peuple militaire que, s’il a offensé en quelque chose, il en fasse soudain pénitence et se corrige, et que tous ceux qui sont sous l’obéissance de l’Église romaine, qui sont parvenus aux ans de discrétion, se confessent humblement, se réconcilient avec le prochain qu’ils ont offensé, et s’accordent, et que s’étant amendés, ils reçoivent le corps de Jésus-Christ; après, qu’ils mènent une vie catholique, vivent avec fidélité dans le mariage, ou en veuvage, ou bien en l’état louable de virginité, observant tout ce que la saint Église commande, y poussant tous les familiers domestiques, sujets, et tous ceux qu’ils pourront, à en faire de même, tant par leurs paroles que par leurs bons exemples, et par les oeuvres de charité, les induisant à en faire et les affermissant en leurs saintes entreprises; et sachez pour certain que tous ceux qui ont voulu obéir au corps, souffriront le dommage en leur âme.

(1) Éléonor, reine de Cypre, et son fils, aussi roi de Cypre.

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6° Que vous disiez à tous les prélats qu’ils avertissent efficacement et souvent leurs prêtres, savoir, les recteurs des églises; que chacun regarde si, en la paroisse, il y a quelqu'un qui persiste en quelques péchés publics, en l’offense de Dieu et au mépris de la sainte Église; et ceux qu’il trouvera vivre impudemment en ces péchés publics, qu’il les avertisse efficacement du danger de leur âme, et leur enseigne les manières et les remèdes spirituels par lesquels ils puissent s’en retirer et humblement s’amender. Or, s’ils ne veulent obéir, mais désirent vivre en leurs péchés publics, que les recteurs des paroisses ne manquent pas de les dénoncer aux supérieurs et aux évêques, afin que l’opiniâtreté de ces gens-là soit punie par les évêques, sans avoir égard à leur puissance temporelle, et Dieu vous commande de prêter main forte aux évêques pour cet effet, afin que, par votre secours et faveur, les susdits pécheurs soient corrigés et amendés, et qu’ils obtiennent la miséricorde de Dieu.


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Révélations de Sainte Brigitte de Suède 7013