Catéchèses S. J-Paul II 12010

Mercredi 12 Janvier 2000

12010
  Lecture:
Jn 19,25-27

1. Pour compléter notre réflexion sur Marie, en conclusion du cycle de catéchèses consacrées au Père, nous voulons aujourd'hui souligner son rôle au cours de notre chemin vers le Père.
C'est lui-même qui a voulu la présence de Marie dans l'histoire du salut. Lorsqu'il a décidé d'envoyer son Fils dans le monde, il a voulu qu'il vienne à nous en naissant d'une femme (cf. Ga Ga 4,4). Il a également voulu que cette femme, la première à accueillir son Fils, le communiquât à toute l'humanité.

Marie se trouve donc sur le chemin qui va du Père à l'humanité comme Mère qui donne son Fils Sauveur à tous. Dans le même temps, Elle se trouve sur le chemin que les hommes doivent parcourir pour aller au Père, au moyen du Christ dans l'Esprit (cf. Ep Ep 2,18).


2. Pour comprendre la présence de Marie dans l'itinéraire vers le Père, nous devons reconnaître avec toutes les Eglises que le Christ est "le chemin, la vérité et la vie" (Jn 14,6) et l'unique Médiateur entre Dieu et les hommes (cf. 1Tm 2,5). Marie est insérée dans l'unique médiation du Christ et se trouve totalement à son service. En conséquence, comme le Concile l'a souligné dans Lumen gentium, "le rôle maternel de Marie à l'égard des hommes n'offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ: il en manifeste au contraire la vertu" (n. 60). Nous sommes bien loin d'affirmer un rôle de Marie dans la vie de l'Eglise en dehors de la médiation du Christ ou à côté de celle-ci, comme s'il s'agissait d'une médiation parallèle ou concurrente.

Comme je l'ai dit explicitement dans l'Encyclique Redemptoris Mater, la médiation maternelle de Marie "est une médiation dans le Christ" (RMA 38). Le Concile explique: "Car toute influence salutaire de la part de la bienheureuse Vierge sur les hommes a sa source dans une disposition purement gratuite de Dieu: elle ne naît pas d'une nécessité objective, mais découle de la surabondance des mérites du Christ; elle s'appuie sur sa médiation, dont elle dépend en tout et d'où elle tire toute sa vertu; l'union immédiate des croyants avec le Christ ne s'en trouve en aucune manière empêchée, mais au contraire aidée" (LG 60).

Marie est elle aussi rachetée par le Christ, elle est même la première des rachetés, car la grâce que Dieu le Père Lui a accordée au début de son existence est due aux "mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain", comme l'affirme la bulle Ineffabilis Deus de Pie IX (DS 2803). Toute la coopération de Marie au salut est fondée sur la médiation du Christ qui, comme le précise encore le Concile, "n'exclut pas, mais suscite au contraire une coopération variée de la part des créatures, en dépendance de l'unique source" (LG 62).

Considérée dans cette perspective, la médiation de Marie apparaît comme le fruit le plus élevé de la médiation du Christ et vise essentiellement à rendre plus intime et profonde notre rencontre avec Lui: "Ce rôle subordonné de Marie, l'Eglise le professe sans hésitation; elle ne cesse d'en faire l'expérience; elle le recommande au coeur des fidèles pour que cet appui et ce secours maternels les aident à s'attacher plus intimement au Médiateur et Sauveur" (ibid.).


3. En réalité, Marie ne veut pas attirer l'attention sur sa personne. Elle a vécu sur terre avec le regard tourné vers Jésus et vers le Père céleste. Son plus grand désir est de faire converger les regards de chacun dans la même direction. Elle veut promouvoir un regard de foi et d'espérance dans le Sauveur que le Père nous a envoyé.

Elle fut le modèle d'un regard de foi et d'espérance surtout quand, lors de la tempête de la passion de son Fils, elle conserva dans son coeur une foi totale en Lui et dans le Père. Alors que les disciples bouleversés par les événements furent profondément ébranlés dans leur foi, Marie, bien qu'éprouvée par la douleur, conserva intacte la certitude que la prédiction de Jésus se serait réalisée: "Le Fils de l'homme [...] le troisième jour ressuscitera" (Mt 17,22-23). Une certitude qui ne l'abandonna pas même lorsqu'elle accueillit entre ses bras le corps sans vie de son fils crucifié.


4. Avec ce regard de foi et d'espérance, Marie encourage l'Eglise et les croyants à toujours accomplir la volonté du Père, que le Christ nous a manifestée.

Les paroles adressées aux serviteurs, lors du miracle de Cana, retentissent pour chaque génération de chrétiens: "Faites tout ce qu'il vous dira" (Jn 2,5).

Son conseil fut suivi, lorsque les serviteurs remplirent les jarres jusqu'au bord. Marie nous adresse aujourd'hui la même invitation. Il s'agit d'une exhortation à entrer dans la nouvelle période de l'histoire avec la décision de réaliser tout ce que le Christ a dit dans l'Evangile, au nom du Père, et nous suggère actuellement à travers l'Esprit qui habite en nous.

Si nous faisons ce que nous dit le Christ, le Millénaire qui commence pourra prendre un visage nouveau, plus évangélique et plus authentiquement chrétien, et répondre ainsi à l'aspiration la plus profonde de Marie.


5. Les paroles: "Faites tout ce qu'il vous dira", en nous indiquant le Christ nous rappellent donc également le Père, vers lequel nous nous acheminons. Elles coïncident avec la voix du Père qui a retenti sur le mont de la Transfiguration:  "Celui-ci est mon Fils bien-aimé [...] écoutez-le" (Mt 17,5). Ce même Père, avec la parole du Christ et la lumière de l'Esprit Saint, nous appelle, nous guide, nous attend.

Notre sainteté consiste à faire tout ce que le Père nous dit. C'est là que se trouve la valeur de la vie de Marie: l'accomplissement de la volonté divine. Accompagnés et soutenus par Marie, nous recevons avec reconnaissance le nouveau Millénaire des mains du Père et nous nous engageons à répondre à sa grâce avec un humble et généreux dévouement.

                                * * *

De France: Groupes de pèlerins de Paris et de Bayonne.

Salut en langue française

Chers frères et soeurs,

Si Jésus est l'unique médiateur des hommes, la Vierge Marie, en nous donnant le Fils de Dieu venu pour nous sauver, a aussi un rôle à jouer dans notre marche vers le Père. Sa médiation maternelle est une médiation dans le Christ, une participation à l'unique source qu'est le Christ. C'est pourquoi l'Eglise recommande aux fidèles de recourir à Marie pour qu'ils s'attachent plus intimement au Christ.

Marie a toujours vécu avec le regard tourné vers le Christ et vers le Père. Elle est un modèle de foi et d'espérance, surtout lors de la passion de son Fils. Elle encourage l'Eglise et les croyants à accomplir sans cesse la volonté du Père. Lorsqu'elle s'adresse aux serviteurs, à Cana, en leur disant: "Faites tout ce qu'il vous dira", elle exhorte toutes les générations à vivre en conformité avec ce que, au nom du Père, le Christ dit dans l'Evangile, dévoilé aujourd'hui par l'Esprit qui habite en nous. Puissions-nous accueillir la nouvelle année, en nous engageant, comme Marie, à faire la volonté de Dieu!

                                   * * *
J'adresse un salut cordial aux pèlerins de langue française. Je leur souhaite de faire du grand Jubilé un temps de grâce et de réconciliation, les exhortant à suivre fidèlement le Christ, la Porte qui mène à Dieu. Avec la Bénédiction apostolique.
  





Mercredi 19 Janvier 2000


19010
Lecture:
Jn 1,1-3

1. "Trinité surexistentielle, infiniment divine et bonne, gardienne de la sagesse divine des chrétiens, conduis-nous au-delà de toute lumière et de tout ce qui est inconnu, jusqu'à la cime la plus haute des Ecritures mystiques, là où les mystères simples, absolus et incorruptibles de la théologie se révèlent dans les ténèbres lumineuses du silence". Avec cette invocation de Denys l'Aréopage, théologien de l'Orient (Théologie mystique, I, 1), nous commençons à parcourir un itinéraire difficile, mais fascinant, dans la contemplation du mystère de Dieu. Après nous être arrêtés ces dernières années sur chacune des trois personnes divines - le Fils, l'Esprit, le Père - nous nous proposons en cette année jubilaire d'embrasser d'un unique regard la gloire commune des Trois qui sont un unique Dieu "non dans l'unité d'une seule personne, mais dans la Trinité d'une seule substance" (Préface de la solennité de la Très Sainte Trinité). Ce choix correspond à l'orientation offerte par la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, qui présente comme objectif de la phase célébrative du grand Jubilé "la glorification de la Trinité, dont tout provient et vers laquelle tout s'oriente dans le monde et dans l'histoire" (TMA 55).


2. En nous inspirant de l'image offerte par le Livre de l'Apocalypse (cf. Ap Ap 22,1), nous pourrions comparer ce parcours au voyage d'un pèlerin le long des rives du fleuve de Dieu, c'est-à-dire de sa présence et de sa révélation dans l'histoire des hommes.

Aujourd'hui, en effectuant une synthèse idéale de ce chemin, nous nous arrêterons sur deux points extrêmes de ce fleuve: sa source et son estuaire, en les unissant entre eux dans un unique horizon. La Trinité divine se trouve, en effet, aux origines mêmes de l'être et de l'histoire du salut. Entre ces deux extrêmes, le jardin de l'Eden (cf. Gn Gn 2) et l'arbre de vie de la Jérusalem céleste (cf. Ap Ap 22), s'écoule une longue histoire marquée par les ténèbres et par la lumière, par le péché et par la grâce. Le péché nous a éloignés de la splendeur du paradis de Dieu; la rédemption nous reconduit à la gloire d'un nouveau ciel et d'une nouvelle terre, où "de mort, il n'y en aura plus; de pleurs, de cris et de peine, il n'y en aura plus" (Ibid.,  Ap 21, 4).


3. Le premier regard sur cet horizon est offert par la page initiale de l'Ecriture Sainte, qui indique le moment où la puissance créatrice de Dieu tire le monde du néant: "Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre" (Gn 1,1). Ce regard s'approfondit dans le Nouveau Testament, en remontant au coeur de la vie divine, lorsque Jean, au début de son Evangile, proclame: "Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu" (Jn 1,1). Avant la création et le fondement de celle-ci, la révélation nous fait contempler le mystère de l'unique Dieu dans la Trinité des personnes: le Père et son Verbe, unis dans l'Esprit.

L'auteur biblique qui écrivit la page de la création ne pouvait pas se douter de la profondeur de ce mystère. La pure réflexion philosophique était encore moins en mesure de l'atteindre, car la Trinité est au-dessus des possibilités de notre intellect, et ne peut être connue que par révélation.

Toutefois, ce mystère qui nous dépasse infiniment est également la réalité la plus proche de nous, car elle se trouve aux sources de notre être. En effet, en Dieu "nous vivons et nous existons" (Ac 17,28), et on doit appliquer aux trois personnes divines ce que saint Augustin dit de Dieu: Il est "intimior intimo meo" (Conf. 3, 6, 11). Dans la profondeur de notre être, où notre regard lui-même ne réussi pas à arriver, la grâce rend présents le Père, le Fils, l'Esprit Saint, l'unique Dieu en trois personnes. Le mystère de la Trinité, loin d'être une vérité aride délivrée à l'intelligence, est la vie qui nous habite et nous soutient.


4. De cette vie trinitaire, qui précède et fonde la création, se développe notre contemplation en cette année jubilaire. Mystère des origines dont tout naît, Dieu nous apparaît comme Celui qui est la plénitude de l'être et qui communique l'être, comme une lumière qui "illumine chaque homme" (cf. Jn 1,9), comme Vivant et dispensateur de vie. Il nous apparaît surtout comme Amour, selon la belle définition de la première Epître de Jean (cf. 1Jn 4,8). Il est amour dans sa vie intime, où le dynamisme trinitaire est précisément l'expression de l'amour éternel avec lequel le Père engendre le Fils et avec lequel tous deux se donnent réciproquement dans l'Esprit Saint. Il est amour dans le rapport avec le monde, car la libre décision de le tirer du néant est le fruit de cet amour infini qui rayonne dans la sphère de la création. Si les yeux de notre coeur, illuminés par la révélation, sont assez purs et pénétrants, ils deviennent capables de rencontrer dans la foi ce mystère, dans lequel tout ce qui existe a sa racine et son fondement.


5. Mais comme cela a été mentionné au début, le mystère de la Trinité se trouve également devant nous, comme l'objectif vers lequel tend la création, comme la patrie à laquelle nous aspirons. Notre réflexion trinitaire, en suivant les divers domaines de la création et de l'histoire, se tournera vers cet objectif, que le Livre de l'Apocalypse nous indique avec une grande efficacité comme le sceau de l'histoire.

Telle est la deuxième et dernière partie du fleuve de Dieu, que nous venons d'évoquer. Dans la Jérusalem céleste, l'origine et la fin se rejoignent. En effet, Dieu le Père, qui est assis sur le trône, apparaît et dit: "Voici, je fais l'univers nouveau" (Ap 21,5). A ses côtés, l'Agneau est présent, c'est-à-dire le Christ, sur son trône, avec sa lumière, avec le livre de la vie qui rassemble le nom des rachetés (cf. Ibid ., Ap Ap 21,23 ., Ap Ap 21,27 Ap 22,1 Ap 22,3). Et, à la fin, dans un dialogue doux et intense, voici l'Esprit qui prie en nous et avec l'Eglise, l'épouse de l'Agneau, qui dit: "Viens, Seigneur Jésus" (cf. Ibid ., Ap Ap 22,17 ., Ap Ap 22,20).

Revenons alors, en conclusion de cette première esquisse de notre long pèlerinage dans le mystère de Dieu, à la prière de Denys l'Aréopage qui nous rappelle la nécessité de la contemplation: "En effet, c'est dans le silence que l'on apprend les secrets de ces ténèbres... qui brillent de la lumière la plus éblouissante... Celles-ci, tout en restant parfaitement intangibles et invisibles, remplissent de splendeurs plus belles que la beauté les esprits qui savent fermer les yeux" (Théologie mystique I, 1).

                                    * * *


De France: Groupe des Foyers de Charité, du diocèse de Valence; groupe Notre-Dame du Salut; groupe de pèlerins de l'Ile de la Réunion.

Salut en langue française:

Chers Frères et Soeurs,

Nous commençons aujourd'hui un nouvel itinéraire de réflexion dans notre contemplation du mystère de Dieu. Après avoir médité sur chacune des personnes divines, en cette année jubilaire nous embrasserons d'un unique regard leur gloire commune. En effet, l'objectif du grand Jubilé est "la glorification de la Trinité, dont tout provient et vers laquelle tout s'oriente dans le monde et dans l'histoire" (Tertio millennio adveniente TMA 55).

On pourrait comparer ce parcours au voyage d'un pèlerin le long des rives du fleuve de la présence et de la révélation de Dieu dans l'histoire des hommes. Aujourd'hui, regardons la source et l'estuaire de ce fleuve. La Trinité est à l'origine de l'homme et de l'histoire, et elle est présente à leur terme. Elle est le commencement et la fin de l'histoire du salut. Entre ces deux extrêmes se déroulent les événements de la vie, marqués par le péché et par la grâce. Le mystère de la Trinité, loin d'être une aride vérité intellectuelle, est la vie qui nous habite et nous soutient. C'est le mystère de Dieu, qui est amour dans sa vie intime et dans son rapport avec le monde.

Si les yeux de notre coeur, illuminés par la révélation, sont assez purs et pénétrants, ils deviennent capables de rencontrer dans la foi le mystère trinitaire, dans lequel tout ce qui existe a sa racine et son fondement.

* * *


Je suis heureux d'accueillir les francophones présents ce matin, en particulier le groupe des Foyers de charité, venus de nombreuses régions du monde, ainsi que les pèlerins de La Réunion. Je souhaite que votre pèlerinage jubilaire soit une source de renouveau spirituel. A tous je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.



Mercredi 26 Janvier 2000

26010 Lecture: Is 40,22-26

1. "Que toutes ses oeuvres sont aimables, comme une étincelle qu'on pourrait contempler [...] il n'a rien fait de déficient [...] Qui pourrait se lasser de contempler sa gloire? Nous pourrions nous étendre sans épuiser le sujet; en un mot: Il est toutes choses. Où trouver la force de le glorifier? Car il est le Grand, au-dessus de toutes ses oeuvres" (Si 42,22 Si 42,24-25 Si 43,27-28). A travers ces paroles pleines d'émerveillement, un sage biblique, le Siracide, se tenait face à la splendeur de la création, en chantant les louanges de Dieu. Il s'agit d'une petite partie de l'itinéraire de contemplation et de méditation qui parcourt toutes les Ecritures Saintes, à partir des premières lignes de la Genèse, lorsque dans le silence du néant naissent les créatures, convoquées par la Parole forte du Créateur.

"Dieu dit: "Que la lumière soit" et la lumière fut" (Gn 1,3). Déjà dans cette partie du premier récit de la création, on voit à l'action la Parole de Dieu, dont Jean dira: "Au commencement était le Verbe [...] et le Verbe était Dieu [...] Tout fut fait par lui et sans lui rien ne fut" (Jn 1,1 Jn 1,3). Paul répétera dans l'hymne de l'Epître aux Colossiens que "c'est en lui [le Christ] qu'ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances; tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui" (Col 1,16-17). Mais à l'instant initial de la création, l'Esprit apparaît lui aussi dissimulé: "Un vent de Dieu tournoyait sur les eaux" (Gn 1,2). Nous pouvons dire avec la tradition chrétienne que la gloire de Dieu resplendit dans la création".


2. En effet, il est possible, à la lumière de la Révélation, de voir comment l'acte de création est lié avant tout au "Père des lumières, chez qui n'existe aucun changement, ni l'ombre d'une variation" (Jc 1,17). Il resplendit sur tout l'horizon, comme le chante le Psalmiste: "Yahvé, notre Seigneur, qu'il est puissant ton nom par toute la terre! Lui qui redit ta majesté plus haute que les cieux" (Ps 8,2). Avec Dieu "le monde est stable, point ne bronchera" (Ps 96 [95] 10) et face au néant, représenté de façon symbolique par les eaux tumultueuses qui déchaînent leur voix, le Créateur s'élève en apportant consistance et sécurité: "Les fleuves déchaînent, ô Yahvé, les fleuves déchaînent leur voix, les fleuves déchaînent leur tracas; plus que la voix des eaux innombrables, plus superbe que le ressac de la mer, superbe est Yahvé dans les hauteurs" (Ps 93,3-4).

3. Dans l'Ecriture Sainte, la création est souvent liée également à la Parole divine qui fait irruption et agit: "Par la parole de Yahvé les cieux ont été faits, par le souffle de sa bouche, toute leur armée [...] Il parle et cela est, il commande et cela existe [...] Il envoie son verbe sur la terre, rapide court sa parole" (Ps 33 [32], 6.9.; 147 [146], 15). Dans les livres sapientiaux de l'Ancien Testament, c'est la Sagesse divine personnifiée qui donne origine à l'univers en réalisant le projet de l'esprit de Dieu (cf. Pr Pr 8,22-31). On a dit que Jean et Paul dans la parole et dans la Sagesse de Dieu verront l'annonce de l'action du Christ "par qui tout existe et par qui nous sommes" (1Co 8,6), car c'est "par lui aussi [que Dieu] a fait les siècles" (He 1,2).


4. Enfin, d'autres fois, l'Ecriture souligne le rôle de l'Esprit de Dieu dans l'acte de création: "Tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre" (Ps 104 [103], 30). Le même Esprit est représenté de façon symbolique par le souffle de la bouche de Dieu. Il donne vie et conscience à l'homme (cf. Gn Gn 2,7) et le reporte à la vie dans la résurrection, comme l'annonce le prophète Ezéchiel dans une page suggestive, où l'Esprit est à l'oeuvre en faisant revivre des ossements désormais desséchés (cf. Ez Ez 37,1-14). Le même esprit domine les eaux de la mer dans l'exode d'Israël de l'Egypte (cf. Ez Ez 15,8 Ez Ez 15,10). C'est encore l'Esprit qui régénère la créature humaine, comme le dira Jésus dans le dialogue nocturne avec Nicodème: "En vérité, en vérité, je te le dis: à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l'Esprit est esprit" (Jn 3,5-6).


5. Et bien, face à la gloire de la Trinité dans la création, l'homme doit contempler, chanter, retrouver l'émerveillement. Dans la société contemporaine, l'on devient aride "non pas par manque de merveilles, mais par manque d'émerveillement" (G.K. Chesterton). Pour le croyant, contempler le créé est aussi écouter un message, entendre une voix paradoxale et silencieuse, comme nous le suggère le "Psaume du soleil": "Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l'oeuvre de ses mains, le firmament l'annonce; le jour au jour en publie le récit et la nuit à la nuit transmet la connaissance. Non point récit, non point langage, nulle voix qu'on puisse entendre, mais pour toute la terre en ressortent les lignes et les mots jusqu'aux limites du monde" (Ps 19 [18], 2-5).

La nature devient alors un Evangile qui nous parle de Dieu: "La grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur Auteur" (Sg 13,5). Paul nous enseigne que "ce qu'il a d'invisible [Dieu] depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence à travers ses oeuvres, son éternelle puissance et sa divinité" (Rm 1,20). Mais cette capacité de contemplation et de connaissance, cette découverte d'une présence transcendante dans le créé doit nous conduire également à redécouvrir notre fraternité avec la terre, à laquelle nous sommes liées à partir de notre création même (cf. Gn Gn 2,7). C'est précisément cet objectif que l'Ancien Testament souhaitait pour le Jubilé juif, alors que la terre reposait et que l'homme recueillait ce que la campagne lui offrait spontanément (cf. Lv Lv 25,11-12). Si la nature n'est pas violée et humiliée, elle redevient une soeur pour l'homme.

                                    * * *

De France: Groupe de pèlerins de Marseille et de Strasbourg; groupe de militaires de Corse.
Du Liban: Groupe de pèlerins.

Salut en langue française:

Chers Frères et Soeurs,

Nous sommes invités à contempler la gloire de la Trinité qui resplendit dans la création. Ainsi, l'acte créateur est avant tout celui du "Père des lumières, chez qui n'existe aucun changement, ni l'ombre d'une variation" (Jc 1,17). D'autre part, l'Ecriture relie souvent la création à la Parole divine qui fait irruption et qui agit. Par ailleurs, elle souligne aussi le rôle de l'Esprit de Dieu qui est souffle de vie.

Face à la gloire de la Trinité dans la création, l'homme est invité à contempler, à chanter, à s'émerveiller. Pour le croyant, contempler le créé, c'est aussi écouter un message, entendre une voix paradoxale et silencieuse. La nature devient alors un évangile qui nous parle de Dieu. La capacité de contemplation et de connaissance, la découverte d'une présence transcendante dans le créé, doivent nous conduire à redécouvrir notre fraternité avec la terre, à laquelle nous sommes liés depuis notre propre création. Si la nature n'est pas violentée et humiliée, elle redevient une soeur pour l'homme.

Je suis heureux d'accueillir les personnes de langue française présentes ce matin. Que votre pèlerinage jubilaire vous permette de vous émerveiller toujours plus devant les oeuvres de Dieu et de lui rendre grâce de tout votre être ! A tous je donne de grand coeur la Bénédiction apostolique.




Mercredi 9 Février 2000

9020 Lecture: Ps 136,1-4 (135), 1-4

1. Comme vous l'avez entendu lors des lectures, notre rencontre a été ouverte par le "grand Halell", le Psaume 136 (135), qui est une litanie solennelle pour soliste et choeur: il s'élève vers le hesed de Dieu, c'est-à-dire vers son amour fidèle qui se révèle dans les événements de l'histoire du salut, en particulier lors de la libération de l'esclavage d'Egypte et dans le don de la terre promise. Le Credo de l'Israël de Dieu (cf. Dt Dt 26,5-9 Jos 24,1-13) proclame les actions divines à l'intérieur de l'histoire humaine: le Seigneur n'est pas un empereur impassible, auréolé de lumière et relégué dans les cieux dorés; Il observe la misère de son peuple en Egypte, écoute ses cris et descend pour le libérer (cf. Ex Ex 3,7-8).


2. Nous chercherons donc à illustrer cette présence de Dieu dans l'histoire, à la lumière de la révélation trinitaire, qui bien qu'elle soit pleinement réalisée dans le Nouveau Testament, est déjà d'une certaine façon anticipée et esquissée dans l'Ancien. Nous commencerons donc par le Père, dont les caractéristiques peuvent déjà s'entrevoir dans l'action de Dieu qui intervient dans l'histoire, comme un père tendre et attentif envers les justes qui font appel à Lui. Il est le "Père des orphelins, justicier des veuves" (Ps 68,6); il est également un père à l'égard du peuple rebelle et pécheur.

Deux pages prohétiques d'une beauté et d'une intensité extraordinaire introduisent un délicat soliloque de Dieu à propos de ses "fils dégénérés" (cf. Dt Dt 32,5). Dieu y manifeste sa présence constante et aimante dans la tourmente de l'histoire humaine. Dans Jérémie, le Seigneur s'exclame: "Car je suis un père pour Israël [...] est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant tellement préféré, que chaque fois que j'en parle je veuille encore me souvenir de lui? C'est pour cela que mes entrailles s'émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse" (Jr 31,9 Jr 31,20). L'autre confession extraordinaire de Dieu se lit dans Osée: "Quand Israël était jeune je l'aimai, et d'Egypte j'appelai mon fils [...] Et moi j'avais appris à marcher à Ephraïm, je le prenais par les bras, et ils n'ont pas compris que je prenais soin d'eux! Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d'amour; j'étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue, je m'inclinais vers lui et le faisais manger [...] Mon coeur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles frémissent" (Os 11,1 Os 11,3-4 Os 11,8).


3. De ces passages bibliques nous devons tirer la conclusion que Dieu le Père n'est pas du tout indifférent à l'égard de notre vie. Au contraire, il arrive au point d'envoyer son Fils unique précisément au coeur de l'histoire, comme l'atteste le Christ lui-même dans le dialogue nocturne avec Nicodème: "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui" (Jn 3,16-17). Le Fils s'insère à l'intérieur du temps et de l'espace comme le centre vivant et vivifiant qui donne un sens définif au cours de l'histoire, en la sauvant de la dispersion et de la banalité. C'est en particulier vers la croix du Christ, source de salut et de vie éternelle, que converge toute l'humanité avec ses joies et ses larmes, avec ses événements travaillés, qu'ils soient bons ou mauvais: "Et moi, une fois élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi" (Jn 12,32). Par une phrase lapidaire, la Lettre aux Hébreux proclamera la présence éternelle du Christ dans l'histoire: "Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et à jamais! (He 13,8).


4. Pour découvrir sous le cours des événements cette présence secrète et efficace, pour comprendre que le Royaume de Dieu est déjà parmi nous (cf. Lc Lc 17,21), il est nécessaire d'aller au-delà de l'apparence des dates et des événements historiques. C'est ici que l'Esprit Saint entre en action. Même si l'Ancien Testament ne présente pas encore une révélation explicite de sa personne, on peut bien lui "attribuer" certaines initiatives salvifiques. C'est lui qui dirige les juges d'Israël (cf. Jg Jg 3,10), David (cf. 1S 16,13), le roi-Messie (cf. Is Is 11,1-2 Is 42,1), mais c'est surtout lui qui se diffuse dans les prophètes qui ont pour mission de révéler la gloire divine voilée dans l'histoire, le dessein du Seigneur présent derrière les événements. Le prophète Isaïe présente une page d'une grande suggestion, qui sera reprise par le Christ dans son discours-programme dans la synagogue de Nazareth: "L'esprit du Seigneur Yahvé est sur moi, car Yahvé m'a donné l'onction; il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, panser les coeurs meurtris, annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance, proclamer une année de grâce de la part du Seigneur" (Is 61,1-2 Lc 4,18-19).


5. L'Esprit de Dieu révèle non seulement le sens de l'histoire, mais il donne de la force pour collaborer au projet divin qui s'y accomplit. A la lumière du Père, du Fils et de l'Esprit, l'histoire cesse d'être une succession d'événements qui se dissolvent dans l'abîme de la mort, et elle devient un terrain fécondé par la semence de l'éternité, un chemin qui conduit à ce but sublime dans lequel "Dieu sera tout en tous" (1Co 15,28). Le Jubilé, qui évoque "l'année de grâce" annoncée par Isaïe et inaugurée par le Christ, veut être l'épiphanie de cette semence et de cette gloire afin que tous espèrent, soutenus par la présence et par l'aide de Dieu, en un monde nouveau, plus authentiquement chrétien et humain.

Que chacun de nous alors, en balbutiant quelque chose à propos du mystère de la Trinité agissante dans notre histoire, fasse sien l'émerveillement rempli d'adoration de saint Grégoire de Nazianze, théologien et poète, lorsqu'il chante: "Gloire à Dieu le Père et au Fils, Roi de l'univers. Gloire à l'Esprit, digne de louange et entièrement saint. La Trinité est un seul Dieu qui créa et remplit chaque chose [...] chaque chose en la vivifiant avec son Esprit, afin que chaque créature élève un hymne à son sage Créateur, cause unique de la vie et de sa durée. Que la créature raisonnable, plus que toute autre chose, le célèbre toujours comme grand Roi et Père bon" (Poèmes dogmatiques, XXI, Hymnus alias: ).

                                  * * *


Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 9 février 2000, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Faculté de Droit canonique de Toulouse; Institut des Frères du Sacré-Coeur; paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul d'Orgeval; Association Amis d'Estelle et Fraternité Saint-Jean; Association Saint-Charles Borromée, de Versailles; Ecole Saint-Pie X, de Saint-Cloud, des Religieuses dominicaines du Saint-Esprit; groupe de Scouts de Paris; groupe de pèlerins de Strasbourg.

De la République démocratique du Congo: Un groupe de pèlerins.

Chers Frères et Soeurs,

Notre rencontre s’est ouverte par le “grand Hallel”, le psaume 136 (135), litanie solennelle qui célèbre les louanges de Dieu, en particulier son amour fidèle qui se révèle tout au long de l’histoire du salut.

La présence de Dieu dans l’histoire se manifeste à la lumière de la Révélation trinitaire. Dieu le Père intervient avec tendresse et miséricorde envers les justes qui se tournent vers Lui, comme envers son peuple rebelle et pécheur. Son Fils s’insère dans le temps et l’espace comme le centre vivant et vivifiant qui donne son sens définitif à l’histoire. L’Esprit Saint nous fait découvrir dans les événements le Règne de Dieu présent au milieu de nous. C’est lui qui agissait déjà dans l’Ancien Testament; il nous dévoile les mystères divins et nous donne la force nécessaire pour apporter notre contribution au projet de Dieu.

Ainsi, à la lumière de la Sainte Trinité, l’histoire n’est pas une succession d’événements sans issue, mais elle est semence d’éternité et conduit jusqu’à ce but sublime où “Dieu sera tout en tous” (1Co 15,28). Le Jubilé veut être l’épiphanie de cette semence et de cette gloire, pour que l’espérance habite le coeur de tout homme.

Je salue les pèlerins francophones présents à cette audience, en particulier les jeunes. De grand coeur, je leur accorde à tous la Bénédiction apostolique.





Catéchèses S. J-Paul II 12010