Catéchèses S. J-Paul II 61082

Le mariage, partie intégrante du sacrement de la création - 6 octobre 1982

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(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 7 octobre. Traduction et titre de la DC.


1. Nous poursuivons l'analyse du texte classique du chapitre 5 de l'Épitre aux Éphésiens, versets 22-33. À ce sujet, il faut citer quelques phrases contenues dans une des précédentes analyses consacrées à ce thème : « L'homme apparaît dans le monde visible comme la plus haute expression du don divin, car il porte en lui la dimension intérieure du don. Par cette dimension, il apporte dans le monde, sa ressemblance particulière avec Dieu, par laquelle il transcende et domine même son « caratère visible » dans le monde sa corporéité, sa masculinité ou sa féminité, sa nudité. Un reflet de cette ressemblance, c'est aussi la conscience primordiale de la signification sponsale du corps, pénétrée par le mystère de l'innocence originelle (l'Amour humain dans le plan divin, Cité du Vatican, 1980, p. 90). Ces phrases résument en peu de mots le résultat des analyses centrées sur les premiers chapitres du Livre de la Genèse, en relation avec les paroles par lesquelles le Christ, dans son entretien avec les Pharisiens sur le sujet du mariage et de son indissolubilité, se réfère à l' « origine ». D'autres phrases de la même analyse posent le problème du sacrement primordial : « Ainsi, dans cette dimension, se constitue un sacrement primordial, entendu comme signe qui transmet efficacement dans le monde visible le mystère invisible caché en Dieu depuis l'éternité. Ce mystère est celui de la vérité et de l'amour, le mystère de la vie divine auquel l'homme participe réellement. C'est par l'innocence originelle que commence cette participation. » (Ibid, p. 90.)

2. Il faut revoir le contenu de ces affirmations à la lumière de la doctrine paulinienne exprimée dans l'Épître aux Éphésiens, en ayant surtout présent à l'esprit le passage du chapitre 5, 22-33, placé dans le contexte général de toute l'Épître. Du reste, l'Épître nous autorise à le faire car l'auteur lui-même se réfère dans le chapitre 5, verset 31 à l' « origine », et précisément aux paroles de l'institution du mariage dans le livre de la Genèse (
Gn 2,24). En quel sens pouvons-nous entrevoir dans ces paroles un énoncé au sujet du sacrement, au sujet du sacrement primordial ? Les analyses précédentes de l' « origine » biblique nous y ont conduits progressivement, lorsque nous avons considéré l'état dont a été gratifié l'homme à l'origine dans l'existence et dans la grâce : l'état d'innocence et de justice originelles. L'Épître aux Éphésiens nous amène à aborder ces situations — c'est-à-dire l'état de l'homme avant le péché originel — du point de vue du mystère caché depuis l'éternité en Dieu. En effet, nous lisons dans les premières phrases de l'Épître que « Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ. C'est ainsi qu'il nous a élus en lui, dès avant la création du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l'amour » (Ep 1,3-4).

3. L'Épître aux Éphésiens ouvre devant nous le monde surnaturel de l'éternel mystère, des éternels desseins de Dieu Père à l'égard de l'homme. Ces desseins précèdent la « création du monde » et donc aussi la création de l'homme. En même temps, ces desseins divins commencent déjà à se réaliser dans toute la réalité de la création. Si l'état de l'innocence originelle de l'être humain créé, comme homme et femme, à l'image de Dieu, appartient au mystère de la création, cela signifie que le don primordial conféré à l'homme par Dieu contenait déjà en lui le fruit de l'élection, que nous lisons dans l'Épître aux Éphésiens . « Il nous a choisis. pour être saints et immaculés en sa présence. » (Ep 1,4) C'est précisément cela que semblent noter les paroles du livre de la Genèse quand le Créateur-Elohim trouve dans l'être humain — l'homme et la femme — qui a paru « en sa présence » un bien digne de lui plaire : « Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voici que cela était très bon. » (Gn 1,31) C'est seulement après le péché, après la rupture de l'alliance originelle avec le Créateur que l'homme éprouve le besoin de se cacher « du Seigneur Dieu » : « J'ai entendu ton pas dans le jardin ; j'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché. » (Gn 3,10)

4. Avant le péché, l'homme portait au contraire dans son âme le fruit de l'éternelle élection dans le Christ, Fils éternel du Père. Par la grâce de cette élection, l'être humain, homme et femme, était « saint et immaculé » en présence de Dieu. Cette sainteté et cette pureté primordiales (ou originelles) s'exprimaient également dans le fait que, bien qu'ils fussent « nus tous les deux., ils n'en éprouvaient pas de honte » (Gn 2,25), comme nous avons déjà cherché à le mettre en évidence dans les analyses précédentes. En confrontant le témoignage de l' « origine », rapporté dans les premiers chapitres du livre de la Genèse, avec celui de l'Épître aux Éphésiens, il faut en déduire que la réalité de la création de l'homme était déjà imprégnée par l'éternelle élection de l'homme dans le Christ : appel à la sainteté par la grâce de l'adoption comme fils, « déterminant d'avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté, à la louange de gloire de sa grâce dont il nous a gratifiés dans le Bien-Aimé » (Ep 1,5-6).

5. L'être humain, homme et femme, devient depuis l' « origine » participant de ce don surnaturel. Ce don a été donné en considération de Celui qui, depuis l'éternité, était « aimé » comme Fils, bien que — selon la dimension du temps et de l'Histoire — ce don ait précédé l'incarnation de ce « Fils bien-aimé et même la « rédemption » que nous avons en lui « par son sang » (Ep 1,7).

La rédemption devait devenir la source du don surnaturel à l'homme après le péché et, dans un certain sens, malgré le péché. Ce don surnaturel, qui a eu lieu avant le péché originel, c'est-à-dire la grâce de la justice et de l'innocence originelles — don qui a été le fruit de l'homme dans le Christ avant les siècles — s'est précisement accompli par rapport à Lui, à cet unique Bien-Aimé, anticipant même chronologiquement son incarnation. Dans les dimensions du mystère de la création, l'élection à la dignité de la filiation adoptive n'a été le propre que du « premier Adam », c'est-à-dire de l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, comme homme et femme.

6. De quelle manière se vérifie dans ce contexte la réalité du sacrement, du sacrement primordial ? Dans l'analyse de l' « origine » dont on vient de citer un passage, nous avons dit que « le sacrement, comme signe visible, se constitue avec l'être humain en tant que corps, à travers sa masculinité et sa féminité « visibles ». Le corps, en effet, et seulement lui, est capable de rendre visible ce qui est invisible : le spirituel et le divin. Il a été créé pour faire passer dans la réalité visible du monde le mystère caché en Dieu depuis l'éternité et en être ainsi le signe » (Loc. cit., p. 90).

Ce signe a en outre son efficacité, comme je l'ai encore dit : « L'innocence originelle liée à la signification sponsale du corps » fait que « l'homme se sent, dans son corps d'homme et de femme, un sujet de sainteté » (ibid, p. 91). Il « se sent » et il l'est depuis l' « origine ». Cette sainteté conférée originellement à l'homme par le Créateur appartient à la réalité du « sacrement de la création ». Les paroles de la Genèse, « l'homme s'unira à sa femme et tous les deux ne seront qu'une seule chair », prononcées sur le fond de cette réalité originelle dans un sens théologique, constituent le mariage comme partie intégrante et, dans un certain sens, comme partie centrale du « sacrement de la création ». Elles constituent ou plutôt peut-être elles confirment simplement le caractère de son origine. D'après ces paroles, le mariage est sacrement en tant que partie intégrante et, je dirais, en tant que partie centrale du « sacrement de la création ». En ce sens, il est le sacrement primordial.

7. L'institution du mariage, selon les paroles du livre de la Genèse 2, 24, exprime non seulement le début de la communauté humaine fondamentale qui, par la force « procréatrice » qui lui est propre (soyez féconds et multipliez-vous : Gn 1,28), sert à continuer l'oeuvre de la création, mais elle exprime en même temps l'initiative salvifique du Créateur qui correspond à l'élection éternelle de l'homme, dont parle l'Épître aux Éphésiens. Cette initiative salvifique provient de Dieu-Créateur et son efficacité surnaturelle s'identifie avec l'acte même de la création de l'homme dans l'état de l'innocence originelle. C'est dans cet état, déjà dès l'acte de la création de l'homme, qu'a fructifié son éternelle élection dans le Christ. Ainsi, il faut reconnaître que le sacrement originel de la création tire son efficacité du « Fils bien-aimé » (cf. Ep 1,6 où l'on parle de la « grâce qui nous a été donnée dans son Fils bien-aimé »). Si, ensuite, il s'agit du mariage, on peut en conclure qu'institué dans le contexte du sacrement de la création dans sa globalité ou dans l'état de l'innocence originelle, il devait servir non seulement à prolonger l'oeuvre de la création, c'est-à-dire de la procréation, mais aussi à répandre sur les générations humaines successives le même sacrement de la création, c'est-à- dire les fruits surnaturels de l'éternelle élection de l'homme par le Père dans le Fils éternel : ces fruits dont l'homme a été gratifié par Dieu dans l'acte même de la création.

L'Épître aux Éphésiens semble nous autoriser à comprendre de cette manière le livre de la Genèse et la vérité sur l' « origine » de l'homme et du mariage qui y est contenue.



Ax fidèles de langue française

A la lumière des premiers chapitres de la Bible, nous savons que l’être humain, homme et femme, être corporel, visible, a été créé à l’image de Dieu, pour être le signe visible de la vie divine à laquelle il participait dès le début dans l’état d’innocence qui était le sien.

Dans le nouveau Testament, la lettre aux Ephésiens - en parlant des époux chrétiens en camparaison avec le Christ qui a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle - se réfère doublement au dessein de Dieu sur l’homme et la femme dès l’origine. D’abord pour ce qui concerne leur union, leur amour mutuel, leur œuvre procréatrice: “L’homme s’attachera à sa femme, et ils seront deux en une seule chair”. Plus encore, au début de la lettre, l’auteur se réfère au projet originel de Dieu sur l’homme et la femme en ce qui concerne leur vocation à être saints et immaculés en sa présence parce que choisis et adoptés comme fils dès avant la création, en rapport avec l’œuvre salvifique du Christ, le Fils Bien-Aimé, qui permettrait cette élection. Ainsi, on pourrait parler du “sacrement de la création”, avant la chute, en ce sens que la création de l’homme et de la femme devait rendre visible en ce monde l’amour invisible de Dieu, le Don de Dieu, et permettre de multiplier cette grâce de l’adoption en l’étendant à tous leurs descendants. Le sacrement du mariage dans la nouvelle alliance se relie ainsi à ce “sacrement originaire”.

En vous livrant cette méditation, et en vous invitant à l’action de grâce pour un si grand mystère, je salue cordialement tous les pèlerins présents à cette audience: les prêtres, les religieux et religieuses, les familles, les époux, les jeunes et les anciens, qui ont été à l’honneur cette semaine, et je les bénis de tout cœur.



Le mariage et la rédemption - 13 octobre 1982

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(1) Texte italien dans l'Osservatore Romano du 14 octobre. Traduction et titre de la DC.


1. Dans notre précédente réflexion, nous avons cherché à approfondir à la lumière de l'Épître aux Éphésiens l' « origine » sacramentelle de l'homme et du mariage dans l'état de la justice (ou de l'innocence) originelle.

On sait cependant que l'héritage de la grâce a été rejeté par le coeur humain au moment de la rupture de la première alliance avec le Créateur. La perspective de la procréation, au lieu d'être illuminée par l'héritage de la grâce originelle, donnée par Dieu dès qu'elle avait été versée dans l'âme rationnelle, a été obscurcie par l'héritage du péché originel. On peut dire que le mariage, comme sacrement primordial, a été privé de cette efficacité surnaturelle qui, au moment de son institution, rejoignait le sacrement de la création dans sa globalité. Néanmoins, même dans cet état, c'est-à-dire dans l'état du péché héréditaire de l'homme, le mariage n ajamais cessé d'être la figure de ce sacrement, comme nous le lisons dans l'Épître aux Éphésiens (
Ep 5,22-33) et que l'auteur de la même Épître n'hésite pas à définir comme « un grand mystère ». Ne pouvons-nous pas en déduire que le mariage est demeuré comme la plate-forme de la réalisation des desseins éternels de Dieu, selon lesquels le sacrement de la création avait rapproché les hommes du sacrement de la rédemption et les y avait préparés, en les introduisant dans la dimension de l'oeuvre du salut ? L'analyse de l'Épître aux Éphésiens, en particulier celle du chapitre 5, versets 22-33, semble faire pencher pour une telle conclusion.

2. Quand, au verset 31, l'auteur se réfère aux paroles de l'institution du mariage contenues dans Genèse Gn 2,24 (« c'est pourquoi l'homme abandonnera son père et sa mère ; il s'unira à sa femme et tous les deux ne seront qu'une seule chair ») et que, tout de suite après, il déclare : « Ce mystère est grand, je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Église » (Ep 5,32), il semble montrer non seulement l'identité du mystère caché en Dieu depuis l'éternité, mais aussi la continuité de sa réalisation qui existe entre le sacrement primordial lié au don surnaturel à l'homme dans la création elle- même et le nouveau don qui lui est fait lorsque « le Christ a aimé l'Église et s'est donné lui-même pour elle, afin de la rendre sainte. » (Ep 5,25-26). C'est ce don qui peut être défini dans son ensemble comme sacrement de la rédemption. Dans ce don rédempteur de lui-même « pour » l'Église, se trouve également contenu — selon la pensée de Paul — le don que le Christ fait lui-même à l'Église, à l'image du rapport sponsal qui unit le mari et l'épouse dans le mariage. De cette manière, le sacrement de la rédemption revêt, dans un certain sens. la figure et la forme du sacrement primordial. Au mariage du premier mari et de la première femme comme signe du don surnaturel à l'homme dans le sacrement de la création, correspond le mariage, ou plutôt l'analogie du mariage du Christ avec l'Église comme « grand » signe fondamental du don surnaturel à l'homme dans le sacrement de la rédemption, du don où se renouvelle, de manière définitive, l'alliance de la grâce d'élection, rompue à « l'origine » par le péché.

3. L'image contenue dans le passage cité de l'Épître aux Éphésiens semble surtout parler du sacrement de la rédemption comme de la réalisation définitive du mystère caché depuis l'éternité en Dieu. Dans ce grand mystère se réalise précisément définitivement tout ce dont la même Épître aux Éphésiens avait traité dans le premier chapitre. En effet, comme nous le rappelons, elle avait non seulement dit : « En lui (c'est-à-dire dans le Christ) Dieu nous a élus dès avant la création du monde pour être saints et immaculés en sa présence. » (Ep 1,4), mais aussi : « Dans le Christ, nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce qu'il nous a prodiguée. » (Ep 1,7-8) Le nouveau don surnaturel à l'homme dans le « sacrement de la rédemption » est aussi une nouvelle réalisation du mystère caché en Dieu depuis l'éternité. Elle est nouvelle par rapport au sacrement de la création. En ce moment, le don est dans un certain sens, une « nouvelle création ». Mais il se distingue du sacrement de la création en ce que le don originel, lié à la création de l'homme, constituait cet homme « depuis l'origine », par la grâce, dans l'état de l'innocence et de la justice originelles. Le nouveau don à l'homme dans le sacrement de la rédemption lui donne au contraire surtout « la rémission des péchés ». Cependant, même ici peut « surabonder la grâce » comme s'exprime ailleurs saint Paul : « Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. » (Rm 5,20)

4. Le sacrement de la rédemption — fruit de l'amour rédempteur du Christ — devient, sur la base de son amour sponsal envers l'Église, une dimension permanente de l'Église elle-même, dimension fondamentale et vivifiante. C'est le grand mystère du Christ et de l'Église : mystère éternel réalisé par le Christ qui « s'est donné lui-même pour elle » (Ep 5,25) ; mystère qui se réalise continuellement dans l'Église, car le Christ « a aimé l'Église » (Ep 5,25) en s'unissant à elle par un amour indissoluble, comme s'unissent les époux, mari et femme, dans le mariage. De cette manière, l'Église vit du sacrement de la rédemption et, à son tour, complète ce sacrement comme l'épouse, en vertu de l'amour sponsal, complète son propre mari : ce qui se trouve déjà mis en relief d'une certaine manière « à l'origine », lorsque le premier homme a trouvé dans la première femme « une aide qui lui était semblable » (Gn 2,20). Bien que l'analogie de l'Épître aux Éphésiens ne le précise pas, nous pouvons cependant ajouter que l'Église aussi, unie au Christ, comme l'épouse à son propre mari, puise au sacrement de la rédemption toute sa fécondité et sa maternité spirituelles. Les paroles de l'Épître de saint Pierre en témoignent d'une certaine façon, lorsqu'il écrit que nous avons été « régénérés non pas par une semence incorruptible, mais par une semence immortelle, c'est-à-dire par la parole du Dieu vivant et éternel » (1P 1,23). Ainsi, le mystère caché depuis l'éternité en Dieu — mystère qui, à l'origine, dans le sacrement de la rédemption, devient une réalité visible à travers l'union du premier homme et de la première femme, dans la perspective du mariage — devient dans le sacrement de la rédemption une réalité visible dans l'union indissoluble du Christ avec l'Église, que l'auteur de l'Épître aux Éphésiens présente comme l'union sponsale des conjoints, homme et femme.

5. Le grand sacrement (le texte grec dit : to mysterion touto mega estin) de l'Épître aux Éphésiens parle de la nouvelle réalisation du mystère caché depuis l'éternité en Dieu, réalisation définitive du point de vue de l'histoire terrestre du salut. Il parle en outre de « rendre visible le mystère » : de la visibilité de l'Invisible. Cette visibilité ne fait pas que le mystère cesse d'être mystère. Cela se référait au mariage constitué à « l'origine », dans l'état de l'innocence originelle, dans le contexte du sacrement de la création. Cela se réfère aussi à l'union du Christ et de l'Église, comme « grand mystère » du sacrement de la rédemption. La visibilité de l'Invisible ne signifie pas, si l'on peut dire, une totale clarté du mystère. Comme objet de foi, il demeure caché, même dans ce à travers quoi, précisément, il s'exprime et se réalise. La visibilité de l'Invisible appartient donc à l'ordre des signes et le « signe » montre seulement la réalité du mystère, mais ne la « dévoile » pas. Comme le « premier Adam » — l'être humain, homme et femme — créé dans l'état de l'innocence originelle et appelé dans cet état à l'union conjugale (dans ce sens, nous parlons du sacrement de la création), a été le signe du mystère éternel, de même le « second Adam », le Christ, uni à l'Église à travers le sacrement de la rédemption par un lien indissoluble, analogue à l'alliance indissoluble des conjoints, est le signe définitif du même mystère éternel. En parlant donc de la réalisation du mystère éternel, nous parlons aussi du fait qu'il devient visible par la visibilité du signe. C'est pourquoi nous parlons également de la sacramentalité de tout l'héritage du sacrement de la rédemption, en référence à toute l'oeuvre de la création et de la rédemption, et d'autant plus en référence au mariage institué dans le contexte du sacrement de la création, comme aussi en référence à l'Église comme épouse du Christ, dotée d'une alliance presque conjugale avec lui.




Aux pèlerins de langue française

Chers Frères et Sœurs,

Je résume ainsi ce que j’ai dit depuis quelque temps sur la Lettre aux Ephésiens en rapport avec les premiers chapitres de la Genèse. On peut parler du sacrement de la Création, concernant l’homme et la femme créés dans l’état d’innocence originelle et appelés dans cet état à l’union conjugale. C’était alors le signe du Dessein d’amour de Dieu, gratifiant les hommes de sa sainteté en vue de les adopter comme des fils. Et ce mystère caché dès l’origine a trouvé sa réalisation nouvelle et définitive dans ce qu’on peut appeler le Sacrement de la Rédemption, par lequel le Christ a aimé l’Eglise au point de se livrer pour elle et d’obtenir aux hommes rachetés la sainteté, par la rémission des péchés, comme en une nouvelle création; ce Sacrement de la Rédemption - le grand mystère - fait de l’Eglise l’Epouse du Christ, unie à lui de façon indissoluble, le complétant en quelque sorte, comme la première Eve (“aide semblable à lui”), et recevant de lui sa fécondité spirituelle. Enfin, de tout ce mystère d’Alliance, le sacrement actuel de mariage est le signe visible. Quelle dignité pour l’amour des époux chrétiens!

Je salue et bénis tous les pèlerins de langue française présents à cette audience, époux, parents, jeunes et aussi les personnes consacrées à Dieu, signes du Royaume à venir, frères et religieuses, et je dois aujourd’hui un salut particulier aux prêtres représentés ici par un groupement international.

* * *

Chers Frères dans le sacerdoce, membres et responsables de l’Union Apostolique du Clergé,

Soyez vivement remerciés d’avoir tenu à me rendre visite, au milieu de cette foule qui représente si bien l’Eglise universelle et qui vous rappelle concrètement la magnifique mission pastorale pour laquelle vous avez un jour reçu de votre évêque l’imposition des mains.

Je suis heureux de savoir que vous consacrez quatre journées romaines à l’approfondissement de l’esprit communautaire des prêtres au sein du presbyterium diocésain. Je vous félicite d’effectuer ces travaux de réflexion en vous appuyant sur des bases solides et lumineuses, telles que les Actes des Apôtres, l’enseignement des Pères, spécialement saint Augustin et saint Grégoire-le-Grand, et les documents de Vatican II. Aimez et faites aimer ces sources inépuisables et tonifiantes!

Je sais également que la prière tient une grande place dans cette session internationale et qu’elle se fond dans la prière jaillie du cœur de Jésus: “Père saint, garde ceux que tu m’as donnés . . . Que tous soient un, comme toi Père, tu es en moi et moi en toi. Qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé!” (Cfr. Jn 17,11 Jn 17,21). Oui, que votre ordination au presbytérat soit toujours davantage le fondement de l’unité entre évêques et prêtres et en même temps le signe efficace de la vérité et de la crédibilité de l’Evangile! A vous qui portez actuellement des responsabilités dans cette Union Apostolique qui touche quarante mille prêtres de quarante-cinq nations, j’adresse mes encouragements chaleureux, comme à tous les responsables d’associations sacerdotales. Vivez votre sacerdoce avec une foi à transporter les montagnes et aidez vos frères prêtres à faire de même! C’est bien de cela que l’Eglise et le monde d’aujourd’hui ont surtout besoin. Que Marie, la Mère de l’Unique Prêtre et Pasteur, veille sur vous! Et moi, je vous bénis de grand cœur.

* * *

J’aurais voulu aussi saluer plus longuement le groupe des Frères Maristes des Ecoles, représentant six mille religieux. Chers Frères, dans le sillage du bienheureux Marcellin Champagnat, vous tenez dans l’Eglise une place importante et originale: vous y incarnez le charisme d’une vie authentiquement consacrée à Dieu, selon les Conseils évangéliques, pour un apostolat complémentaire du ministère ordonné des prêtres, et totalement donnée au service de l’éducation des enfants et des jeunes, si nécessaire pour le progrès culturel et religieux du monde contemporain. A vous tous, mes vœux chaleureux et mon affectueuse Bénédiction!



Le mariage, partie intégrante de la nouvelle économie sacramentelle - 20 octobre 1982

20102
[31] Texte italien dans l'Osservatore Romano du 21 octobre. Traduction et titre de la DC.


1. Mercredi dernier, nous avons parlé de l'héritage intégral de l'alliance avec Dieu et de la grâce liée à l'origine à l'oeuvre divine de la création. De cet héritage intégral — comme il faut le déduire du texte de l'Épître aux Éphésiens 5, 22-33 — faisait également partie le mariage, comme sacrement primordial institué dès « l'origine « et lié au sacrement de la création dans sa globalité. La sacramentalité du mariage n'est pas seulement un modèle et une figure du sacrement de l'Église (du Christ et de l'Église), mais constitue aussi une partie essentielle du nouvel héritage : celui du sacrement de la rédemption dont l'Église se trouve gratifiée dans le Christ. Il faut se réporter ici encore une fois aux paroles du Christ dans Matthieu
Mt 19,3-9 (cf. aussi Mc 10,5-9) où le Christ, en repondant à la question des pharisiens sur le mariage et sur son caractère spécifique, se réfère seulement et exclusivement à son institution originelle par le Créateur à « l'origine ». En réfléchissant sur la signification de cette réponse à la lumière de l'Épître aux Éphésiens, en particulier à Ep,5. 22-33, nous avons conclu à une relation, dans un certain sens, double du mariage avec tout l'ordre sacramentel qui, dans la nouvelle alliance, ressort du sacrement même de la rédemption.

2. Le mariage comme sacrement primordial constitue d'une part la figure (et donc la ressemblance, l'analogie) selon laquelle se trouve construite la structure portante fondamentale de la nouvelle économie du salut et de l'ordre sacramentel qui tire son origine de la gratification sponsale que l'Église reçoit du Christ, en même temps que tous les biens de la rédemption (on pourrait dire, en se servant des paroles du début de l'Épître aux , « De toute bénédiction spirituelle. » (Ep 1,3) Ainsi, le mariage, comme sacrement primordial, se trouve pris et inséré dans la structure intégrale de la nouvelle économie sacramentelle qui a jailli de la rédemption sous une forme, je dirais, de prototype : il se trouve pris et inséré presque à partir de ses bases mêmes. Le Christ lui- même confirme de nouveau avant tout son existence dans son entretien avec les pharisiens. Lorsqu'on réfléchit bien sur cette dimension, il faudrait conclure que tous les sacrements de la nouvelle alliance trouvent, dans un certain sens, leur prototype dans le mariage comme sacrement. Cela semble s'esquisser dans le passage classique cité de l'Épître aux Éphésiens, comme nous le dirons encore sous peu.

3. Cependant, la relation du mariage avec tout l'ordre sacramentel issu de la gratification à l'Église de tous les biens de la rédemption ne se limite pas seulement à la dimension de modèle. Dans son entretien avec les pharisiens (Mt 19), le Christ confirme non seulement l'existence du mariage institué dès « l'origine » par le Créateur mais il le déclare aussi partie prenante de la nouvelle économie sacramentelle, du nouvel ordre des « signes » salvifiques qui tire son origine du sacrement de la rédemption, de la même manière que l'économie originelle résulte du sacrement de la création. En réalité, le Christ se limite à l'unique sacrement qu'avait été le mariage institué dans l'état de l'innocence et de la justice originelle, de l'être humain, créé comme homme et femme « à l'image et à la ressemblance de Dieu ».

4. La nouvelle économie sacramentelle qui se trouve constituée sur la base du sacrement de la rédemption, en résultant de la gratification sponsale à l'Église de la part du Christ, est différente de l'économie originelle. Elle est en effet dirigée non pas vers l'homme de la justice et de l'innocence originelles, mais vers l'homme chargé de l'héritage du péché originel et de l'état de péché (status naturae lapsae). Elle est dirigée vers l'homme de la triple concupiscence, selon les paroles classiques de la première Épître de Jean (1Jn 2,16), vers l'homme chez qui « la chair a des désirs contraires à l'Esprit et l'Esprit, des désirs contraires à la chair » (Ga 5,17) selon la théologie (et l'anthropologie) pauliniennes à laquelle nous avons consacré beaucoup de temps dans nos précédentes réflexions.

5. D'après une analyse approfondie de la signification de l'énoncé du Christ dans le Discours sur la Montagne au sujet du « regard concupiscent » comme « adultère » du coeur, ces considérations préparent à comprendre le mariage comme partie intégrante du nouvel ordre sacramentel qui tire son origine du sacrement de la rédemption, c'est-à-dire de ce « grand mystère » qui, comme mystère du Christ et de l'Église, détermine la sacramentalité de l'Église elle-même. En outre, ces considérations préparent à comprendre le mariage comme sacrement de la nouvelle alliance, dont l'oeuvre salvifique se trouve organiquement unie avec l'ensemble de cet éthos qui, dans les analyses précédentes, a été défini comme éthos de la rédemption. À sa manière, l'Épître aux Éphésiens exprime la même vérité. Elle parle en effet du mariage comme d'un « grand » sacrement dans un vaste contexte parénétique, c'est- à-dire dans un contexte d'exhortations à caractère moral, et ces exhortations concernent précisément l'éthos qui doit qualifier la vie des chrétiens, c'est-à-dire des hommes conscients de l'élection qui se réalise dans le Christ et dans l'Église.

6. Sur ce vaste fond des réflexions qui ressortent de la lecture de l'Épître aux Éphésiens (plus particulièrement de Ep 5,22-33), on peut et on doit enfin aborder encore le problème des sacrements dans l'Église. Le texte cité de l'Épître aux Éphésiens en parle de manière indirecte et, je dirais, secondaire, bien que de manière suffisante pour que même ce problème trouve sa place dans nos considérations. Cependant, il convient de préciser ici, au moins brièvement, le sens que nous adoptons dans l'utilisation du terme « sacrement », qui est significatif pour nos considérations.

7. Jusqu'ici, en effet, nous nous sommes servis du terme « sacrement » (conformément d'ailleurs à toute la tradition biblique et patristique) (1) dans un sens plus proche de celui qui est précisément celui de la terminologie théologique traditionnelle et contemporaine. Par le terme « sacrement », celle-ci indique les signes qui, institués par le Christ et administrés par l'Église, expriment et confèrent la grâce divine à la personne qui reçoit le sacrement en question. En ce sens, chacun des sept sacrements de l'Église est caractérisé par une action liturgique déterminée, constituée à travers la parole (forme) et la « matière » sacramentelle spécifique selon la théorie hylémorphique répandue qui vient de Thomas d'Aquin et de toute la tradition scolastique.

8. En relation avec cette signification ainsi délimitée, nous nous sommes servis dans nos considérations d'une signification plus large et peut-être aussi plus ancienne et plus fondamentale du terme « sacrement » (2). L'Épître aux Éphésiens, et spécialement Ep 5,22-33, semble nous y autoriser d'une manière particulière. Le terme « sacrement » signifie ici le système même de Dieu qui est caché depuis l'éternité, non pas cependant dans une cachette éternelle mais avant tout dans sa révélation même et dans sa réalisation (même : dans la révélation par la réalisation). En ce sens, on parle aussi du sacrement de la création et du sacrement de la rédemption. Sur la base du sacrement de la création, il faut comprendre la sacra- mentalité originelle du mariage (sacrement primordial). Ensuite, sur la base du sacrement de la rédemption, on peut comprendre la sacramentalité de l'Église, ou plutôt la sacramentalité de l'union du Christ avec l'Église que l'auteur de l'Épître aux Éphésiens présente dans la similitude du mariage, de l'union sponsale du mari et de l'épouse. Une analyse attentive du texte montre que, dans ce cas, il ne s'agit pas seulement d'une comparaison au sens métaphorique, mais d'un réel renouveau (ou d'une re-création, c'est-à-dire d'une nouvelle création) de ce qui constituait le contenu salvifique (dans un certain sens, la « substance » salvifique) du sacrement primordial. Cette constatation a une signification essentielle aussi bien pour expliquer la sacramentalité de l'Église (et c'est à cela que se réfèrent les paroles très significatives du premier chapitre de la Constitution Lumen gentium) que pour comprendre également la sacramentalité du mariage, entendu précisément comme un des sacrements de l'Église.


(1) Cf. Léon XIII, Actes, Vol. II, 1881, p. 22.
(2) À ce sujet, cf. le discours de l'audience générale du mercredi 8 septembre, note 1 (DC, 1982, n° 1837, p. 864.



Aux fidèles de langue française

Chers frères et sœurs,

Le mariage, dont je continue à traiter lors de ces audiences, s’inscrit dans la structure intégrale de la nouvelle économie sacramentelle, issue de la Rédemption, dont il est pour ainsi dire le prototype.

Il convient de noter que, dans mon exposé de ces dernières semaines, j’ai utilisé le terme “sacrement” en un sens plus large que celui auquel nous a habitués la théologie depuis saint Thomas d’Aquin. J’ai repris une terminologie plus ancienne, biblique et patristique, et plus fondamentale aussi. Selon cette terminologie, la sacramentalité renvoie au mystère de Dieu lui-même, caché depuis toujours, mais aussi révélé et traduit en actes. C’est ainsi que l’on a parlé du “sacrement” de la création et de la rédemption. On peut alors mieux comprendre la sacramentalité de l’union du Christ et de l’Eglise, présentée par l’auteur de l’épître aux Ephésiens dans la similitude de l’union matrimoniale.

Je salue tous les pèlerins de langue française ici réunis, en particulier un groupe de prêtres de Suisse romande venus à Rome à l’occasion de leurs dix ans de sacerdoce; et aussi un groupe de fonctionnaires en provenance du Danemark.

A vous tous, à vos familles et plus spécialement à ceux qui souffrent, j’accorde volontiers ma Bénédiction Apostolique.




Catéchèses S. J-Paul II 61082