Montée Carmel II - 2003 23

Chapitre 23 - OÙ L'ON COMMENCE À TRAITER DES PRÉHENSIONS DE L'ENTENDEMENT QUI SONT PUREMENT PAR VOIE SPIRITUELLE. - ON DIT CE QU'ELLES SONT



1. Bien que la doctrine que nous avons donnée concernant les préhensions de l'entendement qui sont par la voie du sens, selon ce qui pouvait s'en dire, demeure un peu courte, je n'ai pas voulu m'y étendre davantage ; car pour satisfaire à mon intention, qui est d'en débarrasser l'entendement et de l'acheminer à la nuit de la foi, il me semble plutôt avoir été trop long. Aussi nous traiterons maintenant des quatre autres préhensions de l'entendement que nous avons dites au chapitre 10 purement spirituelles, qui sont les visions, révélations, paroles et sentiments spirituels. Nous les appelons purement spirituelles parce qu'elles ne se communiquent pas à l'entendement par voie des sens corporels (comme les corporelles imaginaires), mais sans aucun moyen d'aucun sens corporel extérieur ou intérieur, elles s'offrent à l'entendement clairement et distinctement par voie surnaturelle, passivement, c'est-à-dire sans que l'âme pose aucun acte ou oeuvre de sa part, au moins actif.

2. Il faut donc savoir que, parlant en gros et en général, on peut appeler toutes ces quatre préhensions : visions de l'âme, car l'entendement de l'âme s'appelle aussi vue de l'âme, et, pour autant que ces préhensions sont intelligibles à l'entendement, on les appelle spirituellement visibles ; et ainsi les intelligences qui s'en forment dans l'entendement peuvent être nommées visions intellectuelles. Car, étant donné que tous les objets des autres sens, comme tout ce qui peut se voir, et tout ce qui peut s'entendre, et tout ce qui peut se flairer, et goûter et toucher, sont objets de l'entendement en tant qu'ils tombent sous la vérité ou la fausseté ; de là vient que, comme tout ce qui est cor-porellement visible aux yeux du corps leur cause une vision corporelle, de même tout ce qui est intelligible aux yeux spirituels de l'âme, c'est-à-dire à l'entendement, lui cause une vision spirituelle, car comme nous avons dit, le saisir par l'entendement, c'est le voir. Ainsi ces quatre préhensions, en parlant en général, peuvent être appelées visions ; ce que les autres sens n'ont pas, parce que l'un est incapable de l'objet de l'autre comme tel.

3. Mais parce que ces préhensions se représentent à l'âme de la même manière qu'aux autres sens, de là vient que, pour parler proprement et spécifiquement, ce que l'entendement reçoit par manière de vue (car il peut voir les choses spirituellement, comme font les yeux corporellement) nous l'appelons vision, et ce qu'il reçoit comme saisissant et entendant des choses nouvelles (comme l'ouïe entendant des choses inouïes) nous l'appelons révélation, et ce qu'il reçoit par manière d'ouïr, nous l'appelons parole, et ce qu'il reçoit par manière des autres sens, comme est l'intelligence d'une suave odeur spirituelle et de délices spirituelles que l'âme peut goûter surnaturellement, nous appelons cela sentiments spirituels. De tout ceci, il tire intelligence ou vision spirituelle, sans aucune préhension de forme, image ou figure d'imagination ou fantaisie naturelle, mais ces choses se communiquent immédiatement à l'âme par oeuvre surnaturelle et par moyen surnaturel.

4. De celles-ci donc aussi (comme nous avons fait des autres préhensions corporelles imaginaires) il faut débarrasser ici l'entendement, en l'acheminant et dressant par elles en la nuit spirituelle de la foi à la divine et substantielle union de Dieu, de peur que (s'embarrassant en elles et se rendant grossier) il ne se retarde au chemin de la solitude et nudité de toutes choses qui sont requises pour cet effet. Car, à supposer que ces préhensions soient plus nobles, plus utiles et beaucoup plus sûres que les corporelles imaginaires (car elles sont déjà intérieures, purement spirituelles, et où le démon peut moins aborder parce qu'elles se communiquent à l'âme plus purement et plus subtilement, sans aucune opération de sa part, ni de l'imagination, au moins active, il n'en est pas moins vrai que non seulement l'entendement pourrait s'embarrasser audit chemin, mais encore il pourrait être beaucoup trompé pour son peu de prudence.

5. Et encore que nous puissions, en quelque sorte, conclure ensemble pour ces quatre manières de préhensions, en donnant le commun conseil que nous donnons pour toutes les autres, de ne les rechercher ni désirer, néanmoins, parce qu'en détail on donnera plus de lumière pour le faire et on dira quelque chose d'elles, il vaut mieux traiter en particulier de chacune; et ainsi nous parlerons des premières qui sont les visions spirituelles ou intellectuelles.


Chapitre 24 - DANS LEQUEL ON TRAITE DE DEUX MANIÈRES QU'IL Y A DE VISIONS SPIRITUELLES PAR VOIE SURNATURELLE



1. Parlant maintenant proprement de celles qui sont visions spirituelles sans le moyen d'aucun sens corporel, je dis qu'il en peut tomber de deux sortes dans l'entendement : les unes sont de substances corporelles, les autres, de substances séparées ou incorporelles. Les corporelles sont de toutes les choses matérielles du ciel et de la terre que l'âme peut voir, (même étant unie au corps) moyennant certaine lumière surnaturelle dérivée de Dieu, en laquelle il lui est permis de voir toutes les choses absentes ; selon ce que nous lisons que saint Jean a vu, au chapitre 21 de l'Apocalypse, où il raconte la description et l'excellence de la Jérusalem céleste, qu'il vit dans le ciel ; ainsi lit-on aussi de saint Benoît, qui en une vision spirituelle vit le monde entier ; cette vision, saint Thomas dans le premier de ses Quodlibets68, dit qu'elle eut lieu grâce à la lumière dérivée d'en haut, que nous avons dite.

68 Art. I adi.


2. Les autres visions qui sont de substances incorporelles, ne peuvent se voir moyennant cette lumière dérivée que nous disons, mais avec une autre lumière plus élevée qui s'appelle lumière de gloire. Et ainsi, ces visions de substances incorporelles, comme des anges et des âmes, ne sont pas de cette vie ni ne peuvent se voir en corps mortel; parce que si Dieu voulait les communiquer à l'âme essentiellement comme elles sont, aussitôt l'âme sortirait de la chair et se détacherait de la vie mortelle. C'est pourquoi Dieu dit à Moïse, quand Il le pria qu'Il lui montrât son essence: Non videbit me homo, et vivet; soit: L'homme ne me verra pas qu'il puisse demeurer en vie (Ex 33,20). C'est pourquoi, quand les enfants d'Israël pensaient qu'ils allaient voir Dieu ou qu'ils l'avaient vu, ou quelque ange, ils craignaient de mourir, comme on le lit dans l'Exode où craignant ces paroles, ils dirent : Non loquatur nobis Dominus, ne forte moriamur ; comme s'ils disaient: Que Dieu ne se communique pas à nous manifestement de peur que nous mourions (Ex 20,19). Et aussi dans les Juges, Manué, père de Samson, pensant qu'ils avaient vu essentiellement l'ange qui leur parlait, à lui et à sa femme (qui leur était apparu sous la forme d'un homme très beau), il dit à sa femme : Morte moriemur, quia vidi-mus Dominum. Ce qui veut dire : Nous mourrons parce que nous avons vu le Seigneur (Jg 13,22).

3. Et ainsi, ces visions ne sont pas de cette vie, si ce n'est quelquefois en passant, Dieu accordant une dispense ou sauvant la condition et la vie naturelle, en en retirant totalement l'esprit, de sorte que, avec sa grâce, le rôle naturel de l'âme vis-à-vis du corps soit suppléé. C'est pour cela que, quand on croit que saint Paul les vit, à savoir les substances séparées dans le troisième ciel, le même saint dit: Sive in corpore, sive extra corpus nescio; Deus scit (2Co 12,2); soit: qu'il fut ravi à elles, et ce qu'il vit, il dit qu'il ne sait si c'était dans le corps ou hors du corps et que Dieu le sait; où l'on voit clairement qu'il fut retiré de la voie naturelle, Dieu opérant la manière. D'où vient aussi, quand on croit que Dieu montra son essence à Moïse, nous lisons qu'il lui promit de le mettre dans le trou de la pierre et de le protéger, le couvrant de sa droite et le garantissant, afin qu'il ne mourût pas quand sa gloire passerait (ce passage n'était autre chose que se montrer en passant), Dieu par sa dextre conservant la vie naturelle de Moïse (Ex 33,22). Mais ces visions si substantielles, comme celle de saint Paul, celle de Moïse, celle de notre Père Élie quand il couvrit sa face au doux sifflement de Dieu, bien qu'elles ne soient qu'en passant, n'arrivent que très rarement et presque jamais et à fort peu de personnes, parce que Dieu confère cette grâce à ceux qui sont très forts en l'esprit de l'Église et la loi de Dieu, comme furent les trois nommés.

4. Or, bien que ces visions de substances spirituelles ne puissent se voir nûment et clairement en cette vie avec l'entendement, elles peuvent néanmoins se sentir en la substance de l'âme, avec des touches très douces et des étreintes, ce qui appartient aux sentiments spirituels, dont, avec l'aide de Dieu, nous traiterons après. Parce que c'est là que s'adresse et se dirige ma plume qui est la divine étreinte et union de l'âme avec la Substance divine, ce qui sera quand nous traiterons de l'intelligence mystique et confuse et obscure, que nous reportons au moment où nous dirons comment, moyennant cette connaissance amoureuse et obscure, Dieu s'unit avec l'âme en un degré sublime et divin, comme la lumière de gloire sert en l'autre de moyen pour la claire vision de Dieu.

5. Par conséquent, traitons maintenant des visions de substances corporelles qu'on reçoit spirituellement en l'âme et qui sont à la façon des visions corporelles, car comme les yeux voient les choses corporelles par le moyen de la lumière naturelle, de même, l'âme avec l'entendement, moyennant la lumière dérivée surnaturelle (que nous avons dite), voit intérieurement ces mêmes choses naturelles et d'autres qu'il plaît à Dieu. Si ce n'est qu'il y a de la différence au moyen et en la manière ; car les spirituelles et intellectuelles arrivent beaucoup plus clairement et plus subtilement que les corporelles ; parce que, quand Dieu veut faire cette faveur à l'âme, il lui communique cette lumière surnaturelle dont nous parlons dans laquelle elle voit facilement et très clairement les choses que Dieu veut lui montrer tant du ciel que de la terre, sans que leur absence ou leur présence y mette empêchement ou concours. C'est parfois comme si on ouvrait une porte très claire et qu'on vît par là une lumière pareille à un éclair, lorsque dans une nuit obscure, il éclaire tout à coup les choses et les fait voir clairement et distincte-ment69, puis les laisse aussitôt en ténèbres, encore que les formes et les figures demeurent dans la fantaisie ; ce qui arrive bien plus parfaitement en l'âme, parce que ces choses qu'elle a vues avec l'esprit en cette lumière y demeurent tellement imprimées, qu'à chaque fois qu'elle y fait réflexion, elle les voit en soi comme elle les a vues auparavant - de même qu'à chaque fois qu'on regarde au miroir on y voit les formes qui y sont - ; et c'est de telle manière que dorénavant les formes des choses qu'elle a vues ne s'effacent jamais entièrement de l'âme, encore que par intervalles elles vont quelque peu s'en éloignant.

69 Ces deux notions assemblées, clair et distinct, fréquentes chez Jean de la Croix, sous une forme ou sous une autre seront très caractéristiques chez Descartes. Nous n'avons pas trouvé d'autres antécédents. Voir notre article « René Descartes et saint Jean de la Croix » dans la Revue Sapientia, vol. LVI, fascic. 210, Buenos Aires, 2001, p. 391-434.


6. L'effet que font en l'âme ces visions est quiétude, illumination, joie en manière de gloire, suavité, netteté et amour, humilité et inclination ou élévation de l'esprit en Dieu, quelquefois plus en l'un, d'autres fois moins en l'autre, selon l'esprit dans lequel on les reçoit et comme il plaît à Dieu.

7. Le démon peut aussi causer ces visions en l'âme moyennant quelque lumière naturelle, en laquelle par suggestion spirituelle l'esprit découvre les choses, qu'elles soient présentes ou absentes. D'où vient que le passage de saint Matthieu où il est dit que le démon à Christ ostendit omnia regna mundi et gloriam eorum, à savoir : il lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire (Mt 4,8), quelques docteurs disent que ce fut par suggestion spirituelle, car il n'était pas possible qu'il pût par les yeux du corps lui faire voir autant : tous les royaumes du monde et leur gloire. Mais il y a bien de la différence entre ces visions que cause le démon et celles qui sont de la part de Dieu, car les effets que celles-là causent en l'âme ne sont pas comme ceux que causent les bonnes, au contraire, elles causent une sécheresse en l'esprit concernant les rapports avec Dieu, une inclination à s'estimer et à admettre et faire cas desdites visions, et elles ne produisent en aucune façon la douceur de l'humilité et amour de Dieu. Et leurs formes ne demeurent pas imprimées en l'âme avec cette clarté suave, comme celle des autres, ni ne durent; mais elles s'effacent aussitôt, sauf si l'âme les estime beaucoup, car alors la propre estime fait qu'elle s'en souvient naturellement; mais c'est fort sèchement et sans causer cet effet d'amour et d'humilité que les bonnes produisent quand on s'en souvient.

8. Ces visions, pour autant qu'elles sont de créatures avec lesquelles Dieu n'a aucune proportion ni convenance essentielle, ne peuvent servir à l'entendement de proche moyen à l'union de Dieu ; de telle sorte qu'il convient à l'âme de s'y comporter d'une façon purement négative (comme dans les autres dont nous avons parlé) pour avancer par le plus proche moyen qui est la foi. D'où vient que l'âme ne doit pas faire réserve des formes de ces visions qui demeurent empreintes en elle, ni les thésauriser, et ne doit pas chercher à y prendre appui, car ce serait être embarrassée avec ces formes et images et personnages qui résident près de l'intérieur, et elle n'irait pas à Dieu par l'abnégation de toutes les choses ; parce que, supposé que ces images se présentent toujours là, elles ne l'empêcheraient guère si l'âme ne voulait en tenir compte, car quoiqu'il soit vrai que leur souvenir incite l'âme à quelque amour de Dieu et contemplation, cependant la pure foi et la nudité en l'obscurité de toutes ces choses l'y portent et élèvent bien davantage, sans savoir comment ni d'où cela lui vient. Et ainsi il arrivera que l'âme sera enflammée avec des passions d'un très pur amour de Dieu et ne saura d'où elles lui viennent, ni quel fondement elles ont eu ; et c'est que, tout ainsi que la foi s'est enracinée et coulée davantage en l'âme moyennant ce vide, ces ténèbres et cette nudité de toutes choses, ou cette pauvreté spirituelle - car nous pouvons appeler tout cela une même chose - aussi conjointement s'enracine et se glisse davantage en l'âme la charité de Dieu. D'où vient que, plus l'âme veut s'obscurcir et anéantir en toutes les choses extérieures et intérieures qu'elle peut recevoir, plus on lui verse de foi et, par conséquent, d'amour et d'espérance, vu que ces trois vertus théologales vont ensemble.

9. Mais cet amour parfois la personne ne le comprend pas ni ne le sent, parce qu'il n'a pas son siège dans le sens avec tendresse, mais en l'âme avec force et plus de courage et de hardiesse qu'auparavant, bien que parfois cela rejaillisse jusqu'au sens et qu'il se montre tendre et doux. Si bien que pour arriver à cet amour, à cette allégresse et joie que ces visions causent à l'âme, il faut qu'elle ait de la force et de la mortification et de l'amour pour vouloir demeurer en vide et à l'obscurité de tout cela, et fonder cet amour et cette joie en ce qu'elle ne voit ni ne sent et ne peut voir ni sentir en cette vie, qui est Dieu, lequel est incompréhensible et par-dessus tout, c'est pourquoi il convient d'aller à Lui par négation de tout; autrement, supposé que l'âme soit si avisée, si humble et si forte que le démon ne puisse la tromper par elles ni la précipiter en aucune présomption, comme il a coutume de le faire, elles empêcheront cependant l'âme d'avancer, parce qu'elle met un obstacle à la nudité spirituelle et à la pauvreté d'esprit et au vide en foi, ce qui est requis pour l'union de l'âme avec Dieu.

10. Et parce que pour ces visions, sert aussi la même doctrine que nous avons donnée aux chapitres 19 et 2070 pour les visions et les préhensions surnaturelles du sens, je n'en parlerai pas davantage.

70 Ici 21 et 22. Si l'on prend le chapitre 1 comme prologue, et si l'on fait des chapitres 12 et 13 un seul chapitre 11, cela fait 19 et 20 dans certains manuscrits.



Chapitre 25 - DANS LEQUEL ON TRAITE DES RÉVÉLATIONS. - ON DIT CE QUE C'EST ET ON MET UNE DISTINCTION


1. Selon l'ordre que nous suivons ici, il nous faut maintenant parler de la seconde sorte de préhensions spirituelles que nous avons nommées ci-dessus révélations, qui appartiennent proprement à l'esprit de Prophétie. À ce sujet il faut premièrement savoir que révélation n'est autre chose que le dévoilement de quelque vérité cachée ou la manifestation de quelque secret ou mystère ; comme si Dieu donnait à l'âme d'entendre une chose comme elle est en soi, en déclarant la vérité à l'entendement, ou s'il lui découvrait des choses qu'il a faites, qu'il fait ou pense faire.

2. Et, selon cela, nous pouvons dire qu'il y a deux sortes de révélations : les unes qui sont une manifestation de vérités à l'entendement et qui s'appellent proprement

notions intellectuelles ou intelligences ; les autres qui sont une manifestation de secrets, et celles-là s'appellent proprement et plus que les autres révélations ; car les premières ne peuvent se nommer en toute rigueur révélations, car elles consistent en ce que Dieu fait entendre à l'âme des vérités nues, non seulement touchant les choses temporelles, mais aussi touchant les spirituelles, les lui montrant clairement et manifestement; j'ai voulu en traiter sous le nom de révélations, d'abord à cause de leur proximité et rapport avec elles, ensuite pour ne pas multiplier de nombreux mots de distinctions.

3. Or, selon cela, nous pourrons bien maintenant faire distinction des révélations en deux sortes de préhensions ; nous appellerons les unes notions intellectuelles et les autres manifestations de secrets et mystères cachés de Dieu ; et nous les terminerons en deux chapitres le plus succinctement que nous pourrons, et en celui-ci de la première sorte.




Chapitre 26 - DANS LEQUEL ON TRAITE DES INTELLIGENCES DE VÉRITÉS NUES EN L'ENTENDEMENT, ET L'ON DIT QU'IL Y EN A DE DEUX SORTES ET COMMENT L'ÂME DOIT S'Y CONDUIRE



1. Pour parler proprement de cette intelligence de vérités nues qu'on donne à l'entendement, il serait nécessaire que Dieu parlât lui-même et prît la plume en main, car sachez, cher lecteur, que ce qu'elles sont en elles-mêmes pour l'âme surpasse tout discours. Pourtant, comme je n'en parle pas ici expressément, mais seulement pour instruire et acheminer l'âme en elles à l'union divine, il faut souffrir qu'on en parle brièvement et modérément, autant qu'il suffira pour notre dessein.

2. Cette sorte de visions, ou pour mieux parler, de notions de vérités nues, est très différente de celle dont nous avons parlé au chapitre 24, parce que ce n'est pas comme voir les choses corporelles avec l'entendement; mais elle consiste à entendre et voir avec l'entendement des vérités de Dieu ou des vérités des choses qui sont, furent et seront, ce qui est fort conforme à l'esprit de prophétie, comme il sera dit peut-être après.

3. Or il faut noter que ce genre de notions se différencie en deux manières : les unes arrivent à l'âme concernant le Créateur, les autres concernant les créatures, comme nous avons dit. Et encore que les unes et les autres soient fort savoureuses à l'âme, néanmoins on ne saurait ni à quoi comparer ni exprimer par mots ou paroles la délectation que causent celles de Dieu, car ce sont des connaissances et délectations de Dieu même ; car, comme dit David il n'y a comme Lui aucune chose (Ps 39,6). Parce que ces connaissances arrivent directement au sujet de Dieu, en ayant de très hauts sentiments de quelque attribut divin, soit de sa toute puissance, soit de sa force, soit de sa bonté et douceur, etc. ; et toutes les fois qu'on sent cette intelligence, elle met dans l'âme la chose même qu'elle sent. Car, pour autant que c'est une pure contemplation, l'âme voit clairement qu'on ne sait comment dire quelque chose de cela, si ce n'est par quelques termes généraux que l'abondance du plaisir et du bien qu'on a senti fait dire à ces âmes par où cela a passé; mais toutefois sans qu'on puisse entendre par là ce que l'âme y aura senti et goûté.

4. Ainsi David, ayant un peu expérimenté cela, en parle en termes communs et généraux, disant : Iudicia Domini vera, iustificata in semetipsa. Desiderabilia super aurum et lapidem pretiosum multum, et dulciora super mel et favum ; ce qui veut dire : Les jugements sur Dieu, soit, les vertus et attributs que nous connaissons de Dieu, sont véritables, justifiés en eux-mêmes, plus désirables que l'or et beaucoup plus que la pierre précieuse et plus doux que le rayon de miel (Ps 18,10-11). Et nous lisons de Moïse qu'en une très haute connaissance que Dieu lui donna de soi, passant devant lui, il dit seulement ce qui peut se dire par les-dits termes communs, car, le Seigneur passant par lui en cette connaissance, il se prosterna hâtivement en terre, disant : Dominator, Domine Deus, misericors et clemens, patiens et multoe miserationis ac verax; qui custodis misericordiam in millia, etc. ; ce qui veut dire : Souverain, Seigneur Dieu, miséricordieux et clément, patient, et qui as grande compassion, et véritable, qui gardes la miséricorde que tu promets à des milliers (Ex 34,6-1). Où l'on voit que Moïse ne pouvant expliquer ce qu'il connut de Dieu par une seule notion, il le dit et le manifesta par toutes ces paroles. Et quoique parfois en ces connaissances, on dise des paroles, l'âme voit bien toutefois qu'elle n'a rien dit de ce qu'elle a senti car elle voit bien qu'il n'y a point de mot approprié pour exprimer cela. Aussi, quand saint Paul eut cette haute connaissance de Dieu, il ne se soucia pas de dire autre chose, sinon qu'il n'était pas permis à l'homme d'en parler (2Co 12,4).

5. Ces connaissances divines qui concernent Dieu ne sont jamais de choses particulières, c'est pourquoi on ne peut les dire en particulier vu qu'elles concernent le Souverain Principe, si ce n'est que (d'une certaine manière) cette connaissance s'étende à quelque autre chose qui soit moins que Dieu, qu'on y aperçoive en même temps ; mais non pas ces connaissances générales, en aucune manière. Il n'y a que l'âme qui arrive à l'union de Dieu qui puisse avoir ces hautes connaissances, parce qu'elles sont l'union même, attendu que de les avoir consiste en une certaine touche qui se fait de l'âme en la Divinité, et ainsi Dieu même est celui qu'on y sent et qu'on y goûte ; et encore que ce ne soit pas clairement et manifestement comme dans la gloire, néanmoins c'est une si haute et si sublime touche de connaissance et de saveur, qu'elle pénètre la substance de l'âme. Et le démon ne peut s'y entremettre ni faire chose semblable, car il n'y a rien de semblable à cela, ni chose qu'on puisse y comparer, ni verser saveur ou délice semblables ; parce que ces connaissances ont un certain goût de l'être divin et de la vie éternelle, et le démon ne saurait simuler chose si haute.

6. Il pourrait bien néanmoins faire quelque apparence de singe, représentant à l'âme quelques grandeurs et réplétions fort sensibles, tâchant de persuader l'âme que cela est Dieu, mais non en sorte qu'elles entrent dans la substance de l'âme, la renouvelant et énamourant soudainement comme font celles de Dieu ; parce qu'il y a des connaissances et des touches de celles que Dieu fait en la substance de l'âme qui l'enrichissent tellement qu'une seule peut non seulement arracher de l'âme tout d'un coup toutes les imperfections dont elle n'avait pu se défaire en toute sa vie, mais en outre la combler de vertus et de biens de Dieu.

7. Et ces touches sont si savoureuses et d'une délectation si intime à l'âme qu'une seule la satisfera amplement de toutes les épreuves qu'elle aura souffertes durant sa vie, fussent-elles innombrables ; et elle devient si vigoureuse avec tant de courage à pâtir de nombreuses choses pour Dieu, que c'est pour elle un tourment particulier de voir qu'elle n'en souffre pas beaucoup.

8. À ces hautes notions l'âme ne saurait arriver par aucune de ses propres comparaisons ou imaginations, parce qu'elles sont par-dessus tout cela; aussi Dieu les opère dans l'âme sans son habileté. D'où vient que parfois, quand elle y pense le moins et y prétend le moins, Dieu a coutume de lui donner ces divines touches dans lesquelles il lui cause certains souvenirs de Dieu ; et parfois ces touches se font promptement en elle, uniquement par le souvenir de certaines choses, et quelquefois assez minimes, et elles sont si sensibles qu'elles font parfois frémir non seulement l'âme mais aussi le corps. D'autres fois elles se glissent dans l'esprit lorsqu'il est fort apaisé, sans aucune crainte, faisant soudainement sentir un sentiment relevé de plaisir et de fraîcheur dans l'esprit.

9. D'autres fois elles arrivent en un mot qu'on dit ou entend dire, soit de l'Écriture, soit d'autre chose. Mais elles ne sont pas toujours d'une même efficacité et sentiment, car souvent elles sont assez médiocres ; mais, telles qu'elles sont, un de ces souvenirs, une de ces touches de Dieu, vaut mieux à l'âme que maintes autres notions et considérations71 des créatures et des oeuvres de Dieu. Et pour autant que ces connaissances sont données tout à coup à l'âme, et sans son choix, elle n'a que faire de les vouloir ou de ne pas les vouloir, mais seulement d'être humble et patiente à leur égard, car Dieu opérera quand il voudra et comme il lui plaira.

71 Au sens spirituel : sujet de méditation.


10. Et je ne dis pas qu'il faille en celles-ci se comporter négativement comme dans les autres préhensions, parce que (comme nous avons dit) elles font partie de l'union où nous acheminons l'âme, c'est pourquoi nous lui apprenons à se dénuer et détacher de toutes les autres ; et le moyen afin que Dieu les donne doit être l'humilité et de souffrir pour l'amour de Dieu avec abandon de toute rétribution; parce que ces faveurs ne se font pas à l'âme propriétaire, mais elles sont causées par un très particulier amour que Dieu porte à cette âme parce que l'âme aussi L'aime d'un amour fort désintéressé. C'est ce que le Fils de Dieu voulut affirmer en saint Jean quand il dit : Qui autem diligit me, diligetur a Patre meo, et ego diligam eum, et manifestabo ei meipsum ; ce qui veut dire : Celui qui m'aime sera aimé de mon Père et je l'aimerai et me manifesterai à lui (Jn 14,21). Ce qui comprend les connaissances et les touches dont nous parlons, que Dieu découvre à l'âme qui l'aime véritablement.

11. La seconde manière de connaissances ou de visions de vérités intérieures est très différente de celle que nous avons dite, parce qu'elle est de choses plus basses que Dieu et elle comprend la connaissance de la vérité des choses en elles-mêmes, et celle des faits et événements qui arrivent parmi les hommes. Cette connaissance est de telle sorte que quand on donne à connaître à l'âme ces vérités, elles s'établissent tellement en son intérieur sans que personne ne lui dise rien, qu'encore qu'on lui dise autre chose, elle n'y peut donner le consentement intérieur, quoiqu'elle s'efforce d'y acquiescer, parce que l'esprit connaît autre chose en cette chose, grâce à l'esprit qui le tient présent à cette chose, ce qui est comme le voir clairement. Et cela appartient à l'esprit de prophétie et à la grâce que saint Paul appelle don de discernement des esprits (1Co 12,10). Et encore que l'âme tienne ce qu'elle entend pour si certain et si véritable comme nous avons dit, et ne puisse s'empêcher d'avoir ce consentement intérieur passif, elle ne doit manquer néanmoins de croire et de donner le consentement de la raison à ce que son maître spirituel lui dira et commandera, quoique cela soit fort contraire à ce qu'elle sent, pour dresser en cette manière l'âme en foi à l'union divine, à laquelle elle doit plutôt s'acheminer en croyant qu'en attendant.

12. Nous avons des preuves claires de l'un et de l'autre en l'Écriture ; parce que, concernant la connaissance spirituelle qu'on peut avoir des choses, le Sage dit ces paroles : Ipse dedit mihi horum quoe sunt scientiam veram, ut sciam dispositionem orbis terrarum, et virtutes elementorum, initium et consummationes temporum et morum mutationes, divisiones temporum, vicissitudinum permutationes, et consummationes temporum et morum mutationes, divisiones temporum, et anni cursus, et stellarum dispositiones, naturas animalium et iras bestiarum, vim ventorum, et cogitationes hominum, differentias virgulorum, et virtutes radicum, et quoecumque sunt abscondita, et improvisa didici: omnium enim artifex docuit me sapientia; ce qui veut dire : Dieu m'a donné la vraie science des choses qui sont, afin que je sache la disposition de la rondeur de la terre et la vertu des éléments, le commencement, la fin et le milieu des temps, les vicissitudes des changements et les consommations des temps, les changements des coutumes, la division des temps, le cours de l'année, et les dispositions des étoiles, la nature des animaux, les colères des bêtes, la force et la vertu des vents et les pensées des hommes, les différences des plantes et des arbrisseaux et les vertus des racines et toutes les choses qui sont cachées et non prévues, je les ai apprises, car la Sagesse, qui est l'ouvrière de toutes choses, m'a enseigné (Sg 7,17-21). Et, bien que cette connaissance que le Sage dit ici que Dieu lui avait donnée de toutes choses fût infuse et générale, néanmoins, par cette autorité sont suffisamment prouvées toutes les notions que Dieu verse particulièrement dans les âmes par voie surnaturelle, quand il Lui plaît. Non qu'Il leur donne une habitude générale de science, comme à Salomon touchant les choses dites, mais en leur découvrant parfois quelques vérités de quelqu'une de toutes ces choses que le Sage rapporte ici. Encore qu'il soit vrai que Notre Seigneur donne des habitudes de nombreuses choses à beaucoup de personnes (bien que jamais aussi générales qu'à Salomon) mais selon cette différence de dons que saint Paul rapporte que Dieu distribue, entre lesquels il met sagesse, science, foi, prophétie, discernement ou connaissance des esprits, intelligence des langues, déclaration des paroles, etc. Toutes ces connaissances sont des habitudes infuses que Dieu donne gratuitement à qui il veut, soit d'une façon naturelle, soit surnaturelle ; naturelle, comme à Balaam et à d'autres prophètes idolâtres et à nombre de sibylles, à qui il donna l'esprit de prophétie ; et surnaturelle, comme aux saints prophètes et apôtres et à d'autres saints.

13. Mais outre ces habitudes ou grâces données gratuitement, ce que nous disons, c'est que les personnes parfaites, ou celles qui déjà progressent en perfection, ont coutume d'avoir fort ordinairement un grand savoir et une connaissance des choses présentes ou absentes qu'elles connaissent par la lumière qu'elles reçoivent dans l'esprit déjà illuminé et purifié. À ce propos, on peut entendre cette autorité des Proverbes, à savoir: Quomodo in aquis resplendent vultus prospicientium, sic corda hominum manifesta sunt prudentibus: De même que les eaux représentent les faces de ceux qui s'y mirent, ainsi les coeurs des hommes sont manifestes aux prudents (Pr 21,19); ce qui s'entend de ceux qui ont atteint la sagesse des saints dont l'Écriture dit qu'elle est prudence ; et aussi ces esprits connaissent parfois de cette façon les autres choses, mais ce n'est pas toujours quand ils le veulent, car cela n'est qu'en ceux qui ont l'habitude, et encore ce n'est pas toujours en tout, mais comme il plaît à Dieu de les favoriser.

14. Néanmoins, il faut savoir que ceux qui ont l'esprit purifié peuvent très facilement connaître naturellement - les uns plus que les autres - ce qui est dans le coeur ou intérieur de l'esprit, et les inclinations et les talents des personnes, et cela par des indices extérieurs, quoiqu'ils soient très petits, comme paroles, gestes et autres signes, car de même que le démon peut cela parce qu'il est esprit, le spirituel le peut aussi, selon la parole de l'Apôtre, qui dit: Spiritualis autem iudicat omnia : Le spirituel juge toutes les choses (1Co 2,15); et il dit ailleurs: Spiritus enim omnia scrutatur, etiam profunda Dei : L'esprit pénètre toutes les choses, jusqu'aux choses profondes de Dieu (1Co 2,10). D'où vient qu'encore que naturellement les spirituels ne puissent connaître les pensées ou ce qui est à l'intérieur, ils le peuvent toutefois bien entendre par illustration surnaturelle ou par indices. Et bien que, dans la connaissance par indices, ils puissent souvent se tromper, ils y réussissent le plus souvent. Mais il ne faut pourtant se fier ni à l'un ni à l'autre, car le démon s'y entremet beaucoup et très subtilement, comme nous dirons bientôt ; et ainsi il faut toujours rejeter ces intelligences.

15. Or, que les spirituels puissent aussi connaître les faits et les événements des hommes, bien qu'absents, nous en avons un témoignage et un exemple dans le quatrième livre des Rois, où Giési, serviteur de notre Père Élisée, voulant lui celer l'argent qu'il avait reçu de Naaman le Syrien, Élisée lui dit : Nonne cor meum in proesenti erat, quando reversus est homo de curru suo in occursum tui ? D'aventure, mon coeur n'était-il pas présent quand Naaman est retourné de son char et est venu au-devant de toi ? (2R 5,26). Ce qui arrive spirituellement lorsque l'homme voit en esprit les choses comme si elles se passaient en sa présence. Ce qui se prouve encore au même livre, où nous lisons que le même Élisée, sachant tout ce que le roi de Syrie traitait avec ses princes en secret, le disait au roi d'Israël, et ainsi ses conseils n'avaient aucun effet; de sorte que le roi de Syrie, voyant qu'on savait tout, dit à ses gens: Pourquoi ne me nommez-vous pas ce traître parmi vous, qui a intelligence avec le roi d'Israël ? Alors un de ses serviteurs lui répondit: Nequaquam, domine mi rex, sed Eliseus propheta, qui est in Israel indicat regi Israel omnia verba quoecumque locutus fueris in conclavi tuo. Seigneur mon roi, cela n'est point, mais le prophète Élisée, qui est en Israël, découvre au roi d'Israël tout ce que tu dis dans ton secret (2R 6,11-12).

16. L'une et l'autre manière de ces notions des choses, comme aussi des autres arrivent passivement à l'âme sans qu'elle y contribue en rien de sa part; car il arrivera que la personne en étant assez divertie et éloignée, on lui mettra dans l'esprit l'intelligence vive de ce qu'elle entend ou lit, beaucoup plus clairement que la parole ne sonne; et parfois, si les paroles sont en latin et qu'elle ignore cette langue, la connaissance s'en représente à elle bien qu'elle ne les comprenne pas.

17. Quant aux tromperies que le démon peut faire et fait en cette manière de notions et intelligences, il y aurait beaucoup à dire, parce que les tromperies qu'il y fait sont grandes et fort cachées, car il peut représenter à l'âme par suggestion maintes notions intellectuelles, et peut les établir si fermement qu'il semble que cela ne peut aller autrement, et si l'âme n'est pas humble et craintive, sans doute il lui fera croire mille mensonges. Car la suggestion agit parfois avec une grande force en l'âme, principalement quand celle-ci participe un peu de la faiblesse du sens, où il attache la connaissance avec tant de force, de persuasion et de fermeté qu'alors l'âme a bien besoin d'oraison et de vigueur pour la rejeter. Car, parfois, il représente les péchés d'autrui, les consciences mauvaises, les âmes méchantes, et ceci faussement et avec beaucoup de clarté, le tout pour diffamer et avec l'intention de faire découvrir ces vices afin que Dieu soit offensé, pour cette fin mettant ce zèle en l'âme que c'est pour recommander ces âmes à Dieu. Car encore qu'il soit vrai que Dieu représente parfois aux âmes saintes les nécessités de leur prochain, afin qu'elles les lui recommandent ou y pourvoient - comme nous lisons qu'il découvrit à Jérémie la faiblesse du prophète Baruc, pour l'instruire sur cela - le démon néanmoins le fait aussi fort souvent et faussement pour noircir et diffamer les autres de péchés, ou pour les jeter en de grandes désolations, ce dont nous avons beaucoup expérience. D'autres fois, il imprime fort avant d'autres notions et les fait croire.

18. Toutes ces connaissances, qu'elles soient de Dieu ou non, ne peuvent servir que très peu au progrès de l'âme vers Dieu, si elle voulait y prendre appui, au contraire si elle n'était soigneuse de les rejeter, non seulement elles l'empêcheraient, mais aussi elles lui feraient grand tort et la feraient grandement errer, parce que tous les périls et inconvénients que nous avons dits pouvoir être dans les préhensions surnaturelles, dont nous avons traité jusqu'à présent, peuvent se rencontrer ici et encore plus. C'est pourquoi je ne m'étendrai pas davantage sur cela (ayant donné dans les précédentes une doctrine suffisante), mais je dirai seulement qu'il faut prendre grand soin de les rejeter toujours, voulant cheminer à Dieu par le non-savoir; et qu'il faut toujours en rendre compte à son confesseur ou à son maître spirituel, et se tenir à ce qu'il en dira. Celui-ci aura soin de faire passer promptement l'âme par-dessus, sans attacher d'importance à rien pour son chemin d'union; vu que, en matière de ces choses qui se donnent passivement à l'âme, l'effet que Dieu veut y demeure toujours sans que l'âme y mette sa diligence. De sorte qu'il n'est pas besoin de parler ici de l'effet des vraies, ni de celui que font les fausses, vu que ce serait se fatiguer et n'en jamais finir; parce que les effets de celles-ci ne peuvent être compris en une doctrine succincte, attendu que, comme ces notions sont en grand nombre et fort diverses, leurs effets le sont aussi, supposé que les bonnes fassent de bons effets et les mauvaises de mauvais, etc. En disant qu'on les rejette toutes, on dit ce qui suffit pour ne point se tromper.



Montée Carmel II - 2003 23