Catéchèses S. J-Paul II 21782

La rédemption du corps - 21 juillet 1982

21782
(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 23 juillet. Traduction et titre de la DC.

1. « Nous aussi qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons intérieurement, attendant la rédemption pour notre corps. » (
Rm 8,23) Dans la Lettre aux Romains, saint Paul voit cette « rédemption du corps » dans une dimension anthropologique, et, en même temps, cosmique. La création « a été, en effet, soumise au néant » (Rm 8,20). Toute la création visible, tout le cosmos portent en eux les effets du péché de l'homme. « La création tout entière gémit et souffre jusqu'à maintenant dans les douleurs de l'enfantement. » (Rm 8,22) En même temps, « la création tout entière attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » et « garde l'espérance car elle aussi sera libérée de l'esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté et à la gloire des fils de Dieu » (Rm 8,19 Rm 8,20-21).

2. La rédemption du corps est, selon Paul, l'objet de l'espérance. Dans un certain sens, cette espérance a été mise dans le coeur de l'homme immédiatement après le premier peché. Il suffit de rappeler les paroles du livre de la Genèse qui ont été traditionnellement définies comme le « protoévangile » (cf. Gn 3,15) et donc, pourrions-nous dire, comme le début de la Bonne Nouvelle, la première annonce du salut. Selon les termes de la Lettre aux Romains, la rédemption du corps est liée précisément à cette espérance, dans laquelle, comme nous le lisons, « nous avons été sauvés ». Par l'espérance qui remonte aux origines mêmes de l'homme, la rédemption du corps a sa dimension anthropologique : elle est la rédemption de l'homme. En même temps, elle rayonne, dans un certain sens, sur toute la création qui, depuis l'origine a été liée d'une manière particulière à l'homme et subordonnée à lui (cf. Gn 1,28-30). La rédemption du corps est donc la rédemption du monde : elle a une dimension cosmique.

3. En présentant dans la Lettre aux Romains l'image « cosmique » de la rédemption, Paul de Tarse place l'homme au centre de cette rédemption, de même qu'il avait été placé au centre même de l'image de la création. C'est précisément l'homme, ce sont les êtres humains, ceux qui possèdent « les prémices de l'Esprit » qui gémissent intérieurement, attendant la rédemption de leur corps (cf. Rm Rm 8,23). Le Christ, qui est venu pour révéler pleinement l'homme à l'homme en lui faisant connaître sa très haute vocation (cf. Gaudium et spes, GS 22), parle dans l'Évangile de la même profondeur divine du mystère de la rédemption qui trouve précisément en lui son sujet spécifique « historique ». Le Christ parle donc au nom de cette espérance qui a été mise déjà dans le coeur de l'homme, dans le « protoévangile ». Le Christ donne un achèvement à cette espérance, non seulement par les paroles de son enseignement, mais surtout par le témoignage de sa mort et de sa résurrection. Ainsi donc, la rédemption du corps s'est déjà accomplie dans le Christ. En lui a été confirmée cette espérance dans laquelle « nous avons été sauvés ». En même temps, cette espérance a été de nouveau ouverte sur son accomplissement eschatologique définitif. « La révélation des fils de Dieu » dans le Christ a été définitivement orientée vers cette « liberté et cette gloire » auxquelles doivent participer définitivement les « fils de Dieu ».

4. Pour comprendre tout ce que comporte « la rédemption du corps » selon la Lettre de Paul aux Romains, il faut une authentique théologie du corps. Nous avons cherché à la construire en nous référant avant tout aux paroles du Christ. Les éléments constitutifs de la théologie du corps sont contenus dans ce que le Christ affirme, en faisant appel à « l'origine », en relation avec la question sur l'indissolubilité du mariage (cf. Mt 19,8), dans ce qu'il dit de la concupiscence, lorsqu'il se réfère au coeur humain, dans le Sermon sur la Montagne (cf. Mt 5,28), et également dans ce qu'il dit en se référant à la résurrection (cf. Mt 22,30). Chacun de ces énoncés cache en lui un riche contenu de nature anthropologique et éthique. Le Christ parle à l'homme et parle de l'homme : de l'homme qui est « corps » et qui a été créé comme homme et femme à l'image et à la ressemblance de Dieu. Il parle de l'homme dont le coeur est soumis à la concupiscence et, enfin, de l'homme devant qui s'ouvre la perspective eschatologique de la résurrection du corps.

Le « corps » signifie (selon le livre de la Genèse) l'aspect visible de l'homme et son apppartenance au monde visible. Pour saint Paul, il signifie non seulement cette appartenance, mais aussi parfois l'aliénation de l'homme par rapport à l'influence de l'Esprit de Dieu. L'une et l'autre signification demeure en relation avec la « rédemption du corps ».

5. Parce que, dans les textes analysés, le Christ parle de la profondeur divine du mystère de la rédemption, ses paroles servent précisément à comprendre cette espérance dont parle la Lettre aux Romains. « La rédemption du corps » est en définitive, selon l'apôtre, ce que nous « attendons ». C'est ainsi que nous attendons précisément la victoire eschatolo- gique sur la mort, à laquelle le Christ a surtout rendu témoignage par sa résurrection. À la lumière du mystère pascal ses paroles sur la résurrection des corps et sur la réalité de « l'autre monde » rapportées dans les Évangiles synoptiques, ont acquis leur pleine éloquence. Aussi bien le Christ que Paul, par la suite, ont proclamé l'abstention du mariage « à cause du royaume des cieux », précisément au nom de cette réalité eschatologique.

6. Cependant, la « rédemption du corps » s'exprime non seulement dans la résurrection comme victoire sur la mort. Elle est également présente dans les paroles du Christ adressées à l'homme « historique » aussi bien lorsqu'il confirme le principe de l'indissolubilité du mariage comme principe venant du Créateur lui-même, que lorsqu'il invite également, dans le Discours sur la Montagne, à dépasser la concupiscence, et cela même dans les mouvements uniquement intérieurs du coeur humain. De l'un et l'autre de ces énoncés clés, il faut dire qu'ils se réfèrent à la morale humaine, qu'ils ont un sens éthique. Il s'agit ici non pas de l'espérance eschatologique de la résurrection, mais de l'espérance de la victoire sur le péché que l'on peut appeler l'espérance de chaque jour.

7. Dans sa vie quotidienne, l'homme doit puiser au mystère de la rédemption l'inspiration et la force pour dépasser le mal qui est assoupi en lui sous la forme de la triple concupiscence. L'homme et la femme qui sont liés par le mariage doivent entreprendre quotidiennement la tâche de l'union indissoluble de cette alliance qu'ils ont faite entre eux. Mais un homme et une femme qui ont choisi volontairement la continence à cause du royaume des cieux, doivent également donner quotidiennement un témoignage vivant de la fidélité à ce choix en écoutant les directives du Christ dans l'Évangile et celles de saint Paul dans la Première Lettre aux Corinthiens. Dans chaque cas, il s'agit d'une espérance de tous les jours qui, dans les tâches et les difficultés normales de la vie quotidienne, aide à vaincre « le mal par le bien » (Rm 12,21). En effet, « nous avons été sauvés dans l'espérance ». L'espérance de chaque jour manifeste sa puissance dans les actions humaines et même dans les mouvements du coeur, en ouvrant la voie, dans un certain sens, à la grande espérance eschatologique qui est liée à la rédemption du corps.

8. En pénétrant dans la vie quotidienne avec la dimension de la morale humaine, la rédemption du corps aide, avant tout, à découvrir tout ce bien où l'homme remporte la victoire sur le péché et sur la concupiscence. Les paroles du Christ, qui découlent de la divine profondeur du mystère de la rédemption, permettent de découvrir et de renforcer ce lien qui existe entre la dignité de l'être humain (de l'homme et de la femme) et la signification sponsale du corps. Elles permettent de comprendre et de réaliser, sur la base de cette signification, la liberté mûre du don qui s'exprime d'une manière dans le mariage indissoluble et d'une autre manière par l'abstention du mariage à cause du royaume de Dieu. Sur ces voies différentes, le Christ dévoile pleinement l'homme à l'homme en lui faisant connaître « sa très haute vocation ». Cette vocation est inscrite dans l'homme selon tout son composé psychique et physique, précisément à travers le mystère de la rédemption du corps.

Tout ce que nous avons cherché à faire, au cours de nos méditations pour comprendre les paroles du Christ, a son fondement définitif dans le mystère de la rédemption du corps.



Aux fidèles de langue française

Chers Frères et Sœurs,

Poursuivant notre méditation sur la théologie du corps, je voudrais vous rappeler aujourd’hui que, après le péché originel de nos premiers parents, Dieu, dans sa bonté, a immédiatement annoncé que l’homme serait sauvé. Il a donc mis au cœur de l’homme une grande espérance: le rachat, la rédemption de son corps, de sa personne et, en un certain sens, de toute la création. Depuis lors, l’humanité a vécu de cette espérance, à laquelle le Christ a donné comme un nouveau fondement par l’événement historique de sa mort et de sa résurrection. C’est précisément dans cette optique que l’apôtre Paul écrivait aux chrétiens de Rome: “Nous avons été sauvés, mais c’est en espérance . . . Nous avons commencé par recevoir le Saint-Esprit, mais nous attendons notre adoption et la délivrance de notre corps”. Cette délivrance aura lieu lors de la résurrection, par la victoire sur la mort. Mais dès ici-bas elle se réalise par notre lutte quotidienne pour maîtriser la concupiscence, les mauvais instincts qui nous entraînent au mal. Quel que soit l’état de vie que nous avons choisi le mariage ou la continence pour le Royaume des cieux -, il nous appartient de témoigner de notre vocation de fils de Dieu, de notre vocation de rachetés, en manifestant notre victoire sur le péché.

* * *


Je suis heureux de saluer le groupe des pèlerins venant de Terre Sainte avec des Pères Franciscains, leurs curés.

Vous êtes, chers Frères et Sœurs, les fidèles de l’Eglise de Jérusalem, l’“Eglise-Mère”. Je vous remercie de l’affection filiale que vous me manifestez par votre visite. A vous et à vos frères qui vivez dans les lieux sanctifiés par la présence de Jésus, est en quelque sorte confiée la mission de témoigner d’une manière toute spéciale de la foi et de l’amour chrétiens; et ainsi vous ferez, des sanctuaires de la Terre du Christ, non pas des monuments vides et muets, mais des souvenirs éloquents de la vie, de la mort et de la résurrection de notre Sauveur.

Ce n’est pas une tâche facile. Parmi tant d’obstacles, il y a cette situation de conflit qui existe au Proche-Orient et qui divise les populations. La guerre y est devenue plus intense ces jours-ci, avec ses funestes conséquences: les victimes, les destructions, et aussi les ressentiments exacerbés. Dans un tel contexte, les chrétiens de Palestine sont appelés à montrer qu’en revendiquant la reconnaissance de leurs droits, ils sont inspirés par des pensées de justice et d’amour et non par la haine envers les autres.

Sachez que le Pape prie pour la paix et la réconciliation sur la terre de Jésus, Prince de la Paix, et qu’il est proche de ses fils catholiques de Terre Sainte: puisse leur vie chrétienne être soutenue par la grâce divine et la protection de Marie!

* * *


Je salue aussi les anciens membres des Conférences de Saint-Vincent de Paul, naguère présents sur la terre africaine d’Oranie et vivant présentement dans la région de Marseille.

Chers amis, je sais combien le visage et la spiritualité de Monsieur Vincent ont imprégné vos âmes et votre action caritative, toujours discrète et persévérante. Je vous souhaite de vivre la présente étape de votre vie dans la paix du Christ et de rayonner encore sa charité. Je vous bénis de tout cœur.

* * *


Je remercie spécialement de leur visite les membres de la chorale interdiocésaine du Collège Saint-Louis de Gonzague de Ninove, leur Père Directeur et leurs parents, venus fêter à Rome le vingtième anniversaire de cette fondation. A tous et à chacun, je souhaite de conserver toujours un zèle ardent pour la dignité et la beauté du culte divin. Et que le Christ Rédempteur, dont vous chantez à longueur d’année les louanges pour son œuvre de salut, vous récompense et vous bénisse!



Le mariage comme sacrement dans l’épître aux Éphésiens - 28 juillet 1982

28782
[18] Texte italien dans l'Osservatore Romano du 30 juillet. Traduction et titre de la DC.


1. Nous entamons aujourd'hui un nouveau chapitre sur le thème du mariage, en lisant ce que dit saint Paul aux Éphésiens : « Que les femmes soient soumises à leur mari, comme au Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l'Église, le Christ est la tête ; lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien ! Si l'Église se soumet au Christ qu'il en soit toujours de même pour les femmes à l'égard de leur mari.

Vous, les hommes, aimez votre femme à l'exemple du Christ : il a aimé l'Église, il s'est livré pour elle ; il voulait la rendre sainte en la purifiant par l'eau du baptême et la parole de vie ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache, ni ride, ni aucun défaut ; il la voulait sainte et immaculée. C'est comme cela que le mari doit aimer sa femme : comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s'aime soi-même. Jamais personne n'a méprisé son propre corps ; au contraire, on le nourrit, on en prend soin. C'est ce que fait le Christ pour l'Église, parce que nous sommes les membres de son corps. À cause de cela, I'homme quittera son père et sa mère, il s'unira à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un. Ce mystère est grand ; je le dis en pensant au Christ et à l'Église! Bref, en ce qui vous concerne, que chacun aime sa femme comme soi-même, et que la femme respecte son mari. » (
Ep 5,22-33)

2. Il nous faut soumettre à une analyse approfondie ce texte du chapitre 5 de la lettre aux Éphésiens, de la même manière que, précédemment, nous avons analysé toutes les paroles du Christ qui semblaient avoir une signification capitale pour la théologie du corps. Il s'agissait des phrases dans lesquelles le Christ se réfère au « commencement » (Mt 19,4 Mc 10,6), au « coeur » humain, dans le Discours sur la Montagne (Mt 5,28) et à la résurrection future (cf. Mt 22,30 Mc 12,25 Lc 20,35). Ce qui est dit dans ce passage de la lettre aux Éphésiens constitue pour ainsi dire le « couronnement » de ces autres mots clés. Si, à partir de ceux-ci, on a pu dégager une théologie du corps dans ses grandes lignes évangéliques, à la fois simples et fondamentales, il faut, d'une certaine manière, présupposer cette théologie pour interpréter le passage cité de la lettre aux Éphé- siens. Par conséquent si l'on veut interpréter ce passage, il faut le faire à la lumière de ce que le Christ nous dit sur le corps humain. Il a non seulement parlé de l'homme « historique » et, par conséquent, de l'homme, toujours « contemporain », de la concupiscence (de son « coeur »). Il a aussi fait ressortir, d'un côté, les perspectives du « commencement », c'est-à-dire de l'innocence originelle et de la justice et, de l'autre, les perspectives eschatologiques de la résurrection des corps, quand « on ne prendra plus ni femme ni mari » (cf. Lc 20,35). Tout cela fait partie de l'optique théologique de la « rédemption de notre corps » (Rm 8,23).

3. Ce que dit l'auteur de la lettre aux Éphésiens (1) est également centré sur le corps ; et ceci, aussi bien dans son sens métaphorique, c'est-à-dire à propos du corps du Christ qui est l'Église, que dans son sens propre, c'est-à-dire à propos du corps humain dans sa masculinité et sa féminité, dans son destin de toujours : l'union dans le mariage, comme le dit le livre de la Genèse : « L'homme quittera son père et sa mère, il s'unira à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un. » (Gn 2,24)

De quelle manière ces deux significations du corps apparaissent-elles et convergent-elles dans ce passage de la lettre aux Ephésiens ? Et pourquoi y apparaissent-elles et convergent-elles ? Voilà des questions qu'il faut se poser en attendant non pas des réponses immédiates et directes, mais plutôt, autant que possible, des réponses approfondies et données « à longue échéance » auxquelles nous ont préparé nos analyses précédentes. En effet, ce passage de la lettre aux Éphésiens ne peut être compris correctement que dans son large contexte biblique, en le considérant comrne le « couronnement » des thèmes et des vérités qui ponctuent la parole de Dieu révélée dans l'Écriture sainte, tels le flux et le reflux de larges vagues. Ce sont des thèmes centraux et des vérités essentielles. C'est pour cela que ce texte de la lettre aux Éphésiens est également un texte clé « classique ».

4. C'est un texte bien connu dans la liturgie qui l'utilise toujours en rapport avec le sacrement de mariage. La lex oran- di de l'Église voit dans ce texte une référence explicite à ce sacrement : et la lex orandi annonce et en même temps exprime la lex credendi. Ceci étant admis, il nous faut tout de suite nous demander : comment voit-on, dans ce texte « classique » de la lettre aux Éphésiens, la vérité sur la sa- cramentalité du mariage ? De quelle façon s'y exprime-t-elle, y est-elle confirmée ? On va voir que la réponse à ces questions ne peut être immédiate et directe mais progressive et n'être donnée « qu'à longue échéance ». Cela se vérifie dès le premier coup d'oeil sur ce texte qui nous renvoie au livre de la Genèse, et donc « au commencement », et qui, dans sa description des rapports entre le Christ et l'Église, reprend chez les prophètes de l'Ancien Testament l'analogie bien connue de l'amour nuptial entre Dieu et le peuple élu.

Il serait difficile de dire comment la lettre aux Éphésiens traite de la sacramentalité du mariage sans étudier ces rapports. On verra aussi comment cette réponse doit passer par toutes les dimensions des problèmes qu'on a déjà analysés, c'est-à-dire par la théologie du corps.

5. Le sacrement ou la sacramentalité — au sens le plus général de ce terme — a affaire au corps et présuppose une « théologie du corps ». Le sacrement, en effet, dans son sens généralement reçu, est un « signe visible ». Le « corps » signifie aussi ce qui est visible, le caractère « visible » du monde et de l'homme. Par conséquent, d'une certaine manière — bien qu'en un sens plus genéral — le corps rentre dans la définition du sacrement puisqu'il est le « signe visible d'une réalité invisible », c'est-à-dire de la réalité spirituelle, transcendante, divine. C'est dans ce signe — et à travers ce signe — que Dieu se donne à l'homme dans sa vérité transcendante et dans son amour. Le sacrement est un signe de la grâce et c'est un signe efficace. Non seulement il l'indique et l'exprime de façon visible, à la manière d'un signe, mais il la produit et contribue efficacement à faire en sorte que la grâce fasse partie de l'homme et qu'en lui se réalise et s'accomplisse l'oeuvre du salut, l'oeuvre établie d'avance par Dieu de toute éternité et qui a été pleinement révélée en Jésus-Christ.

6. Je dirais que déjà ce premier coup d'oeil jeté sur ce texte « classique » de la lettre aux Éphésiens montre dans quelle direction devront se poursuivre nos analyses à venir. Il est indispensable que ces analyses commencent par une compréhension préliminaire du texte en lui-même. Cependant, elles doivent nous conduire ensuite, si l'on peut dire, par- delà les limites du texte pour que nous comprenions, si possible « jusqu'au fond », quelle richesse de vérité révélée par Dieu est contenue dans le cadre de cette merveilleuse page. En empruntant la célèbre expression à la Constitution Gaudium et Spes, on peut dire que ce passage que nous avons choisi dans la lettre aux Éphésiens « manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui fait découvrir sa très haute vocation » (GS 22) : en tant qu'il partage l'expérience de l'incarnation. En effet, Dieu, en le créant à son image, dès le commencement le créa « homme et femme » (GS 27).

Au cours de nos analyses suivantes, nous chercherons — surtout à la lumière de ce texte de la lettre aux Éphésiens — à comprendre plus profondément le sacrement (en particulier le mariage en tant que sacrement) : en premier lieu, dans sa dimension de l'Alliance et de la grâce et, ensuite, dans sa dimension de signe sacramentel.


(1) La question de savoir si la lettre aux Éphésiens est de saint Paul ou pas, paternité reconnue par certains exégètes et refusée par d'autres, peut trouver une solution dans une supposition qui se place entre les deux opinions et que nous ferons nôtre comme hypothèse de travail, à savoir que saint Paul confia à son secrétaire quelques idées et que celui-ci, par la suite, les développa et les rédigea.
C'est à cette solution provisoire de la question que nous pensons quand nous parlons de « l'auteur de la lettre aux Éphésiens », de « l'Apôtre » et de « saint Paul ».



Aux pèlerins français

Chers Frères et Sœurs,

Ces dernières semaines, j’ai parlé de la théologie du corps telle que nous la trouvons exposée dans la Bible. Je voudrais aujourd’hui évoquer un texte de la lettre aux Ephésiens (Cfr. Ep 5,22-33)) qui est comme le couronnement de tout cet enseignement biblique, et dans lequel le mot corps est envisagé non seulement dans son sens concret de corps humain, masculin ou féminin, mais dans un sens métaphorique: le Corps du Christ, qui est l’Eglise. Saint Paul compare l’amour mutuel des époux à l’amour du Christ pour son Eglise: “Pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Eglise, le Christ est la tête, lui qui est le Sauveur de son corps . . . Vous les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ: il a aimé l’Eglise, il s’est livré pour elle . . .”.

Ce texte, souvent utilisé par la liturgie, se réfère au sacrement de mariage, et il reprend l’analogie, bien connue des Prophètes de l’Ancien Testament, de l’amour nuptial de Dieu pour son peuple èlu. Il y a une relation étroite entre le sacrement et le corps. Le sacrement est en effet un “signe visible”. De même le corps est l’aspect visible du monde et de l’homme; il répond donc d’une certaine façon à la définition du sacrement parce qu’il est “signe visible d’une réalité invisible”: par ce signe, Dieu se donne à l’homme dans sa transcendante vérité et dans son amour.

Nous continuerons à approfondir ce texte de saint Paul pour en extraire toute la richesse de vérité révélée et voir comment il “manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation” (Gaudium et Spes, GS 22).

* * *


A vous, chers frères du Sacré-Cœur, j’exprime ma gratitude pour votre visite. Je sais que vous tenez en ce moment votre trentième chapitre général. Puisse cette importante Assemblée apporter encore à votre Institut un nouveau souffle évangélique dont vos nombreux élèves et leurs familles seront les premiers bénéficiaires! Je suis heureux de vous encourager au nom de l’Eglise, qui compte sur votre ferveur religieuse et apostolique, et je vous bénis au nom du Christ, vous et vos frères œuvrant dans le monde entier.

* * *


Je salue également un groupe de jeunes catholiques et orthodoxes en provenance de Damas. Je souhaite que votre pèlerinage à Rome et ensuite à Lourdes affermisse votre appartenance au Christ et votre volonté de coopérer à l’évangélisation du monde. Je vous bénis de tout cœur.




Le mystère du Christ dans l’Église et la vocation chrétienne - 4 août 1982

40882
(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 13 août. Traduction et titre de la DC.


1. Durant notre entretien de mercredi dernier, j'ai cité le chapitre 5 de l'Épître aux Éphésiens (v.
Ep 5,22-23).

Maintenant, après ce regard introductif, il convient d'examiner comment ce passage — si important aussi bien pour le mystère de l'Église que pour le caractère sacramentel du mariage — s'encadre dans le contexte immédiat de l'Épître tout entière.

Tout en sachant qu'il existe une série de problèmes discutés par les biblistes et concernant les destinataires, la paternité et même la date de composition de l'Épître aux Éphésiens, il faut constater que celle-ci a une structure très significative. L'auteur la commence en présentant l'éternel plan du salut de l'homme en Jésus-Christ.

« ... Dieu, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous a élus en lui pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour, déterminant d'avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté à la louange de gloire de sa grâce, dont il nous a gratifiés dans le Bien-Aimé. En lui nous trouvons la rédemption par son sang, la rémission des péchés selon la richesse de sa grâce. pour réaliser ce dessein quand les temps seront accomplis : ramener toutes choses sous un seul chef, le Christ. » (Ep 1,3-4 Ep 1,7 Ep 1,10.)

Après avoir présenté, avec des paroles pleines de gratitude, le plan qui est en Dieu de toute éternité et qui, en même temps, se réalise déjà dans la vie de l'humanité, l'auteur de l'Épître prie le Seigneur pour que les hommes (et principalement les destinataires de la lettre) connaissent le Christ en tant que chef : « Il l'a constitué au sommet de tout, tête pour l'Église qui est son corps, la plénitude de Celui qui se réalise entièrement en toutes choses. » (Ep 1,22-23) L'humanité pécheresse est appelée à une vie nouvelle dans le Christ en qui les païens et les Juifs doivent s'unir comme dans un temple (cf. Ep 2,11-21). L'Apôtre est le propagateur du mystère du Christ parmi les païens auxquels il s'adresse avant tout, dans son Épître où il écrit que « fléchissant les genoux en présence du Père », « il demande » qu'il daigne, « selon la richesse de sa gloire, (les) armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en (eux) l'homme intérieur » (Ep 3,14-16).

2. Après une si profonde et suggestive révélation du mystère du Christ dans l'Église, l'auteur passe, dans la seconde partie de son Épître, à des directives plus détaillées, qui visent à définir la vie chrétienne comme vocation jaillissant du plan divin, dont nous avons parlé précédemment, c'est-à- dire du mystère du Christ dans l'Église. Ici également, l'auteur aborde différentes questions toujours valables pour la vie chrétienne. Il exhorte à conserver l'unité, soulignant en même temps qu'une telle unité se construit sur la multiplicité et la diversité des dons du Christ. Chacun reçoit un don différent, mais tous les chrétiens doivent, comme tels « revêtir l'Homme nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité » (Ep 4,24). À ceci se rattache un rappel catégorique à surmonter les vices et à acquérir les vertus correspondant à la vocation que tous les hommes ont reçue dans le Christ (cf. Ep 4,25-32). L'auteur écrit : « Cherchez à imiter Dieu comme des enfants bien-aimés et suivez la voie de l'amour, à l'exemple du Christ qui vous a aimés et s'est offert pour nous.. .en sacrifice. » (Ep 5,12.)

3. Au chapitre 5 de l'Épître aux Éphésiens, ces rappels se font encore plus circonstanciés. L'auteur condamne sévèrement les abus des païens en écrivant : « Jadis vous étiez dans les ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur, conduisez-vous en enfants de lumière. » (Ep 5,8.) Puis : « Ne vous montrez donc pas inconsidérés, mais sachez voir quelle est la volonté du Seigneur. Et ne vous enivrez pas de vin (référence au Livre des Pr 23,31). mais cherchez votre plénitude dans l'Esprit. Récitez entre vous des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre coeur » (Ep 5,17-19). L'auteur de l'Épître veut indiquer par ces paroles le climat de vie spirituelle qui devrait animer toute communauté chrétienne. À ce point, il passe à la communauté domestique, c'est-à-dire à la famille. Il écrit en effet : « Cherchez votre plénitude dans l'Esprit. En tout temps et à tout propos, rendez grâce à Dieu le Père, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Seigneur. » (Ep 5,20-21.) Et ainsi nous abordons précisément ce passage de l'Epître qui fera l'objet de notre analyse particulière. Il sera facile de constater que le contenu essentiel de ce texte « classique » se présente là où se croisent les deux principaux fils conducteurs de toute l'Épître aux Éphésiens : le premier, celui du mystère du Christ qui, en tant qu'expression du plan divin pour le salut de l'homme se réalise dans l'Église ; le second, celui de la vocation chrétienne qui, en tant que modèle de vie de chaque baptisé et de chaque communauté, correspond au mystère du Christ, c'est-à-dire au plan divin pour le salut de l'homme.

4. Dans le contexte immédiat du passage cité l'auteur de l'Épître cherche à expliquer comment la vie chrétienne ainsi conçue doit se réaliser et se manifester dans les rapports entre tous les membres d'une famille ; donc, non pas seulement dans les relations entre le mari et la femme (dont traite précisément le passage du chapitre Ep 5,22-23 que nous avons choisi), mais également celles entre parents et enfants. L'auteur écrit : « Enfants, obéissez à vos parents, dans le Seigneur : cela est juste. Honore ton père et ta mère tel est le premier commandement auquel soit attachée une promesse ; pour que tu sois heureux et jouisses d'une longue vie sur la terre. Et vous, parents, n'exaspérez pas vos enfants, mais élevez-les dans l'éducation et la discipline du Seigneur. » (Ep 6,1-4.) Il parle ensuite des devoirs des serviteurs à l'égard des patrons et, vice versa, des patrons à l'égard des serviteurs, c'est-à-dire des esclaves (cf. Ep 6,5-9), ce qui se réfère également aux directives concernant la famille au sens le plus large. La famille est constituée en effet non seulement par les parents et les enfants (dans l'ordre de succession des générations) : y appartiennent aussi, au sens large, les serviteurs et les servantes : les esclaves de l'un et l'autre sexe.

5. Ainsi donc, le texte de l'Épître aux Éphésiens, que nous nous proposons d'analyser profondément, est situé dans le contexte immédiat des enseignements sur les devoirs moraux de la société familiale (ce que l'on appelle les « Hausteflen » ou codes domestiques, suivant la définition de Luther). Nous trouvons de semblables instructions dans d'autres Épîtres (celle par exemple, aux Col 3,18-4, et dans la première Épître de Pierre 1P 2,13-3,7). Du reste, ce contexte immédiat fait partie de notre passage, en ce sens que le texte « classique » que nous avons choisi, a également trait aux devoirs réciproques des maris et des femmes. Il faut cependant noter que le passage Ep 5,22-23 de l'Épître aux Éphésiens, considéré en soi, est centré exclusivement sur les époux et sur le mariage, et ce qui concerne la famille, également au sens le plus large, se trouve déjà dans le contexte. Mais avant de passer à une analyse approfondie du texte, il convient d'ajouter que l'Épître se conclut par un merveilleux encouragement à la bataille spirituelle (cf. Ep 6,10-20), par de brèves recommandations (cf. Ep 6,21-22) et un voeu final (Ep 6,23-24). Cette invitation à la bataille spirituelle semble se fonder logiquement sur l'argumentation de toute la lettre. Elle est, pour ainsi dire, l'accomplissement explicite de ses fils conducteurs principaux.

Ayant ainsi sous les yeux la structure globale de l'Épître aux Éphésiens, nous chercherons au cours de la première analyse à éclairer le sens des paroles adressées aux maris et aux femmes : « Soyez soumis les uns aux autres, dans la crainte du Christ. » (Ep 5,21).



Aux fidèles d'expression française

Chers Frères et Sœurs,

Soyez les bienvenus! Vous les prêtres, en ce jour de la fête du saint Curé d’Ars; vous les religieux et religieuses; vous les laïcs chrétiens, parents et jeunes. Pour vos vacances d’été, vous avez choisi de visiter Rome, de vous familiariser avec ses monuments, son histoire, son art, son peuple, et en même temps avec le centre de l’Eglise. Vous voici rassemblés devant la basilique Saint-Pierre, près du tombeau de l’Apôtre qui est venu ici témoigner de sa foi au Christ, au prix de sa vie. Et l’Eglise, aujourd’hui, comme hier, se réunit autour de son Successeur.

Pour ma part, je porterai dans ma prière toutes vos intentions. Et je voudrais aider les pèlerins du mercredi à mieux saisir le mystère du Christ, le mystère de l’Eglise qui est née du Christ, et le mystère de chacun de vos foyers unis par le sacrement de mariage. Pour cela, dans mon discours en italien, j’ai analysé la magnifique lettre de l’Apôtre Paul aux chrétiens d’Ephèse, que je vous invite à relire. Il dit aux maris et aux femmes: “Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ”. Mais cela ne se comprend bien que dans la perspective chrétienne exposée dans l’ensemble de la lettre: Dieu a voulu sauver les hommes du péché, les rendre saints et même les adopter comme des fils, autour de son Fils unique. Pour cela, il a établi le Christ Jésus, ressuscité, à la tête de l’Eglise, qu’on peut appeler son “Corps”, puisqu’il l’a aimée et s’est livré pour elle. Les baptisés, qui ont l’honneur d’être les membres de ce Corps, sont appelés à imiter le Christ, à “revêtir l’homme nouveau”, à se conduire en fils de lumière, à vivre de l’Esprit Saint. Tous les rapports familiaux sont alors marqués par cet esprit de respect, de soumission, de générosité et de délicatesse dans l’amour. Cela suppose certes un combat spirituel, car on doit faire effort pour ne pas se modeler sur les mœurs du temps, dans un climat de foi et de prière. Mais alors, quelle est belle, la famille qui a compris et qui vit cet idéal! Tel est mon souhait pour chacun de vous, avec ma Bénédiction Apostolique.




Catéchèses S. J-Paul II 21782