Catéchèses S. J-Paul II 13679

13 juin 1979 L'EUCHARISTIE EST LE SACREMENT DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST

13679 1. « Pange, lingua, gloriosi/ Corporis mysterium/ Sanguinisque pretiosi. » (St Thomas, Hymne des premières vêpres de la Fête-Dieu.)

Le jour approche — et il est déjà pratiquement commencé — où l’Église parlera avec vénération dans sa solennelle liturgie, de ce mystère dont elle vit chaque jour : l’Eucharistie, « le mystère du glorieux Corps et du précieux Sang », le fondement et en même temps le sommet (cf. Constitution sur la liturgie Sacrosanctum concilium
SC 10) de la vie de l’Église. Son incessante fête et en même temps sa « sainte quotidienneté ».

Chaque année, au début des trois jours sacrés le Jeudi saint nous réunit au Cénacle, où nous célébrons le mémorial de la dernière Cène. Et ce serait là le jour le plus indiqué pour méditer avec vénération sur tout ce que représente pour l’Église le sacrement du Corps et du Sang du Seigneur. Mais il s’est avéré au cours de l’Histoire que ce jour unique, qui est le plus indiqué, ne suffit pas. De plus, il s’inscrit dans l’ensemble du souvenir pascal. Ce sont la passion, la mort et la résurrection qui occupent alors entièrement nos pensées et nos coeurs. Nous ne pouvons donc y dire, au sujet de l’Eucharistie, tout ce dont nos coeurs sont pleins. C’est pourquoi depuis le Moyen Âge, et plus précisément depuis l’année 1264, le besoin d’une adoration à la fois liturgique et publique du très Saint Sacrement a trouvé son expression dans une fête spéciale que l’Église célèbre le premier jeudi après la fête de la Sainte Trinité, c’est-à-dire demain. Et la fête commence aux premières vêpres de la veille, c’est-à-dire aujourd’hui. Je désire que cette méditation nous introduise dans la pleine atmosphère de la fête de l’Eucharistie.

2. « Il n’est de nation si grande qu’elle n’ait la Divinité aussi proche que l’est pour nous notre Dieu par sa présence. » (St Thomas, Office de la Fête-Dieu, 2e nocturne ; cf. Opusc. 57.)

On peut parler de différentes façons de l’Eucharistie. Et on en a déjà parlé de différentes façons au cours de l’Histoire. Il est difficile de dire quelque chose qui n’ait pas déjà été dit. Et en même temps, quel que soit ce que l’on en dit, quel que soit le point de vue dont on part pour s’approcher de ce grand mystère de la foi et de la vie de l’Eglise, on y découvre toujours quelque chose de nouveau. Non pas que nos paroles révèlent cette nouveauté — celle-ci réside dans le mystère même —, mais toute tentative pour en vivre en esprit de foi apporte une nouvelle lumière, un nouvel émerveillement, une nouvelle joie.

« S’émerveillant de cela et considérant la sublimité de l’amour divin, le fils du tonnerre s’exclamait : « Dieu a tant aimé le monde. » (Jn 3,16) […] Saint Jean, dis-nous donc en quel sens il l’a tant aimé. Montre-nous tout ce qu’il y a de sublime dans cette mesure, dans cette grandeur. Dieu a tant aimé le monde… » (St Jean Chrysostome, In cap. Genes. VIII. Homélie XXVII, 1 ; Opera omnia [Migne] 4, 241.)

L’Eucharistie nous rend Dieu merveilleusement proche. C’est le sacrement de sa proximité de l’homme. Dans l’Eucharistie, Dieu est précisément Celui qui a voulu entrer dans l’histoire de l’homme. Il a voulu assumer l’humanité. Il a voulu devenir homme. Le sacrement de son Corps et de son Sang nous rappelle continuellement sa divine humanité.

Chantons : « Ave, verum Corpus, natum ex Maria Virgine. » Et, en vivant de l’Eucharistie retrouvons toute la simplicité et la profondeur du mystère de l’incarnation.

C’est le sacrement de Dieu qui descend vers l’homme, qui s’approche de tout ce qui est humain. C’est le sacrement de la divine « condescendance » (cf. St Jean Chrysostome, In Genes. 3, 8 : Homélie XXVII, 1 : ). L’entrée de Dieu dans la réalité humaine a atteint son sommet dans la passion et la mort. Par sa passion et sa mort sur la croix, le Fils de Dieu incarné est devenu d’une façon particulièrement radicale, le Fils de l’homme. Il a partagé jusqu’au bout ce qui est la condition de tout homme. L’Eucharistie, sacrement du Corps et du Sang, nous rappelle surtout cette mort, que le Christ a subie sur la croix. Elle la rappelle et elle renouvelle d’une façon non sanglante sa réalité historique. C’est ce dont témoignent les paroles prononcées au Cénacle sur le pain et sur le vin, séparément- ces paroles dont le Christ a voulu qu’elles réalisent le sacrement de son Corps et de son Sang, sacrement de sa mort, qui fut un sacrifice expiatoire, dans lequel s’est exprimée toute la puissance de l’amour et qui a consisté à donner sa vie pour reconquérir la plénitude de la vie.

« Mange la vie, bois la vie : tu auras la vie, et la vie dans son intégralité. » (St Augustin, Sermones ad populum, série I, sermon CXXXI. I, 1.)

Par ce sacrement est continuellement annoncée, dans l’histoire de l’homme, la mort qui donne la vie (cf. 1Co 11,26).

Continuellement cela se réalise dans ce sens très simple qu’est le signe du pain et du vin. Dieu y est présent et proche de l’homme, avec la proximité pénétrante de sa mort sur la croix dont a jailli la puissance de la résurrection. Par l’Eucharistie, l’homme participe à cette puissance.

3. L’Eucharistie est sacrement de la communion. Le Christ se donne lui-même à chacun de nous qui le recevons sous les espèces eucharistiques, qui mangeons la nourriture eucharistique et buvons le breuvage eucharistique. Manger ainsi est le signe de la communion. C’est le signe de l’union spirituelle où l’homme reçoit le Christ, où il lui est offert de participer à son Esprit, où il retrouve en Lui d’une façon particulièrement intime la relation avec le Père, où il sent particulièrement proche l’accès au Christ.

Un grand poète (Mickiewicz, Entretiens du soir) a écrit : « Je m’entretiens avec toi qui règnes dans les cieux et en même temps habites en moi… Je m’entretiens avec toi. Les mots me manquent ; ta pensée connaît toutes mes pensées ; tu règnes au loin et tu sers tout près. Tu es roi dans le ciel et sur mon coeur sur la croix. »

Avant de nous approcher de la communion eucharistique, nous récitons en effet le « Notre Père ».

La communion est un lien bilatéral. Il convient donc de dire non seulement que nous recevons le Christ, non seulement que chacun de nous le reçoit sous ce signe eucharistique mais aussi que le Christ reçoit chacun de nous. Dans ce sacrement, il accepte pour ainsi dire toujours l’homme. Il en fait son ami, comme il l’a dit au Cénacle : « Vous êtes mes amis. » (Jn 15,14) Cet accueil et l’acceptation de l’homme par le Christ sont un bienfait inouï. L’homme éprouve très profondément le désir d’être accepté. Toute la vie de l’homme tend à cela : être accueilli et accepté par Dieu. C’est ce qu’exprime sacramentellement l’Eucharistie. Et pourtant, comme le dit saint Paul, l’homme doit « s’examiner lui-même » (cf. 1Co 11,28), pour voir s’il est digne d’être accepté par le Christ. L’Eucharistie est, en un certain sans, un constant défi pour que l’homme s’efforce d’être accepté, pour qu’il adapte sa conscience aux exigences de la très sainte amitié de Dieu.

Dans le cadre de la fête d’aujourd’hui, et aussi dimanche prochain et chaque jour, nous voulons exprimer la vénération et l’amour dont nous entourons toujours le très Saint Sacrement en particulier et en public. Permettez qu’en ce moment ma pensée se tourne encore une fois vers la Pologne dont je suis revenu il y a quelques jours. Ce furent des jours d’un pèlerinage particulier sur la terre où je suis né et où j’ai été formé, parmi des hommes auxquels je ne cesse d’être attaché par les liens les plus profonds de la foi, de l’espérance et de la charité. Je désire encore une fois remercier de tout coeur tous mes compatriotes, les autorités de l’État, mes frères dans l’Episcopat. Je remercie tout le monde.

Eh bien ! c’est précisément là, dans mon pays natal, que j’ai appris à vénérer avec ferveur et à aimer l’Eucharistie. C’est là que j’ai appris le culte du Corps du Seigneur. Depuis des siècles, le jour de la Fête-Dieu, sont organisées des processions du Saint Sacrement où mes compatriotes veulent exprimer communautairement et publiquement ce que l’Eucharistie représente pour eux. Et ils le font encore aujourd’hui. Je m’unis donc spirituellement à eux au moment où, pour la première fois, j’ai la joie de célébrer la solennité du Corps et du Sang du Christ ici, dans la Ville éternelle, où Pierre, de génération en génération, répond d’une certaine manière au Christ : « Seigneur… tu sais que je t’aime… Seigneur, tu sais que je t’aime. » (Jn 21,15-17) L’Eucharistie est, en quelque sorte, le point culminant de cette réponse, que je voudrais, avec toute l’Église répéter à celui qui a manifesté son amour par le sacrement de son Corps et de son Sang en demeurant avec nous « jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20).

Jean-Paul II a fait la déclaration suivante avant de terminer l’audience générale :

Je ne puis vous cacher, très chers frères et soeurs, le sentiment de vive et profonde douleur que j’ai éprouvé en apprenant la grave nouvelle de l’expulsion de 70 missionnaires de la République du Burundi, qui s’est produite la semaine dernière, tandis que j’étais en Pologne. Ce sont des prêtres, des religieuses et des laïcs appartenant à des institutions et des oeuvres missionnaires connues et estimées dans le monde entier pour leur engagement dans l’évangélisation. Ma solidarité va d’abord aux communautés catholiques des diocèses, et en premier lieu à leurs pasteurs, privés brusquement d’aides actifs et qualifiés dans les différents domaines de la vie pastorale, de la formation des prêtres, des écoles, des oeuvres de charité et de promotion humaine ; ma pensée affectueuse va à ces missionnaires enlevés à la vigne du Seigneur à laquelle ils s’étaient consacrés. Je suis aussi profondément attristé en pensant que l’Église, universelle dans sa mission et sa sollicitude pour tous les peuples, et qui même au milieu des difficultés, ne peut cesser de se sentir chez elle dans n’importe quel pays du monde (et le Burundi a une importante population catholique), n’a pas eu le temps d’examiner en quoi tel ou tel aurait pu manquer — s’il y a manqué — à la loyauté et au respect que requiert notre mission religieuse et que nous observons partout envers les autorités et les institutions civiles. S’il arrive que quelqu’un se trompe dans son comportement je pense que l’autorité de l’Église peut s’attendre à trouver la confiance de la part des autorités civiles, surtout si elle entretient avec celles-ci des rapports officiels. L’Église a donné les preuves de son esprit de collaboration et elle saura, si c’est nécessaire, intervenir et corriger, tandis que de son côté elle ne peut pas ne pas compter sur l’esprit de compréhension et de dialogue des autorités civiles.

Fils très chers, priez avec moi pour que l’aide spirituelle des missionnaires soit conservée à l’Église du Burundi, que la blessure puisse être guérie et que le dialogue reprenne et se développe pour le bien de la communauté catholique et de toute la nation du Burundi qui m’est très chère.




20 juin 1979 APPRENDRE A LIRE LE MYSTERE DU COEUR DU CHRIST

20679 1. Après-demain, vendredi prochain, la liturgie de l’Église célébrera, en esprit d’adoration et avec un amour particulier, le mystère du Coeur du Christ. Anticipant cette fête, je désire donc, dès aujourd’hui, tourner avec vous le regard vers le mystère de ce coeur. Il m’a parlé dès mon jeune âge, et chaque année je reviens à ce mystère, au rythme de la liturgie de l’Église.

On sait que le mois de juin est particulièrement consacré au divin Coeur, au Coeur sacré de Jésus. Nous lui exprimons notre amour et notre adoration par la litanie dont chacune des invocations a une richesse théologique particulièrement profonde. Je désire donc m’arrêter avec vous, ne serait-ce que brièvement devant ce Coeur vers lequel se tourne l’Église en tant que communauté de coeurs humains.

Je désire parler ne serait-ce que brièvement, de ce mystère si humain dans lequel Dieu s’est révélé avec tant de simplicité et tant de profondeur en même temps.

2. Aujourd’hui, laissons parler les textes de la liturgie de vendredi, en commençant par la lecture de l’Évangile selon saint Jean. L’Évangéliste rapporte un fait, avec la précision du témoin oculaire : « Comme c’était le vendredi, il ne fallait pas laisser des corps en croix durant le sabbat (d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque). Aussi, les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps, après leur avoir brisé les jambes. Des soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis du deuxième des condamnés que l’on avait crucifiés avec Jésus. Quand ils arrivèrent à celui-ci, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. » (
Jn 19,31-34)

Pas un mot sur le coeur. L’Évangéliste ne parle que du coup de lance dans le côté, d’où est sorti du sang et de l’eau. Le langage utilisé pour cette description est presque médical, anatomique. La lance du soldat a certainement atteint le coeur, pour s’assurer que le condamné était déjà mort. Ce coeur —ce coeur humain — avait cessé de battre. Jésus avait cessé de vivre. Mais en même temps, cette ouverture anatomique du coeur du Christ après sa mort — malgré toute la rigueur historique du texte — nous conduit aussi à penser en métaphore. Le coeur n’est pas seulement un organe qui conditionne la vitalité biologique de l’homme, il est un symbole. Il exprime tout l’homme intérieur avec sa spiritualité interne. Et la tradition a tout de suite fait dans ce sens une seconde lecture du texte de saint Jean. Du reste, l’Évangéliste y incite en un certain sens lorsque, à propos de l’attestation du témoin oculaire, qui était lui-même, il se réfère à cette phrase de la Sainte Écriture : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé. » (Jn 19,37 Za 12,10)

C’est ainsi en réalité que le regarde l’Église, que le regarde l’humanité. Dans le coup de lance du soldat, toutes les générations de chrétiens ont appris et apprennent toujours à lire le mystère du coeur de l’homme crucifié, qui était et est le Fils de Dieu.

3. Au cours des siècles, beaucoup de disciples du Coeur du Christ ont acquis à des degrés divers une connaissance de ce mystère. L’un des premiers fut certainement Paul de Tarse qui, de précurseur qu’il était, est devenu apôtre. Lui aussi nous parle, dans la liturgie de vendredi prochain, par sa Lettre aux Éphésiens. Il parle comme quelqu’un qui a reçu une grande grâce, parce qu’il lui a été donné « d’annoncer aux nations païennes la richesse insondable du Christ, et de mettre en lumière le contenu du mystère tenu caché depuis toujours en Dieu, créateur de toutes choses » (Ep 3,8-9).

Par cette « richesse du Christ » et cet insondable dessein de Dieu pour notre salut, l’Esprit-Saint s’adresse à « l’homme intérieur », afin que « le Christ habite en vos coeurs par la foi » (Ep 3,16-17). Et lorsque, par la force de l’Esprit-Saint, le Christ habitera dans nos coeurs d’hommes par la foi, nous serons alors en mesure « de comprendre avec notre esprit humain » (c’est-à-dire précisément avec ce « coeur ») « quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur, et connaître l’amour du Christ qui surpasse tout ce qu’on peut connaître… » (Ep 3,18-19).

C’est pour cette connaissance faite par le coeur, par tout coeur humain, qu’a été ouvert, à la fin de sa vie terrestre, le divin Coeur du condamné, du crucifié, sur le Calvaire.

Cette connaissance existe à des degrés divers dans les coeurs humains. Devant la force des paroles de saint Paul, que chacun de nous s’interroge sur les dimensions de son propre coeur. « Devant lui nous apaiserons notre coeur. Car, si notre coeur nous accuse, Dieu est plus grand que notre coeur et il discerne tout. » (1Jn 3,19-20) Le Coeur de l’Homme-Dieu ne juge pas les coeurs humains. Son Coeur appelle « invite ». C’est pour cela qu’il a été ouvert par la lance du soldat.

4. Le mystère du coeur est ouvert par les blessures du corps. Ce qui est ouvert, c’est le grand mystère de la piété, les « viscères de miséricorde de notre Dieu » (St Bernard, Sermon LXI, 4 : PL 183, 1072).

Le Christ nous parle dans la liturgie de vendredi : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur. » (Mt 11,29)

Peut-être est-ce la seule fois où Notre Seigneur Jésus a parlé de son coeur, et c’était pour en mettre en évidence la douceur et l’humilité. Comme s’il signifiait que c’est seulement ainsi qu’il veut conquérir l’homme, que c’est par la douceur et l’humilité qu’il veut régner sur les coeurs. Tout le mystère de son règne s’est exprimé dans ces paroles. La douceur et l’humilité expriment en un certain sens toute la « richesse » du Coeur du Rédempteur dont saint Paul parle aux Éphésiens. Mais aussi cette douceur et cette humilité le révèlent pleinement. Mieux encore, elles nous permettent de le connaître et de l’accepter. Elles en font l’objet d’une admiration suprême.

La belle litanie du Sacré-Coeur de Jésus est faite de mots semblables et aussi de cris d’admiration pour la richesse du Coeur du Christ. Méditons-les avec attention en ce jour.

5. Ainsi, la fête du Coeur divin, du Sacré-Coeur de Jésus, se présente discrètement à la fin de ce cycle liturgique fondamental de l’Église qui a commencé avec le premier dimanche de l’Avent, est passé par le temps de Noël, puis le Carême, le temps pascal, jusqu’à la Pentecôte et le dimanche de la Sainte Trinité et la Fête-Dieu. Et tout ce cycle se résume définitivement dans le Coeur du Dieu-homme. Et c’est à partir de lui que, chaque année, il rayonne sur toute la vie de l’Église.

Ce Coeur est « source de vie et de sainteté ».

Devant la situation tragique créée pour les réfugiés vietnamiens par le refus des pays voisins de les recevoir (la Malaisie avait annoncé qu’elle les refoulerait à la mer), Jean-Paul II a lancé l’appel suivant à la fin de cette audience générale :

Poussé par l’amour du Christ — « Caritas Christi urget nos » — je veux ce soir élever ma voix pour vous inviter à tourner votre pensée et votre coeur vers le drame qui se déroule actuellement sur les terres et les mers lointaines de l’Asie du Sud-Est et qui affecte des centaines de milliers de nos frères et de nos soeurs. Ils sont à la recherche d’une patrie, car les pays qui les ont accueillis au début ont atteint les limites de leurs possibilités, tandis que les offres d’insertion définitive sur d’autres terres sont jusqu’à maintenant insuffisantes.

C’est pourquoi le projet de réunir une conférence internationale des pays concernés — et quel est le pays qui pourrait se sentir étranger à cette tragédie ? — ne peut qu’être vivement encouragé. Que cette conférence ait lieu le plus rapidement possible ! Le Saint-Siège souhaite qu’une telle rencontre amène les gouvernements à prendre des dispositions efficaces pour l’accueil le transit et l’installation définitive des réfugiés indochinois.

Je rends hommage à l’action déjà entreprise par certains pays, ainsi que par des organisations internationales et de nombreuses initiatives privées. Mais le problème est d’une telle ampleur qu’on ne peut en laisser plus longtemps peser le poids uniquement sur quelques-uns. Je fais appel à la conscience de l’humanité : que tous — peuples et gouvernants — assument leur part de responsabilité, au nom d’une solidarité qui dépasse les frontières, les races, les idéologies.

La communauté de l’Église a déjà accompli un grand travail de charité et d’entraide, et je m’en réjouis de tout coeur. Mais, j’en suis certain, elle peut et elle veut faire encore davantage. Les pasteurs, dans leurs diocèses, ne manqueront pas d’encourager les fidèles en leur rappelant, au nom du Seigneur, que chaque homme, chaque femme, chaque enfant qui est dans le besoin est notre prochain. Les paroisses, les organisations catholiques, les communautés religieuses et aussi les familles chrétiennes trouveront le moyen d’exprimer leur charité envers les réfugiés. Que chacun s’engage personnellement à poser un geste concret à la mesure de sa générosité et de son imagination inspirée par l’amour.



27 juin 1979 PIERRE ET PAUL, TEMOINS DE L'AMOUR DU CHRIST

27679 1. « Elle est précieuse aux yeux du Seigneur la mort de ses amis. » (Ps 116,15)

Permettez que je commence par ces paroles du psaume 116 la méditation d’aujourd’hui, que je veux consacrer à la mémoire des saints fondateurs et patrons de l’Église romaine. Nous approchons en effet, de la solennité du 29 juin où toute l’Église, mais surtout Rome, célèbre les saints apôtres Pierre et Paul. Ce jour-là, dans la mémoire de l’Église romaine, s’est affirmé comme le jour de leur mort, le jour qui les a unis au Seigneur dont ils attendaient la venue en observant sa loi, et dont ils ont reçu « la couronne de la vie » (cf. 2Tm 4 2Tm 7-8 Jc 1,12).

Le jour de la mort fut pour eux le commencement de la nouvelle vie. Le Seigneur leur a révélé ce commencement par sa propre résurrection dont ils sont devenus témoins par leurs paroles et leurs oeuvres, et aussi par leur mort. Ensemble, les paroles, les oeuvres et la mort de Simon de Bethsaïde, que le Seigneur a appelé Pierre, et de Saul de Tarse, qui s’est appelé Paul après sa conversion constituent comme le complément de l’Évangile du Christ, sa pénétration dans l’histoire de l’humanité, dans l’histoire du monde, et aussi dans l’histoire de cette ville. Vraiment c’est là une chose à méditer en ces jours que par la mort de ses apôtres, le Seigneur nous donne de remplir du souvenir de leur vie.

« Dans tous les lieux du monde est célébrée la grande fête des saints apôtres Pierre et Paul, que le Christ a consacrés d’un sang fécond et qu’il a mis à la tête des Églises. » (Hymne de l’office de lecture.)

2. Lorsque, après la résurrection, le Christ eut avec lui ce dialogue extraordinaire rapporté par saint Jean dans son Évangile, Pierre ne savait certainement pas que s’accompliraient précisément ici, dans la Rome de Néron, les paroles du Christ et les siennes. Le Christ lui avait demandé par trois fois : « M’aimes-tu ? », et par trois fois Pierre lui avait répondu affirmativement, même si la troisième fois « Pierre fut attristé » (Jn 21,17), comme le fait remarquer l’évangéliste. Certains avancent des causes possibles de cette tristesse et veulent la trouver dans le triple reniement, rappelé à Pierre par la troisième question du Christ. Quoi qu’il en soit après la troisième réponse, dans laquelle Pierre n’a pas tant affirmé son amour que rappelé humblement ce que le Christ savait à ce propos : « Seigneur, tu sais que je t’aime » (Jn 21,15), viennent les paroles qui devaient se réaliser un jour, précisément ici, à Rome. Le Seigneur dit : « Quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui nouera ta ceinture et te conduira là où tu ne voudrais pas. » (Jn 21,18) Ces paroles mystérieuses peuvent être comprises de différentes façons. Cependant, l’Évangéliste suggère leur sens exact lorsqu’il ajoute : « Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu. » (Jn 21,19)

C’est pourquoi le jour de la mort de l’Apôtre, que nous commémorerons après-demain, nous rappelle aussi l’accomplissement de ces paroles. Tout ce qui s’est passé avant — tout l’enseignement apostolique et le service de l’Église en Palestine, puis à Antioche et finalement à Rome — tout cela constitue l’accomplissement de cette triple réponse : « Seigneur, tu sais que je t’aime » (Jn 21,15) ; oui, tout cela, jour après jour, année après année, avec toutes les joies de saint Pierre quand il voyait la cause de l’Évangile grandir dans les âmes, mais aussi toutes ses inquiétudes, les persécutions, les menaces, depuis sa prison de Jérusalem, sur ordre d’Hérode, jusqu’à celle de Rome, sur ordre de Néron. La première fois, il avait été libéré par l’ange du Seigneur, mais pas la seconde fois. Probablement par la vie et le ministère de Pierre, la mesure terrestre de l’amour qu’il avait promis au Maître était-elle comble. La seconde partie de la phrase pouvait alors se réaliser : « … Un autre nouera ta ceinture et te conduira là où tu ne voudrais pas. » (Jn 21,18) Selon la tradition, Pierre est mort sur la croix, comme le Christ mais ayant conscience de ne pas être digne de mourir comme son Maître, il a demandé à être crucifié la tête en bas. Paul, « instrument de choix pour porter le nom du Seigneur aux nations »

3. Paul est venu à Rome comme détenu, après avoir fait appel à César contre la sentence de condamnation prononcée en Palestine (cf. Ac Ac 25,11). Il était citoyen romain et il avait droit à ce recours. Il est donc possible qu’il ait passé les deux dernières années de sa vie dans la Rome de Néron. Il ne cessa pas d’enseigner oralement et par écrit (par ses lettres), mais peut-être ne pouvait-il plus quitter Rome. Ses voyages missionnaires, qui lui avaient permis de gagner les principaux centres du monde méditerranéen, étaient terminés. Ainsi se réalisait ce qui avait été annoncé au sujet de cet « instrument choisi pour porter le nom du Seigneur devant les nations païennes » (Ac 9,15).

En un peu plus de trente années, après la mort du Christ, sa résurrection et son ascension vers le Père, la région méditerranéenne et donc le territoire de l’Empire avaient été peuplés des premiers chrétiens. Tout cela fut, pour une part considérable, le fruit de l’activité missionnaire de l’Apôtre des gentils. Et si, au milieu de toutes ces sollicitudes, le désir ne l’avait pas quitté « de s’en aller et d’être avec le Christ » (Ph 1,23), c’est ici, à Rome, que ce désir s’est réalisé.

Le Seigneur l’avait acheminé vers Rome, à la fin de sa vie, pour qu’il y soit témoin du ministère de Pierre, non seulement parmi les juifs mais aussi parmi les païens, et pour y porter le témoignage vivant du développement de l’Eglise « jusqu’aux extrémités de la terre » (cf. Ac Ac 1,8) esquissant ainsi la première image de son universalité. Le Seigneur a voulu que Paul, apôtre inlassable et serviteur de cette universalité, passe les dernières années de sa vie ici, près de Pierre lequel, comme un rocher, s’est établi en ce lieu pour y être l’appui et le point de référence stable de cette universalité.

« Heureuse Rome, rougie du sang précieux de ces princes, tu es plus belle que tout ce qu’il y a au monde, non pas par ta valeur, mais par leurs mérites. » (Hymne de vêpres.)

4. À l’approche du 29 juin, fête des saints apôtres Pierre et Paul, beaucoup de pensées et de sentiments se pressent en nous. Le besoin de prière, surtout, se fait plus grand, pour que le ministère de Pierre trouve une nouvelle compréhension dans l’Église de notre temps, et pour que se développe toujours davantage la dimension de l’universalité missionnaire que saint Paul a donnée d’une façon si remarquable à l’histoire de l’Église romaine, en demeurant ici comme détenu pendant les dernières années de sa vie.

Que le Seigneur, qui a promis à Pierre de construire son Église « sur cette pierre », continue à être bon pour la pierre qui s’est insérée sur le territoire de la Ville éternelle, fertilisé par le sang de ses fondateurs.





4 juillet 1979 L'EGLISE DE PIERRE ET PAUL

40779 1. La semaine dernière, l’Église romaine a vécu de grands et saints moments qui méritent une mention particulière devant Dieu et les hommes. Devant Dieu, afin de pouvoir lui dire notre gratitude et lui renouveler notre confiance ; devant les hommes, afin de satisfaire le besoin des coeurs qui, en de tels moments, s’unissent et s’ouvrent réciproquement.

Il m’a été donné pour la première fois, à moi qui ne suis natif ni de cette ville ni de cette terre, de vénérer les saints apôtres Pierre et Paul, le jour où chaque année est célébré le souvenir de leur glorieux martyre, précisément en ce lieu d’où le Seigneur les a appelés à lui. J’ai déjà célébré leur fête bien des fois dans mon pays, manifestant ainsi l’unité du Peuple de Dieu avec Pierre dans l’Église catholique. Mais ici, au centre même de l’Église, le mystère de cette insolite vocation, qui a conduit Pierre du lac de Génésareth à Rome et sur ses traces a aussi conduit Paul de Tarse ici, nous parle avec toute la force de sa réalité historique. Avec quelle émotion, le soir du 28 juin, nous avons récité les premières vêpres de la fête de ces deux saints patrons ! Après la bénédiction des palliums, qui sont le symbole de l’unité de l’Église universelle avec le Siège de Saint-Pierre, nous sommes descendus là où sont les saintes reliques de saint Pierre, là où elles avaient été enterrées et où maintenant elles font l’objet d’un nouvel examen scientifique. Combien est éloquent l’autel, au centre de la basilique, sur lequel le Successeur de Pierre célèbre l’eucharistie en pensant que c’est tout près de cet autel que Pierre a fait, sur la croix le sacrifice de sa vie en union avec Celui sur le calvaire, du Christ crucifié et ressuscité !

Le même jour, selon la tradition, le Seigneur a reçu également le sacrifice de saint Paul.

Et pas seulement le leur. La liturgie du 30 juin commémore tous les martyrs de l’Église qui ont alors subi une sanglante persécution ici à Rome, au temps de Néron. Cela est attesté par des historiens de l’antiquité comme Tacite (Annales XV, 45) et des Pères apostoliques comme Clément de Rome (Ad. Co 5-6). Mais, bien loin d’être la dernière persécution, celle-ci fut plutôt la première. D’autres persécutions ont suivi, jusque sous Dioclétien, au début du Ier siècle, et puis sous Julien l’Apostat, au début de la seconde moitié de ce siècle. L’Église de Rome s’est profondément enracinée dans ce multiple témoignage. Cette capitale du monde antique reçut non seulement le baptême de l’eau, mais celui du sang des martyrs, « qui parle mieux encore que celui d’Abel » (
He 12,24).

Nous tous qui vivons dans la précipitation de la civilisation contemporaine, dans l’inquiétude de la vie actuelle, nous devons nous arrêter ici et méditer sur la façon dont est née cette Église à laquelle, de par la volonté du Seigneur, il fut donné de devenir le centre et la capitale d’une si haute mission : l’Église vers laquelle viennent en pèlerinage tant d’Églises qui trouvent en elle le fondement de leur unité.

2. Le souvenir de ces vicissitudes du début de l’Église de Rome, que Dieu a fondée ici sur Pierre — dont le nom évoque le roc — s’est accompagné d’autres événements importants, la semaine dernière. Ces événements reflètent le développement du Saint-Siège qui doit toujours servir l’unité des chrétiens dans une Église à la fois catholique et apostolique. Nous avons eu le bonheur d’introduire solennellement dans le Collège des cardinaux de l’Église romaine quinze hommes. L’un d’eux demeure « in pectore », en attendant les décisions de la Divine Providence si un jour elle nous permet de révéler son nom ; les autres sont déjà connus de tous. Dans ce rite sublime s’est rénovée la tradition millénaire de l’Église romaine qui a une grande signification non seulement pour la stabilité ultérieure de l’Église, mais aussi pour bien comprendre son double caractère à la fois local et universel.

Notre Église romaine « locale » est liée à cette ville comme elle l’a été il y a dix-neuf siècles et plus par l’Apôtre Pierre. Après lui, cette Église romaine a élu ses évêques les uns après les autres pour qu’ils exercent en elle le service pastoral, et elle l’a fait selon les possibilités et les besoins des différentes époques.

L’origine du Collège cardinalice remonte à la tradition selon laquelle l’Évêque de Rome était élu par les représentants du clergé romain. Ces Électeurs romains, qui dès alors constituaient un collège important dans la vie de l’Église, ont donné naissance à l’institution qui, depuis près de mille ans, assure la succession sur le Siège de Pierre.

La succession sur ce siège épiscopal a une signification non seulement pour l’Église « locale » qui est ici à Rome, mais aussi pour l’Église universelle, c’est-à-dire pour chacune des Églises locales qui font ainsi partie d’une communauté universelle. C’est là vraiment une signification « clé » puisque le Christ a donné précisément à Pierre « le pouvoir des clés ».

Ces derniers temps et surtout pendant le pontificat de Paul VI, le Collège cardinalice s’est développé et internationalisé. Il compte actuellement 70 cardinaux européens, 40 cardinaux américains (du Nord, du Centre et du Sud), 12 cardinaux africains, 10 d’Asie et 3 d’Australie et d’Océanie. Tous ont de hautes responsabilités en tant que pasteurs d’importantes Église locales (ou diocèses) ou chefs des principaux dicastères de la Curie romaine. Et ils sont en même temps héritiers des anciens « électeurs » qui provenaient du clergé romain et choisissaient l’Evêque de Rome. C’est pourquoi en même temps qu’ils sont appelés au Collège cardinalice, il leur est donné le titre d’un diocèse suburbicaire ou d’une église romaine. C’est ainsi que le Collège cardinalice unit en lui — et manifeste — les deux dimensions constitutives de l’Église : la dimension « locale » et la dimension « universelle ». L’Église édifiée sur Pierre est « romaine » dans ces deux dimensions.

3. Ainsi donc les jours de la semaine dernière nous ont permis d’entrer dans une familiarité particulièrement profonde avec la réalité de l’Église avec son mystère et en même temps avec son histoire à laquelle, à nos yeux, s’est, en un certain sens, ajoutée une étape nouvelle.

Si nous revenons aujourd’hui sur ces événements importants, c’est pour montrer combien profondément nous avons vécu ces faits. A l’exemple de la Mère du Christ, nous devons « conserver dans notre coeur » (cf. Lc Lc 2,51) ces événements si éloquents et « les manifester extérieurement » au moment opportun afin d’affermir leur importance intérieure.

Ma pensée se tourne encore une fois vers les membres du Collège cardinalice qui ont connu un nouvel accroissement. Je recommande chacun d’eux aux prières de vous tous ici réunis, aux prières de toute l’Église.

À Jésus-Christ, « Roi des siècles » (1Tm 1,17), je recommande l’Église édifiée « sur le fondement des apôtres et des prophètes » (Ep 2,20), l’Église romaine fondée sur Pierre et liée depuis le début au souvenir de l’Apôtre des nations.





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