Catéchèses S. J-Paul II 21793

Mercredi 21 juillet 1993 - Le Prêtre et les biens de la terre

21793 (Lc 12,32-34)

1. Parmi les exigences de renoncement que Jésus a adressées à ses disciples, une concerne les biens de la terre, et en particulier la richesse (cf. Mt Mt 19,21 Mc 10,21 Lc 12,33 et Lc 18,22). C’est une demande qui s’adresse à tous les chrétiens quant à l’esprit de pauvreté, c’est-à-dire le détachement intérieur par rapport aux biens de la terre, détachement qui rend généreux pour les partager avec d’autres. La pauvreté est un engagement de vie qu’inspire la foi dans le Christ et l’amour pour lui. C’est un esprit, qui exige aussi une pratique, dans une mesure de renoncement aux biens qui corresponde à la condition de chacun, soit dans la vie civile, soit dans l’état qui est le sien dans l’Église en vertu de la vocation chrétienne, tant comme personne singulière que comme membre d’un groupe déterminé de personnes. L’esprit de pauvreté vaut pour tous ; une certaine pratique, conforme à l’Évangile, est nécessaire à chacun.

2. La pauvreté que Jésus a demandée aux Apôtres est un filon de spiritualité qui ne pouvait s’épuiser avec eux, ni être réservé à des groupes particuliers : l’esprit de pauvreté est nécessaire à tous, en tout lieu et en tout temps. Y manquer serait trahir l’Évangile. La fidélité à l’esprit ne comporte cependant pas, ni pour les chrétiens en général ni pour les prêtres, la pratique d’une pauvreté radicale avec le renoncement à toute propriété, et encore moins avec l’abolition de ce droit de l’homme. À plusieurs reprises, le Magistère de l’Église a condamné ceux qui soutenaient cette nécessité (cf. DS 760 DS 930 et s. ; DS 1097), cherchant à conduire la pensée et la pratique sur une voie de modération. Mais il est réconfortant de constater que, avec l’évolution des temps et sous l’influence de nombreux saints anciens et modernes, la conscience d’un appel à la pauvreté évangélique a mûri toujours davantage dans le clergé, soit dans l’esprit soit dans la pratique, en corrélation avec les exigences de la consécration sacerdotale. Les situations sociales et économiques dans lesquelles se trouve le clergé dans presque tous les pays du monde ont contribué à rendre effective la condition de pauvreté réelle des personnes et des institutions, même quand celles-ci, par leur nature même, ont besoin de nombreux moyens pour pouvoir accomplir leurs tâches. En de nombreux cas, c’est une condition difficile et affligeante, que l’Église cherche à surmonter de diverses manières, et principalement en faisant appel à la charité des fidèles, pour obtenir d’eux la contribution nécessaire afin de pourvoir au culte, aux oeuvres de charité, à l’entretien des pasteurs d’âmes, aux initiatives missionnaires. Mais l’acquisition d’un nouveau sens de la pauvreté est une bénédiction pour la vie sacerdotale, comme pour celle de tous les chrétiens, parce qu’elle permet de mieux se conformer aux conseils et aux propositions de Jésus.

3. La pauvreté évangélique – il est bon de clarifier ceci – ne comporte aucun mépris des biens de la terre, mis par Dieu à la disposition de l’homme pour sa vie et sa collaboration au dessein de la création. Selon le Concile Vatican II, le prêtre – comme tout autre chrétien –, parce qu’il a une mission de louange et d’action de grâces, doit reconnaître et magnifier la générosité du Père céleste qui se révèle dans les biens de la création (Presbyterorum ordinis PO 17).

Mais, ajoute le Concile, les prêtres, tout en vivant au milieu du monde, doivent toujours se souvenir que, comme l’a dit le Seigneur, ils n’appartiennent pas au monde (cf. Jn Jn 17,14-16), et ils doivent donc se libérer de tout attachement désordonné, afin d’acquérir “ la discrétion spirituelle qui permet de se situer dans un juste rapport avec le monde et les réalités terrestres ” (ibid. ; cf. Pastores dabo vobis PDV 30). Il faut reconnaître qu’il s’agit d’un problème délicat. D’une part, “ la mission de l’Église s’exerce au milieu du monde, et les biens créés sont absolument nécessaires au développement personnel de l’homme ”. Jésus n’a pas défendu à ses Apôtres d’accepter les biens nécessaires à leur existence terrestre. Il a même affirmé leur droit à cet égard, en disant dans un discours sur la mission : “ Mangez et buvez ce qu’il y aura chez eux, car l’ouvrier mérite son salaire ” (Lc 10,7 cf. Mt Mt 10,10). Saint Paul rappelle aux Corinthiens que “ le Seigneur a prescrit à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile ” (1Co 9,14). Il a même demandé instamment “ que le disciple fasse part de toute sorte de biens à celui qui lui enseigne la Parole ” (Ga 6,6). Il est donc juste que les prêtres aient des biens terrestres et s’en servent “ pour les finalités auxquelles on peut les assigner, d’accord avec la doctrine du Christ Seigneur et les orientations de l’Église ” (Presbyterorum ordinis PO 17). À cet égard, le Concile n’a pas manqué de proposer des indications concrètes.

Tout d’abord, l’administration des biens ecclésiastiques proprement dits doit être assurée “ selon les lois ecclésiastiques et, si possible, avec l’aide d’experts laïcs ”. Ces biens doivent toujours être employés pour “ organiser le culte divin, assurer au clergé un digne niveau de vie et soutenir les oeuvres d’apostolat et de charité, spécialement en faveur des indigents ” (ibid . PO PO 17).

Les ressources provenant de l’exercice de quelque office ecclésiastique doivent être utilisées avant tout “ pour s’assurer un niveau de vie honnête et accomplir les devoirs de son état ; il sera bien de destiner le reste pour le bien de l’Église et pour les oeuvres de charité ”. Il faut le souligner particulièrement : l’office ecclésiastique ne peut pas être pour les prêtres – ni non plus pour les évêques – une occasion d’enrichissement personnel ni de profits pour leur famille. “ C’est pourquoi les prêtres, sans s’attacher d’aucune façon aux richesses, doivent éviter toute avidité et s’abstenir de tout type de commerce ” (ibid . PO PO 17). En tout cas, on devra se souvenir que tout, dans l’usage des biens, doit s’accomplir à la lumière de l’Évangile.

4. On doit affirmer la même chose quant à l’engagement du prêtre dans les activités profanes, c’est-à-dire concernant le règlement d’affaires terrestres en dehors du domaine religieux et sacré. Le Synode des évêques de 1971 a déclaré que “ comme norme ordinaire, on doit se consacrer à plein temps au ministère sacerdotal… En effet, on ne peut absolument pas envisager comme fin principale la participation aux activités séculières des hommes, et cette participation ne peut suffire à exprimer la responsabilité spécifique du prêtre ” (Le sacerdoce ministériel, II, I, 2a : SMME 596 ; Ench. Vat., IV, 1191). C’était une prise de position devant la tendance, apparue ici ou là, à la sécularisation de l’activité du prêtre, souhaitant qu’il puisse s’engager, comme les laïcs, dans l’exercice d’un métier ou d’une profession séculière.

Il est vrai qu’il existe des circonstances où la seule manière efficace de rattacher à l’Église un milieu de travail qui ignore le Christ, peut être la présence de prêtres qui exercent un métier dans ce milieu, se faisant, par exemple, ouvriers avec les ouvriers. La générosité de ces prêtres est digne d’éloges. Il faut cependant observer que, en assumant des rôles et des postes profanes et laïques, le prêtre risque de réduire à un rôle secondaire, ou même de supprimer, le ministère sacré qui lui est propre. En raison de ce risque, que l’expérience avait confirmé, le Concile avait déjà souligné la nécessité de l’approbation de l’autorité compétente pour exercer un métier manuel en partageant les conditions de vie des ouvriers (cf. Presbyterorum ordinis PO 8). Le Synode de 1971 a donné comme règle à suivre, la convenance ou non d’un certain engagement de travail profane avec les finalités du sacerdoce “ au jugement de l’évêque local avec son presbyterium, et après avoir consulté, autant que nécessaire, la Conférence épiscopale ” (Le sacerdoce ministériel, II, I, 2a : SMME 596 ; Ench. Vat., IV, 1192).

Par ailleurs, il est clair que l’on peut rencontrer aujourd’hui, comme dans le passé, des cas spéciaux où un prêtre, particulièrement doué et préparé, peut exercer une activité dans des domaines du travail ou de la culture qui ne sont pas directement ecclésiaux. On devra cependant faire tout ce qui est possible pour que ces cas restent exceptionnels. Et même alors, on devra toujours appliquer le critère fixé par le Synode, si l’on veut être fidèles à l’Évangile et à l’Église.

5. Nous terminerons cette catéchèse en nous tournant, une fois encore, vers la figure de Jésus-Christ, Souverain Prêtre, Bon Pasteur et modèle suprême des prêtres. Il est le modèle du dépouillement des biens terrestres pour le prêtre qui veut se conformer à l’exigence de la pauvreté évangélique. En effet, Jésus est né et a vécu dans la pauvreté. Saint Paul avertissait : “ De riche qu’il était, il s’est fait pauvre pour vous ” (2Co 8,9). Jésus lui-même, à quelqu’un qui voulait le suivre, a dit de lui-même : “ Les renards ont une tanière et les oiseaux du ciel leur nid, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer la tête ” (Lc 9,57). Ces paroles manifestent un détachement complet de toutes les commodités terrestres. Mais on ne doit pas en conclure que Jésus a vécu dans la misère. D’autres passages de l’Évangile rapportent qu’il recevait et acceptait des invitations chez des gens riches (cf. Mt Mt 9,10-11 Mc 2,15-16 Lc 5,29 Lc 7,36 Lc 19,5-6), qu’il avait des collaboratrices qui l’aidaient dans ses besoins économiques (Lc 8,2-3 cf. Mt Mt 27,55 Mc 15,40 Lc 23,55-56) et qu’il était en mesure de faire l’aumône aux pauvres (cf. Jn Jn 13,29). Il n’y a cependant aucun doute quant à la vie et l’esprit de pauvreté qui le caractérisaient.

Le même esprit de pauvreté devra animer le comportement du prêtre, en marquant son attitude, sa vie et sa figure même de pasteur et d’homme de Dieu. Cela se traduira par un désintéressement et un détachement vis-à-vis de l’argent, par le renoncement à toute avidité dans la possession des biens terrestres, un style de vie simple, le choix d’une habitation modeste et accessible à tous, le refus de tout ce qui est luxueux, ne serait-ce qu’en apparence, une tendance croissante à la gratuité dans le dévouement au service de Dieu et des fidèles.

6. Ajoutons enfin que, appelés par Jésus et selon son exemple, à “ évangéliser les pauvres ”, “ les prêtres – comme aussi les évêques – s’efforceront d’éviter tout ce qui pourrait, d’une manière ou d’une autre, écarter les pauvres ” (Presbyterorum ordinis PO 17). Au contraire, en nourrissent en eux-mêmes un esprit évangélique de pauvreté, ils seront en mesure de montrer leur option préférentielle pour les pauvres, la traduisant par le partage, par des oeuvres personnelles et communautaires d’aide, y compris matérielle, en faveur de ceux qui se trouvent dans le besoin. C’est là un témoignage du Christ pauvre que rendent aujourd’hui de nombreux prêtres, pauvres et amis des pauvres. C’est une grande flamme d’amour allumée dans la vie du clergé et de l’Église. Si parfois le clergé a pu en certains lieux être rangé dans la catégorie des riches, il se sent aujourd’hui honoré, avec toute l’Église, de se trouver en première ligne parmi “ les nouveaux pauvres ”. C’est un grand progrès dans suite du Christ sur le chemin de l’Évangile.



Mercredi 28 juillet 1993 - Le Prêtre dans la société civile

28793 (Mc 10,42-45)



1. Le discours sur le détachement du prêtre par rapport aux biens terrestres est lié à celui de son rapport à la question politique. Aujourd’hui plus que jamais, on assiste à un enchevêtrement continuel de l’économie et de la politique, que ce soit dans le vaste domaine des problèmes d’intérêt national ou dans les domaines plus restreints de la vie familiale et personnelle. Il en est ainsi lors des scrutins pour élire ses représentants au Parlement et les administrateurs publics, dans les adhésions aux listes de candidats proposés aux citoyens, dans le choix des partis, dans les déclarations mêmes sur les personnes, les programmes et les bilans concernant la gestion de la chose publique. Ce serait une erreur de faire dépendre la politique exclusivement ou principalement de son contexte économique. Mais les grands projets de service de la personne humaine et du bien commun sont eux-mêmes conditionnés par ce contexte et ne peuvent pas ne pas comprendre dans leurs contenus sur les questions qui concernent la possession, l’usage, la distribution et la circulation des biens terrestres.

2. Ce sont là autant de points qui comportent une dimension éthique à laquelle les prêtres, eux aussi, s’intéressent, en vue du service à rendre à l’homme et à la société, selon la mission qu’ils ont reçue du Christ. Il a en effet énoncé une doctrine et formulé des préceptes qui éclairent la vie, non seulement des personnes individuelles, mais aussi de la société. En particulier, Jésus a formulé le précepte de l’amour mutuel. Celui-ci implique le respect de toute personne et de ses droits ; il implique les règles de la justice sociale qui visent à reconnaître à toute personne ce qui lui revient et à répartir harmonieusement les biens terrestres entre les personnes, les familles, les groupes. Jésus a souligné en outre l’universalisme de l’amour, au-dessus des différences entre les races et les nations qui composent l’humanité. On dirait que, en se définissant lui-même comme “ Fils de l’homme ”, il a voulu déclarer, y compris par cette présentation de son identité messianique, que son oeuvre était destinée à tout homme, sans discriminations de catégories, de langues, de cultures, de groupes ethniques et sociaux. En annonçant la paix pour ses disciples et pour tous les hommes, Jésus en a posé le fondement dans le précepte de l’amour fraternel, de la solidarité, de l’aide réciproque d’ampleur universelle. Il est clair que, pour lui, cela était et reste le but et le principe d’une bonne politique.

Pourtant, Jésus n’a jamais voulu s’engager dans un mouvement politique ; il a fui toute tentative visant à l’impliquer dans des questions et des affaires terrestres (cf. Jn Jn 6,15). Le Royaume qu’il est venu fonder n’est pas de ce monde (cf. Jn Jn 18,36). Aussi, à ceux qui auraient voulu lui faire prendre position à l’égard du pouvoir civil, il a dit : “ Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ” (Mt 22,21). Il n’a jamais promis à la nation juive, à laquelle il appartenait et qu’il aimait, la libération politique, que beaucoup attendaient du Messie. Jésus affirmait être venu comme Fils de Dieu pour offrir à l’humanité, soumise à l’esclavage du péché, la libération spirituelle et la vocation au Royaume de Dieu (cf. Jn Jn 8,34-36) ; et être venu pour servir et non pour être servi (cf. Mt Mt 20,28) ; et il affirmait que ses disciples aussi, spécialement les Apôtres, ne devaient pas penser au pouvoir terrestre et à la domination sur les peuples, comme les princes de la terre, mais qu’ils devaient être d’humbles serviteurs de tous (cf. Mt 20,20-28), comme leur “ Seigneur et Maître ” (Jn 13,13-14).

Certes, cette libération spirituelle apportée par Jésus devait avoir des conséquences décisives dans tous les secteurs de la vie individuelle et sociale, ouvrant une ère d’évaluation nouvelle de l’homme en tant que personne, ainsi que des rapports entre les hommes selon la justice. Mais l’engagement direct du Fils de Dieu n’allait pas dans cette direction.

3. Il est facile de comprendre que cet état de pauvreté et de liberté convient souverainement au prêtre, qui est le porte-parole du Christ pour proclamer la rédemption humaine, et son ministre pour en appliquer les fruits dans tous les domaines et à chaque niveau de la vie. Comme le disait le Synode des évêques de 1971 : “ Les prêtres, de concert avec l’Église tout entière, dans toute la mesure de leurs forces, sont tenus de choisir une ligne d’action bien déterminée, quand il s’agit de défendre les droits fondamentaux de l’homme, de promouvoir le développement intégral des personnes, de favoriser la cause de la justice et de la paix, par des moyens qui s’accordent évidemment toujours avec l’Évangile. Tout cela vaut non seulement dans le domaine individuel, mais aussi social ; c’est pourquoi les prêtres doivent aider les laïcs dans l’effort pour former correctement leur conscience ” (Le sacerdoce ministériel, II, I, 2, b : SMME 597 ; Ench. Vat., IV, 1194).

Ce texte du Synode, qui exprime l’union des prêtres avec tous les membres de l’Église dans le service de la justice et de la paix, laisse percevoir que la position des prêtres par rapport à l’action sociale et politique n’est pas identique à celle du laïc. Ceci est dit plus clairement dans le Catéchisme de l’Église catholique où nous lisons : “ Il n’appartient pas aux pasteurs de l’Église d’intervenir directement dans la construction politique et dans l’organisation de la vie sociale. Cette tâche fait partie de la vocation des fidèles laïcs, agissant de leur propre initiative avec leurs concitoyens ” (CEC 2442).

Le laïc chrétien est appelé à s’engager directement dans cette action, pour contribuer à faire en sorte que, dans la société, règnent toujours davantage les principes de l’Évangile. Le prêtre est plus directement engagé, à la suite du Christ, au développement du Royaume de Dieu. Comme Jésus, il doit renoncer à s’engager dans des formes de politique active, spécialement quand celle-ci est partisane, comme cela arrive presque inévitablement, pour demeurer l’homme de tous sous l’angle de la fraternité et – quand cela est accepté – de la paternité spirituelle.

Naturellement, il peut exister des cas exceptionnels de personnes, de groupes et de situations, où il peut paraître opportun ou même nécessaire d’accomplir une fonction d’aide et de suppléance par rapport à des institutions publiques déficientes et désorientées, pour soutenir la cause de la justice et de la paix. Les institutions ecclésiastiques elles-mêmes, jusqu’au sommet, ont exercé cette fonction dans l’histoire, avec tous les avantages mais aussi avec toutes les charges et les difficultés qui en découlaient. Providentiellement, le développement politique, constitutionnel et doctrinal moderne va dans un autre sens. La société civile s’est donnée progressivement des institutions et des moyens pour accomplir d’une manière autonome ses propres tâches (cf. Gaudium et Spes GS 40 et 76).

À l’Église reste alors la tâche qui est proprement la sienne : annoncer l’Évangile, en se limitant à offrir sa collaboration pour tout ce qui mène au bien commun, sans ambitionner ni accepter d’assumer des fonctions d’ordre politique.

4. À cette lumière, on peut mieux comprendre ce que le Synode des évêques de 1971 a décidé quant au comportement du prêtre à l’égard de la vie politique. Il conserve, certes, le droit d’avoir une opinion politique personnelle et d’exercer son droit de vote en conscience. Comme le dit le Synode, “ dans les cas où divers choix politiques ou sociaux sont légitimes, les prêtres, comme tous les citoyens, ont le droit de prendre leurs propres options. Mais comme les choix politiques, de par leur nature, sont contingents et n’interprètent jamais l’Évangile de façon absolument adéquate et permanente, le prêtre, témoin des réalités futures, doit se maintenir à une certaine distance de toute charge ou passion politique ” (Le sacerdoce ministériel, II, I, 2 b : SMME 597 ; Ench. Vat., IV, 1195). Il se souviendra en particulier qu’un parti politique ne peut jamais être identifié avec la vérité de l’Évangile, et qu’il ne peut donc faire l’objet d’une adhésion absolue, à la différence de l’Évangile. Le prêtre tiendra donc compte de ce caractère relatif, même au cas où des citoyens de foi chrétienne constitueraient, ce qui est louable, des partis expressément inspirés de l’Évangile, et il ne manquera pas de s’engager à faire en sorte que la lumière du Christ illumine aussi les autres partis et groupes sociaux.

Il faut ajouter que le droit du prêtre de manifester ses choix personnels est limité par les exigences de son ministère sacerdotal. Cette limitation peut, elle aussi, être une dimension de la pauvreté qu’il est appelé à pratiquer à l’exemple du Christ. En effet, il peut être parfois obligé de s’abstenir de l’exercice de son droit pour pouvoir être un signe valable d’unité, et donc annoncer l’Évangile dans sa plénitude. Il devra encore plus éviter de présenter son propre choix comme le seul légitime et, dans le cadre de la communauté chrétienne, il devra respecter la maturité des laïcs (cf. ibid., IV, 1196 ; SMME 598) et même s’efforcer de les aider à y parvenir, par la formation de leur conscience (cf. ibid., IV, 1194 ; SMME 597). Il fera tout son possible pour éviter de se créer des ennemis par des prises de position dans le domaine politique qui lui aliéneraient la confiance et provoqueraient l’éloignement des fidèles confiés à sa mission pastorale.

5. Le Synode des évêques de 1971 souligne surtout la nécessité pour le prêtre de s’abstenir de tout engagement militant dans la politique : “ Assumer une fonction directive (leadership) ou de militant actif en faveur de quelque parti politique doit être exclu par tout prêtre, à moins que, dans des circonstances concrètes exceptionnelles, une telle chose soit réellement requise pour le bien de la communauté, (en agissant) cependant avec le consentement de l’évêque, après consultation du Conseil presbytéral et, si nécessaire, de la Conférence épiscopale ” (ibid. IV, 1197 ; SMME 599). Il existe donc des possibilités de dérogation à la norme commune ; mais elles ne peuvent se justifier que dans des circonstances de fait exceptionnelles et elles doivent être dûment autorisées.

Aux prêtres qui, dans la générosité de leur service à l’idéal évangélique, ont tendance à s’engager dans l’activité politique pour contribuer plus efficacement à assainir la vie politique en éliminant les injustices, l’exploitation, les oppressions de toutes sortes, l’Église rappelle que, sur cette route, il est facile de se retrouver impliqués dans des luttes partisanes, avec le risque de collaborer, non pas à l’avènement du monde plus juste auquel ils aspirent, mais à des formes nouvelles et pires d’exploitation des pauvres. Ils doivent savoir de toute façon que, pour cet engagement dans l’action et la militance politiques, ils n’ont reçu ni mission ni charisme d’en haut.

Je prie donc, et je vous invite à prier, pour que croisse toujours davantage chez les prêtres la foi en la mission pastorale qui leur est propre, pour le bien également de la société dans laquelle ils vivent. Qu’ils sachent en reconnaître l’importance également en notre temps, et comprendre cette déclaration du Synode des évêques de 1971 selon laquelle “ il faut toujours se rappeler la priorité de la mission spécifique qui engage l’existence entière des prêtres, de sorte qu’en faisant dans une grande confiance l’expérience renouvelée des choses de Dieu, ils puissent efficacement et joyeusement les annoncer aux hommes qui attendent précisément cela ” (ibid., IV, 1198 ; SMME 599).

Oui, je souhaite et je prie que soit toujours donné davantage à mes frères prêtres, d’aujourd’hui et de demain, ce don d’intelligence spirituelle qui les portera à comprendre et à suivre, y compris dans la dimension politique, le chemin de la pauvreté enseignée par Jésus.





                                                                                  Août 1993


Mercredi 4 août 1993 - La communion sacerdotale

40893 (Jn 17,20-23)

1. Au cours de nos précédentes catéchèses, nous avons réfléchi sur l’importance dans la vie sacerdotale des propositions, ou conseils évangéliques, de virginité et de pauvreté, et sur la mesure et les moyens de les pratiquer selon la tradition spirituelle et ascétique chrétienne, et selon la loi de l’Église. Aujourd’hui, il est bon de rappeler que, à ceux qui voulaient le suivre quand il exerçait son ministère messianique, Jésus n’a pas hésité à dire que, pour être vraiment ses disciples, il fallait “ se renier soi-même et prendre sa croix ” (Mt 16,24 Lc 9,23). C’est une grande maxime de perfection, universellement valable pour la vie chrétienne comme critère définitif de l’héroïcité qui caractérise la vertu des saints. Elle vaut surtout pour la vie sacerdotale où elle prend des formes plus rigoureuses, que justifient la vocation particulière et le charisme spécial des ministres du Christ.

Un premier aspect de ce “ reniement de soi-même ” se manifeste dans les renoncements qui sont liés à l’effort de la communion que les prêtres sont appelés à établir entre eux et avec l’évêque (cf. Lumen Gentium LG 28 Pastores dabo vobis PDV 74). Le sacerdoce ministériel a été institué dans le cadre d’une communauté et d’une communion sacerdotale. Jésus a rassemblé un premier groupe, celui des Douze, les appelant à former une unité dans l’amour mutuel. Il a voulu que des coopérateurs s’agrègent à cette première communauté “ sacerdotale ”. En envoyant en mission les soixante-douze disciples, ainsi que les douze Apôtres, il les envoya deux par deux (cf. Lc Lc 10,1 Mc 6,7), tant pour une aide réciproque dans la vie et le travail, que pour créer l’habitude de l’action commune, et afin que personne n’agisse comme s’il était seul, indépendant de la communauté-Église et de la communauté-Apôtres.

2. Cela est confirmé par la réflexion sur l’appel du Christ qui donne son origine à la vie et au ministère sacerdotal de chacun. Dans l’Église, tout sacerdoce provient d’une vocation. Celle-ci s’adresse à une personne particulière, mais elle est liée aux appels qui sont adressés aux autres, dans le contexte d’un même dessein d’évangélisation et de sanctification du monde. Comme les Apôtres, les évêques et les prêtres, eux aussi, sont appelés ensemble, bien que dans la multiplicité des vocations personnelles, par Celui qui veut les impliquer tous à fond dans le mystère de la Rédemption. Cette communauté de vocation comporte sans aucun doute une ouverture des uns aux autres et de chacun à tous, pour vivre et travailler dans la communion.

Cela ne se réalise pas sans renoncement à l’individualisme toujours vif et sans cesse renaissant, sans une pratique du “ renoncement à soi-même ” (Mt 16,24) par la victoire de la charité sur l’égoïsme. Mais la pensée de la communauté de vocation, qui se traduit en communion, doit encourager tous et chacun à travailler dans la concorde, à reconnaître la grâce qui a été accordée singulièrement et collectivement aux évêques et aux prêtres : une grâce qui est accordée à chacun, non pas parce qu’elle serait due à cause des mérites et des qualités personnelles, et non seulement pour la sanctification personnelle, mais en vue de “ la construction du corps ” (Ep 4,12 Ep 4,16).

De plus, la communion sacerdotale s’enracine profondément dans le sacrement de l’Ordre, dans lequel le reniement de soi-même devient une participation spirituelle encore plus intime au sacrifice de la Croix. Le sacrement de l’Ordre implique la libre réponse de chacun à l’appel qui lui a été adressé personnellement. La réponse est tout aussi personnelle. Mais dans la consécration, l’action souveraine du Christ, agissant dans l’ordination par l’intermédiaire de l’Esprit Saint, crée comme une nouvelle personnalité, transférant dans la communauté sacerdotale, au-delà de la sphère des finalités individuelles, la mentalité, la conscience, les intérêts de celui qui reçoit le sacrement. C’est un fait psychologique qui découle de la reconnaissance du lien ontologique de tout prêtre avec tous les autres. Le sacerdoce conféré à chacun devra s’exercer dans le cadre ontologique, psychologique et spirituel de cette communauté. Alors, on parviendra vraiment à la communion sacerdotale. Elle est un don de l’Esprit Saint mais aussi un fruit de la réponse généreuse du prêtre.

En particulier, la grâce de l’Ordre établit un lien spécial entre les évêques et les prêtres, puisque c’est de l’évêque que l’on reçoit l’ordination sacerdotale, c’est à partir de lui que se propage le sacerdoce, et que c’est lui qui fait entrer les nouveaux ordonnés dans la communauté sacerdotale, dont lui-même est membre.

3. La communion sacerdotale suppose et comporte l’attachement de tous, évêques et prêtres, à la personne du Christ. Quand Jésus voulut faire participer les Douze à sa mission messianique, l’Évangile de Marc nous dit qu’il les appela et les institua “ pour qu’ils soient avec lui ” (Mc 3,14). Au cours de la dernière Cène, il s’adressa à eux comme à ceux qui avaient persévéré avec lui dans l’épreuve (cf. Lc Lc 22,28), et il les recommanda au Père et demanda pour eux l’unité. En demeurant tous unis dans le Christ, ils demeuraient unis entre eux (cf. Jn Jn 15,4-11). La conscience de cette unité et de cette communion dans le Christ demeura vive chez les Apôtres durant la prédication qui, de Jérusalem, les amena dans les diverses régions du monde alors connu, sous l’action impérieuse et en même temps unifiante de l’Esprit de Pentecôte. Cette conscience transparaît dans leurs Lettres, dans les Évangiles et les Actes.

Quand il appelle les nouveaux prêtres au sacerdoce, Jésus-Christ leur demande aussi l’offrande de leur vie à sa personne, voulant ainsi les unir entre eux grâce à un rapport spécial de communion avec lui. C’est la vraie source de l’accord profond de l’esprit et du coeur qui unit les prêtres et les évêques dans la communion sacerdotale.

Cette communion se nourrit de la collaboration à une même oeuvre : la construction spirituelle de la communauté de salut. Certes, tout prêtre a un domaine personnel d’activité, où il peut utiliser toutes ses facultés et qualités, mais ce domaine rentre dans le cadre de l’oeuvre plus vaste par laquelle toute Église locale tend à développer le Royaume du Christ. L’oeuvre est essentiellement communautaire, de sorte que chacun doit agir en coopération avec les autres ouvriers du même Royaume.

On sait combien la volonté de travailler à une même oeuvre peut soutenir et stimuler l’effort commun de chacun. Elle crée un sentiment de solidarité et fait accepter les sacrifices que requiert la coopération, dans le respect de l’autre et en accueillant sa différence. Il est important d’observer dès maintenant que cette coopération s’articule autour du rapport entre l’évêque et les prêtres : la subordination de ceux-ci à l’évêque est essentielle pour la vie de la communauté chrétienne. L’oeuvre pour le Royaume du Christ ne peut s’exercer et se développer que selon la structure qu’il a établie lui-même.

4. J’aime maintenant souligner le rôle que joue l’Eucharistie dans cette communion. Au cours de la dernière Cène, Jésus a voulu instaurer – de la manière la plus complète – l’unité du groupe des Apôtres auxquels, en premier, il confiait le ministère sacerdotal. Devant leurs disputes pour la première place, Jésus, par le lavement des pieds (cf. Jn Jn 13,2-15), donne l’exemple de l’humble service qui résout les conflits suscités par l’ambition, et il enseigne à ses premiers prêtres à chercher la dernière place plutôt que la première. Toujours au cours de la Cène, Jésus énonce le précepte de l’amour mutuel (cf. Jn Jn 13,34 Jn 15,12) et il ouvre la source de la force pour l’observer : en effet, tout seuls, les Apôtres n’auraient pas été capables de s’aimer les uns les autres comme le Maître les avait aimés ; mais par la communion eucharistique, ils reçoivent la capacité de vivre la communion ecclésiale et, en elle, leur communion sacerdotale spécifique. En leur offrant, avec le sacrement, cette capacité supérieure d’amour, Jésus pouvait adresser au Père une supplication audacieuse, celle de réaliser entre ses disciples une unité semblable à celle qui règne entre le Père et le Fils (Jn 17,21-23). Enfin, au cours de la Cène, Jésus investit solidairement les Apôtres de la mission et du pouvoir de faire l’Eucharistie en mémoire de lui, approfondissant ainsi encore davantage le lien qui les unissait. La communion dans le pouvoir de célébrer l’unique Eucharistie ne pouvait pas ne pas être pour les Apôtres – et pour leurs successeurs et collaborateurs – signe et source d’unité.

5. Il est significatif que, dans la prière sacerdotale de la dernière Cène, Jésus prie non seulement pour la consécration (de ses Apôtres) dans la vérité (cf. Jn Jn 17,17), mais pour leur unité, qui doit refléter la communion même des Personnes divines (cf. Jn Jn 17,11). Cette prière, tout en concernant avant tout les Apôtres que Jésus a voulu particulièrement réunir autour de lui, s’étend aussi aux évêques et aux prêtres, ainsi qu’aux croyants, de tous les temps. Jésus demande que la communauté sacerdotale soit un reflet et une participation de la communion trinitaire : quel sublime idéal ! Mais les circonstances en lesquelles Jésus a élevé sa prière font comprendre que, pour se réaliser, cet idéal exige des sacrifices. Jésus demande l’unité de ses Apôtres et de ses disciples au moment où il offre sa vie à son Père. C’est au prix de son sacrifice qu’il instaure la communion sacerdotale dans son Église. Aussi les prêtres ne peuvent-ils pas s’étonner des sacrifices que la communion sacerdotale exige d’eux. Instruits par la parole du Christ, ils découvrent dans ces renoncements une participation spirituelle et ecclésiale concrète au Sacrifice rédempteur du divin Maître.





Catéchèses S. J-Paul II 21793