Catéchèses S. J-Paul II 7021

Mercredi 7 février 2001 L'Eglise, épouse de l'Agneau parée pour son époux

7021 Lecture: Ap 21,1-3

1. De même que dans l'Ancien Testament, la ville sainte était appelée à travers une image féminine "la fille de Sion", ainsi, dans l'Apocalypse de Jean, la Jérusalem céleste est représentée "comme une jeune mariée parée pour son époux" (Ap 21,2). Le symbole féminin révèle le visage de l'Eglise sous ses diverses apparences de fiancée, d'épouse et de mère, soulignant ainsi une dimension d'amour et de fécondité.

Notre pensée se tourne aussitôt vers les paroles de l'apôtre Paul qui, dans l'Epître aux Ephésiens, dans une page d'une profonde intensité, trace les traits de l'Eglise "toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée", aimée du Christ et modèle de toute nuptialité chrétienne (cf. Ep Ep 5,25-32). La communauté ecclésiale, "promise à un unique époux" en tant que vierge chaste (cf. 2Co 11,2), se place en continuité avec une conception née dans l'Ancien Testament dans des pages empreintes de douleur, comme celles du prophète Osée (cc. 1-3) ou d'Ezéchiel (c. 16), ou à travers le caractère joyeux et solaire du Cantique des Cantiques.

2. Etre aimée par le Christ et l'aimer d'un amour sponsal est constitutif du mystère de l'Eglise. A la source, il y a un acte libre d'amour qui se diffuse du Père à travers le Christ et l'Esprit Saint. Cet amour forme l'Eglise, en rayonnant sur toutes les créatures. Sous cette lumière, on peut dire que l'Eglise est un signe élevé parmi les peuples pour témoigner de l'intensité de l'amour divin révélé dans le Christ, en particulier dans le don qu'il fait de sa vie même (cf. Jn Jn 10,11-15). C'est pourquoi, "grâce à l'Eglise, tous les êtres humains - les hommes et les femmes - sont appelés à être l'"épouse" du Christ, Rédempteur du monde" (Mulieris dignitatem MD 25).

L'Eglise doit laisser transparaître cet amour suprême, en rappelant à l'humanité - qui a souvent la sensation d'être seule et abandonnée dans les landes désolées de l'histoire - qu'elle ne sera jamais oubliée, ni privée de la chaleur de la tendresse divine. Isaïe affirme de façon touchante: "Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t'oublierai pas" (Is 49,15).


3. Précisément parce qu'elle est engendrée par l'amour, l'Eglise diffuse l'amour. Elle le fait en proclamant le commandement de s'aimer les uns les autres comme le Christ nous a aimés (cf. Jn Jn 15,12), c'est-à-dire jusqu'au don de la vie: "Celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères" (1Jn 3,16). Ce Dieu qui "nous a aimés le premier" (1Jn 4,19) et n'a pas hésité à donner son Fils par amour (cf. Jn Jn 3,16), pousse l'Eglise à parcourir "jusqu'à la fin" (cf. Jn Jn 13,1) la voie de l'amour. Et il est appelé à le faire avec la fraîcheur de deux époux qui s'aiment dans la joie du don sans réserve et dans la générosité quotidienne, que ce soit lorsque le ciel de la vie est printanier et serein, ou lorsque tombent la nuit et les nuages de l'hiver de l'esprit.

Dans ce sens, on comprend pourquoi l'Apocalypse, - en dépit de sa représentation dramatique de l'histoire - est constamment parcourue par des chants, des musiques, des liturgies joyeuses. Dans le paysage de l'histoire, l'amour est comme le soleil qui illumine et transfigure la nature qui, sans sa luminosité, resterait grise et uniforme.

4. Une autre dimension fondamentale du mariage ecclésial est celle de la fécondité. L'amour reçu et donné ne s'enferme pas dans le rapport sponsal, mais devient créatif et générateur. Dans la Genèse, qui présente l'humanité créée "à l'image et à la ressemblance de Dieu", est faite une référence significative à l'identité d'"homme et de femme": "Dieu créa l'homme à son image; à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa" (1, 27).

La distinction et la réciprocité dans le couple humain sont un signe de l'amour de Dieu non seulement en tant que fondement d'une vocation à la communion, mais également en tant que finalisées à la fécondité génératrice. Ce n'est pas un hasard si le livre de la Genèse est rythmé par les généalogies, qui sont le fruit de la génération et donnent origine à l'histoire à l'intérieur de laquelle Dieu se dévoile. On comprend ainsi que l'Eglise, dans l'Esprit qui l'anime et l'unit au Christ, son Epoux, est dotée d'une fécondité intime, grâce à laquelle elle engendre constamment des fils de Dieu dans le baptême et les fait croître jusqu'à la plénitude du Christ (cf. Ga Ga 4,19 Ep 4,13).


5. Ce sont ces enfants qui constituent l'"assemblée des premiers-nés qui sont inscrits dans les cieux", destinés à habiter "la montagne de Sion et [de] la cité du Dieu vivant, [de] la Jérusalem céleste" (cf. He He 12,21-23). C'est la raison pour laquelle les dernières paroles de l'Apocalypse sont celles d'une puissante invocation adressée au Christ: "L'Esprit et l'Epouse disent: "Viens!"" (Ap 22,17), "Viens, Seigneur Jésus" (Ibid. v. 20). Tel est le but ultime de l'Eglise, qui avance confiante dans son pèlerinage historique, même en sentant souvent près d'elle, selon l'image du Livre biblique lui-même, la présence hostile et furieuse d'une autre figure féminine, "Babylone", la "grande prostituée" (Ap 17,1 Ap 17,5), qui incarne la "bestialité" de la haine, de la mort, de la stérilité intérieure.

En considérant son objectif, l'Eglise cultive "l'espérance du Règne éternel, qui se réalise dans la participation à la vie trinitaire. L'Esprit Saint, donné aux Apôtres comme Paraclet, est le gardien et l'animateur de cette espérance dans le coeur de l'Eglise" (Dominum et vivificantem DEV 66). Demandons alors à Dieu d'accorder à son Eglise d'être toujours dans l'histoire la gardienne de l'espérance, lumineuse comme la Femme de l'Apocalypse, "le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête" (Ap 12,1).

                                * * *

Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 7 février 2001, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupes de pèlerins des diocèses de Toulouse, Bayeux et Lisieux, Nantes; jeunes clercs de la Paroisse de Bagnols; Collège Victor de Laprade, de Montbrison; Aumônerie de l'enseignement public, de Vichy.

Chers Frères et Soeurs,

Avec saint Jean à la fin du livre de l'Apocalypse, nous contemplons la Jérusalem céleste comme une “fiancée parée pour son époux”(21,2). Cette image féminine révèle la vocation de l’Eglise, Epouse du Christ, appelée à l’amour et à la fécondité. Signe levé entre les peuples pour témoigner de l’intensité de l’amour de Dieu révélé en Jésus Christ, l’Eglise est invitée à parcourir “jusqu’au bout” (Jn 13,1) le chemin de l’amour, manifestant par la charité fraternelle la tendresse de Dieu qui “nous a aimés le premier”(1Jn 4,19). Cet amour reçu et donné, source de la fécondité de l’Eglise, lui permet, par l’Esprit Saint qui l’unit au Christ, d’engendrer sans cesse des fils par le Baptême et de les faire grandir jusqu’à la plénitude du Christ. Ainsi l’Eglise entretient au coeur du monde “l’espérance du Règne éternel, qui se réalise dans la participation à la vie trinitaire” (Dominum et vivificantem DEV 66).
Je salue cordialement les pèlerins de langue française, notamment les groupes de fidèles des diocèses de Toulouse, Bayeux et Lisieux, et Nantes, ainsi que tous les jeunes présents aujourd’hui. Que votre pèlerinage sur la tombe de l’Apôtre Pierre vous fasse aller de l’avant dans l’espérance, donnant votre vie les uns pour les autres à l'exemple du Christ ! A tous, je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.




Mercredi 14 février 2001

14201 Chers Frères et Soeurs,

    “Tout réunir sous un seul chef, le Christ, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre” (
Ep 1,10), tel est le dessein de salut de Dieu, “le mystère de sa volonté” (Ep 1,9). Comme le rappelle saint Irénée, le Christ est le nouvel Adam, le Premier-né de l’humanité fidèle qui accueille avec amour et obéissance le projet de Dieu. Il ouvre le temps de la paix avec Dieu et entre les hommes, rassemblant en lui l’humanité dispersée (cf. Ep Ep 2,16). À travers sa fraternité avec nous, le Christ devient la tête de l’humanité rachetée. Jésus a d’ailleurs déclaré lui-même qu’il était le point de convergence de ce dessein de salut : “Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes” (Jn 12,32).

    Le terme de l’histoire est le retour du Seigneur. L’Église et l’Esprit invoquent le moment où le Christ “remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal [...] et le dernier ennemi qu’il détruira, c’est la mort, car il a tout mis sous ses pieds” (1Co 15,24 1Co 15,26). L’Église, Épouse de l’Agneau, garde le regard fixé sur ce jour de lumière et élève une prière ardente : “Maranatha” (1Co 16,22), “Viens, Seigneur Jésus !” (Ap 22,20).

* * * * *


   Je salue cordialement les francophones présents à cette audience, en particulier le Comité international de coordination de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, les prêtres du diocèse de Quimper, les jeunes du séminaire d’Ars et le groupe de pèlerins grecs-melkites du Liban accompagnés de Mgr Georges Kwaïter, Archevêque de Saïda. À tous, je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.




Mercredi 28 février 2001

Dans le monde sécularisé qui nous entoure,

le Carême exige un effort courageux et volontaire


1. "Aujourd'hui n'endurcissez pas votre coeur, mais écoutez la voix du Seigneur"

Cette invitation de la liturgie retentit dans notre esprit, alors que commence aujourd'hui, Mercredi des Cendres, l'itinéraire quadragésimal. Il nous conduira au Triduum pascal, mémoire vivante de la passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur, coeur du mystère de notre salut.

Le temps saint du Carême, depuis toujours profondément vécu par le peuple chrétien, évoque d'antiques événements bibliques, tels que les quarante jours du déluge universel, prélude au pacte d'alliance passé par Dieu avec Noé; les quarante années du pèlerinage d'Israël dans le désert vers la terre promise; le séjour de quarante jours de Moïse sur le Mont Sinaï, où il reçut les Tables de la Loi de Yahvé. La période quadragésimale nous invite surtout à revivre avec Jésus les quarante jours qu'Il passa dans le désert, en priant et en jeûnant, avant d'entreprendre sa mission publique, qui atteindra son sommet au Calvaire avec le sacrifice de la Croix, victoire définitive sur le péché et sur la mort.


2. "Rappelle-toi que tu es poussière, et que tu redeviendras poussière". Le rite de l'imposition des cendres est toujours très éloquent, et les paroles qui l'accompagnent sont suggestives. Dans sa simplicité, il évoque le caractère caduc de la vie terrestre: tout passe et est destiné à mourir. Nous sommes des voyageurs dans ce monde, des voyageurs qui ne doivent pas oublier leur objectif véritable et définitif: le Ciel. En effet, même si nous sommes poussière et que nous sommes destinés à redevenir poussière, tout ne finit pas malgré cela. L'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, existe pour la vie éternelle. En mourant sur la croix, Jésus a ouvert l'accès à celle-ci pour chaque être humain.

Toute la liturgie du Mercredi des Cendres nous aide à cerner cette vérité fondamentale de foi et nous incite à entreprendre avec décision un itinéraire de renouvellement personnel. Nous devons changer de façon de penser et d'agir, en tournant notre regard vers le visage du Christ crucifié et en faisant de son Evangile la règle de notre vie quotidienne. "Convertissez-vous et croyez à l'Evangile": tel doit être notre programme quadragésimal, alors que nous entrons dans un climat d'écoute de l'Esprit empreint de prière.


3. "Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation: l'esprit est ardent, mais la chair est faible" (Mt 26,41). Laissons-nous guider par ces paroles du Seigneur, en accomplissant un effort décisif de conversion et de renouvellement spirituel. Dans la vie de chaque jour on risque d'être absorbés par des occupations et des intérêts matériels. Le Carême est une occasion favorable pour un authentique réveil à la foi, afin de rétablir de façon salutaire le rapport avec Dieu et pour un engagement évangélique plus généreux. Les moyens à notre disposition sont ceux de toujours, mais nous devons avoir recours à eux de façon plus intense au cours de ces semaines: la prière, le jeûne et la pénitence, ainsi que l'aumône, c'est-à-dire le partage de ce que nous possédons avec les indigents. Il s'agit d'un chemin ascétique personnel et communautaire, qui apparaît parfois particulièrement difficile en raison du milieu sécularisé qui nous entoure. Mais c'est précisément pour cette raison que l'effort doit devenir plus courageux et volontaire.

"Veillez et priez". Si ce commandement du Christ est valable à chaque moment, il apparaît plus éloquent et décisif au début du Carême. Accueillons-le avec une humble docilité. Disposons-nous à le traduire en gestes pratiques de conversion et de réconciliation avec nos frères. Ce n'est qu'ainsi que la foi reprend vigueur, que l'espérance se consolide et que l'amour devient un style de vie qui distingue le croyant.


4. Le fruit d'un itinéraire ascétique aussi courageux ne pourra être qu'une plus grande ouverture aux nécessités du prochain. Qui aime le Seigneur ne peut garder les yeux fermés devant des personnes et des peuples éprouvés par la souffrance et par la misère. Après avoir contemplé le visage du Seigneur crucifié, comment ne pas le reconnaître et le servir chez celui qui se trouve dans la douleur et l'abandon? Jésus lui-même, qui nous invite à rester avec Lui en veillant et en priant, nous demande également de l'aimer en nos frères, en nous rappelant que "Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt 25,40). Le fruit d'un Carême vécu intensément sera donc un amour plus grand et universel.

Que Marie, exemple d'écoute docile de la voix de l'Esprit, nous guide le long du chemin de pénitence que nous entreprenons aujourd'hui. Qu'elle nous aide à saisir toutes les opportunités que l'Eglise nous offre pour pouvoir nous préparer dignement à la célébration du Mystère pascal.

                             * * *


Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 28 février 2001, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupe de l'archidiocèse de Reims; groupe de l'Ecole des ministères du diocèse de Langres; Collège "Saint-Maur", de Pau; Lycée Saint-Vincent, de Senlis.

De Suisse: Etudiants de l'Ecole de la Foi, de Fribourg.

De Canada: Groupe de pèlerins.

Chers Frères et Soeurs,

La liturgie de ce jour, en particulier à travers le rite des cendres, qui dans sa simplicité évoque si bien la fragilité des réalités terrestres, nous rappelle le but ultime de notre pèlerinage ici-bas : la Vie éternelle. Avec le Carême débute un temps de grâce pour raviver notre foi, pour renouer une relation confiante avec le Seigneur et pour nous engager de façon plus généreuse au service de l’Evangile.

Nous sommes appelés à changer nos manières de penser et d’agir, et à faire de l’Evangile notre règle de vie, en gardant les yeux fixés sur le Christ. La pratique de la prière, de la pénitence et du jeûne, à la suite de Jésus au désert, nous affermira dans notre lutte contre le mal ; nos efforts de conversion se prolongeront dans les gestes concrets de réconciliation et de partage que nous poseront à l’égard de nos frères, reconnaissant en eux le Christ que nous aimons.

En ce temps de Carême, puisse Marie être notre guide, nous aidant à saisir les occasions que l’Eglise offre à ses enfants pour qu’ils se préparent dignement à célébrer le mystère Pascal !
J’accueille avec plaisir les pèlerins de langue française, notamment les jeunes de Senlis et de Pau, les étudiants de l’Ecole de la Foi de Fribourg, les pèlerins de l’Archidiocèse de Reims et du diocèse de Langres. Je souhaite à tous d’entrer avec ardeur dans l’esprit du Carême. Avec la Bénédiction apostolique.





Mercredi 14 mars 2001 Marie, icône eschatologique de l'Eglise

14301 Lecture: Ap 12,1-2 Ap 12,5-6 Ap 12,10

1. Nous avons ouvert notre rencontre en écoutant l'une des pages les plus célèbres de l'Apocalypse de Jean. Chez la femme enceinte, qui met au monde un enfant tandis qu'un dragon couleur rouge sang s'acharne contre elle et contre celui qu'elle a engendré, la tradition chrétienne, liturgique et artistique, a vu l'image de Marie, la mère du Christ. Toutefois, selon l'intention première de l'auteur sacré, si la naissance de l'enfant représente l'avènement du Messie, la femme personnifie de façon évidente le Peuple de Dieu, aussi bien l'Israël biblique que l'Eglise. L'interprétation mariale ne s'oppose pas au sens ecclésial du texte, car Marie est "figure de l'Eglise" (LG 63 cf. Saint Ambroise, Expos. Lc II, Lc 7).

Sur le fond de la communauté fidèle se détache donc le profil de la Mère du Messie. Contre Marie et l'Eglise se dresse le dragon, qui évoque Satan et le mal, comme l'indique déjà la symbolique de l'Ancien Testament; le rouge est le signe de la guerre, de la terreur, du sang versé; les "sept têtes" couronnées indiquent un pouvoir immense, tandis que les "dix cornes" réévoquent la force impressionnante de la bête décrite par le prophète Daniel (cf. 7, 7), elle aussi image du pouvoir prévaricateur qui sévit dans l'histoire.


2. Le bien et le mal s'affrontent donc. Marie, son Fils et l'Eglise, représentent l'apparente faiblesse et la petitesse de l'amour, de la vérité, de la justice. Contre eux se déchaîne la monstrueuse énergie destructrice de la violence, du mensonge, de l'injustice. Mais le chant qui scelle le passage nous rappelle que le verdict définitif est confié au "salut, la force, le règne de notre Dieu et le pouvoir de son Christ" (Ap 12,10).

Certes, au cours de l'histoire, l'Eglise peut être contrainte à se réfugier dans le désert, comme l'antique Israël en marche vers la terre promise. Le désert, d'ailleurs, est le refuge traditionnel des persécutés, il est le milieu secret et serein où est offerte la protection divine (cf. Gn Gn 21,14-19 1R 19,4-7). Mais, comme le souligne l'Apocalypse (cf. 12, 6.14), la femme ne demeure dans ce refuge que pendant une période limitée. Le temps des difficultés, de la persécution, de l'épreuve n'est donc pas indéfini: à la fin viendra la libération et ce sera l'heure de la gloire.

En contemplant ce mystère dans une perspective mariale, nous pouvons affirmer que "Marie, près de son Fils, est l'icône la plus parfaite de la liberté et de la libération de l'humanité et du cosmos. C'est vers elle que l'Eglise, dont elle est la mère et le modèle, doit regarder pour comprendre le sens plénier de sa propre mission" (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Libertatis conscientia, 22 mars 1986, n. 97; cf. Redemptoris Mater RMA 37).


3. Fixons alors notre regard sur Marie, icône de l'Eglise en pèlerinage dans le désert de l'histoire, mais tendue vers l'objectif glorieux de la Jérusalem céleste où elle resplendira comme Epouse de l'Agneau, le Seigneur Jésus-Christ. Comme la célèbre l'Eglise d'Orient, la Mère de Dieu est l'Odighitria, celle qui "indique le chemin", c'est-à-dire le Christ, unique médiateur pour rencontrer le Père dans la plénitude. Un poète français voit en elle "la créature dans son premier honneur et dans son épanouissement final, comme elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originelle" (Paul Claudel, La Vierge à midi, éd. de la Pléiade, p. 540).

Dans son Immaculée Conception, Marie est le modèle parfait de la créature humaine qui, comblée dès le début par la grâce divine qui soutient et transfigure la créature (cf. Lc Lc 1,28), choisit toujours, dans sa liberté, la voie de Dieu. Dans sa glorieuse Assomption au ciel, Marie est au contraire, l'image de la créature appelée par le Christ ressuscité pour atteindre, au terme de l'histoire, la plénitude de la communion avec Dieu dans la résurrection pour une éternité bienheureuse. Pour l'Eglise, qui ressent souvent le poids de l'histoire et l'assaut du mal, la Mère du Christ est l'emblème lumineux de l'humanité rachetée et entourée de la grâce qui sauve.


4. L'objectif ultime de la vie humaine sera atteint lorsque "Dieu [sera] tout en tous" (1Co 15,28) et - comme l'annonce l'Apocalypse - "de mer il n'y en [aura] plus" (21, 1), c'est-à-dire lorsque le signe du chaos destructeur et du mal sera finalement éliminé. Alors, l'Eglise se présentera au Christ comme "une jeune mariée parée pour son époux" (Ap 21,2). Ce sera le moment de l'intimité et de l'amour sans faille. Mais dès à présent, précisément en regardant la Vierge élevée au ciel, l'Eglise a un avant goût de la joie qui lui sera donnée en plénitude à la fin des temps. Dans le pèlerinage de foi le long de l'histoire, Marie accompagne l'Eglise comme "modèle de la communion ecclésiale dans la foi, dans la charité et dans l'union avec le Christ. Eternellement présente dans le mystère du Christ, elle est, au milieu des Apôtres, au coeur même de l'Eglise naissante et de l'Eglise de tous les temps. En effet, l'Eglise se rassembla dans la partie haute du cénacle avec Marie, qui était la Mère de Jésus, et avec ses frères. On ne peut donc pas parler d'Eglise si Marie, la mère du Seigneur, n'est pas présente avec ses frères" (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Communionis notio, 28 mai 1992, n. 19; cf. Cromazio di Aquileia, Sermo 30, 1).


5. Entonnons donc notre hymne de louange à Marie, image de l'humanité rachetée, signe de l'Eglise qui vit dans la foi et dans l'amour, anticipant la plénitude de la Jérusalem céleste. "Dans son génie poétique, saint Ephrem le Syrien, appelé "la lyre de l'Esprit Saint", a inlassablement composé des hymnes à Marie, laissant son empreinte aujourd'hui encore sur toute la tradition de l'Eglise syriaque" (Redemptoris Mater RMA 31). C'est lui qui définit Marie comme une icône de beauté: "Elle est sainte dans son corps, belle dans son esprit, pure dans ses pensées, sincère dans son intelligence, parfaite dans ses sentiments, chaste, ferme dans ses intentions, immaculée dans son coeur, éminente, emplie de toutes les vertus" (Hymnes à la Vierge Marie, 1, 4; ed. Th J. Lamy, Hymnes de la Bienheureuse Vierge Marie, Malines 1886, t. 2, col. 520). Cette image brille au centre de toute communauté ecclésiale comme un reflet parfait du Christ et comme un signe élevé parmi les peuples, comme "une ville [...] sise au sommet d'un mont" et "une lampe [...] sous le lampadaire, où elle brille pour tous" (cf. Mt Mt 5,14-15).

                                    * * *


Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 14 mars 2001, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupe de séminaristes de Paray-le-Monial; Collège Saint-Joseph, de Châteaurenard.

Du Canada: Groupe de pèlerins.

  Frères et Soeurs,

Cette page saisissante du livre de l’Apocalypse nous montre les assauts permanents que le dragon, symbole de Satan et du mal, fait subir à la femme enceinte, image du peuple de Dieu. Dans cette femme qui enfante un fils, la tradition chrétienne a vu Marie, la Mère du Christ. “Figure de l’Eglise” dans son pèlerinage de foi tout au long de l’histoire, “Marie, près de son Fils, est l’icône la plus parfaite de la liberté et de la libération de l’humanité et du cosmos. C’est vers elle que l’Eglise, dont elle est la mère et le modèle, doit regarder pour comprendre le sens plénier de sa propre mission” (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Libertatis conscientia, 22-3-1986, n. 97). Entonnons donc notre hymne de louange à Marie, image de l’humanité rachetée, signe de l’Eglise qui vit dans la foi et dans la charité la victoire déjà acquise par “le salut, la force, le règne de notre Dieu et le pouvoir de son Christ” (Ap 12,10)!



Je salue cordialement les pèlerins francophones présents à cette audience, en particulier les séminaristes de Paray-le-Monial et les jeunes du collège Saint-Joseph de Châteaurenard. Que ce temps de Carême dispose vos coeurs à l’action de l’Esprit, pour qu’à l’exemple de Marie, vous marchiez à la suite du Christ. A tous, je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.




Mercredi 21 mars 2001 Marie, pèlerin de la foi, Etoile du troisième millénaire

21301 Lecture Lc 1,39-42

1. La page de Luc, que nous venons d'écouter, nous présente Marie comme pèlerin d'amour. Mais Elisabeth attire l'attention sur la foi de celle-ci et prononce à son égard la première Béatitude des Evangiles: "Bienheureuse celle qui a cru". Cette expression est "en quelque sorte une clef qui nous fait accéder à la réalité intime de Marie" (Redemptoris Mater RMA 19). Nous voudrions donc, comme couronnement des catéchèses du grand Jubilé de l'An 2000, présenter la Mère du Seigneur comme pèlerin dans la foi. En tant que fille de Sion, elle se place sur les traces d'Abraham, celui qui avait obéi par foi, partant "vers un pays qu'il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait" (He 11,8).

Ce symbole de la pérégrination dans la foi illumine l'histoire intérieure de Marie, la croyante par excellence, comme le suggérait déjà le Concile Vatican II: "Ainsi la bienheureuse Vierge avança dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l'union avec son Fils jusqu'à la croix" (Lumen gentium LG 58). L'annonciation "est le point de départ de l'itinéraire de Marie vers Dieu" (Redemptoris Mater RMA 14): un itinéraire de foi qui connaît le présage de l'épée qui transperce l'âme (cf. Lc Lc 2,35), qui passe à travers les voies tortueuses de l'exil en Egypte et de l'obscurité intérieure, quand Marie "ne comprend pas" l'attitude de Jésus âgé de douze ans dans le temple mais, toutefois, "garde fidèlement toutes ces choses en son coeur" (Lc 2,51).


2. C'est dans la pénombre que s'écoule également la vie cachée de Jésus, au cours de laquelle Marie doit faire retentir en elle la béatitude d'Elisabeth à travers une véritable "peine du coeur" (Redemptoris Mater RMA 17)

Assurément, dans la vie de Marie ne manquent pas les moments de lumière, comme aux noces de Cana, où - malgré son détachement apparent - le Christ accueille la prière de la Mère et accomplit le premier signe de révélation, en suscitant la foi des disciples (cf. Jn Jn 2,1-12).

C'est dans le même contraste d'ombre et de lumière, de révélation et de mystère que se situent les deux béatitudes rapportées par Luc: celle qui est adressée à la Mère du Christ par une femme de la foule et celle qui est adressée par Jésus à "ceux qui écoutent la Parole de Dieu et l'observent" (Lc 11,28).

Le sommet de ce pèlerinage terrestre dans la foi est le Golgotha, où Marie vit intimement le mystère pascal de son Fils: elle meurt, dans un certain sens, comme mère dans la mort de son Fils et s'ouvre à la "résurrection" avec une nouvelle maternité à l'égard de l'Eglise (cf. Jn Jn 19,25-27). Là, sur le Calvaire, Marie fait l'expérience de la nuit de la foi, semblable à celle d'Abraham sur le mont Moria et, après l'illumination de la Pentecôte, elle continue à pérégriner dans la foi jusqu'à l'Assomption lorsque son Fils l'accueille dans la béatitude éternelle.


3. "La Bienheureuse Vierge Marie continuer d'occuper "la première place" dans le Peuple de Dieu. Son pèlerinage de foi exceptionnel représente une référence constante pour l'Eglise, pour chacun individuellement et pour la communauté, pour les peuples et pour les nations et, en un sens, pour l'humanité entière" (Redemptoris Mater RMA 6). C'est elle l'Etoile du troisième millénaire, comme elle a été aux débuts de l'ère chrétienne l'aurore qui a précédé Jésus à l'horizon de l'histoire. En effet, Marie est née chronologiquement avant le Christ et elle l'a engendré et inséré dans notre histoire humaine.

Nous nous adressons à elle afin qu'elle continue à nous guider vers le Christ et le Père, également dans la nuit ténébreuse du mal, et dans les moments de doute, de crise, de silence et de souffrance. C'est vers elle que nous élevons le chant que l'Eglise d'Orient aime plus que tout autre, cet hymne Akhatistos qui, en vingt-quatre strophes, exalte de façon lyrique sa figure. Dans la cinquième strophe consacrée à la visite à Elisabeth, il s'exclame:

"Réjouis-toi, sarment de plante immarcescible. Réjouis-toi, détentrice d'un fruit intègre. Réjouis-toi, toi qui cultives le cultivateur ami des hommes. Réjouis-toi, génitrice du créateur de notre vie.
Réjouis-toi, terrain qui fait germer la fécondité de la compassion. Réjouis-toi, table dressée riche de miséricordes. Réjouis-toi, car tu fais fleurir un pré de délices. Réjouis-toi, car tu prépares un port aux âmes. Réjouis-toi, encens bienvenu de supplication. Réjouis-toi, pardon du monde entier. Réjouis-toi, bienveillance de Dieu envers les mortels. Réjouis-toi, parole hardie des mortels envers Dieu.
Réjouis-toi, Vierge Epouse!"


4. La visite à Elisabeth est scellée par le cantique du Magnificat, un hymne qui traverse comme une mélodie éternelle tous les siècles chrétiens: un hymne qui unit les âmes des disciples du Christ au-delà des divisions historiques, que nous sommes engagés à surmonter en vue d'une pleine communion. Dans ce climat oecuménique, il est bon de rappeler que Martin Luther, en 1521, a consacré à ce "saint cantique de la Mère bénie de Dieu" - comme il s'exprimait - un commentaire célèbre. Dans celui-ci, il affirme que l'hymne "devrait être appris et retenu par tous", car "dans le Magnificat, Marie nous enseigne comment nous devons aimer et louer Dieu... Elle veut être le plus grand exemple de la grâce de Dieu, au point d'inciter chacun à la confiance et à la louange de la grâce divine" (M. Luther, Ecrits religieux, sous la direction de V. Vinay, Turin 1967, PP 431-512).

Marie célèbre la primauté de Dieu et de sa grâce qui choisit les derniers et ceux qui sont méprisés, les "pauvres du Seigneur", dont parle l'Ancien Testament; qui change leur sort et les introduit comme acteurs dans l'histoire du salut.


5. Depuis que Dieu l'a regardée avec amour, Marie est devenue un signe d'espérance pour la foule des pauvres, les derniers de la terre qui deviennent les premiers dans le Royaume de Dieu. Elle suit fidèlement le choix du Christ, son Fils, qui répète à tous les pauvres de l'histoire: "Venez à moi, vous tous qui peinez et qui ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai" (Mt 11,28). L'Eglise suit Marie et le Seigneur Jésus en marchant sur les voies tortueuses de l'histoire, pour relever, promouvoir et valoriser l'immense procession de femmes et d'hommes pauvres et affamés, humiliés et offensés (cf. Lc Lc 1,52-53). L'humble Vierge de Nazareth - comme l'observe saint Ambroise - n'est pas "le Dieu du temple, mais le temple de Dieu" (De Spiritu Sancto, III, 11, 80). Comme telle, elle guide tous ceux qui ont recours à elle vers la rencontre avec Dieu Trinité: le Père, le Fils et l'Esprit Saint.

                                * * *

Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 21 mars 2001, se trouvaient les groupes suivants auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De différents pays: Union mondiale des Organisations féminines catholiques.

De France: Paroisse de Boulogne-sur-Mer; Centre Madeleine Daniélou, de Rueil-Malmaison; Ecole Sainte-Marie, de Neuilly.

Du Canada: Groupe de prêtres de la Région de Montréal.



Frères et Soeurs,

    “Bienheureuse celle qui a cru”(Lc 1,45). Cette parole d’Elisabeth nous “fait accéder à la réalité intime de Marie”(Redemptoris Mater RMA 19), nous présentant la Mère du Seigneur comme celle qui chemine dans la foi. Depuis l’Annonciation et jusqu'à l’Assomption, Marie accomplit un itinéraire de foi, qui culmine au Golgotha où elle vit profondément le mystère pascal de son Fils, qui lui confie d’être Mère de l’Eglise. Aujourd’hui, Marie, étoile du troisième millénaire, continue à précéder le peuple de Dieu. Puisse l’Eglise, cheminant dans la foi à la suite du Seigneur Jésus et de la Vierge Marie, laisser résonner le Magnificat sur les voies tortueuses de l’histoire, afin de devenir à son tour signe d’espérance pour la foule des pauvres, des derniers de la terre qui sont les premiers dans le Règne de Dieu !

    Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier les membres de l’Assemblée générale de l’Union mondiale des Organisations féminines catholiques, un groupe de prêtres du Canada ainsi que les groupes d’élèves des Centres Madeleine Daniélou de Rueil-Malmaison et de Neuilly. Que votre pèlerinage sur les tombes des Apôtres Pierre et Paul ravive votre foi, et vous donne d’aller de l’avant dans l’espérance! A tous, j’accorde bien volontiers la Bénédiction apostolique.

                



Catéchèses S. J-Paul II 7021