Catéchèses S. J-Paul II 19979

19 septembre 1979 « ILS DEVIENNENT UNE SEULE ET MEME CHAIR »

19979 1. À propos des paroles de Jésus sur le mariage, où il se réfère à ce qui existait « à l’origine », nous avons parlé la semaine dernière du premier récit de la création de l’homme dans le livre de la Genèse (ch. 1). Nous parlerons aujourd’hui du second récit, qui est souvent appelé « yahviste », parce que Dieu y est désigné sous le nom de « Yahvé ».

Le second récit de la création de l’homme (lié à celui de la première chute après l’innocence première, le bonheur originel) a de sa nature un caractère différent. Sans entrer dès maintenant dans les détails de ce récit, dont nous parlerons dans les analyses ultérieures, nous devons constater que tout le texte, lorsqu’il exprime la vérité sur l’homme, nous étonne par sa profondeur caractéristique, différente de celle du premier chapitre de la Genèse. On peut dire que cette profondeur est de nature avant tout subjective et donc, en un certain sens, psychologique. Le chapitre 2 de la Genèse constitue, d’une certaine manière, la description, la donnée la plus ancienne sur l’homme tel qu’il se comprend lui-même. Avec le chapitre 3, il constitue le premier témoignage de la conscience humaine. Une réflexion approfondie sur ce texte — à travers toute la forme archaïque du récit qui manifeste son caractère mythique primitif [1] — nous y fait trouver dans leur noyau presque tous les éléments de l’analyse de l’homme auxquels est sensible l’anthropologie philosophique moderne et surtout contemporaine On pourrait dire que le deuxième chapitre de la Genèse présente la création de l’homme spécialement sous l’aspect de sa subjectivité. Si l’on compare les deux récits, on arrive à la conviction que cette subjectivité correspond à la réalité objective de l’homme créé « à l’image de Dieu ». Et cela bien que d’une autre manière, est également important pour la théologie du corps, comme nous le verrons dans les analyses qui suivront.

2. Il est significatif que dans sa réponse aux Pharisiens, où il évoque ce qui était à « l’origine », le Christ parle de la création de l’homme en se référant avant tout à Genèse (
Gn 1,27) : « À l’origine, le Créateur les créa homme et femme. » C’est seulement ensuite qu’il cite le texte de Genèse (Gn 2,24). Les paroles qui décrivent directement l’unité et l’indissolubilité du mariage se trouvent dans le contexte immédiat du second récit de la création, dont le trait caractéristique est la création de la femme à part (cf. Gn Gn 2,18-23), alors que le récit de la création du premier homme (de sexe masculin) se trouve aux versets (Gn 2,5-7) du même chapitre. Ce premier être humain, la Bible l’appelle « homme » (Adam). Mais dès la création de la première femme, il commence à l’appeler « mâle », « ish », en lien avec « ishsha » (« femme »), parce qu’elle a été tirée du mâle, « ish » [2].

Il est aussi significatif que lorsqu’il se réfère à Genèse (Gn 2,24), le Christ non seulement relie « l’origine » au mystère de la création, mais nous reconduit pour ainsi dire à l’innocence première de l‘homme et au péché originel. Le second récit de la création de l’homme se situe précisément dans ce contexte dans le livre de la Genèse. Nous y lisons en effet avant tout : « Le Seigneur Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. L’homme s’écria : « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme, car c’est de l’homme qu’elle a été prise. » (Gn 2,22-23) « Aussi, l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (Gn 2,24) « Tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, sans se faire mutuellement honte. » (Gn 2,25)

3. Immédiatement après ces versets commence le chapitre 3, avec le récit de la première chute de l’homme et de la femme, lié à celui de l’arbre mystérieux qui, auparavant, avait été appelé « arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,17). Cela conduit à une situation complétement nouvelle, essentiellement différente de la précédente. L’arbre de la connaissance du bien et du mal est une ligne de démarcation entre les deux situations originelles dont parle le livre de la Genèse. La première situation est celle de l’innocence originelle, où l’homme (homme et femme) se trouve pour ainsi dire en dehors de la connaissance du bien et du mal. Elle va jusqu’au moment où il transgresse l’interdiction établie par le Créateur et mange le fruit de l’arbre de la connaissance. Mais dans la seconde situation, après avoir transgressé le commandement du Créateur comme le lui avait suggéré l’esprit du mal symbolisé par le serpent, l’homme se trouve d’une certaine manière dans la connaissance du bien et du mal. Cette seconde situation détermine l’état humain de péché, s’opposant à l’état primitif d’innocence.

Bien que le texte « yahviste » soit dans son ensemble très concis, il suffit pour différencier et opposer clairement ces deux situations originelles. Nous parlons ici de situations en pensant à ce récit qui est une description d’événements. Cependant, à travers cette description et tous ses détails émerge la différence essentielle entre l’état de péché et celui d’innocence première [3]. La théologie systématique verra dans ces deux situations opposées deux états différents de la nature humaine : le « status naturae integrae » (l’état de nature intègre) et le « status naturae lapsae » (l’état de nature déchue). Tout cela ressort de ce texte « yahviste » des chapitres 2 et 3 de la Genèse, qui renferme la plus ancienne révélation et, évidemment, revêt un sens fondamental pour la théologie de l’homme et la théologie du corps.

4. Lorsque le Christ, en se référant à « l’origine », renvoie ses interlocuteurs au texte de Genèse 2, 24, il leur ordonne en un certain sens de dépasser la limite qui, dans le texte yahviste de la Genèse, sépare la première de la seconde situation de l’homme. Il n’approuve pas ce que Moïse a permis « à cause de la dureté des coeurs », et il revient aux paroles du premier commandement donné par Dieu qui, dans ce texte, est expressément lié à l’état d’innocence originelle de l’homme. Cela signifie que ce commandement n’a rien perdu de sa force, bien que l’homme ait perdu son innocence primitive. La réponse du Christ est décisive et sans équivoque. C’est pourquoi nous devons en tirer les conclusions normatives, qui ont un sens essentiel non seulement pour la morale, mais surtout pour la théologie de l’homme et pour la théologie du corps qui, comme un élément particulier de l’anthropologie théologique, s’établit sur le fondement de la parole de Dieu révélée. Nous nous efforcerons de tirer ces conclusions au cours de la prochaine rencontre.

APPEL


Je voudrais me faire l’interprète, encore une fois, de la souffrance d’une famille atteinte dans ses affections les plus chères par la plaie croissante des séquestrations de personnes. Il s’agit de la famille Casana, de Turin dont les deux enfants, Giorgio et Marina, âgés respectivement de 14 et 15 ans, ont été enlevés il y aura bientôt un mois. Comment exprimer la consternation et l’horreur que l’on éprouve devant cet énième acte de violence, perpétré avec une froide détermination contre des êtres qui, en raison de leur jeune âge, sont les plus fragiles et les plus désarmés ? Ne reste-t-il pas dans le coeur de leurs ravisseurs une étincelle d’humanité qui leur fera entendre mon appel, comprendre l’angoisse qui tenaille leurs parents ? Je ne me résigne pas à le penser et je vous invite donc tous à vous unir à ma prière pour obtenir du Seigneur qu’il amène les responsables à un mouvement de pitié en rendant le plus tôt possible ces deux enfants sains et saufs à l’affection de leur famille.
* * *


Je suis heureux de saluer les membres de la Société de Saint-Jean, fondée voici cent quarante ans par le célèbre Père Lacordaire pour le développement de l’art chrétien. Je vous encourage, chers amis, non seulement à fortifier le lien fraternel et spirituel qui vous unit, mais à apporter votre contribution pour promouvoir l’art sacré, celui d’hier et celui d’aujourd’hui, le faire apprécier, le mettre en honneur, car l’art sacré demeure une voie très importante pour suggérer le mystère chrétien et conduire les âmes au dialogue avec Dieu. Je vous bénis de tout coeur.

Je salues aussi les participants de la neuvième Conférence internationale sur l’Automation, réunie pour étudier les problèmes inhérents à la modernisation de l’organisation bancaire. Que Dieu vous aide à réaliser ces efforts comme un service de la société et qu’il bénisse vos familles!

[1] Dans le langage du rationalisme du XIXe siècle, le mot « mythe » désignait ce qui n’est pas dans la réalité le produit de l’imagination (Wundt), ou ce qui est irrationnel (Levy-Bruhl), mais le XXe siècle a modifié cette notion de mythe.
L. Walk voit dans le mythe la philosophie naturelle, primitive et religieuse ; R. Otto la considère comme un instrument de connaissance religieuse ; mais pour C. G. Jung, le mythe est la manifestation des archétypes et l’expression de « l’inconscient collectif » symbole des processus intérieurs.
M. Eliade voit dans le mythe la structure de la réalité inaccessible à la recherche rationnelle et empirique. Le mythe, en effet, transforme l’événement en catégorie et rend capable de percevoir la réalité transcendante. Il n’est pas seulement symbole des processus intérieurs (comme le dit Jung), mais acte autonome et créateur de l’esprit humain par lequel s’effectue la révélation (cf. Traité d’histoire des religions, Paris 1949, p. 363 ; Images et symboles, Paris 1952, PP 199-235).
Selon P. Tillich, le mythe est un symbole constitué par les éléments de la réalité pour présenter l’absolu et la transcendance de l’être auxquels tend l’acte religieux.
H. Schlier souligne que le mythe ne connaît pas les faits historiques et n’en a pas besoin dans la mesure où il décrit ce qui est destinée cosmique de l’homme, lequel est toujours égal à lui-même. Enfin le mythe tend à connaître l’inconnaissable.
Selon P. Ricoeur : « Le mythe est autre chose qu’une explication du monde, de l’histoire et de la destinée ; il exprime, en terme de monde, voire d’outre-monde ou de second monde la compréhension que l’homme prend de lui-même par rapport au fondement et à la limite de son existence. […] Il exprime dans un langage objectif le sens que l’homme prend de sa dépendance à l’égard de cela qui se tient à la limite et à l’origine de son monde. » (P. Ricoeur, le Conflit des interprétations, Paris 1969 (Seuil), p. 383.)
« Le mythe adamique est par excellence le mythe anthropologique ; Adam veut dire Homme ; mais tout mythe de l’ « homme primordial » n’est pas « mythe adamique » qui… est seul proprement anthropologique ; par là trois traits sont désignés :
« – Le mythe étiologique rapporte l’origine du mal à un ancêtre de l’humanité actuelle dont la condition est homogène à la nôtre. […]
« – Le mythe étiologique est la tentative la plus extrême pour dédoubler l’origine du mal et du bien. L’intention de ce mythe est de donner consistance à une origine radicale du mal distincte de l’origine plus originaire de l’être-bon des choses. […] Cette distinction du radical de l’originaire est essentielle au caractère anthropologique du mythe adamique ; c’est elle qui fait de l’homme un commencement du mal au sein d’une création qui a déjà son commencement absolu dans l’acte créateur de Dieu.
« – Le mythe adamique subordonne à la figure centrale de l’homme primordial d’autres figures qui tendent à décentrer le récit, sans pourtant supprimer le primat de la figure adamique. […]
« Le mythe, en nommant Adam, l’homme, explicite l’universalité concrète du mal humain ; l’esprit de pénitence se donne dans le mythe adamique le symbole de cette universalité. Nous retrouvons ainsi […] la fonction universalisante du mythe. Mais en même temps nous retrouvons les deux autres fonctions également suscitées par l’expérience pénitentielle. […] Le mythe protohistorique servit ainsi non seulement à généraliser l’expérience d’Israël à l’humanité de tous les temps et de tous les lieux, mais à étendre à celle-ci la grande tension de la condamnation et de la miséricorde que les prophètes avaient enseigné à discerner dans le propre destin d’Israël.
« Enfin, dernière fonction du mythe, motivée dans la foi d’Israël : le mythe prépare la spéculation en explorant le point de rupture de l’ontologique et de l’historique. » (P. Ricoeur, Finitude et culpabilité : II. Symbolique du mal, Paris 1960 (Aubier), pp. 218-227.)

[2] Quant à l’étymologie, il n’est pas exclu que le mot hébreu « ish » vienne d’une racine qui signifie « force » (« ish » ou « ws »). Quant au mot « ishsha », il est lié à une série de termes sémitiques dont le sens oscille entre femelle et épouse.
L’étymologie proposée par le texte biblique est de caractère populaire et sert à souligner l’unité d’origine de l’homme et de la femme. Cela semble confirmé par l’assonance des deux mots.

[3] « Le langage religieux requiert la transposition d’ « images », ou plutôt de « modalités symboliques en « modalités conceptuelles » d’expression.
« À première vue, cette transposition peut apparaître comme un changement purement extrinsèque. […] Le langage symbolique semble inadéquat pour s’engager dans la voie du concept pour un motif qui est particulier à la culture occidentale. Dans cette culture, le langage religieux a toujours été conditionné par un autre langage : le langage philosophique qui est le langage conceptuel par excellence. […] S’il est vrai qu’un vocabulaire religieux n’est compris que dans une communauté qui l’interprète et selon une tradition d’interprétation, il est cependant également vrai qu’il n’est pas de tradition d’interprétation qui ne soit conditionnée par une conception philosophique.
« Le mot « Dieu » qui, dans les textes bibliques, reçoit son sens de la convergence des divers modes de discours (récits et prophéties, textes législatifs et littérature sapientiale, proverbes et hymnes) — en voyant dans cette convergence aussi bien le point d’intersection que l’horizon échappant à toute espèce de forme — devrait être absorbé dans l’espace conceptuel pour être réinterprété en termes d’absolu philosophique, tels que premier moteur, cause première, Actus essendi, être parfait, etc. Notre concept de Dieu appartient donc à une ontothéologie dans laquelle s’organise toute la constellation des mots clés de sémantique théologique, mais dans un cadre de sens dictés par la métaphysique » (Paul Ricoeur, Ermeneutica biblica, Brescia 1978, Morcelliana PP 140-141 pp. 140-141 ; titre original : Biblical Hermeneutics, Montana 1975).
La question de savoir si la réduction métaphysique exprime réellement le contenu renfermé dans le langage symbolique et métaphorique constitue un thème à part.


A partir du 26 septembre: traduction reprise des éditions Téqui, collection "Paroles du Pape"



26 septembre 1979 LE LIEN ENTRE L'INNOCENCE ORIGINELLE ET LA REDEMPTION

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1. Pour répondre à la demande concernant l'unité et l’indissolubilité du mariage le christ s'est réclamé de ce qui est écrit dans le de la Genèse sur ce thème du mariage. Lors des deux précédentes réflexions, nous avons soumis à l'analyse tant le texte dit « élohiste » (
Gn 1) que le texte dit « yahviste » (Gn 2). Nous désirons tirer aujourd'hui quelques conclusions de ces analyses.

Lorsque le Christ se réfère à « l'origine », il demande à ses interlocuteurs de dépasser, en un certain sens, la frontière qui, dans le Livre de la Genèse, sépare l’état d'innocence originelle et l'état de péché qui commence avec la chute originelle.

On peut lier symboliquement cette frontière à l'arbre de la connaissance du bien et du mal qui, dans le texte yahviste, délimite deux situations diamétralement opposées : la situation de l'innocence originelle et celle du péché originel. Ces deux situations ont leur propre dimension dans l'homme, au plus intime de lui-même. Dans sa connaissance, dans sa conscience, dans ses choix et décisions et tout ceci par rapport à Dieu-Créateur qui, dans le texte yahviste (Gn 2 et 3) est en même le temps le Dieu de l'Alliance, de la plus ancienne alliance du Créateur avec sa créature, c'est-à-dire avec l'homme. L'arbre de la connaissance du bien et du mal, comme expression et symbole de l'alliance avec Dieu violée dans le coeur de l'homme délimite et oppose deux situations et deux états diamétralement opposés : celui de l'innocence originelle et celui du péché originel et en même temps de la « peccabilité » héréditaire de l'homme qui en découle. Toutefois les paroles du Christ qui se réfèrent à l'« origine » nous permettent de trouver dans l'homme une continuité essentielle et un lien entre ces deux différents états ou dimensions de l'être humain. L'état de péché fait partie de « l'homme historique » tant celui dont parle saint Matthieu au chapitre XIX de son Evangile — c'est-à-dire l'interlocuteur de Jésus en ce temps-là — que tout autre interlocuteur, potentiel ou actuel, de tous les moments de l'histoire et naturellement donc, l'homme d'aujourd'hui également. Toutefois, chez tout homme, sans la moindre exception, cet état— l'état « historique » précisément enfonce ses racines dans sa propre « préhistoire » théologique qui est l'état de l'innocence originelle.

2. Il ne s'agit pas ici de seule dialectique. Les lois de la connaissance répondent à celles de l'existence. Il n'est pas possible de comprendre l'état de « peccabilité historique » sans se référer ou faire appel (comme le fait le Christ) à l'état d'originelle (en un certain sens préhistorique) et fondamentale innocence. Le surgissement de la « peccabilité » comme état, comme dimension de l'existence humaine se trouve dès le début en rapport avec cette réelle innocence de l’homme comme état originel et fondamental, comme dimension de l'être créé « à l'image de Dieu ». Il en fut ainsi pour le premier homme —homme et femme — en tant que dramatis personae et protagonistes des événements que décrit le texte yahviste (Gn 2 et 3), mais aussi pour tout le parcours historique de l'existence humaine. L'homme historique est donc, pour ainsi dire enraciné dans sa préhistoire théologique révélée. Et pour cette raison tout élément de sa « peccabilité,» historique s'explique (tant pour l'âme que pour le corps) par référencera l'innocence originelle. On peut dire que cette référence est un « co-héritage » du péché, et précisément du péché originel. Si, en chaque homme historique, ce péché signifie un, état de grâce perdue, alors il comporte aussi une référence à cette grâce, qui était précisément la grâce de l'innocence originelle.

3. Lorsque, selon le chapitre XIX de l'Évangile de saint Matthieu, le Christ se réclame de l’« origine », il n'entend pas, avec cette expression, indiquer seulement l'état d'innocence originelle comme horizon perdu de l’existence humaine dans l'histoire. Aux paroles qui franchissent ses propres lèvres, nous avons le droit d'attribuer en même temps toute l'éloquence du mystère de la rédemption. En effet, déjà dans le contexte yahviste de Genèse 2 et 3 nous sommes témoins du moment où, après avoir rompu l'alliance originelle avec son Créateur, l'homme — homme et femme — reçoit la première, promesse de rédemption avec les paroles de ce qu'on appelle le « Proto-évangile » dans Genèse 3, 15 et commence a vivre dans la perspective théologique de la rédemption. Et ainsi, donc, l'homme « historique » tant l'interlocuteur du Christ dont parle Matthieu (chapitre XIX) que l’homme d'aujourd'hui — participe à cette perspective. Il participe non seulement à l’histoire de la « peccabilité » humaine, comme un sujet héréditaire et en même temps personne et unique de cette histoire, triais il participe aussi à l'histoire du salut, ici également comme sujet et co-créateur. Il est donc non seulement fermé, à cause de son état de péché, par rapport à l'innocence originelle — mais il est aussi, en même temps, ouvert sur le mystère de la rédemption qui s'est accompli dans le Christ et à travers le Christ. Dans son épître aux Romains, saint Pierre exprime cette perspective de la rédemption dans laquelle vit l’homme historique : « nous, — écrit-il — qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de nos corps » (Rm 8,23). Nous ne pouvons perdre de vue cette perspective tandis que nous suivons les paroles du Christ qui, dans son colloque sur l'indissolubilité du mariage, fait recours à l’« origine ». Si cette « origine » indiquait seulement la création de l'homme et « femme », si — comme nous en avons déjà parlé — il conduisait simplement ses interlocuteurs au-delà de la limite de l'état de péché de l’homme jusqu'à l'innocence originelle, et n'ouvrait pas en même temps la perspective d'une « rédemption des corps », la réponse du Christ ne serait pas, en fait, entendue d'une manière adéquate. C'est précisément cette perspective de la rédemption du corps qui garantit la continuité et l'unité entre l'état héréditaire du péché de l'homme et son innocence originelle, bien que cette innocence, il l'a, historiquement, perdue de manière irrémédiable. Il est évident que le Christ a le plus grand droit de répondre à la question que lui posent les docteurs de la loi et de l'alliance (comme nous lisons dans Mt 19 et Mc 10), de répondre, donc, dans la perspective de la rédemption sur laquelle s'appuie l'Alliance même.

4. Si dans le contexte, substantiellement déterminé ainsi, de la théologie de l'homme-corps nous pensons à la méthode des analyses ultérieures au sujet de l'a révélation de l’« origine », où la référence aux premiers chapitres du Livre de la Genèse est essentielle, nous devons porter immédiatement notre attention sur un fait particulièrement important pour l'interprétation théologique : important parce qu'il consiste dans le rapport entre révélation et expérience. Dans l'interprétation de la révélation au sujet de l'homme, et surtout au sujet du corps, nous devons, pour des raisons compréhensibles, nous référer à l'expérience, parce que l'homme-corps nous est perceptible surtout grâce à l'expérience. A la lumière des considérations fondamentales mentionnées, nous avons pleinement le droit de nourrir la conviction que notre expérience historique doit, d'une certaine manière, s'arrêter au seuil de l'innocence originelle de l'homme, car elle est inadéquate à son égard. Toutefois à la lumière des mêmes considérations introductives, nous devons parvenir à la conviction que notre expérience humaine est, dans ce cas, un moyen en quelque sorte légitime pour l'interprétation théologique et, en un certain sens, un point de référence indispensable dont nous devons nous réclamer dans l'interprétation de l'« origine ». Une analyse plus détaillée du texte nous permettra d'en avoir une vision plus claire.

5. Il semble que les paroles de l’épître aux Romains que je viens de citer, indiquent de la meilleure façon, l'orientation de nos recherches centrées sur la révélation de cette « origine » à laquelle le Christ se réfère dans son colloque sur l'indissolubilité du mariage (Mt 19, Mc 10). Toutes les analyses qui seront successivement faites sur la base des premiers chapitres de la Genèse refléteront presque nécessairement la vérité des paroles de saint Paul : « Nous qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps » (Rm 8,23). Si nous nous plaçons dans cette position — qui va si bien d'accord avec l'expérience —1'« origine » doit nous parler avec la grande richesse de lumière qui provient de la révélation, à laquelle désire répondre surtout la théologie. La suite des analyses nous dira dans quel sens doit aller cette théologie du corps et pourquoi.



10 octobre 1979 QUATRIÈME RÉCIT DE LA CRÉATION DE L'HOMME

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Au cours de notre dernière réflexion sur la création de homme, homme et femme, nous avons tiré de la Genèse une première conclusion. C'est aux paroles de la Genèse, au commencement que le Seigneur Jésus a fait allusion dans sa conversation sur l'indissolubilité du mariage (cf. Mt
Mt 19,3-9 Mc 10,1-12).

Cette première conclusion ne terminé pas encore nos analyses ; nous devons, en effet, relire les récits du premier et du second chapitre du livré de la Genèse dans un contexte plus vaste, ce qui nous permettra de donner plusieurs interprétations du texte ancien auquel s'est référé le Christ.

Aujourd'hui, nous réfléchirons sur le sens de la solitude de l'homme à l'origine.

2. Et nous ferons partir cette réflexion directement des paroles suivantes du livre de la Genèse : Il n'est pas bien que l'homme soit seul, il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie (Gn 2,18). C'est Yahvé qui prononce ces paroles. Elles font partie du second récit de la création de l'homme et appartiennent donc à la tradition yahviste. Comme nous l'avons déjà souligné, dans le texte yahviste, le récit de la création de l'homme (homme) est un texte-à part (Gn 2-7) qui précède le récit de la création de la première femme (Gn 2,21-22). D'une part, le premier homme (Adam), créé de la glaise du sol n'est appelé mâle (Is) qu'après la création de la première femme. Ainsi, lorsque Yahvé fait allusion à la solitude, il parle de la solitude de l'homme en tant que tel et non seulement de la solitude de l'homme mâle.

Mais ce seul fait ne suffît pas à tirer les conclusions. Néanmoins, le contexte complet de cette solitude dont parle le verset 18 du second chapitre de la Genèse, indique bien qu'il s'agit ici de la solitude de l'homme — homme et femme — et non seulement de la solitude de l'homme causée par l'absence de la femme. Il semble donc que cette solitude ait deux significations : l'une qui se rapporte à la nature même de l'homme, c'est-à-dire à sa nature humaine (et cela ressort du récit du IIe chapitre de la Genèse), l'autre qui se rapporte à la relation homme-femme et qui découle de la première. Une analyse détaillée du récit semble le confirmer.

3. Le problème de la solitude n'apparaît que dans le contexte du second récit de la création de l'homme. Le premier récit n'aborde pas ce problème puisque l'homme y est créé en une seule action comme homme et femme. Dieu créa l'homme à son, image... Homme et femme, il les créa (Gn 1,27). Le second récit qui, comme nous l'avons dit parle d'abord de la création de l'homme et ensuite de la création de la femme issue de la côte attire notre attention sur la solitude de l'homme : l'homme est seul et c'est là un problème anthropologique fondamental, antérieur en quelque sorte à celui que pose l'état de l'homme homme et femme. Ce problème est antérieur pas tellement sur le plan chronologique, mais sur le plan de l'existence il est antérieur par sa nature. Et: nous verrons qu'il en est de même du problème de la solitude de l'homme du point de vue de la théologie du corps, lorsque nous ferons une analyse approfondie du second récit de la création tel que le rapporte le deuxième chapitre de la Genèse.

4. L'affirmation de Yahvé-Dieu : Il n'est pas bon que l'homme soit seul, apparaît non seulement dans le contexte immédiat de la décision de créer la femme (Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie) mais aussi dans le contexte plus vaste des motifs et des circonstances qui expliquent plus profondément le sens de la solitude de l'homme à l'origine. Le texte yahviste relie tout d'abord la création de l'homme à la nécessité de cultiver le sol (Gn 2,5), et cela correspondait dans le premier récit à la vocation à soumettre et à dominer la terre (cf. Gn Gn 1,28). Puis, le second récit de la création parle de l'homme placé dans le jardin de l'Eden et nous fait part ainsi de son état originel de bonheur.

Jusque-là, l'homme est l'objet de l'action créatrice de Yahvé qui établit en même temps, en législateur, les conditions de la première alliance avec l'homme. Et cela met déjà en évidence la subjectivité de l'homme, une subjectivité qui se manifeste, également lorsque le Seigneur-Dieu modela du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel et il les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait (Gn 2,19). Ainsi le premier sens de la solitude de l'homme à l'origine part d'un test précis ou d'un examen que l'homme passe devant Dieu (et en un certain sens devant lui-même) par ce test, l'homme prend conscience de sa supériorité, il se rend compte qu'il ne peut être comparé à aucune autre espèce d'êtres vivant sur la terre. En effet, comme dit le texte chacun devait porter le nom que l'homme lui aurait donné (Gn 2,19), Ainsi l'homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages, mais, pour un homme, il ne trouva pas d'aide qui lui fut assortie (Gn 2,19-20).

5. Toute cette partie du texte est certainement une préparation au récit de la création de la femme. Cependant, elle revêt également un sens profond indépendamment de cette création. L'homme créé se trouve au commencement de son existence, devant Dieu, comme à la recherche de sa propre entité ; on pourrait dire, à la recherche de la définition de lui-même. Nous dirions aujourd'hui : à la recherche de son identité propre. Le fait que l'homme est seul dans le monde visible et en particulier parmi les êtres vivants, est négatif dans cette recherche, car il exprime ce que l’homme n'est pas. Cependant le fait qu'il ne peut s'identifier avec le nombre visible des autres êtres vivants (animalia) est positif dans cette première recherche. Car même si ce fait ne constitue pas une définition complète, il en est un élément. Si, dans la logique et dans l'anthropologie, nous acceptons la tradition aristotélicienne, il faudrait définir cet élément dans le genre le plus proche (genus proximum).

6. Le texte yahviste nous permet cependant de découvrir d'autres éléments dans ce beau passage où l'homme est seul devant Dieu pour lui exprimer, par sa première définition de lui-même, la connaissance qu'il a acquise de lui-même et qui va de pair avec la connaissance du monde, de toutes les créatures visibles, les êtres vivants auxquels l'homme a donné un nom pour souligner devant eux sa différence ainsi la conscience révèle l'homme comme celui qui, dans le monde visible, possède la faculté de connaître ?

Par cette connaissance qui le met en quelque sorte, en dehors de son être, l'homme se revête en même temps à lui-même dans toute la particularité de son être. Il n'est pas essentiellement et subjectivement seul. Solitude, en effet, veut dire aussi subjectivité de l'homme, une subjectivité qui naît de sa connaissance par lui-même, l'homme est seul parce qu'il est différent du monde visible, différent des êtres vivants. Lorsque nous analysons le texte du livre de la Genèse, nous voyons que l'homme se distingue devant Yahvé du monde des êtres vivants (animalia) par une prise de conscience propre, et qu'il se révèle à lui-même et au monde visible comme une personne. Ce processus de la recherche d'une définition de soi, si bien décrit aux versets 19 et 20 du second chapitre de la Genèse, n'indique pas seulement le genus proximum — pour en revenir à la tradition aristotélicienne — exprimé au chapitre 20 du livre de la Genèse par les mots : a donné un nom, auquel correspond la différence spécifique qui est, selon la définition d'Aristote, nous zoon noetikon. Ce processus définit aussi la première esquisse de l'être humain comme personne humaine avec la subjectivité qui la caractérise.

Interrompons Ici l'analyse du sens de la solitude de l'homme à l'origine. Nous la reprendrons la semaine prochaine.






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