Révélations de Sainte Brigitte de Suède 7019

Chapitre 19 Sainte Brigitte eut une révélation à Jérusalem touchant le royaume de Cypre

7019   Sainte Brigitte eut une révélation à Jérusalem touchant le royaume de Cypre, laquelle elle publia devant le roi et son conseil.

  Il arriva à une personne qui veillait et priait, que, étant suspendue en extase et étant ravie, elle voyait en esprit un palais d’une incompréhensible grandeur et d’une beauté inouïe. Elle voyait aussi, assis entre les saints en un siège de majesté, Jésus-Christ, qui dit ces paroles : Je suis la vraie charité. Tout ce que j’ai fait de toute éternité, je l’ai fait par amour; semblablement tout ce que je fais et ferai procédera de mon amour. Mon amour est si immense et si incompréhensible en moi maintenant qu’il l’était le jour de ma mort et passion, quand, par ma mort, comme par excès d’amour, je délivrai des limbes tous mes élus qui étaient dignes d’une telle rédemption et affranchissement. Que s’il était possible que je mourusse tout autant de fois qu’il y a d’âmes en enfer, je souffrirais pour chacune d’elles comme je souffris lors pour toutes; mon corps serait encore disposé à souffrir toutes ces choses avec une franche volonté et parfaite charité.

Or, il est maintenant impossible que mon corps puisse encore mourir ou souffrir quelque peine ou tribulation; il est de même impossible que quelque âme qui, après ma mort, a été condamnée à l’enfer, sorte jamais de là, ni qu’elle jouisse jamais de la gloire céleste dont jouissent les saints, et mes élus de la glorification de mon corps; mais elles ressentiront les supplices en la mort éternelle, d'autant qu’elles n’ont pas voulu jouir du fruit de ma mort, ni n’ont voulu suivre ma volonté pendant qu’elles ont vécu au monde. Au reste, sur les offenses qui m’ont été faites, il n’y a point autre juge que moi, c’est pourquoi la charité que j’ai montrée aux hommes se plaint quasi devant ma justice, c’est pourquoi je touche à la justice de juger là-dessus selon ma volonté

Page 59

Or, maintenant je me plains des habitants du royaume de Cypre, comme s’ils étaient un seul homme, mais je ne me plains point des hommes qui y demeurent, qui sont mes amis, qui m’aiment de tout leur coeur et suivent en tout ma volonté, mais je me plains de tous ceux qui me méprisent, qui résistent incessamment à ma volonté et me contrarient.

Je parlerai donc à eux comme à une seule personne : O peuple de Cypre, mon adversaire, écoutez et considérez diligemment ce que je vous dis. Je vous ai aimé comme un père aime son cher enfant, qu’il a voulu élever aux grands honneurs. Je vous ai donné un honneur où vous pouviez avoir tout ce qui vous était nécessaire, avec abondance pour la nourriture et entretien de votre corps. Je vous ai envoyé le feu de mon Saint-Esprit et sa lumière, afin que vous compreniez la foi chrétienne, à laquelle vous vous étiez fidèlement obligé, et vous vous étiez soumis aux lois de la sainte Église avec humilité. Je vous ai aussi placé au lieu qui était convenable à mon serviteur, savoir est, entre mes amis, afin que, par vos labeurs, terres et combats corporels, vous puissiez obtenir dans mon royaume la couronne précieuse. Je vous ai aussi porté longtemps dans mon coeur, c’est-à-dire, dans le sein de mon amour, et vous ai gardé comme la prunelle de mon oeil, lorsque vous étiez assailli par les adversités et les tribulations; et quand vous avez gardé mes préceptes et avez été obéissant aux statuts de la sainte Église, lors certainement une infinité d’âmes sont venues du royaume de Cypre dans le ciel pour jouir éternellement de la gloire éternelle avec moi.

Page 60

Mais d'autant que vous faites maintenant votre volonté et tout ce qui plaît à votre coeur, ne me craignant point, quoique je sois votre Juge, ni ne m’aimant point, quoique je sois votre Créateur, qui vous ai même racheté par une mort très dure, que vous avez crachée de votre bouche comme chose désagréable et puante; et d’autant que vous avez logé le diable en votre coeur, vous m’avez chassé de là comme un larron, et vous n’avez pas plus de honte de pécher devant moi que les animaux irraisonnables.

  Partant, ma justice veut et mon juste jugement demande que vous soyez chassé du ciel par mes amis, et que vous soyez plongé dans les abîmes de l’enfer au milieu de mes ennemis; et sachez cela sans en douter, que mon Père, qui est en moi et en qui je suis, et que le Saint-Esprit qui est en nous deux, me sont témoin qu’il n’est jamais sorti de ma bouche que la vérité : c’est pourquoi sachez véritablement que quiconque se gouvernera comme vous et ne se voudra amender, ira en enfer parla même voie qu’y allèrent Lucifer, à raison de sa superbe, Judas, qui me vendit à raison de sa cupidité, et Zambri, qui tua Phinées à cause de sa luxure. Il pécha certainement avec la femme contre mon commandement, c’est pourquoi son âme fut damnée dans l’enfer.

Page 61

Partant, ô peuple de Cypre, je vous annonce que si vous ne voulez vous corriger et vous amender, j’effacerai toute la postérité du royaume de Cypre, de sorte que je ne pardonnerai pas même aux pauvres ni aux riches; oui, je la ruinerai en telle sorte en brief qu’on n’en parlera plus, comme si vous n’aviez jamais été au monde. Or, je planterai de nouvelles plantes au royaume de Cypre, qui garderont mes commandements et m’aimeront de tout leur coeur.

  Mais néanmoins sachez pour certain que si quelqu'un de vous se veut amender et retourner à moi avec humilité, je lui irai au-devant et lui parlerai avec joie comme un pieux pasteur, le levant sur mes épaules et l'apportant à mon bercail. J’entends par mes épaules que, par le bénéfice de ma passion et de ma mort que j’ai soutenues en mon corps et en mes épaules, celui qui s’amendera sera participant de ma mort, et recevra avec moi au royaume céleste une éternelle consolation.

Page 62

  Sachez aussi pour certain que vous, qui êtes mes ennemis, qui habitez audit royaume, n’étiez pas dignes qu’un tel avertissement vous fût envoyé; mais quelques-uns qui sont en ce royaume, qui me servent fidèlement et m’aiment de tout leur coeur, m’ont fléchi par leurs larmes et prières à ce que je vous fisse entendre le danger de vos âmes, ce qui a été montré à quelques-uns de mes amis, que des âmes innombrables du royaume de Cypre descendent en enfer et sont repoussées du ciel. Or, je dis les paroles susdites à ceux qui sont sous l’obéissance de l’Église romaine, qui m’ont voué la foi catholique et romaine, et s’en sont retirés par les oeuvres contraires. Mais les Grecs qui savent que tous les chrétiens doivent avoir une même foi et être sujets à une même Église, avoir un seul mien vicaire général en tout le monde, savoir, le pontife romain, qui doit être par-dessus tous, et qui néanmoins ne veulent point se soumettre au pasteur de l’Église romaine et à mon vicaire, et subjuguer spirituellement et humblement leur superbe sous lui, soit à raison de la cupidité, soit à raison de la pétulance charnelle, soit pour quelque autre chose qui touche le monde, sont indignes d’obtenir miséricorde et pardon quand ils sont morts. Mais les autres Grecs qui voudraient savoir la foi romaine, mais ne peuvent, mais qui, s’ils la savaient, la tiendraient fidèlement et s’y soumettraient humblement, et se contiennent et gardent des péchés en la foi où ils vivent pieusement, à ceux-là, miséricorde leur est due après la mort dans les supplices, quand ils seront appelés à mon jugement. Que les Grecs sachent aussi que leur empire, royaumes et domaines, ne seront jamais assurés ni en paix, mais seront toujours sujets à leurs ennemis, desquels ils souffriront de grands dommages et de longues misères, jusques à ce qu’ils s’assujettissent à l’Église romaine avec humilité et charité, se soumettant à ses lois et à ses constitutions.

Page 63

  Or, sainte Brigitte ayant ainsi vu ces choses et les ayant ouïes en esprit, la vision disparut, et sainte Brigitte demeura en l'oraison avec crainte, et suspendue en admiration.


Chapitre 20 damnation éternelle aux religieux des Frères mineurs ayant de propre

7020   Il est ici traité d’une commination de damnation éternelle aux religieux des Frères mineurs ayant de propre.

Pour le jour de saint François.

  Actions de grâces infinies, humble service, louange et honneur soient à Dieu en sa puissance et majesté éternelle, à Dieu qui est un Dieu en trois personnes! Il a plu à la divine bonté que sa très digne humanité m’ait dit en l'oraison ce qui suit :

Oyez, vous à qui il est donné d’ouïr spirituellement; voire tenez assurément en la mémoire ces paroles : Il y avait un homme qu’on nommait François, qui, s’étant éloigné de la superbe mondaine, de la cupidité et de la délectation vicieuse de la chair, et s’étant converti à la vie spirituelle de la pénitence et perfection, obtint lors la vraie contrition de tous ses péchés et une parfaite volonté de s’amender, disant : Il n’y a rien en ce monde que je ne veuille franchement laisser pour l’honneur et la gloire de Dieu; il n’y a aussi rien de si dur en cette vie que je ne veuille de bon gré embrasser pour l'amour de Jésus, faisant tout ce que je pourrai pour son honneur, selon les forces de mon corps et de mon âme, et je pousserai tous les autres à en faire de même, et les affermirai en cela, afin qu’ils aiment Dieu sur toutes choses et de tout leur coeur.

Page 64

  La règle de saint François, que ce moine a embrassée, n’a point été dictée par l’esprit humain, ni de la prudence, mais de moi, selon mes volontés. Chaque parole qui est écrite en icelle a été inspirée par moi à ce saint, et après ce fut lui qui donna aux autres cette règle. De même toutes autres règles des religions que mes amis ont entreprises, gardées et enseignées aux autres et qu’ils ont présentées, n’ont point été composées de leur esprit et de leur sapience humaine, mais par l’inspiration du Saint-Esprit.

Les Frères de saint François, qui s’appellent mineurs, ont tenu et observé cette règle, quelques années fort spirituellement et dévotement, selon ma volonté, dont le diable, ennemi ancien, conçut une grande envie et trouble, d'autant qu’il ne pouvait vaincre ni surmonter ces Frères par tentations et déceptions. Le diable chercha donc où il pourrait trouver un homme dans lequel et avec l’esprit duquel il pût mélanger son malin esprit; enfin, ayant trouvé un prêtre qui pensait ces suivants discours : Je voudrais être en tel état où je puisse avoir l’honneur du monde et la délectation de mon corps, et que je puisse là amasser et entasser tant d’argent qu’il ne me manquât jamais rien qui touchât à mes nécessités et voluptés : je veux donc entrer en l’ordre de saint François, et feindre d’être fort humble et obéissant. Et de la sorte, le prêtre susdit entra dans ledit ordre. Soudain le diable entra dans son coeur, et de la sorte, ledit prêtre fut religieux de cet ordre. Le diable considéra néanmoins en soi que saint François voulait tirer force gens du monde avec son obéissance très humble pour avoir de grands prix dans le ciel : de même ce Frère, qui sera appelé adversaire, d'autant qu’il contrarie à la règle de saint François, tirera plusieurs du même ordre, de l’humilité à la superbe, de la pauvreté raisonnable à la cupidité, de la vraie obéissance à faire sa propre volonté et à suivre les délectations du corps. Quant ce Frère adversaire entra en l'ordre de saint François, soudain il commença à penser par l’aide de la suggestion de l’ennemi : Je me montrerai si humble et si obéissant qu’on me réputera saint. Quand les autres jeûnent et gardent le silence, je ferai lors le contraire avec mes particuliers compagnons, savoir, en cajolant, mangeant debout; néanmoins ce sera si secrètement que pas un ne le saura ni ne l’entendra.

Page 65

Je ne puis pas aussi, pensait-il, selon cette règle, tenir de l’argent, ni or, ni aucune autre chose, c’est pourquoi je veux faire un ami particulier qui me gardera secrètement l’or et l'argent, afin que je me serve de cet argent selon mes cupidités. Je veux aussi apprendre les arts libéraux et les sciences, afin d’être honoré et que je puisse avoir quelque dignité en l’ordre, et partant, pouvoir avoir des chevaux, des vases d’argent, de belles robes et des ornements précieux. Que si quelqu'un me reprend pour ceci, je lui répondrai que je fais cela pour l’honneur de mon ordre. Si je pouvais aussi tant faire que d’être évêque, je serais lors heureux et fortuné pour la vie que je voudrais lors mener, car lors j’aurais ma propre liberté et je jouirais de tous les contentements de mon corps. Écoutez donc qu’est-ce que le diable avait suggéré à ce Frère de l’ordre de saint François.

De fait, il y a plusieurs Frères dans le monde qui, ou par oeuvre ou par affection, tiennent la même règle que ce diable avait suggérée à ce frère adversaire, et certes en plus grand nombre que ceux qui gardent la règle que j’ai inspirée à saint François. Sachez néanmoins que, bien que ces Frères, et de saint François, et du Frère adversaire, soient pêle-mêle tant qu’ils vivent au monde, je les séparerai néanmoins à la fin, moi qui suis leur Juge, et je jugerai les Frères de la règle de saint François, pour demeurer éternellement avec moi ès joies ineffables et avec saint François. Mais ceux qui suivent la règle des Frères adversaires, seront jugés aux peines éternelles au profond de l’enfer, s’ils ne veulent se corriger et s’humilier avant de mourir; et ce n’est point de merveilles, car ceux qui devaient donner au monde des exemples d’humilité et de sainteté, lui donnent des exemples de mauvaise édification, de cupidité et de superbe.

Page 66

Et partant, qu’ils sachent que, tant ceux-là que tous les autres auxquels la règle défend d’avoir rien de propre, et néanmoins en ont contre la règle, voulant en cela m’apaiser, en me donnant quelque partie de leurs présents abominables, me sont en haine ni ne sont dignes d’aucune bonne récompense. Il me serait bien plus agréable qu’ils observassent la sainte pauvreté selon leur voeu, que s’ils m’offraient tout l’or et l'argent qui sont au monde.

Sachez, vous aussi (1) qui oyez mes paroles, qu’il ne vous eût été licite d’avoir cette vision, si ce n’est pour l'amour d’un mien bon serviteur qui de tout son coeur m’a prié pour ce dit Frère, qui désirait par charité aussi lui donner quelques conseils fort utiles.

Cela étant ouï, la vision disparut.

(1) sainte Brigitte

Page 67

Chapitre 21 Pour le jour de la Nativité

  Enfantement de la Sainte Vierge.

Pour le jour de la Nativité.

  Lorsque moi, Brigitte, étais à Bethléem, je vis une Vierge enceinte, affublée d’un blanc manteau et d’une subtile et fine tunique, au travers de laquelle je voyais la chair virginale, le ventre de laquelle était grandement plein, d'autant qu’elle était prête à enfanter. Il y avait avec elle un honnête vieillard, et tous deux avaient un boeuf et un âne; et étant, entrées dans une caverne, le vieillard, ayant lié le boeuf et l’âne à la crèche, porta une lampe allumée à la Sainte Vierge, et la ficha en la muraille, s’écartant un peu de la Sainte Vierge pendant qu’elle enfanterait.

Cette Vierge donc se déchaussa, quitta son manteau blanc, ôta le voile de sa tête et le mit auprès d’elle; et je vis ses cheveux beaux à merveille, comme des fleurs éparpillées sur sa tunique, sur ses épaules. Elle tira lors de son sein deux draps de fin lin et deux de laine, très blancs et très purs, pour envelopper l’enfant; et elle portait encore deux autres petits draps de lin pour le couvrir et lui lier la tête; et elle les mit auprès d’elle, afin d’en user à temps et saison.

Or, toutes choses étant ainsi prêtes, la Sainte Vierge, ayant fléchi le genou, se mit avec une grande révérence en oraison; et elle tenait le dos contre la crèche, et la face levée vers le ciel vers l’orient; et ayant levé les mains et ayant les yeux fixés au ciel, elle était en extase, suspendue en une haute et sublime contemplation, enivrée des torrents de la divine douceur; et étant de la sorte en oraison, je vis le petit enfant se mouvoir dans son ventre et naître en un moment, duquel il sortait un si grand et ineffable éclat de lumière que le soleil ne lui était en rien comparable, ni l’éclat de la lumière que le bon vieillard avait mise en la muraille, car la splendeur divine de cet enfant avait anéanti la clarté de la lampe; et la manière de l'enfantement fut si subtile et si prompte que je ne peux connaître et discerner comment et en quelle partie elle se faisait.
Page 68

Je vis incontinent ce glorieux enfant, gisant à terre, nu et pur, la chair duquel était très pure. Je vis aussi la peau secondine (1) auprès de lui enveloppée et grandement pure. J’ouïs lors les chants mélodieux des anges, et soudain le ventre de la Vierge, qui était enflammé, se remit en sa naturelle consistance, et je vis son corps d’une beauté admirable, tendre et délicat.

Or, la Vierge, sentant qu’elle avait enfanté, ayant baissé la tête et joint les mains, adora l’enfant avec grande révérence et lui dit : O mon Dieu et mon Seigneur, soyez le très bien venu! Et lors l’enfant, pleurant et comme tremblotant de froid et de la dureté du pavé où il gisait, s’émouvait un peu, et étendait ses bras, cherchant quelque soulagement et la faveur de la Mère. La mère le prit lors en ses bras, le serra sur son sein, et l’échauffa sur sa poitrine avec des joies indicibles et avec une tendre et maternelle compassion. Et lors s’asseyant à terre, elle le mit en son giron et prit de ses doigts son nombril, qui soudain fut coupé, d’où il ne sortit ni sang ni aucune autre chose; et après elle l’enveloppa de petits drapeaux de lin et de laine, et avec des langes et des liens, elle serra son petit corps avec un bandeau qui était cousu en quatre lieux à la partie du drap de linge, et après, elle lui lia la tête.

(1) Quelques théologiens soutiennent que cet enfantement fut sans cette peau, à raison de la pureté.
Page 69

Ces choses étant accomplies, le vieillard entra, et se prosternant à deux genoux, adorant l’enfant, il pleurait de joie.

La Sainte Vierge ne changea point de couleur en cet enfantement; elle ne fut point infirme, ni aussi les forces corporelles ne lui diminuèrent point comme les autres femmes ont accoutumé. Il n’y parut autre chose, sinon que les flancs se retirèrent à la première consistance en laquelle ils étaient avant qu’elle conçût. Après elle se leva, ayant son cher enfant entre les bras, et saint Joseph et elle le mirent en la crèche, et l’adorèrent à genoux avec des joies indicibles.

Chapitre 22 Même sujet que dessus

7022   Même sujet que dessus.

  La Sainte Vierge Marie m’apparut, disant : Ma fille, il y a bien longtemps que je vous avais promis en Reine qu’en Bethléem je vous montrerais la manière de mon enfantement; et bien que je vous en aie montré quelque chose à Naples, savoir, en quelle posture j’étais quand j’enfantai mon Fils, sachez néanmoins pour certain que je demeurai en telle manière que vous me voyez maintenant à genoux, priant seule dans l’étable, car je l’ai enfanté avec tant de joie que je ne ressentis aucune peine quand il sortit de mes flancs; mais je l’enveloppai soudain des linges purs que j’avais préparés depuis longtemps.

Page 70

Joseph, voyant cela, fut ravi d’admiration, et se réjouit grandement de savoir que j’avais enfanté sans aide. Mais d'autant que Bethléem était occupé à raison du dénombrement qu’Auguste faisait de son peuple, néanmoins on ne divulgua point les merveilles de Dieu; et partant, sachez que, bien qu’il y ait des hommes qui s’efforcent de dire, selon le sens humain, que mon Fils est né par la voie commune, la vérité néanmoins est sans doute qu’il est né comme je vous ai dit autrefois et comme vous l’avez vu.


Chapitre 23 Comment les pasteurs le vinrent adorer

7023   Comment les pasteurs le vinrent adorer.

  Je vis aussi en même lieu où la Sainte Vierge et Joseph adorèrent Jésus en la crèche, que lors les pasteurs et ceux qui gardaient les troupeaux vinrent pour adorer l’enfant; et l’ayant vu, ils l’adorèrent soudain avec une grande révérence et joie; après, ils s’en retournèrent, louant et glorifiant Dieu en tout ce qu’ils avaient vu et ouï. Page 70

Page 71

Chapitre 24 Comment les rois adorèrent Jésus-Christ.

7024   Comment les rois adorèrent Jésus-Christ.

  La même Mère de Dieu me dit : Ma fille, sachez que quand les trois rois mages vinrent à l’étable pour adorer mon Fils enfant, je savais bien auparavant leur arrivée; et quand ils entrèrent et adorèrent, mon Fils se réjouit, et de joie il avait lors le visage plus gai. Je me réjouissais grandement d’une joie ineffable et spirituelle, considérant leurs paroles et leurs actions, les conservant et les examinant dans mon coeur.


Chapitre 25 De l'humilité du Fils de Dieu et de la Vierge.

7025   De l'humilité du Fils de Dieu et de la Vierge.

  La Mère de Dieu parle, disant : La même humilité est maintenant en mon Fils en la puissance de sa Divinité, qu’il eut lorsqu’il était en la crèche, gisant entre deux animaux; et bien qu’il sût toutes choses selon la Divinité, il parlait néanmoins selon l’humanité : de même, étant maintenant assis à la droite du Père, il entend tous ceux qui parlent de lui avec amour, et leur répond par les inspirations des influences du Saint-Esprit, à quelques-uns par des paroles et pensées, à d’autres comme bouche à bouche, comme il lui plaît : de même moi, qui suis Mère de Dieu, je suis aussi humble maintenant en mon corps qui est par-dessus toutes les créatures, que quand je fus épousée à Joseph. Mais toutefois vous devez savoir pour certain que Joseph sut du Saint-Esprit que j’avais fait le voeu de virginité à Dieu, et que j’étais pure en paroles, oeuvres, pensées et intentions; et il m’épousa pour m’avoir pour sa maîtresse, pour me servir, et non pour sa femme.

Page 72
Je sus aussi avec certitude par le Saint-Esprit que ma virginité demeurerait entière éternellement, bien que, par une secrète disposition divine, je fusse mariée; mais après que j’eus consenti à l’ambassadeur de Dieu, Joseph, voyant que mon ventre grossissait par vertu du Saint-Esprit, s’épouvanta grandement, ne soupçonnant rien de sinistre contre moi, mais il se souvint de ce que les prophètes avaient dit, que le Fils de Dieu naîtrait d’une Vierge; il se réputait indigne de servir une telle Mère, jusqu’à ce que l'ange lui apparût en songe et lui commandât de ne rien craindre, mais de servir avec charité. Moi et Joseph ne réservâmes rien des richesses, si ce n’est ce qui nous était nécessaire pour vivre à l’honneur de Dieu; nous quittâmes le reste pour l’amour de Dieu. Or, l'heure de la naissance de mon Fils s’approchant, que j’avais fort bien prévue, je vins selon la prescience divine en Bethléem, portant avec moi une robe très pure et des draps pour mon Fils, desquels pas un n’avait jamais eu l’usage, desquels j’enveloppai celui qui était né de moi avec toute sorte de pureté. Et bien que je n’eusse pas prévu que, de toute éternité, je devais être assise aux sièges sublimes sur toutes les créatures et sur les hommes; et quand je l’aurais su, je ne dédaignais pas de préparer et de servir à saint Joseph tout ce qui lui était nécessaire, et à moi-même; et comme je fus humble, connue de Dieu seul et de saint Joseph, de même je suis maintenant humble, assise au siège le plus sublime, prête à présenter à Dieu toutes les oraisons et demandes raisonnables. Mais je réponds à quelques-uns par les inspirations divines; à d’autres, je leur parle plus intimement, comme il plait à Dieu.

Page 73

Chapitre 26 Du temps de la mort de Notre-Dame, et de son sépulcre.

7026   Du temps de la mort de Notre-Dame, et de son sépulcre.

  Sainte Brigitte dit : Quand j’étais en la vallée de Josaphat au sépulcre de la Sainte Vierge en oraison, la Vierge m’apparut, éclatant d’une incomparable beauté, disant : Considérez, ma fille : j’ai vécu quinze ans au monde après l’ascension de mon Fils, et tout autant encore qu’il y a de jours depuis l’ascension de mon Fils jusques à ma mort; et étant morte, je demeurai gisante dans mon sépulcre l’espace de quinze jours. (1)Après, je fus portée au ciel avec un grand honneur; les vêtements dont j’étais revêtue demeurèrent en ce sépulcre, et je fus revêtue des vêtements dont mon Fils est revêtu. D’ailleurs, sachez qu’il n’y a dans le ciel aucun corps humain, sinon celui de Jésus-Christ et mon corps. Retirez-vous donc aux terres des chrétiens; amendez-vous de mieux en mieux, et vivez le reste de vos jours avec une grande précaution, puisque vous avez visité les lieux où mon Fils et moi avons vécu et avons été ensevelis.

(1) Les opinions sont diverses touchant la résurrection de la Sainte Vierge; la plus probable me semble celle d’après trois jours.

Page 74


Chapitre 27 Notre-Seigneur avertit les habitants de Naples par la suivante révélation

7027   Notre-Seigneur avertit les habitants de Naples par la suivante révélation, publiée devant l’archevêque, etc. de bien vivre; et il les menace autrement.

  Sainte Brigitte veillant, étant en oraison et en la sublime contemplation, et étant ravie, Jésus-Christ lui apparut, lui parlant en ces termes : Oyez, vous à qui Dieu a donné la grâce d’ouïr et de voir les choses spirituelles, et écoutez diligemment, et tenez en votre esprit ce que vous oyez maintenant, car vous l’annoncerez de ma part aux nations. Ne dites pas ces choses ici pour vous acquérir de l’honneur ou quelque louange humaine, ni aussi ne les taisez pas par la crainte de quelque empire humain et de peur de quelque mépris, d'autant que ces choses ne vous sont pas tant seulement montrées pour l’amour de vous, mais encore, pour l’amour des prières de mes amis, vous seront montrées celles qui suivent, car quelques-uns de mes élus de la cité de Naples m’ont prié de longues années de tout leur coeur pour mes ennemis qui sont en la même cité, afin que je leur montrasse quelque faveur par laquelle ils se puissent retirer de leurs péchés et mauvaises habitudes, et se convertir salutairement, aux prières desquels ayant donné effet, je vous donne ces paroles que je désire que vous écoutiez attentivement.

Je suis Créateur et Seigneur de toutes choses, tant sur les diables que sur les anges, et pas un n’évitera mon jugement.

Page 75

Le diable a péché contre moi en trois manières : par superbe, envie et arrogance, c’est-à-dire, par amour-propre. Certainement il fut si superbe qu’il a voulu être seigneur sur moi, afin que je fusse son sujet; il me portait aussi une si grande envie, que, s’il eût été possible, il m’eût tué, afin qu’il fût Seigneur et pût occuper mon trône. Sa volonté propre aussi lu fut si chère qu’il ne se souciait point de la volonté de Dieu, pourvu qu’il pût accomplir la sienne; c’est pourquoi il tomba des cieux, et d’ange, il a été fait diable dans les abîmes de l’enfer. Et après, voyant sa malice, sa grande envie qu’il avait contre l’homme, je lui montrai ma volonté et donnai mes commandements aux hommes, afin que, les accomplissant, ils puissent me plaire et déplaire au diable. Après, poussé par l’amour que je portais aux hommes, je suis venu au monde et ai pris la chair de la Sainte Vierge; je leur ai enseigné en personne la vraie voie de salut par oeuvres et par paroles, et afin de leur montrer et manifester mon amour infini, je leur ai ouvert le ciel par mon précieux sang.

Mais qu’est-ce que ces hommes, mes ennemis, me font maintenant? Ils méprisent mes commandements; ils me chassent de leurs coeurs comme un poison mortifère; ils me crachent de leurs bouches comme une chose pourrie, et ont horreur de me voir comme un lépreux, qui est extrêmement puant.

Page 76

  Or, ils embrassent le diable et ses oeuvres de tout leur coeur et oeuvres, ils l’introduisent dans leurs coeurs, faisant sa volonté franchement et avec plaisir, et suivant ses mauvaises suggestions : c’est pourquoi, par mon juste jugement, ils seront récompensés en enfer avec le diable d’un supplice éternel, car pour la superbe qu’ils adorent, ils auront la confusion éternelle, de sorte que les anges et les diables diront : Ils sont remplis de confusion jusques au sommet. Pour leur cupidité insatiable, chaque diable les remplira de leur venin pestifère, en sorte que, dans leurs âmes, il n’y aura rien de vide qui ne soit rempli de ce venin. Pour la luxure dont ils brûlent, ils seront privés éternellement, comme des animaux insensés, de la vision divine, mais ils en seront éloignés et seront privés de leurs voluptés déréglées. Au reste, sachez que, comme tous les péchés sont très graves, aussi le péché véniel, si l’homme met son affection et délectation en lui avec volonté et mépris, est fait mortel, savoir, quand on y met sa dernière fin. Partant, sachez qu’il y a deux sortes de péchés que je vous nommerai, qui attirent tous les autres péchés, qui semblent néanmoins véniels; mais d'autant qu’on s’y plaît avec volonté d’y persévérer, finalement c’est ce qui fait qu’ils sont mortels, attirant aux mortels.

Les citoyens de Naples commettent bien d’autres péchés abominables que je ne veux pas nommer : le premier est qu’on farde et plâtre les visages vivants comme ceux des statues des idoles, afin qu’ils paraissent plus beaux que je ne les ai faits.

Le deuxième péché est que les femmes usent de nouvelles formes et façons de vêtements, de sorte qu’elles en sont difformes, et cela à raison de leur superbe, et afin d’être vues plus belles et plus lascives en leurs corps que je ne les ai créées, afin que, les voyant telles, les hommes et les femmes soient enflammés et provoqués à la concupiscence.

Page 77

  Partant, sachez pour certain que toutes fois et quantes qu’ils plâtrent et peignent leurs visages de céruse ou de vermillon, etc. tout autant d’inspirations divines se retirent d’elles, et le diable s’en approche; tout autant de fois qu’elles revêtent leurs corps de vêtements indécents, tout autant de fois les ornements de l’âme sont déchirés, et le règne et la puissance du diable sont augmentés.

O mes ennemis, qui faites telles choses et qui commettez d’autres péchés avec effronterie, pourquoi négligez-vous ma passion, et pourquoi ne considérez-vous pas que j’ai été lié à la colonne, étant tout nu, et fouetté cruellement; comment, nu, j’étais en la croix et criais sur le gibet, rempli de plaies, couvert de sang? Hélas! Pourquoi ne jetez-vous vos yeux sur moi, quand vous fardez et plâtrez votre face? La mienne n’a-t-elle pas été couverte de sang? Vous ne prenez pas aussi garde à mes yeux, comment ils furent obscurcis, étant couverts de sang, et comment ils étaient livides de sang et de larmes. Pourquoi ne jetez-vous pas les yeux sur ma bouche, sur mes oreilles et sur ma barbe? Ne voyez-vous pas comment ils étaient pleins de sang, combien le reste du corps était traité inhumainement! Pourquoi ne considérez-vous pas comment, tout livide et mort, j’étais pendu au gibet pour l’amour de vous, et là étais moqué et méprisé de tous, afin que, par une telle considération, vous ne m’offensiez jamais, puisque je suis votre Dieu, mais que vous m’aimiez de bon coeur, et que de la sorte, vous puissiez éviter les lacets de Satan, desquels vous êtes horriblement liés et attachés.

Page 78

  Mais hélas! Toutes ces choses sont effacés de votre esprit, c’est pourquoi vous faites comme les femmes de mauvaise vie qui aiment la volupté et la délectation sensuelle, et non pas les enfants : en effet, quand elles ressentent l’enfant en vie dans leur ventre, elles en procurent soudain l’avortement par des herbes et par autres choses, afin qu’elles ne soient privées des voluptés infâmes et d’une délectation continuelle et mortifère, et que de la sorte elles croupissent incessamment dans le bourbier. Vous en faites certainement de même, car moi, votre Créateur et votre Rédempteur, je visite tout le monde de ma grâce, poussant vos coeurs, car j’aime tous les hommes. Mais quand vous ressentez dans vos coeurs quelque mouvement d’amour et de contrition, ou quand, entendant ma parole, vous concevez quelque bonne volonté, vous en procurez soudain l’avortement, savoir, en excusant ou diminuant vos fautes et prenant plaisir en icelles, et même en voulant à votre damnation persévérer en icelles. C’est pourquoi vous faites la volonté du diable, le mettant dans vos coeurs, et me chassant de la sorte avec mépris; c’est pourquoi vous êtes sans moi, et moi je ne suis pas avec vous, et vous n’êtes point en moi, mais dans le diable, d’autant que vous obéissez à ses suggestions et à ses volontés.

Page 79

  Partant, comme j’ai dit, je donnerai et prononcerai mon jugement, et non ma miséricorde; ma miséricorde est qu’il n’y a pas pécheur si grand à qui ma miséricorde soit refusée, s’il la demande avec un coeur humble et parfait.

Partant, mes amis doivent faire trois choses, s’ils se veulent réconcilier avec ma grâce :

qu’ils fassent pénitence et qu’ils s’excitent de tout leur coeur, d’autant qu’ils ont offensé leur Créateur et leur Rédempteur;

une pure confession, et que de la sorte, ils amendent tous leurs péchés, faisant pénitence et restitution selon le conseil d’un sage confesseur, car lors je m’approcherai d’eux et le diable s’enfuira;

que quand ils auront fait cela avec amour et ferveur, ils communient avec volonté de ne plus retomber en leurs péchés, faisant résolution de persévérer à bien faire.

Quiconque donc s’amendera de la sorte, je lui irai soudain au-devant comme un père pieux va au-devant de son fils qui est errant, et je lui donnerai mes grâces plus franchement qu’il ne pouvait espérer ni penser, et lors je serai en lui et lui sera en moi, et il vivra avec moi, et je le réjouirai éternellement. Mais quant à celui qui persévérera en ses péchés et en sa malice, sans doute ma justice fondra sur lui; car comme fait le pêcheur qui, voyant les poissons se jouer dans l’eau en leur plaisir et contentement, jette son hameçon en l’eau, et sentant que les poissons y sont pris, les tire un à un et les tue jusques à ce qu’il les ait tous pris, j’en ferai de même à mes ennemis qui persévèrent en leurs péchés : je les consumerai peu à peu en cette vie mourante en laquelle ils se plaisent charnellement et temporellement, et à l’heure qu’ils n’y penseront pas et qu’ils seront plongés en leurs grandes délectations, lors je les ravirai de la vie mourante et les priverai de la vie éternelle, et les abandonnerai dans les peines, d'autant qu’ils ont mieux aimé faire et accomplir leurs volontés désordonnées et corrompues que de suivre mes commandements.

Or, ces choses ayant été ouïes de la sorte, la vision disparut.

Page 80



Révélations de Sainte Brigitte de Suède 7019