Révélations de Sainte Brigitte de Suède 8049

Chapitre 49. pourquoi Dieu afflige le peuple d’Israël au désert, et non en Égypte, et de la probation de Moïse

8049 Jésus-Christ déclare à son épouse pourquoi Dieu afflige le peuple d’Israël au désert, et non en Égypte, et de la probation de Moïse. Il reprend aussi un roi avec menaces, d’autant qu’il ne compatissait point aux misères de ses sujets, et qu’il était gouverné par de mauvais conseillers; et qu’il ne se confie point en ce qu’auparavant il l’avait appelé son ami.

  Notre-Seigneur parlait à son épouse, disant : Au peuple d’Israël, il y avait trois sortes d’hommes. Quelques-uns d’entre eux aimaient Dieu et Moïse; les autres s’aimaient plus qu’ils n’aimaient Dieu; les autres n’aimaient ni Dieu ni Moïse, mais seulement les choses de la terre. Et comme ce peuple était en Égypte, ils étaient tous appelés enfants de Dieu et enfants d’Israël, mais tous ne servaient pas Dieu avec un esprit et une affection égale. Ainsi, quand il plut à Dieu de tirer hors de l’Égypte ce peuple, quelques-uns crurent à Dieu et à Moïse; les autres imitaient Dieu et Moïse : c’est pourquoi Dieu montra sa grande miséricorde et justice aux endurcis.

Mais vous pourrez me demander : Pourquoi Dieu mit-il ce peuple hors de servitude? Pourquoi ne l’affligea-t-il plutôt en Égypte, sachant qu’il n’était pas encore temps de leur faire miséricorde, et que leur malice n’était pas encore accomplie et montée jusqu’à son dernier point?

P.169

  A cela je réponds moi-même : Dieu élut le peuple d’Israël comme des écoliers, pour l’instruire et l’éprouver dans le désert, écoliers qui avaient besoin d’un pédagogue qui allât devant eux et leur montrât le chemin de parole et de fait. Afin donc qu’ils fussent plus parfaitement instruits, le désert leur était plus propre que l’Égypte, de peur qu’en celle-ci ils ne fussent trop inquiétés par les Égyptiens en la discipline de la justice de Dieu, ou de peur que, parmi les signes de la miséricorde qu’il faut cacher aux chiens, ils ne s’élevassent présomptueusement et malicieusement. Moïse aussi, comme maître de tout ce peuple, eut besoin d’être éprouvé, afin qu’ayant été connu de Dieu, il fût aussi connu de ses disciples pour l’imiter, comme celui qui avait donné de plus grandes preuves de foi par la folie du peuple, et qui avait été rendu plus remarquable et plus connu de tous par ses signes. Je dis avec vérité que, même sans Moïse, le peuple eût été tiré de l’Égypte, et que, sans Moïse, ce même peuple fût mort.

Mais à cause de sa bonté, le peuple ne fut pas affligé d’une mort si universelle, et pour sa charité, il fut couronné plus glorieusement, ce qui n’est pas de merveille, car en la mort d’un chacun, Moïse pâtit et endura par compassion. Dieu donc différa sa promesse, pour que le peuple fût éprouvé et que sa divine majesté se fit connaître par divers signes, par sa miséricorde et sa patience, comme aussi afin que la perverse volonté et l’ingratitude du peuple se donnassent à connaître pour précaution à l’avenir.

P.170

  Ainsi plusieurs saints, suivant l’inspiration du Saint-Esprit, sont entrés dans les terres des infidèles, qui n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient; et toutefois, à cause de leur bonne volonté, ils ont eu de très glorieuses couronnes, et à cause de leur patience, Dieu a fait avancer le temps de la miséricorde, et a d’autant plus conduit à fin le nouveau chemin qu’ils essayaient de faire.

De là vous voyez qu’il faut toujours révérer et craindre les jugements de Dieu, et se donner bien de garde que la volonté de l’homme ne soit contraire à la volonté de Dieu. Mais ce roi dont je vous parle et que vous connaissez n’était pas porté d’une volonté pareille à celle de Moïse, d’autant qu’il ne se souciait pas que tout son peuple mourût, pourvu qu’il se sauvât et demeurât toujours en honneur, se laissant gouverner par des conseils diaboliques. Il ne voulut jamais quitter son obstination et l’inconstance de son esprit, ni obéir au conseil de ceux à qui il devait obéir, desquels il pouvait avoir le lait de la sagesse divine et du changement de vie, ce qui n’est pas de merveille, car il était descendu d’un homme irritant Dieu à tout propos et ne se corrigeant que par les afflictions.

Sachez aussi qu’il y a eu en ce royaume quatre sortes de générations de rois : en la première ont été l’ambition et la cruauté, lesquelles Dieu a endurées pour quelques bonnes oeuvres et pour les péchés du peuple. En la deuxième ont été l’incontinence et l’injustice, que Dieu a miséricordieusement humiliées et appelées sur la couronne. La troisième génération a procédé d’une racine ambitieuse et d’un trône dur, en laquelle étaient la cupidité et l’amour de soi-même : c’est pourquoi Dieu l’a punie temporellement, afin qu’à l’avenir elle ne fût pas si mal. En la quatrième sont l’humilité feinte et simulée, la prodigalité et le défaut de justice : c’est pourquoi, par charité, je lui montrerai la miséricorde et le jugement, et si elle ne m’oit, je l’affligerai et la flagellerai depuis la tête jusques aux pieds, en telle sorte que tous ceux qui l’ouïront s’en émerveilleront et trembleront de peur de la justice de Dieu. Or, qu’il ne se confie point en ce que je l’ai dit mon ami, mais qu’il prenne garde à la conclusion de mes paroles, savoir, que, s’il me garde sa foi, je lui tiendrai aussi ma promesse.

  P.171


Chapitre 50. Paroles de Jésus-Christ révélées à l’épouse pour l’empereur d’Allemagne,

8050 Paroles de Jésus-Christ révélées à l’épouse pour l’empereur d’Allemagne, à ce qu’il tâche de remettre en l’Église de Dieu quatre vertus qui ont été chassées de leurs sièges, et qu’on ôte entièrement les quatre vices contraires qui ne règnent que trop dans l’Église.

  Jésus-Christ commanda à l’épouse d’écrire à l’empereur comme d’elle-même les paroles de la révélation divine en ces termes : Je me plains, non seulement, etc.(Vous trouverez ce Chap. au Liv. IV, Chap. XLV.)

P.172

Chapitre 51. L’empereur Jésus-Christ écrit à l’empereur d’Allemagne

8051   L’empereur Jésus-Christ écrit à l’empereur d’Allemagne, lui faisant savoir comme de sa propre bouche il a tenu avec son épouse plusieurs discours qui sont écrits au Livre céleste, et lui commande de les voir et de les éplucher, et de s’employer vers Sa Sainteté pour la confirmation de la règle qu’il a dictée à l’épouse.

  Jésus-Christ parlait à son épouse, disant : Écrivez de ma part ces paroles à l’empereur : Je suis cette lumière qui illumina toutes choses quand elles étaient couvertes de ténèbres. Je suis aussi cette lumière qui, étant invisible par la Déité, ai paru visible par l’humanité. Je suis cette lumière qui vous ai établi au monde comme une clarté spéciale, afin qu’en vous il se trouvât plus de justice qu’aux autres, et afin que vous conduisiez tout le monde à la justice et à la piété : c’est pourquoi moi, qui suis la vraie lumière et qui vous ai fait monter au trône impérial, je vous fais savoir, parce qu’il me plaît ainsi, que je parle à une femme des paroles de justice et de miséricorde. Recevez donc les paroles des livres qu’elle a écrits, dictées de ma bouche; épluchez-les, et mettez peine que ma justice soit redoutée et ma miséricorde désirée avec discrétion.

Sachez aussi, vous qui tenez l’empire, que moi, auteur et créateur de toutes choses, j’ai dicté une règle de religieuses à l’honneur de la Vierge, ma très chère Mère, et l’ai donnée à cette femme qui vous écrit. Lisez-la donc tout du long, et employez-vous envers le pape, pour que, devant les hommes, elle soit approuvée par lui, qui est mon vicaire en terre, moi l’ayant approuvée dans le ciel devant tous les bienheureux.

  P.173

Chapitre 52 Jésus-Christ conseille à un roi qui avait été désobéissant aux conseils de la Vierge, sa Mère, de s’en aller au pape

8052   Jésus-Christ conseille à un roi qui avait été désobéissant aux conseils de la Vierge, sa Mère, de s’en aller au pape, et de lui demander l’absolution de quelques grands et énormes péchés contenus ici, sans les cacher ni s’excuser, mais s’humiliant de tout son coeur, d’autant que les plus grands péchés doivent être remis et absous par le grand vicaire de Notre-Seigneur.

  Le Fils de Dieu parle à son épouse et lui dit : D’autant que le roi a été désobéissant aux conseils de ma Mère, à cette cause, moi, qui suis Fils de Dieu et qui suis en ma Mère, je lui conseille de s’en aller au pape, et de lui demander humblement l’absolution de ses péchés, car les péchés qui sont parvenus au souverain degré de malice, doivent être remis par le souverain pontife, qui en a la puissance souveraine, car elle est entre les mains de celui-là qui, dans le monde, étant assis en mon siège, a le pouvoir de lier et de délier en mon nom.

Or, si le roi suit mon conseil, je lui donnerai un trésor très précieux; je le défendrai contre ses ennemis et j’acquitterai toutes ses dettes, soit corporellement, soit spirituellement, s’il n’a pas de quoi pour les payer, et je compterai chaque pas qu’il fera pour l’amour de moi, et le lui remesurerai en la vie éternelle. Or, quand il sera arrivé par devers le souverain pontife, qu’il s’humilie de tout son coeur, sans cacher ses péchés ni s’excuser, mais qu’il demande l’absolution de la désobéissance aux constitutions de la sainte Église, de l’excommunication dont il est lié, du parjure public, de la foule extraordinaire de ses sujets, de la promotion qui, à son occasion, a été faite des clercs indignes aux bénéfices de l’Église, et de ce qu’il avait entrepris et essayé contre les louables coutumes et statuts du royaume et des évêques.

  P.174

Chapitre 53. aller vers le pape, non avec pompe et grande famille

8053   Jésus-Christ conseille par son épouse au roi susdit d’aller vers le pape, non avec pompe et grande famille, faisant de grandes largesses pour être loué des hommes, mais qu’il y aille humblement et modestement, ayant un train nécessaire, honnête et dévot.

  Notre-Seigneur parlait à son épouse et lui disait : Si le roi va vers le souverain pontife et qu’il estime que ses péchés soient grands, qu’il se donne garde des flatteurs qui lui conseillent d’y aller avec pompe, afin que son nom soit loué en terre, comme aussi de ceux qui lui conseillent de faire des largesses, afin de faire publier sa renommée et d’assembler une grande et nombreuse famille, de peur d’être surpris par les ennemis; mais qu’il y aille humblement et sagement, ayant avec soi un train nécessaire, non superflu, et des serviteurs dévots et honnêtes, employant ses biens, non pour en faire parade, mais pour l’honneur de Dieu et pour sa nécessité. Or, qu’il se garde prudemment de ceux qui désirent lui nuire, car bien que je puisse toutes choses, toutefois il faut quelquefois se gouverner selon les conseils et l’aide des hommes. Et bien que je parlasse avec Moïse, toutefois il ouït et suivit le conseil d’un homme païen qu’il trouva à propos.

  P.175


Chapitre 54. Jésus-Christ avertit par son épouse les rois de se décharger du fardeau de leurs péchés

8054   Jésus-Christ avertit par son épouse les rois de se décharger du fardeau de leurs péchés, et qu’à l’exemple de l’ange qui apparut à Tobie ceint et troussé pour aller par pays, ils se ceignent d’une ceinture, c’est-à-dire, de la continence des paroles et bonnes oeuvres, avant de sortir du monde, et qu’ils portent des robes non déchirées, mais honnêtes, et qu’ils aillent avec un geste modéré.

  Notre-Seigneur parlait du roi susdit à l’épouse, lui disant : Il est écrit que l’ange de Dieu, ceint et comme tout prêt à se mettre en chemin, apparut à Tobie, lorsqu’il était prêt à faire un long voyage, ce qui est la marque et la figure d’un homme juste, car l’homme qui désire obtenir la rémission de ses péchés, doit se décharger d’iceux par la contrition et par la confession, et se ceindre de la continence des paroles et bonnes oeuvres. Que ce roi donc fasse de même. Qu’il corrige toutes ses actions avant de sortir du monde, ayant un ferme propos de tellement rejeter toutes les légèretés passées, qu’il ne prenne plus de plaisir en icelles, car c’est une chose vilaine et honteuse que promettre à un très beau seigneur et maître de suivre sa beauté, et après cela imiter encore des façons de faire malséantes et très déshonnêtes.

  P.176

  Les serviteurs du roi David ayant la barbe vilainement rasée et leurs robes coupées à demi, ne purent entrer dans la Jérusalem terrestre, avant que leurs robes ne fussent premièrement rhabillées et que la barbe ne leur fût revenue, mais demeurèrent en un lieu de tribulation et de mépris, à combien plus forte raison moi, qui suis bien plus beau et plus fort que David, cherche la beauté ès hommes! Car je ne veux pas qu’ils portent des robes rognées à demi comme des bouffons; je ne veux pas qu’ils aient un geste comme des efféminés, mais je veux qu’ils aient ce qui leur est profitable et honnête, qu’ils soient vêtus pour leur bien, honnêtes pour mon honneur, et prêts à me rendre compte, quand il me plaira de les appeler du monde.


Chapitre 55. Jésus-Christ console son épouse et lui dit qu’elle ne taise point les paroles de Dieu qui lui sont révélées

8055   Jésus-Christ console son épouse et lui dit qu’elle ne taise point les paroles de Dieu qui lui sont révélées, bien qu’on le trouve mauvais; qu’elle ne les dise pas aussi pour la louange des hommes, d’autant que ceux à qui les conseils divins sont données, s’ils y obéissent, obtiendront la miséricorde qui leur est promise; s’ils les méprissent, encourront la divine justice.

  Le Fils de Dieu parlait à l’épouse, disant : Vous qui voyez les choses spirituelles, vous ne devez pas les taire parce que vous en êtres blâmée, ni les dire, parce que vous êtes louée des hommes; et vous ne devez pas craindre de ce que mes paroles qui vous sont révélées sont méprisées et ne sont pas accomplies tout aussitôt, car la justice juge celui qui me méprise, et la miséricorde récompense celui qui m’obéit, et ce, en deux manières : d’autant que la peine du péché est effacée du livre de justice; d’autant que la récompense est augmentée selon la satisfaction des péchés.

  P.177

  C’est pourquoi j’envoie toutes mes paroles avec cette conclusion, savoir est, si ceux auxquels elles sont envoyées et les écoutent, les croient et les accomplissent par effet, que lors mes promesses seront accomplies. C’est à cette cause qu’Israël, ne voulant pas suivre mes commandements, quitta son droit et plus court chemin, et s’en alla par un autre, fâcheux et pénible, et se rendit odieux à tous. Il en est de même à présent, car le peuple de ce royaume, que j’avais affligé, n’est pas devenu plus humble ni plus obéissant pour ce coup de verge, mais s’est rendu plus audacieux contre moi et plus contraire à mes volontés.

Après ceci, j’ouïs une voix qui disait : O mon Fils, qui, par votre mort, avez délivré de l’enfer le genre humain, levez-vous et défendez-vous, d’autant que plusieurs, tant hommes que femmes, vous ont mis dehors et vous ont fermé la porte de leur coeur. Entrez donc sagement, comme Salomon, dans votre royaume. Otez puissamment, comme Samson, les portes de leurs gonds. Mettez le siège contre le clergé, et des pièges devant les pieds des soldats. Donnez de la terreur aux femmes avec les armes, et mettez par terre les puissants en la présence des peuples, et que pas un de vos ennemis n’échappe qu’auparavant il ne vous ait demandé miséricorde avec une vraie humilité, comme aussi tous ceux qui s’endurcissent contre vous.

P.178


Chapitre 56. terrible procédé du jugement divin fait contre un roi ingrat

8056   Dieu le Père déclare à l’épouse, et lui montre tout au long le terrible procédé du jugement divin fait contre un roi ingrat, vivant encore et désobéissant aux conseils divins. Et en quelle manière l’épouse voyait l’Agneau, et en icelui une face humaine sur l’autel de la divine Majesté dans le ciel. Et au même instant, elle le voyait entre les mains du prêtre célébrant en terre; et comment les serviteurs et les sujets des rois étant affligés, soit en ce monde, soit en enfer ou en purgatoire, se plaignaient grandement à Dieu de ces rois et de leurs princes; et tous les saints demandaient justice d’eux.

  Dieu le Père parlait à l’épouse, disant : Écoutez mes paroles, et dites ce que je vous commande, non pour votre honneur ou pour votre blâme, mais tenez votre esprit également en balance, sans pencher ni du côté de ceux qui vous louent, ni du côté de ceux qui vous blâment, à ce que vous n’entriez en colère pour le blâme ni en vanité pour la louange; car celui-là est digne d’honneur qui est et qui a été éternellement en soi-même; qui, mû par la charité seule, a créé les anges et les hommes, non pour autre sujet qu’afin qu’il y en eût plusieurs qui fussent participants de sa gloire, car je suis maintenant le même en puissance et en volonté que je fus lorsque mon Fils prit chair humaine; je suis et j’ai été en lui, et lui a été en moi, et le Saint-Esprit en tous deux; et bien qu’il fût caché au monde que ce fût le Fils de Dieu, toutefois il fut connu de quelque petit nombre : c’est pourquoi sachez que cette justice de Dieu, qui n’a jamais eu de commencement non plus que Dieu même, et que la lumière fut montrée aux anges avant de voir Dieu, lesquels ne churent pas pour avoir ignoré la loi et la justice de Dieu, mais parce qu’ils ne la voulurent pas garder, car ils savaient fort bien que tous ceux qui aimeraient Dieu verraient Dieu et demeureraient éternellement avec lui; que ceux qui haïraient Dieu seraient éternellement punis sans le voir jamais en sa gloire. Et toutefois leur ambition et cupidité leur firent plutôt choisir de haïr Dieu pour être punis, que de l’aimer afin d’avoir une joie éternelle.

P.179

  La justice qui fut exercée à l’endroit de l’homme est semblable à celle des anges, car l’homme est plutôt tenu d’aimer Dieu et puis de le voir : c’est pourquoi mon Fils a voulu, par sa charité, naître après la loi de justice, afin d’être visible par son humanité, ne pouvant l’être par sa Divinité. De plus le libre arbitre fut donné aux hommes comme aux anges, pour désirer les choses célestes et mépriser celles de la terre : c’est pourquoi je visite plusieurs en plusieurs et différentes manières, quoique ma Déité ne soit point vue, et j’ai montré, en plusieurs endroits de la terre à plusieurs personnes, en quelle manière le péché de chaque contrée a pu être amendé, et en quelle manière on a pu obtenir miséricorde, avant que ma justice vînt à y prononcer et faire exécuter ses arrêts. Mais les hommes ne considèrent pas ceci et ne s’en soucient pas. Cette justice aussi est en Dieu, que tous ceux qui sont sur la terre espèrent en premier lieu fermement ce qu’ils ne voient pas, et croient à l’Église de Dieu et au saint Évangile, après qu’ils aiment sur toutes choses celui qui leur a tout donné et s’est livré lui-même à la mort pour eux, afin que tous se réjouissent éternellement avec lui : c’est pourquoi je parle moi-même à ceux à qui bon me semble, afin qu’on sache comment on doit amender les péchés, diminuer la peine et augmenter la couronne.

P.180

  Après ceci, je vis tous les cieux comme s’ils n’eussent été qu’une maison, en laquelle était assis un Juge sur un trône, et la maison était pleine de serviteurs louant le Juge chacun de sa voix. Sous le ciel se voyait un royaume. Et soudain fut ouïe de tous une voix qui disait : Venez au jugement, vous deux, vous, ange, qui êtes le gardien du roi, et toi, esprit malin qui es son gouverneur.

Et cette parole dite, l’ange et le diable comparurent devant le Juge. L’ange ressemblait à un homme tout troublé, et le diable à un homme plein d’aise et de joie. Et lors le Juge dit : Mon ange, je vous établis gardien du roi, lorsqu’il fit un pacte avec moi et se confessa de tous les péchés qu’il avait commis depuis sa jeunesse, afin que vous fussiez plus proche de lui que le diable. Comment est-ce donc que maintenant je vous vois éloigné de lui?

L’ange répondit : O Juge, je brûle du feu de votre charité, de laquelle aussi le roi fut échauffé pour un temps. Mais depuis qu’il a méprisé et eu en abomination ce que vos amis lui ont dit, et qu’il s’est ennuyé de faire ce que vous lui aviez conseillé, lors il s’en est allé où son plaisir l’a attiré, et s’éloignant de moi, il s’est à toute heure approché de l’ennemi.

P.181

Le diable répondit : O Juge, je suis le froid même, et vous, vous êtes la chaleur même et le feu divin. Comme donc quiconque s’approche de vous devient plus ardent aux bonnes oeuvres, ainsi le roi, s’approchant de moi, s’est rendu plus froid à votre charité et plus chaud à mes oeuvres.

Le Juge répondit alors : On avait persuadé au roi d’aimer Dieu sur toutes choses et le prochain comme soi-même : pourquoi donc m’ôtes-tu un homme que j’ai racheté de mon propre sang, et le fais porter préjudice au prochain, non seulement en ses biens temporels, mais aussi en la vie?

Le diable répondit : O Juge, c’est maintenant à moi de parler et à l’ange de se taire. Quand le roi se départit de vous et de vos conseils et vint à moi, lors je lui conseillai de s’aimer soi-même plus que le prochain, et de ne se soucier point du bien des âmes, pourvu qu’il eût l’honneur du monde, et de ne prendre point garde qui souffrait nécessité ou injustice, pourvu que ses amis foisonrassent en toutes choses.

Et lors le Juge dit au diable : Quiconque voudra s’en aller d’auprès de toi, le pourra, et tu n’en pourras retenir aucun par force et malgré lui : c’est pourquoi j’enverrai encore au roi quelques-uns de mes amis, qui l’avertiront du danger où il est.

Le diable répondit : La justice est que quiconque veut m’obéir doit être gouverné par moi : c’est pourquoi je lui enverrai aussi de mes conseillers, et nous verrons quels conseils il suivra plus volontiers.

p 182

  Lors le Juge dit : Va, d’autant que c’est ma justice d’adjuger au bourreau ce qui est à lui, comme au demandeur ce que le droit de sa cause lui donne.

Quelques années après, je vis derechef le Juge Jésus-Christ avec son armée céleste ; ému plus que de coutume et comme en colère, il dit à l’ange et au diable : Dites-moi qui de vous deux a vaincu.

L’ange répondit : Quand je vins au le roi avec les inspirations du ciel, et vos amis avec leurs paroles spirituelles, tout aussitôt les messagers du diable lui soufflèrent aux oreilles, disant : Vous ne devez point épargner les biens de ce monde, l’honneur, les âmes ni les corps, afin que vos amis, que vous aimez plus que vous-même, puissent prospérer et être honorés.

Le roi, consentant à ces suggestions, fit réponse à vos amis et à leurs saints conseils : Je suis assez suffisant et sage pour me conseiller sans vous. Retirez-vous donc de moi avec honte.

Et ainsi le roi, tournant le derrière de la tête et la face vers l’ennemi, repoussa d’auprès de soi vos amis avec déshonneur et injure, et moqués des amis du monde.

Lors le diable s’écria : O Juge, c’est maintenant à moi de gouverner le roi et de lui donner du conseil par le moyen de mes amis.

Le juge lui répondit : Va, et afflige le roi autant qu’il t’est permis, d’autant qu’il a provoqué mon indignation contre lui.

p 183

  Deux ans après ceci, le Juge apparut derechef, assisté de l’ange et du diable. Le diable se prit à parler, disant : O Juge, jugez. Je prononcerai maintenant justice, car vous êtes véritablement la charité même : c’est pourquoi il est hors de raison que vous fassiez votre demeure dans ce coeur, où sont enracinées l’envie et la colère. Vous êtes la sagesse même, c’est pourquoi vous ne devez pas être dans le coeur de celui qui désire nuire à la vie, aux biens et à l’honneur du prochain. Vous êtes la vérité même, c’est pourquoi il n’est pas bienséant que vous demeuriez avec cet homme, qui avait promis et juré de faire des trahisons. Donc, parce que ce roi vous rejette comme on rejette avec horreur ce qui est abominable, permettez-moi de le jeter par terre, et de le presser de telle sorte qu’il en étouffe, d’autant qu’il estime mes conseils sagesse, et a les vôtres en dérision, car je désire le salarier d’une telle récompense, parce qu’il a fait ma volonté. Toutefois je ne pourrai rien faire sans votre permission.

Et voici que, ces choses ouïes, le Juge semblait être merveilleusement changé ; et lors il apparut reluisant comme un soleil, et dans ce soleil se lisaient ces trois mots :Vertu, Vérité, Justice.

La Vertu parlais et disait : J’ai tout créé sans aucun mérite précédent de la par des choses créées, c’est pourquoi je suis digne d’être honoré de toute créature, et non d’être méprisé. Je suis digne d’être loué de mes amis, à cause de ma charité, craint et respecté de mes ennemis, d’autant que je les supporte patiemment, sans qu’ils aient mérité cette grâce, dignes au contraire de jugement. C’est pourquoi c’est à moi, ô Satan, de juger un chacun selon ma justice, et non selon ta malice.

p 184

  La Vérité aussi parla tout aussitôt, disant : J’ai pris de la Vierge l’humanité, étant en ma Déité. En cette humanité, je parlais et prêchais aux peuples. J’ai aussi envoyé le Saint-Esprit aux apôtres, et ai parlé par leurs langues, comme tous les jours je parle par une infusion spirituelle à qui bon me semble : c’est pourquoi je veux que mes amis sachent que moi-même, qui suis la Vérité, ai envoyé mes paroles à un roi qui les a méprisées. Toi donc, ô Satan, écoute maintenant, d’autant que je veux parler, afin qu’on sache si ce roi a obéi à mes conseils ou à tes suggestions. Je dis maintenant les conseils que j’ai donnés à ce roi, redisant en peu de mots ce qu’auparavant j’avais expliqué au long.

Il avait donc été persuadé à ce roi de se garder de tous péchés et de toutes les choses défendues par l’Eglise ; d’être modéré en ces jeûnes, afin de pouvoir ouïr les plaintes des sujets et y répondre ; d’être prêt à faire justice à ceux qui la demanderaient, riches ou pauvres indifféremment, de peur aussi qu’une trop grande abstinence ne portât préjudice au bien du peuple et au gouvernement de la chose publique, ou qu’un excès démesuré ne le rendît plus lâche et plus faible, pour donner audience à tous.

De plus, il lui fut montré en quelle manière il servirait Dieu et le prierait ; en quels jours et en quel temps il quitterait toute autre occupation pour le bien du public et pour le bien général de son royaume ; en quels jours il porterait la couronne royale à l’honneur et à la gloire de Dieu. Il fut aussi averti de communiquer ses conseils et traiter de toutes ses délibérations avec des amis de Dieu et des personnes qui aimassent la vérité, et que jamais à escient il ne transgressât la loi et la vérité ; qu’il n’imposât sur son peuple aucun tribut extraordinaire, si ce n’est pour la défense du royaume et pour la guerre contre les infidèles ; d’avoir un certain nombre de serviteurs et de domestique, selon la portée des revenus de son royaume, et quand au surplus, qu’il le distribuât entre les soldats et ses amis. Il lui fut aussi conseillé d’avertir sagement, avec paroles douces et charitable, les insolents, malavisés, et de reprendre et châtier puissamment les superbes et obstinés ; d’aimer les hommes prudents et asservis de longtemps en l’amour de Dieu ; de défendre les habitants de son royaume et faire ses dons et libéralités avec discrétion ; de ne diminuer ou aliéner rien qui appartînt à la couronne; de juger équitablement les étrangers; d’aimer le clergé ; d’obliger à soi le soldat par démonstration de bienveillance, maintenant en paix ses peuples et ses sujets.

p 185

  Ces choses ouïes, le diable répondit au Juge, disant : Et moi je conseillai au roi de faire quelques péchés qu’il n’osait faire en public. Je lui persuadai aussi de lire par un fort long temps, sans attention et sans dévotion de coeur, plusieurs oraisons et psaumes, afin que, prolongeant ainsi et employant inutilement le temps, il n’ouît les plaintes de personne et qu’il ne rendît point de justice à celui qui souffrait injure. Je lui donnai aussi avis de choisir un homme sans faire état de tous les autres gens de bien de son royaume, de l’élever par-dessus tous, de lui donner commandement sur tous, de l’aimer de tout son coeur et plus que soi-même, de haïr son fils au prix de lui, de grever par exactions ses sujets, de tuer les hommes, de dépouiller les églises ; davantage de permettre, en dissimulant la justice, qu’un chacun portât dommage à autrui, et de donner quelques terres appartenant à sa couronne à un grand prince d’un autre royaume, mon frère et mon ami juré, afin qu’à l’occasion de cette aliénation, il fût suscité des guerres et des trahisons ; que les justes et gens de bien fussent affligés, les mauvais plongés plus avant dans l’enfer, ceux qui iraient en purgatoire tourmentés davantage ; que les femmes fussent violées, les navires pris et pillés en la mer, les sacrements de l’Eglise méprisés ; que la vie luxurieuse fût continuée avec plus de liberté, et toutes mes volontés accomplies avec plus de licence. C’est pourquoi, ô Juge, on peut savoir et prouver par tous ces traits que le roi a commis plusieurs autres péchés, s’il a obéi à vos conseils ou aux miens.

p 186

  La Justice, après ceci, vint à parler et répondre, en disant : Parce que le roi a eu la vertu en haine et a méprisé la vérité, à cette cause, c’est maintenant à toi d’accroître au roi quelques maux du grand nombre des tiens, et je dois, selon la justice, lui diminuer quelques biens des grâces qui lui ont été données.

Le diable répondit : J’accroîtrai, ô Juge, et multiplierai mes dons au roi, et premièrement je lui enverrai la négligence, afin qu’il ne considère point en son erreur les oeuvres de Dieu, et qu’il ne pense point aux oeuvres et aux exemples de vos amis.

La Justice répondit : Et moi je lui diminuerai les infusions de mon Saint-Esprit. Je lui ôterai les bons souvenirs, et les douces consolations qu’il a eues par ci-devant.

Et lors le diable : Je lui enverrai l’audace de penser et de faire dix péchés mortel et véniels sans honte aucune.

La Justice répondit : Je lui diminuerai la raison et la discrétion, afin qu’il ne considère et ne discerne point les jugements et la peine des péchés mortels et des péchés véniels.


p 187


Et lors le diable dit : Je lui enverrai la crainte, afin qu’il n’ose parler ou faire justice des ennemis de Dieu.

A quoi la Justice : Je lui diminuerai la prudence et la science de ce qui est à faire, afin qu’il soit plus semblable à un badin et à un bouffon qu’à un homme sage.

Le diable dit : Je lui mettrai dans le coeur des tribulations et des inquiétudes, d’autant qu’il ne prospérera pas selon sa volonté.

La Justice : Je lui diminuerai les consolations spirituelles qu’autrefois il a eues en ses oeuvres et en ses oraisons.

Le diable : Je lui mettrai en l’esprit la ruse pour trouver de subtiles inventions par lesquelles il supplante et trompe ceux dont il désire la perdition.

La Justice : Je lui diminuerai l’entendement en telle sorte qu’il ne prendra pas garde à son honneur et à sa commodité propre.

Le diable : Je lui mettrai une telle réjouissance en l’esprit que même il se réjouira de sa honte, de la perte et du danger de son âme, pourvu que temporellement il puisse prospérer à souhait et selon son désir.

La Justice ; Je lui diminuerai cette considération et préméditation qu’ont les sages en leurs paroles et actions.

Le diable : Je lui donnerai une audace de femme, une crainte messéante, et des gestes tels qu’il sera plus semblable à un ribaud qu’à un roi couronné.

p 188

  La Justice dit alors : Celui qui se sépare de Dieu est digne d’un tel jugement, car il doit être méprisé par ses amis, haï de tout le peuple et rejeté par les ennemis de Dieu, parce qu’il a abusé des dons de la divine charité, tant spirituels que corporels.

La Vérité alors parla et dit : Tout ce qui a été montré n’est pas pour les mérites du roi, l’âme duquel n’est pas encore jugée, mais elle le sera au dernier moment où elle sera appelée de ce monde.

Ces choses dites, je vis que ces trois, savoir, la Vertu, la Vérité et la Justice, étaient semblables au Juge qui parlait auparavant. Et lors j’ouïs une voix comme d’un choeur public qui disait : O cieux, et vous, étoiles du firmament, avec les planètes donnez audience ! Et vous, esprit qui êtes dans les ténèbres, écoutez tous. L’Empereur souverain veut ouïr et faire jugement des princes de la terre.

Et soudain les choses que je vis n’étaient pas corporelles, mais spirituelles, et mes yeux spirituels étaient ouverts pour voir et pour ouïr. Et lors je vis venir Abraham avec tous les saints venus de sa génération. Tous les patriarches et les prophètes vinrent. Après, je vis les quatre évangélistes, la forme desquels était semblable aux quatre animaux qu’on dépeint ès murailles dans le monde, animaux qui toutefois paraissent vivants et non morts. Après je vis douze sièges, et en iceux les douze apôtres, attendant la Puissance qui venait. Après tout ceci venaient Adam et Eve, avec les martyrs, les confesseurs et tous les autres saints descendus d’eux. L’humanité de Jésus-Christ ne paraissait pas encore, ni le corps béni de sa Mère, mais tous attendaient qu’ils vinssent. La terre et l’eau semblaient s’élever jusqu’au ciel, et tout ce qui était en iceux s’humiliait et se courbait devant la Puissance


p 189

. Après je vis un autel qui était au siège de la majesté, et un calice avec du vin et de l’eau, et du pain en forme de l’hostie qu’on montre à l’autel. Et lors je vis comme dans une église du monde un prêtre revêtu des ornements sacerdotaux commencer la messe, lequel ayant fait toutes les cérémonies et dit les oraisons accoutumées, comme il fut venu aux paroles avec lesquelles on bénit le pain, je voyais que le soleil, la lune, les étoiles et les planètes, tous les cieux avec leurs mouvements, retentissaient d’une douce harmonie, et leurs voix se répondant les unes aux autres, on oyait un chant et une mélodie admirables. On voyait aussi une infinité de musiciens de toute sorte, dont les accords étaient si doux qu’il serait impossible aux sens de les comprendre et de les dire. Ceux qui étaient dans la lumière regardaient le prêtre, et s’inclinaient avec révérence et honneur devant la Puissance, mais ceux qui étaient en ténèbres étaient lors effrayés et tremblants.

Le prêtre donc ayant proféré les paroles divines sur le pain, il me semblait que ce même pain était en trois figures au siège de la majesté, demeurant néanmoins entre les mains du prêtre. Ce pain devenait un agneau vivant, et en l’agneau se voyait une face d’homme, et on voyait aussi une flamme ardente au dedans et au dehors de l’agneau et de la face. Et comme je regardais attentivement et fixement la face, je voyais l’agneau en icelle. Et regardant l’agneau, je voyais la même face en icelui. Et une vierge couronnée était assise avec l’agneau, et tous les anges les servaient, desquels on voyait un nombre aussi grand que celui des atomes dans le soleil, et une splendeur merveilleuse procédait de l’agneau. La multitude aussi des âmes saintes était si grande que mes yeux ne pouvaient arriver à la longueur, largeur, profondeur et hauteur d’icelle. Je vis aussi quelques sièges vides, qui doivent encore être remplis pour la gloire de Dieu.

p 190

  Et lors j’ouïs une voix de la terre d’une infinité de millions qui criaient et disaient : O Seigneur, juste Juge, jugez nos rois et nos princes, et considérez l’effusion de notre sang, les douleurs et les larmes de nos femmes et de nos enfants. Regardez la faim que nous endurons, la honte, les plaies, la captivité, l’embrasement de nos maisons, les ravissements et les violences exercées contre l’honneur des jeunes filles et des femmes, les injures faites aux églises et à tout le clergé.

Voici les fausses et trompeuses promesses des princes et des rois, les trahisons et exactions qu’ils font avec colère et violence, d’autant qu’ils ne se soucient pas combien de milliers il en meurt, pourvu qu’ils puissent étendre et dilater leur superbe. Il y en avait après comme des milliers infinis qui, du profond des enfers, criaient et disaient : O Juge, nous savons que vous êtes créateur de toutes choses : jugez donc nos maîtres et seigneurs, que nous avons servis en terre, car ce sont eux qui nous ont plongés plus avant encore dans l’enfer. Et bien que nous vous désirions du mal, toutefois la justice nous force de nous plaindre et de dire la vérité, car nos seigneurs terriens nous ont aimés sans charité, ne se souciant pas plus de nos âmes que des chiens, leur étant indifférent si nous vous aimions ou non, désirant seulement d’être aimés et servis de nous : c’est pourquoi ils sont indignes du ciel, parce qu’ils ne se soucient pas de vous, et dignes de l’enfer, si votre grâce ne leur aide, d’autant qu’ils nous ont perdus, et nous voudrions endurer des peines encore plus graves que nous n’endurons, afin que leur peines n’eût point de fin.

p 191

  Après, ceux qui étaient en purgatoire criaient aussi et semblaient dire : O Juge, nous avons été, par votre jugement, envoyés au purgatoire, à cause de la contrition et bonne volonté que nous avons eues à la fin de notre vie. C’est pourquoi nous nous plaignons de nos maîtres et seigneurs qui vivent encore en terre, car ils devaient nous avoir régis, avertis et repris de parole, nous avoir enseignés par leurs conseils salutaires et bons exemples. Mais c’étaient eux qui nous poussaient et encourageaient le plus à mal faire et à commettre des péchés : c’est pourquoi, à cause d’iceux, notre peine est maintenant plus griève, le temps d’icelle plus long, la honte et la tribulation sont plus grandes.

Abraham avec tous les patriarches parla après, disant : O Dieu, entre toutes les choses désirables, nous désirions que votre Fils, qui maintenant est méprisé, naquît de notre race. C’est pourquoi nous demandons jugement sur eux, d’autant qu’ils n’ont point d’égard à votre miséricorde et ne craigne point votre jugement.

Les prophètes aussi parlèrent et dirent : Nous avons prophétisé la venue du Fils de Dieu, et dit qu’il était nécessaire que, pour la délivrance du peuple, il naquît d’une vierge, qu’il fût trahi, fait prisonnier, flagellé, couronné d’épines, et enfin qu’il mourût en croix pour ouvrir le ciel et effacer le péché. Or, d’autant que ce que nous avons prédit est maintenant accompli, c’est pourquoi nous demandons jugement sur les princes de la terre méprisants votre Fils, qui, par son immense charité, est mort pour eux.

p 192

  Les évangélistes aussi parlèrent et dirent : Nous sommes témoins que votre Fils a accompli en soi-même toutes les choses qui avaient été prédites.

Les apôtres dirent ensuite : Nous sommes juges ; c’est pourquoi c’est à nous de juger selon la vérité. Nous jugeons donc à perdition ceux qui méprisent le corps de Dieu et ses commandements.

Lors la Vierge, qui était assise près de l’agneau, commença à dire : O mon Seigneur et mon doux Jésus, ayez pitié d’eux.

Le Juge répondit : Ce n’est pas justice que de vous refuser quelque chose. Ceux qui se déporteront du péché et feront une pénitence condigne, trouveront miséricorde, et je détournerai d’eux le jugement.

Après, je vis que la face qu’on voyait en l’agneau parlait au roi et lui disait : Je vous ai fait une grâce, car je vous ai montré ma volonté comment vous vous comporteriez au gouvernement de votre état, et comment vous vous gouverneriez vous-même honnêtement et avec prudence. Je vous attirais comme une mère attire son petit enfant, avec les douces paroles de ma charité, et vous donnais de la terreur par mes avertissements, comme fait un père à son fils. Mais vous, obéissant au diable, vous m’avez rejeté bien loin de vous, comme fais une mère qui rejette un enfant mort-né, qu’elle ne daigne toucher, encore moins lui présenter sa mamelle et le lui mettre sur la bouche : c’est pourquoi tous les biens qui vous avaient été promis vous serons ôtés et donnés à quelqu’un qui viendra après vous.
p 193

  Après, la Vierge, qui était assise avec l’agneau, me parlait et me disait : Je vous veux faire savoir comment est-ce que vous a été donnée l’intelligence des visions spirituelles, car les saints ont reçu le Saint-Esprit en diverses manières, car quelques-uns D’eux savaient le temps où adviendraient les choses qui leur étaient montrées, comme les prophètes ; les autres savaient en esprit ce qu’ils répondraient aux personnes venant vers vous, lorsqu’ils seraient interrogés sur quelque chose ; les autre savaient si ceux-là étaient morts ou vivants, qui étaient loin d’eux ; quelques-uns savaient quelle fin et quelle issue pourrait avoir quelque bataille avant qu’elle se donnât. Mais à vous il n’est pas permis de savoir autre chose, sinon de voir et d’ouïr des choses spirituelles, écrire ce que vous voyez, et de dire aux personne auxquelles il vous est enjoint de les dire ; et il ne vous est pas permis de savoir si ceux-là sont en vie ou morts auxquels il vous est commandé d’écrire, ou s’ils obéiront ou non aux conseils de votre écriture ou à la vision spirituelle qui vous est divinement donnée pour eux. Mais bien que ce roi ait méprisé mes paroles, toutefois viendra quelque autre qui les recevra avec honneur et révérence, et en usera pour son salut.


p194


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 8049