Catéchèses S. J-Paul II 15103

Mercredi 15 octobre 2003 La structure des Vêpres

15103 Lecture: Lc 1,46-47 Lc 1,51 Lc 1,53-55

1. Grâce à de nombreux témoignages, nous savons que, à partir du IV siècle, les Laudes et les Vêpres sont désormais une institution stable dans toutes les grandes Églises orientales et occidentales. Voilà, par exemple, le témoignage de saint Ambroise: "De même que chaque jour, en allant à l'église ou en nous appliquant à la prière chez nous, nous commençons par Dieu et nous finissons en Lui, de même le jour entier de notre vie ici-bas et le cours de chaque journée doit toujours commencer par Lui et finir en Lui" (De Abraham, II, 5, 22).

Alors que les Laudes se trouvent au début du jour, les Vêpres trouvent leur place vers le coucher du soleil, à l'heure où, dans le temple de Jérusalem, l'holocauste était offert avec l'encens. A cette heure, Jésus, après sa mort sur la Croix, reposait dans le sépulcre, s'étant offert lui-même au Père pour le salut du monde.

Les diverses Églises, en suivant leurs traditions respectives, ont organisé l'Office divin selon leur propre rituel. Nous prenons ici en considération le rite romain.

2. La prière est ouverte par l'invocation Deus in adiutorium, deuxième verset du Psaume (Ps 69,2), que saint Benoît prescrit pour chaque Heure. Le verset rappelle que ce n'est que de Dieu que peut nous venir la grâce de le louer dignement. Il y a ensuite le "Gloire au Père", car la glorification de la Trinité exprime l'orientation essentielle de la prière chrétienne. Enfin, à l'exception de la période du Carême, on ajoute l'Alléluia, une expression hébraïque qui signifie "Louez le Seigneur", et qui est devenue, pour les chrétiens, une joyeuse manifestation de confiance dans la protection que Dieu réserve à son peuple.

Le chant de l'Hymne fait retentir les motifs de la louange de l'Église en prière, évoquant avec un souffle poétique les mystères accomplis pour le salut de l'homme à l'heure des vêpres, en particulier le sacrifice accompli par le Christ sur la Croix.

3. La psalmodie des Vêpres se compose de deux Psaumes, adaptés à cette heure, et d'un cantique tiré du Nouveau Testament. La typologie des Psaumes destinés aux Vêpres présente diverses nuances. Il y a les Psaumes lucernaires, dans lesquels la mention du soir, de la lampe ou de la lumière est explicite; des Psaumes qui manifestent la confiance en Dieu, solide refuge dans la précarité de la vie humaine; des Psaumes d'action de grâce et de louange; des Psaumes qui font apparaître le sens eschatologique évoqué par la fin du jour, et d'autres à caractère sapientiel ou possédant un ton pénitentiel. Nous trouvons, en outre, des Psaumes du Hallel, avec une référence à la Dernière Cène de Jésus avec ses disciples. Dans l'Église latine ont été transmis des éléments qui favorisent la compréhension des Psaumes et leur interprétation chrétienne, tels que les titres, les prières sous forme de psaumes et surtout les antiennes (cf. Principes et normes pour la Liturgie des Heures, 110-120).

Une place importante est occupée par la lecture brève, qui dans les Vêpres est tirée du Nouveau Testament. Elle a pour but de proposer avec force et de façon incisive quelques sentences bibliques et de les imprimer dans les coeurs afin qu'elles soient traduites dans la vie (cf. ibid., nn. 45, 156, 172). Afin de faciliter l'intériorisation de ce qui est écouté, la lecture est suivie par un silence approprié et par un responsorio, qui a pour fonction de "répondre", avec le chant de quelques versets, au message de la lecture, en favorisant l'accueil cordial de la part des participants à la prière.

4. C'est avec un grand respect, après le signe de la croix, qu'est entonné le Cantique évangélique de la bienheureuse Vierge Marie (cf. Lc Lc 1,46-55). Déjà attesté par la Règle de saint Benoît (chap. RB 12 ; 17), l'usage de chanter le Benedictus lors des Laudes et le Magnificat lors des Vêpres "est justifié par la tradition séculaire et populaire de l'Église romaine" (Principes et normes pour la Liturgie des Heures, n. 50). En effet, ces cantiques sont exemplaires pour exprimer le sens de la louange et de l'action de grâce à Dieu pour le don de la Rédemption.

Dans la célébration communautaire de l'Office divin, le geste d'encenser l'autel, le prêtre et le peuple, alors que l'on exécute les Cantiques évangéliques, peut suggérer - à la lumière de la tradition juive d'offrir l'encens le matin et le soir sur l'autel des parfums - le caractère oblatif du "sacrifice de louange" exprimé dans la Liturgie des Heures. En nous rassemblant autour du Christ dans la prière, nous pouvons vivre personnellement ce qui est dit dans la Lettre aux Hébreux: "Par lui, offrons à Dieu un sacrifice de louange en tout temps, c'est-à-dire le fruit de lèvres qui confessent son nom" (He 13,15 cf. Ps Ps 49,14 Ps Ps 49,23 Os 14,3).

5. Après le Cantique, les intercessions adressées au Père ou parfois au Christ, expriment la voix suppliante de l'Église, qui se souvient de la sollicitude divine pour l'humanité, oeuvre de ses mains. Le caractère des intercessions vespérales est, en effet, celui de demander l'aide divine pour chaque catégorie de personne, pour la communauté chrétienne et pour la société civile. Puis on termine par le souvenir des fidèles défunts.

La liturgie des Vêpres trouve son couronnement dans la prière de Jésus, le Notre Père, synthèse de toute louange et de toute supplique des fils de Dieu régénérés par l'eau et par l'Esprit. En conclusion de la journée, la tradition chrétienne a mis en relation le pardon imploré de Dieu dans le Notre Père et la réconciliation fraternelle des hommes entre eux: le soleil ne doit se coucher sur la colère de personne (cf. Ep Ep 4,26).

La prière vespérale est conclue par une oraison qui, en harmonie avec le Christ crucifié, exprime la remise de notre existence entre les mains du Père, conscients que sa bénédiction ne viendra jamais à manquer.
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Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier l’Association sacerdotale Lumen gentium, le groupe de l’Île de la Réunion, ainsi que les servants de messe de Fribourg. En toute occasion, puissiez-vous offrir à Dieu, par Jésus, un sacrifice de louange, c’est-à-dire l’acte de foi qui sort de vos lèvres en l’honneur de son nom (cf. He He 13,15) !

Je voudrais exprimer à tous ma reconnaissance pour les voeux et les prières qui m'ont été présentés à l'occasion de mon XXV anniversaire de Pontificat. J'invite les Romains et les pèlerins à s'unir à moi, ici sur la Place Saint-Pierre, demain soir à 18h00, pour louer le Seigneur et le remercier en cette heureuse circonstance.



Mercredi 29 octobre 2003 Conclusion de l'Année du Rosaire

29103 1. Avec le mois d'octobre se conclut l'Année du Rosaire.

Je suis profondément reconnaissant à Dieu pour ce temps de grâce au cours duquel toute la Communauté ecclésiale a pu approfondir la valeur et l'importance du Rosaire comme prière christologique et contemplative.

"Contempler avec Marie le visage du Christ" (Lettre apost. Rosarium Virginis Mariae
RVM 3). Ces paroles, qui reviennent dans la Lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae, sont devenues pour ainsi dire la "devise" de l'Année du Rosaire. Elles expriment en synthèse la signification profonde de cette prière à la fois simple et profonde. Dans le même temps, elles soulignent la continuité entre la proposition du Rosaire et le chemin indiqué au Peuple de Dieu dans ma précédente Lettre apostolique Novo millennio ineunte.

2. Si, en effet, au début du troisième millénaire, les chrétiens sont appelés à croître comme "contemplateurs du visage du Christ" (cf. Novo millennio ineunte NM 16) et les communautés ecclésiales à devenir d'"authentiques écoles de prière" (ibid ., NM NM 33), le Rosaire constitue la "voie mariale", et donc privilégiée, pour atteindre ce double objectif. Désireuse d'être toujours plus transparente au "mystère" du Christ, l'Eglise, pour méditer les "mystères" de son Evangile, se met à l'école de Marie. Tel est le "chemin de Marie" (cf. ibid ., NM NM 24), le chemin sur lequel Elle a accompli son pèlerinage exemplaire de foi, comme première disciple du Verbe incarné. Elle est, dans le même temps, la voie d'une authentique dévotion mariale, totalement centrée sur le lien existant entre le Christ et sa Très Sainte Mère (cf. ibid.).

3. Au cours de cette Année, j'ai voulu confier au Peuple de Dieu deux grandes intentions de prière: la paix et la famille.

Le XXI siècle, né sous le signe de la grande réconciliation jubilaire, a malheureusement hérité du passé des foyers de guerre et de violence nombreux et persistants. Les attentats déconcertants du 11 septembre 2001 et les événements qui ont eu lieu par la suite dans le monde, ont accru la tension au niveau planétaire. Face à ces situations préoccupantes, réciter la couronne du Rosaire ne représente pas un repli intimiste sur soi-même, mais un choix de foi conscient: en contemplant le visage du Christ, notre Paix et notre réconciliation, nous voulons implorer de Dieu le don de la paix, à travers l'intercession de la Très Sainte Vierge Marie. C'est à Elle que nous demandons la force nécessaire pour être des artisans de paix, en commençant par la vie quotidienne en famille.

La famille! Le noyau familial devrait être précisément le premier milieu dans lequel la paix du Christ est accueillie, cultivée et gardée. Toutefois, de nos jours, sans la prière, il devient toujours plus difficile pour la famille de réaliser sa vocation. Voilà pourquoi il serait véritablement utile de récupérer la belle habitude de réciter le Rosaire à la maison, comme le faisaient les générations passées. "La famille qui est unie dans la prière demeure unie" (Rosarium Virginis Mariae RVM 41).

4. Je confie ces intentions à la Madone, afin que ce soit Elle qui protège les familles et obtienne la paix pour les personnes et le monde entier.

Je souhaite que tous les croyants, avec la Vierge, marchent résolument sur la voie de la sainteté, en tenant le regard fixé sur Jésus et en méditant, avec le chapelet, les mystères du salut. Ce sera le fruit le plus précieux de cette année consacrée à la prière du Rosaire.

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Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier les jeunes. Puissiez-vous, en empruntant «le chemin de Marie» (Ibid., NM 24), marcher résolument sur la voie de la sainteté, en tenant le regard fixé sur Jésus et en méditant, avec le chapelet, les mystères du salut !



Mercredi 5 novembre 2003: Ps 140 La prière dans le danger

51103 Lecture: (Ps 140,1-4 Ps 140,8-9)

1. Au cours des précédentes catéchèses, nous avons jeté un regard d'ensemble sur la structure et la valeur de la Liturgie des Vêpres, la grande prière ecclésiale du soir. A présent, nous pénétrons à l'intérieur de celle-ci. Ce sera comme accomplir un pèlerinage dans cette sorte de "terre sainte" constituée par des Psaumes et des Cantiques. Nous nous arrêterons tour à tour devant chacune de ces oraisons poétiques, que Dieu a scellées par son inspiration. Ce sont les invocations que le Seigneur lui-même désire qu'on lui adresse. C'est pourquoi il aime les écouter, en entendant vibrer dans celles-ci le coeur de ses fils bien-aimés.

Nous commencerons par le Psaume 140, qui ouvre les Vêpres dominicales de la première des quatre semaines selon lesquelles, après le Concile, a été articulée la prière du soir de l'Eglise.

2. "Que monte ma prière, en encens devant ta face, les mains que j'élève, en offrande du soir". Le verset (Ps 140,2) de ce Psaume peut être considéré comme le signe distinctif de tout le chant et la justification évidente du fait qu'il ait été placé au sein même de la Liturgie des Vêpres. L'idée exprimée reflète l'esprit de la théologie prophétique qui unit intimement le culte à la vie, la prière à l'existence.

Cette même oraison faite avec un coeur pur et sincère devient un sacrifice offert à Dieu. Tout l'être de la personne qui prie devient un acte sacrificiel, préludant ainsi à ce que suggérera saint Paul, lorsqu'il invitera les chrétiens à offrir leurs corps comme sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu: tel est le sacrifice spirituel qu'Il accepte (cf. Rm Rm 12,1).

Les mains levées dans la prière sont un pont de communication avec Dieu, comme l'est la fumée qui s'élève en un doux parfum de la victime au cours du rite sacrificiel vespéral.

3. Le Psaume se poursuit en prenant le ton d'une supplique, qui nous a été transmise par un texte qui, dans l'original hébreu, présente de nombreuses difficultés et des problèmes d'interprétation (en particulier dans les versets Ps 140,4-7).

Le sens général peut, quoi qu'il en soit, être identifié et transformé en méditation et en oraison. Tout d'abord, l'orant supplie le Seigneur afin qu'il empêche que ses lèvres (cf. Ps Ps 140,3) et les sentiments de son coeur ne soient attirés et capturés par le mal et ne le poussent à accomplir des "actions impies" (cf. Ps Ps 140,4). En effet, les paroles et les oeuvres sont l'expression du choix moral de la personne. Il est facile que le mal exerce un fort attrait, au point de pousser également les fidèles à goûter "les plaisirs" que les pécheurs peuvent offrir, en s'asseyant à leur table, c'est-à-dire en participant à leurs actions perverses.

Le Psaume acquiert presque la valeur d'un examen de conscience, que suit l'engagement de choisir toujours les voies de Dieu.

4. A ce point, cependant, l'orant est pris d'un tressaillement qui le fait s'exprimer en une déclaration passionnée de refus de toute complicité avec l'impie: il ne veut absolument pas être l'hôte de l'impie, ni permettre que l'huile parfumée réservée aux hôtes de marque (cf. Ps Ps 22,5) atteste sa connivence avec celui qui commet le mal (cf. Ps Ps 140,5). Afin d'exprimer avec une plus grande véhémence sa dissociation radicale d'avec le méchant, le Psalmiste proclame ensuite à son égard une condamnation indignée, exprimée en utilisant des images expressives de jugement véhément.

Il s'agit de l'une des imprécations typiques du Psautier (cf. Ps Ps 57 et 108), qui ont pour but d'affirmer de façon imagée et même pittoresque l'hostilité à l'égard du mal, le choix du bien et la certitude que Dieu intervient dans l'histoire par son jugement de sévère condamnation de l'injustice (cf. Ps Ps 140,6-7).

5. Le Psaume se termine par une ultime invocation confiante (cf. Ps Ps 140,8-9): c'est un chant de foi, de gratitude et de joie, dans la certitude que le fidèle ne sera pas touché par la haine que les pervers lui réservent et qu'il ne tombera pas dans le piège qu'ils lui tendent, après avoir exprimé son choix décidé en faveur du bien. Le juste pourra ainsi surmonter de façon indemne toute tromperie, comme il est dit dans un autre Psaume: "Notre âme comme un oiseau s'est échappée du filet de l'oiseleur. Le filet s'est rompu et nous avons échappé" (Ps 123,7).

Nous concluons notre lecture du Psaume 140 en revenant à l'image du départ, celle de la prière du soir comme sacrifice agréable à Dieu. Un grand maître spirituel qui vécut entre le IV et le V siècle, Jean Cassien, et qui, originaire de l'Orient, s'installa en Gaule méridionale au cours la dernière partie de sa vie, relisait ces paroles selon une interprétation christologique: "Dans celles-ci, en effet, on peut comprendre plus spirituellement une allusion au sacrifice du soir, accompli par le Seigneur et Sauveur au cours de sa dernière Cène et remis aux apôtres, alors qu'il marquait le début des saints mystères de l'Eglise, ou bien (on peut saisir une allusion) à ce même sacrifice que, le jour suivant, il offrit le soir, en lui-même, par l'élévation de ses mains, un sacrifice qui se poursuivra jusqu'à la fin des siècles pour le salut du monde entier" (Des instituts des Cénobites, Abbaye de Praglia, Padoue, 1989, p. 92).

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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier les membres du Mouvement mondial des Travailleurs chrétiens et les pèlerins du diocèse de Coutances. Que votre pèlerinage sur les tombes des Apôtres vous renouvelle dans le désir de la sainteté !


Mercredi 12 novembre 2003: Ps 141 Premières Vêpres - dimanche de la 1 semaine

12113 Lecture: (Ps 141,2-3 Ps 141,6-8)

1. Le soir du 3 octobre 1226, saint François d'Assise était en train de s'éteindre: sa dernière prière fut précisément la récitation du Psaume 141, que nous venons d'écouter. Saint Bonaventure rappelle que saint François "se mit à réciter avec force le Psaume: "A Yahvé mon cri! J'implore! A Yahvé mon cri! Je supplie" et il le récita jusqu'au dernier verset: "Autour de moi les justes feront cercle, à cause du bien que tu m'as fait"" (Legenda maior, XIV, 5, in: Fonti Francescane, Padoue - Assise 1980, p. 958).

Le Psaume est une intense supplication, rythmée par une série de verbes d'imploration adressés au Seigneur: "J'implore à l'aide", "Je supplie Yahvé", "Je déverse ma plainte", "ma détresse, je la mets devant lui" (Ps 141,2-3). La partie centrale du Psaume est dominée par la confiance en Dieu qui n'est pas indifférent à la souffrance du fidèle (cf. Ps Ps 141,4-8). C'est dans cette attitude que saint François alla vers la mort.

2. Dieu est interpellé par un "Tu", comme une personne qui donne la sécurité: "Toi, mon abri" (Ps 141,6). "Toi, tu connais mon sentier", c'est-à-dire l'itinéraire de ma vie, un parcours marqué par le choix de la justice. Sur cette voie, les impies lui ont cependant tendu un piège (cf. Ps Ps 141,4): il s'agit de l'image typique tirée des scènes de chasse et fréquente dans les supplications des Psaumes pour indiquer les dangers et les menaces auxquels le juste doit faire face.
Face à ce cauchemar, le Psalmiste lance comme un signal d'alarme, afin que Dieu voie sa situation et intervienne: "Regarde à droite et vois" (Ps 141,5). Dans la tradition orientale, à la droite d'une personne se tenait le défenseur ou le témoin favorable au cours d'un procès, ou bien, en cas de guerre, le garde du corps. Le fidèle est donc seul et abandonné, "pas un qui me reconnaisse". C'est pourquoi il exprime une constatation angoissée: "Le refuge se dérobe à moi, pas un qui ait soin de mon âme" (Ps 141,5).

3. Immédiatement après, un cri révèle l'espérance qui demeure dans le coeur de l'orant. Désormais, l'unique protection et la seule présence efficace est celle de Dieu: "Toi, mon abri, ma part dans la terre des vivants" (Ps 141,6). Le "sort" ou la "part", dans le langage biblique, est le don de la terre promise, signe de l'amour divin à l'égard de son peuple. Le Seigneur reste désormais le dernier et l'unique fondement sur lequel se baser, la seule possibilité de vie, l'espérance suprême.

Le Psalmiste l'invoque avec insistance, car "il est à bout de force" (Ps 141,7). Il le supplie d'intervenir pour briser la chaîne de sa prison de solitude et d'hostilité (cf. Ps Ps 141,8) et le tirer de l'abîme de l'épreuve.

4. Comme dans d'autres Psaumes de supplication, la perspective finale est celle d'une action de grâce, qui sera offerte à Dieu lorsque le fidèle aura été exaucé: "Fais sortir de prison mon âme, que je rende grâce à ton nom" (ibid.). Lorsqu'il aura été sauvé, le fidèle se rendra au milieu de l'assemblée liturgique pour rendre grâce à Dieu (cf. Ibid.). Les justes l'entoureront, car ils considéreront le salut de leur frère comme un don qui leur a également été fait.

Cette atmosphère devrait régner également dans les célébrations chrétiennes. La douleur de chaque personne doit trouver un écho dans le coeur de tous; la joie de chacun doit également être vécue par toute la communauté de prière. En effet, qu'il est "bon et doux d'habiter en frères tous ensemble" (Ps 132,1) et le Seigneur Jésus a dit: "Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux" (Mt 18,20).

5. La tradition chrétienne a appliqué le Psaume 141 au Christ persécuté et souffrant. Dans cette perspective, l'objectif lumineux de la supplication du Psaume se transfigure en un signe pascal, sur la base de l'issue glorieuse de la vie du Christ et de notre destin de résurrection avec lui. C'est ce qu'affirme saint Hilaire de Poitiers, célèbre Docteur de l'Eglise du IV siècle, dans son Traité sur les Psaumes.

Il commente la traduction latine du dernier verset du Psaume, qui parle de récompense pour l'orant et d'attente des justes: "Me expectant iusti, donec retribuas mihi". Saint Hilaire explique: "L'Apôtre nous enseigne quelle récompense le Père a donnée au Christ: "Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père" (Ph 2,9-11). Telle est la récompense: au corps, qu'il a assumé, est donnée l'éternité de la gloire du Père. Le même Apôtre nous enseigne ensuite ce qu'est l'attente des justes, en disant: "Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux, d'où nous attendons ardemment, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ qui transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire" (Ph 3,20-21). Les justes, en effet, l'attendent pour qu'il les récompense, en les rendant conformes à la gloire de son corps, qui est béni pour les siècles des siècles. Amen" (PL 9, 833-837).

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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier les jeunes et les pèlerins du diocèse de Sion, dont les membres du Conseil Municipal d’Ayent-en-Valais, accompagnés de Monsieur le Cardinal Henri SCHWERY. Puisse votre séjour à Rome être une occasion de grandir dans la foi et la confiance dans le Christ.


Mercredi 19 novembre 2003: Ph 2 Christ, serviteur de Dieu

19113 Lecture: (Ph 2,6-9)

1. La Liturgie des Vêpres comprend, outre les Psaumes, également quelques cantiques bibliques. Celui qui vient d'être proclamé est certainement l'un des plus significatifs et de forte teneur théologique. Il s'agit d'un hymne inséré dans le deuxième chapitre de la Lettre de saint Paul aux chrétiens de Philippes, la ville grecque qui fut la première étape de l'annonce missionnaire de l'Apôtre en Europe. Le Cantique est considéré comme l'expression de la liturgie chrétienne des origines et c'est une joie pour notre génération de pouvoir s'associer, après deux millénaires, à la prière de l'Eglise apostolique.

Le Cantique révèle une double trajectoire verticale, un mouvement tout d'abord descendant, puis ascendant. En effet, d'un côté, il y a la descente humiliante du Fils de Dieu quand, dans l'Incarnation, il devient homme par amour des hommes. Il tombe dans la kenosis, c'est-à-dire dans le "dépouillement" de sa gloire divine, poussé jusqu'à la mort sur la croix, le supplice des esclaves qui en a fait le dernier des hommes, le transformant en véritable frère de l'humanité souffrante, pécheresse et rejetée.

2. De l'autre côté, voilà l'ascension triomphale qui s'accomplit dans la Pâque, lorsque le Christ est rétabli par le Père dans la splendeur de la divinité et est célébré comme le Seigneur par tout l'univers et par tous les hommes désormais rachetés. Nous nous trouvons face à une grandiose relecture du mystère du Christ, en particulier du mystère pascal. Saint Paul, outre à proclamer la résurrection (cf. 1Co 15,3-5), a également recours à la définition de la Pâque du Christ comme "exaltation", "élévation", "glorification".

De l'horizon lumineux de la transcendance divine, le Fils de Dieu a donc franchi la distance infinie qui existe entre le Créateur et la créature. Il ne s'est pas accroché comme à une proie à sa "nature égale à Dieu", qui lui revient par nature et non par usurpation: il n'a pas voulu conserver jalousement cette prérogative comme un trésor, ni l'utiliser à son propre avantage. Au contraire, le Christ "dépouilla", "humilia" sa propre personne et apparut pauvre, faible, destiné à la mort infamante de la crucifixion. C'est précisément de cette humiliation extrême que part le grand mouvement ascensionnel décrit dans la deuxième partie de l'hymne paulinien (cf. Ph 2,9-11).

3. Dieu "exalte" à présent son Fils en lui conférant un "nom" glorieux, qui, dans le langage biblique, indique la personne elle-même et sa dignité. Or, ce nom est "Kyrios", "Seigneur", le nom sacré du Dieu biblique, appliqué à présent au Christ ressuscité. Celui-ci place dans une attitude d'adoration l'univers, décrit selon la tripartition du ciel, de la terre et des enfers.

Dans le final de l'hymne, le Christ glorieux apparaît ainsi comme le Pantokrator, c'est-à-dire le Seigneur tout-puissant qui trône de manière triomphale dans les absides des basiliques paléochrétiennes et byzantines. Il porte encore les signes de la passion, c'est-à-dire de sa véritable humanité, mais il se révèle à présent dans la splendeur de la divinité. Proche de nous dans la souffrance et dans la mort, le Christ nous attire à présent à Lui dans la gloire, en nous bénissant et en nous faisant participer à son éternité.

4. Nous concluons notre réflexion sur l'hymne paulinien en laissant la parole à saint Ambroise, qui reprend souvent l'image du Christ qui "se dépouilla lui-même", en s'humiliant et comme en s'annulant (exinanivit semetipsum)dans l'incarnation et dans l'offrande de sa propre personne sur la croix.

En particulier, dans le Commentaire du Psaume CXVIII, l'Evêque de Milan s'exprime ainsi: "Le Christ, pendu sur la croix... fut transpercé par la lance et il s'en écoula du sang et de l'eau plus doux que tout onguent, victime agréable à Dieu, répandant dans le monde entier le parfum de la sanctification... Alors Jésus, transpercé, répandit le parfum du pardon des péchés et de la rédemption. En effet, devenu homme, de Verbe qu'il était, il avait été profondément limité, et il est devenu pauvre, bien qu'étant riche, pour nous enrichir de sa misère (cf. 2Co 8,9); il était puissant, il s'est manifesté comme un misérable, si bien qu'Hérode le méprisait et se moquait de lui; il savait ébranler la terre, et pourtant, il restait accroché à ce tronc; il enfermait le ciel dans une étreinte de ténèbres, il mettait le monde en croix, et pourtant, il avait été mis en croix; il baissait la tête, et pourtant, le Verbe en sortait; il avait été anéanti, et pourtant, il remplissait toute chose. Il est descendu étant Dieu, il est monté étant un homme; le Verbe est devenu chair afin que la chair puisse revendiquer pour elle le trône du Verbe à la droite de Dieu; il était entièrement couvert de plaies, et pourtant, un onguent s'en écoulait, il apparaissait déchu, et pourtant, on le reconnaissait comme Dieu" (III, 8, SAEMO IX, Milan-Rome 1987 , pp. PP 131 PP 133).

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Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier Monseigneur Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, et les jeunes prêtres du diocèse. Puissiez-vous, en méditant le mystère pascal du Christ, passer avec Lui chaque jour de la mort à la vie, dans une existence toujours plus offerte à Dieu et à vos frères!



Mercredi 26 novembre 2003: Ps 109 Le Messie, roi et prêtre

26113 Lecture: (Ps 109,1 Ps 109,3-4)

1. Nous venons d'écouter l'un des Psaumes les plus célèbres de l'histoire de la chrétienté. Le Psaume 109, que la Liturgie des Vêpres nous propose chaque dimanche, est en effet cité de façon répétée par le Nouveau Testament. Les versets (Ps 109,1 109,4) sont en particulier appliqués au Christ, dans le sillage de l'antique tradition juive, qui avait transfiguré cet hymne de chant royal de David en Psaume messianique.

La popularité de cette prière est également due à l'usage constant qu'en font les Vêpres du dimanche. C'est pour cette raison que le Psaume 109, dans la version latine de la Vulgate, a été l'objet de nombreuses et splendides compositions musicales qui ont ponctué l'histoire de la culture occidentale. La Liturgie, selon la pratique choisie par le Concile Vatican II, a repris du texte originel hébreu du Psaume, qui d'ailleurs n'est composé que de 63 mots, le verset (Ps 109,6) au caractère violent. Celui-ci reprend le ton de ce qu'on appelle les "Psaumes d'imprécation" et il décrit le roi juif alors qu'il avance dans une sorte de campagne militaire, en écrasant ses adversaires et en jugeant les nations.

2. Puisque nous aurons l'occasion de revenir d'autres fois sur ce Psaume, étant donné l'usage qu'en fait la Liturgie, nous nous contenterons à présent d'en offrir uniquement une vue d'ensemble.

Nous pouvons nettement distinguer deux parties dans celui-ci. La première (cf Ps 109,1-3) contient un oracle adressé par Dieu à celui que le Psalmiste appelle "mon Seigneur"; c'est-à-dire au souverain de Jérusalem. L'oracle proclame l'intronisation du descendant de David "à la droite" de Dieu. En effet, le Seigneur s'adresse à Lui en disant: "Siège à ma droite" (Ps 109,1). Il s'agit vraisemblablement ici de la mention d'un rituel, selon lequel on faisait s'asseoir l'élu à la droite de l'arche de l'alliance, de façon à recevoir du roi suprême d'Israël, c'est-à-dire du Seigneur, le pouvoir de gouverner.

3. En arrière-plan, on perçoit la présence de forces hostiles, cependant neutralisées par une conquête victorieuse: les ennemis sont représentés aux pieds du souverain, qui avance solennellement parmi eux en tenant le sceptre de son autorité (cf . Ps Ps 109,1-2). Il s'agit certainement du reflet d'une situation politique concrète, qui avait lieu dans les moments de passage du pouvoir d'un roi à l'autre, qui étaient à l'origine de la rébellion de certains subalternes ou de tentatives de conquêtes. Mais désormais, le texte renvoie à une sorte d'opposition de caractère général entre le projet de Dieu, qui agit à travers son élu, et les desseins de ceux qui voudraient affirmer un pouvoir hostile et opprimant. On se trouve donc face à l'éternel conflit entre le bien et le mal, qui se déroule au sein d'événements historiques, à travers lesquels Dieu se manifeste et nous parle.

4. En revanche, la deuxième partie du Psaume contient un oracle sacerdotal, qui a encore pour protagoniste le roi David (cf . Ps Ps 109,4-7). Garantie par un serment solennel divin, la dignité royale associe également en elle la dignité sacerdotale. La référence à Melchisédech, roi-prêtre de Salem, c'est-à-dire de l'antique Jérusalem (cf. Gn Gn 14), est peut-être la voie pour justifier le sacerdoce particulier du roi à côté du sacerdoce officiel lévitique du temple de Sion. On sait ensuite que la Lettre aux Hébreux partira précisément de cet oracle: "Tu es prêtre à jamais, selon l'ordre de Melchisédech (Ps 109,4), pour illustrer le sacerdoce particulier et parfait de Jésus Christ.

Par la suite, nous examinerons plus à fond le Psaume 109, en parcourant chacun de ses versets selon une analyse attentive.

5. Pour conclure, cependant, nous voudrions relire le verset initial du Psaume contenant l'oracle divin: "Siège à ma droite, tant que j'aie fait de mes ennemis l'escabeau de tes pieds". C'est ce que nous ferons avec saint Maxime de Turin (IV-V siècle), qui dans son Sermon sur la Pentecôte le commente de la façon suivante: "Selon notre coutume, le partage du siège est offert à celui qui, ayant accompli un haut fait et revenant vainqueur, mérite de s'asseoir en signe d'honneur. Ainsi donc, l'homme Jésus Christ, qui a vaincu le diable par sa passion, ouvrant par sa résurrection les royaumes souterrains, parvenant victorieux au ciel comme après avoir accompli un haut fait, écoute cette invitation de Dieu le Père: "Siège à ma droite". Nous ne devons pas nous émerveiller si le Père offre de partager son siège à son Fils, qui par nature est d'une unique substance avec le Père... Le Fils siège à la droite car, selon l'Evangile, à droite se trouvent les brebis, à gauche, en revanche, les boucs. Il est donc nécessaire que le premier Agneau occupe la partie des brebis et que le Chef immaculé prenne possession à l'avance du lieu destiné au troupeau immaculé qui le suivra" (40, 2: Scriptores circa Ambrosium, IV, Milan-Rome 1991, p. 195).
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Je salue cordialement les pèlerins de langue française présents à cette audience, notamment les lycéens de Suisse. Je souhaite que votre pèlerinage à Rome vous affermisse dans la joie de croire et dans la fidélité à la prière, pour louer Dieu de toutes ses merveilles.




Catéchèses S. J-Paul II 15103