Catéchèses S. J-Paul II 15092

15 septembre 1982, Pour la paix dans la justice au Moyen-Orient

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L’appel de Jean-Paul II à l’audience générale du 15 septembre

Le Pape Jean-Paul II s'est entretenu en privé avec Yasser Arafat, leader de l'Organisation pour la libération de la Palestine, le mercredi 15 septembre, avant l'audience générale tenue place Saint-Pierre (1). Au cours de la nuit précédente, le président élu du Liban Bechir Gemayel avait trouvé la mort dans l'attentat terroriste qui a détruit le siège des phalanges chrétiennes à Beyrouth. À la fin de l'audience générale, le Pape a prononcé l'allocution suivante, appelant à la paix au Moyen-Orient (2) :

(1) M. Yasser Arafat était invité par l' « Union interparlementaire » qui tenait à Rome sa 69e session. Il a été reçu par le président de la République italienne, mais non par le gouvernement. Pour le rencontrer, Jean-Paul II, qui résidait encore à Castelgandolfo, a avancé de vingt minutes sa venue à Rome pour l'audience générale. Il a rencontré le leader de l'OLP en dehors de tout cadre officiel. M. Arafat était sans armes. Sur le contenu de la conversation, la Salle de presse du Saint-Siège a publié le communiqué suivant :« Dans l'après-midi d'aujourd'hui, ce 15 septembre 1982, avant l'audience générale, le Saint-Père, poussé par son souci constant de favoriser le difficile processus de paix au Proche-Orient, a reçu M. Yasser Arafat, venu à Rome pour participer à la conférence de l'Union interparlementaire. Au cours de la conversation, le Saint-Père a exprimé sa bienveillance à l'égard du peuple palestinien, sa compréhension de sa longue souffrance, en formulant le souhait qu'une solution juste et durable au conflit du Proche-Orient soit trouvée au plus tôt. En évoquant le drame du Liban, où se trouvent encore tant de Palestiniens, drame rendu plus grave par la tragique disparition de son président élu Béchir Gemayel, le Pape, en déplorant vivement cet acte inqualifiable de terrorisme, a exprimé l'espoir que le processus de reconstruction, toujours souhaité, du pays, ne soit pas malgré tout interrompu et qu'il puisse constituer un élément sérieux de stabilité et de paix pour le Proche-Orient. »
(L'Osservatore Romano du 16 septembre. Traduction officielle.)


(2) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 17 septembre. Traduction de la DC.


Je suis profondément affligé de la mort de Bechir Gemayel, président élu du Liban, provoquée hier par un attentat inhumain, qui a causé aussi des dizaines de morts et de blessés. Je m'associe, dans un esprit de prière intense, à la douleur de la famille du président comme à celle des autres victimes et au deuil du Liban qui, aux tragédies de ces dernières années, voit s'en ajouter une autre, non moins grave, dans la personne de celui qui venait d'être désigné pour en conduire le destin.


Cette solution doit exclure le recours aux armes et à la violence sous toutes ses formes et, avant tout, le recours au terrorisme et aux représailles.

Elle doit aboutir à reconnaître les droits de tous les peuples de la région, en particulier ceux du peuple palestinien à une patrie et ceux de l'État d'Israël à sa sécurité.

Ma réprobation pour un geste d'une telle cruauté est totale. Je pleure la vie tranchée de façon barbare d'un homme jeune et prestigieux et de ses collaborateurs. Je m'attriste, comme chef de la catholicité, de la perte d'un fils de la communauté maronite. Le nonce apostolique à Beyrouth m'a informé que, dans un entretien qu'il eut hier avec lui, quelques heures avant l'attentat, le président Gemayel avait tenu à reconfirmer au représentant du Pape qu'il se sentait un fils dévoué de l'Église.

Nous ne pouvons d'autre part cacher la préoccupation pour les conséquences que ce dramatique événement pourrait avoir pour le Liban lui-même et pour la région si tourmentée du Moyen-Orient.

Je désire m'adresser aux Libanais, chrétiens ou non chrétiens, les exhorter avec une paternelle sollicitude et toute mon affection à prendre motif de cette circonstance pour renforcer leurs liens, pour s'unir pour le bien de la patrie et à ne pas consentir à ce que se produisent des réactions de violence et de division.

Le Liban a besoin de retrouver la sérénité et la paix, la souveraineté sur tout son territoire, dans le respect de la légalité. À cette fin, le pays a besoin de la collaboration loyale et efficace de toutes ses composantes, ethniques et religieuses. En ces semaines, après le siège tragique de Beyrouth, on enregistre une intense activité diplomatique et se multiplient les propositions pour relancer les négociations et ouvrir la route à une solution globale du conflit au Moyen-Orient. Le Saint-Siège suit avec un très grand intérêt ces initiatives et apprécie tout effort qui favorise l'ouverture d'un dialogue, des tractations, afin que l'on parvienne finalement à une résolution du conflit.

L'Église veut aussi, par les moyens qui sont conformes à sa nature et à sa mission, sur le plan des principes moraux, indiquer les exigences qui devraient, à son avis, être présentes pour la recherche d'une solution pacifique. Le Saint- Siège est convaincu avant tout que l'on ne pourra parvenir à une paix véritable sans une vraie justice et qu'il n'y aura pas de justice si ne sont pas reconnus et accueillis les droits de tous les peuples intéressés.

Parmi ces droits, il y a avant tout un droit imprescriptible : le droit à l'existence et à la sécurité sur son propre territoire, dans la sauvegarde de l'identité propre de chacun. Il y a un dilemme qui se déroule sous une forme rude, entre deux peuples : l'Israélien et le Palestinien, qui ont vu, simultanément ou alternativement, niés ou combattus leurs droits. Le Pape, l'Église catholique, regardent avec sympathie et considération tous ces peuples, héritiers et gardiens de traditions religieuses, de même que de cultures diverses, tous deux riches de valeurs dignes de respect.

Il y a quelques mois, lors de l'Angélus du 4 avril, j'ai osé poser cette interrogation précise : « Est-il irréel de souhaiter que ces deux peuples, chacun acceptant l'existence et la réalité de l'autre, arrivent à un dialogue qui les mène à une solution juste, par laquelle les deux peuples vivraient en paix, dans la dignité, la liberté, se donnant mutuellement l'engagement de la tolérance et de la réconciliation ? »

Aujourd'hui, je relance avec plus de force encore cette question dans la confiance que la douloureuse expérience de ces derniers mois pourra préparer une réponse affirmative des parties, encouragées et soutenues par la solidarité et la collaboration des pays amis de l'un et de l'autre, en abandonnant tout recours à la guerre, à la violence et à toutes les formes de lutte armée, dont quelques-unes ont été dans le passé particulièrement viles et inhumaines.

Au terme de ce chemin difficile pour la réconciliation et la rencontre entre les peuples divers, je vois se lever idéalement comme un phare lumineux, invitant à l'amour, la
ité sainte de Jérusalem.


Elle est la ville dont Dieu a fait ses complaisances, où il a révélé le grand mystère de son amour pour l'homme. Jérusalem peut devenir aussi la cité de l'homme dans laquelle les croyants des trois grandes religions monothéistes — le christianisme, le judaisme et l'islam — vivent en pleine liberté et dans l'égalité, tout comme les croyants d'autres communautés religieuses, dans la garantie reconnue que la ville est le patrimoine sacré de tous et est destinée à l'adoration du Dieu unique, la méditation, les oeuvres de fraternité.

Je prie le Seigneur afin que, pour tout le Moyen-Orient et spécialement pour Jérusalem et la Terre sainte, se réalise bientôt cette aspiration à la paix.






Amour conjugal et alliance selon le prophète Isaïe - 22 septembre 1982

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[26] Texte italien dans l’Osservatore Romano du 24 septembre. Traduction et titre de la DC.



1. Par la comparaison de la relation entre le Christ et l'Église avec la relation conjugale entre les époux, l'Épître aux Éphésiens se refère à la tradition des Prophètes de l'Ancien Testament. Pour l'illustrer citons ce texte d'Isaïe : « Ne crains rien, car tu n'auras plus à rougir ; ne sois pas confuse, car tu ne seras plus déshonorée ; au contraire, tu oublieras la honte de ta jeunesse et tu ne te souviendras plus de l'opprobre de ton veuvage. Car ton époux est ton créateur ; Seigneur des armées est son nom ; ton rédempteur est le Saint d'Israël qui s'appelle Dieu de toute la terre. Telle une femme abandonnée, dont l'esprit est affligé, le Seigneur t'a rappelée. La femme épousée dans la jeunesse pourrait- elle être répudiée, a dit ton Dieu ? Je t'avais abandonnée pendant un court instant, mais je te reprendrai avec un immense amour. Dans un débordement de colère, je t'avais un instant caché ma face ; mais avec une bienveillance durable, j'aurai pitié de toi a dit ton rédempteur, le Seigneur. Ce sera pour moi comme aux jours de Noé, lorsque j'ai juré que les eaux de Noë n'inonderaient plus la terre : de même je jure de ne plus me mettre en colère contre toi et de ne plus te menacer. Car les montagnes peuvent se déplacer et les collines chanceler, mais mon affection ne s'écartera jamais de toi et mon alliance de paix ne chancellera pas, a dit le Seigneur qui use de miséricorde envers toi. » (
Is 54,4-7 Is 54,10.)

2. Ici, le texte d'Isaïe ne contient aucun des reproches qui sont adressés à Israël comme à une épouse infidèle, et qui ont un tel retentissement dans les autres textes, ceux d'Osée et d'Ezéchiel en particulier. Grâce à ceci, le contenu essentiel de l'analogie biblique transparaît plus clairement, l'amour de Dieu-Yahvé envers Israël-peuple élu est exprimé comme l'amour de l'homme-époux envers la femme élue pour être son épouse, en vertu du contrat conjugal. C'est ainsi qu'Isaïe explique les événements qui forment le cours de l'histoire d'Israël, remontant au mystère caché pour ainsi dire dans le coeur même de Dieu. En un certain sens, il nous conduit dans la même direction où, de nombreux siècles plus tard, nous conduira l'auteur de l'Épître aux Éphésiens qui — se fondant sur la rédemption déjà accomplie dans le Christ — dévoilera d'une manière infiniment plus pleine la profondeur de ce mystère.

3. Le texte du Prophète a toute la nuance de la tradition et de la mentalité des hommes de l'Ancien Testament. En parlant au nom de Dieu et presque avec ses paroles, le Prophète s'adresse à Israël comme un époux à l'épouse qu'il a choisie. Ces paroles débordent d'amour vrai et ardent et, en même temps, elles mettent en relief tout ce que présentent de spécifique tant la situation que la mentalité propres à son époque. Elles soulignent que le choix de l'homme arrache la femme au « déshonneur » qui, suivant l'opinion de la société, semblait inhérent à l'état nubile, soit originaire (la virginité), soit secondaire (le veuvage), soit enfin celui qui découle de la répudiation de l'épouse non aimée (cf. Dt 24,1) ou éventuellement de la femme infidèle. Toutefois, le texte cité ne fait pas mention de l'infidélité ; il note au contraire le motif de « l'amour miséricordieux (1) », indiquant en cela non seulement la nature sociale du mariage dans l'Ancienne Alliance, mais aussi le caractère même de don, qu'est l'amour de Dieu envers Israël- épouse : don qui provient entièrement de l'initiative de Dieu.

En d'autres termes, en indiquant la dimension de la grâce qui, depuis l'origine, est contenue dans cet amour. Voilà peut-être la plus forte « déclaration d'amour » de la part de Dieu, liée au solennel serment de fidélité à jamais.

4. L'analogie de l'amour qui unit les conjoints est très nettement notée dans ce passage. Isaïe dit : « Ton créateur est ton époux. Seigneur des armées est son nom. Le Saint d'Israël est ton rédempteur ; on l'appelle le Dieu de la terre. » (Is 54,5) Ainsi donc, dans ce texte, Dieu lui-même, dans toute sa majesté de Créateur et de Seigneur de la création, se trouve explicitement appelé « l'époux » du peuple élu. Cet « époux » parle de sa grande « affection », qui ne s' « éloignera » pas d'Israël-épouse, mais constituera un fondement stable de « l'alliance de paix » avec lui. C'est ainsi que le motif de l'amour conjugal et du mariage se trouve lié au motif de l'alliance. En outre, le « Seigneur des armées » se définit lui-même non seulement comme « créateur », mais aussi comme « rédempteur ». Ce texte possède un contenu théologique d'une extraordinaire richesse.

5. Confrontant le texte d'Isaïe avec l'Épître aux Éphésiens et constatant la continuité en ce qui concerne l'analogie de l'amour conjugal et du mariage, nous devons en même temps noter une certaine différence d'optique théologique. Déjà dans le premier chapitre de l'épître l'auteur parle du mystère de l'amour et de l'élection avec lesquels « le Dieu Père de Notre Seigneur Jésus-Christ » embrasse tous les hommes en son Fils, et il en parle surtout comme d'un mystère « caché dans le coeur de Dieu ». Ceci est le mystère de l'amour paternel, mystère de l'élection à la sainteté (« pour être saints et immaculés en sa présence » : Ep 1,4) et à l'adoption comme Fils dans le Christ (« déterminant d'avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ » : 1, 5). Dans ce contexte, la déduction de l'analogie au sujet du mariage que nous avons trouvée en Isaïe (« ton époux est ton créateur, Seigneur des armées est son nom » : Is 54,5) semble être un raccourci faisant partie de la perspective théologique. La première dimension de l'amour et de l'élection comme mystère caché depuis toujours en Dieu, est une dimension paternelle et non « conjugale ». Selon l'Épître aux Éphésiens, la première note caractéristique de ce mystère reste liée à la paternité même de Dieu, mise particulièrement en relief par les prophètes (cf. Os 11,1-4 Is 63,8-9 Is 64,7 Ml 1,6).

6. L'analogie de l'amour conjugal et du mariage apparaît seulement quand le « Créateur », le « Saint d'Israël » du texte d'Isaïe, se manifeste comme « Rédempteur ». Isaïe dit : « Ton époux est ton créateur ; Seigneur des armées est son nom ; ton rédempteur est le Saint d'Israël » (Is 54,5). Déjà dans ce texte il est, en un certain sens, possible de lire le parallélisme entre l' « époux et le Rédempteur ». Passant à l'Épître aux Éphésiens, nous devons observer que précisément cette pensée y est pleinement développée. La figure du Rédempteur (2) y est dejà tracée dans le premier chapitre comme propre figure de celui qui est le premier « Fils bien-aimé » du Père (Ep 1,6), « bien-aimé de toute éternité » : de celui en qui le Père nous a tous aimés « depuis des siècles ». Le Fils est de la même substance que le Père, en qui « nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce » (Ep 1,7). Et c'est ce Fils, en tant que Christ (c'est-à-dire en tant que Messie), qui « a aimé l'Église et s'est donné pour elle » (Ep 5,25).

Cette merveilleuse formulation de l'Épitre aux Éphésiens synthétise et en même temps met en relief les éléments du « Poème du serviteur de Yahvé » et du cantique de Sion (cf. par ex. Is 41,1 Is 53,8-12 Is 54,8).

Ainsi, ce don de soi fait à l'Église équivaut à l'accomplissement de l'oeuvre de rédemption. De cette manière, le « créateur, Seigneur des armées » du texte d'Isaïe devient le « Saint d'Israël », le « nouvel Israël », en tant que Rédempteur. Dans l'Épitre aux Éphésiens la perspective théologique du texte prophétique est conservée et, en même temps, approfondie et transformée. Y entrent de nouveaux moments révélés ; le moment trinitaire, le moment christologique (3), et enfin le moment eschatologique.

7. Ainsi donc, en écrivant sa lettre au Peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance et précisément à l'Église d'Éphèse, saint Paul ne répétera pas : « Ton époux est ton créateur », mais il indiquera de quelle manière le « Rédempteur », qui est le Fils premier-né, de toute éternité le « Bien-Aimé du Père », révèle en même temps son amour salvifique qui consiste dans le don de lui-même pour l'Église, comme amour conjugal avec lequel il épouse l'Église et en fait son propre Corps. L'analogie des textes prophétiques de l'Ancien Testament (ici principalement ceux du livre d'Isaïe) est ainsi conservée dans l'Épître aux Éphésiens et, en même temps, évidemment transformée. À l'analogie correspond le mystère : elle l'exprime et en un certain sens l'explique. Dans le texte d'Isaïe, ce mystère est à peine esquissé, presque « entrouvert » ; en revanche, dans l'Épître aux Éphésiens, il est pleinement dévoilé (sans cesser d'être un mystère, cela s'entend). Dans l'Épître aux Éphésiens, la dimension éternelle du mystère en tant qu'il est caché en Dieu (« Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ » ) et la dimension de sa réalisation historique suivant sa dimension à la fois christologique et ecclésiologique sont explicitement distinctes. L'analogie du mariage se réfère surtout à la seconde dimension. Chez les prophètes également (chez Isaïe), I'analogie du mariage se réfère directement à une dimension historique : elle était liée à l'histoire du peuple élu de l'Ancienne Alliance, à l'histoire d'Israël ; en revanche, dans la réalisation vétérotestamentaire du mystère, la dimension christologique et eschatologique se trouvait seulement à l'état embryonnaire : elle était seulement annoncée.

Il est néanmoins évident que le texte d'Israël nous aide à mieux comprendre l'Épitre aux Éphésiens et la grande analogie de l'amour conjugal du Christ et de l'Église.



(1) Dans le texte hébreu, nous avons les mots hesed rahamim qui, plusieurs fois, apparaissent ensemble.

(2) Bien que dans les plus anciens livres bibliques le « Rédempteur » (en Hébreu go'el) signifie la personne obligée, à cause des liens du sang, à venger le parent tué (cf. par ex. Nb 35,19), à venir en aide au parent infortuné (cf. par ex. Rt 4,6) et spécialement à le racheter de l'esclavage (cf. par ex. Lv 25,48), avec le passage des temps, cette analogie est venue s'appliquer à Yahvé « qui a racheté Israël de sa condition d'esclavage, le libérant de la main du pharaon, roi d'Egypte » (Dt 7,8). Particulièrement dans le Deutéro-Isaïe l'accent se déplace de l'action du rachat à la personne du Rédempteur qui sauve personnellement Israël, pour ainsi dire par sa seule présence et « non pas contre paiement ni contre une récompense » (Is 45,13). C'est pourquoi, le passage du « Rédempteur » de la prophétie d'Isaïe 54 à l'Épître aux Éphésiens a les mêmes motifs que l'application, dans l'épître précitée, des textes du Poème du serviteur de Yahvé (cf. Is 53,10-12 Ep 5,23 Ep 5,25-26).

(3) Au lieu de la relation « Dieu-Israël », Paul introduit le rapport « Christ-Église », appliquant au Christ tout ce qui, dans l'Ancien Testament, se réfère à Yahvé (Adonaï-Kyrios). Le Christ est Dieu, mais Paul lui applique également tout ce qui se refère au serviteur de Yahvé dans les quatre Poèmes (Is 42 Is 49 Is 50 Is 52-53), interprêtés dans le sens messianique durant la période inter-testamentaire.
Le motif de la « Tête » et du « Corps », n'est pas d'origine biblique mais probablement hellénistique (stoïcisme ?). Dans l'Épître aux Éphésiens ce thème a été utilisé dans le contexte du mariage (tandis que dans la première Épître aux Corinthiens le thème du « Corps » sert à démontrer l'ordre qui règne dans la société).
Au point de vue biblique l'introduction de ce motif est une nouveauté absolue.



Aux pèlerins d'expression française

Chers Frères et Sœurs,

J’ai largement cité et commenté en italien le texte d’Isaïe qui se résume ainsi: “Ton époux est ton Créateur . . .; avec une immense tendresse, je vais t’unir à moi”. Dans l’Ancien Testament, c’est sans doute la déclaration d’amour la plus forte de la part de Dieu envers Israël, son peuple élu, qu’il considère comme l’épouse qu’il a choisie. Si ce choix unilatéral de l’homme, qui choisit sa femme et lui enlève ainsi le déshonneur de ne pas connaître l’état de mariage, correspond bien à l’époque d’alors, il demeure que la perspective convient très bien à Dieu qui a l’entière initiative du don de l’alliance, car il est le Maître de toute la Création.

Quand on passe à la lettre aux Ephésiens du Nouveau Testament, la perspective est apparemment un peu diverse; en fait elle prolonge, approfondit et enrichit celle d’Isaïe, grâce au mystère de la sainte Trinité et de la Rédemption. L’épître parle d’abord de l’amour paternel du Créateur, qui a voulu adopter les hommes comme fils, dans son Fils unique. Mais c’est ce Fils unique, incarné, qui opère la Rédemption en se livrant pour sauver l’Eglise, et, comme Rédempteur, c’est lui qui devient l’époux de l’Eglise. Le mariage est le signe d’un tel amour.

En vous confiant la méditation de ce mystère, je vous exprime, chers pèlerins de langue française, mon affectueuse salutation et mes vœux cordiaux pour chacun de vous, pour vos familles, vos communautés et pour tous ceux qui vous sont chers, avec ma Bénédiction Apostolique.




L’analogie de l’amour divin et de l’amour conjugal - 29 septembre 1982

29982 [27] Texte italien dans l'Osservatore Romano du 30 septembre. Traduction et titre de la DC.


1. Dans l'Épître aux Éphésiens (
Ep 5,22-33) nous trouvons — comme chez les prophètes de l'Ancien Testament (par exemple chez Isaïe) — la grande analogie du mariage ou de l'amour sponsal entre le Christ et l'Église.

Quelle fonction remplit cette analogie par rapport au mystère révélé dans l'Ancienne et dans la Nouvelle Alliance ? À cette question il importe de répondre graduellement. Avant tout, l'analogie de l'amour conjugal ou sponsal aide à pénétrer l'essence même du mystère. Il aide à le comprendre jusqu'à un certain point — de manière analogique, cela s'entend. Il est évident que l'analogie de l'amour terrestre, humain, du mari envers sa femme, de l'amour sponsal humain ne peut offrir une compréhension adéquate et complète de cette réalité absolument transcendante qu'est le mystère divin, qu'il soit caché depuis les siècles en Dieu, ou qu'il soit réalisé historiquement dans le temps quand « le Christ a aimé l'Église et s'est donné pour elle » (Ep 5,25). Le mystère ne cesse d'être transcendant à l'égard de cette analogie comme à l'égard de n'importe quelle autre analogie par laquelle nous cherchons à l'exprimer en langage humain. Toutefois, cette analogie offre en même temps la possibilité d'une certaine « pénétration » cognitive dans l'essence même du mystère.

2. L'analogie de l'amour sponsal nous permet de comprendre d'une certaine manière le mystère qui, depuis des siècles, est caché en Dieu et qui a été réalisé dans le temps par le Christ comme l'amour qui est le propre du don de soi, total et irrévocable, que Dieu a fait à l'homme dans le Christ. Il s'agit de l'« homme » dans sa dimension personnelle et en même temps communautaire (cette dimension communautaire est exprimée dans le livre d'Isaïe, et chez les prophètes comme « Israël », dans l'Épître aux Éphésiens comme « Église » ; on peut dire : peuple de Dieu de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance). Ajoutons que dans chacune des deux conceptions la dimension communautaire est mise, en un certain sens, au premier plan, mais pas au point de voiler totalement la dimension personnelle qui, d'ailleurs, appartient simplement à l'essence même de l'amour sponsal. Dans les deux cas, il s'agit plutôt d'une significative « réduction de la communauté à la personne (1) » : l'époux-personne (« Yahvé » et « le Christ ») considère respectivement comme épouse-personne Israël et l'Église. Chaque « Je » concret doit se retrouver dans ce « nous » biblique.

3. Ainsi donc l'analogie dont il est question ici permet de comprendre, à un certain degré, le mystère révélé du Dieu vivant qui est Créateur et Rédempteur (et, en tant que tel, il est en même temps le Dieu de l'Alliance) ; elle permet de comprendre ce mystère à la manière d'un amour sponsal, de même qu'elle permet de le comprendre également à la manière d'un amour « miséricordieux » (selon le texte du livre d'Isaïe) ou encore comme un amour « paternel » (suivant l'Épître aux Éphésiens, principalement le chapitre premier). Du reste, ces manières de comprendre le mystère sont, elles aussi, analogiques. L'analogie de l'amour sponsal comprend une caractéristique du mystère qui n'est mise directement en relief ni par l'analogie de l'amour miséricordieux ni par l'analogie de l'amour paternel (ni par n'importe quelle autre analogie tirée de la Bible, à laquelle nous aurions pu nous référer).

4. L'analogie de l'amour des époux (ou amour sponsal) semble mettre surtout en relief le moment du don de soi que Dieu fait à l'homme, choisi « depuis des siècles » dans le Christ (littéralement : à « Israël », à l' « Église » — don total (ou plutôt « radical ») et irrévocable dans son caractère essentiel, à savoir comme don. Ce don est certainement « radical » et donc « total ». On ne peut parler ici de « totalité » au sens métaphysique. L'homme n'est pas, en effet, comme créature capable d' « accueillir » le don de Dieu dans la plénitude transcendante de sa divinité. Un tel « don total » (non créé), Dieu lui-même ne le partage que dans la « communion trinitaire des personnes ». En revanche, le don de soi que Dieu fait à l'homme — dont parle l'analogie de l'amour — ne peut avoir que la seule forme de la participation à la nature divine (cf. 2P 1,4), comme la théologie l'a précisé avec la plus grande clarté. Néanmoins, suivant cette mesure, le don que Dieu a fait à l'homme dans le Christ est un don « total », à savoir « radical », comme l'indique précisément l'analogie de l'amour sponsal : il est, en un certain sens, « tout » ce que Dieu « a pu » donner de lui-même à l'homme, si l'on considère les facultés limitées de l'homme-créature. De cette manière, l'analogie de l'amour sponsal indique le caractère « radical » de la grâce ; de tout l'ordre de la grâce créée.

5. Il semble que l'on puisse dire tout cela en ce qui concerne la première fonction de notre grande analogie qui, des écrits des prophètes de l'Ancien Testament, est passée à l'Epître aux Éphésiens où, comme on l'a déjà noté, elle a subi une significative transformation. L'analogie du mariage, comme réalité humaine dans laquelle vient s'incarner l'amour sponsal, aide, jusqu'à un certain point et dans une certaine mesure, à comprendre le mystère de la grâce comme éternelle réalité en Dieu et comme fruit « historique » de la rédemption de l'humanité dans le Christ. Toutefois, comme nous l'avons dit précédemment, cette analogie biblique, non seulement « explique » le mystère, mais d'autre part, le mystère définit et détermine la manière adéquate de comprendre l'analogie, et précisément cet élément dans lequel les auteurs bibliques voient « l'image et la ressemblance » du mystère divin. Ainsi donc, la comparaison du mariage (en raison de l'amour sponsal) au rapport « Yahvé- Israël » dans l'Ancienne Alliance et « Christ-Église » dans la Nouvelle Alliance, décide en même temps de la manière dont il faut comprendre le mariage et détermine cette manière.

6. Ceci est la deuxième fonction de notre grande analogie. Et, dans la perspective de cette fonction, nous nous rapprochons en fait du problème « Sacrement et ministère », c'est- à-dire, dans un sens général et fondamental, du problème du caractère sacramentel du mariage. Ceci semble tout particulièrement justifié à la lumière de l'analyse de l'Épître aux Éphésiens (Ep 5,22-23). En effet, en présentant le rapport du Christ avec l'Église à l'image de l'union sponsale du mari et de la femme, l'auteur de l'épître parle de manière plus générale et, en même temps, plus fondamentale non seulement de la réalisation de l'éternel mystère divin, mais aussi de la manière dont ce mystère s'est exprimé dans l'ordre visible, de la manière dont il est devenu visible et, de ce fait, est entré dans le domaine du signe.

7. Par le terme « signe », nous entendons ici simplement « la visibilité de l'Invisible ». Le mystère caché en Dieu depuis des siècles — ou invisible — est devenu visible avant tout dans l'événement historique même du Christ. Et le rapport du Christ avec l'Église qui, dans l'Épître aux Éphésiens, est défini comme « mysterium magnum » constitue l'accomplissement et la concrétisation de la visibilité de ce mystère. Du reste, le fait que l'auteur de l'Épître aux Éphésiens compare l'indissoluble rapport du Christ avec l'Église au rapport du mari et de la femme, c'est-à-dire au mariage — faisant en même temps référence aux paroles de la Genèse (Gn 2,24) qui, avec l'acte créateur de Dieu, instituent originairement le mariage —, ramène notre réflexion à ce qui a été déjà précédemment présenté — dans le contexte du mystère même de la création — comme « visibilité de l'Invisible » ; il la ramène à l'« origine » même de l'histoire théologique de l'homme.

On peut dire que le signe visible du mariage « dès son commencement », en tant que lié au signe visible du Christ et de l'Église au sommet de l'économie salvifique de Dieu, transpose l'éternel plan d'amour dans la dimension « historique » et en fait le fondement de tout l'ordre sacramentel. C'est le mérite particulier de l'auteur de l'Épître aux Éphésiens d'avoir rapproché ces deux signes, faisant d'eux le grand signe unique — c'est-à-dire un grand sacrement (sacramentum magnum).

(1) Il ne s'agit pas seulement de la personnification de la société humaine qui constitue un phénomène assez commun dans la littérature mondiale, mais aussi d'une « corporate personality » spécifique de la Bible, marquée par un continuel rapport réciproque de l'individu avec le groupe (cf. H. Wheeler Robinson, The Hebrew Conception of Corporate Personality, BZAW 66, 1936, p. 49-62 ; cf. également J. L. McKensie, Aspects of Old Testament Thought, dans The Jerome Biblical Commentary, vol. 2, Londres 1970, p. 748).



Aux pèlerins d'expression française

Chers Frères et Sœurs,

Depuis plusieurs semaines, je commente un texte de la lettre aux Ephésiens, chapitre 5, qui établit une analogie entre l’amour humain des époux et l’amour du Christ pour l’Eglise, considérée comme son Epouse. Cette analogie nous fait pénétrer d’une certaine façon dans l’essence même du mystère de l’amour de Dieu, qui se donne de manière totale et irrévocable à l’homme dans le Christ, à l’homme considéré dans sa dimension personnelle - c’est-à-dire chacun de nous - et dans sa dimension communautaire, en tant que Peuple de Dieu, qui constitue l’Eglise. Ce don de Dieu fait que nous, ses créatures, participons à la nature divine, par la grâce.

L’analogie du mariage comme réalité humaine dans laquelle s’incarne l’amour conjugal nous aide à comprendre le mystère de la grâce comme réalité éternelle en Dieu et fruit “historique” de la rédemption de l’humanité dans le Christ.

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Et maintenant, je salue le groupe nombreux et très international des Petites Sœurs de Jésus. Je sais que 33 d’entre elles, appartenant à 29 nations, viennent de faire leur profession perpétuelle. A toutes et à chacune, mes félicitations et mes vœux!

Au nom de l’Eglise, je suis heureux d’encourager une fois de plus l’Institut tout entier à incarner sur tous les coneinents l’amour brûlant du Père Charles de Foucauld pour la personne du Christ et sa prédilection pleine de tendresse pour les plus pauvres. Chères Petites Sœurs, vous n’aimerez jamais assez tous ces milieux dans lesquels vous avez choisi de vous enfouir “à cause de Jésus et de l’Evangile”, afin que le monde contemporain puisse croire à l’amour de Dieu. Mais en même temps - dans le plus grand respect des croyants non chrétiens ou des incroyants - ne manquez pas de participer à l’annonce explicite du Message révélé confié à l’Eglise, comme l’exhortation “Evangelii Nuntiandi” l’a si fortement rappelé. Enfin, laissez-moi vous encourager à demeurer radicalement fidèles au silence dans vos fraternités, à la contemplation prolongée, à la petitesse évangélique, à la pauvreté aussi effective que possible. L’Eglise, qui aime et soutient tous les Instituts, compte beaucoup sur la solidité et la fidélité du vôtre. Que Dieu vous accorde, ainsi qu’à vos familles et à vos amis ici présents, de nouvelles grâces! Au nom du Seigneur, je vous bénis avec l’affection que vous savez. Et je bénis également tous les pèlerins de langue française présents à cette audience.






Catéchèses S. J-Paul II 15092