Catéchèses S. J-Paul II 21119

21 novembre 1979 A LA LUMIÈRE DES PREMIERS CHAPITRES DE LA GENÈSE

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Rappelons-le : interrogé sur l'unité et sur l'indissolubilité du mariage, le Christ s'est référé au commencement. Il a cité des paroles tirées des premiers chapitres de la Genèse. Je vous invite à poursuivre avec moi la méditation de ces pages, où les moindres mots ouvrent des perspectives fondamentales.

Dieu créa l'homme à son image. Homme et femme, il les créa. Et Adam dit avec émerveillement de la première femme : Celle-ci est l'os de mes os, la chair de ma chair. Celle-ci, on l'appellera femme parce que, d'un homme elle a été prise.

A la lumière de ces textes, nous comprenons que là connaissance de l'homme passe à travers la masculinité et la féminité, qui sont comme deux incarnations de la même solitude métaphysique, face à Dieu et au monde — comme deux modes complémentaires d'être corps — comme deux dimensions complémentaires de l'autoconscience et de l'autodétermination, et, en même temps, comme deux consciences complémentaires du sens du corps. Ainsi, comme le montre le deuxième chapitre de la Genèse (v 23), la féminité, en un certain sens, se retrouve face à la masculinité, tandis que la masculinité se confirme à travers la féminité. La fonction du sexe, en un certain sens élément constitutif (et pas seulement attribut) de la personne, montre combien profondément l'homme, avec sa solitude spirituelle et son unicité de personne, est constitué par le corps comme lui non comme elle. La présence de l'élément féminin à côté de l'élément masculin, a le sens d'un enrichissement pour l'homme dans toute la perspective de l'histoire, sans excepter l'histoire du salut.

L'unité dont parle la Genèse (2, 24) (Les deux deviennent une seule chair) est sans aucun doute l'unité qui s'exprime et se réalise dans l'acte conjugal. Concise et simple, la formule biblique indique le sexe, féminité et masculinité, comme trait caractéristique de l'homme — mâle et femelle —, qui leur permet, lorsqu'ils deviennent une seule chair, de soumettre en même temps toute leur humanité à la bénédiction de la fécondité. Toutefois, le contexte de la formule lapidaire ne nous permet pas de nous arrêter à l'aspect de la sexualité humaine, ni de traiter du corps et du sexe en dehors de la pleine dimension de l'homme et de la communion des personnes ; mais, dès le début, il nous oblige à découvrir la plénitude et profondeur de l'unité que l'homme et la femme doivent constituer à la lumière de la révélation des corps.

Dès lors, l'expression : L'homme… s'unira à sa femme si intimement que les deux deviennent une seule chair nous porte toujours à relire les passages précédents sur l’union dans l’humanité, qui lie la femme et l'homme dans le mystère de la création. Les paroles de la Genèse, analysées plus haut, expliquent bien ce concept. L'homme et la femme, en s'unissant si étroitement dans l'acte conjugal qu'ils deviennent une seule chair, redécouvrent pour ainsi dire chaque fois le mystère de la création, reviennent ainsi à l'union dans l'humanité (chair de ma chair et mes os), qui leur permet de se reconnaître réciproquement, et, comme la première fois, de s'appeler l’un l’autre par leur nom. Cela signifie, en un certain sens, revivre la valeur virginale originelle d'homme, qui émerge du mystère de sa solitude face à Dieu, et au milieu du monde. Le fait qu'ils deviennent une seule chair, est un lien puissant établi par le Créateur, qui leur fait découvrir leur propre humanité, soit dans son unité originelle, soit dans la dualité d'une mystérieuse attirance réciproque.

En effet, nous lisons : L'homme abandonnera son père et sa mère et il s'unira à sa femme. Si l’homme appartient par nature à son père et à sa mère, en vertu de la génération, il s'unit à sa femme (ou à son mari) par un choix.

Le texte de la Genèse, (2, 24) établit ce trait du lien conjugal par rapport au premier homme et à la première femme. Mais, en même temps, il le fait aussi dans la perspective de l'avenir terrestre de l'homme. Aussi bien, le Christ se référera-t-il à ce texte, également actuel pour son époque. Formés à l'image de Dieu, aussi en tant qu'ils constituent une authentique communion de personnes, le premier homme et la première femme doivent en constituer le commencement, le modèle pour tous les hommes et les femmes qui, en n'importe quel temps, s'uniront si intimement entre eux qu'ils deviendront une seule chair.

Le corps qui, à travers sa masculinité et sa féminité dès le début aide l'un et l'autre (une aide qui lui soit semblable) à se retrouver dans une communion des personnes, devient, d'une façon toute particulière, l'élément constitutif de leur union, quand ils deviennent mari et épouse. Mais cela se réalise à travers un choix réciproque. C'est le choix qui établit le contrat conjugal entre les personnes, qui ne deviennent une seule chair qu'à travers ce choix.

Cela correspond à la structure de la solitude de l'homme et dans le concret, des deux solitudes. Le choix, comme expression d'autodétermination, repose sur le fondement de cette structure, c'est-à-dire sur le fondement de son autoconscience. Ce n'est qu'à partir de sa structure particulière que l'homme est corps, et, à travers le corps, aussi mâle et femelle. Quand l'un et l'autre s'unissent si intimement qu'ils deviennent une seule chair, leur union conjugale présuppose une conscience particulière du sens de ce corps dans le don réciproque des personnes. Dans ce sens-là aussi, le texte de la Genèse (2, 24) vaut également pour l'avenir. Il prouve, en effet, qu'en chaque union conjugale de l'homme et de la femme se redécouvre la conscience originelle du sens unitif du corps dans sa masculinité et dans sa féminité. Le texte biblique indique, avec cela, en même temps, qu'en chacune de ces unions se renouvelle, d'une certaine façon, le mystère de la création dans toute sa profondeur originelle et dans toute sa force vitale. Tirée de l'homme comme chair de sa chair, la femme devient ensuite, en tant qu'épouse, et à travers sa maternité, mère des vivants (cf. Gn
Gn 3,20), car sa maternité a son origine aussi en lui. La procréation s'enracine dans la création, et chaque fois, en un certain sens, elle en reproduit le mystère.

A ce sujet — La connaissance et la procréation — sera consacré mon prochain entretien. Il faudra nous référer encore à d'autres éléments du texte biblique.




5 décembre 1979 « L'AMOUR DU CHRIST NOUS PRESSE... »

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L'Évangile de saint Jean raconte qu'André, le premier appelé, rencontra son frère Simon et le conduisit à Jésus, qui lui dit : « Tu es Simon, le fils de Jean ; tu t'appelleras Pierre » (1, 41 sv.)

La vocation de Pierre a été confirmée sur la base du lien fraternel avec André. Il était donc normal que le successeur de Pierre rende visite au siège très ancien de Constantinople, qui honore André de façon particulière, et cela en la fête de cet apôtre.

J'en remercie vivement la Providence. J'avais tant désiré ce voyage, qui a entraîné un renforcement réciproque sur les voies ouvertes par le patriarche Athénagoras Ier et mes deux grands prédécesseurs, les papes Jean XXIII et Paul VI.

Avec la Providence qui m'a conduit en Orient, je désire remercier tous ceux qui, serviteurs de la Providence, rendirent possible cette visite. Je pense particulièrement aux autorités turques, en commençant par le président de la République, le gouvernement et le ministre des Affaires étrangères. J'ai eu l'occasion de les rencontrer, en ce point si important du globe, porte de l'Europe et de l'Asie, et d'avoir avec eux un utile échange de vues sur la situation internationale. Je désire renouveler ici aux autorités turques l'expression de ma reconnaissance pour la sollicitude dont elles entourèrent mon voyage et assurèrent ma sécurité.



La communauté arménienne

Encore que le but principal de ma visite fut le Phanar, siège du patriarcat oecuménique à Istanbul, mon récent voyage m'a donné l'occasion de rencontrer la communauté arménienne dans la personne de son patriarche Kalustian et de l'archevêque catholique Tcholakian. Cette Église arménienne est engagée dans un dialogue intense avec l'Église catholique, spécialement depuis la visite à Rome de Vasken I°, chef, c'est-à-dire catholikos de cette Église, qui a son centre à Etchmiadzine. La visite eut lieu en mai 1970. L'Église arménienne catholique, en pleine communion avec le siège apostolique de Rome, compte dans le monde entier environ 150000 fidèles. Mes sentiments de gratitude s'adressent aussi à toute la communauté arménienne. Je dois mentionner également les représentants de la communauté juive, que j'ai rencontrés, à l'occasion de la messe célébrée dans la cathédrale catholique latine d'Istanbul, dédiée au Saint-Esprit.



Avec le patriarche Dimitrios Ier

Je considère ma rencontre avec le patriarche Dimitrios Ie un fruit de l'action particulière de l'esprit du Christ, qui est l'esprit de l'unité et de l'amour. (Cette rencontre s'est déroulée dans cet esprit et elle a donné témoignage de cet esprit. Cette rencontre a atteint son point culminant dans la prière commune par la participation réciproque à la liturgie eucharistique, même si nous n'avons pas encore pu rompre ensemble le pain et boire dans le même calice. Tout cela s'est passé d'abord la veille de la fête de Saint-André, le soir dans la cathédrale latine du Saint-Esprit, où le patriarche Dimitrios Ier était avec nous (de même que le patriarche arménien), où nous avons solennellement échangé le baiser fraternel de paix et où, à la fin, nous avons ensemble donné la bénédiction. Puis, cela s'est passé, lors de la fête de Saint-André, dans l'église patriarcale, où nous avons pu, moi et toute la délégation du siège apostolique, participer à la splendide liturgie de saint Jean Chrysostome. Avec la même joie de l'assemblée que la veille, j'ai pu renouveler le baiser de paix avec mon frère du siège de l'Orient ; j'ai pu prendre la parole et, surtout, écouter son discours.

Quel amour profond, chez Dimitrios Ier, pour l'Église et pour unité, objet du désir continuel du Christ ! Et en même temps, quelle sollicitude affectueuse pour l'homme d'aujourd'hui ! Le grand mystère de la divinité et de l'humanité, merveilleusement approfondi par toute la tradition patristique et théologique d'Orient, est la source profonde de cette sollicitude.

Le patriarche a dit : C'est la paix et le bien que nous aussi, nous désirons et nous cherchons, aussi bien pour l'Église que pour le monde, et nous nous rencontrons en vue de tendre ensemble vers ce but sacré... ; durant cette marche, le Christ ressuscité était présent et il marchait avec nous… ; aussi bien, ayant en vue la pleine communion et la fraction du pain, nous avons marché, ensemble jusqu'à ce jour.



« L'amour du Christ nous presse »

Si nous avons donc le droit de répéter avec saint Paul : L'amour du Christ nous presse (
2Co 5,14), cet amour du Christ prend aujourd'hui la forme de l'amour pour l'homme contemporain. Aussi bien le dialogue théologique, si nécessaire, qui commencera prochainement entre l'Église catholique et l’ensemble de l'Église orthodoxe (c'est-à-dire avec toutes les Églises orthodoxes autocéphales), devra-t-il toujours être accompagné du dialogue de l'amour fraternel et du rapprochement réciproque. Commencé au temps du concile Vatican II, ce dialogue doit encore se renforcer et s'approfondir. Il doit sans cesse trouver de nouvelles expressions extérieures. Il doit, en un certain sens, devenir un élément intégral du programme pastoral de l'une et l'autre partie. L’union ne peut être que le fruit de la connaissance de la vérité dans l'amour. Vérité et amour doivent agir de concert ; l'une séparée de l'autre ne suffirait pas, car la vérité sans l'amour n'est pas encore la pleine vérité, de même que l'amour ne saurait exister sans la vérité.

L'appui si bienveillant assuré, à l'occasion de ma récente visite à Constantinople, par tous les patriarches orthodoxes au patriarche Dimitrios, qui, comme patriarche oecuménique, est le premier d'entre eux, — cet appui laisse vraiment bien augurer de l'avenir de nos initiatives oecuméniques.

Cette heureuse rencontre de Constantinople vit aussi l'échange de dons hautement symboliques. Le patriarche oecuménique a offert à son hôte une antique étole épiscopale, en pensant à l'Eucharistie que la clémence de Dieu nous permettra peut-être de célébrer ensemble, comme l'ont désiré si ardemment le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras. Pour moi, j'ai laissé à Constantinople une icône de Notre-Dame de Czestochowa, cette Vierge que je connais depuis les premières années de ma jeunesse. Ce choix m'a été inspiré par des motifs personnels, et, plus encore, par des considérations d'ordre historique. Les traits de la Vierge de Czestochowa parlent à l'âme du chrétien de l'Orient comme aussi à l'âme du chrétien de l'Occident. L'icône provient aussi de la terre qui, au cours de toute l'histoire, a vu se rencontrer ces deux grandes traditions de l'Église. S'il est vrai que ma patrie a reçu le christianisme de Rome, et en même temps l'héritage de sa culture latine, il est également vrai que Constantinople est devenue la source de la foi et de la culture chrétienne, dans leur forme orientale, pour beaucoup de peuples et de nations slaves.

J'ai déjà exprimé ces idées au cours de mon pèlerinage en Pologne en juin dernier. C'est dire la richesse de pensées et de perspectives de notre rencontre au Phanar. Interrogé sur mes impressions, par un journaliste, j'ai dit qu'il était difficile de les exprimer. Oui, c'est vraiment difficile. Nous nous trouvons en présence d'une autre dimension. Nous devons garder le regard fixé sur l'image de la sagesse, qui nous parle au sommet de son grand monument sur le Bosphore. C'est l'image de l'Avent. Nous aussi, nous servons la grande cause de l'Avent du Seigneur.

Puisse, à sa venue, le Seigneur nous trouver vigilants (cf. Mt Mt 24,26).

C'est à cette intention que j'ai prié tout particulièrement parmi les ruines d'Éphèse, où, la Vierge Marie, si profonde et si simple dans sa docilité au Saint-Esprit, fut proclamée solennellement par l'Église Théotokos, c'est-à-dire Mère de Dieu.






12 décembre 1979 L'HOMME ET LA FEMME FONT LEURS PREMIÈRES DÉCOUVERTES

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1. L'analyse des premiers chapitres de la Genèse nous pousse en un certain sens à rassembler les éléments constitutifs de l'expérience originelle de l'homme. Et, à cet effet, le texte yahviste est un excellent point de départ. Lorsque nous parlons des expériences originelles de l'homme, nous ne pensons pas tellement à leur éloignement dans le temps mais plutôt à leur signification première. Ce qui est important, par conséquent, ce n'est pas que ces expériences appartiennent à la préhistoire de l'homme (à sa préhistoire théologique), mais qu'elles sont toujours à la racine de chaque expérience humaine. Et il n'y a, rien de plus vrai même si, dans le déroulement de la vie ordinaire, nous n'y prêtons guère attention. Ces expériences sont tellement mêlées aux choses ordinaires de la vie qu'en général nous n'en percevons pas leur caractère extraordinaire. Les analyses effectuées jusqu'ici nous ont permis de nous rendre compte que ce que nous avons appelé au début révélation du corps, nous aide à découvrir la nature extraordinaire de ce qui est ordinaire. Et cela est possible parce que la Révélation (la Révélation originelle, celle qui est exprimée d'abord dans le verset 3 du chapitre 2 de la Genèse — texte yahviste — puis dans le texte du premier chapitre de la Genèse) fait précisément allusion à ces expériences originelles qui manifestent quasi totalement l'originalité absolue de l'être humain homme-femme, c'est-à-dire l'originalité de l'homme, même par son corps.

L'expérience humaine du corps telle que nous la rapportent les textes bibliques cités ci-dessus, est au seuil de toute l'expérience historique qui a suivi ; celle-ci semble cependant s'appuyer également sur une profondeur ontologique telle que l'homme ne la perçoit pas dans sa vie quotidienne même s'il la suppose et la postule comme une partie du processus de formation de son image propre.



Le texte biblique

2. Sans ces premières considérations, il serait impossible de préciser le sens de la nudité originelle et d'entreprendre l'analyse du verset 25 du chapitre 2 de la Genèse : Or tous deux étaient nus, l'homme et la femme, et ils n'avaient pas honte l'un devant l'autre. Dans le récit yahviste de la création de l'homme, l'introduction de ce détail, apparemment secondaire, semble au premier abord quelque chose d'inadéquat ou de déplacé. On pourrait croire que le passage cité ne peut soutenir la comparaison avec le contenu des versets précédents et qu'il est en quelque sorte hors du contexte. Mais une analyse approfondie montre qu'il n'en est pas ainsi. En effet, le verset 25 du deuxième chapitre de la Genèse présente l'un des éléments-clé de la Révélation originelle et il est tout aussi déterminant que les autres textes de la Genèse (2, 20 et 2, 23) qui nous ont permis de préciser le sens de la solitude originelle et de l'unité originelle de l'homme. Un troisième élément s'ajoute à cela, à savoir la signification de la nudité originelle de l'homme que le contexte met bien en évidence. Et, dans la première esquisse biblique de l'anthropologie, cet élément n'est pas quelque chose d'accidentel, au contraire, il est l'élément-clé pour une compréhension complète.

3. Il est évident que c'est précisément cet élément du vieux texte biblique qui apporte une contribution spécifique et irremplaçable à la théologie du corps. L'analyse que nous ferons par la suite le prouvera. Mais avant de passer à cette analyse, je me permets de faire remarquer que le verset 25 du deuxième chapitre de la Genèse exige que l'on associe les réflexions sur la théologie du corps à la dimension de la subjectivité personnelle de l'homme ; c'est là, en effet, que se développe la prise de conscience de la signification du corps. Le verset 25 du deuxième chapitre de la Genèse en parle d'une manière plus directe par rapport aux autres passages du texte yahviste dont nous avons dit qu'ils étaient un premier enregistrement de la conscience humaine. Le passage qui nous apprend que les premiers êtres humains, homme et femme, étaient nus et n'avaient pas honte l'un devant l’autre, exprime leur état d'âme, l'expérience réciproque qu'ils ont de leur corps, c'est-à-dire l'expérience par l'homme de la féminité que révèle la nudité du corps et réciproquement, l'expérience analogue, par la femme, de la masculinité. En affirmant qu'ils n'ont pas honte l'un devant l'autre, l'auteur cherche à décrire avec la plus grande précision possible cette expérience réciproque du corps.

On peut dire que ce genre de précision reflète une expérience de base de l'homme dans le sens commun et pré-scientifique, mais il correspond aussi aux exigences de l'anthropologie contemporaine qui en appelle volontiers aux expériences fondamentales, telle l'expérience de la pudeur.



Ils eurent honte

4. En faisant allusion à cette précision du récit, il nous faut considérer les degrés de l'expérience de l'homme historique chargé de l'héritage du péché qui partent méthodologiquement de l'état d'innocence originelle. Nous avons déjà constaté qu'en faisant allusion au commencement, le Christ a indirectement établi l'idée de continuité et d'union entre ces deux états, comme pour nous permettre de reculer du seuil de l'état de péché historique de l'homme jusqu'à son innocence originelle. Et le verset 25 du deuxième chapitre de la Genèse exige que ce seuil soit dépassé. Il est facile d'observer comment ce passage avec son sens de la nudité originelle, s'insère dans le contexte du récit yahviste. En effet, après quelques versets, l'auteur écrit : Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus ; ils assemblèrent des feuilles de figuier et se firent des pagnes (
Gn 3,7). L'adverbe alors indique un nouveau, temps, une nouvelle situation issue de l'échec de l'épreuve liée à l'arbre de la connaissance du bien et du mal qui constituait la première épreuve d'obéissance, c'est-à-dire l'écoute de la parole dans toute sa vérité, et d'acceptation de l'amour dans la plénitude des exigences de la volonté du Créateur. Ce nouveau temps, cette nouvelle situation fait naître une nouvelle expérience du corps, de sorte qu'on ne peut plus dire : Ils étaient nus, mais n'avaient pas honte. La honte est donc une expérience non seulement originelle, mais une expérience de frontière liminale.



La conscience du mal

La différence d'expression qui sépare le verset 25 du deuxième chapitre de la Genèse du verset 7 du chapitre 3, est donc significative. Dans le premier cas, Ils étaient nus mais n'avaient pas honte ; dans le second cas : ils s'aperçurent de leur nudité, veut dire sans doute par là qu'auparavant Ils ne s'étaient pas rendu compte qu'ils étaient nus ? Qu'ils ne savaient pas et ne voyaient pas leur nudité ? La transformation significative dont nous fait part le texte biblique à propos de l'expérience de la honte (dont parle encore la Genèse aux versets 10-12 du chapitre 3) se réalise à un niveau plus profond que le pur et simple usage du sens de la vue. L'analyse comparée de Genèse 2, 25 et de Genèse 3 conduit nécessairement à la conclusion qu'il ne s'agit pas d'un passage de la non-connaissance à la connaissance, mais d’un changement radical du sens de la nudité originelle de la femme devant l'homme et de l'homme devant la femme. Cela vient de leur conscience, comme fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal : Qui t'a appris que tu étais nu ? tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger ? Ce changement concerne directement l'expérience du sens du propre corps devant le Créateur et les créatures. Cela est confirmé par les paroles de l'homme : J'ai entendu tes pas dans le jardin, j'ai eu peur, parce que je suis nu et je me suis caché (Gn 3,10) ; Mais ce changement que le texte yahviste décrit d'une manière aussi concise et aussi dramatique, concerne directement et peut-être de la manière la plus directe qui soit, le rapport homme-femme, féminité-masculinité.

6. Nous reviendrons sur cette transformation, Pour l'instant, puisque nous avons atteint la limite qui traverse le domaine du commencement auquel a fait allusion le Christ, il nous faut nous interroger sur la possibilité de reconstruire, en quelque sorte, le sens originel de la nudité qui, dans le livre de la Genèse, constitue le contexte le plus immédiat de la doctrine sur l'unité de l'être humain, homme et femme. Cela paraît possible à condition de prendre comme point de référence l'expérience de la honte que le texte biblique présente clairement comme une expérience liminale. Nous essaierons d'effectuer cette reconstruction au cours de nos prochaines méditations.




19 décembre 1979 SIGNIFICATION DE LA PUDEUR

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1. Qu'est-ce que la honte et comment en expliquer l'absence dans l'état d'innocence originelle, dans la profondeur même du mystère de la création de l'homme, homme et femme ? Les études contemporaines sur la honte — notamment sur la pudeur sexuelle — mettent en évidence la complexité de l'expérience fondamentale par laquelle l'homme s'exprime en tant que personne selon sa structure propre. Dans l'expérience de la pudeur, l'être humain éprouve la crainte du second je (la femme devant l'homme par exemple) qui est en substance crainte de son je à lui. Par la pudeur, l'être humain éprouve quasi instinctivement le besoin d'affirmer et d'accepter à sa juste valeur ce je et il l'éprouve aussi bien à l'intérieur de lui-même qu'à l'extérieur, c'est-à-dire vis-à-vis de l’autre. On peut donc dire que la pudeur est une expérience complexe parce que tout en éloignant deux êtres humains l'un de l'autre (la femme de l'homme), elle tente en même temps de les rapprocher à un niveau convenable. C'est pour cette même raison que la pudeur revêt une signification fondamentale quant à la formation de l’ethos dans la coexistence humaine et notamment dans le rapport homme-femme. L'analyse de la pudeur montre clairement qu'elle exprime les règles essentielles de la communion des personnes et qu'elle touche de très près la dimension de la solitude originelle de l'homme. L'apparition de la honte, au chapitre 8 de la Genèse revêt plusieurs sens ; nous en reprendrons l'analyse au moment voulu.

Mais ce qu'il nous faut savoir maintenant, c'est la signification de l'absence de la honte à l'origine : Ils étaient nus et n'avaient pas honte l'un devant l'autre (
Gn 2,25)

2. Il faut commencer par préciser qu'il s'agit d'une véritable non-présence de la honte et non pas d'une carence ou d'un sous-développement Nous ne pouvons en aucun cas donner à cela une signification primitive. Par conséquent, le verset 25 du IIe chapitre de la Genèse dit non seulement qu'il ne faut pas penser à une absence de la honte, donc à un manque de pudeur, mais il dit aussi qu'il ne faut pas l'expliquer par analogie avec d'autres expériences humaines positives comme celles de l'enfance ou de peuples primitifs. De tels rapprochements sont non seulement insuffisants, mais ils risquent aussi d'être décevants. Les paroles du verset 25 du IIe chapitre de la Genèse : Ils n'avaient pas honte, ne veulent pas dire qu'il y a absence de honte ; elles manifestent, au contraire, une prise de conscience totale, une plénitude d'expérience, une compréhension parfaite de la signification du corps due au fait qu'ils étaient nus. C'est ainsi qu'il faut comprendre et interpréter ce texte ; et la suite du récit yahviste en témoigne lorsqu'il fait le lien entre l'apparition de la honte et notamment de la pudeur sexuelle et la perte de la plénitude originelle. Par conséquent, en considérant l'expérience de la pudeur comme une expérience liminale, il faut nous demander à quelle plénitude de conscience, d'expérience et de compréhension de la signification du corps correspond le sens de la nudité originelle dont parle le verset 25 du IIe chapitre de la Genèse.



La connaissance

3. Et pour répondre à la question, il ne faut pas perdre de vue l'analyse effectuée jusqu'ici de l'ensemble du texte yahviste où la solitude originelle de l'homme apparaît comme une non identification de sa nature humaine avec le monde des êtres vivants (animalia) qui l'entourent. A la suite de la création de l'homme, homme et femme, cette non-identification fait découvrir à1 l'homme, grâce à l'existence de l'autre être humain, sa nature humaine. Ainsi l'homme découvre et connaît sa nature humaine avec l'aide de la femme (Gn 2,25). Cet acte lui permet de percevoir le monde directement par son corps (elle est la chair de ma chair). Il est la source directe et visible de l'expérience de l'unité dans l'humanité. Il est donc facile de comprendre que la nudité est liée à la prise de conscience totale de la signification du corps qui vient de la perception des sens. On peut pensera cette plénitude de conscience en termes de catégories de vérité de l'être ou de la réalité et on peut dire qu'à l'origine, l'homme et la femme appartenaient l'un à l'autre précisément en vertu de cette vérité : Ils étaient nus. Et lorsqu'on analyse le sens de la nudité, on ne peut faire abstraction de cette dimension. La participation à la perception du monde — perception extérieure — est quelque chose de direct, de spontané, d'antérieur à toute complication critique de la connaissance et de l'expérience humaine. On pourrait déjà percevoir par là l’innocence originelle de la connaissance.



Commune union

4. Cependant, il est impossible de saisir le sens delà nudité originelle, en ne considérant que la participation de l'homme à la perception extérieure dit monde ; pour ce faire, il faut aller au plus profond de l'homme : le verset 25 du IIe chapitre de la Genèse Gn 2,25) nous y conduit pour que nous y cherchions l'innocence originelle de la connaissance. C'est en effet en partant de l’intériorité humaine qu'il faut expliquer et mesurer cette plénitude particulière de cette communication interpersonnelle qui fait que : homme et femme, ils étaient nus et n'avaient pas honte l'un devant l'autre.

Notre langage conventionnel a quelque peu ôté au concept de communication sa signification originelle profonde. Le terme de communication est (aujourd'hui rattaché aux moyens d'échange, d'entente et de rapprochement Or, dans son sens originel, le mot communion s'appliquait et s'applique à des sujets qui communiquent, précisément en vertu de la commune union qui existe entre eux ; des sujets qui communiquent entre eux soit pour atteindre, soit pour exprimer une réalité qui n'est propre qu'au domaine des personnes. Le corps humain acquiert ainsi une signification complètement nouvelle qui ne peut être placée sur le même plan que la perception extérieure du monde. En effet, il exprime la réalité ontologique et existentielle de la personne, ce qui est bien plus que l'individu ; il exprime le je humain, personnel, qui tire de l'intérieur sa perception extérieure.



La plénitude intérieure

5. Le récit biblique et notamment le texte yahviste, montre que, du fait qu'il est visible, le corps manifeste l'homme et, en le manifestant, il fait fonction d'intermédiaire, c'est-à-dire qu'il permet dès l'origine à l'homme et à la femme de communiquer entre eux, selon cette communion des personnes voulue par le Créateur précisément pour eux. Seule cette dimension semble-t-il, nous permet de bien comprendre le sens de la nudité originelle. Et, à ce propos, tout critère naturaliste est voué à l'échec, tandis que le critère personnaliste peut beaucoup aider. Le verset 25 du II° chapitre de la Genèse parle certainement de quelque chose d'extraordinaire qui sort des limites de la pudeur connue à travers l'expérience humaine et qui, en même temps décide de la plénitude de la communication interpersonnelle enracinée au coeur même de cette communio ainsi révélée et développée. Dans ce contexte, les paroles : Ils n'avaient pas honte ne peuvent indiquer (in sensu obligo) que la profondeur originelle de ce qui est inhérent à la personne, de ce qui est visiblement féminin et masculin et qui fait l'intimité personnelle de la communication réciproque dans sa simplicité radicale et sa pureté. A cette plénitude de perception « extérieure » exprimée par la nudité physique, correspond la plénitude « intérieure » de la visionne l'homme en Dieu, c'est-à-dire à la mesure, de l'image de Dieu (cf. Gn Gn 1,17). Et devant Dieu l'homme est vraiment nu (ils étaient nus, Gn 2,25) avant même de s'en apercevoir, (Cf. Gn Gn 3,7 Gn 3,10).

Nous compléterons l'analyse de ce texte important au cours de nos prochaines méditations.





Audiences 1982




La résurrection et la destinée du corps - 13 janvier 1982

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[8] Texte italien dans l'Osservatore Romano du 14 janvier. Traduction et titre de la DC.
Il n'y a pas eu d'audience génerale le 6 janvier qui est un jour férié au Vatican.


1. « Quand on ressuscite d'entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux. » (
Mc 12,25 cf. Mt 22,30) « ... Ils sont pareils aux anges : ils sont fils de Dieu puisqu'ils sont fils de la résurrection. » (Lc 20,36)

Les paroles par lesquelles le Christ se réfère à la résurrection future — paroles confirmées de manière singulière par sa propre résurrection —, complètent ce que, dans les présentes réflexions, nous avons coutume d'appeler la « révélation du corps ». Une telle révélation pénètre pour ainsi dire au coeur même de la réalité dont nous faisons l'expérience, et cette réalité est avant tout l'homme, son corps : le corps de l'homme « historique ». En même temps, cette révélation nous permet de dépasser la sphère de cette expérience dans deux directions. Tout d'abord, dans la direction de ce « commencement » auquel le Christ fait allusion dans son entretien avec les Pharisiens au sujet de l'indissolubilité du mariage (cf. Mt 19,3-8) ; ensuite, dans la direction du « monde à venir », vers lequel le Maître dirige les esprits de ses auditeurs, en présence des Sadducéens qui « affirment qu'il n'y a pas de résurrection » (Mt 22,23).

2. Ni la vérité sur ce « commencement », dont parle le Christ, ni la vérité eschatologique ne peuvent être atteintes par l'homme par les seules méthodes empiriques et rationnelles. Toutefois, ne serait-il pas possible d'affirmer que l'homme porte, en un certain sens, ces deux dimensions au coeur même de l'expérience de son être propre, ou plutôt qu'il est, dans une certaine mesure, en marche vers elles, comme vers des dimensions qui justifient pleinement la signification même du fait qu'il est corps, autrement dit homme « charnel » ? En ce qui concerne la dimension eschatologique, n'est-il pas vrai que la mort même et la destruction du corps peuvent conférer à l'homme une éloquente signification touchant l'expérience où se réalise le sens personnel de l'existence ? Quand le Christ parle de la résurrection future, ses paroles ne tombent pas dans le vide. L'expérience de l'humanité, et tout particulièrement l'expérience du corps, permettent à l'auditeur d'allier à ces paroles l'image de l'existence nouvelle dans le « monde à venir », à laquelle l'expérience terrestre confère le substrat et la base. Une reconstruction théologique respective est possible.

3. À la construction de cette image — qui, du point de vue du contenu, correspond à l'article de notre profession de foi : « Je crois à la résurrection des morts », — contribue grandement la conscience qu'il existe un lien entre l'expérience terrestre et toute la dimension du « commencement » biblique dans le monde. Si, au commencement, Dieu « les créa homme et femme » (Gn 1,27), si, dans cette dualité relative au corps, il prévoit aussi une telle unité pour ceux qui « seront une seule chair » (Gn 2,24), s'il a lié cette unité à la bénédiction de la fécondité, autrement dit de la procréation (cf. Gn 1,29), et si, parlant maintenant devant les Sadducéens de la résurrection future, le Christ explique que dans « l'autre monde », « on ne prend ni femme ni mari » — , alors il est clair qu'il s'agit ici d'un développement touchant la vérité sur l'homme lui-même. Le Christ indique son identité, même si cette identité se réalise dans l'expérience eschatologique de manière différente de l'expérience du « commencement » lui- même et de toute l'histoire. Et pourtant l'homme sera toujours le même, tel qu'il est sorti des mains de son Créateur et Père. Le Christ dit : « On ne prend ni femme ni mari », mais il n'affirme pas que cet homme du « monde à venir » ne sera plus un être masculin et féminin comme il l'a été « depuis le commencement ». Il est donc évident que la signification d'être, quant au corps, un être masculin ou féminin, dans le « monde à venir », est à rechercher en dehors du mariage et la procréation, mais il n'y a aucune raison de le rechercher en dehors de ce qui (indépendamment de la bénédiction de la procréation) découle du mystère même de la création et qui, en conséquence, forme la plus profonde structure de l'histoire de l'homme sur la terre, étant donné que cette histoire a été profondément imprégnée du mystère de la rédemption.

4. Dans sa situation originelle, l'homme est donc seul, et, en même temps, devient être masculin et féminin : unité des deux. Dans sa solitude, il « se révèle » à lui-même comme personne, pour « révéler » en même temps, dans l'unité des deux, la communion des personnes. Dans l'un et l'autre état, I'être humain se constitue comme image et ressemblance de Dieu. Depuis le commencement, l'homme est aussi un corps parmi les corps et, dans l'unité des deux, devient être masculin et féminin, découvrant ainsi la signification « sponsale » de son corps sous forme de sujet personnel. Par conséquent, le sens d'être-corps et, en particulier, d'être dans le corps un être masculin et féminin, se relie au mariage et à la procréation (autrement dit à la paternité et à la maternité).

Toutefois, la signification originelle et fondamentale d'être corps, comme aussi d'être, en tant que corps, un être masculin et féminin — c'est-à-dire précisément cette signification « sponsale » — est unie au fait que l'homme est créé comme personne et appelé à la vie « dans la communion des personnes ».

Le mariage et la procréation en elle-même ne déterminent pas définitivement la signification originelle et fondamentale de l'être-corps et de l'être, en tant que corps, masculin et féminin. Le mariage et la procréation ne donnent qu'une réalité concrète à cette signification dans les dimensions de l'histoire. La résurrection indique la fermeture de la dimension historique. C'est ce que les mots « quand on ressuscite d'entre les morts. on ne prend ni femme ni mari » (Mc 12,25) expriment de manière univoque. Non seulement ils expriment quelle signification n'aura pas le corps humain dans le « monde à venir », mais ils nous permettent aussi de déduire que cette signification « sponsale » du corps dans la résurrection à la vie future correspondra parfaitement soit au fait que l'homme, comme être masculin et féminin, est une personne créée à l'« image et à la ressemblance de Dieu », soit au fait que cette image se réalise dans la communion des personnes. Cette signification « sponsale » d'être-corps se réalisera donc comme une signification parfaitement personnelle en même temps que communautaire.

5. En parlant du corps glorifié à travers la résurrection à la vie future, nous avons à l'esprit l'homme, être masculin et féminin, dans toute la vérite de son humanité : l'homme qui, en même temps que l'expérience eschatologique du Dieu vivant (la vision « face à face »), expérimentera précisément une telle signification de son propre corps. Ce sera là une expérience totalement nouvelle et, en même temps, aucunement étrangère ni à ce à quoi l'homme « depuis le commencement » a eu part, ni même à ce qui, dans la dimension historique de son existence, a constitué en lui la source de la tension historique entre l'esprit et le corps concernant tout particulièrement la signification procréatrice du corps et du sexe. L'homme du « monde à venir » retrouvera dans cette nouvelle expérience de son corps précisément l'accomplissement de ce qu'il portait en lui durablement et historiquement, en un certain sens, comme hérédité, et plus encore comme tâche et objectif, comme contenu de l'éthos.

6. La glorification du corps, en tant que fruit eschatolo- gique de sa spiritualité divinisante, révélera la valeur définitive de ce qui, dès le commencement devait être un signe distinctif de la personne créée dans le monde visible, comme moyen de communion réciproque entre les personnes et expression authentique de la vérité et de l'amour, par quoi se construit la communion des personnes. Cette signification permanente du corps humain, auquel l'existence de tout homme, alourdi par l'héritage de la concupiscence, a nécessairement apporté une série de limitations, de luttes et de souffrances, se dévoilera alors de nouveau et se dévoilera dans une telle simplicité et splendeur que tous les participants de l'« autre monde » retrouveront dans leur corps glorifié la source de la liberté du don. La parfaite « liberté des fils de Dieu » (cf. Rm 8,14) alimentera de ce don chacune des communions qui constitueront la grande communauté de la communion des saints.

7. Il est trop évident que — sur la base des expériences et des connaissances de l'homme dans la temporalité, autrement dit dans « ce monde », — il est difficile de construire une image pleinement adéquate du « monde à venir ». Pourtant, en même temps, il ne fait pas de doute que, avec l'aide des paroles du Christ, il est possible de se rapprocher jusqu'à un certain point de cette image. Nous nous servons de cette approximation théologique, en professant notre foi dans la « résurrection des morts » et dans la « vie éternelle », de même que la foi dans la « communion des saints » qui appartient à la réalité du « monde à venir ».

8. En concluant cette partie de nos réflexions, il convient de constater encore une fois que les paroles du Christ rapportées par les Évangiles synoptiques (Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,34-35) ont une signification décisive non seulement en ce qui concerne les paroles du Livre de la Genèse (auxquelles le Christ fait référence dans une autre circonstance), mais aussi en ce qui concerne toute la Bible. Ces paroles nous permettent, en un certain sens, de relire à nouveau — jusqu'au plus profond — toute la signification révélée du corps, la signification d'être homme, à savoir personne incarnée, d'être en ce corps être masculin-féminin. Ces paroles nous permettent de comprendre ce que peut signifier, dans la dimension eschatologique de l'« autre monde », cette unité dans l'humanité, qui a été constituée et que les paroles de Genèse Gn 2,24 (« l'homme s'attache à sa femme et ils deviennent une seule chair »), prononcées dans l'acte de la création de l'homme comme être masculin et féminin semblaient orienter, sinon complètement, du moins surtout vers « ce monde ». Étant donné que les paroles du Livre de la Genèse étaient comme le seuil de toute la théologie du corps — seuil sur lequel s'est fondé le Christ dans son enseignement sur le mariage et sur son indissolubilité —, il faut alors admettre que ses paroles rapportées par les Synoptiques sont comme un nouveau seuil de cette vérité intégrale sur l'homme, que nous retrouvons dans la Parole révélée de Dieu. Il est indispensable que nous nous arrêtions sur ce seuil, si nous voulons que notre théologie chrétienne du corps » — et aussi notre « spiritualité chrétienne du corps » — puisse s'en servir comme d'une complète image.



Aux pèlerins de langue française

Chers Frères et Sœurs,

Dans le credo, nous affirmons notre foi dans la communion des saints, dans la résurrection de la chair, dans la vie éternelle. Les brèves paroles de Jésus sur l’état de ceux qui, au-delà de la mort, participeront à sa vie de Ressuscité dans leur propre corps, permettent de compléter la théologie du corps dans ses lignes essentielles. “A la résurrection, on ne prendra ni femme ni mari”. Le monde futur est donc marqué par un seuil vraiment nouveau, puisque le mariage, l’union des deux en une seule chair et la fécondité - qui font partie de l’expérience historique de l’homme selon la volonté du Créateur - n’y ont plus leur raison d’être. Mais en même temps, ce qui caractérise fondamentalement l’homme et la femme dans leur existence corporelle - et cela dans le dessein de Dieu manifesté dès le commencement, comme je l’avais longuement expliqué l’an dernier - demeurera dans la vie éternelle et s’y épanouira même d’une façon sublime, à savoir le fait d’exister avec son sens et sa valeur en soi, comme personne, homme ou femme, créée à la ressemblance de Dieu, et appelée à se réaliser dans la communion des personnes.

A tous les pèlerins et visiteurs de langue française, j’offre mes meilleurs vœux, avec ma Bénédiction Apostolique.





Catéchèses S. J-Paul II 21119