Catéchèses S. J-Paul II 12599

Mercredi 12 mai 1999 Jean-Paul II en Roumanie

12599 1. Ma pensée revient avec une émotion toujours vive à la visite que Dieu m'a permis d'effectuer ces jours derniers en Roumanie. Il s'est agi d'un événement d'une portée historique, car cela a été mon premier voyage dans un pays où les chrétiens sont en majorité orthodoxes. Je rends grâce à Dieu, qui, dans sa Providence, a disposé que cet événement ait lieu à l'approche de l'An 2000, en offrant aux catholiques et à nos frères orthodoxes l'opportunité d'accomplir ensemble un geste particulièrement significatif sur le chemin vers la pleine unité, en adhésion à l'esprit qui est propre au grand Jubilé désormais proche.

Je désire renouveler l'expression de ma reconnaissance à ceux qui ont rendu possible ce pèlerinage apostolique. Je remercie de son aimable invitation le Président de la Roumanie, M. Emil Constantinescu, dont j'ai apprécié la courtoisie. Je remercie avec une chaleur fraternelle Sa Béatitude Théoctiste, Patriarche de l'Eglise orthodoxe roumaine et le Saint-Synode: la vive cordialité avec laquelle ils m'ont accueilli, l'affection sincère qui se dégageait des paroles et du visage de chacun, ont laissé une trace indélébile dans mon coeur. Je remercie également les évêques, tant grecs-catholiques que latins, avec lesquels j'ai pu confirmer les liens de profonde communion dans l'amour du Christ.

Je remercie enfin les Autorités, les organisateurs et ceux qui se sont prodigués pour que tout se déroule de la meilleure façon possible. En pensant à la situation politique telle qu'elle était il y a quelques années encore, comment ne pas voir dans cet événement un signe éloquent de l'action de Dieu dans l'histoire? Prévoir une visite du Pape aurait été alors totalement impensable, mais le Seigneur, qui guide le chemin des hommes, a rendu possible ce qui semblait humainement irréalisable.

2. Avec ce pèlerinage, j'ai voulu rendre hommage au peuple roumain et à ses racines chrétiennes, qui remontent, selon la tradition, à l'oeuvre d'évangélisation de l'Apôtre André, frère de Simon Pierre. La population l'a compris, et elle est accourue en masse le long des routes et lors des célébrations. Au cours des siècles, la lymphe des racines chrétiennes a alimenté une veine de sainteté ininterrompue, comprenant de nombreux martyrs et confesseurs de la foi. Cet héritage spirituel a été recueilli au cours de notre siècle par de nombreux évêques, prêtres, religieux et laïcs qui ont témoigné du Christ au cours de la longue et dure domination communiste, en affrontant avec courage la torture, la prison, et parfois même la mort.

Avec quelle émotion me suis-je recueilli sur les tombes du Cardinal Iuliu Hossu et de l'Evêque Vasile Aftenie, victimes de la persécution au cours du régime dictatorial! Honneur à toi, Eglise de Dieu qui est en Roumanie! Tu as beaucoup souffert pour la Vérité, et la Vérité t'a rendu libre. L'expérience du martyre a rassemblé les chrétiens des différentes confessions présentes en Roumanie. Le témoignage que les orthodoxes, les catholiques et les protestants ont rendu au Christ à travers le sacrifice de leur vie est unique. De l'héroïsme de ces martyrs jaillit un encouragement à la concorde et à la réconciliation pour surmonter les divisions qui existent encore.

3. Ce voyage m'a donné l'occasion de ressentir la richesse de pouvoir respirer, comme chrétiens, avec les deux «poumons» de la tradition orientale et occidentale. Je m'en suis rendu compte au cours des suggestives célébrations liturgiques solennelles: j'ai en effet eu la joie de présider l'Eucharistie selon le rite grec-catholique; j'ai assisté à la Divine Liturgie présidée pour nos frères orthodoxes par le Patriarche, selon le rite byzantin-roumain, et j'ai pu prier avec eux; enfin, j'ai célébré la messe en rite romain avec les fidèles de l'Eglise latine.

Au cours de ces moments de prière intense et solennelle, j'ai rendu hommage à l'Eglise grecque-catholique, durement éprouvée au cours des années de la persécution, rappelant qu'en l'An 2000 aura lieu le troisième centenaire de son union avec Rome. Le Symbole de la résistance héroïque de cette Eglise est le vénéré Cardinal Alexandru Todea, à qui le régime infligea seize ans de prison et vingt-sept ans de résidence surveillée. Malgré son grand âge et la maladie, il a réussi à venir à Bucarest: pouvoir l'embrasser a été l'une des plus grandes joies de ce pèlerinage.

4. La rencontre avec le Patriarche Théoctiste et le Saint-Synode de l'Eglise orthodoxe roumaine a été particulièrement attendue et significative. Samedi après-midi, ils m'ont accueilli au Patriarcat avec une grande cordialité et j'ai pu trouver chez Sa Béatitude et chez les autres membres du Saint-Synode une compréhension fraternelle et un désir sincère de pleine communion selon la volonté du Seigneur. A cette occasion, j'ai voulu assurer à l'Eglise orthodoxe roumaine, engagée dans une importante oeuvre de renouveau, l'affection et la collaboration de l'Eglise catholique. L'amour fraternel est l'âme du dialogue, et celui-ci est la route pour surmonter les obstacles et les difficultés qui demeurent, afin de parvenir à la pleine unité entre les chrétiens. Dieu a déjà accompli des oeuvres admirables sur cet itinéraire de réconciliation: il faut poursuivre ce chemin avec un élan confiant, car l'Europe et le monde ont plus que jamais besoin du témoignage visible de fraternité des croyants dans le Christ.

A ce propos, je ressens le besoin de remercier encore une fois l'Eglise orthodoxe roumaine, car, en m'invitant, elle m'a offert l'opportunité de réaliser des aspects essentiels du ministère pétrinien, dans la perspective de ce que j'avais proposé dans l'Encyclique Ut unum sint.

5. L'engagement oecuménique ne diminue pas, mais il fortifie plutôt la tâche de Pasteur de l'Eglise catholique qui revient au Successeur de Pierre. J'ai accompli ce ministère, en particulier lors de ma rencontre avec la Conférence épiscopale roumaine, composée d'évêques de rite latin et de rite grec-catholique et présidée par S.Exc. Mgr Lucian Muresan, Evêque de Fãgãras et Alba Julia. Je les ai exhortés à annoncer sans se lasser l'Evangile, à être des artisans de communion, à soigner la formation des prêtres et des nombreuses personnes appelées à la vie consacrée, ainsi que des laïcs. Je les ai encouragés à promouvoir la pastorale des jeunes et celle scolaire, à travailler pour défendre la famille, pour sauvegarder la vie et pour servir les pauvres.

6. La nation roumaine est née avec l'évangélisation et c'est dans l'Evangile qu'elle trouvera la lumière et la force pour réaliser sa vocation de carrefour de paix dans l'Europe du prochain millénaire.

L'année 1989 a également marqué un grand tournant pour ce pays bien-aimé. Lors de l'effondrement soudain de la dictature, un nouveau printemps de liberté a démarré et le pays est ainsi devenu un chantier de démocratie, à édifier avec patience et honnêteté. En puisant à ses authentiques sources culturelles et spirituelles, la Roumanie a hérité sa culture et ses valeurs tant de la civilisation latine - comme l'atteste sa langue elle-même - que de celle byzantine, avec de nombreux éléments slaves. Son histoire et sa position géographique en font une partie intégrante de la nouvelle Europe, qui se constitue progressivement après l'effondrement du Mur de Berlin. L'Eglise entend servir ce processus de développement et d'intégration démocratique, dans un esprit de collaboration effective.

7. En rappelant que, selon une tradition populaire diffuse, la Roumanie est appelée «Jardin de Marie», je voudrais demander à la Sainte Vierge, en ce mois qui Lui est consacré, de raviver chez les chrétiens le désir de la pleine unité pour être ensemble un ferment évangélique. Je demande à Marie que le cher peuple roumain croisse dans les valeurs spirituelles et morales, sur lesquelles se fonde toute société à dimension humaine et attentive au bien commun. A Elle, Mère céleste de l'espérance, je confie en particulier les familles et les jeunes, qui constituent l'avenir du bien-aimé peuple de Roumanie.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 12 mai 1999, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupe de l'Association France-Arménie.



Chers Frères et Soeurs,

Je rends grâce au Seigneur pour mon premier voyage dans un pays où les chrétiens sont à majorité orthodoxe, qui m’a donné l’opportunité d’accomplir, avec nos frères orthodoxes de Roumanie, un geste de plus grande unité. En rendant hommage au peuple roumain, qui compte une succession ininterrompue de martyrs et de confesseurs de la foi, j’ai fait l’expérience de la richesse des deux poumons des traditions orientale et occidentale. J’ai aussi pu rendre hommage au Cardinal Todea et à l’Eglise grecque-catholique qui fut durement éprouvée par la persécution.

Ma rencontre avec le Patriarche Théoctiste a été très significative ; je l’ai assuré de l’affection et de la volonté de l’Eglise catholique de collaborer avec l’Eglise orthodoxe. Il importe de continuer ce chemin de réconciliation et le dialogue oecuménique dans la confiance, afin de donner à l’Europe un témoignage de fraternité entre chrétiens.

En ce mois de mai, je demande à la Vierge Marie de mettre au coeur des chrétiens ce désir de l’unité, pour qu’ils soient des ferments de l’Evangile, et je lui confie l’avenir du peuple roumain.

Je salue cordialement les pèlerins d’expression française, particulièrement le groupe de l’Union catholique des Cheminots français, ainsi que les élèves du Collège Saint-François d’Assise de Montigny-le-Bretonneux. J’accorde volontiers à tous la Bénédiction apostolique.



Mercredi 19 mai 1999 Le dialogue avec les grandes religions mondiales


19599 Lecture: (Ap 21,1-2 Ap 21,23-24)


1. Le Livre des Actes des Apôtres rapporte un discours de saint Paul aux Athéniens, qui se révèle d'une grande actualité pour l'aréopage du pluralisme religieux de notre temps. Pour présenter le Dieu de Jésus-Christ, Paul prend comme point de départ la religiosité de ses auditeurs, avec des paroles d'appréciation: «Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel avec l'inscription: "Au dieu inconnu". Eh bien! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer» (Ac 17,22-23).

Au cours de mon pèlerinage spirituel et pastoral à travers le monde d'aujourd'hui, j'ai exprimé de façon répété l'estime de l'Eglise envers «ce qui est vrai et saint» dans les religions des divers peuples. J'ai ajouté, à la suite du Concile, que la vérité chrétienne sert à faire «progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux» (NAE 2). La paternité universelle de Dieu, qui s'est manifestée en Jésus-Christ, pousse au dialogue également avec les religions n'appartenant pas à la souche abrahamique. Ce dialogue se présente riche de stimulants et de défis si l'on pense, par exemple, aux cultures asiatiques, profondément imprégnées par l'esprit religieux, ou bien aux religions traditionnelles africaines qui constituent pour tant de peuples une source de sagesse et de vie.

2. A la base de la rencontre de l'Eglise avec les religions mondiales se trouve le discernement de leur caractère spécifique, c'est-à-dire de la façon selon laquelle elles abordent le mystère du Dieu Sauveur, Réalité définitive de la vie humaine. En effet, chaque religion se présente comme une recherche de salut et propose des itinéraires pour parvenir à celui-ci (cf. CEC CEC 843). La base du dialogue est la certitude que l'homme, créé à l'image de Dieu, est également le «lieu» privilégié de sa présence salvifique.

La prière, comme reconnaissance adorante de Dieu, gratitude pour ses dons, imploration d'aide, est une voie particulière de rencontre, surtout avec les religions qui, bien qu'elles n'ont pas découvert le mystère de la paternité de Dieu, toutefois «gardent, pour ainsi dire, les bras tendus vers le haut» (Paul VI, Evangelii nuntiandi EN 53). Le dialogue est en revanche plus difficile avec certains courants de la religiosité contemporaine, dans lesquels la prière finit souvent par devenir une amplification du potentiel vital, pris pour le salut.

3. Les formes et les niveaux du dialogue du christianisme avec les autres religions sont divers, à commencer par le dialogue de la vie, avec lequel «les gens s'efforcent de vivre dans un esprit d'ouverture et de bon voisinage, partageant leurs joies et leurs peines, leurs problèmes et leurs préoccupations humaines» (Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples, Instruction Dialogue et annonce: réflexions et orientations, ORLF n. 26, du 2 juillet 1999, n. 42).

Le dialogue des oeuvres prend une importance particulière, parmi lesquelles il faut souligner l'éducation à la paix et au respect pour l'environnement, la solidarité envers le monde de la souffrance, la promotion de la justice sociale et du développement intégral des peuples. La charité chrétienne, qui ne connaît pas de frontières, rencontre volontiers le témoignage solidaire des membres d'autres religions, se réjouissant pour le bien qu'ils accomplissent. Il y a ensuite le dialogue théologique, dans lequel les experts cherchent à approfondir la compréhension de leurs héritages religieux respectifs et à en apprécier les valeurs spirituelles. Les rencontres entre spécialistes de diverses religions ne peuvent toutefois pas se limiter à la recherche d'un plus petit dénominateur commun. Elles ont pour but de prêter un service courageux à la vérité en soulignant les points de rencontre ainsi que les différences fondamentales, en effectuant un effort sincère pour surmonter les préjugés et les malentendus.

4. Le dialogue de l'expérience religieuse acquiert lui aussi une importance toujours plus grande. L'exercice de la contemplation répond à l'immense soif d'intériorité propre aux personnes spirituellement en quête et aide tous les croyants à pénétrer plus profondément le mystère de Dieu. Certaines pratiques provenant de grandes religions orientales exercent une attraction sur l'homme d'aujourd'hui. Les chrétiens doivent leur appliquer un discernement spirituel, pour ne jamais perdre de vue la conception de la prière, telle qu'elle est illustrée par la Bible tout au long de l'histoire du salut. (cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre Orationis formas, sur certains aspects de la méditation chrétienne, 15 octobre 1989: AAS 82 [1990], II, PP 362-379).

Ce discernement qui doit être effectué n'empêche pas le dialogue interreligieux. En fait, depuis plusieurs années, les rencontres avec les milieux monastiques d'autres religions, à l'enseigne d'une amitié cordiale, ouvrent des voies pour partager réciproquement les richesses spirituelles en ce qui «concerne la prière et la contemplation, la foi et les voies de la recherche de Dieu et de l'Absolu» (Dialogue et annonce, n. 42). Toutefois, le mysticisme ne peut jamais être invoqué pour favoriser le relativisme religieux, au nom d'une expérience qui réduit la valeur de la révélation de Dieu dans l'histoire. En tant que disciples du Christ, nous ressentons l'urgence et la joie de témoigner que, précisément en Lui, Dieu s'est manifesté, comme le dit l'Evangile de Jean: «Nul n'a jamais vu Dieu; le Fils unique qui est tourné vers le sein du Père, lui, l'a fait connaître» (Jn 1,18).

Ce témoignage doit être rendu sans aucune réticence, mais également avec la conscience que l'action du Christ et de son Esprit est déjà mystérieusement présente chez ceux qui vivent sincèrement leur expérience religieuse. Et l'Eglise accomplit avec tous les hommes authentiquement religieux son pèlerinage dans l'histoire, vers la contemplation éternelle de Dieu dans la splendeur de sa gloire.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 19 mai 1999, se trouvaient les groupes suivants auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De différents pays: Soeurs de Charité dominicaines Présentation de la Sainte Vierge.

De France: Foyer de charité de Chateauneuf-de-Galaure; Collège Sainte-Marie, d'Anthony; groupe de pèlerins d'Alsace; groupe de pèlerins de Fort-de-France (Martinique).

De Belgique: Paroisse Saint-François d'Assise, de Louvain-la-Neuve.

Du Canada: Institut Notre-Dame du Bon-Conseil, de Montréal.



Chers Frères et Soeurs,

Dans le discours à l’aréopage d’Athènes, saint Paul explique à ses auditeurs qu’il apprécie leur sens religieux. Personnellement, je n’ai cessé de rappeler l’estime de l’Eglise pour ce qui est vrai et saint dans les différentes religions. La paternité universelle de Dieu, manifestée par le Christ, nous pousse au dialogue avec toutes les religions, discernant ce qui, en chacune, constitue une approche du mystère du Sauveur. Ce dialogue présuppose que l’homme, créé à l’image de Dieu, est aussi le “lieu” privilégié de sa présence salvifique. La prière véritable, qui reconnaît Dieu et l’adore, est un moyen particulier de rencontre avec Lui.

Le dialogue des chrétiens avec les religions revêt des formes variées. Tout d’abord, il y a le dialogue de la vie, qui est une ouverture et un accueil de toute personne. Le dialogue des oeuvres se réalise par l’éducation à la paix et à la solidarité, ainsi que par la promotion de la justice sociale et du développement des peuples. Grâce aux experts, le dialogue théologique permet d’approfondir la compréhension des différents patrimoines religieux et d’en apprécier les valeurs spirituelles. Les rencontres théologiques ne peuvent pas être la simple recherche d’un plus petit dénominateur commun, mais doit être un courageux service de la vérité. Le dialogue des expériences religieuses invite les croyants à la contemplation pour pénétrer toujours davantage le mystère de Dieu. Le discernement n’entrave pas le dialogue inter-religieux, mais il évite de tomber dans le relativisme.

Je salue cordialement les pèlerins francophones, notamment les Soeurs de Charité, ainsi que le groupe de la Martinique, les jeunes du Foyer de Charité de Châteauneuf-de-Galaure et du collège Sainte-Marie d’Anthony. A tous, j’accorde de grand coeur la Bénédiction apostolique.



Mercredi 26 mai 1999 L'humanité en marche vers le Père

26599   Lecture : Ap 21,1-3


1. Le thème sur lequel nous réfléchissons au cours de cette dernière année de préparation au Jubilé, c'est-à-dire la marche de l'humanité vers le Père, nous suggère de méditer sur la perspective eschatologique, qui est l'objectif final de l'histoire humaine. A notre époque en particulier tout se déroule à une vitesse incroyable, tant en ce qui concerne les découvertes de la science et de la technique que l'influence des moyens de communication sociale. On se demande alors spontanément quel est le destin et le but final de l'humanité. La Parole de Dieu offre une réponse spécifique à cette interrogation, en nous présentant le dessein de salut que le Père réalise dans l'histoire, à travers le Christ et avec l'oeuvre de l'Esprit.

Dans l'Ancien Testament, la référence à l'Exode qui est orienté vers l'entrée dans la Terre Promise est fondamentale. L'Exode n'est pas seulement un événement historique, mais la révélation d'une activité salvifique de Dieu, qui s'accomplira progressivement, comme les prophètes se chargent de le révéler en illuminant le présent et l'avenir d'Israël.

2. Au temps de l'Exil, les prophètes annoncent un nouvel Exode, un retour à la Terre Promise. Grâce à ce don renouvelé de la terre, non seulement Dieu rassemblera son peuple dispersé parmi les autres nations, mais il transformera le coeur de chacun, c'est-à-dire dans ses capacités de connaître, d'aimer et d'agir: «Je leur donnerai un seul coeur et je mettrai en eux un esprit nouveau: j'extirperai de leur chair le coeur de pierre et je leur donnerai un coeur de chair, afin qu'ils marchent selon mes lois, qu'ils observent mes coutumes et qu'ils les mettent en pratique. Alors ils seront mon peuple et moi je serai leur Dieu» (cf. Ez Ez 11,19-20 cf. Ez 36,26-28).

En s'engageant à observer les normes établies dans l'alliance, le peuple pourra habiter un milieu semblable à celui qui est sorti des mains de Dieu au moment de la création: «Cette terre, naguère dévastée, est comme un jardin d'Eden, et les villes en ruines, dévastées et démolies, on en a fait des forteresses habitées» (ibid. Ez Ez 36,35). Il s'agira d'une nouvelle alliance, concrétisée par l'observance d'une loi écrite dans le coeur (cf. Jr Jr 31,31-34).

Ensuite, la perspective s'amplifie et une nouvelle terre est promise. L'objectif final est celui d'une nouvelle Jérusalem, dans laquelle cessera toute affliction, comme nous le lisons dans le Livre d'Isaïe: «Car voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle [...] J'exulterai en Jérusalem, en mon peuple je serai plein d'allégresse et l'on n'y entendra plus retentir les pleurs et les cris» (Is 65,17-19).

3. L'Apocalypse reprend cette vision. Jean écrit: «Puis je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle - car le premier ciel et la première terre ont disparu, et de mer, il n'y en a plus. Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu, comme une jeune mariée parée pour son époux» (Ap 21,1 sq).

Le passage à cet état de nouvelle création exige un engagement de sainteté, que le Nouveau Testament revêtira d'un radicalité absolue, comme on le lit dans la deuxième Lettre de Pierre: «Puisque toutes ces choses se dissolvent ainsi, quels ne devez-vous pas être par une sainte conduite et par les prières, attendant et hâtant l'avènement du Jour de Dieu, où les cieux enflammés se dissoudront et où les éléments embrasés se fondront. Ce sont de nouveaux cieux et une terre nouvelle que nous attendons selon sa promesse, où la justice habitera» (2P 3,11-13).

4. La résurrection du Christ, son ascension et l'annonce de son retour ont ouvert de nouvelles perspectives eschatologiques. En effet, lors du discours après la Cène, Jésus dit: «Je vais vous préparer une place. Et quand je serai allé et que je vous aurai préparé une place, à nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous aussi, vous soyez» (Jn 14,2-3). Saint Paul écrivait également aux Thessaloniciens: «Car lui-même, le Seigneur, au signal donné par la voix de l'archange et la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts qui sont dans le Christ ressusciteront en premier lieu; après quoi nous, les vivants, nous qui seront encore là, nous seront réunis à eux et emportés sur des nuées pour rencontrer le Seigneur dans les airs. Ainsi nous serons avec le Seigneur toujours» (1Th 4,16-17).

Nous ne savons rien sur la date de cet événement final. Il faut patienter dans l'attente de Jésus ressuscité qui répondit aux Apôtres, qui lui avaient demandé s'il allait reconstituer le royaume d'Israël, en les invitant à la prédication et au témoignage: «Il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates que le Père a fixés dans sa liberté souveraine. Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre» (Ac 1,7-8).

5. L'attente de l'événement final doit être vécue avec une espérance sereine, en s'engageant dans le temps présent à la construction de ce Royaume qui sera remis à la fin par le Christ entre les mains du Père: «Puis ce sera la fin, lorsqu'il remettra la royauté à Dieu le Père, après avoir détruit toute Principauté, Domination et Puissance» (1Co 15,24). Avec le Christ, vainqueur sur les puissances ennemies, nous participeront nous aussi à la nouvelle création, qui consistera en un retour définitif de chaque chose à Celui de qui tout provient: «Et lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous» (Ibid ., 1Co 1Co 15,28).

C'est pourquoi nous devons être convaincus que «notre cité se trouve dans les cieux, d'où nous attendons ardemment, comme Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ» (Ph 3,20). Nous ne possédons pas ici-bas une cité stable (cf. He He 13,14). En pèlerinage et à la recherche d'une demeure définitive, nous devons aspirer comme les Pères dans la foi à une patrie meilleure, «c'est-à-dire céleste» (ibid., 11, 16).

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 26 mai 1999 se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupe de prêtres de Bretagne; pèlerins du diocèse de Nantes; groupe d'Officiers supérieurs de la Gendarmerie nationale; groupe de la Fédération française de la Presse catholique; groupe de pèlerins de Paris.

Du Luxembourg: Pèlerinage national des Enfants de choeurs et les grands clercs.



Chers Frères et Soeurs,

Alors qu’au cours de la dernière année préparatoire au Jubilé, nous réfléchissons sur la marche de l’humanité vers Dieu le Père, il y a lieu de méditer sur le terme de l’histoire humaine. Il est fondamental de se référer à l’Exode, qui conduit à l’entrée dans la Terre Promise et qui manifeste l’activité salvatrice de Dieu. Durant l’exil, les prophètes annoncent que Dieu rassemblera son peuple, transformera le coeur de tout homme et conclura une alliance nouvelle. Dans l’Apocalypse, Jean reprend cette perspective: “J’ai vu descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, toute prête, comme une fiancée parée pour son époux” (Ap 21,2).

La résurrection du Christ, son ascension et l’annonce de son retour ouvrent de nouvelles perspectives eschatologiques: Jésus nous prendra avec Lui (cf. Jn Jn 14,2-3). Cependant la date nous est inconnue et il nous faut patienter dans l’attente du retour de Jésus, qui a dit à ses Apôtres: “Il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates que le Père a fixés dans sa liberté souveraine” (Ac 1,7). Remplis d’une espérance sereine, nous sommes appelés à nous engager dans le temps présent à la construction du Royaume qui, à la fin, sera remis par le Christ entre les mains du Père (cf. 1Co 1Co 15,24-28).
Je salue les pèlerins francophones présents à cette audience, en particulier des membres de la Fédération française de la Presse catholique et des officiers supérieurs de la Gendarmerie Nationale française. Je salue aussi les enfants de choeur de l’Archidiocèse de Luxembourg, que j’encourage à se rendre disponibles à l’appel du Seigneur. J’accorde à tous de grand coeur la Bénédiction apostolique.



Mercredi 2 juin 1999 La mort comme rencontre avec le Père

20699   Lecture: (Ap 14,13)

1. Après avoir réfléchi sur le destin commun de l'humanité, tel qu'il se réalisera à la fin des temps, nous voulons aujourd'hui tourner notre attention vers un autre thème qui nous touche de près: la signification de la mort. Aujourd'hui, il est devenu difficile de parler de la mort car la société du bien-être à tendance à occulter cette réalité, dont la seule pensée procure de l'angoisse. En effet, comme l'a observé le Concile, «en face de la mort l'énigme de la condition humaine atteint son sommet» (Gaudium et spes GS 18). Mais, sur cette réalité, la Parole de Dieu nous offre une lumière qui éclaire et réconforte, même si c'est de façon progressive.

Dans l'Ancien Testament les premières indications sont offertes par l'expérience commune des mortels, qui n'est pas encore illuminée par l'espérance d'une vie bienheureuse après la mort. On pensait, tout au plus, que l'existence humaine se concluait dans le «sheól», lieu d'ombres, incompatible avec la vie en plénitude. A ce propos, les paroles du Livre de Job sont très significatives: «Et ils durent si peu les jours de mon existence! Cesse donc de me fixer, pour me permettre un peu de joie, avant que je m'en aille sans retour au pays des ténèbres et de l'ombre épaisse, où règnent l'obscurité et le désordre, où la clarté même ressemble à la nuit sombre» (Jb 10,20-22).

2. Dans cette vision dramatique de la mort la révélation de Dieu se fait lentement jour, et la réflexion humaine s'ouvre à un nouvel horizon qui recevra une pleine lumière du Nouveau Testament.

On comprend tout d'abord que, si la mort est l'ennemi inexorable de l'homme, qui tente de le vaincre et de le reconduire sous son pouvoir, Dieu ne peut pas l'avoir créée, car il ne peut pas se réjouir de la perte des vivants (cf. Sg Sg 1,13). Le projet originel de Dieu était différent, mais il fut contrarié par le péché commis par l'homme sous l'influence du démon, comme l'explique le Livre de la Sagesse: «Oui, Dieu a créé l'homme pour l'incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature; c'est par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde: ils en font l'expérience, ceux qui lui appartiennent! (Sg 2,23-24). Jésus reprend également cette conception (cf. Jn Jn 8,44) et c'est sur elle que se fonde l'enseigne- ment de saint Paul sur la rédemption du Christ, nouvel Adam (cf. Rm Rm 5,12 Rm Rm 5,17 1Co 15,21). Par sa mort et sa résurrection, Jésus a vaincu le péché et la mort qui en est la conséquence.

3. A la lumière de ce que Jésus a accompli, on comprend l'attitude de Dieu le Père face à la vie et à la mort de ses créatures. Le Psalmiste avait déjà eu l'intuition que Dieu ne peut pas abandonner ses fidèles serviteurs dans le sépulcre, ni permettre que son saint voit la corruption (cf. Ps Ps 16,190). Isaïe parle d'un avenir où Dieu éliminera la mort pour toujours, en essuyant «les pleurs sur tous les visages» (Is 25,8) et en ressuscitant les morts à une vie nouvelle: «Tes morts revivront, tes cadavres ressusciteront. Réveillez-vous et chantez, vous qui habitez la poussière, car ta rosée est une rosée lumineuse, et le pays va enfanter des ombres» (Ibid ., Is Is 26,19). Ainsi, à la mort comme réalité obligatoire pour tous les vivants, vient se superposer l'image de la terre qui, en tant que mère, s'apprête à la naissance d'un nouvel être vivant et donne le jour au juste, destiné à vivre en Dieu. C'est pourquoi, même si les justes «ont, aux yeux des hommes subis des châtiments, leur espérance était pleine d'immortalité» (Sg 3,4).

L'espérance de la résurrection est magnifiquement affirmée dans le second Livre des Maccabées par sept frères et par leur mère, au moment de subir le martyre. L'un d'eux déclare: «C'est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois je les méprise et c'est de lui que j'espère les recouvrer de nouveau» (2M 7,11); un autre, «sur le point d'expirer s'exprima de la sorte "Mieux vaut mourir de la main des hommes en tenant de Dieu l'espoir d'être ressuscité par lui"» (Ibid ., 2M 2M 7,14). De façon héroïque, leur mère les encourageait à affronter la mort avec cette espérance (cf. ibid ., 2M 2M 7,29).

4. Dans la perspective de l'Ancien Testament les prophètes invitaient déjà à attendre «le jour du Seigneur» avec une âme droite, sinon celui-ci serait «ténèbres et non lumière» (cf. Am Am 5,18 Am Am 5,20). Dans la plénitude de la révélation du Nouveau Testament, il est souligné que tous seront soumis au jugement (cf. 1P 4,5 Rm 14,10). Mais face à celui-ci, les justes ne devront rien craindre, car ils sont les élus destinés à recevoir l'héritage promis; ils seront placés à la droite du Christ qui les appellera les «bénis de mon Père» (Mt 25,34 cf. Mt 22,14 Mt 24,22 Mt 24,24).

La mort, dont le croyant fait l'expérience en tant que membre du Corps mystique, ouvre la voie vers le Père, qui nous a en effet démontré son amour dans la mort du Christ, «victime d'expiation pour nos péchés» (1 Gn 4, 10; cf. Rm Rm 5,7). Comme l'affirme le Catéchisme de l'Eglise catholique, la mort «pour ceux qui meurent dans la grâce du Christ, est une participation à la mort du Seigneur, pour pouvoir également avoir part à sa résurrection» (n. 1006).

Jésus «nous aime et nous a lavés de nos péchés par son sang, ... il a fait de nous une royauté de prêtre pour son Dieu et Père» (Ap 1,5-6). Il faut certes passer à travers la mort, mais désormais avec la certitude que nous rencontrerons le Père lorsque «cet être corruptible aura revêtu l'incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l'immortalité» (1Co 15,54). Alors on verra clairement que «la mort a été engloutie dans la victoire» (Ibid.) et on pourra l'interpeller avec une attitude de défi, sans peur: «Où est-elle, ô mort, ta victoire? Où est-il, ô mort, ton aiguillon?» (Ibid ., 1Co 1Co 15,55).

C'est précisément en raison de cette vision chrétienne de la mort que saint François d'Assise pouvait s'exclamer dans le Cantique des Créatures: «Loué soit mon Seigneur, pour notre soeur la mort corporelle» (Sources franciscaines, n. 263). Face à cette perspective réconfortante, on comprend la béatitude annoncée par le Livre de l'Apocalypse, presque comme un couronnement des béatitudes évangéliques: «Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur; dès maintenant - oui, dit l'Esprit - qu'ils se reposent de leurs fatigues, car leurs oeuvres les accompagnent» (Ap 14,13).

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 2 juin 1999, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupe de la paroisse de Castries; pèlerins des paroisses de Strasbourg, Colmar et Mulhouse; Communauté «Le Verbe de Vie», d'Aubazine; groupe «Jeunesse Lumière», de Vabre; Mouvement chrétien des Retraités, de Chantonnay; collège Charles de Foucauld, de Lyon; groupe de Saint-Cirgues en Montagne, Ardèche.

Du Luxembourg: Groupe de pèlerins.

De Belgique: Communauté «Le Verbe de Vie», de Fischermont;

Du Canada: Groupe de pèlerins


Chers Frères et Soeurs,

Après avoir porté notre réflexion sur le destin commun de l'humanité tel qu'il se réalisera à la fin des temps, je méditerai aujourd'hui sur la signification de la mort, en nous laissant éclairer par la Parole de Dieu.

La révélation divine a permis à l'homme de comprendre progressivement que Dieu n'a pas créé la mort, parce qu'il ne peut pas se réjouir de la perte des vivants. Le projet de Dieu a été contrarié par le péché de l'homme, commis sous l'influence du démon. Mais, par sa mort et sa résurrection, Jésus a vaincu le péché et la mort qui en est la conséquence.

L'Ecriture nous dit aussi que les justes ne doivent pas craindre le jugement de Dieu auquel tous seront soumis, car ils recevront l'héritage de la promesse et ils seront placés à la droite du Christ.

La mort dont le croyant fait l'expérience comme membre du Corps mystique ouvre le chemin vers le Père. Ceux qui meurent dans la grâce du Christ participent à la mort du Seigneur pour avoir part à sa résurrection. Il est nécessaire de passer par la mort, mais nous avons la certitude de rencontrer le Père, car la mort a été engloutie dans la victoire du Christ.

Je salue cordialement les pèlerins de langue française, particulièrement les membres du Mouvement chrétien des retraités de Chantonnay, ainsi que la Communauté du Verbe de Vie, venant de France et de Belgique, et les jeunes présents ce matin, notamment les élèves du collège Charles de Foucauld de Lyon. Je leur souhaite de trouver dans le Christ la source de leur espérance et de leur joie. A tous je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.




Catéchèses S. J-Paul II 12599