Augustin heptateuque 7000


LIVRE SEPTIÈME.

QUESTIONS SUR LES JUGES.

Cette traduction est l'oeuvre de M. l'abbé POGNON


PREMIÈRE QUESTION.

7001 1. Jg 1 Introduction. - Vers la fin du livre de Josué, l'histoire poursuit succinctement son récit jusqu'au temps où les enfants d'Israël tombèrent dans l'idolâtrie. Dans le livre des Juges, on reprend l'ordre et le détail des événements qui suivirent la mort de Josué. Ce livre ne commence donc pas à l'époque de la chute des Israëlites dans l'idolâtrie, mais à une époque antérieure, dans le cours de laquelle s'accomplirent les évènements qui précédèrent cette défection.

7002 2. Jg 1,1-3 La tribu de Juda et la tribu de Siméon marchent seules contre les Chananéens. - «Et ceci: arriva après la mort de Josué les enfants d'Israël interrogeaient le Seigneur, disant qui marchera avec nous comme chef de guerre pour combattre le Chananéen? Et le Seigneur dit: Juda marchera, voici que j'ai livré le pays en ses mains.» Ici on demande si c'est un homme en particulier qui est appelé Juda, ou si c'est la tribu qui est, suivant l'usage, désignée par ce nom. Ceux qui consultaient le Seigneur après la mort de Josué demandaient un chef; ce qui fait penser qu'il serait question d'un homme: mais comme l'Ecriture n'est pas dans l'usage de désigner les chefs nouvellement établis sans rappeler en même temps leur origine et leurs ancêtres, et qu'on sait d'ailleurs qu'après la mort de Josué, le peuple d'Israël eut des chefs dont le premier fut Othoniel fils de Cénez, on est plus fondé à voir ici sous le nom de Juda, la tribu de Juda. Le Seigneur voulut que cette tribu commençât l'extermination des Chananéens, et comme le peuple demandait un chef, Dieu par sa réponse fit comprendre qu'il ne voulait pas que la nation en masse prit les armes contre les Chananéens; c'est pourquoi il dit: «Juda marchera.» L'Ecriture poursuit en ces termes: «Et Juda dit à Siméon son frère,» c'est-à-dire, la tribu de Juda à la tribu de Siméon. A cette époque en effet les deux enfants de Jacob, connus parmi leurs frères sous les noms de Juda et de Siméon, n'étaient plus en vie; c'est la tribu de Juda qui dit à la tribu de Siméon: «Marche avec moi à la conquête de ce qui m'est échu par le sort, et nous ferons la guerre aux Chananéens, et moi je marcherai également avec toi pour te mettre en possession du pays que le sort la donné.» Il est évident que la tribu de Juda a réclamé l'appui d'une autre tribu, promettant à celle-ci de lui rendre le même service, quand elle en aurait besoin, pour sa prise de possession.


7003 3. Jg 1,9-12 Evénements racontés par anticipation. - «Et Caleb dit: A celui qui attaquera la Cité des lettres et s'en emparera je donnerai ma fille Axa pour épouse.» Ce fait a été mentionné déjà au livre de Josué (1); mais on demande avec raison s'il arriva du vivant de Josué et se trouve rappelé ici par mode de récapitulation; ou bien s'il eut lieu après la mort de ce chef, quand Dieu eut dit: «Juda marchera,» et que Juda en effet eut entrepris la guerre contre les Chananéens, guerre dans laquelle l'événement est placé parle récit. Il est plus probable que les choses se passèrent après la mort de Josué, et qu'elles ont été, comme d'autres, rapportées d'abord par anticipation. En effet, on expose ici les combats livrés aux Chananéens par la tribu de Juda. Parmi les autres exploits de cette tribu, dont après la mort de Josué le Seigneur avait dit: «Juda marchera;» le récit renferme ce qui suit: «Et ensuite les enfants de Juda descendirent pour combattre les Chananéens qui habitaient dans le pays des montagnes, vers le midi et dans la plaine. Et Juda s'avança contre le Chananéen qui habitait à Hébron, et le Chananéen sortit d'Hébron à sa rencontre. Or, le nom d'Hébron était Chariat Harbo Sepher. Et il défit Sésaï, et Achiman et Cholmi enfants d'Enac, et de là on marcha contre les habitants de Dabir. Or, Dabir était autrefois le nom de la Cité des lettres. Et Caleb dit: A celui qui attaquera la Cité des lettres, et s'en emparera, je donnerai ma fille pour épouse.» L'ensemble de ce récit montre avec évidence que ces événements arrivèrent après la mort de Josué. Mais en rapportant que ces villes furent données à Caleb, l'historien devançant l'avenir expose par occasion ce qui arriva ensuite. Cependant je pense que l'Écriture a en quelque raison de rapporter à deux reprises que la fille de Caleb fut donnée en récompense au vainqueur.

1 Jos 15,16


7004 4. Jg 1,14-15 Récits concordants dit livre de Josué et du livre des Juges. - A propos de la fille de Caleb on soulève une autre question. Au livre de Josué, il est ainsi parlé d'elle: «Et comme elle se mettait en chemin, elle tint conseil avec lui, (son mari Othoniel) disant: «Je demanderai un champ à mon père. Et de dessus son âne, elle éleva la voix» elle reste; elle demande à son père un champ, et l'obtient (Jos 15,18-19). Ici, au livre des Juges, il est dit: «Et comme il (son mari) se mettait en chemin, Othoniel l'avertit de demander un champ à son père.» Là il est dit: «Comme elle se mettait en chemin;» Ici: «comme il se mettait en chemin;» mais il n'y a pas contradiction: l'un et l'autre s'étaient mis en route en même temps. Là, au livre de Josué, il est dit: «elle tint conseil avec lui» c'est-à-dire, avec son mari, «disant: Je demanderai un champ à mon père; et de dessus son âne elle éleva la voix et demanda.» Dans le conseil qu'elle tint elle reçut l'avis de demander. Là il est fait mention du conseil tenu; ici de l'avis qui fut donné. C'est comme si. l'on disait: Elle tint conseil avec lui, disant: je demanderai un champ à mon père, et lui l'ayant conseillée, elle cria de dessus son âne. Mais dans Josué il est dit qu'elle demanda un champ, et le nom de ce champ est même désigné; et ici on voit qu'avertie par son époux de demander un champ, elle demanda non pas un champ, mais «le rachat de l'eau,» parce que le lieu où elle était mariée était au midi. Il est dit dans Josué qu'elle éleva la voix de dessus l'âne qu'elle montait; ici on dit: «élevant la voix de dessus l'animal accoutumé au joug.» L'Écriture ajoute: «Et Caleb lui donna suivant «ses désirs le rachat des lieux élevés, et le rachat des lieux bas.» Tout ceci est obscur. Peut être demanda-t-elle un champ dont le revenu devait servir à acheter des eaux qui manquaient dans la contrée où elle se trouvait établie par son mariage. «Et Caleb lui donna le rachat des lieux élevés, et le rachat des lieux bas.» Je ne vois pas ce qui est sous-entendu ici, sinon ce mot: Les cours d'eau, c'est-à-dire les cours d'eau sur les lieux élevés, dans les montagnes, les cours d'eau dans les lieux bas, dans les planés où les vallées.


7005 5. Jg 1,18-19 Dieu éprouve les siens pour les préserver de l'orgueil. - «Et Juda ne posséda point Gaza et sa frontière, ni Ascalon et sa frontière, ni Azoth et les pays environnants. Et le Seigneur était avec Juda, et il occupa la montagne, n'ayant pu se rendre maître des habitants de la vallée, parce que Réchab s'opposa à eux, et qu'il avait des chariots de fer.» Expliquant dans le livre de Josué le passage où il est dit: «Et le Seigneur donna à Israël toute «la terre,» bien que les Israëlites n'en possédassent point encore une grande étendue; toute la terre, ai je dit, a été donnée en ce sens que ce qui n'était point occupé servait à exercer le peuple de Dieu (1). C'est ce qui apparaît ici avec une plus grande évidence. On énumère les villes que Juda ne posséda point, et on dit: «Et le Seigneur était avec Juda, et il occupa la montagne, n'ayant pu se rendre maître des habitants de la vallée.» Qui ne comprend que cela même est la conséquence de ce que le Seigneur était avec Juda? Car, si celui-ci s'était emparé de tout le pays sans coup férir, ne pouvait-on pas craindre qu'il ne s'enflât d'orgueil? L'Écriture ajoute: «parce que Réchab s'opposa à eux, et qu'il avait des chariots de fer;» non que ces chariots aient inspiré de l'épouvante au Seigneur lui-même qui était avec Juda; mais ce fut Juda que la crainte saisit. Pourquoi eut-il peur, Dieu étant avec lui? Voici la réponse que suggère à cette question une réflexion prudente Dieu dans sa miséricorde pour les siens réprime dans leurs coeurs l'enflure qui naît de l'excès de la prospérité: il leur fait tirer profit de leurs ennemis, non-seulement quand ils en triomphent, mais encore quand ils les redoutent: sa bonté est rendue sensible dans un cas, et dans l'autre l'orgueil est réprimé. L'ange de Satan est assurément l'ennemi des Saints, et l'Apôtre néanmoins assure que cet ange lui a été donné pour le souffleter, de peur qu'il ne s'enorgueillisse de la grandeur de ses révélations (2).


7006 6. Jg 1,20 Récapitulation. - «Et on donna à Caleb Chébron, comme Moïse l'avait déterminé, et il obtint de là trois villes des enfants d'Énac, et il extermina trois fils d'Enac.» Ceci a été déjà rapporté au livre de Josué (3) comme ayant eu lieu du vivant de Josué. Le même fait est rappelé ici par mode de récapitulation, parce que l'Écriture raconte ce qui concerné la tribu de Juda, dont Caleb faisait partie.

1 Jos 1,21 - 2 2Co 12,7 - 3 Jos 15,13-14


7007 7. Jg 1,8-21 Les anciens habitants de Jérusalem ne furent pas tous détruits. - On demande pourquoi il est dit que les enfants de Benjamin «ne s'emparèrent pas du Jébuséen habitant à Jérusalem, et» que «le Jébuséen habita avec les enfants de Benjamin à Jérusalem, jusqu'à ce jour,» puisqu'on dit plus haut que cette même ville fut prise par Juda, livrée aux flammes, et les Jébuséens qui l'habitaient exterminés. - Il faut savoir que les deux tribus de Juda et de Benjamin eurent cette ville en commun, comme on le voit dans le partagé même du pays qui fut fait par Josué (1). Or cette ville de Jébus est la même que Jérusalem. Aussi, les deux tribus restèrent-elles auprès du temple du Seigneur, quand les autres, â l'exception de la tribu sacerdotale de Lévi, qui n'eut point de terres dans le partage, se séparèrent avec Jéroboam du royaume de Juda. - Il faut donc penser que, à la vérité, la ville fut prise et incendiée par Juda, et que tous les Jébuséens qui s'y trouvaient furent exterminés; mais non pas que tous les Jébuséens absolument aient été détruits, soit qu'il, y en ait eu hors de la ville, soit qu'ils aient pu s'enfuir. Ce furent ces restes, de la nation des Jébuséens que les enfants de Benjamin laissèrent habiter avec eux dans la ville qui leur était commune avec Juda C'est pourquoi, quand il est dit que «les enfants de Benjamin ne s'emparèrent pas du Jébuséen,» cela veut dire qu'ils ne purent ou ne voulurent pas rendre les Jébuséens tributaires; cette parole «Il ne s'empara pas du Jébuséen,» signifie, en tout cas, que Benjamin n'occupa point le pays à l'exclusion du peuple qui en était possesseur.


7008 8. Jg 1,27 Comment les Scythes ont-ils pu bâtir une ville en Palestine? - «Et Manassès n'obtint pas Bethsan, qui est une ville des Scythes.» C'est, dit-on, cette ville qui porte aujourd'hui le nom de Scythopolis. On pourra s'étonner que dans ces contrés si éloignées de la Scythes, il ait pu se trouver une ville de Scythes. Mais on pourrait s'étonner pareillement qu'Alexandre de Macédoine ait fondé une ville d'Alexandrie, si loin de la Macédoine, ce qu'il fil pourtant après avoir porté la guerre au loin de tout côté. Les Scythes ont pu de même créer cette ville, dans leurs lointaines expéditions. On lit en effet dans l'histoire profane que l'Asie presque tout entière fut un certain temps au pouvoir des Scythes, quand ils marchèrent contre un roi d'Égypte qui leur avait spontanément déclaré la guerre, et qui, saisi de terreur à leur arrivée, regagna ses états.

1 Jos 1,63 Jos 18,28


7009 9. Jg 1,27 Les villes fondées par une métropole en sont appelées les filles. - «Et Manassès n'obtint pas Bethsan, qui est une ville des Scythes, ni ses filles.» L'écrivain appelle «filles» de Bethsan, les autres villes fondées par cette métropole.


7010 10. Jg 1,28 Un même fait raconté dans deux livres différents. - «. Et quand Israël l'eut emporté, il soumit le Chananéen au tribut, et il ne l'extermina pas.» Déjà quelque chose de semblable a été rapporté au livre de Josué, presque dans les mêmes termes (1). C'est donc ici un résumé, ou bien c'était alors une anticipation, c'est-à-dire, ici on récapitule, ou bien alors ou racontait à l'avance.


7011 11. Jg 1,34 Encore un fait raconté deux fois. - «Et l'Amorhéen inquiéta les fils de Dan sur la montagne, et il ne les laissa pas descendre dans la plaine.» Ce fait a été pareillement raconté au livre de Josué par anticipation (2), ou bien c'est encore ici une récapitulation.

1 Jos 17,18 - 2 Jos 19,48 selon les Sept.


7012 12. Jg 2,1 Dieu reproche aux Israëlites de n'avoir pas exterminé les Chananéens. - «Et l'Ange du Seigneur parut sur le mont des Pleurs.» L'Auteur de ce livre appelle ainsi le lieu de l'apparition, parce qu'il écrivait après l'événement; car lorsque l'ange du Seigneur parut sur la montagne, celle-ci ne portait pas encore ce nom. Elle fut appelée, à cause des pleurs qu'on y versa, d'un nom qui en grec signifie pleurs: klauthmos. C'est là en effet que le peuple fondit en larmes en entendant de la bouche de l'Ange l'annonce de la vengeance de Dieu contre lui, à cause de sa désobéissance: il n'avait pas détruit les peuples vaincus, comme le Seigneur l'avait ordonné: il avait préféré leur imposer un tribut plutôt que de les anéantir, comme le Seigneur l'avait prescrit.Que le peuple ait agi par mépris pour les ordres de Dieu; qu'il ait agi par crainte, appréhendant qu'un ennemi réduit à combattre pour sa conservation, n'opposât une résistance plus opiniâtre que pour échapper au tribut, il y a eu péché de la part du peuple certainement, soit par mépris des ordres du ciel, soit par défiance, comme (568) si celui qui commandait était impuissant à secourir. Dieu voulait reprocher cette désobéissance à tout le peuple parle ministère d'un Ange; c'est pourquoi il n'en chargea pas Josué. Du temps de Josué, tout le peuple n'avait pu se rendre coupable de cette désobéissance; quelques uns peut-être avaient commencé à désobéir, si toutefois ils avaient commencé,et si cette faute, commise depuis la mort de Josué, n'a pas été racontée par anticipation. Il est plus vraisemblable, en effet, que rien de pareil n'eut lieu pendant la vie de Josué, et que les Israëlites alors n'occupèrent que la portion du pays nécessaire à leur établissement; mais il restait dans la part qui leur était échue d'autres ennemis à détruire, quand ils se seraient eux-mêmes multipliés et auraient accru leurs forces. Seulement après la mort de Josué, lorsque leurs succès les mirent à même d'accomplir leur mission, ils préférèrent suivre leurs inspirations personnelles et soumettre les vaincus à un tribut, plutôt que d'écouter la volonté de Dieu et de tout détruire. C'est pourquoi un ange leur est envoyé pour les réprimander. Ceci a été raconté dans le livre de Josué (Jos 13,51), je pense que c'est par anticipation. Si Josué est lui-même l'auteur du livre qui porte son nom, il a connu par l'esprit de prophétie ce qui devait arriver après sa mort. Si ce livre est d'un autre auteur, celui-ci savait que tout cela était arrivé après la mort de Josué, et en faisait le récit dans ce livre par anticipation.


7013 13. Jg 2,3 Certains péchés se commettent par un effet de la colère divine. - Pourquoi l'ange du Seigneur, au milieu d'autres menaces de la vengeance divine, dit-il: «Je ne permettrai point que ce peuple que j'ai ordonné de détruire, périsse. «Je ne les ôterai pas de devant votre face, ils seront votre angoisse, et leurs dieux vous seront une cause de scandale?» N'est-ce pas pour nous faire comprendre que certains péchés arrivent par un effet de la colère divine? Dieu annonce avec menace et indignation que les dieux de ces nations, avec lesquelles les Israélites ont voulu habiter au lieu de les détruire, leur seront un scandale, c'est-à-dire, les feront pécher contre le leur Dieu, et vivre dans cette offense, ce qui est manifestement un grand péché.


7014 14. Jg 2,6-8 Nouvelle récapitulation. - «Et Jésus renvoya le peuple, et les enfants d'Israël s'en allaient chacun dans sa maison, chacun dans son héritage, occuper la terre.» Il n'y a pas le moindre doute que tout ceci soit dit par récapitulation (1). La mort de Josué lui-même est rapportée dans ce livre. C'est comme le point de départ d'un abrégé rapide des événements accomplis depuis que le Seigneur a donné le pays à son peuple, de la vie que le peuple a menée sous les Juges, de ce qu'il a souffert. On reprend ensuite la suite des Juges eux-mêmes, en commençant par le premier qui fut établi.


7015 15. Jg 2,10 Dieu se fait connaître par des prodiges. - «Et il s'éleva une nouvelle génération après eux, laquelle ne connut point le Seigneur et les oeuvres qu'il fit en Israël.» L'Ecriture explique en quel sens elle dit qu'ils «ne connurent pas le Seigneur,» c'est-à-dire, dans ces merveilles et ces prodiges accomplis auparavant devant Israël, pour lui faire connaître le Seigneur.


7016 16. Jg 2,13 Baal et les Astarté ne diffèrent pas de Jupiter et des idoles de Junon. - «Et ils servirent Baal et les Astarté.» On dit que chez les peuples de ces contrées, Baal est le nom de Jupiter, et Astarté celui de Junon, et on pense en trouver la preuve dans la langue punique. Dans cette langue, en effet, Baal paraît signifier le Seigneur; de là Baalsamen, pour dire le Seigneur du ciel; car Samen signifie les Cieux. Quant à Junon, sans aucun doute, son nom dans cette langue, est Astarté. Comme il y a une grande conformité entre la langue panique et celle de l'Ecriture, on croit avec raison que 1'Ecriture, en disant que les enfants d'Israël adorèrent Baal et Astarté, a voulu parler de Jupiter et de Junon. Ce n'est pas une difficulté lue le nom d'Astarté, c'est-à-dire de Junon, ne soit pas au singulier, mais au pluriel, comme s'il y avait plusieurs Junon. L'Ecriture a en vue la multitude des idoles représentant cette déesse; chacune de ces idoles portait le nom de Junon: il y avait donc, suivant l'Ecriture, autant de Junons qu'il y avait de ces idoles. Je pense que si le nom de Jupiter est au singulier, et celui de Junon an pluriel, c'est uniquement une variété de style. On aurait pu également désigner plusieurs Jupiter, à cause de la multitude ides idoles de ce dieu. Les exemplaires grecs des Septante portent le nom de Junon au pluriel; dans les versions latines ce nom est au singulier. Dans une de ces versions faite, non sur les Septante, mais sur le texte hébreu, nous lisons Astaroth, et au lieu de Baal, Baalim. Si par hasard, ces noms ont une autre signification dans la langue hébraïque ou syriaque, ils n'en désignent pas moins des divinités fausses et étrangères qu'Israël n'aurait pas dû servir.

1 Jos 24,28-29


7017 17. Jg 2,10 Jg 3,1-4 Les Israëlites vendus à leurs ennemis et rachetés par le sang de Jésus-Christ. - «Et il les vendit dans la main de leurs ennemis, qui les entouraient.» On demande pourquoi cette expression: «il les vendit,» comme s'il fallait entendre qu'il y eut un prix soldé. Mais on lit dans un Psaume: «Vous avez vendu votre peuple, sans prix (1);» et dans un Prophète: «Vous avez été vendus gratuitement et vous ne serez point rachetés avec l'argent (2).» Pourquoi donc sont-ils vendus, si c'est gratuitement, sans prix? et pourquoi ne sont-ils pas plutôt donnés? Peut-être est-ce là une manière de parler employée par l'Ecriture, qui appliquerait ainsi l'expression de vendu à ce qui est donné. Voici le sens le meilleur de ces paroles: «Vous avez été vendus gratuitement,» et: «Vous avez vendu votre peuple sans prix.» Comme ceux à qui vous avez livré votre peuple étaient des impies, en n'adorant pas Dieu ils ont mérité que ce peuple leur fût abandonné,de manière que leur culte idolâtrique fût en quelque sorte le prix du peuple. Quant à cette parole: «Vous ne serez pas rachetés avec l'argent,» on ne dit pas: sans prix, en échange, mais non pas avec l'argent, afin que nous entendions qu'il y a un prix de rédemption, celui dont parle l'apôtre saint Pierre (3): «Vous avez été rachetés non avec l'argent et l'or, mais avec le précieux sang de l'Agneau sans tache.» Par l'argent le prophète a entendu toute espèce de monnaie, quand il a dit: «Vous ne serez pas rachetés avec l'argent,» car c'est par le prix du sang de Jésus-Christ et non par une compensation pécuniaire, qu'ils devaient être rachetés.

1. Ps 44,13 - 2 Is 53,3 - 3 1P 1,18-19

2. Dieu se sert des nations épargnées, pour éprouver son peuple. - Le Seigneur dit: «Et moi je me garderai d'ôter de leur présence un seul homme des nations que Jésus fils de Navé a laissées, qu'il a laissées pour éprouver Israël, et montrer s'ils observent, ou non, la voie du Seigneur comme leurs pères l'ont suivie: et le Seigneur a laissé ces nations, afin de ne pas les détruire alors, et il ne les a pas livrées dans la main de Josué.» Ici on découvre la raison pour laquelle ces nations n'ont pas été détruites dans les guerres de Josué: si elles l'eussent été, elles n'auraient point servi a éprouver les enfants d'Israël. Or, elles pouvaient leur être utiles, à la condition que cette épreuve n'aboutit pas à leur réprobation, et elles auraient disparu devant eux, si eux-mêmes se fussent conduits comme Dieu l'avait prescrit, s'il eussent vécu de manière à n'avoir pas besoin d'être éprouvés par la guerre; car voici encore les paroles du Seigneur qu'il faut lire: «Parce que cette nombreuse nation a délaissé mon testament, que j'avais confié à leurs pères, et parce qu'ils n'ont pas obéi à ma voix, moi, à mon tour, je me garderai de faire disparaître de devant eux un seul homme;» c'est-à-dire un seul de leurs ennemis. L'écrivain sacré prend ensuite la parole lui-même, afin d'expliquer pourquoi le Seigneur a dit qu'il ne ferait pas disparaître un seul homme du milieu des nations que Jésus fils de Navé a laissées vivre. Puis il ajoute la raison pour laquelle Josué ne les a point détruites: «Il les a laissées, dit-il, pour tenter Israël, et montrer s'ils observent ou non la voie du Seigneur, comme leur pères l'ont suivie.» Ces dernières paroles font voir que pendant la vie de Josué, leurs frères qui furent sous sa conduite suivirent la voie du Seigneur. L'Ecriture a rapporté plus haut, en effet, qu'une nouvelle génération surgit après ceux qui vécurent avec Josué, qu'elle commença ces transgressions dont le Seigneur fut offensé, et que ce fut pour la tenter, c'est-à-dire pour la mettre à l'épreuve, que les nations ennemies restèrent et ne furent pas détruites par Josué.

3. Ce n'est pas Josué mais Dieu lui-même qui a éprouvé les Israëlites par la guerre. - L'Ecriture veut écarter la supposition que Josué aurait agi de lui-même et par un conseil tout humain, en laissant subsister ces peuples; c'est pourquoi elle ajoute: «Et le Seigneur laissa ces peuples, et ne les détruisit pas immédiatement, et il ne tes livra pas dans la main de Josué.» Viennent ensuite ces paroles: «Telles sont les races que laissa Josué pour qu'elles servissent à tenter Israël, et tous ceux qui ne connurent point toutes les guerres de Chanaan:» elles furent laissées «pour enseigner la guerre aux générations d'Israël.» Le but de l'épreuve des enfants d'Israël fut donc de leur apprendre à faire la guerre, c'est-à-dire, à la faire avec toute la piété et l'obéissance à la loi de Dieu, montrées par leurs prières, qui plurent au Seigneur, même au milieu des combats. Ce n'est pas que la guerre soit quelque chose de désirable: mais la piété dans le guerre mérite des éloges. Ce qui suit: «Mais ceux qui avant eux ne les ont point connues,» (570) peut-il signifier autre chose, sinon que ces races infidèles, réservées pour la tentation, c'est-à-dire, pour l'épreuve des Israëlites, n'avaient point été connues dans les combats par leurs ancêtres? L'Ecriture les énumérant ensuite: «Ce sont, dit-elle, les cinq satrapies des nations étrangères:» au livre des Rois elle les fait connaître plus explicitement (1S 6,5-16). On appelle satrapies des espèces de petits royaumes à la tête desquels étaient des satrapes: ce nom est ou a été en honneur dans ces contrées: «Ce sont tous les Chananéens, les Sidoniens, les Hévéens qui habitent le Liban devant le mont Hermon jusque Caboëmath; et il arriva que par eux Israël fut tenté.» C'est comme si l'Écriture disait: Ceci arriva, afin que par eux Israël fût mis à l'épreuve pour «savoir s'ils écouteront les commandements du Seigneur,» non pour que le Seigneur l'apprît, lui qui connaît tout, même les choses futures, mais pour qu'ils l'apprissent eux-mêmes, et que leur conscience leur rendit un bon ou mauvais témoignage touchant l'observation des commandements que le Seigneur «imposa à leurs pères dans les mains de Moïse.» Or, comme ils virent à n'en pas douter qu'ils n'avaient point obéi à Dieu au milieu des nations laissées pour les tenter, c'est-à-dire, pour les exercer et les éprouver, le Seigneur leur adressa en conséquence et ce reproche que l'ange, son messager, leur fit hautement et expressément, et ces autres paroles rapportées un peu auparavant: «Parce que cette nombreuse nation a délaissé mon testament que j'avais confié à leurs pères, et parce qu'ils n'ont pas obéi à ma voix; moi, à mon tour, je me garderai de faire disparaître de devant eux un seul homme.»

4. Dieu ne veut détruire que peu à peu les ennemis de son peuple. Les bêtes sauvages, symbole des passions. - Au Deutéronome, Dieu, parlant de ces nations ennemies, dit: «Je ne les chasserai pas dans une seule. année, de peur que la terre ne devienne déserte, et que les bêtes sauvages ne se multiplient chez toi . Je les chasserai peu à peu, jusqu'à ce que vous soyez multipliés, que vous ayez pris de l'accroissement, et que vous occupiez le pays (Ex 23,29-30). Dieu pouvait exécuter cette promesse en faveur d'un peuple obéissant; la destruction des races ennemies se fût accomplie progressivement à mesure que les enfants d'Israël se seraient multipliés, et quand leur accroissement aurait permis de ne pas laisser désertes les terres dont les habitants, leurs ennemis, auraient été anéantis. Quant à cette parole: «De peur que les bêtes sauvages ne se multiplient chez toi,» je serais étonné si par ces bêtes sauvages l'Écriture n'avait pas voulu désigner les convoitises et les passions de la bête, qui naissent ordinairement au sein d'une prospérité terrestre rapidement obtenue. Dieu pouvait-il en effet exterminer les hommes, et se trouver impuissant pour détruire les bêtes sauvages, ou les nourrir?


7018 18. Jg 3,9 Interversion. - «Et le Seigneur suscita un Sauveur à Israël et il les sauva;» et comme si l'on demandait quel est ce Sauveur, «Gothoniel, dit-il, fils . de Cénez.» Ce nom, Gothoniel, doit être pris ici comme étant à l'accusatif. Il faut remarquer que l'Écriture donne le nom de Sauveur même à un homme qui est l'instrument de Dieu pour sauver le peuple. «Les «enfants d'Israël crièrent au Seigneur, et le Seigneur suscita un sauveur à Israël et il les sauva, «Gothoniel, fils de Cénez, frère puîné de Caleb, et il les exauça.» Il y a ici une sorte d'inversion peu commune, celle que les Grecs appellent: interversion du discours. Si on met en avant ces paroles qui viennent ensuite: «Et il les exauça,» le récit devient clair. En voici l'ordre: «Et les enfants d'Israël crièrent vers le Seigneur, et il les exauça, et le Seigneur suscita à Israël un Sauveur, Gothoniel, fils de Cénez, et il les sauva.» Il les sauva: si on rejette à la fin cette phrase intercalée dans le texte entre un Sauveur et Gothoniel, à l'accusatif, tout s'explique aisément.


7019 19. Jg 3,11 Longue paix en Israël. - L'Ecriture assure que pendant quarante ans la terre promise se reposa des guerres sous la judicature de Gothoniel. C'est tout ce que l'empire romain dans ces commencements put avoir de temps de paix, et seulement sous le roi Numa Pompilius.


7020 20. Jg 3,19-20 Une parole à double sens est-elle un mensonge? - On peut demander s'il y eut mensonge de la part d'Aod, juge d'Israël, quand il tua Eglon, roi de Moab. En effet, comme il cherchait à le surprendre seul à seul, pour le frapper, il lui dit: «J'ai une parole secrète pour vous, ô roi,» afin que le roi renvoyât tous ceux qui étaient avec lui; quand cela fut fait, Aod dit de nouveau: «J'ai une parole de Dieu pour vous, ô roi.» Mais il se peut qu'il n'y ait point ici de mensonge: quelque fois l'Écriture donne le nom de parole à une action; (571) et c'était le cas donc cette circonstance. Quant à ce qui est dit que c'est une «parole de Dieu,» on doit admettre que Dieu, ayant suscité un sauveur à son peuple, lui donna l'ordre de tuer Églon; car dans ces temps il fallait que le Ciel donnât de tels ordres.


7021 21. Jg 3,17 Antiphrase. - On cherche avec raison comment il a pu se faire que «le roi Eglon étant extrêmement grêlé, sa graisse recouvrit sa blessure,» après qu'il eut reçu le coup mortel. Mais il faut voir ici une antiphrase, manière de parler qui signifie le contraire de ce qu'elle énonce: c'est ainsi qu'on appelle lucus, le bois sacré, où il n'y a pas de lumière, lux, et qu'on exprime le défaut parle terme d'abondance; c'est ainsi encore qu'au livre des Rois il est écrit de Nabuth qu'il bénit le roi, pour marquer qu'il le maudit (1R 21,10-13). Toutefois nous lisons dans la Vulgate, traduite non sur les Septante mais sur l'hébreu: «Or, Eglon était d'un excessif embonpoint.


7022 22. Jg 3,23 Encore une interversion. - «Et Aod sortit dehors et terrassa les gardes, et il ferma les portes de la chambre haute sur soi, et il ferma solidement.» Ces dernières paroles qui avaient d'abord été omises doivent se rattacher à ce qui a été dit précédemment. Car les portes furent d'abord fermées, et seulement alors, Aod descendit et traversa les gardes.


7023 23. Jg 3,25 Comment put-on ouvrir avec une clef une porte qui n'avait pas été fermée à la clef. - On pourra se demander comment les serviteurs du roi Eglon ont pu ouvrir avec une clef la porte qu'Aod n'avait point fermée à la clef; ou s'il avait fermé à la clef, comment n'avait-il pas emporté cette clef, afin d'empêcher qu'on ouvrît? On prit une autre clef, ou bien les portes en question pouvaient se fermer, mais non s'ouvrir sans clefs. Il y a des appartements qui ferment de cette manière, ceux par exemple qui ont des verrous.


7024 24. Jg 3,30 Très-longue paix. - Sous. la judicature d'Aod, Israël jouit de la paix dans la terre promise l'espace de quatre-vingts ans, ce qui est le double de la durée de cette paix fameuse du peuple romain sous le roi Numa Pompilius.


7025 25. Jg 3,31 Sur la victoire de Samgar. - «Et après lui parut Samgar fils d'Aneath, et il tua aux étrangers six cents hommes, sans compter les jeunes boeufs, et il sauva Israël.» On peut demander comment après Aod, Samgar a combattu pour Israël, et comment il l'a délivré, car Israël n'avait pas été réduit de nouveau en captivité, ni soumis à la servitude. Comprenons que cette parole: «il sauva,» rappelle non que l'ennemi fit du tort, mais qu'il ne lui fut pas permis d'en faire: il faut croire qu'il essaya de la guerre, mais qu'il fut repoussé par les armes victorieuses du nouveau Juge. Pourquoi ajouter: «sans compter les jeunes boeufs?» c'est obscur. Peut-être Samgar en combattant fit-il un carnage des boeufs; et pour cette raison l'Ecriture dirait qu'il a tué six cents hommes, sans compter les boeufs mis à mort. Mais pourquoi dire: de jeunes boeufs? Serait-ce que dans la langue grecque l'usage est de donner le nom de veaux à, des boeufs déjà forts? Il paraît que, en Egypte, cette locution est usitée, de même que chez nous on appelle poussins, les poules de tout âge. La version faite sur l'Hébreu ne porte pas celles-ci: «sans compter les jeunes boeufs,» comme la version faite sur les Septante: mais en revanche, cette version faite sur l'hébreu porte celles-ci que n'a point la nôtre: «six-cents hommes tués, avec un soc de charrue.»



Augustin heptateuque 7000