Révélations de Sainte Brigitte de Suède 7028

Chapitre 28 répréhensions à ceux qui n’instruisent leurs serviteurs

7028   Il est ici traité des répréhensions à ceux qui n’instruisent leurs serviteurs, des sortilèges, etc.

  Sainte Brigitte écrit à Monseigneur Bernard archevêque de Naples, disant : Révérend Père, à cette personne que vous connaissez bien, étant en l’oraison, ravie et suspendue en la sublime contemplation, la Vierge Marie apparut, lui parlant en ces termes :

Je suis la reine du ciel qui vous parle. Je suis comme un jardinier en ce monde, car quand le jardinier voit souffler quelque vent impétueux qui nuit aux plantes et aux arbrisseaux de son jardin, il y va soudain, les liant et les soutenant avec des perches et échalas, remédiant autant qu’il peut à ce qu’ils ne se gâtent, ne se rompent, ne se déracinent : j’en fais de même, étant Mère de miséricorde, au jardin de ce monde, car quand je vois que les vents impétueux des tentations s’élèvent, que les orages des suggestions de Satan soufflent contre les coeurs des hommes, soudain j’ai recours à Dieu, mon Fils, avec mes prières, les aidant et impétrant qu’il verse dans leurs coeurs des inspirations du Saint-Esprit, par lesquelles ils soient aidés, appuyés, confirmés, et enfin conservés des vents impétueux des tentations du démon infernal, afin que le diable ne surmonte point les hommes, dissipant leurs âmes et l’esprit de dévotion, et que les hommes, acceptant mon aide et mon secours avec humilité de coeur, soient soudain affranchis des tentations du diable, et demeurant constants en l’état de grâce, apportent à Dieu et à moi le fruit de suavité en temps et saison.

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Mais ceux qui méprisent les secours de mon Fils et les miens, et se laissent emporter au vent des tentations par les instigations de Satan et par ses oeuvres, sont déracinés de l'état de grâce, et sont conduits par le diable, par les désirs et les oeuvres illicites, jusques à ce qu’ils soient plongés dans les fondrières de l'enfer, pour y endurer les peines éternelles.

Or, maintenant, sachez qu’en la cité de Naples sont commis des péchés divers en nombre, horribles en qualité, abominables et cachés, lesquels je ne nommerai pas. Mais je vous parlerai de deux espèces de péchés manifestes, qui déplaisent grandement mon Fils, à moi et à toute la cour céleste : le premier est qu’ils achètent des païens et infidèles pour leur service, et même quelques seigneurs ne se soucient point ni ne veulent point qu’ils soient baptisés ni qu’ils se convertissent à la foi chrétienne. Que si quelques-uns d’iceux sont baptisés, après le baptême, leurs maîtres ne se soucient point de les faire instruire en la foi chrétienne et de les disposer à la réception des autres sacrements de l’Église, non plus qu’avant leur conversion, d’où vient qu’ils commettent mille péchés et ne savent revenir au sacrement de pénitence et de la sainte et auguste communion pour être restaurés et rétablis en l’état de salut, de la divine réconciliation et de la grâce. D'ailleurs, quelques autres tiennent leurs servantes esclaves avec autant d’abjection et d’ignominie que si elles étaient des chiennes, les vendant, et qui pis est, les exposant aux vilenies et ordures, pour gagner de l’argent, argent de turpitude et d’abomination.

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D’autres les tiennent en leurs maisons comme des prostituées pour eux et pour les autres, et cela est grandement abominable devant Dieu et devant moi, devant les anges et devant les hommes. D'autres exaspèrent et rudoient tellement leurs esclaves par paroles et coups, que quelques-uns viennent en de grands désespoirs et en volonté de se suicider. Ce péché déplaît grandement à Dieu et à toute la cour céleste car Dieu aime ces esclaves comme ses créatures, et pour les sauver, il est venu au monde, prenant la chair humaine, souffrant la mort et la passion en la croix.

Sachez aussi que ceux qui aiment ces païens et infidèles à intention de les faire chrétiens avec volonté de les instruire et de les former en la foi chrétienne et en la vertu, et avec intention de leur donner la liberté en la vie, ou quand les maîtres mourront, en telle sorte néanmoins qu’ils ne soient point hérétiques, tels maîtres méritent beaucoup et me sont agréables; mais sachez pour certain que ceux qui font le contraire seront grandement punis de Dieu.

La deuxième espèce de péché est que la plus grande partie des hommes et des femmes consultent les sorciers, les devins et autres infâmes enchanteurs, pour diverses intentions et desseins, car quelques-unes leur demandent qu’ils fassent en sorte qu’elles puissent engendrer, d’autres afin d’être aimées avec passion, d’autres pour savoir les choses futures, d'autres la santé en leurs maladies. Tous ceux qui s’en servent et les tiennent en la maison sont haïs de Dieu, et tant qu’ils persévéreront en ces mauvais desseins, ni la grâce ni l’amour du Saint-Esprit ne seront jamais répandus en leur coeur.

  Mais ceux qui feront pénitence de tels péchés et s’amenderont avec humilité, avec propos de n’y retomber jamais, obtiendront miséricorde de mon Fils.

Et la vision disparut.

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Chapitre 29 D’un doute qu’avait un évêque de ne résider point en son diocèse

7029   D’un doute qu’avait un évêque de ne résider point en son diocèse, à raison qu’il gouvernait un marquisat aux marches d’Ancône.

  Que Dieu soit éternellement béni pour ses biens. Ainsi soit-il! Monsieur et mon révérend Père, selon l’humble recommandation que vous en avez faite à Brigitte, que vous ne connaissiez pas, de prier Dieu pour vous avec toute humilité, à quoi je vous dis vraiment en ma conscience que je suis une inutile pécheresse et du tout indigne, vous m’avez écrit que je vous récrivisse quelques conseils spirituels pour le salut de votre âme.

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  Dieu, ayant égard à votre foi et humilité, a voulu satisfaire à vos saints désirs, n’ayant point égard à vos péchés, mais à votre amoureuse demande, car hier, moi indigne, je priais pour vous Notre-Seigneur. Il m’apparut en esprit, me disant par similitude : Or, vous à qui la faveur est faite d’entendre et de comprendre les choses spirituelles, écoutez, et sachez pour certain que tous les évêques, abbés et tous les bénéficiers ayant charge des âmes, qui, laissant leurs églises, les brebis qui leur sont commises, et qui, tenant d’autres bénéfices ou offices à intention et volonté d’y être plus honorés des hommes et pour être rehaussés à un plus grand éclat dans le monde, bien qu’ils ne dérobent rien en ces offices et qu’ils n’y commettent aucune injustice, néanmoins, d’autant qu’ils se glorifient en ces charges et honneurs, et laissent leurs églises et leurs brebis pour cela, eux et ceux qui se comportent de la sorte, sont devant Dieu comme des pourceaux revêtus des habits pontificaux et des ornements sacerdotaux, comme on dirait par similitude :

Il y avait un grand seigneur qui avait invité ses amis à un souper. A l’heure du souper, ces pourceaux, ainsi revêtus, entrèrent dans le palais devant ce seigneur et devant ceux qui soupaient. Or, le seigneur leur voulant donner des viandes délicates, ils n’en voulurent point, mais ils commencèrent à grogner et à gronder comme des pourceaux, désirant avidement manger du gland ou des viandes viles. Or, le seigneur, voyant cela et ne l’entendant point, détesta leur façon de faire avec abomination; et soudain il dit à ses serviteurs, étant en colère et en indignation : Chassez-les dehors de mon palais, afin qu’ils s’assouvissent et se rassasient de gland sordide, car ils sont indignes de la viande qui est préparée pour mes amis.

  Donc, o mon révérant Père et seigneur, j’ai entendu que vous deviez faire de la sorte, savoir, qu’en conscience vous jugiez si les brebis de votre évêché qui vous sont confiées, sont bien et spirituellement gouvernées en votre absence, selon le salut de leurs âmes, ou non; si elles sont aussi bien conduites, et que d’ailleurs vous voyiez que vous êtes fort utile, pour le plus grand honneur de Dieu et le salut des âmes au régiment du marquisat, vous y pouvez demeurer selon la volonté de Dieu, pourvu que le désir d’honneur ou la vanité du gouvernement ne vous séduire.

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Or, si votre conscience vous dicte le contraire, je vous conseille qu’ayant quitté le gouvernement du marquisat, vous retourniez à votre église pour gouverner les brebis de Jésus-Christ, qu’il vous a confiées spécialement pour les repaître personnellement par paroles, exemples et oeuvres, avec toute sorte de soins, non comme un mercenaire, mais comme un bon pasteur.

Pardonnez-moi, ô mon seigneur, si je vous écris telles choses, étant une femme ignorante et une pécheresse indigne. Je prie notre bon et vrai Pasteur qui a daigné mourir pour ses brebis, de vous donner la grâce du Saint-Esprit, afin que vous gouverniez bien ses brebis, et que, jusques au dernier soupir de votre vie, vous fassiez sa sainte volonté.


Chapitre 30 Plainte que Dieu fait de tous les pécheurs. De leur ingratitude, et des menaces pour les ramener à leur devoir

7030   Plainte que Dieu fait de tous les pécheurs. De leur ingratitude, et des menaces pour les ramener à leur devoir.

  J’ai vu un grand palais semblable à un ciel serein, dans lequel étaient les compagnies célestes comme des atomes innombrables et reluisants quand le soleil les touche. En ce palais admirable était un trône éminent sur lequel était assise une personne d’une beauté incompréhensible et d’une puissance démesurée, les vêtements de laquelle étaient d’un éclat extraordinaire et d’une clarté non encore vue. Et une Vierge était debout devant ce trône, laquelle était honorée de tous les citoyens célestes comme Reine des cieux.

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Mais celui qui était assis sur le trône dit : Oyez, vous tous, mes ennemis, qui vivez au monde, car je ne parle point à mes amis qui suivent mes volontés. Oyez, ô tous, prêtres, évêques, archevêques, et tous les degrés inférieurs de l’Église. Oyez, ô religieux de quelque ordre que ce soit. Oyez, ô rois, ô princes et juges de la terre, et tous les serviteurs. Oyez, ô reines et princesses, maîtresses et servantes, et tous, de quelque qualité et condition que vous soyez, petits et grands qui habitez le monde, oui, oyez les paroles que je vous dis maintenant, moi qui vous ai créés. Je me plains de ce que vous vous êtes retirés de moi, et avez donné la foi au diable, mon ennemi; vous avez laissé mes commandements et avez suivi les volontés de Satan; vous avez obéi à ses suggestions, ne considérant point que je suis Dieu immuable, éternel et votre Créateur, qui suis descendu du ciel aux flancs de la Sainte Vierge et ai conversé avec vous. Je vous ai ouvert la voie par moi-même, et vous ai montré les conseils par lesquels vous monteriez au ciel. J’ai été nu, flagellé, méprisé, couronné d’épines, et tiré si fortement en la croix que tous mes membres furent désemboîtés; j’ai ouï tous les opprobres et ai souffert une mort contemptible, une douleur continuelle et une douleur trop amère pour votre salut. Vous, ô mes ennemis, vous ne prenez pas garde à toutes ces choses, d’autant que vous êtes trompés; c’est pourquoi vous portez le joug et la charge du diable, avec une suavité fallacieuse, et vous ne savez ni ne ressentez la douleur qui vous opprimera sans fin; ni ces choses ne vous suffisent point, car votre superbe est si grande que si vous pouviez monter au-dessus de moi, vous le feriez franchement.

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Votre volupté charnelle vous est si chère que vous aimeriez mieux être séparés de moi que d’être privés d’elle. D'ailleurs, votre cupidité est insatiable comme un sac troué, car il n’y a rien qui puisse assouvir vos cupidités. Partant, je jure en ma Divinité que, si vous mourez en l'état où vous êtes, vous ne verrez jamais ma face, mais vous serez si profondément submergés en enfer, que tous les diables seront sur vous, vous affligeant sans consolation aucune; à raison de votre luxure, vous serez remplis d’un venin très horrible et diabolique; pour la cupidité, vous regorgerez de douleur, d’angoisses, et serez participants de tous les maux qui sont en enfer.

O mes ennemis abominables, ingrats et dégénérés, je vous vois comme des vers morts en l’hiver, c’est pourquoi vous faites ce que vous voulez et y prospérez; c’est pourquoi je me lèverai en été, et lors vous garderez le silence et vous n’échapperez pas de mes mains. Mais, ô mes ennemis, d'autant que je vous ai rachetés par mon sang et que je ne recherche rien que vos âmes, partant, retournez encore à moi avec humilité, et je vous recevrai gratuitement comme des enfants; secouez le joug pesant de Satan, et souvenez-vous de mon amour, et vous verrez en votre conscience que je suis bon et doux.

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Chapitre 31 Ici Jésus prédit la mort de sainte Brigitte.

7031   Ici Jésus prédit la mort de sainte Brigitte.

  Il arriva, cinq jours avant la mort de sainte Brigitte, souvent appelée épouse de Jésus-Christ, que Notre-Seigneur lui apparut devant l’autel qui était en sa chambre, et se montrant à elle avec un visage riant, lui dit : Je vous ai fait comme un époux a accoutumé de faire, qui se cache de son épouse, afin qu’elle le désire avec plus d’ardeur : de même en ce temps, je ne vous ai point visitée de consolations, d'autant que c’était le temps de votre épreuve. Partant, étant maintenant éprouvée, allez-vous-en et préparez-vous, car il est temps que j’accomplisse ce que je vous ai promis, savoir : devant mon autel, vous serez habillée en moniale, de sorte que, non seulement vous serez réputée être mon épouse, mais aussi moniale et Mère en Uvasten. Mais aussi sachez que vous mourrez à Rome où vous êtes, et il me plaît de pardonner à vos labeurs et peines, et de prendre la volonté pour l’effet. Et se tournant vers Rome, il dit en la plaignant : O ma Rome! Ô ma Rome! le pape te méprise et ne prend point garde à mes paroles, mais il prend le douteux par le certain, c’est pourquoi il n’ouïra plus ma voix, car il met en sa volonté le temps de ma miséricorde.

Entre toutes les dernières paroles des révélations que je vous ai faites, qu’on mette cette commune que je vous ai faite à Naples, dit Jésus-Christ, car mes jugements seront accomplis sur toutes les nations qui ne retournent à moi avec humilité, comme je vous l’ai montré.

  Or ces choses et plusieurs autres qui ne sont ici écrites, la susdite épouse de Jésus-Christ les a dites et dénombrées à quelques personnes qui étaient là présentes, auxquelles elle disait les avoir vues avant sa mort.

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  Après, Jésus-Christ lui dit : D’ici à quinze jours, un matin vous mourrez, après que vous aurez reçu les saints et augustes sacrements, et qu’ayant appelé et parlé en détail aux personnes dont je vous ai parlé; et dites-leur ce qu’il faut qu’elles fassent, et de la sorte, vous viendrez entres leurs mains à votre monastère, c’est-à-dire, en ma joie, et votre corps sera mis en Uvasten.

Le cinquième jour s’approchant sur l’aurore, Jésus-Christ lui apparut derechef, la consolant. La messe étant dite et ayant reçu les sacrements de la main des personnes susdites, elle rendit l’esprit.



Livre VIII



Chapitre 1 Jésus-Christ, le souverain Empereur, montre aux rois par son épouse qu’il est le vrai Créateur de Roi

8001   p.90

  Jésus-Christ, le souverain Empereur, montre aux rois par son épouse qu’il est le vrai Créateur de Roi, régnant en la Trinité et unité, et de l’ordre du monde.

  Je vis un palais d’une grandeur incompréhensible, semblable au ciel quand il est serein, dans lequel il y avait un nombre innombrable de personnes assises en des sièges, revêtues de blanc, resplendissantes comme des rayons du soleil. Je vis en ce palais un trône admirable sur lequel était assis comme un homme plus reluisant que le soleil, d’un éclat et d’une beauté incomparables, et Seigneur d’une puissance démesurée, la splendeur duquel était incompréhensible en longueur, profondeur et largeur. Or, une Vierge était auprès du siège du trône, reluisant d’un éclat admirable, ayant en sa tête une couronne précieuse. Et tous ceux qui assistaient auprès du trône, le louaient en hymnes et cantiques, et honoraient cette Vierge comme Reine du ciel.

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  Celui donc qui était assis sur le trône me dit d’une amoureuse voix : Je suis le Créateur du ciel et de la terre. Je suis un avec le Père et le Saint-Esprit, non certes trois dieux, mais bien trois personnes en Dieu. Vous me pourriez demander maintenant : S’il y a trois personnes, pourquoi n’y a t-il pas trois dieux ? Je vous réponds que Dieu est la puissance, la sapience et la bonté même, duquel est toute puissance dessus et dessous le ciel, toute sapience et toute piété qu’on peut penser ; c’est pourquoi Dieu est un et trine, trine en personnes et un en nature, car le Père est la puissance et la sapience, duquel toutes choses sont, qui est puissant avant toutes choses, non d’ailleurs, mais de lui-même de toute éternité. Le Fils est aussi la puissance et la sapience, égal au Père, non puissant d’être engendré de soi-même, mais puissamment et d’une manière ineffable engendré du Père, principe du principe d’origine, non jamais séparé du Père. Le Saint-Esprit est puissance, et sapience est aussi le Saint-Esprit, procédant du Père et du Fils, comme d’un principe éternel avec le Père et le Fils, égal en majesté et en puissance.

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  Il y a donc un Dieu en trois personnes, d’autant que les trois personnes n’ont qu’une même nature, une opération et volonté, une gloire et puissance. Il est tellement un en essence que les trois personnes sont distinctes en propriété, car tout le Père est dans le Fils, et le Saint-Esprit et le Fils sont dans le Père, et le Saint-Esprit est en tous deux en une Déité de nature, non pas comme ce qui est devant ou après, mais ce qui est ineffable, sans priorité ni postérité, majorité ni minorité, mais tout ineffable et égal ; c’est pourquoi il est très bien écrit que Dieu est admirable et grandement louable.

Dieu a envoyé son Verbe à la Sainte Vierge par l’ange Gabriel ; néanmoins Dieu était envoyant et envoyé avec l’ange ; il était en Gabriel, et avant Gabriel en la Sainte Vierge. Mais la parole étant dite par l’ange, le Verbe a été fait chair en la Vierge. Je suis ce Verbe qui parle à vous. Mon Père m’a envoyé au ventre de la Sainte Vierge, non pas en telle sorte que les anges ont été privés de ma vision et de la présence de ma Divinité, mais moi, Fils, qui étais avec le Père et le Saint-Esprit, étant au ventre de la Vierge, J’étais le même au ciel avec le Père et le Saint-Esprit en la vision des anges, gouvernant toutes choses et soutenant toutes choses, bien que l’humanité que j’avais revêtue demeurât au ventre de la Sainte Vierge.

Je suis donc un Dieu en la Déité et en l’humanité, pour manifester mon amour et affermir la sainte foi. Je ne dédaigne point de parler à vous ; et bien que mon humanité semble être auprès de vous et parler à vous, il est pourtant plus véritable que votre âme, votre intelligence est ravie en moi et est en moi, car rien ne m’est impossible ; rien ne m’est difficile au ciel ni en la terre. Et de fait ; je suis comme un puissant roi qui, venant à une cité avec son armée, remplit tous les lieux et occupe tout : de même ma grâce remplit tous vos membres et les fortifie tous.

Je suis enfin en vous et hors de vous, et bien que je parle à vous, je suis le même en la gloire.


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  Qu’est-ce qui me serait difficile, à moi qui soutiens toutes choses et les dispose par ma sapience et les surpasse toutes par ma vertu ? Je suis donc un Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, un Dieu sans commencement et sans fin, qui, pour le salut des hommes (ma Déité étant sans vision), ai enduré la mort, suis ressuscité et monté au ciel en mon humanité, en laquelle je vous parle.

Je suis le vrai et souverain Empereur et Seigneur. Nul seigneur n’est plus excellent que moi. Il n’y en a eu auparavant et il n’y en aura après, mais tout domaine est à moi et par moi. Partant, je suis vrai seigneur, et autre ne peut être dit vrai seigneur que moi seul, car de moi sont toute puissance et domination, et pas un ne peut résister à ma puissance.

Je suis aussi le Roi de couronne. Savez-vous, mon épouse, pourquoi je dis Roi de couronne ? C’est parce que ma Divinité est sans principe et sans fin. Cette Divinité est comparée à bon droit à une couronne, d’autant qu’elle est sans commencement et sans fin. Or, comme au royaume, on réserve la couronne au roi futur, de même ma Déité était réservée à mon humanité, afin qu’elle en fût couronnée. Or, j’ai eu deux très bons serviteurs, l’un desquels était laïque et l’autre prêtre. Le prêtre était saint Pierre l’apôtre, ayant la charge du clergé ; l’autre était saint Paul comme laïque. Saint Pierre fut lié au mariage, voyant que le mariage et l’office de prêtrise ne pouvaient convenir ensemble, et voyant que la rectitude de l’esprit périclitait en l’incontinence, il se sépara de sa femme quand à l’usage charnel, et s’unit à moi d’un esprit pur et parfait. Or, saint Paul garda la chasteté et se conserva pur du lit nuptial.
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  Quelle charité ai-je fait et manifesté à ces deux ! Car à Pierre j’ai donné les clefs du ciel, et lui ai dit que tout ce qu’il lierait en terre serait lié au ciel, et que tout ce qu’il délierait serait délié. J’ai donné à Paul qu’il fût semblable en gloire et en honneur à saint Pierre ; et partant, sachez que comme ils ont été égaux en terre et unis, ils sont aussi au ciel unis en gloire éternelle. Mais bien que je n’en aie nommé que ces deux, néanmoins j’entends tous en eux, et avec eux les autres pontifes et les rois qui sont mes amis ; car comme jadis en la loi je parlais au seul Israël comme à un homme, et néanmoins je désignais tout le peuple, de même maintenant, en ces deux j’entends plusieurs, lesquels je remplis de ma gloire et de mon amour. Or, par succession de temps, les maux commencèrent à ce multiplier, et la chair à se rendre infirme et à pencher au mal plus quelle n’avait accoutumé. Partant, quand à l’un et l’autre état ecclésiastique et séculier que j’entend en Pierre et Paul, j’ai miséricordieusement permis aux ecclésiastiques d’avoir modérément des biens de l’église pour l’utilité de leurs corps, afin qu’ils en fussent plus fervents et plus fréquents à mon service. Il m’a aussi plu que les laïques vécussent honnêtement en leur mariage, selon les coutumes de la sainte Eglise.


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Chapitre 2. Jésus-Christ, souverain Empereur, dispose ici des rois, de leurs conseillers. Dix conseils moraux.

8002   Je suis le vrai Roi, et pas un n’est digne d’être appelé roi que moi, car de moi sont tout honneur et puissance. Je suis celui qui a jugé le premier ange, qui est tombé à raison de sa superbe, cupidité et envie. Je suis celui qui a jugé Adam, Caïn et tout le monde, envoyant le déluge pour les péchés des hommes. Je suis le même qui ai permis que le peuple d’Israël soit venu en la captivité, et qui l’ai affranchi de sa captivité en des signes admirables. En moi est toute justice. Je suis sans commencement et je serai sans fin. La justice n’a jamais diminué en moi, mais elle demeure toujours vraie en moi et est immuable. Et d’autant que ce roi de Suède demande de vous avec humilité comment il vivra en son règne justement et prudemment, c’est pourquoi je le lui montrerai. Il lui faut faire dix choses.

Qu’il retire de sa cour tous les conseillers qui ont le coeur ambitieux et cupide, et la langue desquels est double et trompeuse, les yeux desquels sont aveugles aux choses spirituelles. Qu’il élise ceux qui ne vendent point la justice, qui ont honte de mentir et ont horreur des flatteries, qui aime plus Dieu que les choses charnelles et qui ont compassion des misérables.

Je veux que le roi aide au bâtiment de votre monastère, dont j’ai dicté la règle.

Qu’il envoie de ses sujets aux nations infidèles, où la foi catholique et la charité peuvent être reçues, car ses sujets furent tués en la cité de Havine, d’autant qu’ils ambitionnaient une partie du royaume d’autrui et des chrétiens.

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Que le roi dise tous les jours les heures de Notre-Dame. Mais quand il aura de grands jugements à donner, lors il pourra les laisser ; qu’il oie deux messes particulières, ou bien une grande tous les jours ; qu’il se souvienne aussi tous les jours cinq fois des plaies que je souffris pour lui sur la croix.

Qu’il jeûne les veilles des saints et de ma Mère, qui sont établies par l’Eglise sainte ; qu’il jeûne les vendredis avec du poisson, et les samedis avec du beurre et du lait, s’il veut. Qu’il observe le carême selon la coutume de son pays, mais qu’il considère en son jeûne qu’il soit modéré, afin que, par les jeûnes et les veilles indiscrètes ou oraison trop longues, il ne soit lâche en ses conseils ou trop affaibli pour donner ses arrêts. Mais quand le labeur augmentera, qu’il obéisse lors en cela au conseil, puissance et dispense des prélats de mon Eglise.

Qu’il donne aux pauvres le dixième denier qui proviendra des biens confisqués ; que s’il veut donner quelque chose par-dessus pour mon honneur et gloire, ma récompense lui sera plus grande.

Que, tous les vendredis, il ramasse treize pauvres ; qu’il leur lave les pieds ; qu’il leur donne à vivre et de l’argent de sa propre main,si ce n’est qu’il fût lors par le chemin, car il faudrait alors omettre cet exercice ; qu’il emploie tout ce jour-là à ouïr les plaintes de son royaume, et qu’il s’informe et s’enquière de la fidélité des gouverneurs, des juges, des vassaux, des collecteurs et exacteurs des tributs de son royaume et autres rentes royales.

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Que le roi soit discret en ses dons ; qu’il donne tellement à un qu’il ne soit pas avaricieux aux autres. Que s’il veut donner davantage à quelqu’un à raison des mérites et des peines, il fasse cela avec maturité et sagesse, de peur qu’il ne soit marqué injuste et ne donne occasion de murmure. Certainement il n’y a rien de si répréhensible dans les puissants et grands seigneurs que la prodigalité et la trop grande ténacité, et il n’y a rien qui orne tant un roi et qui lui soit plus convenable que de commander avec modestie et de récompenser ceux qui le servent, et cela avec charité. Le roi peut encore départir de ses biens aux étrangers qui conservent la paix en son royaume et à ceux qui ont nécessité. Qu’il fasse néanmoins cela si accortement que ses vassaux ne soient ni négligés ni oubliés.

Qu’il ne transgresse point la loi divine, et qu’il n’introduise point de nouvelles coutumes contre les ordonnances bonnes et louables. Qu’il ne dispose point des choses par puissance ni ne juge tout ce qui se présente en son esprit, mais qu’il fasse toutes choses selon la règle infaillible de la loi de Dieu et du royaume, et qu’il fasse le tout avec modestie et équité. Il n’est pas décent à un roi de tant commander et de ne rien faire, de laisser la justice et commander cruellement.

10° Que le roi se montre tel par oeuvres qu’il soit digne du nom de roi, fuyant la cupidité et aimant vraiment l’humilité, car d’autant plus que le roi est plus grand que les autres, d’autant plus se doit-il abaisser devant Dieu, à qui appartient toute puissance, et qui, au jour du jugement, demandera raison autant strictement du roi que du peuple.

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Chapitre 3. Le souverain Empereur Jésus-Christ commande que les rois portent des vêtements honnêtes ; en quels jours ils doivent porter la couronne.

8003 Le souverain Empereur Jésus-Christ commande que les rois portent des vêtements honnêtes ; en quels jours ils doivent porter la couronne.

  Le Fils de Dieu parle : D’autant que l’homme a méprisé d’obéir à Dieu, il est nécessaire qu’il obéisse à l’homme, son semblable, et d’autant que le roi est établi de Dieu pour juger et commander justement, il est digne d’être craint et honoré de ses sujets. Afin donc que le roi soit discerné des autres, il est nécessaire qu’il ait un vêtement discret, honnête et honorable pardessus les autres. Car comme l’honneur du roi est la justice et le jugement, de même l’honneur du peuple est la beauté du roi et son éclat : c’est pourquoi on permet au roi les vêtements les plus honorables et les plus honnêtes ; et quand il les porte, il ne doit pas s’en rendre plus orgueilleux, mais s’humilier, considérant la charge de son état.

Or, le roi doit porter la couronne en sa tête, savoir, les jours de ma Nativité, Apparition, Résurrection, Ascension, Pentecôte, Assomption de ma Mère, Exaltation de la sainte Croix, de tous les Saints, et tous jours qu’on tient les jugements généraux et qu’il fait des chevaliers ; car comme aux jours de la fête de mon humanité et glorification de mes saints, toute la cour céleste se réjouit pour les bienfaits qu’ils en ont reçus, de même les justes se doivent réjouir en terre de la justice du roi, qui est marquée en la couronne, et toute la cour céleste se réjouir de la rétribution d’un roi juste.

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Chapitre 4. Jésus-Christ donne dix conseils aux rois, pour eux et pour leur royaume.

8004 Jésus-Christ donne dix conseils aux rois, pour eux et pour leur royaume.

  Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : J’ai montré aux rois les degrés par lesquels il pouvait monter au ciel ; s’il les gravit, il arrivera avec facilité comme celui qui tient la vie contemplative. Or, maintenant, je veux donner aux rois dix conseils :

Qu’il ne soit point seul à table, mais qu’il y soit avec quelques sujets, qui, par leur présence, le consolent corporellement et spirituellement, car par là, on est distrait des péchés et des déshonnêtetés.

Qu’après le repas, il peut se récréer, d’autant que, étant humble pour parler familièrement, il acquière l’amour de ses sujets ; et lors il entendra les raisons et les opinons de plusieurs, pour les imiter ou les rejeter.

Qu’en toutes ses oeuvres, il soit miséricordieux et juste, afin qu’il ne quitte de faire la justice pour l’amitié, pour la fausse compassion ou bien pour son intérêt, ou pour l’utilité temporelle ou crainte ; ni qu’aussi il ne néglige ou oublie la miséricorde, car il est indécent qu’un roi soit vaincu par la colère, et qu’un juge, juge sans sujet, ou bien qu’il ne se fourvoie aussi de la voie de la justice par l’importunité des prières.


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Que le roi ne confie jamais le gouvernement et le jugement à ceux qu’il sait être partiaux et cupides, ou à ceux qu’il sait que frauduleusement ils extorquent de l’argent des sujets, car ceux-là fourvoient facilement les autres de la justice et de l’équité ; mais que le roi s’enquière quels sont ceux qui sont bien réglés de leur nature et qui suivent les traces équitables de leur prédécesseurs, et enfin quels sont ceux qui aiment mieux les oeuvres de justice que de s’enrichir.

Que le roi s’enquière tous les jours comment les lois et la justice s’observent en son royaume ; et ceux qu’il ne pourra corriger, étant incorrigibles, qu’il ne les renvoie point impunis, et qu’il prenne garde de ne pas trop tirer d’argent et des amendes des délinquants. Qu’il n’opprime point les innocents par aucune finesse, mais qu’il traite les familles avec plus de douceur, et qu’il ne punisse plus sévèrement les endurcis, gardant en tous la miséricorde et la justice ; et où il verra de l’humilité plus grande, qu’il rehausse la miséricorde par l’équité.

Que le roi examine continuellement ses jugements et ses oeuvres. Que s’il voit s’être trompé en quelque chose, qu’il n’aie point honte de corriger et rétracter ce qui sera mal fait, car il n’est pas plus sage que David, qui se trompa, ni plus saint que le prophète, qui, croyant au mensonge, fut tué par le lion.

Qu’il ne soit pas trop actif et prompt en ce qu’il faut faire, mais prévoyant et circonspect, considérant la fin des affaires ; qu’il s’appuie aussi sur le conseil des sages et expérimentés et qui craignent Dieu, auxquels il obéisse, et qu’il ne se cache point d’eux, car c’est un esprit dégénéré et suspect d’avoir suspecté le conseil des hommes de bien ; qu’il rétracte prudemment et sagement le conseil des adulateurs qui consente à tout.

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Qu’il prenne garde à la légèreté des paroles et des moeurs en toutes choses, même avec ses domestiques et familiers ; qu’il fuit les adulateurs et flatteurs comme des scorpions, car ceux-là le fomentent dans les péchés et scandalisent les bons, car un tel doit être roi, qui est craint des jeunes, honoré des vieux, loué des sages, aimé des justes et désiré cordialement des opprimés.

Que le roi ne communique point avec ceux qui sont excommuniés, et qu’il ne défende point ceux qui se moquent de Dieu et de sa loi, mais qu’ils les instruisent et les retire du péché avec des paroles de charité. Que s’ils ne se corrigent point, qu’il leur montre sa sévérité et qu’il les prive de leurs bénéfices, car l’honneur d’un roi est d’aimer surtout les choses divines, et d’augmenter l’honneur de Dieu de toutes ses forces.

10° Qu’il aime son peuple et la communauté de son royaume ; qu’il traite ses soldats avec clémence ; qu’il se souvienne des bienfaits reçus des parents en leurs enfants.


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 7028