Révélations de Sainte Brigitte de Suède 9086

Chapitre 86 Du danger de la joie des mondains.

9086 Du danger de la joie des mondains.

  La Sainte Vierge Marie parle : La joie est tempérée lorsqu’on sait pour certain que les pleurs s’ensuivront. Les ris des mondains en seront de même, que les douleurs s’ensuivant en tous les membres, et que le coeur, venant à crever, convertira la joie en tristesse : c’est un grand danger de ne se réconcilier point au juge, avant que le glaive sépare la tête du corps. Un tel danger pend sur la tête de l’homme, quand il ne tâche de se réconcilier à Dieu justement courroucé, avant que l’âme soit séparée du corps.


Chapitre 87 Ceux qui ne veulent laisser les péchés sont indignes de la grâce du Saint-Esprit.

9087   Ceux qui ne veulent laisser les péchés sont indignes de la grâce du Saint-Esprit.

  La Sainte Vierge Marie dit : La coutume est chez vous de donner quelque chose à celui qui vient à vous avec un sac pur et net, et jugez celui- là indigne de recevoir quelque chose de vous, qui ne veut ouvrit ni nettoyer son sac, étant plein de fange et d’ordure : de même en est-il en la vie spirituelle, quand la volonté ne veut quitter ses offenses, la justice veut qu’il ne jouisse point des influences du Saint-Esprit ; et quand la volonté n’est pas d’amender sa vie, il ne mérite point la viande du Saint-Esprit, soit que celui-là soit roi, un César, prêtre, pauvre ou riche.

p 307


Chapitre 88 Du prêt d’argent sans usure.

9088   Du prêt d’argent sans usure.

  Si quelqu’un vous emprunte de l’argent pour l’amour de Dieu, et sachez qu’il n’en offensera pas Dieu, demandez-lui quand il vous le pourra rendre, avisant à ce que vous n’en ayez besoin pour l’entretien de votre maison ; prêtez-lui le superflu sans usure, tant qu’il en a besoin et que vous lui en pouvez prêter, et le jour qu’il vous le rendra, Dieu vous en rendra la récompense pour chaque denier. Que s’il ne vous le rend pas au temps fixé, vous le pouvez demander selon les lois de la patrie sans en rien prendre d’usure, car Dieu vous le rendra, de sorte que vous pouvez acquérir des choses spirituelles avec votre argent plus que non pas si vous le teniez enserré en votre coffre ; mais donnez-vous garde de prendre une seule obole d’usure, si vous en désirez la récompense de Dieu.


Chapitre 89 Du secours de la Sainte Vierge à ceux qui veulent se réconcilier avec Dieu.

9089 Du secours de la Sainte Vierge à ceux qui veulent se réconcilier avec Dieu.

p 308

  Il semblait à sainte Brigitte que la Sainte Vierge était auprès d’elle ; à sa droite étaient plusieurs instruments avec lesquels elle se pouvait défendre de tous les périls et dangers, et qu’à gauche étaient comme des armes propres pour punir ceux qui, par leur mauvaise volonté, s’étaient damnés. Lors la Sainte Vierge dit à l’épouse : Comme vous voyez divers instruments, chacun propre pour son ouvrage, de même je viendrai au secours de tous ceux qui craignent et aiment mon Fils, et qui résistent généreusement contre les tentations de Satan. Ceux-là sont comme assis entre les murs du camp, combattant tous les jours contre les ennemis, les malins esprits, auxquels je viens en défenderesse avec mes armes ; et cependant que les ennemis s’efforcent de percer la muraille et de la détruire, j’y mets un appui ; s’ils s’efforcent de monter par des échelles, je les fais trébucher avec des fourches ; s’ils s’efforcent de faire des trous en la muraille, je les bouche dès l’instant. C’est en cette manière que j’aide tous ceux qui veulent se réconcilier avec mon Fils et ne pécher désormais à escient ; et bien que j’aie nommé trois sortes d’instruments, j’aide et défends mes amis d’un nombre quasi infini d’autres instruments qui sont à gauche : je veux vous en nommer trois.

p 309

  Le premier est mon glaive, qui est fort aigu et tranchant ; le deuxième est un lacet ; le troisième, c’est le bois pour brûler ceux qui ont la volonté de pécher jusques à la fin, à laquelle ils se condamnent aux peines éternelles ; car quand l’homme fait résolution de pécher toute sa vie, il faut que la justice divine le condamne aux peines éternelles ; et comme on a accoutumé de punir les forfaits en terre par diverses morts, de même a-t-on accoutumé de punir en enfer les damnés par divers genres de supplices : partant, quand l’homme veut pécher durant toute sa vie, il est digne que le diable ait puissance sur son corps et sur son âme. Et comme est coupée des os, de même il sera au pouvoir du diable de séparer le corps et l’âme d’une peine très amère, comme si la chair était séparée des os avec une pierre, et qu’il pût vivre longtemps en cette peine.

Sachez néanmoins pour certain que quand quelqu’un serait livré au diable à raison de l’énormité de ses crimes, Dieu ne lui ôterait point la grâce de se repentir, tant que l’âme sera avec le corps et que l’homme sera en bon sens. Mais Dieu abrégera les peines à ceux qui n’obtiendront point le temps de se repentir, afin que le diable n’ait pas autant de puissance, pendant la vie, qu’il en a dans l’enfer ; car comme si quelqu’un sciait le col de quelqu’un pour lui causer une plus grande douleur, de même le diable en fait en enfer contre l’âme vivante en la mort éternelle. Le lacet signifie la douleur que l’âme damnée souffrira après la mort, qui sera plus grande que la vie n’a été longue au monde. Et le diable voudrait que celui qui a volonté de pécher vécût plus longtemps, afin qu’il le pût plus faire endurer dans l’enfer : partant, ma grâce a rompu ce lacet que vous voyez, c’est-à-dire, elle a abrégé la vie misérable de la chair contre la volonté du diable, afin que la peine ne soit si grande que l’ennemi désire. Le diable allume le feu aux coeurs de ses amis, qui vivent en leurs voluptés ; et bien que leur conscience leur dise que cela est contre Dieu, néanmoins, ils veulent satisfaire à leurs voluptés, ne se souciant de Dieu : c’est pourquoi le diable a droit d’allumer autant de fois les feux de l’enfer qu’ils ont accompli dans le monde leurs perverses voluptés.

p 310


Chapitre 90 De la recommandation de saint François et de la répréhension de ses frères.

9090   De la recommandation de saint François et de la répréhension de ses frères.

  Sainte Brigitte, étant en Assise en l’église des Frères mineurs, ouït et vit Jésus-Christ qui lui disait : Mon ami François est descendu, du mont des délices, en une grotte où son pain était la divine charité, sa boisson les larmes continuelles, son lit la méditation de mes oeuvres et de mes commandements. Or, maintenant ses Frères montent en la montagne des soins et des délices du siècle, et ne considèrent point l’humilité et la consolation dont leur père et mes amis jouissaient. Mais dites, qu’avez-vous en votre coeur ? Pourquoi vous troublez-vous ? Oui, dites-le, bien que je sache toutes choses. Elle dit : Je me trouble, d’autant que plusieurs disent que ce saint a controuvé ces indulgences, et quelques-uns disent qu’elles sont nulles.

p 311

  Jésus-Christ lui dit : Celui qui controuve quelque chose est semblable à l’hirondelle qui se laisse emporter aux faveurs des flatteurs ; mais mon ami fut comme un feu embrasé et une pierre enflammée, d’autant qu’il m’avait en soi, moi qui suis le feu divin. Et comme le feu et la paille ne sont pas bien ensemble, de même la fausseté n’a point de lieu où sont la vérité et la charité divines. Or, mon ami François a dit la vérité : et d’autant qu’il voyait la froideur des hommes du monde envers Dieu et la cupidité vers le monde, il me demanda un signe de charité pour animer les hommes à la charité et diminuer leur cupidité. Je lui ai donc octroyé ce don, me le demandant en charité, à moi qui suis la charité même, savoir, que tous ceux qui viendraient en ce lieu vides du péché, seront remplis de bénédiction, et obtiendront indulgence plénière.

La sainte répondit encore : Mais quoi ! ô mon Seigneur, votre lieutenant doit-il révoquer ce que vous avez donné ?

Jésus-Christ répondit : Il est certain, ce que j’ai dit à saint Pierre et à ses successeurs, que tout ce qu’il liera sera lié. Néanmoins plusieurs choses données sont ôtées à raison de la malice des hommes, et les mérites et les grâces sont augmentés à raison de la foi.

Chapitre 91 Que toutes les paroles de la Bible sont de Dieu.

9091   Que toutes les paroles de la Bible sont de Dieu.

p 312

  Dieu le Père parlait de son Fils à sainte Brigitte, disant : Oyez, vous qui admirez les paroles écrites en la Bible. Sachez pour certain que chaque parole est de moi, et elle a sa propre vertu, comme vous voyez que les pierres précieuses ont au monde leurs particulières propriétés naturelles : comme l’aimant a la vertu active d’attirer le fer, quelques autres de moudre le grain, les autres en ciment pour unir les autres pierres, les autres effilent les couteaux, et ainsi chaque pierre a sa vertu : de même en est-il de chaque parole qui est de moi : elle a toutes ses forces, et toutes demeurent stables en la beauté éternelle reluisante au ciel devant la milice céleste, comme les pierres belles et brillantes enchâssées en l’or ; et celui qui est au ciel connaît la vertu singulière de chacune de mes paroles.


Chapitre 92 De la consolation que saint Denis donna à sainte Brigitte.

9092   De la consolation que saint Denis donna à sainte Brigitte.

  Le mari de sainte Brigitte, étant en chemin, de retour du pèlerinage de Saint Jacques, tomba malade à Atrabalé ; et la maladie augmentant, sainte Brigitte s’affligeait fort et fut consolée par saint Denis, qui, lui apparaissant en l’oraison, lui dit : Je suis ce Denis qui, de Rome, suis allé en France prêcher l’Évangile toute ma vie. Mais vous m’aimez d’une particulière dévotion : c’est pourquoi je vous dis que Dieu veut être connu au monde par vous, et vous vous êtes donnée à ma garde et protection : c’est pourquoi je vous aiderai toujours, et je vous en donne ce signe, que votre mari ne mourra point de cette infirmité.

Et ce grand saint visitait ainsi sainte Brigitte en ses révélations.


Chapitre 93 De la tentation.

9093 De la tentation.

p 313

  O diable, dit sainte Brigitte, vous êtes tombé par votre superbe. Et moi, pourquoi chercherai-je de l’orgueil en mon sang, puisque la chair de la reine n’est pas la meilleure que celle de la Chambrière, mais tout est vil et terre ? Pourquoi ne m’humilierai-je, puisque je ne puis avoir une des plus petites bonnes pensées, si Dieu ne me la donne ?

Lors Notre Seigneur, lui apparaissant, dit : L’humilité est une échelle qui monte de la terre au coeur de Dieu.


Chapitre 94 Des cheveux de Notre-Dame que sainte Brigitte obtint.

9094 Des cheveux de Notre-Dame que sainte Brigitte obtint.

  Sainte Brigitte, demeurant quelque temps en la cité de Naples, envoya pour elle une sienne soeur Claire au monastère des religieuses du monastère de Sainte-Croix, et lui dit : Dites : J’ai, dit Dieu, des reliques des cheveux de Notre-Dame qui me sont données par une sainte reine, que je vous veux donner selon l’inspiration que j’en ai, et cela vous sera en signe de vérité que je mourrai bientôt, et que je viendrai à mon Seigneur, que mon âme a toujours aimé.

Quelque peu de jours après, ayant reçu les saints sacrements de l’Église, elle mourut.

Or, sainte Brigitte, doutant si ces cheveux étaient ou non de la Sainte Vierge, la Mère de Dieu lui apparut, disant : Comme il est vrai et qu’on croit que je suis fille de Joachim et de sainte Anne, de même il est vrai que ces cheveux ont crû sur ma tête.

p 314

Chapitre 95 De l’amour superflu envers ses enfants.

9095   De l’amour superflu envers ses enfants.

  Il arriva une fois, au monastère d’Alvastre, que l’esprit de saint Brigitte s’enflammait en l’amour des ses enfants, lorsqu’elle devait aller à Rome, ayant compassion de les laisser seuls, privés de la consolation maternelle, craignant aussi qu’en son absence, ils n’offensassent Dieu avec plus de liberté car quoiqu’ils fussent jeunes, ils étaient riches et puissants. Et lors elle vit au pot au feu, et un enfant qui le soufflait, afin que le pot s’enflammât. Sainte Brigitte dit : Pourquoi vous efforcez-vous de tant souffler ce pot ?

Sainte Brigitte répondit : Qui êtes-vous ?

Je suis un négociateur.

Lors entendant qu’en elle l’amour était mal réglé, elle se corrigea soudain, de sorte qu’elle ne préférait rien à l’amour de Jésus-Christ.


Chapitre 96 De l’obéissance\i.

9096   De l’obéissance.

p 315

  Un jour sainte Brigitte se faisait lire un livre intitulé le Miroir des Vierges. Elle en fut ravie, et revenant à soi, elle dit : Oyez que la virginité mérite la couronne, la viduité approche de Dieu, le mariage va au ciel, mais l’obéissance les introduit tous.


Chapitre 97 Une cabane est la chambre de salut.

9097   Une cabane est la chambre de salut.

  Jésus-Christ commanda à son épouse d’aller à Rome en une abbaye nommée Farfa, disant que là il y avait une chambre préparée pour elle. Et elle, étant arrivée là avec Monsieur Pierre, son confesseur, et sa famille, à grand’peine put-elle obtenir des Frères de ce monastère une pauvre cabane pour loger, alléguant que ce n’était point leur coutume d’habiter avec des femmes. Lors Jésus, lui apparaissant, lui dit : Cette chambre est la chambre de salut, en laquelle vous pourrez mériter et apprendre des choses sublimes, afin que, comme vous habitiez de grandes maisons fort belles, maintenant vous paraissiez expérimenter ce que mes saints souffraient, lorsqu’ils demeuraient dans les cavernes. Elle accomplit les préceptes de Jésus-Christ et leur obéit.


Chapitre 98 De la constance de sainte Brigitte sur la mort de sa fille

9098   De la constance de sainte Brigitte sur la mort de sa fille. Différence qu’il y a entre la vraie mère et la marâtre. En quelle façon il faut nourrir les filles.

p 316

  L’épouse de Jésus-Christ, ayant appris la mort de sa fille, Dame Ingebergue, religieuse du monastère de Risabergh, tressaillant de joie, dit : O mon Seigneur Jésus-Christ ! ô mon bien-aimé ! Béni soyez-vous d’avoir appelé ma fille avant que le monde l’enveloppât dans ses rets ! Et tout soudain, entrant dans son oratoire, elle jeta tant de larmes et de soupirs qu’elle fut ouïe de ceux qui étaient autour d’elle, disant qu’elle pleurait sa fille. Lors Jésus-Christ lui apparut et lui dit : Femme, pourquoi versez-vous tant de larmes ? Bien que je sache toutes choses, je les veux toutefois connaître de votre bouche.

Elle répondit : O mon seigneur, je ne pleure pas la mort de ma fille, mais au contraire je m’en réjouis ; parce que si elle eût vécu plus longuement, elle eût été plus comptable devant vous, je pleure seulement de ce que je ne l’ai pas instruite selon vos commandements, lui ayant donné des exemples de superbe, pour l’avoir reprise trop lâchement des fautes qu’elle commettait.

Jésus-Christ lui répondit : La mère qui pleure de ce que sa fille a offensé Dieu et lui donne de bonnes instructions selon sa conscience, celle-là est véritablement mère de charité et mère de larmes, et sa fille est fille de Dieu à cause de sa mère. Mais au contraire, la mère qui se réjouit de ce que sa fille se sait comporter selon le monde, ne se souciant pas de ses moeurs, pourvu qu’elle puisse être estimée et honorée du monde, celle-là n’est pas vraie mère, mais marâtre : c’est pourquoi, à cause de ta charité et de ta bonne volonté, qu’elle passe à la couronne de gloire.


p 317

Chapitre 99 Jésus-Christ dispense son épouse du voeu du jeûne en l’avant de Notre-Seigneur

9099   Jésus-Christ dispense son épouse du voeu du jeûne en l’avant de Notre-Seigneur.

  Lorsque sainte Brigitte alla de Rome au sépulcre de saint André, apôtre, dans le royaume de Sicile, à cause de diverses maladies, elle ne pouvait passer que dans la ville de Bair. C’était au temps de l’avent, où elle avait accoutumé de jeûner. En sa compagnie, il y avait plusieurs malades, et aux chemins qu’elle tenait, il ne se trouvait point de poisson. Elle pria Dieu d’avoir compassion d’eux, afin qu’il ne fût point offensé, ni le prochain scandalisé, lorsqu’ils prendraient leur réfection, ou que les malades jeûnant ne tombassent en quelque faiblesse. Lors Jésus-Christ lui apparut et lui dit : Les poissons sont grandement froids, et le temps n’est pas fort chaud ; le chemin est difficile et pierreux, et vous êtes malades : partant, mangez ce que vous trouverez, car je suis par-dessus tous les voeux ; et les choses qui sont à l’honneur de Dieu et pour une médiocre sustentation du corps, ne seront pas imputées à péché.


Chapitre 100 une image d’un crucifix prédit à une dame sa fin

9100   Comment une image d’un crucifix prédit à une dame sa fin, laquelle sainte Brigitte vit comme debout sur une colonne.

p 318

  Certaine dame(1) du royaume de Suède, étant dans une église près de Saint-Jacques de Galice, vit un crucifix peint en la muraille, lequel regardant attentivement, avec dévotion et compassion, elle ouït pour lors une voix lui parlant en cette sorte : En quelque lieu que ce soit que vous verrez cette image et que vous l’entendrez parler vous demeurerez là et y mourrez. Laquelle retournant à son pays, et derechef s’acheminant à Rome, et étant arrivée à la ville de Monflascon, elle vit en la maison de quelque dames une image semblable à celle qu’elle avait vue en Espagne ; et lors cette image lui dit : Vous entrerez là dedans et y demeurerez, car Je porterai l’esprit de la maîtresse de ce logis à vous y donner une demeure. Donc, étant retirée, elle persévéra en ce lieu-là, menant une vie exemplaire et du tout miraculeuse, accompagnée de jeûnes, de larmes et d’oraisons. Elle vit une fois une colonne sur laquelle était debout une certaine dame de médiocre stature, laquelle regardait et admirait plusieurs troupes qui étaient à l’entour ; et de sa bouche sortaient comme une rosée et des roses blanches et rouges, l’odeur desquelles était fort agréable à ceux qui les regardaient. Veillant la nuit suivante, elle vit la même chose et ouït une voix qui lui parla ainsi : La femme que vous voyez est sainte Brigitte, votre maîtresse, laquelle, faisant séjour à Rome, portera les contrées éloignées du vin mêlé de roses, et en donnera aux pèlerins qui seront pressés de soif.

  (1) Sainte Brigitte


p 319

Chapitre 101 Le pèlerinage d’une certaine Dame, sa mort et son salut, laquelle le diable purgea, étant vivante.

9101   Le pèlerinage d’une certaine Dame, sa mort et son salut, laquelle le diable purgea, étant vivante.

  Une certaine dame du royaume de Suède, suivant sainte Brigitte à Rome, et craignant l’inconstance de son mari, supplia sainte Brigitte de prier Dieu pour lui ; laquelle priant, Jésus-Christ lui apparut et lui dit : Allez, continuez votre chemin, et ne changez point la sainte résolution que vous avez prise, car j’abrégerai à cette femme son chemin ; je préparerai le corps, afin que, quand le sac sera épuisé, je remplisse l’âme de douceur ; et le désir du mari sera accompli.

Donc, étant arrivée à Milan, cette dame, frappée de maladie, mourut en paix ; et icelle ensevelie, sainte Brigitte, faisant oraison, fut ravie en extase, et ouït le diable se plaignant de ce que son âme ne lui était pas adjugée. Auquel Jésus-Christ dit : Va, si tu l’as purifiée en affligeant son corps, maintenant je posséderai l’âme qui était dedans, et lui rendrai honneur.


Chapitre 102 Comment un certain évêque, aimant le monde, fut séduit par le diable, et comment il mourut sans fruit.

9102   Comment un certain évêque, aimant le monde, fut séduit par le diable, et comment il mourut sans fruit.

p 320

  Certain évêque de la ville de Vétan, pour lors étant vicaire en la Ville pour Clément, pape, ayant eu quelques révélations divinement révélées à sainte Brigitte et n’en ayant tenu compte, lors Jésus-Christ apparut à sainte Brigitte faisant oraison, et lui dit ces paroles : Ecoute, Brigitte : parce que c’est ma volonté de te révéler les choses futures, je te déclare que cet évêque n’aura jamais ce qu’il désire à présent de tout son coeur ; mais au contraire, il laissera tout ce qu’il a amassé et mourra hors de sa maison, et lui en prendra comme au chien, car lorsque l’homme le veut décevoir, il enduit un fer d’une chair grasse, de sorte que, le voulant dévorer, il s’étrangle : de même le diable montre à cet évêque que les délices du monde sont douces au coeur, et que tout ce qu’il possède est convenable à son état. Partant, il a résolu de ne retrancher rien de ses menus plaisirs pour son âme, jusques à ce que, pressé de la mort, il laissera toutes choses sans fruit. Et vous verrez tout ce que je vous dis.

Peu de jours après, cet évêque alla à Avignon, où il finit sa vie, et plein de regrets, laissa ses trésors.


Chapitre 103 Jésus-Christ, consolant son épouse troublée par le paiement de ses créanciers

9103   Jésus-Christ, consolant son épouse troublée par le paiement de ses créanciers, lui prédit qu’un messager lui apporterait de l’argent.

  Il arriva, avant la Toussaint, que sainte Brigitte, se trouvant à Rome, sans argent, fut forcée d’en emprunter, car elle n’en avait pas reçu depuis trois ans de son pays, de quoi elle était fort affligée, parce que ces créanciers la pressaient tous les jours de leur rendre l’argent emprunté. Lors Jésus-Christ lui dit : Prenez sans crainte l’argent emprunté ; consolez-vous, et promettez à vos créanciers que vous le leur rendrez le premier dimanche après l’Epiphanie du Seigneur, quand on montre le suaire, parce qu’en ce temps-là, tout sera payé. Ce qui fut fait ainsi, car environ vêpres dudit dimanche, le messager vint du pays, apportant l’argent, et le même jour, les créanciers furent satisfaits.

p 321


Chapitre 104

9104   Jésus-Christ révélait à sainte Brigitte les pensées d’un certain évêque qui jugeait qu’elle ne mangeait des viandes délicates, lequel toutefois était amis de la Vierge Marie.

  Une fois, l’épouse de Jésus-Christ, étant assise à un banquet avec un certain évêque Dabodance, c’est à savoir monsieur Hémingue, mangeait à l’honneur de Dieu des mets délicats qu’elle avait devant ; et pour cela, l’évêque disait en son coeur : Pourquoi cette dame, ayant le don du Saint-Esprit, ne s’abstient-elle pas des viandes délicates ? Lors elle, ne sachant rien de telles pensées, environ vêpres, entendit en esprit, lorsqu’elle était en oraison, une voix disant : Je suis celui qui ai rempli de l’esprit de prophétie un pasteur : n’a-ce pas été à raison de ses jeûnes ? Je suis celui qui unit les mariés : qu’ont-ils mérité ? J’ai commandé au prophète qu’il prit pour femme une adultère : ne m’a-t-il pas obéi ? Je suis celui qui parlait avec Job, aussi bien quand il était dans les délices que lorsqu’il était gisant dans le fumier ; d’autant que je suis admirable, je fais sans nulle considération des mérites ce qu’il me plaît. Laquelle révélation elle déclara incontinent à cet évêque; et l’évêque, entendant cela, rentra en lui-même, et confessait qu’il avait eu ces pensées à la table : c’est pourquoi s’étant humilié, il lui demanda pardon et la supplia de prier Dieu pour lui.

p 322

  Lors, le troisième jour, la très heureuse Vierge Marie étant apparue à la même sainte Brigitte en oraison, lui dit : Dis au même évêque que, parce qu’il a coutume de commencer ses sermons par ma louange, et d’autant que par son jugement, il vous jugeait à table, et que ce jugement procédait de charité, et non d’envie, c’est pourquoi, par charité, il mérite d’être consolé. Dis-lui donc que je veux être sa Mère et présenter son âme à Dieu. Et maintenant je vous expliquerai qu’il est le septième animal des animaux que je vous ai ci-devant montrés, et qu’il portera la parole de Dieu devant les rois et les pontifes.

(Cette révélation des sept animaux est dans le Livre IV, Chap. CXXV.)

Chapitre 105 Paroles de Jésus-Christ que sainte Brigitte rapporta à l’abbé de Farfa

9105   Paroles de Jésus-Christ que sainte Brigitte rapporta à l’abbé de Farfa, afin qu’il se corrigeât.

p 323

  Jésus-Christ parle : Monsieur l’abbé, vous devriez servir de miroir aux religieux : mais vous êtes le chef des femmes débauchées, comme il se voit ès enfants à raison desquels vous êtes diffamé. Vous devriez être l'exemple des pauvres et le dispensateur de vos moyens aux indigents, mais vous paraissez grand seigneur de l’argent qui vous est destiné pour les aumônes; et cela se voit, parce que vous êtes plus souvent dans la cour que dans le cloître. Vous devriez être docteur et mère de vos religieux, et vous leur êtes parâtre et marâtre; vous vous plongez dans les délices et dans la pompe, et eux, dans l’affliction, murmurent tout le long du jour : c’est pourquoi, si vous ne vous corrigez, je vous chasserai de la cour, et les moindres des religieux ne voudront pas être à votre compagnie, ni vous ne retournerez pas en votre pays, comme vous croyez, ni n’entrerez pas en ma gloire.

Et par après, toutes choses arrivèrent ainsi.


Chapitre 106 Comment l’épouse de Jésus-Christ obtint une vraie portion de la croix de Jésus-Christ

9106   Comment l’épouse de Jésus-Christ obtint une vraie portion de la croix de Jésus-Christ, laquelle, maintenant méprisés, apparaîtra terrible.

p 324

  En Suède, un certain jeune homme, du diocèse de Lincopen, avait de la succession de son père une croix dorée, en laquelle il y avait des reliques du vrai bois de la sainte croix. Ce jeune homme, forcé par la pauvreté, vendit cette croix, et donna le bois à une dévote femme, laquelle, craignant de le tenir chez elle, le donna à sainte Brigitte. Mais sainte Brigitte doutant si c’était du vrai bois de la croix ou non, Jésus-Christ lui dit : Ce jeune homme a fait un échange désavantageux, car il a donné une pierre très précieuse et n’a reçu que de la boue; il a donné du bois par lequel il eût pu vaincre ses ennemis, et il a reçu un or qui doit être méprisé; il a perdu le désir des anges, pour recevoir le désir de ses yeux : c’est pourquoi le temps est venu où le bois qui est maintenant méprisé paraîtra terrible, car peu pensent avec combien de douleur j’étais attaché à ce bois, quand mon coeur fut ouvert et que mes nerfs furent étendus.

Sainte Brigitte fit donc mettre honorablement ce bois de la sainte croix dans une boite, afin qu’il ne fût pas porté par des indignes.


Chapitre 107 à Rome sans maison l’espace d’un mois, avec sa famille

9107   Comment Jésus-Christ permit que son épouse fut troublée, se trouvant à Rome sans maison l’espace d’un mois, avec sa famille, et après, il la consola.

  Sainte Brigitte étant à Rome dans la maison d’un cardinal près de l’église de Saint-Laurent l’espace de quatre ans, le vicaire du cardinal lieu dit qu’il fallait qu’elle se retirât dans un mois, elle et sa famille, et qu’elle cherchât logis ailleurs. Elle, entendant cela, resta fort triste, parce qu’elle avait une fille belle, jeune, noble, et agréable à tous ceux qui la regardaient : c’est pourquoi elle craignait de ne pouvoir point trouver une maison semblable à celle qu’elle avait pour conserver son honneur et celui de sa fille. Et alors elle pria Dieu avec larmes de lui donner quelque remède, lequel, désirant éprouver, sa servante lui dit : Allez et expérimentez pour ce mois si vous et votre confesseur, en roulant par la ville, pourrez trouver une maison qui vous soit commode. Et elle, obéissant à son maître, accompagnée de son maître spirituel, chercha par toute la ville avec peine et douleur durant le mois, et n’en put trouver aucune qui lui fût commode.

p 325

  Sa fille, dame Catherine, voyant la tristesse de sa mère, et craignant pour son honneur, versa souvent des larmes en abondance. Enfin, deux jours avant que le terme expirât, et après avoir fait plier ses hardes et son bagage pour délaisser la maison et aller loger dans les logis des pèlerins, pressée de douleur, elle se mit en prière, demandant avec larmes le secours du ciel. Alors Jésus-Christ lui apparut et lui dit : Vous êtes toute troublée de ce que vous n’avez pu trouver une maison commode : sachez que j’ai permis cela pour votre profit et pour votre plus grande couronne, afin que, par expérience, vous vissiez la pauvreté et les douleurs que ressentent les pauvres pèlerins qui voyagent hors de leur pays, et que vous en eussiez compassion. Toutefois je vous déclare que vous ne sortirez point de cette maison; mais on vous enverra des messagers de la part du maître de la maison pour y demeurer encore, consolée, comme vous avez fait, en paix et repos avec toute votre famille, et demeurerez là en sûreté avec tous les vôtres, ni désormais personne ne vous inquiétera.

Sainte Brigitte s’en alla, toute joyeuse, trouver Monsieur Pierre, son Père spirituel, auquel elle déclara cette révélation. Et tout soudain un messager frappa à la porte du logis, portant des lettres du maître de la maison, par lesquelles il la consolait, lui écrivant de ne bouger point de sa maison, mais qu’elle s’y établît et y habitât en paix et en repos.

p 326


Chapitre 108. Combien le bienheureux Prinulphe, évêque de Scaren, était agréable à Dieu et à la Sainte Vierge Marie.

9108   Il arriva que sainte Brigitte, étant, un jour de la Purification, en l’église de la ville de Scaren, sentit une odeur très suave et inaccoutumée, dont l’admiration ne l’eut pas sitôt saisie qu’elle fut quant et quant ravie en extase. Et elle voyait pour lors la Vierge Marie, et avec elle un homme d’une insigne beauté, revêtu des habits pontificaux. Et alors la Sainte Vierge lui dit : Je veux que tu saches, ô fille, que cet évêque m’a honorée durant sa vie, et a témoigné cet honneur par oeuvre. L’odeur que tu as sentie a fait voir combien sa vie a été agréable à Dieu. Mais maintenant, bien que son âme soit devant Dieu, son corps toutefois est ici, gisant à terres sans aucun honneur; et ainsi, cette perle que j’affectionne se trouve parmi les pourceaux.

(Il est parlé du même évêque au Livre II, Chap. XXX.)

Chapitre 109 Comment l’écrivain de cette révélation est guéri d’une grande douleur de tête.

9109 p 327

  Le R.P. prieur Pierre raconte qu’endurant depuis son enfance une grande douleur de tête sans intermission quelconque, il pria sainte Brigitte, qui était au monastère d’Alvastre, de faire oraison pour lui à ce sujet. Voici que lorsque sainte Brigitte priait, Jésus-Christ lu apparut et lui dit : Va, et dis au Frère Pierre qu’il est délivré de son mal de tête. Qu’il écrive donc allégrement les livres qui contiennent mes desseins, que je t’ai révélés, parce qu’il n’aura manque d’aide et d’assistance.

Et depuis ce temps-là jusqu’à l’âge de trente ans, il ne senti aucun mal de tête.


Chapitre 110 Comment il faut que les pauvres prennent ce qu’on leur offre avec actions de grâces.

9110   Sainte Brigitte, retournant de la cité de Jérusalem à Rome, doutait si elle devrait retenir une certaine quantité d’argent qu’une reine, portée de compassion, lui fit délivrer en la cité de Naples, lequel argent avait été mis là pour subvenir à la ville. Notre-Seigneur lui apparut et lui dit : Faut-il rendre pour une amitié une inimitié, ou pour un bien un mal, ou mettre de la neige dans un vase froid pour le rendre plus froid? Partant, bien que cette reine t’ait donné d’un coeur froid ce qu’elle t’a présenté, il te le faut pourtant recevoir avec charité et révérence, et prier pour elle, afin qu’elle puisse être enflammée du feu du Saint-Esprit, parce qu’il est écrit que l’abondance d’autrui doit suppléer le défaut des pauvres, et qu’aucune bonne oeuvre ne sera mise en oubli devant Dieu.

p 328

Chapitre 111 Les biens des ecclésiastiques sont les biens propres de Jésus-Christ, dont il veut que les pauvres soient sustentés.

9111   Sainte Brigitte une fois en pèlerinage, après avoir consumé pour l’honneur de Dieu tout l’argent qu’elle avait pris, se trouvant dans le besoin, souffrait. Jésus-Christ, pour l’amour duquel elle avait donné ses moyens aux étrangers, lui apparut, lorsqu’elle était en prière, et lui dit : Bien que le monde soit à moi et qu’il soit en mon pouvoir de donner tout à qui bon me semblera, toutefois ce que l’on offre par amour et charité m’est plus agréable, et je requiers plus librement ce qui est à moi. Or, maintenant, parce que vous avez avec allégresse employé vos moyens pour mon honneur, aussi vous recevrez du mien, lorsque vous serez en nécessité. Ayez donc soin que l’on parle à l’archevêque de cette cité en cette sorte : Comme toutes les églises sont à moi, de même toutes les aumônes m’appartiennent. Donnez-moi donc, et à moi et à mes amis, ce qui est à moi, parce que, bien que ce me soit chose agréable de bâtir des églises, il m’est pareillement agréable d’assister mes amis qui se trouvent en nécessité, qui ont exposé tous leurs moyens pour l’amour de moi. Souviens-toi que j’ai adressé Élie à la pauvre veuve, lequel je nourrissais auparavant par le ministère des corbeaux, non qu’il n’y eût pour lors quelques-uns qui étaient plus riches que cette veuve, et que je n’eusse le pouvoir de le conserver sans nourriture et sans la veuve, lequel avait demeuré quarante jours sans manger; mais j’ai fait cela pour éprouver la charité de la veuve, laquelle, moi qui, étant Dieu, pénètre dans les coeurs, je voyais être manifestée aux autres. Toi donc qui es père et maître de la veuve, fais, avec ce qui m’appartient, du bien aux veuves, car bien que je puisse toutes choses sans toi, et toi sans moi ne puisse rien, je désire toutefois contempler en iceux ta charité.

p 329


Révélations de Sainte Brigitte de Suède 9086