Révélations de Sainte Brigitte de Suède 9070

Chapitre 70

9070   Jésus-Christ promet ici de pouvoir à son épouse et aux siens pour l’amour d’elle.

  Un pauvre de la famille de sainte Brigitte lui vint au-devant près de Ludosia, dans le royaume de Suède, et la pria d’avoir pitié de lui, car étant près de marier sa fille, sa pauvreté l’en empêchait. Sainte Brigitte, ayant su de son maître d’hôtel combien elle avait d’argent, dit : Donnez à ce pauvre la troisième partie de cet argent, afin que sa fille, étant consolée, prie Dieu pour nous. Etant entrés dans la ville, ils trouvèrent à la porte du logis de sainte Brigitte plusieurs pauvres assemblés, auxquels elle commanda qu’on donnât l’aumône.

Le maître d’hôtel répondit qu’il ne pouvait seulement payer la dépense qu’on ferait au logis, si on n’empruntait de l’argent. Pourquoi faites-vous de si grande largesses ? C’est peut-être une grande perfection d’emprunter à autrui pour donner aux pauvres.
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  Sainte Brigitte répliqua : Donnons pendant que nous en avons, car Dieu nous en donne largement lorsque nous en avons besoin. Je suis réservée à ces pauvres, car ils n’ont d’autre soulagement ; mais moi, quand je suis en nécessité, je me résigne entièrement à la volonté de Dieu.

Or, comme sainte Brigitte était en prières, assistant à la messe dans l’église, elle ouït Jésus-Christ disant : Ma fille est comme celle qui se hâte tant d’aller à son époux qu’elle en oublie son père et sa mère, et tout ce qu’elle a, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé celui qu’elle cherche. Que fera donc l’époux ? Il enverra des serviteurs, et fera venir après l’épouse tout ce qui est à elle. Ainsi, à cause de ta charité, nous pourvoyons à toi et aux tiens, ô fille, car comme ma charité m’a fait entrer dans le ventre de la Vierge, ainsi la charité de l’homme fait entrer Dieu dans l’âme de l’homme.


Chapitre 71

9071   Saint Jean-Baptiste parle à sainte Brigitte d’un certain qu’on croit avoir été maître Pierre Olavi, son confesseur, duquel il a été parlé ci-devant.


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  O fille, tu ne dois être en émoi de la victoire de ton ami spirituel. Le champion, ami de Dieu, a remporté sur l’ennemi de Dieu une belle victoire. L’ennemi courait après, le voulant surprendre et l’offenser, en le faisant mettre en colère contre des voleurs qui le dépouillèrent. Mais il perça son ennemi du même trait qu’il était attaqué, car au lieu de se mettre en colère, après qu’ils lui eurent tout ôté, il leur dit : Mes amis, s’il vous plaît de boire, il y a encore du vin dans la bouteille. Il transperça encore son ennemi d’une autre lance, quand sans aucune impatience, il baillait sa tunique à ces voleurs qui lui avaient ôté la chape. Il blessa encore plus profondément son ennemi d’une troisième lance, quand, étant demeuré à nu, il rendait grâces à Dieu pour toutes ces tribulations, et priait avec ardente charité pour ces voleurs, qui l’avaient ainsi dépouillé, après quoi il se mit en chemin sans honte de sa nudité, de laquelle victoire toute notre cour se réjouissait.

Chapitre 72 Saint Botuidus a mérité beaucoup de grâces à sainte Brigitte

9072   Saint Botuidus a mérité beaucoup de grâces à sainte Brigitte.

  Un saint personnage du royaume de Suède, nommé Botuidus, apparut à sainte Brigitte, étant comme en extase, quatre ans avant sa mort, et lui dit : Je t’ai mérité cette grâce de Dieu avec les autres saints, que tu pusses voir et ouïr les choses spirituelles, et que l’Esprit de Dieu enflamme ton âme.


Chapitre 73 Les royaumes sont quelquefois détruits à cause des mauvais princes

9073   Les royaumes sont quelquefois détruits à cause des mauvais princes, et comme un roi doit vivre selon Dieu.


p 287

  Le Fils de Dieu parle : Comme pour la charité d’un homme, un royaume est sauvé, ainsi est-il quelquefois perdu pour les mauvaises inventions et surcharges, comme je t’en dis un exemple d’un dont le roi, se confiant moins en Dieu qu’en l’argent qu’il levait sur son peuple et sur les étrangers frauduleusement sous couleur de justice, en a enfin perdu la vie, laissé son royaume en trouble, et ses mauvaises inventions sont passées en coutume et ont force de loi ; mais s’il se confie en Dieu et exige charitablement le secours de son peuple, Dieu le peut sauver avec peu et le remettre plus tôt en paix, à cause de sa charité. Si donc le roi désire de prospérer, qu’il garde sa promesse à Dieu et la justice à son peuple, prenant soigneusement garde de s’introduire de nouvelles inventions et subtilités pour le surcharger ; qu’aux affaires d’importance, il suive le conseil de ceux qui ont la crainte de Dieu, et non des avares, car il vaut mieux souffrir quelque adversité en ce monde que manquer à escient contre Dieu et contre son âme.


Chapitre 74 Dieu menace grièvement les gens de guerre d’un royaume

9074   Dieu menace grièvement les gens de guerre d’un royaume, et dit qu’il y a trois choses pour apaiser sa justice.

  Le Fils de Dieu parle : Je t’ai dit ci-devant que je voulais, avec le glaive et la colère, visiter l’ordre militaire de ce royaume. Mais ils répondent : Dieu est miséricordieux : il ne nous arrivera pas de mal. Faisons, pour le peu de temps qui nous reste, notre volonté ; c’est pourquoi entends ce que je te dis : Voici que je me veux lever contre eux. Je ne pardonnerai ni à jeune ni à vieux, ni à pauvre ni à riche, ni à juste ni à injuste, mais j’irai avec mon araire et renverserai ce chaume et ces arbres, de sorte que, de mille, il n’en demeurera pas cent, et les maisons demeureront désertes. La racine de cette affliction sera arrachée, et les puissants seront mis à bas. Les oiseaux de rapine feront mille et mille ravages, mangeant ou gâtant ce qui n’est pas à eux.
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  Toutefois ma colère peut être apaisée, si, au lieu de la superbe, de la gourmandise et de la concupiscence qui règne en cet état, on embrasse l’humilité, la modestie dans les habits, la tempérance aux convives, et la continence en ses convoitises. Si le prince de cette terre qui y est remis, a souvent relâché de la justice par injustice et a volé plusieurs, édifie un monastère en l’honneur de ma Mère au lieu que je te marque, je l’aiderai et lui augmenterai mon amour, à lui et à tous ceux qui l’assisteront ; sinon je l’appellerai sous ma couronne, et j’augmenterai d’autant plus ses afflictions et ses calamités, qu’il a eu d’honneur, de gloire et de contentement, et son royaume sera en opprobre, et ses habitants seront en tristesse.


Chapitre 75 Jésus-Christ reprend une certaine dame de plusieurs graves excès

9075   Jésus-Christ reprend une certaine dame de plusieurs graves excès, lui déclare la punition qu’elle mérite pour ses fautes, et qu’en vertu de la pénitence et satisfaction, il change sa justice en miséricorde.


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  L’épouse ouït les discours suivants, que Jésus-Christ tenait à une dame : Tes yeux ont été portés par la curiosité à voir toutes choses voluptueuses, tes oreilles à ouïr bouffonner ou te louer, ta bouche prête à la détraction et à la vanité ; ton ventre, à qui tu n’as rien rien refusé, a été plein de délices. Tu ornais ton corps pour ta louange, et non pour la mienne, au delà de toute croyance. Mes amis étaient à ta porte, misérables, nus et faméliques ; ils criaient et tu ne les voulais ouïr ; s’ils désiraient d’entrer, tu les menaçais de ton indignation ; tu leur reprochais leur misère et te moquais d’eux, au lieu d’en avoir compassion. Tout travail entrepris pour l’honneur de ton corps te semblait léger, mais au contraire pesant, et comme insupportable tout ce qui était pour mon honneur. Tu te couchais et levais à ton plaisir, sans avoir égard à ma justice. Tu cherchais tout ce qui ne semblait beau au monde, et tu as méprisé le Créateur du monde.

Pour ce, si je te traitais selon la justice, pour la superbe de ton maintien et de tes actions, tu serais en abomination à toutes les créatures, confuse de honte et d’opprobres. Pour ta luxure, tes membres seraient tous séparés l’un d’avec l’autre, ta chair consumée en pourriture, ta peau si bouffie qu’elle en romprait, tes yeux arrachés, ta bouche de travers, ton nez, tes pieds et tes mains tronqués. Pour avoir méprisé les pauvres et mes amis, et pour ton avarice, tu mérites d’être saisie d’une faim si enragée que tu déchirasses ta chair et dévorasses les excréments de ton corps, sans en sentir aucun soulagement. Pour ta paresse, tu serais en perpétuelle misère et tristesse. Pour la faveur et amour des hommes, que tu as tant recherchés, et non le mien, tu mérites d’être tellement abandonnée de tous, que tes plus grand amis, et même tes enfants, t’eussent en horreur et s’éloignassent de toi comme d’une charogne puante et insupportable à leur vue, aimant cent fois mieux ouïr les nouvelles de ta mort qu’avoir la rencontre de ton entrevue. Pour les maux que tu as faits à ton prochain, lui ravissant ou retenant son bien, pour en accroître ta superbe, tu devrais être hachée à petits morceaux, et pour n’avoir eu compassion de ses misères, tu devrais être sciée en plusieurs pièces et piquée de plusieurs poinçons bien acérés. Pour l’envie et la colère dont tu étais gonflée, tu mériterais d’être dévorée des démons et brisée sous leurs dents comme farine, sans pouvoir mourir, capable de souffrir à jamais le même supplice :
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  Néanmoins, parce que je suis miséricordieux, et ne fais point justice sans miséricorde, ni miséricorde sans justice, je suis prêt à faire miséricorde à tous ceux qui font pénitence, sans quitter pourtant la justice, car je ne fais que modérer les peines, en quoi je ne fais tort, ni aux démons dans l’enfer, ni aux bons anges dans le ciel. Bref ayant offensé Dieu par toutes les parties de ton corps, tu dois en toutes en faire pénitence, pour recouvrer, par un petit travail, un grand repos et des biens inestimables. Que ta bouche soit fermée au babil et parole indiscrètes, tes oreilles bouchées à la détraction, tes yeux clos aux regards curieux et inutiles. Que tes mains soient toujours ouvertes pour donner libéralement aux pauvres ; fléchis tes genoux pour leur laver les pieds. Privé ton corps de toutes délices, et le remets à tel point que le trop de gaillardise ne lui nuise à la persévérance de mon service. Que tes vêtements soient tellement accommodés à la modestie, que la nécessité ou l’utilité seule y ayant place, pas un fil ne puisse donner soupçon de superbe.


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Chapitre 76

9076   Jésus-Christ parle : Dis à ton maître qu’il hausse sa voix et ne cesse de publier que je viendrai bientôt, et qu’heureux seront ceux qui seront véritablement humbles.

Chapitre 77 Le royaume de Suède est grandement menacé

9077   Le royaume de Suède est grandement menacé.

  Le Fils de Dieu parle : Je sillonnerai cette terre avec justice et tribulation jusques à ce que les habitants apprennent à demander miséricorde à Dieu


Chapitre 78 cinq rois semblables aux brutes,et d’un sixième qui est menacé d’être dépossédé

9078   Il est ici parlé de cinq rois semblables aux brutes,et d’un sixième qui est menacé d’être dépossédé de son royaume, et de plusieurs filles affligées.

  Le Fils de Dieu parle : Je t’ai ci-devant fait voir cinq rois et leurs royaumes :

le premier, âne couronné, parce que, dégénérant des bons princes, il a honni son honneur et sa gloire :

le deuxième, loup insatiable, a, par son imprudence, enrichi ses ennemis ;

le troisième, aigle sublime, méprisant tout le monde ;

le quatrième, bélier volage, frappant, avançant et brisant, tournant à son profit la justice de Dieu ;

le cinquième, agneau occis, non sans tache, de qui le sang épandu a causé beaucoup de troubles et de subversions.


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Maintenant je te fais voir le sixième roi, qui troublera la terre et la mer, attristera les simples, déshonorera la terre de mes saints et la couvrira du sang des innocents, et qui, par son audace, s’est arrogé la vengeance qui m’est réservée : c’est pourquoi, s’il ne prend vitement garde à soi, la foudre de mes jugements l’écrasera, et son royaume sera abandonné à la tribulation, de sorte qu’il arrivera ce qui est écrit dans les sacrés cahiers : Ils sèment le vent et la volupté, et ne recueilleront que troubles et angoisses. Je visiterai en outre les grandes et opulentes cités, suscitant un affamé qui dévorera tout ce qu’il y aura de beau et de bon; leurs maux particuliers n’auront point de fin; les discordes foisonneront; les insensés auront le maniement des affaires; les vieillards et les sages n’oseront lever la tête; l’honneur et la vérité seront mis à bas et foulés, jusques à ce que vienne celui qui apaisera mon ire et qui mettra son âme pour la défense et le soutien de l’équité.


Chapitre 79 beaux enseignements aux évêques pour se conserver en grâce et fuir les tentations

9079   Jésus-Christ, parlant des deux qui ont, à diverses considérations, été appelés (matière épiscopale), donne ici de beaux enseignements aux évêques pour se conserver en grâce et fuir les tentations.

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Le Fils de Dieu parle : Souviens-toi que je t’ai envoyé au maître que j’ai nommé, sujet pour faire un évêque, et que, pour quatre raisons, on pouvait demander qu’il le fût, et toutefois il ne l’a pas été, parce que les jugements de Dieu sont disposés autrement que ceux des hommes, et parce qu’il a voulu posséder Dieu sans supporter aucun mépris du monde.

Je te parle maintenant d’un autre que j’appelle bois ou matière à faire un évêque, et que je chéris fort, le corps duquel je conforterai et sauverai des pièges du diable. Sa conscience ne sera jamais obscurcie par les piperies de Satan; son âme me sera offerte par ma Mère; auquel aussi je demande trois choses : 1° qu’il marche avec prudence et ne s’avance au-delà de ce qu’il doit; 2° qu’il franchisse les murailles et les fossés, pour me présenter ce que j’aime le plus, savoir, les âmes; 3° qu’il ne mette son pied gauche devant son pied droit, et qu’il ne lève jamais un pied qu’il n’ait auparavant bien affermi l’autre.

Que signifient ces paroles : Qu’il marche avec prudence, sinon qu’il doit être prudent et bien avisé en ses tentations, ne faisant pas trop d’abstinence, de peur qu’il n’en demeure par trop faible et débile, ne flattant aussi son corps plus qu’il ne faut, de peur que la chair ne se rende insolente et revêche à l’esprit? Par les murs et fossés qu’il doit franchir sont entendus tous les obstacles, contrariétés et répugnances qui peuvent empêcher ou relâcher celui qui m’aime de gagner les âmes. Or, ces obstacles sont la crainte des grands, les faveurs qu’on départ aux flatteurs, les menaces des méchants la honte et dommage du monde, l’amitié de nos amis charnels, notre repos et intérêt particulier quel qu’il soit. Celui qui m’aimera passera au-dessus de tous ces empêchements, porté par la confiance en Dieu, par la fermeté de la foi, par la douceur et le désir de la vie céleste. Les fossés sont les tentations de la chair, les suggestions des esprits immondes, la lâcheté des âmes, la joie et tristesse immodérées, l’endurcissement au mal, la froideur ou tiédeur au bien.
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Que mon évêque surmonte toutes ces difficultés par la consolation des Écritures saintes, par les exemples et vies des saints, par la méditation des miséricordes que Dieu lui a faites, par la contrition de ses péchés, par la fréquentation des sacrements, par la considération des jugements de Dieu, par l’appréhension de la mort, d’autant plus épouvantable que l’heure en est incertaine.

Si l’évêque franchit ces murs et ces fossés, il pourra m’acquérir un grand et précieux trésor, savoir, les âmes. Je serai toujours avec lui en son coeur et en sa bouche, et conserverai son corps et son âme des embûches des méchants. Le diable ne laissera pourtant de lui livrer plusieurs assauts, de tous lesquels je le préserverai. Ses deux pieds sont deux désirs de plaire, l’un à Dieu, pour obtenir la vie éternelle, l’autre aux hommes, pour s’acheminer à Dieu.

Que l’évêque étende donc son pied gauche, c’est-à-dire, qu’il plaise aux hommes par ses salutaires admonitions, par sa sainte conversation, par une paternelle compassion des dévoyés, de sorte qu’il ne se fourvoie des commandements de Dieu, ou ne lui déplaise tant soit peu. Qu’il étende son pied droit, je veux dire qu’il exerce sa miséricorde sans oublier la justice, parce qu’il est plus glorieux de rendre compte devant Dieu d’une miséricorde modérée que d’une équité surabondante. Ces paroles : Que l’évêque ne lève pas un pied qu’il n’ait auparavant affermit l’autre, signifient qu’il ne doit exercer son zèle et affection envers les délinquants, qu’au préalable il ne soit bien et dûment informé de la vérité, car il ne se doit pas croire plus saint que David, qui toutefois a manqué à rendre justice, quoiqu’ayant connu la vérité, et s’est corrigé, suivant le conseil de la Sapience éternelle.

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Chapitre 80 conseils aux princes d’un royaume, afin que le roi d’icelui se corrige de quelques excès

9080   La bienheureuse Vierge donne ici quelques conseils aux princes d’un royaume, afin que le roi d’icelui se corrige de quelques excès.

  La Vierge Marie, Mère de Dieu, parlait à l’épouse de Jésus-Christ, disant : Je suis celle à qui l’ange dit : Je vous salue, pleine de grâce : c’est pourquoi aussi je présente ma grâce à tous les nécessiteux qui me la demandent, et offre mon secours pour le gouvernement du royaume où vous êtes née, contre les ennemis corporels et spirituels, les habitants duquel j’avertis de travailler unanimement, afin qu’ils obtiennent un roi qui veuille gouverner les habitants aux oeuvres dévotes et à la conversation honnête, auxquels faites savoir que la divine justice propose de séparer le roi et toute sa génération du gouvernement de ce royaume, et d’élire roi un autre né dans le royaume, qui régnera selon le conseil des amis de Dieu et l'utilité du royaume.
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  Faites donc quatre choses selon mon conseil, afin que vous puissiez attirer à vous plusieurs; ayez ce conseil secrètement avec les amis de Dieu et caché à ses ennemis, afin que l’honneur de Dieu soit augmenté, que la bonne conscience soit renouvelée, et que les choses aliénées de la couronne soient rétablies.

Donc, qu’un de vous ou plusieurs aillent au roi, lui disant : Nous avons à vous dire des choses qui touchent le salut de votre âme, que nous vous prions de tenir comme sous le sceau de confession; ajoutez-y aussi plusieurs paroles, comme vous trouverez expédient, pourvu que le sens en soit tel : Vous avez une mauvaise renommée en tout votre royaume : on dit,

1° que vous êtes sodomite, ce qui est vraisemblable, d’autant que vous aimez plus quelques hommes que Dieu, votre âme et votre femme;

2° on doute si vous avez une foi droite, car étant interdit par l’Église, vous entrez dans l’église et y oyez la messe;

3° vous êtes un larron de votre couronne et des biens du royaume;

4° vous êtes traître à vos domestiques et à vos sujets qui vous servaient fidèlement, vous et votre fils, et que vous avez volontairement livrés ès mains de leurs ennemis très méchants, en considération desquels la terre de Satan n’a jamais été assurée en leurs mains, tandis qu’ils ont vécu.

  Si vous êtes résolu d’amender vos péchés et de recouvrer les terres aliénées, nous vous servirons; si autrement, commettez-en l’affaire à votre fils sous jurement de les recouvrer, d’aimer le bien public, d’assister les soldats qui vous sont fidèles et de gouverner toutes choses selon les lois de la patrie. Sachez néanmoins que Dieu a prévu et pourvu pour soi un roi pour l’avenir, qui puisse avec moins de dommage et de danger, pourvoir à son royaume, car le Seigneur a puissance d’abréger aussi bien la vie du jeune que du vieux, ou le chasser autrement de son royaume ou le protéger. Que s’il ne veut obéir, que vous consultiez secrètement quelques-uns des princes et chevaliers du royaume, et quand vous trouverez quelques-uns bienveillants, inclinants et fidèles à ce, dites-leur en public que vous avez dit en secret que vous ne voulez point servir aucun hérétique, ni traître, ni même son fils, s’il désire être imitateur des crimes de son père. Cela étant fait, élisez prince un de vous, qui puisse combattre de la part de la couronne, lequel étant élu, s'il est parfait en bonté, sera mon ami; s’il ne l’est, il sera mon ennemi et sera bientôt effacé. Vous lui baillerez de l'argent et choses semblables, et moi, je lui donnerai un coeur généreux, afin que celui qui n’a voulu obéir franchement, obéisse par contrainte. Que si le roi se veut retirer de son royaume, donnez-vous garde de l’imiter.

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Chapitre 81 D’une grâce signalée donnée à sainte Brigitte

9081   D’une grâce signalée donnée à sainte Brigitte.

  L’épouse de Jésus-Christ eut ce grand don du Saint-Esprit, que toutes fois et quantes que les hommes sales et superbes s’approchaient d’elle, elle sentait une si mauvaise puanteur qu’à grand’peine elle la pouvait supporter, d’où vient qu’un jour un homme tout plein de péchés, s’approchant d’elle, lui dit : Que dites-vous de l’esprit que vous dites avoir? Est-il de vous ou de quelque autre, ou peut-être du démon?

Mais elle, ne pouvant à grand’peine supporter sa puanteur, lui dit : Vous avez un hôte bien puant, et il est tout ce que vous dites. Faites donc pénitence, de peur que la vengeance divine ne vous assaille. Lequel, étant en fureur, se retira, et étant endormi, il ouït des voix innombrables des démons qui disaient : Tirons ces gens-ci au lieu des pourceaux, car il a méprisé les avertissements de salut, lequel, retournant à soi-même, corrigea par la grâce de Dieu sa vie criminelle. Et puis, la puanteur étant ôtée, la bonne odeur prit sa place.

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Chapitre 82 Exhortation à la contemplation et à la pénitence

9082   Exhortation à la contemplation et à la pénitence.

  Notre-Seigneur Jésus-Christ parle : Je suis le Dieu de tous, dont Moïse ouït la voix dans le buisson, Jean au Jourdain et Pierre en la montagne. J’ai crié à vous, ô hommes, avec miséricorde; j’ai crié en la croix pour vous avec larmes : Ouvrez les yeux et regardez-moi, car moi qui parle, je suis très puissant, très pieux, et avec tout cela, très beau sur toutes choses. Voyez, et informez-vous de ma puissance en la vieille loi, et vous la trouverez en la création de toutes les créatures; et encore je suis admirable et formidable; vous trouverez ma force ès rois qui ont été rebelles, ma sapience en la création et la disposition des visages humains, en la sagesse des prophètes; informez-vous en la domination de la loi et en l’affranchissement de mon peuple. Voyez ma justice au premier ange et au premier homme; voyez-la au déluge; voyez-la en la subversion des cités et des villes; voyez ma patience à supporter mes ennemis; voyez-la aux avertissements par mes prophètes; enfin voyez et considérez ma beauté en l’éclat et opération des éléments, en la glorification de Moïse, et lors voyez combien dignement vous m’aimez et me devez aimer. Voyez encore que je suis celui-là même qui parlait en la nouvelle loi, très puissant et très pauvre : très- puissant en l’adoration des mages et en la démonstration de l'étoile; très pauvre, ayant été enveloppé de langes et couché dans une crèche.

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  Voyez-moi encore réputé très sage et très fou : très sage, puisque les adversaires ne pouvaient me répondre; très fou, étant repris de mensonge, et jugé comme coupable. Voyez-moi très vertueux et très méprisé : très vertueux en la guérison des malades et à chasser les diables; très méprisé, étant fouetté en tous mes membres. Voyez qu’étant très juste, je suis réputé très injuste : je suis très juste en l’institution de la vérité et de la justice; réputé très injuste, étant condamné à une mort si horrible. Voyez-moi encore très pieux, et être traité d’une manière très impie : très pieux en la rédemption et l’abolition des péchés; traité d’une manière impie, étant en un gibet avec des larrons. Voyez-moi enfin très beau en la montagne, très laid en la croix, d’autant que je n’avais ni figure ni éclat. Voyez que je suis celui qui parle à vous, qui ai pâti pour l’amour de vous. Contemplez, non avec les yeux de la chair, amis avec ceux de l’esprit. Voyez ce que je demande de vous, ce que je vous ai donné et ce que vous me rendrez. Je vous ai donné l’âme sans souillure, rendez-moi l’âme sans souillures; je pâtissais pour vous, afin que vous me suiviez; je vous ai enseigné, afin que vous viviez, non selon vos volontés, mais selon les miennes. Oyez d’ailleurs ma voix qui vous dit : Faites pénitence. Oyez ma voix qui criait au gibet : J’ai soif de vous. Oyez encore ma voix, qui dit plus hautement : Si vous ne faites pénitence, le malheur vous accablera, malheur qui séchera votre chair, serrera votre âme de crainte; vos moelles se dessécheront ; votre force sera affaiblie ; votre beauté se flétrira ; la vie vous sera à dégoût : vous chercherez la fuite et vous ne la trouverez pas : partant, fuyez vitement à la cachette de mon humilité, de peur que le malheur qui vous menace ne vous arrive. On vous menace afin de l’éviter, et vous l’éviterez, si vous le croyez et le fuyez ; autrement l’évènement donnera foi à mes paroles ; néanmoins en verrez-vous de sages, si je manque à ce que je promets, bien que je patiente, et en patientant, j’attends ce fruit de la conversion.


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Chapitre 83 En quoi on connaît que Jésus-Christ est Dieu

9083   En quoi on connaît que Jésus-Christ est Dieu.

  La Sainte Vierge parlait, disant. En trois choses, en la mort de mon Fils, on pourrait connaître qu’il était Dieu et homme : 1- d’autant que la terre trembla et que les pierres se fendirent ; 2- quand il dit que l’Écriture était accomplie ; 3- quand il dit au larron : Vous serez aujourd’hui avec moi en paradis ; car pas un des saints ne pouvait promettre cela.

Après, le Fils parlait à ceux qui l’environnaient, disant : O mes amis, mes paroles sont éternelles, et vous savez et voyez tout en moi. Pour l’amour néanmoins de celle qui est ici, qui ne pourrait le comprendre sans quelque similitude, je me plains devant vous.
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J’ai eu trois amis au monde : le premier m’a aimé d’autant qu’il m’a goûté, car il pensait en soi-même : Dieu me donne les fruits de la terre et les arbres, les poissons de la mer, et d’ailleurs le corps et l’âme, la santé et tout ce qui est nécessaire ; c’est pourquoi il m’a aimé par la foi et par les oeuvres de charité, aumônes, jeûnes, et ceux-là étaient de bons laïques.

Le deuxième m’a aimé, d’autant qu’il goûtait et voyait : il a goûté que la terre donnait son fruit et que le ciel donnait la pluie. Il vit aussi dans les Écritures comment il fallait vivre, quelles étaient ma vie et mon institution et celles de mes saints. Il considéra à part soi : Les hommes sont comme aveugles et comme morts : donc, puisque Dieu m’a donné la science, je les instruirai ; et ceux-là étaient des prêtres savants qui me louaient et me glorifiaient par oeuvres, menant une bonne vie.

Le troisième m’a goûté et vu, et m’entendant parfaitement, il me considéra ; il m’a aussi goûté avec mon premier ami, quelle utilité lui portaient la terre et le ciel dont il était éclairé ; il vit avec le deuxième, dans les Écritures, ce qu’il fallait fuir et ce qu’il fallait embrasser ; en troisième lieu, il considéra l’amour que je lui avais manifesté. Partant, pour ces trois considérations, il se mortifia par esprit d’amour en trois manières :

1- Il considéra ma nudité et ma pauvreté, et quittant le monde, il embrassa la solitude ;

2- il considéra la patience de mes tribulations ; c’est aussi ce qui fit qu’il embrassa l’abstinence ;

3- il considéra mon obéissance jusques à la mort de la croix, c’est pourquoi il laissa sa volonté ès mains d’autrui ; ceux-ci étaient ceux qui demeuraient dans les cloîtres.

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  Ces trois, mes amis, criaient toujours à moi, et leur voix m’était agréable comme une bonne boisson qui est délectable à un qui a soif. Mais maintenant mes amis se sont retirés de moi, et leur voix m’a été abominable comme la voix des grenouilles.

Le premier, c’est-à-dire, la communauté, dit : Je labourerai la terre, puisqu’elle me donne des fruits agréables dont je vis. C’est de mon industrie que j’ai quelque chose, car si je ne travaillais, je n’aurais rien, sans connaître que c’est moi qui leur donne la vie et la santé, ni m’en remercier ; ils ne considèrent point que c’est moi qui dispose le temps à leurs commodités, et que je prépare l’air du ciel pour rendre la terre fertile ; ils ne considèrent point aussi pour quelle fin je les ai créés et qu’ils me rendront compte de mes oeuvres : c’est pourquoi ils s’en attribuent la louange, et ils vivent selon leurs volontés ; et d’ailleurs, ils me dépouillent de leur droit, d’autant qu’ils ne me paient pas même les dîmes.

Le deuxième dit : Tout ce que j’ai vient de mon industrie, et je le possède de bon droit : partant, je veux vivre selon mes plaisirs ; je tâcherai d’avoir la sapience des hommes, car la sapience divine n’est que folie ; ses commandements sont onéreux, et son exemple est difficile à imiter. Je suis appelé aux honneurs : partant, je me ferai honneur autant que je pourrai, car la joie est d’être grand au monde.

Le troisième dit : J’entrerai dans le monastère, afin d’avoir plus d’honneur que les premiers ; je m’assiérai où je viendrai pour la pauvreté, je ne veux pas que rien me manque. Pour l’abstinence, je veux que cela dépende de mon vouloir ; pour l’obéissance, je ne me soucie point d’obéir à Dieu, pourvu que j’obéisse aux hommes, car pourvu que je leur plaise, il me suffit.
Telle est leur maudite clameur en mes oreilles, et tels ils sont devant moi.

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Chapitre 84 Du choix des païens.

9084   Du choix des païens.

  Jésus dit : Je suis comme un potier qui, avec de la boue, fait une belle image afin de la dorer excellemment. Mais quelque temps s’étant écoulé, le potier, voyant l’image humide et comme déformée à raison de l’humidité, savoir, la bouche tordue et sans beauté comme une bouche de chien, les oreilles pendantes, les yeux renversés, le front et les joues avalées, dit : Vous n’êtes pas digne d’être vêtue d’or. Et la prenant, il la brise et ne fait une autre digne de son or.

Je suis le potier qui ai fait l’homme avec la terre pour l’orner et l’embellir de l’or de ma Divinité. Mais maintenant, l’amour de sa volupté et cupidité l’a tellement déformé qu’il est indigne de mon or, car sa bouche, qui avait été créée pour ma louange, ne dit que cajoleries et plaisanteries nuisibles au prochain ; ses oreilles n’écoutent que les choses terrestres ; ses yeux ne voient que ce qui est voluptueux ; le front d’humilité et de honte est déchu, et la superbe s’y est élevée : c’est pourquoi j’élirai pour moi les pauvres païens méprisés, et je leur dirai : Entrez, et reposez-vous dans les bras de ma charité. Mais vous qui deviez être à moi et m’avez méprisé, vivez selon votre volonté, votre temps ; et à mon temps, au jour du jugement, je vous dirai : Vous aurez autant de tourments que vous avez aimé les voluptés
p 304 Plus que Dieu. Mais celui-ci est venu à moi comme un petit chien, se soumettant à la loi : partant, c’est pourquoi le péché lui est pardonné.


Chapitre 85 De trois choses qui doivent être au coeur de l’homme.

9085   De trois choses qui doivent être au coeur de l’homme.

  La Sainte Vierge Marie parle, disant : En la milice du Roi des anges, il y a trois choses :

1- abondance sans diminution ;

2- la stabilité n’est jamais renversée ;

3- ce qui est luisant n’est jamais noirci.

De même il faut qu’au corps il y ait trois choses, et trois en l’âme :

la première, qui abonde et ne diminue jamais en l’âme, c’est le don du St-Esprit qui est donné à l’âme ;

la deuxième : elle doit être stable ès bonnes oeuvres et ne les renverser point par une mauvaise volonté ;

la troisième doit être reluisante en beauté et progrès des bonnes oeuvres, afin qu’elles ne soient offusquées par la couleur d’une méchante affection ou concupiscence.

Au corps aussi doivent être trois choses : 1- la réflexion ; 2- le labeur ; 3- la défense et abstinence des voluptés charnelles.

Partant, en premier lieu, le sommeil, les veilles et la réflexion doivent être pris avec tempérance, afin que le corps puisse continuer le service de Dieu ; en deuxième lieu, persister au travail avec discrétion ; en troisième lieu, être joyeux et content dans le service de Dieu, et repousser toutes les volontés dépravées dont l’âme est illuminée ; et d’autant que mon ami a lié ses mains par le voeu afin que le corps n’avance sur l’âme, moi, qui suis Reine du ciel et qui suis très aimée et très proche de mon Fils, je l’exempte de son voeu, d’autant que mon Fils le veut ainsi. Je suis celle de laquelle il a commencé sa prédication. Je vous précède par mes prières comme l’astre le soleil, quand je suis mon Fils en gouvernant.

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  Partant, je lui promets de donner à son corps comme il est convenable à la nature, et partant, je veux qu’il mange de la viande les jours de viande, et du poisson le jour de poisson ; et d’ailleurs, je lui donne trois choses :1- la forme ès bonnes oeuvres ; 2- la sapience abondante en son âme ; 3- la force plus grande à proférer les paroles divines avec plus grand zèle. D’abondant, la crainte qu’il a à manger de la viande, je la lui changerai en bien et mérite, de sorte que les viandes qu’il doit prendre lui profiteront pour la force corporelle et spirituelle, de sorte que l’âme fondra d’amour.

Après, le Fils, apparaissant, dit : L’office des apôtres lui est enjoint, c’est pourquoi je lui permets d’user des viandes des apôtres ; certainement les apôtres mangeaient tout ce qu’on leur donnait. De même doit-il faire quant à la réfection du corps, car je l’envoie, non aux Gentils comme mes autres amis, mais aux mauvais chrétiens ; car comme l’épouse qui s’est retirée contemptiblement de son époux, est plus difficilement réunie avec lui que celle qui n’a point goûté la volupté, de même il est plus difficile que les mauvais chrétiens retournent à Dieu, que ceux qui n’ont jamais goûté les paroles de Dieu et la bonté de sa douceur. Partant, puisqu’il est mon ami et que je l’aime intimement, je lui impose la charge la plus pesante. Néanmoins, quand il aura fait tous ces efforts, tout lui sera rendu plus facile. Qu’il soit donc disposé à aller prêcher ès coeurs fertiles, qui apporteront un grand fruit, qui sont la terre de mon Église, laquelle. Etant cultivée par les sages, apportera un grand fruit.

Qu’il marche donc assurément : je serai dans sa bouche et dans son coeur.

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Révélations de Sainte Brigitte de Suède 9070