Catéchèses S. J-Paul II 27109

Mercredi 27 octobre 1999 L'amour préférentiel pour les pauvres

27109   Lecture: (Mt 25,31 Mt 25,34-36)

1. Le Concile Vatican II souligne une dimension spécifique de la charité qui nous conduit, sur l'exemple du Christ, à aller en particulier à la rencontre des plus pauvres: "Comme le Christ... a été envoyé par le Père "pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, guérir les coeurs meurtris" (Lc 4,18), "chercher et sauver ce qui était perdu" (Lc 19,10): de même l'Eglise enveloppe de son amour tous ceux que la faiblesse humaine afflige, bien plus, dans les pauvres et les souffrants elle reconnaît l'image de son fondateur pauvre et souffrant, elle s'efforce de soulager leur misère, et en eux c'est le Christ qu'elle veut servir" (Lumen gentium LG 8).

Nous voulons aujourd'hui approfondir l'enseignement de l'Ecriture Sainte sur les motivations de l'amour préférentiel pour les pauvres.

2. Il faut tout d'abord observer que, de l'Ancien au Nouveau Testament, il y a un progrès dans l'évaluation du pauvre et de sa situation. Dans l'Ancien Testament apparaît souvent la conviction humaine commune selon laquelle la richesse est meilleure que la pauvreté et représente la juste récompense réservée à l'homme droit et qui craint Dieu: "Heureux l'homme qui craint Yahvé, et se plaît fort à ses préceptes... Opulence et bien-être en sa maison" (Ps 112,3). La pauvreté est considérée comme une punition pour qui refuse l'instruction de la sagesse (cf. Pr Pr 13,18).

Mais, d'un autre point de vue, le pauvre devient l'objet d'une attention particulière en tant que victime d'une injustice perverse. Les invectives des prophètes contre l'exploitation des pauvres sont célèbres. Le prophète Amos (cf. Am Am 2,6-15) place l'oppression du pauvre parmi les chefs d'imputation contre Israël: "Parce qu'ils vendent le juste à prix d'argent et le pauvre pour une paire de sandale; parce qu'ils écrasent la tête des faibles sur la poussière de la terre et qu'ils font dévier la route des humbles" (ibid., vv. Am Am 2,6-7). Le lien de la pauvreté avec l'injustice est également souligné dans Isaïe: "Malheur à ceux qui décrètent des décrets d'iniquité, qui écrivent des rescrits d'oppression pour priver les faibles de justice et frustrer de leur droit les humbles de mon peuple, pour faire des veuves leur butin et dépouiller les orphelins" (Is 10,1-2).

Cette relation explique également pourquoi abondent les lois en défense des pauvres et de ceux qui sont socialement plus faibles: "Vous ne maltraiterez pas une veuve ni un orphelin. Si tu le maltraites et qu'il crie vers moi, j'écouterai son cri" (Ex 22,21-22 cf. Pr Pr 22,22-23 Si 4,1-10). Défendre le pauvre, c'est honorer Dieu, père des pauvres. C'est pourquoi la générosité à leur égard est justifiée et recommandée (cf. Dt Dt 15,1-11 Dt 24,10-15 Pr 14,21 Pr 17,5).

Dans l'approfondissement progressif du thème de la pauvreté, on peut voir que celle-ci assume peu à peu une valeur religieuse. Dieu parle de "ses" pauvres (cf. Is Is 49,13) qui finissent par être identifiés avec le "reste d'Israël", peuple humble et pauvre, selon une expression du prophète Sophonie (cf. So So 3,12). On dit également du futur Messie qu'il prendra à coeur les pauvres et les opprimés, comme le dit Isaïe dans le célèbre texte concernant le surgeon qui naîtra de la souche de Jessé: "Il jugera les faibles avec justice, il rendra une sentence équitable pour les humbles du pays" (Is 11,4).

3. C'est pourquoi dans le Nouveau Testament, on annonce aux pauvres l'heureux message de la libération, comme Jésus lui-même le souligne, en appliquant à sa personne la prophétie du Livre d'Isaïe: "L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur" (Lc 4,18 cf. Is Is 61,1-2).

Il faut adopter l'attitude intérieure du pauvre pour pouvoir participer au "royaume des cieux" (cf. Mt Mt 5,3 Lc 6,20). Dans la parabole du grand dîner, les pauvres sont invités au banquet avec les estropiés, les aveugles, les boiteux, en somme avec les catégories sociales qui souffrent le plus et qui sont marginalisées (cf. Lc Lc 14,21). Saint Jacques dira que Dieu "n'a-t-il pas choisi les pauvres selon le monde comme riches dans la foi et héritiers du Royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment?" (Jc 2,5).

4. La pauvreté "évangélique" implique toujours un grand amour envers les plus pauvres de ce monde. En cette troisième année de préparation au grand Jubilé, il faut redécouvrir Dieu comme Père providentiel qui se penche sur les souffrances humaines pour soulager ceux qui en sont affligés. Notre charité doit également se traduire en partage et en promotion humaine, comprise comme croissance intégrale de chaque personne.

La radicalité évangélique a poussé de nombreux disciples de Jésus, au cours de l'histoire, à rechercher la pauvreté au point de vendre leurs propres biens et de les donner en aumône. La pauvreté devient une vertu qui, outre ici soulager le destin du pauvre, se transforme en chemin spirituel grâce auquel on peut se procurer la véritable richesse, c'est-à-dire un trésor inépuisable dans les cieux (cf. Lc Lc 12,32-34). La pauvreté matérielle n'est jamais une fin en soi, mais un moyen pour suivre le Christ, qui, comme le rappelle Paul aux Corinthiens, "pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté" (2Co 8,9).

5. Je ne peux pas manquer de faire remarquer ici, encore une fois, que les pauvres constituent le défi d'aujourd'hui, en particulier pour les peuples développés de notre planète, où des millions de personnes vivent dans des conditions inhumaines et meurent littéralement de faim. Annoncer Dieu le Père à ces frères n'est pas possible sans l'engagement à collaborer au nom du Christ à la construction d'une société plus juste.

Depuis toujours, et de façon particulière avec son magistère social, de Rerum novarum à Centesimus annus, l'Eglise s'est prodiguée pour affronter le thème des plus pauvres. Le grand Jubilé de l'An 2000 doit être vécu comme une occasion supplémentaire de profonde conversion des coeurs, pour que l'esprit suscite dans cette direction de nouveaux témoins. Les chrétiens, avec tous les hommes de bonne volonté, devront contribuer, à travers des programmes économiques et politiques adéquats, à ces changements structurels si nécessaires, afin que l'humanité soit débarrassée du fléau de la pauvreté (cf. CA CA 57).

                                   * * *

Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 27 octobre 1999 se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Lycée Anne-Marie Javouhey, de Chamblanc; pèlerinage du diocèse de Soissons, guidé par l'Evêque Mgr Marcel Herriot; groupe de Riceys dans l'Aube.

De Belgique: Groupe de pèlerins.

Chers frères et soeurs,

L'amour préférentiel de l'Eglise pour les pauvres est une tradition constante dans l'Eglise. Déjà, les prophètes de l'Ancien Testament dénonçaient l'oppression et l'injustice qui frappaient les plus démunis et les plus faibles; une série de normes visaient à leur défense, car défendre le pauvre, c'est honorer Dieu, père des pauvres. Cet amour préférentiel s'inspire de l'attitude même du Christ, envoyé par le Père pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres (cf. Lc Lc 4,18), s'identifiant aux plus petits d'entre ses frères. A l'approche du grand Jubilé, il importe que nous redécouvrions Dieu comme un Père aimant. Notre charité doit se traduire par le partage et par la promotion de l'homme; la pauvreté reste un défi pour le monde, principalement pour les pays développés. Dans ce domaine, les chrétiens et les hommes de bonne volonté doivent collaborer à la mise en place de programmes politiques et économiques appropriés. Annoncer l'Evangile aux pauvres suppose que, au nom du Christ, nous travaillions à une société plus juste. Le grand Jubilé doit être l'occasion d'une conversion des coeurs pour que l'Esprit suscite de nouveaux témoins de la charité.

J'accueille avec joie les pèlerins d'expression française, notamment Monseigneur Herriot, Evêque de Soissons, et ses diocésains. Que leur pèlerinage sur les pas de Pierre et Paul ravive leur foi au Christ! A tous, j'accorde ma Bénédiction apostolique!



Mercredi 3 novembre 1999 S'engager à réduire la dette internationale des pays pauvres

31199
  Lecture: (Lv 25,10-13)


1. "Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire..." (Mt 25,34-35).

Cette parole évangélique nous aide à donner un caractère concret à notre réflexion sur la charité, en nous invitant à définir, selon les indications de Tertio millennio adveniente (cf. TMA TMA 51), des projets d'engagement particulièrement en harmonie avec l'esprit du grand Jubilé que nous nous apprêtons à célébrer.

Dans ce but, il est opportun de rappeler le Jubilé biblique. Décrit dans le livre du Lévitique au chapitre 25, par certains aspects il reprend et exprime de façon plus complète la fonction de l'année sabbatique (cf. Lv Lv 25,2-7 Lv Lv 25,18-22), qui est l'année au cours de laquelle on doit s'abstenir de cultiver la terre. L'année jubilaire a lieu après une période de 49 ans. Elle est elle aussi caractérisée par l'abstention de la culture du sol (cf. Lv Lv 25,8-12), mais comporte deux règles au bénéfice des Israéliens. La première concerne la récupération des propriétés foncières et immobilières (cf. vv. Lv Lv 25,13-17 Lv Lv 25,23-34); la seconde concerne la libération de l'esclave israélite qui s'est vendu pour dette à l'un de ses compatriotes (cf. vv. Lv Lv 25,39-55).


2. Le jubilé chrétien, tel qu'on a commencé à le célébrer à partir de Boniface VIII, en 1300, possède un caractère spécifique, mais il ne manque pas d'aspects qui reprennent ceux du jubilé biblique.

En ce qui concerne la possession des biens immobiliers, la règle du jubilé reposait sur le principe selon lequel la "terre appartient à Dieu" et est donc donnée au bénéfice de toute la communauté. C'est pourquoi, si un Israélite avait aliéné son terrain, l'année jubilaire lui permettait d'en retrouver la possession. "La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m'appartient et vous n'êtes pour moi que des étrangers et des hôtes. Pour toute propriété foncière vous laisserez un droit de rachat sur le fonds" (Lv 25,23-24).

Le jubilé chrétien se réfère avec une conscience toujours plus grande aux valeurs sociales du jubilé biblique qu'il désire interpréter et reproposer dans le contexte contemporain, en réfléchissant sur les exigences du bien commun et sur la destination universelle des biens de la terre. C'est précisément dans cette perspective que j'ai proposé dans Tertio millennio adveniente que le Jubilé soit vécu comme "un moment favorable pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale qui pèse sur le destin de nombreuses nations" (TMA 51).


3. Paul VI, dans l'Encyclique Populorum progressio, affirma à propos de ce problème caractéristique de tant de pays économiquement faibles, qu'il fallait un dialogue entre ceux qui fournissent les moyens et ceux auxquels ils sont destinés, de façon à "mesurer les apports, non seulement selon la générosité et les disponibilités des uns, mais aussi en fonction des besoins réels et des possibilités d'emploi des autres. Les pays en voie de développement ne risqueront plus dès lors d'être accablés de dettes dont le service absorbe le plus clair de leurs gains" (PP 54). Dans l'Encyclique Sollicitudo rei socialis, j'ai malheureusement dû remarquer que les nouvelles conditions, tant dans les pays endettés que sur le marché financier international, ont fait en sorte que le financement lui-même devienne un "mécanisme à effet contraire", et cela "parce que, d'une part, les pays débiteurs, pour satisfaire le service de la dette, se voient dans l'obligation d'exporter des capitaux qui seraient nécessaires à l'accroissement ou tout au moins au maintien de leur niveau de vie, et parce que, d'autre part, pour la même raison, ils ne peuvent obtenir de nouveaux financements également indispensables" (SRS 19).


4. Le problème est complexe et difficile à résoudre. Il doit toutefois être clair qu'il n'est pas seulement de caractère économique, mais qu'il touche des principes éthiques fondamentaux et qu'il doit trouver sa place dans le droit international, pour être affronté et résolu de façon adéquate selon des perspectives à moyen et à long terme. Il faut appliquer une "éthique de la survie" qui réglemente les relations entre créditeurs et débiteurs, pour que le débiteur en difficulté ne soit pas soumis à des pressions insupportables. Il s'agit d'éviter les spéculations abusives, de trouver des solutions grâce auxquelles ceux qui prêtent soient davantage rassurés et ceux qui reçoivent se sentent engagés à effectuer des réformes globales effectives en ce qui concerne l'aspect politique, bureaucratique, financier et social de leur pays (cf. Conseil pontifical "Iustitia et Pax", Au service de la communauté humaine. Une approche éthique de la dette internationale, II).

Aujourd'hui, dans le contexte de l'économie "globalisée", le problème de la dette internationale devient encore plus épineux, mais cette même "globalisation" exige que l'on parcoure la route de la solidarité si l'on ne veut pas arriver à une catastrophe générale.


5. C'est précisément dans le contexte de ces déclarations que nous accueillons l'instance presque universelle qui nous parvient des récents synodes, de nombreuses Conférences épiscopales ou de nos frères évêques, ainsi que de nombreux représentants de religieux, prêtres et laïcs, à lancer un appel vibrant afin que soient effacées partiellement ou même totalement les dettes contractées au niveau international. Demander des paiements avec des taux d'intérêt exorbitants obligerait à des choix politiques qui réduiraient à la faim et à la misère des populations entières.

Cette perspective de solidarité, que j'ai eu l'occasion de présenter dans l'Encyclique Centesimus annus (cf. CA CA 35), est devenue encore plus urgente dans la situation mondiale de ces dernières années. Le Jubilé peut constituer une occasion propice pour effectuer des gestes de bonne volonté: que les pays les plus riches donnent des signes de confiance à l'égard du redressement économique des nations les plus pauvres; que les agents du marché sachent que dans le vertigineux processus de globalisation économique, il n'est pas possible de se mettre à l'abri tout seul. Que le geste de bonne volonté d'effacer les dettes, ou tout au moins de les réduire, soit le signe d'une nouvelle façon de considérer la richesse en fonction du bien commun.

                                   * * *

Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 3 novembre 1999, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Pèlerinage de l'Alliance des directeurs et directrices de l'enseignement chrétien de France, conduit par S.Exc. Mgr Pican; pèlerinage des diocèses d'Autun; Evry-Corbeil-Essonnes, conduit par S.Exc. Mgr Herbulot; paroisse Notre-Dame de la Couture, du Mans; Aumônerie de l'enseignement public de Montluçon; Ecole Notre-Dame des Missions, de Charenton-le-Pont; groupe de pèlerins de Paris.

Chers frères et soeurs,

Le Jubilé chrétien se réfère au jubilé biblique; il est en relation avec les exigences du bien commun et avec la destination universelle des biens de la terre. Dans cet esprit, j'ai proposé que le Jubilé soit un moment favorable pour envisager une réduction importante, sinon un effacement total de la dette internationale qui pèse sur de nombreux pays (cf. Tertio millennio adveniente TMA 51).

Cette question très complexe concerne les principes éthiques fondamentaux; elle doit avoir une place dans le droit international, pour trouver des solutions à moyen et à long terme. Une «éthique de la survie» doit régler les rapports entre créditeurs et débiteurs, pour que ces derniers ne soient pas soumis à des pressions insupportables. Dans une économie «mondialisée», le problème exige une véritable solidarité si l'on ne veut pas arriver à une catastrophe générale.

A la suite des récents synodes et de nombreux milieux ecclésiaux, je reprends volontiers l'appel vibrant à la remise partielle ou même totale des dettes contractées au niveau international. Le Jubilé est une occasion propice pour des gestes de bonne volonté qui seront le signe d'une façon nouvelle de considérer les richesses en fonction du bien commun.

Je salue cordialement les francophones présents ce matin, en particulier Monseigneur Pican et Mgr Herbulot et les chefs d'établissements catholiques venus de France avec leurs familles pour leur assemblée générale et pour un pèlerinage aux sources de la foi. Je les invite à vivre pleinement leur vocation de baptisés dans leurs responsabilités au service de l'éducation humaine et chrétienne de la jeunesse. Je salue aussi tous les jeunes. A tous, je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.



Mercredi 17 novembre 1999 Voyage apostolique en Inde et en Géorgie

17119 1. Je désire aujourd'hui m'arrêter sur la visite que j'ai accomplie ces derniers jours en Inde et en Géorgie. Revenir sur ce voyage m'offre l'occasion de rendre grâce en premier lieu au Père Céleste «pour qui et par qui sont toutes choses» (He 2,10). Avec son aide, j'ai pu également affronter cette tâche de mon service à l'Evangile et à la cause de l'unité des chrétiens.

La première étape de mon pèlerinage spirituel a été la ville de New Delhi, en Inde, pour la signature et la promulgation de l'Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Asia, dans laquelle nous avons recueilli les fruits de l'étude et des propositions de l'Assemblée spéciale du Synode des Evêques pour l'Asie, qui s'est déroulée à Rome en 1998. L'Inde est le berceau d'antiques cultures, religions et traditions spirituelles, qui continuent à modeler la vie de millions de personnes, dans un contexte social caractérisé depuis des siècles par un niveau élevé de tolérance réciproque. Le christianisme, qui constitue une partie considérable de cette histoire de relations pacifiques, y est présent, selon les chrétiens de l'Inde méridionale, depuis la prédication de l'Apôtre Thomas lui-même.

Aujourd'hui, cet esprit de respect réciproque se trouve en difficulté par certains aspects, et il était donc important de réaffirmer le vif désir de l'Eglise d'un dialogue fructueux entre les fidèles de toutes les religions, qui conduise à des relations renouvelées de compréhension et de solidarité au service de toute la famille humaine.

2. Le document synodal Ecclesia in Asia nous aide à comprendre que ce dialogue interreligieux et le mandat de l'Eglise d'annoncer l'Evangile jusqu'aux extrémités de la terre ne s'excluent pas réciproquement, mais au contraire se complètent. D'une part, la proclamation de l'Evangile du salut en Jésus-Christ doit toujours être faite dans le profond respect de la conscience de ceux qui écoutent, et dans le respect de tout ce qu'il y a de bon et de sain dans la culture et dans la tradition religieuse à laquelle ils appartiennent (cf. Nostra aetate NAE 2). De l'autre, la liberté de conscience et le libre exercice de la religion dans la société sont des droits humains fondamentaux, qui plongent leurs racines dans la valeur et dans la dignité inhérente à chaque personne, reconnue dans de nombreux Documents et Accords internationaux, y compris la Déclaration universelle des Droits de l'Homme.

Je me rappelle avec un vif plaisir de la Messe que j'ai concélébrée avec de nombreux évêques de l'Inde et de tant de pays d'Asie dans le Stade «Jawaharlal Nerhu», le dimanche 7 novembre. Je remercie encore S.Exc. Mgr Alan de Lastic et l'archidiocèse de Delhi pour l'organisation de la liturgie solennelle, qui s'est distinguée par une participation vivante et pieuse, égayée par des chants choisis avec un grand soin et par des danses traditionnelles locales multicolores. Le thème de la Messe a été: Jésus-Christ véritable lumière du monde, qui s'est incarné en terre d'Asie. Au cours de cette célébration eucharistique, la communauté catholique de l'Inde représentait, d'une certaine manière, tous les catholiques de l'Asie, auxquels j'ai confié l'Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Asia, en tant que guide pour leur croissance spirituelle, au seuil du nouveau millénaire. Je suis certain que, avec la grâce de Dieu, ils sauront être fermes et fidèles!

3. La seconde étape de mon voyage a été la Géorgie, pour rendre les visites que le Président Chevardnadze et Sa Sainteté Ilia II, Patriarche-Catholicos de toute la Géorgie avaient accomplies auparavant à Rome. Mon ardent désir était de rendre hommage au témoignage que l'Eglise de Géorgie a donné au cours des siècles et de construire de nouveaux points de contacts entre les chrétiens de façon à ce que, au début du troisième millénaire, ils puissent ensemble s'efforcer de proclamer l'Evangile au monde, d'un seul coeur et d'une seule âme.

La Géorgie vit actuellement une période très importante. En effet, alors qu'elle se prépare à célébrer le 3000 e anniversaire de son histoire dans un contexte d'indépendance retrouvée, elle doit faire face à de grands défis économiques et sociaux. Elle est cependant déterminée à les affronter avec courage, pour devenir un membre digne de confiance de l'Europe unie. La Géorgie chrétienne compte une histoire millénaire et glorieuse, qui commence au IV e siècle, lorsque le témoignage d'une femme, sainte Nino, convertit le roi Mirian et toute la nation au Christ. A partir de cette époque, une florissante tradition monastique a donné à cette terre des monuments durables de culture, de civilisation et d'architecture religieuse, comme la cathédrale de Mtsketa, que j'ai pu visiter en compagnie du Patriarche-Catholicos, après la rencontre cordiale que j'ai eue personnellement avec lui.

4. Et à présent, après soixante-dix ans de répression communiste soviétique, au cours desquels de nombreux martyrs, orthodoxes et catholiques, donnèrent un témoignage héroïque de leur foi, la petite mais fervente communauté catholique du Caucase renforce progressivement sa vie et ses structures. La joie que j'ai constatée chez les prêtres, les religieux et les laïcs, qui s'étaient rassemblés en nombre inattendu pour la Messe dans le stade de Tbilissi, constitue un signe d'espérance certaine pour l'avenir de l'Eglise dans toute cette région. La rencontre avec celle-ci dans l'église des saints Pierre et Paul à Tbilissi, l'unique église catholique restée ouverte au cours de la période du totalitarisme, a été une occasion particulièrement joyeuse. Je prie afin que les catholiques de la Géorgie soient toujours en mesure d'offrir leur contribution spécifique à la construction de leur patrie.

Un moment de réflexion intense a été la rencontre avec les hommes et les femmes du monde de la culture, de la science et de l'art, présidée par le Président Chevardnadze, et qui s'est également déroulée en présence du Patriarche-Catholicos, pour réfléchir sur la vocation spécifique de la Géorgie, en tant que carrefour entre l'Est et l'Ouest. Comme je l'ai rappelé au cours de cette rencontre, le siècle qui va se conclure, marqué par de multiples ombres, mais également rempli de lumières, se dresse pour témoigner de la force indomptable de l'esprit humain, qui réussit à triompher sur ce qui cherche à étouffer l'aspiration à la liberté et à la vérité à laquelle l'homme ne peut pas renoncer.

5. Je remercie les Autorités civiles et tous ceux qui, dans les deux pays, ont travaillé pour rendre cette visite fructueuse et sereine. Avec une âme émue et reconnaissante, je pense aux évêques, aux prêtres, aux religieux et aux laïcs de l'Inde et de la Géorgie et je conserve de tous un souvenir inoubliable.

A Marie, Mère de l'Eglise, je confie ceux que j'ai eu l'occasion de rencontrer; je Lui recommande l'Eglise qui est en Asie et dans le Caucase «m'en remettant pleinement à son oreille qui toujours écoute, à son coeur qui toujours accueille, à sa prière qui jamais ne fait défaut» (Ecclesia in Asia ).

                                   * * *

Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 17 novembre 1999, se trouvaient les groupes suivants auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Ecole Notre-Dame des Missions, de Charenton-le-Pont; Lycée Cité scolaire internationale, de Lyon.

Chers Frères et Soeurs,

Je voudrais revenir aujourd'hui sur mon récent voyage en Inde et en Géorgie, qui m'a permis d'accomplir mon ministère au service de l'Evangile et de la cause de l'unité des chrétiens.

Ma visite en Inde avait pour but la signature et la publication de l'exhortation apostolique Ecclesia in Asia, qui recueille les fruits de l'Assemblée spéciale pour l'Asie du Synode des Evêques, réunie à Rome en 1998. Ce document nous aide à comprendre que le dialogue interreligieux et le mandat qu'a reçu l'Eglise d'annoncer l'Evangile ne s'excluent pas l'un l'autre. La proclamation du salut doit se faire dans un profond respect des consciences; par ailleurs, la liberté de conscience et le libre exercice de la religion font partie des droits humains fondamentaux.

En rendant les visites que m'avaient faites à Rome le Président Chevardnadze et Sa Sainteté Ilia II, j'ai voulu rendre hommage au témoignage que l'Eglise de Géorgie a donné depuis des siècles et aussi créer de nouveaux liens entre les chrétiens, pour qu'ensemble ils puissent proclamer l'Evangile d'un seul coeur et d'une seule âme.

Je rends grâce à Dieu pour cette visite en Inde et en Géorgie, et je remercie tous ceux qui, dans les deux pays, ont permis qu'elle soit bénéfique.

  J'accueille avec plaisir les pèlerins de langue française. Je salue particulièrement les élèves et les professeurs de l'école Notre-Dame des Missions de Charenton-le-Pont ainsi que tous les jeunes. Je leur souhaite de fortifier toujours plus leur amour du Christ et de l'Eglise. A tous je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.



Mercredi 24 novembre 1999 La promotion de la femme

24119
  Lecture: Gn 1,26-28


1. Parmi les défis du moment historique actuel sur lesquels le grand Jubilé nous pousse à réfléchir, j'ai indiqué, dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, celui qui est lié au respect des droits de la femme (cf. TMA TMA 51). Je désire aujourd'hui rappeler quelques aspects de la problématique féminine, sur laquelle, du reste, je n'ai déjà pas manqué d'intervenir en d'autres occasions.

L'Ecriture Sainte jette une lumière importante sur le thème de la promotion de la femme, en indiquant le projet de Dieu sur l'homme et sur la femme dans les deux récits de la création.

Dans le premier, il est affirmé: "Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa" (Gn 1,27). Il s'agit d'une affirmation qui se trouve à la base de l'anthropologie chrétienne, car elle indique le fondement de la dignité de l'homme en tant que personne dans son être créé "à l'image" de Dieu. Dans le même temps, le texte dit avec clarté que ni l'homme, ni la femme ne sont séparément à l'image du Créateur, mais l'homme et la femme le sont dans leur réciprocité. Ils représentent en égale mesure le chef-d'oeuvre de Dieu.

Dans le deuxième récit de la création, à travers le symbolisme de la création de la femme née de la côte de l'homme, l'Ecriture met en évidence que l'humanité n'est, de fait, pas complète tant que la femme n'est pas créée (cf. Gn Gn 2, 18, 24). Celle-ci reçoit un nom qui, déjà dans l'assonance verbale de la langue hébraïque, indique une relation à l'homme (is/issah). "Créés ensemble, l'homme et la femme sont voulus par Dieu l'un pour l'autre" (Catéchisme de l'Eglise catholique CEC 371). Le fait que la femme soit présentée comme une "aide qui lui soit assortie" (Gn 2,18) ne doit pas être compris dans le sens où la femme est la servante de l'homme - "aide" n'équivaut pas à "serviteur", le Psalmiste dit à Dieu: "Sur toi j'ai mon appui" (Ps 70,6 cf. Ps Ps 115,9 Ps Ps 115,10 Ps Ps 115,11 Ps 118,7 Ps 146,5) -; l'expression signifie plutôt que la femme est en mesure de collaborer avec l'homme, car elle lui correspond parfaitement. La femme est un autre type de "moi" dans la commune humanité, constituée en parfaite égalité de dignité par l'homme et la femme.


2. Il faut se réjouir du fait que l'approfondissement de la "féminité" ait contribué, dans la culture contemporaine, à repenser le thème de la personne humaine en fonction du réciproque "être pour l'autre", dans la communion interpersonnelle. Aujourd'hui, concevoir la personne dans sa dimension oblative est en passe de devenir une acquisition de principe. Malheureusement, cela reste souvent lettre morte sur le plan pratique. Parmi les nombreuses agressions à la dignité humaine, il faut donc dénoncer avec force la violation courante de la dignité de la femme, qui se manifeste par l'exploitation de sa personne et de son corps. Il faut empêcher avec force toute pratique qui offense la femme dans sa liberté et sa féminité: ce qui est défini comme "tourisme sexuel", la vente de jeunes filles, la stérilisation de masse et, en général, toute forme de violence à l'égard de l'autre sexe.

L'attitude requise par la loi morale, qui prêche la dignité de la femme comme personne créée à l'image d'un Dieu-Communion, est bien différente! Il est aujourd'hui plus que jamais nécessaire de reproposer l'anthropologie biblique de la relation, qui aide à saisir de façon authentique l'identité de la personne humaine dans sa relation avec les autres personnes et en particulier entre homme et femme. Dans la personne humaine, pensée en termes de "relation", se retrouve un vestige du mystère même de Dieu, révélé dans le Christ comme unité substantielle dans la communion de trois personnes divines. A la lumière de ce mystère, on comprend bien l'affirmation de Gaudium et spes selon laquelle la personne humaine "seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé d'elle-même" (GS 24). La diversité entre l'homme et la femme rappelle l'exigence de la communion interpersonnelle, et la méditation sur la dignité et la vocation de la femme corrobore la conception de la communion de l'être humain (cf. Mulieris dignitatem MD 7).


3. C'est précisément cette attitude de communion, que la féminité évoque avec force, qui permet de repenser la paternité de Dieu, en évitant des projections figuratives de type patriarcal tellement contestées, non sans raison, dans certains courants de la littérature contemporaine. Il s'agit, en effet, de saisir le visage du Père à l'intérieur du mystère de Dieu en tant que Trinité, c'est-à-dire unité parfaite dans la distinction. La figure du Père doit être reméditée en ce qui concerne son lien avec le Fils, qui est tourné vers lui depuis l'éternité (cf. Jn Jn 1,1) dans la communion de l'Esprit Saint. Il faut également souligner que le Fils de Dieu s'est fait homme dans la plénitude des temps et qu'il est né de la Vierge Marie (cf. Ga Ga 4,4), ce qui jette également une lumière sur la féminité, en montrant en Marie le modèle de femme voulu par Dieu. En Elle, et à travers Elle, a eu lieu ce qu'il y a de plus grand dans l'histoire des hommes. La paternité de Dieu-Père se trouve non seulement en relation avec Dieu-Fils dans le mystère éternel, mais également avec son Incarnation qui a eu lieu dans le sein d'une femme. Si Dieu-Père, qui "engendre" le Fils depuis l'éternité, a valorisé une femme, Marie, pour "l'engendrer" dans le monde, la faisant ainsi devenir "Theotokos", Mère de Dieu, cela n'est pas sans signification pour comprendre la dignité de la femme dans le projet divin.


4. C'est pourquoi, l'annonce évangélique de la paternité de Dieu, loin de constituer une limitation à l'égard de la dignité et du rôle de la femme, se présente au contraire comme une garantie de ce que la "féminité symbolise humainement, c'est-à-dire accueillir, prendre soin de l'homme, engendrer la vie. Tout cela est en effet enraciné de façon transcendante dans le mystère de "l'engendrement" divin éternel. La paternité en Dieu est certes entièrement spirituelle. Toutefois, elle exprime cette réciprocité éternelle et cette relation proprement trinitaire qui se trouve à l'origine de toute paternité et fonde la commune richesse de l'homme et de la femme.

La réflexion sur le rôle et la mission de la femme se situe donc à juste titre dans cette année consacrée au Père, en nous incitant à un engagement encore plus incisif, pour que soit reconnu à la femme toute la place qui lui revient dans l'Eglise et dans la société.


                               * * *


Parmi les pèlerins de langue française qui assistaient à l'Audience générale du 24 novembre 1999, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupe de jeunes de Melun.

De Belgique: Groupe du Mouvement mondial des Travailleurs chrétiens.


Chers frères et soeurs,

Le grand Jubilé est une occasion pour affronter les défis de notre époque, notamment celui qui est lié au respect des droits de la femme. Le Livre de la Genèse affirme que Dieu créa l'homme à son image, qu'il les créa homme et femme, manifestant ainsi qu'ils sont véritablement à l'image de Dieu dans leurs relations réciproques.

Comme on note aujourd'hui encore de nombreuses violations de la dignité de la femme, qui offensent sa liberté et sa féminité, il importe donc de proposer l'anthropologie biblique de la relation. Celle-ci doit aider à reconnaître de manière authentique l'identité de la personne dans son rapport avec les autres, en particulier entre homme et femme, relation qui renvoie au mystère même de Dieu, révélé par le Christ comme unité dans la communion trinitaire.

La paternité de Dieu, qui exprime la réciprocité trinitaire, est à l'origine de toute paternité et de toute maternité; elle fonde la richesse commune des caractères masculin et féminin. La réflexion sur le rôle et la mission de la femme est importante au cours de l'année consacrée au Père, invitant nos contemporains à un engagement encore plus fort pour que l'espace qui lui revient soit toujours plus reconnu à la femme, dans l'Eglise et dans la société.

                                     
J'accueille avec plaisir les pèlerins francophones, en particulier le groupe du Mouvement mondial des Travailleurs chrétiens et la délégation des jeunes de Melun. J'accorde à tous de grand coeur la Bénédiction apostolique.

  



Catéchèses S. J-Paul II 27109