Catéchèses S. J-Paul II 29999

Mercredi 29 septembre 1999 Le don de l'indulgence

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  Lecture: Rm 5,8-10


1. En étroite liaison avec le sacrement de la Pénitence, se présente à notre réflexion un thème qui possède une relation particulière avec la célébration du Jubilé: je fais référence au don de l'indulgence, qui au cours de l'année jubilaire est offert avec une abondance particulière, comme il est prévu dans la Bulle Incarnationis mysterium et dans les dispositions annexes de la Pénitencerie apostolique.

Il s'agit d'un thème délicat, sur lequel n'ont pas manqué les  incompréhensions historiques, qui ont influencé de manière négative la communion entre les chrétiens. Dans le contexte oecuménique actuel, l'Eglise ressent l'exigence que cette pratique ancienne, entendue comme expression significative de la miséricorde de Dieu, soit bien comprise et accueillie. En effet, l'expérience révèle que l'on s'approche parfois des indulgences avec des attitudes superficielles, qui finissent par rendre vain le don de Dieu, faisant de l'ombre aux vérités et aux valeurs proposées par l'enseignement de l'Eglise.


2. Le point de départ pour comprendre l'indulgence est l'abondance de la miséricorde de Dieu, qui s'est manifestée dans la croix du Christ. Jésus crucifié est la grande "indulgence" que le Père a offerte à l'humanité, à travers le pardon des fautes et la possibilité de la vie filiale (cf. Jn Jn 1,12-13) dans l'Esprit Saint (cf. Ga Ga 4,6 Rm 5,5 Rm 8,15-16).

Toutefois, dans la logique de l'alliance qui est le coeur de toute l'économie du salut, ce don ne nous atteint pas sans notre accord et notre disponibilité.

A la lumière de ce principe, il n'est pas difficile de comprendre comment la réconciliation avec Dieu, tout en étant fondée sur une offre gratuite et abondante de la miséricorde, implique dans le même temps un processus laborieux, dans lequel l'homme est interpellé dans son engagement personnel et l'Eglise dans sa tâche sacramentelle. En ce qui concerne le pardon des péchés commis après le baptême, ce chemin possède son centre dans le sacrement de la Pénitence, mais il se développe également après sa célébration. En effet, l'homme doit être progressivement "guéri" des conséquences négatives que le péché a produites en lui (et que la tradition théologique appelle "peines" et "résidus" du péché).


3. A première vue, parler de peines après le pardon sacramentel pourrait sembler peu cohérent. Cependant, l'Ancien Testament nous démontre qu'il est normal de subir des peines réparatrices après le pardon. En effet, Dieu, après s'être autodéfini "Dieu de tendresse et de pitié [...] qui tolère faute, transgression et péché", ajoute: "mais ne laisse rien impuni" (Ex 34,6-7). Dans le deuxième livre de Samuel, l'humble confession du roi David faite après son grave péché lui obtient le pardon de Dieu (cf. 2S 12,13), mais non la suppression du châtiment annoncé (cf. ibid ., 2S 2S 12,11 2S 16,21). L'amour paternel de Dieu n'exclut pas le châtiment, même si celui-ci doit toujours être compris au sein d'une justice miséricordieuse qui rétablit l'ordre enfreint en fonction du bien même de l'homme (cf. He He 12,4-11).

Dans ce contexte, la peine temporelle exprime la condition de souffrance de celui qui, bien que réconcilié avec Dieu, est encore marqué par ces "résidus" du péché, qui ne le rendent pas totalement ouvert à la grâce. Précisément en vue de la guérison complète, le pécheur est appelé à entreprendre un chemin de purification vers la plénitude de l'amour.

Sur ce chemin, la miséricorde de Dieu vient à la rencontre du pécheur grâce à des aides particulières. Cette même peine temporelle remplit une fonction "médicinale" dans la mesure où l'homme se laisse interpeller pour se convertir profondément. Telle est également la signification de la "satisfaction" demandée dans le Sacrement de la Pénitence.


4. Le sens des indulgences doit être saisi dans le cadre de ce renouvellement total de l'homme, en vertu de la grâce du Christ Rédempteur, par le ministère de l'Eglise. Elles possèdent leur origine historique dans la conscience que l'Eglise antique eut de pouvoir exprimer la miséricorde de Dieu en allégeant les peines canoniques infligées pour la rémission sacramentelle des péchés. L'allégement était toutefois toujours contrebalancé par des engagements, personnels et communautaires, qui assumaient, à titre de substitution, la fonction "médicinale" de la peine.

Nous pouvons à présent comprendre comment par indulgence l'on entend la "rémission face à Dieu de la peine temporelle pour les péchés, déjà remis quant à la faute, une rémission que le fidèle, disposé comme il se doit et à des conditions déterminées, acquiert grâce à l'intervention de l'Eglise, qui, comme ministre de la rédemption, de façon autorisée dispense et applique le trésor des satisfactions du Christ et des saints" (Enchiridion indulgentiarum, Normae de indulgentiis, Librairie éditrice vaticane 1999, p. 21; cf. Catéchisme de l'Eglise catholique CEC 1471).

Le trésor de l'Eglise existe donc, et il est comme "dispensé" à travers les indulgences. Cette "distribution" ne doit pas être entendue comme une sorte de transfert automatique, comme s'il s'agissait de "choses". Elle est plutôt l'expression de la confiance totale que l'Eglise a d'être écoutée par le Père quand - en considération des mérites du Christ et, par son don, également de ceux de la Madone et des saints - elle lui demande d'alléger ou d'annuler l'aspect douloureux de la peine, en développant sa fonction médicinale à travers d'autres parcours de grâce. Dans le mystère insondable de la sagesse divine, ce don d'intercession peut être également bénéfique aux fidèles défunts, qui en reçoivent les fruits de la façon propre à leur condition.


5. On voit alors comment les indulgences, loin d'être une sorte de "réduction" de l'engagement de conversion, sont plutôt un soutien pour un engagement plus rapide, généreux et radical. Cet engagement est demandé au point que la condition spirituelle pour recevoir l'indulgence plénière est l'exclusion "de tout attachement envers tout péché, même véniel" (Enchiridion indulgentiarum, p. 25).

C'est pourquoi, ceux qui pensent pouvoir recevoir ce don par le simple accomplissement d'attitudes extérieures se trompent. Celles-ci sont au contraire demandées comme expression et soutien du chemin de conversion. Elles manifestent en particulier la foi dans l'abondance de la miséricorde de Dieu et dans la merveilleuse réalité de communion que la Christ a réalisée, en unissant de façon indissoluble l'Eglise à lui-même, comme son Corps et son Epouse.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 29 septembre 1999, se trouvaient les groupes suivants auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:


De France: Paroisse Saint-Pierre des Plots, de Mazamet; groupe de l'archidiocèse de Rennes; groupe de Nice.

Chers frères et soeurs,

Pour comprendre la signification des indulgences, il faut se référer en premier lieu à l'abondance de la miséricorde divine, manifestée dans la Croix du Christ. La réconciliation du pécheur avec Dieu, qui est un don, implique aussi l'engagement personnel de l'homme et celui de l'Eglise par son action sacramentelle. Cela se réalise dans le sacrement de la Pénitence, et se développe après sa célébration. Car l'homme doit être progressivement "guéri" des conséquences négatives que le péché a produites en lui.

Pour parvenir à une guérison complète, le pécheur est appelé à entreprendre un chemin de purification vers la plénitude de l'amour. La peine temporelle liée au pardon des péchés remplit une fonction médicinale dans la mesure où l'homme accepte de se convertir en profondeur.

Les indulgences doivent être comprises dans cette perspective de renouvellement total de l'homme, en vertu de la grâce du Christ Rédempteur, par le ministère de l'Eglise. Le trésor du pardon est dispensé aussi au moyen des indulgences par lesquelles l'Eglise exprime sa pleine confiance d'être écoutée du Père. Par les mérites du Christ, elle entend adoucir ou annuler l'aspect douloureux de la peine, en en développant le sens médicinal à travers différents chemins de grâce.


J'accueille avec plaisir les francophones présents ce matin. Je salue particulièrement les pèlerins du diocèse de Rennes. Je souhaite que leur séjour à Rome les fasse grandir dans la foi au Christ. A tous je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.




Mercredi 6 octobre 1999 Qui aime connaît Dieu, car Dieu est amour

61099   Lecture: 1Jn 4,7-8

1. La conversion dont nous avons parlé lors des précédentes catéchèses, est orientée vers la pratique des commandements de l'amour. Il est particulièrement opportun, en cette année du Père, de souligner la vertu théologale de la charité, selon l'indication de la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente (cf. TMA TMA 50).

L'Apôtre Jean recommande: «Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour est de Dieu et que quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est Amour» (1Jn 4,7-8).

Ces paroles sublimes, alors qu'elles nous révèlent l'essence même de Dieu comme mystère de charité infinie, jettent également les bases sur lesquelles repose l'éthique chrétienne, entièrement concentrée dans le commandement de l'amour. L'homme est appelé à aimer Dieu dans un engagement total et à se tourner vers ses frères avec une attitude d'amour inspirée de l'amour même de Dieu. Se convertir signifie se convertir à l'amour.

Déjà, dans l'Ancien Testament, on peut saisir la dynamique profonde de ce commandement, dans la relation d'alliance instaurée par Dieu avec Israël: d'une part, il y a l'initiative d'amour de Dieu, de l'autre, la réponse d'amour qu'il attend. Voilà par exemple comment est présentée l'initiative divine dans le livre du Deutéronome: «Si Yahvé s'est attaché à vous et vous a choisis, ce n'est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples: car vous êtes le moins nombreux d'entre tous les peuples. Mais c'est par amour pour vous» (Dt 7,7-8). A cet amour de prédilection, totalement gratuit, correspond le commandement fondamental, qui oriente toute la religiosité d'Israël: «Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton coeur» (ibid ., Dt Dt 6,5).

2. Le Dieu qui aime est un Dieu qui ne reste pas au loin, mais qui intervient dans l'histoire. Lorsqu'il révèle son propre nom à Moïse, il le fait pour garantir son assistance aimante lors de l'événement salvifique de l'Exode, une assistance qui durera toujours (cf. Ex Ex 3,15). A travers les paroles des prophètes, il rappellera sans cesse à son peuple son geste d'amour. Nous lisons par exemple dans Jérémie: «Ainsi parle Yahvé: Il a trouvé grâce au désert, le peuple échappé à l'épée. Israël marche vers son repos. De loin Yahvé m'est apparu: D'un amour éternel je t'ai aimé, ainsi t'ai-je maintenu ma faveur» (Jr 31,2-3).

Il s'agit d'un amour qui se manifeste par une immense tendresse (cf. Os Os 11,8 sq.; Jr 31,20) et qui normalement repose sur l'image paternelle, mais qui s'exprime parfois également par la métaphore nuptiale: «Je te fiancerai à moi pour toujours; je te fiancerai dans la justice et dans le droit; dans la tendresse et la miséricorde» (Os 2, 21, cf. vv. Os Os 2,18-25).

Egalement après avoir enregistré dans son peuple des infidélités répétées à l'alliance, ce Dieu est encore disposé à offrir son amour, créant dans l'homme un coeur nouveau, qui le mette en mesure d'accueillir sans réserve la loi qui lui est donnée, comme nous le lisons dans le prophète Jérémie: «Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l'écrirai sur leur coeur» (Jr 31,33). De même, on lit dans Ezéchiel: «Et je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j'ôterai de votre chair le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair» (Ez 36,26).

3. Le Nouveau Testament nous présente cette dynamique de l'amour centrée sur Jésus, Fils aimé du Père (cf. Jn Jn 3,35 Jn 5,20 Jn 10,17), qui se manifeste à travers lui. Les hommes participent à cet amour en connaissant le Fils, c'est-à-dire en accueillant son enseignement et son oeuvre rédemptrice.

Il n'est pas possible d'accéder à l'amour du Père si ce n'est en imitant le Fils dans l'observance des commandements du Père: «Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurez en mon amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour» (ibid ., Jn Jn 15,9-10). De cette façon, on participe également à la connaissance que le Fils a du Père: «Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous appelle amis, parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père, je vous l'ai fait connaître» (ibid ., Jn Jn 15,15).

4. L'amour nous fait entrer pleine- ment dans la vie filiale de Jésus, en nous rendant fils dans le Fils: «Voyez quelle manifestation d'amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes! Si le monde ne nous connaît pas, c'est qu'il ne l'a pas connu» (1Jn 3,1). L'amour transforme la vie et illumine également notre connaissance de Dieu, jusqu'à parvenir à cette connaissance parfaite dont parle saint Paul: «A présent je connais d'une manière partielle; mais alors je connaîtrai comme je suis connu» (1Co 13,12).

Il faut souligner le rapport entre connaissance et amour. La conversion intime que le christianisme propose est une authentique expérience de Dieu, dans le sens indiqué par Jésus, au cours de la dernière Cène, dans la prière sacerdotale: «Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé Jésus-Christ» (Jn 17,3). Certes, la connaissance de Dieu a également une dimension d'ordre intellectuel (cf. Rm Rm 1,19-20). Mais l'expérience vivante du Père et du Fils a lieu dans l'amour, c'est-à-dire, en dernière analyse, dans l'Esprit Saint, car «l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous fut donné» (Rm 5,5).

Le Paraclet est Celui grâce auquel nous faisons l'expérience de l'amour paternel de Dieu. Et l'effet le plus réconfortant de sa présence en nous est précisément la certitude que cet amour éternel et démesuré avec lequel Dieu nous a aimés le premier, ne nous abandonnera jamais: «Qui nous séparera de l'amour du Christ? [...] Oui, j'en ai l'assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur» (ibid ., Rm Rm 8,35 ., Rm Rm 8,38-39). Le coeur nouveau, qui aime et connaît, bat en harmonie avec Dieu qui aime d'un amour éternel.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 6 octobre 1999, se trouvaient les groupes suivants auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De divers pays: Religieuses du Chapitre général de la Congrégation de la Présentation de Marie.

De France: Groupe de pèlerins de Radio Dallas Loisir.

Du Canada: Groupe de pèlerins.

Chers Frères et Soeurs,

En cette dernière année de préparation au grand Jubilé, consacrée au Père, nous devons mettre en relief la vertu théologale de la charité, en nous rappelant l’affirmation synthétique de la première lettre de saint Jean : “Dieu est amour” (1Jn 4,8). Lorsqu’il révèle l’essence même de Dieu comme mystère de charité infinie, l’évangéliste indique aussi les bases sur lesquelles s’appuient l’éthique chrétienne : l’homme est appelé à aimer Dieu, en se donnant totalement à lui et en se tournant vers ses frères, les aimant comme Dieu nous aime. La conversion est donc avant tout une conversion à l’amour.

Dans l’Ancien Testament, l’invitation d’amour de Dieu se manifeste dans l’Alliance avec Israël, qui appelle le peuple à une réponse d’amour. Dieu qui aime est un Père qui se fait proche des hommes et qui les conseille sans cesse malgré les infidélités. Le Nouveau Testament nous présente cette dynamique de l’amour toute centrée sur la figure du Christ : en l’imitant, avec la force de l’Esprit Saint, nous avons accès à l’amour du Père et notre vie en est transformée. L’Esprit nous fait aussi découvrir que Dieu ne nous abandonne jamais.

Je salue cordialement les pèlerins francophones, notamment les Soeurs de la Présentation de Marie qui célèbrent leur vingt-cinquième chapitre général. Je les encourage à raviver en elles les dons reçus de Dieu et à retrouver avec vigueur le dynamisme spirituel de leur charisme fondateur. A tous, j’accorde volontiers la Bénédiction apostolique !

  

Mercredi 13 octobre 1999 La vertu théologale de la charité: l'amour envers Dieu

13109   Lecture: (Mc 12,28-31)

1. Dans l'Ancien Israël, le commandement fondamental de l'amour envers Dieu était inséré dans la prière récitée quotidiennement: «Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé. Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. Que ces paroles que je te dicte aujourd'hui restent dans ton coeur! Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout» (Dt 6,4-7).

A la base de cette exigence d'aimer Dieu de manière totale se trouve l'amour que Dieu lui-même porte à l'homme. Il attend une véritable réponse d'amour du peuple qu'il aime d'un amour de prédilection. C'est un Dieu jaloux (cf. Ex Ex 20,5), qui ne peut pas tolérer l'idolâtrie, dont est sans cesse tenté son peuple. D'où le commandement: «Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi» (ibid., v. Ex Ex 20,3).

Progressivement, le peuple d'Israël comprend qu'au-delà de cette relation de profond respect et d'adoration exclusive, il doit exprimer au Seigneur une attitude filiale et même nuptiale. C'est dans ce sens que doit être entendu et lu le Cantique des Cantiques, transfigurant la beauté de l'amour humain en dialogue sponsal entre Dieu et son peuple.

Le Deutéronome rappelle deux caractéristiques essentielles de cet amour. La première est que l'homme n'en serait jamais capable si Dieu ne lui en donnait pas la force, à travers la «circoncision du coeur» (cf. Dt Dt 30,6), qui élimine du coeur tout attachement au péché. L'autre est que cet amour, loin de se réduire à un sentiment, se concrétise en «marchant dans les voies» de Dieu, en observant «ses commandements, ses lois et ses coutumes» (ibid., v. Dt Dt 30,16). Telle est la condition pour «avoir la vie et le bonheur», alors que tourner son coeur vers d'autres dieux mène à trouver «la mort et le malheur» (ibid., v. Dt Dt 30,15)

2. Le précepte du Deutéronome se retrouve de façon semblable dans l'enseignement de Jésus, qui le définit «le premier et le plus grand des commandements», en le reliant étroitement à l'amour envers le prochain (cf. Mt Mt 22,34-40). En reproposant le précepte dans les mêmes termes que l'Ancien Testament, Jésus montre que sur ce point la Révélation a déjà atteint son sommet.

Dans le même temps, c'est précisément dans la personne de Jésus que ce commandement assume sa plénitude. En lui, en effet, se réalise la plus grande intensité de l'amour de l'homme pour Dieu. A partir de cet instant, aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces, signifie aimer ce Dieu qui s'est révélé dans le Christ et l'aimer en participant à l'amour même du Christ, répandu en nous «par le Saint Esprit qui nous fut donné» (Rm 5,5).

3. La charité constitue l'essence du «commandement» nouveau enseigné par Jésus. En effet, elle est l'âme de tous les commandements, dont l'observance est ultérieurement répétée et elle devient même la démonstration évidente de l'amour envers Dieu: «Car l'amour de Dieu consiste à garder ses commandements» (1Jn 5,3). Cet amour, qui est en même temps amour pour Jésus, représente la condition pour être aimé du Père: «Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime; or celui qui m'aime sera aimé de mon Père et je l'aimerai et je me manifesterai à lui» (Jn 14,21).

L'amour envers Dieu, rendu possible par le don de l'Esprit, se fonde donc sur la médiation de Jésus, comme lui-même l'affirme dans la prière sacerdotale: «Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, pour que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux» (Jn 17,26). Cette médiation se concrétise surtout dans le don qu'il a fait de sa vie, un don qui témoigne, d'une part, du plus grand amour et qui, de l'autre, exige l'observance de ce que Jésus commande: «Nul n'a plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande» (Jn 15,13-14).

La charité chrétienne puise à cette source d'amour, qui est Jésus, le Fils de Dieu offert pour nous. La capacité d'aimer comme Dieu aime est offerte à chaque chrétien comme fruit du mystère pascal de mort et de résurrection.

4. L'Eglise a exprimé cette réalité sublime en enseignant que la charité est une vertu théologale, c'est-à-dire une vertu qui se réfère directement à Dieu et fait entrer les créatures humaines dans le circuit de l'amour trinitaire. En effet, Dieu le Père nous aime comme il aime le Christ, voyant en nous son image. Celle-ci est, pour ainsi dire, peinte en nous par l'Esprit, qui comme un «iconographe», la réalise dans le temps.

C'est toujours l'Esprit Saint qui dessine également dans le coeur de notre personne les lignes fondamentales de la réponse chrétienne. Le dynamisme de l'amour pour Dieu naît ainsi d'une sorte de «connaturalité» réalisée par l'Esprit Saint qui nous «divinise», selon le langage de la tradition orientale.

Dans la force de l'Esprit Saint, la charité anime l'agir moral du chrétien, oriente et renforce toutes les autres vertus, qui édifient en nous la structure de l'homme nouveau. Comme le dit le Catéchisme de l'Eglise catholique, «l'exercice de toutes les vertus est animé et inspiré par la charité. Celle-ci est le "lien de la perfection" (Col 3,14); elle est la forme des vertus; elle les articule et les ordonne entre elles; elle est source de leur pratique chrétienne. La charité assure et purifie notre puissance humaine d'aimer. Elle l'élève à la perfection surnaturelle de l'amour divin» (CEC 1827). En tant que chrétiens, nous sommes toujours appelés à l'amour.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du mercredi 13 octobre 1999, se trouvaient les groupes suivants auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupe de pèlerins des diocèses d'Autun et de Savoie; paroisses de Strasbourg, de Colmar, de Mulhouse et de Marseille; groupe de pèlerins de Beaucroissant, de Castelnaudary.

De Belgique: Pèlerinage diocésain de Namur.

Du Canada: Etudiants de l'Université de Waterloo (Ontario).



Chers Frères et Soeurs,

Progressivement le peuple de l’alliance comprend que la relation d’adoration et de respect envers le Seigneur doit exprimer une attitude filiale et même nuptiale. En réponse à son amour total envers les hommes, Dieu attend que son peuple l’aime. Mais l’homme ne serait pas capable d’aimer Dieu si ce dernier ne lui en donnait pas la force, l’invitant à pratiquer les commandements, qui sont la condition pour avoir la vie et le bonheur, comme l’indique le Deutéronome (cf. Dt Dt 30,15). Ce même précepte se retrouve dans l’enseignement de Jésus, qui définit l’amour de Dieu comme le premier et le plus grand des commandements (cf. Mt Mt 22,34-40), le reliant étroitement à l’amour envers le prochain. Jésus réalise pleinement ce commandement de l’amour du Père. Désormais, aimer Dieu consiste à participer à l’amour même du Christ. Cet amour rend possible le don de l’Esprit.

La charité constitue le commandement nouveau dans l’enseignement de Jésus. Elle puise sa force à la source de l’amour, qui est le Christ, livré pour nous. La capacité d’aimer est offerte à tout chrétien comme un fruit du mystère pascal de la mort et de la résurrection. La charité est une vertu théologale, c’est-à-dire qui se réfère directement à Dieu et qui fait entrer les créatures dans l’amour trinitaire. Elle anime l’agir moral du chrétien, renforçant toutes les autres vertus et les ordonnant entre elles. L’Esprit réalise en nous une sorte de “connaturalité” et, selon le langage de la tradition orientale, nous “divinise”.

Je salue cordialement les pèlerins de langue française, notamment le pèlerinage du diocèse de Namur. Puisse votre séjour à Rome affermir votre foi et votre amour de l’Eglise! Avec ma Bénédiction apostolique.



Mercredi 20 octobre 1999 La vertu théologale de la charité: l'amour envers le prochain

20109   Lecture: (Jn 13,34-35)

1. «Si quelqu'un dit: "J'aime Dieu" et qu'il déteste son frère, c'est un menteur: celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas» (1Jn 4,20-21).

La vertu théologale de la charité, dont nous avons parlé au cours de la dernière catéchèse, s'exprime dans une double direction: vers Dieu et vers le prochain. Dans l'un et l'autre aspect, elle est le fruit du dynamisme même de la vie de la Trinité en nous.

En effet, la charité a sa source dans le Père, elle se révèle pleinement dans la Pâque du Fils crucifié et ressuscité, et est répandue en nous par l'Esprit Saint. En elle Dieu nous fait participer à son amour.

Si l'on aime véritablement avec l'amour de Dieu, on aimera également son frère, comme Il l'aime. C'est là que se trouve la grande nouveauté du christianisme: on ne peut pas aimer Dieu, si l'on n'aime pas ses frères en créant avec eux une communion d'amour intime et persévérante.

2. L'enseignement de l'Ecriture Sainte à ce propos est sans équivoque. L'amour envers ses prochains est déjà recommandé aux Israélites: «Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même» (Lv 19,18). Si, dans un premier moment, ce précepte semble uniquement destiné aux Israélites, il devient toutefois peu à peu entendu dans un sens toujours plus large, incluant les étrangers qui habitent parmi eux, en raison du souvenir d'Israël qui a lui-même été étranger en terre d'Egypte (cf. Lv Lv 19,34 Dt 10,19).

Dans le Nouveau Testament, cet amour est commandé dans un sens clairement universel: il suppose un concept de prochain qui n'a pas de frontières (cf. Lc Lc 10,29-37) et il est également étendu aux ennemis (cf. Mt Mt 5,43-47). Il est important de remarquer que l'amour du prochain est considéré comme une imitation et un prolongement de la bonté miséricordieuse du Père céleste qui pourvoit aux nécessités de tous et n'établit pas de distinction entre les personnes (cf. ibid., v. Mt Mt 5,45). Mais il reste cependant lié à l'amour envers Dieu: les deux commandements de l'amour représentent en effet la synthèse et le sommet de la Loi et des Prophètes (cf. Mt Mt 22,40). Seul celui qui pratique les deux commandements est proche du Royaume de Dieu, comme Jésus lui-même le souligne, en répondant à un scribe qui l'avait interrogé (cf. Mc 12,28-34).

3. En suivant cet itinéraire, qui relie l'amour envers le prochain à celui envers Dieu, et tous les deux à la vie de Dieu en nous, il est facile de comprendre comment l'amour est présent dans le Nouveau Testament comme un fruit de l'Esprit, et même comme le premier des dons énumérés par saint Paul dans la lettre aux Galates: «Mais le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur maîtrise de soi» (Ga 5,22).

Dans la tradition théologique, on a distingué, tout en les mettant en corrélation, les vertus théologales, les dons et les fruits de l'Esprit Saint (cf. Catéchisme de l'Eglise catholique CEC 1830-1832). Alors que les vertus sont des qua- lités permanentes conférées à la créature en vue des oeuvres surnaturelles qu'il doit accomplir et que les dons perfectionnent les vertus, tant théologales que morales, les fruits de l'Esprit sont des actes vertueux que la personne accomplit avec facilité, de façon habituelle et avec joie (cf. saint Thomas, Summa theologiae, I-II 70,1, ad 2). Ces distinctions ne s'opposent pas à ce que Paul affirme en parlant au singulier du fruit de l'Esprit. En effet, l'Apôtre entend indiquer que le fruit par excellence est la charité divine elle-même qui est l'âme de tout acte vertueux. De même que la lumière du soleil s'exprime dans une gamme infinie de couleurs, la charité se manifeste dans de multiples fruits de l'Esprit.

4. Dans cette optique, on dit dans la Lettre aux Colossiens: «Et puis, par-dessus tout, la charité, en laquelle se noue la perfection» (Col 3,14). L'hymne à la charité contenu dans la première Lettre aux Corinthiens (cf. 1Co 13) célèbre cette primauté de la charité sur tous les autres dons (cf. vv. 1Co 1Co 13,1-3), et même sur la foi et l'espérance (cf. v. 1Co 1Co 13,13). L'Apôtre Paul affirme à son propos: «La charité ne passe jamais» (v. 1Co 1Co 13,8).

L'amour envers le prochain possède une connotation christologique, car il doit se modeler sur le don que le Christ a fait de sa propre vie: «A ceci nous avons connu l'Amour: celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères» (1Jn 3,16). Mesuré sur l'amour du Christ, l'amour envers le prochain peut être défini «commandement nouveau», qui permet de reconnaître les vrais disciples: «Je vous donne un commandement nouveau: vous aimer les uns les autres; comme je vous ai aimés, aimez- vous les uns les autres. A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples» (Jn 13,34-35). La signification christologique de l'amour du prochain resplendira dans la seconde venue du Christ. En effet, on constatera précisément alors que l'aune pour juger de l'adhésion au Christ est précisément l'exercice quotidien et visible de la charité envers les frères les plus indigents: «J'avais faim et vous m'avez donné à manger...» (cf. Mt Mt 25,31-46).

Seul celui qui se laisse toucher par le prochain et par ses besoins, montre de façon concrète son amour pour Jésus. La fermeture et l'indifférence envers l'«autre» est une fermeture envers l'Esprit Saint, un oubli du Christ et une négation de l'amour universel du Père.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 20 octobre 1999, se trouvaient les groupes suivants auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De différents pays: Groupe de Soeurs ursulines.

De France: Pèlerins du diocèse de Beauvais; chorale de Fonsegrives; pèlerins de Paris; Institut de Droit canonique, de Strasbourg.

De Suisse: Jeunes des Paroisses de la Champagne, à Genève.

Du Canada: Etudiants de l'Université de Waterloo, Ontario.

  Chers Frères et Soeurs,

Le commandement nouveau du Seigneur nous rappelle qu'il n'est pas possible d'aimer Dieu si l'on n'aime pas ses frères. L'enseignement de l'Ecriture à ce sujet est clair. L'amour du prochain, lié à l'amour envers Dieu, est comme l'imitation et le prolongement de la bonté miséricordieuse du Père céleste, qui pourvoit aux nécessités de tous et ne fait pas de différences entre les personnes. Les deux commandements de l'amour sont la synthèse et le sommet de la Loi et des Prophètes. Seul celui qui les pratique n'est pas loin du royaume de Dieu.

Saint Paul nous dit que la charité divine, âme de tout acte de vertu, est le fruit par excellence de l'Esprit Saint. Dans la première lettre aux Corinthiens, l'hymne à la charité célèbre le primat de l'amour sur tous les autres dons, même sur la foi et l'espérance. La charité ne passera jamais.

L'amour envers le prochain a aussi une connotation christologique, car il doit se modeler sur le don que le Christ a fait de sa vie. Seul celui qui se laisse toucher par son prochain et par ses besoins montre concrètement son amour pour Jésus. La fermeture et l'indifférence envers "l'autre" est fermeture à l'Esprit Saint, oubli du Christ et négation de l'amour universel du Père.

Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin, particulièrement les professeurs et les étudiants de l'Institut de Droit canonique de Strasbourg. Je leur souhaite de découvrir toujours plus dans le Christ la source de leur amour envers le prochain. A tous, je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.

  


Catéchèses S. J-Paul II 29999