Catéchèses S. J-Paul II 12062

Mercredi 12 juin 2002: Ps 91 Louange au Seigneur créateur

12062
  Lecture: (Ps 91,2-3 Ps 91,6-7 Ps 91,13-14)


1. L'antique tradition juive réserve une place particulière au Psaume 91, qui vient de retentir comme le chant que l'homme juste élève au Dieu créateur. Le titre donné au Psaume indique, en effet, qu'il est destiné à la journée du samedi (cf. Ps Ps 91,1). C'est donc l'hymne que l'on élève au Seigneur éternel et très-haut lorsque, après le coucher de soleil du vendredi, on entre dans la journée sainte de la prière, de la contemplation, du repos serein du corps et de l'esprit.

Au centre du Psaume se dresse, solennelle et grandiose, la figure du Dieu très-haut (cf. Ps Ps 91,9), autour duquel se dessine un monde harmonieux et pacifié. Devant lui est également placée la personne du juste qui, selon une conception chère à l'Ancien Testament, est comblé de bien-être, de joie et d'une longue vie, comme la conséquence naturelle de son existence honnête et fidèle. Il s'agit de ce que l'on appelle la "théorie de la rétribution", selon laquelle chaque délit a un châtiment sur la terre et chaque acte bon, une récompense. Toutefois, même si dans cette vision, il existe une part de vérité - comme nous le fera comprendre Job et comme le répétera Jésus (cf. Jn Jn 9,2-3) - la réalité de la douleur humaine est beaucoup plus complexe et ne peut pas être aussi facilement simplifiée. En effet, la souffrance humaine doit être considérée dans la perspective de l'éternité.

2. Examinons à présent cet hymne sapientiel aux aspects liturgiques. Il est constitué par un intense appel à la louange, au chant joyeux de remerciement, à une musique de fête, rythmée par la harpe à dix cordes, par la lyre et la cithare (cf. Ps Ps 91,2-4). L'amour et la fidélité du Seigneur doivent être célébrés à travers le chant liturgique que l'on doit conduire "avec art" (cf. Ps Ps 46,8). Cette invitation est également valable en ce qui concerne nos célébrations, afin qu'elles retrouvent leur splendeur non seulement dans les paroles et dans les rites, mais également dans les mélodies qui les animent.

Après cet appel à ne jamais couper le fil intérieur et extérieur de la prière, véritable souffle constant de l'humanité fidèle, le Psaume 91 propose, en traçant presque deux portraits, le profil de l'impie (cf. Ps Ps 91,7-10) et du juste (cf. Ps Ps 91,13-16). L'impie est cependant placé face au Seigneur, "pour toujours, Yahvé" (Ps 91,9), qui fera périr ses ennemis et qui dispersera tous les malfaisants (cf. Ps Ps 91,10). En effet, ce n'est qu'à la lumière divine que l'on réussit à comprendre en profondeur le mal et le bien, la justice et la perversion.


3. La figure du pécheur est décrite par une image végétale: "S'ils poussent comme l'herbe les impies, s'ils fleurissent, tous les malfaisants" (Ps 91,8). Mais cette floraison est destinée à se dessécher et à disparaître. En effet, le Psalmiste multiplie les verbes et les termes qui décrivent la destruction: "C'est pour être abattus à jamais... Voici: tes ennemis périssent, tous les malfaisants se dispersent" (Ps 91,8 Ps 91,10).

A la racine de cette issue catastrophique, il y a le mal profond qui occupe l'esprit et le coeur du pervers: "L'homme stupide ne sait pas, cela, l'insensé n'y comprend rien" (Ps 91,7). Les adjectifs utilisés ici appartiennent au langage sapientiel et dénotent la brutalité, l'aveuglement, le caractère obtus de celui qui pense pouvoir sévir sur la face de la terre sans aucun frein moral, en s'imaginant que Dieu est absent ou indifférent. L'orant est, en revanche, certain que le Seigneur, à un moment ou à un autre, apparaîtra à l'horizon pour rendre justice et plier l'arrogance de l'insensé (cf. Ps Ps 13).

4. Nous voici ensuite face à la figure du juste, dessinée comme dans une vaste fresque riche de couleurs. On a, dans ce cas aussi, recours à une image végétale, fraîche et verdoyante (cf. Ps Ps 91,13-16). A la différence de l'impie qui est comme l'herbe des champs luxuriante mais éphémère, le juste se dresse vers le ciel, solide et majestueux comme le palmier et le cèdre du Liban. D'autre part, les justes sont "plantés dans la maison de Yahvé" (Ps 91,14), c'est-à-dire qu'ils ont une relation extrêmement solide et stable avec le temple et donc avec le Seigneur, qui y a établi sa demeure.

La tradition chrétienne jouera également sur la double signification de la parole grecque phoinix, utilisée pour traduire le terme hébreu qui indique le palmier. Phoinix est le nom grec du palmier, mais également celui de l'oiseau que nous appelons "phoenix". Nous savons que le phoenix était le symbole de l'immortalité, car l'on imaginait que cet oiseau renaissait de ses cendres. Le chrétien fait une expérience semblable grâce à sa participation à la mort du Christ, source de vie nouvelle (cf. Rm Rm 6,3-4). "Mais Dieu... alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ" - dit la Lettre aux Ephésiens - "avec lui Il nous a ressuscités" (Ep 2,5-6).

5. Une autre image représente le juste et elle est de type animal, destinée à exalter la force que Dieu accorde, également lorsque la vieillesse apparaît: "Tu me donnes la vigueur du taureau, tu répands sur moi l'huile fraîche" (Ps 91,11). D'un côté, le don de la puissance divine fait triompher et donne la sécurité (cf. Ps Ps 91,12); de l'autre, le front glorieux du juste est consacré par l'huile qui irradie une énergie et une bénédiction protectrice. Le Psaume 91 est donc un hymne optimiste, également renforcé par la musique et le chant. Il célèbre la confiance en Dieu qui est source de sérénité et de paix, même lorsque l'on assiste au succès apparent de l'impie. Une paix qui reste également intacte dans la vieillesse (cf. Ps Ps 91,15), une saison vécue encore de façon féconde et sûre.

Nous concluons par les paroles d'Origène, traduites par saint Jérôme, qui partent de la phrase où le Psalmiste dit à Dieu: "Tu répands sur moi l'huile fraîche" (Ps 91,11). Origène commente: "Notre vieillesse a besoin de l'huile de Dieu. Comme lorsque nos corps sont las, et ne reprennent leurs forces que s'ils sont oints d'huile, comme la flamme de la lampe s'éteint si l'on n'y ajoute pas d'huile: de même la flamme de la vieillesse a besoin, pour croître, de l'huile de la miséricorde de Dieu. Du reste, les Apôtres aussi se rendirent au mont des Oliviers (cf. Ac Ac 1,12), afin de recevoir la lumière de l'huile du Seigneur, car ils étaient las et leurs lampes avaient besoin de l'huile du Seigneur... C'est pourquoi nous prions le Seigneur afin que notre vieillesse, chacun de nos efforts et toutes nos ténèbres, soient illuminées par l'huile du Seigneur" (74 Homélies sur le Livre des Psaumes, Milan 1993, PP 280-282, passim).

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 12 juin 2002, se trouvait le groupe suivant auquel le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Ecole Saint-Erembert, de Saint-Germain-en-Laye.

Chers Frères et Soeurs,

Le psaume 91 est un appel à la louange du Dieu Très-Haut, pour célébrer son amour et sa fidélité. Il propose, comme en deux portraits, l’attitude du juste et de l’impie, qu’il compare à des plantes.

L’impie grandit comme l’herbe, il fleurit, «mais pour disparaître à tout jamais», car son esprit et son coeur sont occupés par un mal profond, l’aveuglement : il pense qu’il peut sévir sans retenue parce qu’il croit que Dieu est absent.

Le juste, lui, se dresse vers le ciel, solide et majestueux comme un cèdre du Liban. «Planté dans les parvis du Seigneur», il a une forte relation avec Dieu, qui établit en lui sa demeure.

Le psaume célèbre la confiance en Dieu, source de sérénité et de paix, même devant le succès apparent de l’impie; une paix qui reste intacte jusque dans la vieillesse, encore féconde.

Chers pèlerins de langue française, je suis heureux de vous accueillir. Gardez dans votre vie quotidienne une place pour la louange de Dieu ! Je vous bénis de grand coeur.



Mercredi 19 juin 2002: Dt 32 Les bienfaits de Dieu en faveur de son peuple

19062 Lecture: (Dt 32,1 Dt 32,3-4 Dt 32,11)

1. "Puis, aux oreilles de toute l'assemblée d'Israël, Moïse prononça jusqu'à la dernière les paroles de ce cantique" (Dt 31,30). Ainsi peut-on lire dans l'ouverture du chant qui vient d'être proclamé, qui est tiré des dernières pages du livre du Deutéronome, précisément du chapitre 32. C'est de celui-ci que la Liturgie des Laudes a repris les douze premiers versets, en y reconnaissant une hymne joyeuse au Seigneur qui protège et qui prend soin avec amour de son peuple face aux dangers et aux difficultés de la journée. L'analyse du cantique a révélé qu'il s'agit d'un texte antique mais postérieur à Moïse, sur les lèvres duquel on l'a placé, afin de lui conférer un caractère solennel. Ce chant liturgique se trouve aux racines mêmes de l'histoire du peuple d'Israël. Dans cette page de prière, les renvois ou les liaisons avec certains Psaumes et avec le message des prophètes ne manquent pas: elle est ainsi devenue une expression de la foi d'Israël suggestive et intense.


2. Le cantique de Moïse est plus ample que le passage proposé par la Liturgie des Laudes, qui en constitue seulement le prélude. Certains chercheurs ont pensé avoir trouvé dans cette composition un genre littéraire qui est techniquement défini par le terme hébreu rîb, c'est-à-dire "dispute", "querelle judiciaire". L'image de Dieu présente dans la Bible n'apparaît pas du tout comme celle d'un être obscur, une énergie anonyme et brute, une destinée incompréhensible. C'est en revanche une personne qui éprouve des sentiments, qui agit et réagit, qui aime et qui condamne, qui participe à la vie de ses créatures et qui n'est pas indifférente à leurs oeuvres. Ainsi, dans notre cas, le Seigneur convoque une sorte d'assemblée judiciaire, en présence de témoins, dénonce les délits du peuple imputé, exige une peine, mais son verdict est imprégné d'une infinie miséricorde. Suivons à présent les traces de cet événement, même si nous nous arrêtons uniquement aux versets que la Liturgie nous propose.


3. On trouve immédiatement la mention des spectateurs-témoins cosmiques: "Cieux, prêtez l'oreille... terre, écoute..." (Dt 32,1). Dans ce procès symbolique, Moïse joue presque le rôle du procureur général. Sa parole est efficace et féconde comme la parole prophétique, expression de la parole divine. On doit remarquer le flux significatif des images utilisées pour la définir: il s'agit de signes empruntés à la nature comme la pluie, la rosée, l'averse, l'ondée et la bruine qui rendent la terre verdoyante et couverte de tiges de blé (cf. Dt Dt 32,2).

La voix de Moïse, prophète et interprète de la parole divine, annonce l'entrée en scène imminente du grand juge, le Seigneur, dont il prononce le nom très saint, en exaltant l'un de ses nombreux attributs. En effet, le Seigneur est appelé le Rocher (Dt 32,4), un titre qui constelle tout notre cantique (cf. Dt Dt 32,15 Dt Dt 32,18 Dt Dt 32,30 Dt Dt 32,31 Dt Dt 32,37), une image qui exalte la fidélité stable et inébranlable de Dieu, bien différente de l'instabilité et de l'infidélité du peuple. Le thème est affronté avec une série d'affirmations sur la justice divine: "Son oeuvre est parfaite, car toutes ses voies sont le Droit. C'est un Dieu fidèle et sans iniquité, il est Justice et Rectitude" (Dt 32,4).


4. Après la présentation solennelle du Juge suprême, qui est également la partie lésée, le regard du poète se tourne vers l'accusé. Pour le définir, il a recours à une représentation efficace de Dieu comme père (cf. Dt Dt 32,6). Ses créatures, tant aimées, sont appelées ses fils, mais ce sont malheureusement des fils "corrompus" (cf. Dt Dt 32,5). Nous savons, en effet, que dans l'Ancien Testament il existe déjà une conception de Dieu comme père attentif à l'égard de ses enfants qui le déçoivent souvent (Ex 4,22 Dt 8,5 Ps 102,13 Si 51,10 Is 1,2 Is 63,16 Os 11,1-4). C'est pourquoi la dénonciation n'est pas froide, mais passionnée: "Est-ce là ce que vous rendez à Yahvé? Peuple insensé, dénué de sagesse! N'est-ce pas lui ton père, qui t'a procréé, lui qui t'a fait et par qui tu subsistes?" (Dt 32,6). En effet, il est bien différent de se rebeller contre un souverain implacable ou de se révolter contre un père plein d'amour.

Pour rendre le chef d'accusation concret et faire en sorte que la conversion naisse de la sincérité du coeur, Moïse fait appel à la mémoire: "Rappelle-toi les jours d'autrefois, considère les années, d'âge en âge" (Dt 32,7). La fidélité biblique est un "mémorial", c'est-à-dire une redécouverte de l'action éternelle de Dieu présente dans l'écoulement du temps; c'est rendre présent et efficace ce salut que le Seigneur a donné et qu'il continue à offrir à l'homme. Le grand péché d'infidélité coïncide alors avec le "manque de mémoire", qui efface le souvenir de la présence divine en nous et dans l'histoire.

5. L'événement fondamental qu'il ne faut pas oublier est celui de la traversée du désert après la sortie d'Egypte, le thème capital du Deutéronome et de tout le Pentateuque. On évoque ainsi le voyage terrible et dramatique dans le désert du Sinaï, "une lande de hululements solitaires" (cf. Dt Dt 32,10), comme il est dit en employant une image qui possède un profond impact émotif. Cependant, ici, Dieu s'incline sur son peuple avec une tendresse et une douceur surprenantes. Au symbole paternel s'ajoute également de façon allusive le symbole maternel de l'aigle: "Il l'entoure, il l'élève, il le garde, comme la prunelle de son oeil. Tel un aigle qui veille sur son nid, plane au-dessus de ses petits, il déploie ses ailes et le prend" (Dt 32,10-11). Le chemin dans la steppe désertique se transforme alors en un parcours tranquille et serein, sous le manteau protecteur de l'amour divin.
Le cantique renvoie également au Sinaï, où Israël devient l'allié du Seigneur, son "lot" et son "héritage", c'est-à-dire la réalité la plus précieuse (cf. Dt Dt 32,9 Ex 19,5). Le cantique de Moïse devient ainsi un examen de conscience choral, car ce n'est plus le péché mais la fidélité qui répond finalement aux bienfaits divins.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 19 juin 2002, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Paroisse Saint-Pierre-aux-Liens, de Villefagnan; groupe de pèlerins de Nice.

Chers frères et soeurs,

Le cantique du Deutéronome est une hymne joyeuse adressée au Seigneur qui, au milieu des périls et des difficultés, «tel un aigle qui plane au-dessus de ses petits», protège son peuple et veille sur lui avec amour. Par la voix de Moïse, Israël est appelé à louer Dieu et à se souvenir des merveilles que le Très-Haut a faites pour lui, lors de la traversée du désert, après la sortie d’Egypte. La foi biblique est en effet un «mémorial», c’est-à-dire la redécouverte de l’action éternelle de Dieu dans le temps. Elle rend présent et efficace le salut que le Seigneur a donné et continue d’offrir aux hommes, les invitant à un examen de conscience, pour que le peuple de Dieu réponde par la fidélité aux bienfaits de son libérateur.


Je suis heureux d’accueillir les francophones présents ce matin, parmi lesquels des pèlerins de Villefagnan et de Nice. Puisse votre séjour affermir votre foi et faire de vous des témoins de l’Evangile ! Avec la Bénédiction apostolique.

A l'issue de l'Audience générale du 19 juin 2002, le Saint-Père lançait un appel à la suite de l'attentat qui a eu lieu à Jérusalem le 18 juin:

La nouvelle dramatique de l'attentat qui a semé hier la terreur et la mort à Jérusalem ne peut que susciter la condamnation la plus absolue de la part de tous. Pour la énième fois, je répète à ceux qui organisent et qui planifient ces actions barbares qu'ils devront en répondre devant Dieu. Tout en exprimant ma vive solidarité humaine et spirituelle aux familles en deuil ainsi qu'aux blessés, je vous invite tous à prier avec moi le Seigneur, afin qu'il veuille transformer les coeurs endurcis et inspirer des pensées de paix et de pardon réciproque à ceux qui habitent dans cette région qui nous est si chère.

A l'issue de l'Audience générale du 19 juin, le Saint-Père lançait un appel à la Communauté internationale à l'occasion de la "Journée mondiale du Réfugié":

On célèbre demain, la Journée mondiale du Réfugié, promue par les Nations unies pour attirer l'attention sur les quinze millions d'être humains, obligés de franchir les frontières de leur pays afin d'échapper à la persécution ou à la violation de leurs droits fondamentaux.

Que les responsables des nations entendent l'avertissement qui provient d'un exode aussi tragique d'individus et de familles et qu'ils fassent en sorte d'offrir une réponse adaptée aux problèmes dramatiques de nos frères et soeurs.


Mercredi 26 juin 2002: Ps 8 La grandeur du Seigneur et la dignité de l'homme

26062 Lecture: (Ps 8,2 Ps 8,4-7)

1. "L'homme..., au centre de cette entreprise [...] s'y révèle géant, il s'y révèle divin, non pas en lui-même, mais dans son principe et dans sa destinée. Honneur donc à l'homme, honneur à sa dignité, à son esprit, à sa vie". C'est avec ces paroles que Paul VI, en juillet 1969, confiait aux astronautes américains qui partaient pour la lune le texte du Psaume 8, qui vient de retentir ici, afin qu'il entre dans l'espace cosmique (Angelus du 13 juillet 1969; cf. ORLF n. 29 du 18 juillet 1969; Insegnamenti VII [1969], PP 493-494).

Cette hymne est, en effet, une célébration de l'homme, une créature très petite si on la compare à l'immensité de l'univers, un "roseau" fragile pour reprendre une célèbre image du grand philosophe Blaise Pascal (Pensées, n. 264). Mais pourtant, un "roseau pensant" qui peut comprendre la création, en tant que seigneur de la création "couronné" par Dieu lui-même (cf. Ps Ps 8,6). Comme cela se produit souvent dans les hymnes qui exaltent le Créateur, le Psaume 8 commence et finit par une antienne solennelle adressée au Seigneur, dont la magnificence est présente dans l'univers: "Yahvé, notre Seigneur, qu'il est puissant ton nom par toute la terre!" (Ps 8,2 Ps 8,10).


2. La partie qui constitue le véritable corps du chant suggère une atmosphère nocturne, avec la lune et les étoiles qui s'allument dans le ciel. La première strophe de l'hymne (cf. Ps Ps 8,2-5) est dominée par une confrontation entre Dieu, l'homme et le cosmos. Sur la scène apparaît tout d'abord le Seigneur, dont la gloire est chantée dans les cieux, mais également par la bouche des hommes. La louange qui naît de façon spontanée sur les lèvres des enfants efface et confond les discours présomptueux des détracteurs de Dieu (cf. Ps Ps 8,3). Ils sont définis comme des "adversaires, ennemis, rebelles", car ils ont l'illusion de défier le Créateur et de le contrecarrer par leur raison et leur action (cf. Ps Ps 13,1).

Tout de suite après, s'ouvre la scène suggestive d'une nuit étoilée. Face à cet horizon infini, apparaît la question éternelle: "Qu'est donc le mortel?" (Ps 8,5). La première réponse la plus immédiate parle de nullité, que ce soit en relation à l'immensité des cieux, ou surtout par rapport à la majesté du Créateur. Le Psalmiste dit, en effet, que le ciel est "ton ciel", la lune et les étoiles ont été "fixées par toi" et elles sont l'"ouvrage de tes doigts" (cf. Ps Ps 8,4). Cette dernière expression est très belle, et remplace la phrase plus commune l'"oeuvre de tes mains" (cf. Ps Ps 8,7): Dieu a créé ces réalités colossales avec la facilité et le raffinement d'une broderie ou d'une ciselure, avec le toucher léger d'un harpiste qui fait courir ses doigts sur les cordes.


3. La première réaction est donc de frayeur: comment Dieu peut-il "se souvenir" et "visiter" cette créature si fragile et petite (cf. Ps Ps 8,5)? Mais voici l'autre grande surprise: Dieu a accordé à l'homme, créature faible, une dignité merveilleuse: à peine l'a-t-il fait moindre que les anges ou, comme on peut également traduire l'original hébreu, à peine moindre qu'un Dieu (cf. Ps Ps 8,6).

Nous entrons ainsi dans la deuxième strophe du Psaume (cf. Ps Ps 8,6-10). L'homme est vu comme le lieutenant royal du Créateur lui-même. En effet, Dieu l'a "couronné" comme un vice-roi, en le destinant à une seigneurie universelle: "Tout fut mis par toi sous ses pieds" et l'adjectif "tout" retentit alors que défilent les diverses créatures (cf. Ps Ps 8,7-9). Cette domination n'est cependant pas due aux capacités de l'homme, réalité fragile et limitée, et elle n'est pas non plus obtenue par une victoire sur Dieu, comme le voudrait le mythe grec de Prométhée. Il s'agit d'une domination accordée par Dieu: tout l'horizon des créatures est confié aux mains fragiles et souvent égoïstes de l'homme, afin qu'il en conserve l'harmonie et la beauté, qu'il en use sans en abuser, qu'il en dévoile les secrets et en développe les potentialités.

Comme le déclare la Constitution pastorale Gaudium et spes du Concile Vatican II, "l'homme a été créé "à l'image de Dieu", capable de connaître et d'aimer son Créateur, il a été constitué seigneur de toutes les créatures terrestres, pour les dominer et pour s'en servir, en glorifiant Dieu" (GS 12).


4. La domination de l'homme, affirmée dans le Psaume 8, peut malheureusement être mal comprise et déformée par l'homme égoïste, qui s'est plus souvent révélé un tyran fou qu'un gouverneur sage et intelligent. Le Livre de la Sagesse met en garde contre des déviations de ce genre, lorsqu'il précise que Dieu a "formé l'homme pour dominer sur les créatures... pour régir le monde en sainteté et en justice" (Sg 9,2-3). Bien qu'il s'agisse d'un contexte différent, Job fait lui aussi appel à notre Psaume pour rappeler de façon particulière la faiblesse humaine, qui ne mériterait pas tant d'attention de la part de Dieu: "Qu'est-ce donc que l'homme pour en faire si grand cas, pour fixer sur lui ton attention, pour l'inspecter chaque matin?" (Jb 7,17-18). L'histoire documente le mal que la liberté humaine fait régner dans le monde avec la dégradation de l'environnement et les injustices sociales les plus criantes.

A la différence des êtres humains qui humilient leurs semblables et la création, le Christ se présente comme l'homme parfait, "couronné de gloire et d'honneur, parce qu'il a souffert la mort: il fallait que, par la grâce de Dieu, au bénéfice de tout homme, il goûtât la mort" (He 2,9). Il règne sur l'univers par la domination de paix et d'amour qui prépare le nouveau monde, les nouveaux cieux et la nouvelle terre (cf. 2P 3,13). Son autorité royale s'exerce même - comme le suggère l'auteur de la Lettre aux Hébreux en lui appliquant le Psaume 8 - à travers la donation suprême de soi dans la mort "au bénéfice de tous".

Le Christ n'est pas un souverain qui se fait servir, mais qui sert et qui se consacre aux autres:
"Aussi bien, le Fils de l'homme lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et pour donner sa vie en rançon pour une multitude" (Mc 10,45). De cette façon, il ramène en lui "toutes choses, les êtres célestes comme les terrestres" (cf. Ep Ep 1,10). Sous cette lumière christologique, le Psaume 8 révèle toute la force de son message et de son espérance, en nous invitant à exercer notre souveraineté sur la création non par la domination, mais dans l'amour.

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 26 juin 2002, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Lycée Sainte-Marie, de Blois.

De Suisse: Groupe du diocèse de Sion, avec le Card. Henri Schwery.

De Belgique: Groupe de pèlerins d'Affigem.

Chers Frères et Soeurs,

En invitant tout homme à magnifier le nom de Dieu qui a créé le cosmos, le Psaume 8 l’appelle aussi à méditer sur sa propre place dans l’univers et sur la vocation spécifique qui lui a été confiée par le Seigneur. Dieu a remis la création entre les mains fragiles et souvent égoïstes de l’homme, afin que ce dernier en conserve l’harmonie et la beauté, qu’il en use sans en abuser, et qu’il en dévoile les secrets et développe les potentialités. À la différence des êtres humains, qui trop souvent humilient leurs semblables et dégradent la création, le Christ se présente comme l’homme parfait, fidèle à la volonté du Père. Il a pris le chemin du service pour inviter chaque homme à exercer sa souveraineté sur la création, non par la domination mais dans l’amour.

Je souhaite la bienvenue aux pèlerins francophones, en particulier au Cardinal Henri Schwery et au groupe du diocèse de Sion, ainsi qu’aux jeunes du Lycée Sainte-Marie de Blois. Avec la Bénédiction apostolique.



Mercredi 3 juillet 2002: Ps 92 L'exaltation de la puissance de Dieu créateur

30702 Lecture: Ps 92,1 Ps 92,3-4

1. Le contenu essentiel du Psaume 92, sur lequel nous nous arrêtons aujourd'hui, est exprimé de façon suggestive par plusieurs versets de l'Hymne que la Liturgie des Heures propose pour les Vêpres du lundi: "O immense créateur, / qui as donné un cours et des limites / à l'impétuosité des flots / dans l'harmonie du cosmos, / aux âpres solitudes / de la terre assoiffée / tu as donné la fraîcheur / des torrents et des mers".

Avant d'entrer dans le coeur du Psaume, qui est dominé par l'image des eaux, nous désirons en saisir la tonalité de base, le genre littéraire qui le détermine. Ce Psaume, en effet, comme les Psaumes 95-98 qui suivent, est défini par les chercheurs de la Bible comme "le chant du Dieu de majesté". Il exalte le Royaume de Dieu, source de paix, de vérité et d'amour, que nous invoquons dans le "Notre Père" lorsque nous implorons: "Que ton Règne vienne!".

En effet, le Psaume 92 s'ouvre précisément par une exclamation de joie qui retentit ainsi: "Yahvé règne" (v. 1). Le Psalmiste célèbre la royauté active de Dieu, c'est-à-dire son action efficace et salvifique, créatrice du monde et rédemptrice de l'homme. Le Seigneur n'est pas un empereur impassible, relégué dans un ciel lointain, mais il est présent parmi son peuple comme Sauveur puissant et grand dans l'amour.


2. Dans la première partie de l'hymne de louange trône le Seigneur roi. En tant que souverain, il siège sur un trône de gloire, un trône inébranlable et éternel (cf. v. 2). Son manteau est la splendeur de la transcendance, la ceinture de sa robe est la toute-puissance (cf. v. 1). C'est précisément la souveraineté toute-puissante de Dieu qui se révèle au coeur du Psaume, caractérisé par une image impressionnante, celle des eaux tumultueuses.

Le Psalmiste mentionne plus particulièrement la "voix" des fleuves, c'est-à-dire le fracas de leurs eaux. En effet, le fracas des grandes cascades produit, chez celui qui s'en trouve assourdi et dont tout le corps est saisi d'un frémissement, une sensation de force terrible. Le Psaume 41 évoque cette sensation lorsqu'il dit: "L'abîme appelant l'abîme au bruit de tes écluses, la masse de tes flots et de tes vagues a passé sur moi" (v. 8). Face à cette force de la nature, l'être humain se sent tout petit. Cependant, le Psalmiste l'utilise comme un tremplin pour exalter la puissance, d'autant plus grande, du Seigneur. A la triple répétition de l'expression "les fleuves déchaînent" (cf. Ps Ps 92,3) leur voix, répond la triple affirmation de la puissance supérieure de Dieu.

3. Les Pères de l'Eglise aiment commenter ce Psaume en l'appliquant au Christ "Seigneur et Sauveur". Origène, traduit en latin par saint Jérôme, affirme: "Le Seigneur a régné, il s'est revêtu de beauté. C'est-à-dire que celui qui avait tout d'abord tremblé dans la misère de la chair, resplendit à présent dans la majesté de la divinité". Pour Origène, les fleuves et les eaux qui déchaînent leurs voix représentent les "figures imposantes des prophètes et des apôtres", qui "proclament la louange et la gloire du Seigneur, en annonçant ses jugements pour le monde entier" (cf. 74 homélies sur le livre des Psaumes, Milan 1993, PP 666 PP 669).

Saint Augustin développe de façon encore plus ample le symbole des torrents et des mers. Comme des fleuves dont les eaux abondantes s'écoulent, c'est-à-dire remplis de l'Esprit Saint et rendus forts, les Apôtres n'ont plus peur et élèvent finalement leur voix. Mais "lorsque le Christ commença à être annoncé par tant de voix, la mer commença à s'agiter". Dans le bouleversement de la mer du monde,- remarque Augustin - le vaisseau de l'Eglise semblait tanguer de façon effrayante, freiné par des menaces et des persécutions, mais "le Seigneur est admirable en haut": il "a marché sur la mer et a calmé les flots" (Commentaires sur les psaumes, III, Rome 1976, p. 231).


4. Le Dieu souverain de toute chose, tout-puissant et invincible est, cependant, toujours proche de son peuple, auquel il donne ses enseignements. Telle est l'idée que le Psaume 92 offre dans son dernier verset: au trône très haut des cieux succède le trône de l'arche du temple de Jérusalem, la puissance de sa voix cosmique fait place à la douceur de sa parole sainte et infaillible: "Ton témoignage est véridique entièrement; la sainteté est l'ornement de ta maison, Yahvé, en la longueur des jours" (Ps 92,5).

C'est ainsi que se termine une hymne brève, mais qui possède un grand souffle de prière. Il s'agit d'une prière qui engendre la confiance et l'espérance chez les fidèles qui se sentent souvent agités, craignant d'être renversés par les tempêtes de l'histoire et frappés par des forces obscures qui menacent.

Un écho de ce Psaume peut être reconnu dans l'Apocalypse de Jean, lorsque l'Auteur inspiré, décrivant la grande assemblée céleste qui célèbre la chute de Babylone qui représente l'oppresseur, affirme: "Alors j'entendis comme le bruit d'une foule immense, comme le mugissement des grandes eaux, comme le grondement de violents tonnerres; on clamait: "Alléluia! Car il a pris possession de son règne, le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout"" (Ap 19,6).


5. Nous concluons notre réflexion sur le Psaume 92 en laissant la parole à saint Grégoire de Nazianze, le "théologien" par excellence parmi les Pères. Nous le faisons à travers l'un de ses poèmes, dans lequel la louange à Dieu, souverain et créateur, prend un aspect trinitaire: "Toi, [Père] tu as créé l'univers, donnant à chaque chose la place qui lui revient et la conservant en vertu de ta providence.... Ton Verbe est Dieu-Fils: en effet, il est consubstantiel au Père, égal à lui en honneur. Il a accordé l'univers de façon harmonieuse, pour régner sur tout. Et, embrassant tout, l'Esprit Saint, Dieu, a soin de toute chose et les protège. Je te proclamerai, Trinité vivante, seul et unique monarque,... force inébranlable qui règne dans les cieux, regard inaccessible à la vue mais qui contemple tout l'univers et qui connaît chaque anfractuosité secrète de la terre jusqu'aux abysses. Dieu, sois pour moi plein de tendresse. Aide-moi à reconnaître ta miséricorde et ta grâce, car à Toi sont la gloire et la grâce pour les siècles sans fin!" (Carme 31, in: Poésies/1, Rome 1994, PP 65-66).

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Parmi les pèlerins qui assistaient à l'Audience générale du 3 juillet 2002, se trouvaient les groupes suivants, auxquels le Saint-Père s'est adressé en français:

De France: Groupe de pèlerins de Sommières; Collège Saint-François de Sales, de Dijon; groupe de Wettolsheim; groupe du diocèse d'Ajaccio, conduit par Mgr André Lacrampe; groupe de Port Louis.

Chers Frères et Soeurs,

Le psaume 92 nous aide à contempler le mystère de Dieu. Par ce chant, nous pouvons louer le Seigneur, notre Roi, lui qui est la source de la paix, de la vérité et de l’amour. Devant les forces de la nature, l’homme se sent tout petit. Mais la reconnaissance de cette petitesse est aussi une occasion de reconnaître la grandeur du Seigneur, Créateur de toute chose. Car la création tout entière proclame la gloire de Dieu. Cependant, Dieu est toujours présent au milieu de son peuple comme le Sauveur. Cela conduit ceux qui prient avec ce psaume à une attitude de confiance et d’espérance. Aussi pouvons-nous redire avec saint Grégoire de Nazianze: «Dieu, sois pour moi plein de tendresse. Aide-moi à reconnaître ta miséricorde et ta grâce, car à Toi sont la gloire et la grâce pour les siècles sans fin !» (Poésie, n. 31).

Je salue cordialement les pèlerins francophones, notamment les jeunes de Dijon et le groupe de l’Ile Maurice. De manière toute spéciale, je souhaite la bienvenue aux pèlerins de Corse, venus à Rome avec Mgr André Lacrampe, pour participer à l’ordination épiscopale de Mgr Dominique Mamberti. Je salue avec une particulière affection la Maman et toute la famille de l’évêque nommé, auquel j’exprime mes voeux fervents. Ma prière l’accompagne dans la mission que la Providence lui confie comme Nonce apostolique au Soudan et Délégué apostolique en Somalie. A tous, j’accorde la Bénédiction apostolique.




Catéchèses S. J-Paul II 12062