Catéchèses S. J-Paul II 10401

Mercredi 10 octobre 2001: Jr 31 Dieu veut le bonheur de tout l'homme! Il libère et rassemble son peuple dans la joie

10401 Lecture: Jr 31,10-14

1. "Nations, écoutez la parole de Yahvé! Annoncez-la dans les îles lointaines" (Jr 31,10). Quelle nouvelle va-t-elle être annoncée à travers ces paroles solennelles de Jérémie, que nous avons écoutées dans le Cantique qui vient d'être proclamé? Il s'agit d'une nouvelle consolante, et ce n'est pas un hasard si les chapitres qui la contiennent (cf. 30-31), sont qualifiés de "Livre de la consolation". L'annonce concerne directement l'antique Israël, mais fait déjà entrevoir d'une certaine façon le message évangélique.

Voilà le coeur de cette annonce: "Car Yahvé a racheté Jacob, il l'a délivré de la main d'un plus fort" (Jr 31,11). Le contexte historique de ces paroles est constitué par un moment d'espérance que vit le Peuple de Dieu, environ un siècle après que le Nord du pays, en 722, ait été envahi par la puissance assyrienne. A présent, à l'époque du prophète, la réforme religieuse du roi Josias exprime un retour du peuple de l'alliance à Dieu et fait naître l'espérance que le temps du châtiment ait prit fin. La perspective que le Nord puisse recouvrer la liberté et qu'Israël et Juda retrouvent leur unité prend forme. Tous, même "les îles lointaines", devront être les témoins de cet événement merveilleux: Dieu, Pasteur d'Israël, va bientôt intervenir. Lui, qui a permis la dispersion de son peuple, vient à présent pour le rassembler.


2. L'invitation à la joie est développée par des images profondément touchantes. Il s'agit d'un oracle qui fait rêver! Il décrit un avenir dans lequel les exilés "viendront, criant de joie" et retrouveront non seulement le temple du Seigneur, mais également tous leurs biens: le blé, le vin nouveau, l'huile, les nouveau-nés des troupeaux. La Bible ne connaît pas un spiritualisme abstrait. La joie promise ne concerne pas seulement l'intériorité de l'homme, car le Seigneur prend soin de la vie humaine dans toutes ses dimensions. Jésus lui-même ne manquera pas de souligner cet aspect, en invitant ses disciples à avoir confiance dans la Providence, également pour les besoins matériels (cf. Mt Mt 6,25-34). Notre cantique insiste sur cette perspective: Dieu veut le bonheur de tout l'homme. Le sort qu'il prépare à ses enfants est exprimé par le symbole du jardin "bien arrosé" (Jr 31,12), image de fraîcheur et de fécondité. Le deuil se transforme en fête, les personnes sont rassasiées de délices et comblées de biens (cf. v. 14), si bien qu'elles se mettent spontanément à danser et à chanter. La joie sera irréfrénable, le bonheur d'un peuple.


3. L'histoire nous dit que ce rêve ne s'est pas encore réalisé. Mais ce n'est certainement pas parce que Dieu a manqué à sa promesse: c'est le peuple qui, encore une fois, a été responsable de cette déception à cause de son infidélité. Le Livre de Jérémie lui-même se charge de le démontrer à travers la description d'une prophétie qui devient pleine de souffrance et de dureté, et qui conduit progressivement à quelques-unes des périodes les plus tristes de l'histoire d'Israël. Non seulement les exilés du Nord ne reviendront pas, mais la Judée elle-même sera occupée par Nabuchodonosor en 587 av. J.C. C'est alors que commenceront des jours amers, lorsque, sur les rives des fleuves de Babylone, on devra suspendre les harpes aux peupliers (cf. Ps Ps 136,2). Aucune âme ne pourra être disposée à chanter pour donner satisfaction à ses bourreaux; on ne peut pas se réjouir si l'on est arraché par la force à sa patrie, la terre où Dieu a placé sa demeure.


4. Toutefois, l'invitation à la joie qui caractérise cet oracle ne perd rien de son sens. En effet, la motivation ultime sur laquelle elle repose, et qui est notamment exprimée par plusieurs versets intenses, qui précèdent ceux proposés dans la Liturgie des Heures, demeure solide. Il faut bien les garder à l'esprit, lorsqu'on lit les expressions de joie de notre cantique. Ils décrivent en termes vibrants l'amour de Dieu pour son peuple. Ils mentionnent un pacte irrévocable: "D'un amour éternel je t'ai aimé" (Jr 31,3). Ils chantent l'effusion paternelle d'un Dieu qui appelle son premier-né Ephraïm et qui le couvre de tendresse: "En larmes ils reviennent, dans les supplications je les ramène. Je vais les conduire aux cours d'eau, par un chemin tout droit où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël" (Jr 31,9). Même si la promesse n'a pas pu être réalisée jusqu'à présent en raison du manque de correspondance de ses enfants, l'amour du Père demeure dans toute son émouvante tendresse.


5. Cet amour constitue le fil d'or qui unit les phases de l'histoire d'Israël, dans ses joies et dans ses peines, dans ses succès et dans ses échecs. Dieu ne manque pas à son amour, et le châtiment lui-même en est l'expression, prenant une signification pédagogique et salvifique.

Sur le roc solide de cet amour, l'invitation à la joie de notre Cantique évoque un avenir voulu par Dieu qui, bien que différé, se réalisera un jour malgré toute la fragilité des hommes. Cet avenir s'est réalisé dans la nouvelle alliance, avec la mort et la résurrection du Christ et avec le don de l'Esprit. Toutefois, son plein accomplissement aura lieu lors du retour eschatologique du Seigneur. A la lumière de ces certitudes, le "rêve" de Jérémie reste une véritable opportunité historique, conditionnée par la fidélité des hommes, et surtout un objectif final, garanti par la fidélité de Dieu et déjà inauguré par son amour dans le Christ.

En lisant donc cet oracle de Jérémie, nous devons laisser retentir en nous l'Evangile, la belle nouvelle diffusée par le Christ, dans la synagogue de Nazareth (cf. Lc Lc 4,16-21). La vie chrétienne est appelée à être une vraie "jubilation", que seul notre péché peut mettre en péril. En nous faisant réciter ces paroles de Jérémie, la Liturgie des Heures nous invite à enraciner notre vie dans le Christ, notre Rédempteur (cf. Jr Jr 31,11) et à chercher en Lui le secret de la vraie joie dans notre vie personnelle et communautaire.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 10 octobre 2001, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupes de pèlerins des diocèses d'Autun et de Rennes; paroisse Saint-Vit, de Besançon; groupe de pèlerins de Strasbourg.

De Belgique: Groupe de pèlerins.

Du Canada: Groupe de pèlerins.

Chers Frères et Soeurs,

Le cantique de Jérémie annonce la consolation d’Israël. Il évoque un avenir où les exilés "viennent, criant de joie, sur les hauteurs de Sion" et retrouvent non seulement le Temple du Seigneur, mais aussi "le froment, le vin nouveau et l’huile fraîche, les génisses et les brebis du troupeau". Le cantique y insiste: Dieu veut le bonheur de tout l’homme !

L’histoire nous dit que ce rêve ne s’est pas encore réalisé, à cause de l’infidélité du peuple. Non seulement les exilés ne sont pas rentrés, mais sont venus les jours amers de l’Exil, auprès des fleuves de Babylone. Pourtant, l’invitation à la joie, qui caractérise ce cantique, garde tout son sens. Sa motivation reste intacte : l’amour de Dieu pour son peuple. Sur ce roc solide, est évoqué un avenir qui s’est réalisé dans la Nouvelle Alliance, avec la mort et la résurrection du Christ, et le don de l’Esprit. Il s’accomplira définitivement avec le retour eschatologique du Seigneur.

La vie chrétienne est appelée à être une vraie jubilation que seul notre péché peut mettre en péril. C’est pourquoi nous sommes invités à enraciner notre vie personnelle et communautaire dans le Christ, et à chercher en lui le secret de la vraie joie.
Je salue avec joie les pèlerins de langue française présents à cette audience. Que votre pèlerinage vous renouvelle dans la joie d’être chrétiens pour annoncer la Bonne Nouvelle à vos frères ! A tous, j’accorde de grand coeur la Bénédiction apostolique.

    


Mercredi 17 octobre 2001: Ps 47 Action de grâce pour le salut du peuple

17401 Lecture: Ps 47,1-6 Ps 47,13 Ps 47,15

1. Le Psaume qui a été proclamé est un chant en l'honneur de Sion, "cité du grand roi" (Ps 47,3), alors siège du temple du Seigneur et lieu de sa présence au sein de l'humanité. La foi chrétienne l'applique désormais à la "Jérusalem d'en-haut", qui est "notre mère" (Ga 4,26).

Le ton liturgique de cet hymne, l'évocation d'une procession de fête (cf. Ps 47,13-14), la vision pacifique de Jérusalem qui reflète le salut divin, font du Psaume 47 une prière qui peut ouvrir la journée, pour en faire un chant de louange, même si quelques nuages s'amoncellent à l'horizon.

Pour saisir le sens du Psaume, nous pouvons compter sur trois acclamations situées au début, au centre et à la fin, comme pour nous offrir la clef spirituelle de la composition et nous introduire dans son atmosphère intérieure. Voici les trois invocations: "Grand, Yahvé, et louable hautement dans la ville de notre Dieu" (v. 2); "Nous méditons, Dieu, ton amour au milieu de ton temple" (v. 10); "Lui est Dieu, notre Dieu aux siècles des siècles, lui, il nous conduit" (v. 15).


2. Ces trois acclamations, qui exaltent le Seigneur mais également "la ville de notre Dieu" (v. 2), encadrent deux grandes parties du Psaume. La première est une joyeuse célébration de la ville sainte, la Sion victorieuse contre les assauts de ses ennemis, sereine sous le manteau de la protection divine (cf. vv. 3-8). On se trouve presque devant une litanie de définitions de cette ville: c'est une hauteur admirable qui s'élève comme un phare de lumière, une source de joie pour tous les peuples de la terre, l'unique véritable "Olympe" où le ciel et la terre se rencontrent. C'est - pour reprendre une expression du prophète Ezéchiel - la ville-Emmanuelle car "Dieu est là", présent en elle (cf. Ez Ez 48,35). Mais, autour de Jérusalem, se rassemblent les troupes qui préparent un assaut, presque un symbole du mal qui porte atteinte à la splendeur de la ville de Dieu. L'issue de l'affrontement est certaine et presque immédiate.

3. En effet, les puissants de la terre, en assaillant la ville sainte, ont également provoqué son Roi, le Seigneur. Le Psalmiste illustre la disparition de l'orgueil d'une armée puissante à travers l'image suggestive des douleurs de l'accouchement: "Là, un tremblement les saisit, un frisson d'accouchée" (v. 7). L'arrogance se transforme en fragilité et faiblesse, la puissance en chute et en défaite.

Le même concept est exprimée par une autre image: l'armée en débâcle est comparée à une armée navale invincible, sur laquelle s'abat un typhon causé par un terrible vent d'orient (cf. v. 8). Il reste donc une certitude inébranlable pour celui qui demeure à l'ombre de la protection divine: la dernière parole n'est pas confiée au mal, mais au bien; Dieu triomphe sur les puissances hostiles, même lorsqu'elles semblent grandioses et invincibles.


4. Le fidèle célèbre précisément alors, dans le temple, son action de grâce au Dieu libérateur. Son hymne est un hymne à l'amour miséricordieux du Seigneur, exprimé par le terme hébreu hésed, typique de la théologie de l'alliance. Nous nous trouvons ainsi dans la seconde partie du Psaume (cf. vv. 10-14). Après le grand chant de louange à Dieu fidèle, juste et sauveur (cf. vv. 10-12), s'accomplit une sorte de procession autour du temple et de la ville sainte (cf. vv. 13-14). On compte les tours, signe de la protection certaine de Dieu, on observe les fortifications, expression de la stabilité offerte à Sion par son Fondateur. Les murs de Jérusalem parlent et ses pierres rappellent les faits qui doivent être transmis "aux âges futurs" (v. 14) à travers le récit que feront les pères à leurs enfants (cf. Ps Ps 77,3-7). Sion est le lieu d'une chaîne ininterrompue d'actions salvatrices du Seigneur, qui sont annoncées dans la catéchèse et célébrées dans la liturgie, afin que continue à exister chez les croyants l'espérance dans l'intervention libératrice de Dieu.


5. Dans l'antienne de conclusion se trouve une des plus belles définitions du Seigneur, comme pasteur de son peuple: "Lui, il nous conduit" (v. 15). Le Dieu de Sion est le Dieu de l'Exode, de la liberté, de la proximité avec le peuple esclave en Egypte et en pèlerinage dans le désert. Maintenant qu'Israël se trouve dans la terre promise, il sait que le Seigneur ne l'abandonne pas: Jérusalem est le signe de sa proximité, et le temple est le lieu de sa présence.

En relisant ces expressions, le chrétien s'élève à la contemplation du Christ, le nouveau temple vivant de Dieu (cf. Jn Jn 2,21), et il se tourne vers la Jérusalem céleste, qui n'a plus besoin d'un temple et d'une lumière extérieure, car "le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout est son temple, ainsi que l'Agneau [...] la gloire de Dieu l'a illuminée, et l'Agneau lui tient lieu de flambeau" (Ap 21,22-23). Saint Augustin nous invite à cette relecture "spirituelle", convaincu que dans les livres de la Bible, "il n'y a rien qui concerne uniquement la ville terrestre, mais que tout ce qui s'y réfère, ou qui s'accomplit pour elle, symbolise quelque chose qui, par allégorie, peut être référé également à la Jérusalem céleste" (La Cité de Dieu, XVII, 3, 2). Saint Paulin de Nola lui fait écho, lui qui, précisément en commentant les paroles de notre Psaume, exhorte à prier afin que "nous puissions être retrouvés comme des pierres vivantes dans les murs de la Jérusalem céleste et libre" (Lettre 28, 2 à Sévère). Et en contemplant la solidité et l'unité de cette ville, le même Père de l'Eglise poursuit: "En effet, celui qui habite cette ville se révèle comme l'Un en trois personnes [...] De celle-ci, le Christ a été constitué non seulement comme le fondement, mais également comme la tour et la porte [...] Si c'est donc sur Lui que se fonde la maison de notre âme et sur Lui que s'élève une construction digne d'un aussi grand fondement, alors la porte d'entrée de sa ville sera pour nous précisément Celui qui nous guidera dans les siècles et il nous fera aller dans ses pâturages" (Ibid.).

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 17 octobre 2001, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupes de pèlerins des diocèses de Paris, de Lyon; paroisse Notre-Dame, de Revel; paroisse Notre-Dame de Toute-Joie, de Nantes; groupes de pèlerins de Monbron et de Brochure.

De Suisse: Paroisses de la Sainte-Trinité, Saint-Nicolas de Flüe, de Genève; paroisse de Montreux et Villeneuve; paroisse de Marly; paroisse Saint-Maurice, de Bernex.

De Belgique: Groupe de pèlerins de Namur.

De l'Ile de la Réunion: Association Notre-Dame de la Paix.

Chers Frères et Soeurs,

Le Psaume que nous venons d’entendre loue Sion, "la cité du grand roi" (47, 3), siège du Temple du Seigneur, lieu de sa présence au milieu des hommes et source de joie pour tous les peuples de la terre. Il nous aide à acclamer le Seigneur, Dieu éternel et riche en miséricorde, qui est la citadelle inébranlable. Dieu transforme l’arrogance des puissants de la terre en fragilité, leur victoire en défaite. Le mal n’a jamais le dernier mot, car Dieu triomphe des puissances hostiles, même lorsqu’elles semblent invincibles. En admirant les murs de Jérusalem, signes de la solidité de la présence divine, les fidèles peuvent alors célébrer l’amour miséricordieux du Seigneur.

Pasteur de son peuple, Dieu le guide d’âge en âge, ne cessant d’entretenir en lui l’espérance de son intervention libératrice. C’est dans le Christ que cette espérance s’accomplit définitivement. En Lui, les chrétiens contemplent le nouveau temple de Dieu (cf. Jn Jn 2,21) et ils poursuivent leur marche vers la Jérusalem céleste, assurés de la présence salvifique du Seigneur.

J’accueille avec joie les pèlerins de langue française. Que le Christ Sauveur vous garde dans l’espérance, afin que vos paroles et vos actes témoignent de son amour pour tous les hommes ! A tous, j’accorde bien volontiers la Bénédiction apostolique.




Mercredi 24 octobre 2001: Ps 50 "Seigneur, prends pitié de moi"

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Lecture: Ps 50,3-5 Ps 50,11-12 Ps 50,19


1. Nous avons écouté le Miserere, l'une des prières les plus célèbres du Psautier, le Psaume pénitentiel le plus intense et le plus répété, le chant du pécheur et du pardon, la méditation la plus profonde sur la faute et sur la grâce. La Liturgie des Heures nous le fait répéter lors des Laudes de chaque vendredi. Depuis de nombreux siècles, il s'élève vers le ciel du coeur de nombreux fidèles juifs et chrétiens, comme un soupir de repentir et d'espérance adressé à Dieu miséricordieux.

La tradition hébraïque a placé le Psaume sur les lèvres de David, invité à la pénitence par les paroles sévères du prophète Nathan (cf. vv. 1-2; 2S 11-12), qui lui reprochait l'adultère accompli avec Bethsabée et d'avoir tué son mari, Urie. Toutefois, le Psaume s'enrichit au cours des siècles suivants par la prière de nombreux autres pécheurs, qui reprennent les thèmes du "coeur nouveau" et de l'"Esprit" de Dieu communiqué à l'homme racheté, selon l'enseignement des prophètes Jérémie et Ezéchiel (cf. v. 12; Jr 31,31-34 Ez 11,19 Ez 36,24-28).


2. Les scènes que le Psaume 50 décrit sont au nombre de deux. Il y a tout d'abord la région ténébreuse du péché (cf. vv. 3-11), dans laquelle l'homme se trouve depuis le début de son existence: "Vois, mauvais je suis né, pécheur ma mère m'a conçu" (v. 7). Même si cette déclaration ne peut pas être prise comme une formulation explicite de la doctrine du péché originel, telle qu'elle a été définie par la théologie chrétienne, il ne fait aucun doute qu'elle y correspond: elle exprime en effet la dimension profonde de la faiblesse morale innée de l'homme. Le Psaume apparaît dans cette première partie comme une analyse du péché, effectuée devant Dieu. Trois termes hébreux sont utilisés pour définir cette triste réalité, qui provient de la liberté humaine mal utilisée.


3. Le premier terme, hattá, signifie littéralement "manquer la cible": le péché est une aberration qui nous mène loin de Dieu, objectif fondamental de nos relations, et par conséquent également loin de notre prochain.

Le deuxième terme hébreu est 'awôn, qui renvoie à l'image de "tordre", de "courber". Le péché est donc une déviation tortueuse de la voie droite; il est l'inversion, la distorsion, la déformation du bien et du mal, dans le sens déclaré par Isaïe: "Malheur à ceux qui appellent le mal bien et bien le mal, qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres" (Is 5,20). C'est précisément pour cette raison que, dans la Bible, la conversion est indiquée comme un "retour" (en hébreu shûb) sur la voie droite, après avoir effectué une correction de la route.

Le troisième mot avec lequel le Psalmiste parle du péché est peshá. Il exprime la rébellion d'un sujet à l'égard de son souverain, et donc un défi ouvert lancé à Dieu et à son projet pour l'histoire humaine.


4. Cependant, si l'homme confesse son péché, la justice salvifique de Dieu est prête à le purifier radicalement. C'est ainsi que l'on passe dans la seconde région spirituelle du Psaume, la région lumineuse de la grâce (cf. vv. 12-19). En effet, à travers la confession des fautes s'ouvre pour l'orant un horizon de lumière, dans lequel Dieu est à l'oeuvre. Le Seigneur n'agit pas seulement négativement, en éliminant le péché, mais il recrée l'humanité pécheresse à travers son Esprit vivifiant: il donne à l'homme un "coeur" nouveau et pur, c'est-à-dire une conscience renouvelée, et il lui ouvre la possibilité d'une foi limpide et d'un culte agréable à Dieu.

Origène parle à ce propos d'une thérapie divine, que le Seigneur accomplit à travers sa parole et à travers l'oeuvre de guérison du Christ: "De la même façon que, pour le corps, Dieu prédispose les remèdes des herbes thérapeutiques savamment mélangées, il prépare également des médicaments pour l'âme, grâce aux paroles qu'il communique, en les transmettant dans les divines Ecritures... Dieu se livra également à une autre activité médicale, dont l'archiatre est le Sauveur, qui dit de lui-même: "Ce ne sont pas les personnes saines qui ont besoin de médecins, mais les malades". Il était le médecin par excellence capable de soigner toute faiblesse, toute infirmité" (Homélie sur les Psaumes, Florence 1991, p. 247-249).


5. La richesse du Psaume 50 mériterait une exégèse soigneuse de chacune de ses parties. C'est ce que nous ferons, lorsqu'il recommencera à retentir dans les divers vendredis des Laudes. Le regard d'ensemble, que nous avons à présent donné à cette grande supplication biblique, nous révèle déjà plusieurs composantes fondamentales d'une spiritualité qui devrait se refléter dans l'existence quotidienne des fidèles. Il y a tout d'abord un sens très vif du péché, perçu comme un choix libre, possédant une connotation négative au niveau moral et théologal: "Contre toi, toi seul, j'ai péché, ce qui est coupable à tes yeux, je l'ai fait" (v. 6).

Le Psaume contient ensuite un sens tout aussi vif de la possibilité de la conversion: le pécheur, sincèrement repenti, (cf. v. 5), se présente dans toute sa misère et sa nudité à Dieu, en le suppliant de ne pas le repousser loin de sa présence (cf. v. 13).

Il y a enfin, dans le Miserere, la conviction bien enracinée du pardon divin qui "efface, lave et purifie" le pécheur (cf. vv. 3-4) et qui parvient même à le transformer en une nouvelle créature, qui possède un esprit, une langue, des lèvres, un coeur transfigurés (cf. vv. 14-19). "Même si nos péchés - affirmait sainte Faustyna Kowalska - étaient noirs comme la nuit, la miséricorde divine est plus forte que notre misère. Il n'y a besoin que d'une chose: que le pécheur entrouvre un peu la porte de son propre coeur [...] le reste c'est Dieu qui l'accomplira [...] Chaque chose commence dans ta miséricorde et finit dans ta miséricorde" (M. Winowska, L'icône de l'Amour miséricordieux. Le message de soeur Faustyna, Rome 1981, p. 271).

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 24 octobre 2001, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De différents pays: Religieuses de Jésus-Marie, réunies en Chapitre général.

De France: Paroisse Saint-Pierre, de Montrouge à Paris; paroisse de Villefranche-de-Lauragais; pèlerinage diocésain des Hautes-Alpes; Association des Petits-Frères-des-Pauvres, de Paris.

De Suisse: Groupe des Confirmés des Paroisses catholiques de La Gruyère.

Du Canada: Paroisse Saint-Urbain, de Montréal.

Chers Frères et Soeurs,

Depuis des siècles, les croyants expriment par les paroles du psaume 50 leur désir de faire pénitence et leur espérance en la miséricorde inépuisable de Dieu. La tradition juive a placé sur les lèvres du roi David confessant sa faute cette profonde méditation sur le péché et sur la grâce, alors que le prophète Nathan lui reprochait son adultère avec Bethsabée et le meurtre d'Urie. Aujourd’hui encore, cette supplication révèle aux fidèles les éléments essentiels d’une spiritualité qu’ils sont invités à vivre dans leur existence quotidienne. Tout d’abord, une conscience vive du péché, perçu comme un choix libre qui s’oppose à Dieu et à son projet d’amour pour le monde. Puis, un sens aigu de la conversion possible et du retour à Dieu. Enfin, l’assurance du pardon divin qui lave et qui purifie le pécheur.

Chers pèlerins de langue française, je vous accueille avec joie. Puissiez-vous ouvrir vos coeurs à la miséricorde du Père, que le Christ est venu révéler en prenant le chemin de notre humanité ! Je vous salue en particulier, vous les religieuses de Jésus-Marie, réunies à Rome à l'occasion de votre Chapitre général. Que votre fidélité au Christ vous pousse à vous faire proches de ceux qui sont aujourd'hui affrontés à la violence sous toutes ses formes, pour bâtir avec eux un monde de paix selon le coeur de Dieu ! A tous, j’accorde bien volontiers la Bénédiction apostolique.

          


Mercredi 31 octobre 2001: Is 45 Que tous les peuples se convertissent au Seigneur

31401 Lecture: Is 45,15-16 Is 45,21-23

"En vérité tu es un Dieu qui se cache" (Is 45,15). Ce verset, qui introduit le Cantique proposé aux Laudes du vendredi de la première semaine du Psautier, est tiré d'une méditation du Second Isaïe sur la grandeur de Dieu manifestée dans la création et dans l'histoire: un Dieu qui se révèle, tout en restant caché dans l'impénétrabilité de son mystère. Il est, par définition, le "Deus absconditus". Aucune pensée ne peut l'emprisonner. L'homme peut seulement contempler sa présence dans l'univers, presque en suivant ses traces et en s'agenouillant dans l'adoration et dans la louange.

Le cadre historique dans lequel naît cette méditation est celui de la surprenante libération que Dieu obtint pour son peuple, au temps de l'exil à Babylone. Qui aurait pu penser que les exilés d'Israël seraient revenus dans leur patrie? Si l'on considère la puissance de Babylone, ces derniers auraient dû seulement se désespérer. Mais voilà la grande annonce, la surprise de Dieu, qui vibre dans les paroles du prophète: comme au temps de l'Exode, Dieu interviendra. Si, à l'époque, il avait réussi à faire plier la résistance du pharaon grâce à de terribles châtiments, il choisit à présent un roi, Cyrus de Perse, pour vaincre la puissance babylonienne et rendre la liberté à Israël.


2. "En vérité tu es un Dieu qui se cache, Dieu d'Israël, sauveur" (Is 45,15). A travers ces paroles, le prophète invite à reconnaître que Dieu agit dans l'histoire, même s'il n'apparaît pas au premier plan. On dirait qu'il se trouve "en coulisse". C'est lui le metteur en scène mystérieux et invisible, qui respecte la liberté de ses créatures, mais qui, dans le même temps, a en main les événements du monde. La certitude de l'action providentielle de Dieu est source d'espérance pour le croyant, qui sait pouvoir compter sur la présence constante de Celui "qui a modelé la terre et l'a faite [...] qui l'a fondée" (Is 45,18).

En effet, l'acte créateur n'est pas un épisode qui se perd dans la nuit des temps, et qui a pour conséquence que le monde, après ce début, doit se considérer comme étant abandonné à lui-même. Dieu appelle sans cesse la création sortie de ses mains à exister. Reconnaître ce fait signifie également confesser son unicité: "N'est-ce pas moi, Yahvé? Il n'y a pas d'autre Dieu que moi" (Is 45,21). Dieu est, par définition, l'Unique. Rien ne lui est comparable. Tout lui est soumis. Il s'ensuit également le devoir de rejeter l'idôlatrie, envers laquelle le prophète prononce des paroles sévères: "Ils sont inconscients ceux qui transportent leurs idoles de bois, qui prient un dieu qui ne sauve pas" (Is 45,20). Comment se mettre en adoration devant un produit de l'homme?

3. Cette polémique pourrait sembler excessive à notre sensibilité d'aujourd'hui, comme si elle visait les images considérées en elles-mêmes, sans se rendre compte qu'on peut leur attribuer une valeur symbolique, compatible avec l'adoration spirituelle de l'unique Dieu. C'est bien sûr la sage pédagogie divine qui entre ici en jeu et qui, à travers une discipline rigide d'exclusion des images, protégea historiquement Israël des contaminations polythéistes. L'Eglise, en partant du visage de Dieu manifesté dans l'Incarnation du Christ, a reconnu dans le Deuxième Concile de Nicée (787) la possibilité d'utiliser les images sacrées, tant qu'elles sont interprétées dans leur valeur essentiellement relationnelle.

Toutefois, l'importance de cet avertissement prophétique à l'égard de toutes les formes d'idolâtrie demeure, car, plus que dans une utilisation erronée des images, elles sont souvent cachées dans les attitudes à travers lesquelles les hommes et les choses sont considérés comme des valeurs absolues et se substituant à Dieu lui-même.


4. De l'image de la création, l'hymne nous conduit sur le terrain de l'histoire, où Israël a de nombreuses fois pu faire l'expérience de la puissance bénéfique et miséricordieuse de Dieu, de sa fidélité et de sa providence. Lors de la libération de l'exil, en particulier, s'est une fois de plus manifesté l'amour de Dieu pour son peuple, et cela a eu lieu de façon si surprenante et évidente, que le prophète appelle "les survivants des nations" eux-mêmes à témoigner. Il les invite à discuter, s'ils le peuvent: "Rassemblez-vous et venez! Approchez tous ensemble, survivants des nations" (Is 45,20). La conclusion à laquelle le prophète arrive est que l'intervention du Dieu d'Israël est indiscutable.

Une merveilleuse perspective universaliste apparaît alors. Dieu proclame: "Tournez-vous vers moi et vous serez sauvés, tous les confins de la terre, car je suis Dieu, il n'y en a pas d'autre" (Is 45,22). Il ressort ainsi clairement que la prédilection dont Dieu a fait preuve en choisissant Israël comme son peuple n'est pas un acte d'exclusion, mais plutôt un acte d'amour dont toute l'humanité est destinée à bénéficier.

C'est ainsi qu'apparaît, déjà dans l'Ancien Testament, la conception "sacramentelle" de l'histoire du salut, qui voit dans l'élection particulière des fils d'Abraham, et ensuite des disciples du Christ dans l'Eglise, non pas un privilège qui "clôt" et "exclut", mais le signe et l'instrument d'un amour universel.

5. L'invitation à l'adoration et l'offre du salut concernent tous les peuples: "Oui, devant moi tout genou fléchira, pour moi jurera toute langue" (Is 45,23). Lire ces paroles dans une optique chrétienne signifie tourner sa pensée vers la pleine révélation du Nouveau Testament, qui indique en Christ "le Nom qui est au-dessus de tout nom" (Ph 2,9), si bien que "que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus-Christ, qu'il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père" (Ph 2,10-11).

A travers ce Cantique, notre louange du matin s'étend aux dimensions de l'univers, et donne également la parole à ceux qui n'ont pas encore eu la grâce de connaître le Christ. C'est une louange qui devient "missionnaire", en nous poussant à marcher sur toutes les routes, en annonçant que Dieu s'est manifesté en Jésus comme le Sauveur du monde.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 31 octobre 2001, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupes de pèlerins des diocèses d'Autun et d'Evry; Basilique Notre-Dame-des-Victoires, de Paris; groupe du Centre Tibériade, de Paris; groupe d'Athis-Mons, et de La Londe; Lycée Janson-de-Sailly, de Paris; Collège Saint-Joseph, de Marseille; groupe de Bastia.

Chers Frères et Soeurs,

"Vraiment, tu es un Dieu qui se cache". Isaïe célèbre ainsi la grandeur de Dieu, manifestée dans la création et dans l’histoire. Le Peuple d’Israël a souvent fait l’expérience de la bonté et de la miséricorde du Seigneur, de sa fidélité et de sa présence, en particulier lors du retour de l’Exil à Babylone. Si Dieu semble parfois "caché", la certitude de son action providentielle et libératrice est source d’espérance pour les croyants, qui savent pouvoir compter sur lui : créateur de toutes choses, il est le maître de l’histoire et il continue à soutenir dans l’être tout ce qui existe.

La prédilection de Dieu envers Israël n’exclut cependant personne. Tous les hommes sont appelés à bénéficier de l’amour divin : "Tournez- vous vers moi, et vous serez sauvés, tous les peuples de la terre, parce que je suis Dieu, et qu’il n’y en a pas d’autre". Invitée à se détourner des idoles, l’humanité peut alors découvrir le seul vrai Dieu et l’adorer. Par ce cantique d’Isaïe, notre prière s’élargit aux dimensions de l’univers ; nous nous faisons la voix de ceux qui n’ont par encore eu la grâce de connaître le Christ. Notre louange devient missionnaire, nous poussant à annoncer qu’en Jésus, Dieu s’est manifesté comme le Sauveur du monde.


Je suis heureux d’accueillir les francophones présents ce matin, particulièrement les élèves du collège Saint-Joseph, de Marseille, et du Lycée Janson de Sailly, de Paris, ainsi que leurs accompagnateurs. Je salue cordialement les membres du Centre Tibériade. Puisse votre séjour affermir votre foi et faire de vous des témoins de l’Evangile ! Avec la Bénédiction apostolique.




Catéchèses S. J-Paul II 10401