Augustin, comment. Galates - 38. Sollicitude maternelle de l'Apôtre (1).

39. Ne pas écrire ce qu'on dirait de vive voix

(Ga 4,20).
«Je voudrais maintenant, poursuit-il, être près de vous et changer mon langage, car je rougis de vous.» Comme il les avait appelés ses enfants, ne veut-il pas dire ici qu'il les ménage dans sa lettre, dans la crainte qu'irrités d'une réprimande trop sévère, ils ne se laissent trop aisément porter à le haïr par ces séducteurs auxquels il ne pourrait résister étant absent? Je voudrais maintenant être près de vous et changer mon langage,» signifierait donc qu'il voudrait les renier pour ses enfants; «car je rougis de vous:» de fait, pour n'avoir pas à rougir de leur enfants, les parents les renient ordinairement.



40. Les Juifs, les catholiques et les hérétiques figurés dans la famille d'Abraham

(Ga 21-31).

«Dites-moi, vous qui voulez être sous la Loi, n'avez-vous par connaissance de la Loi?» Ce - 415 - qu'ajoute ensuite l'Apôtre sur les deux fils d'Abraham se comprend aisément; car il interprète lui-même cette allégorie. Abraham avait donc ces deux fils pour figurer les deux Testaments; mais à la même allégorie n'ont plus rapport ceux qu'il eut d'une autre épouse après la mort de Sara. Voilà pourquoi plusieurs de ceux qui ne connaissent pas le livre de la Genèse n'imaginent, en lisant l'Apôtre, que le patriarche n'eut que deux enfants. Mais si saint Paul ne fait mention que des deux premiers, c'est qu'Abraham n'avait encore que ceux-là quand il était question pour eux de symboliser ce que dit l'Apôtre; le voici. L'enfant né de la servante nommée Agar représente l'ancien Testament, ou plutôt le peuple de l'ancien Testament, qui se courbait sous le joug servile des observances charnelles et à qui étaient adressées des promesses terrestres qui éloignent de l'héritage spirituel et du patrimoine céleste ceux qui s'y attachent et qui n'attendent pas de Dieu autre chose. Pour être l'emblème du peuple qui hérite du nouveau Testament, il ne suffit pas qu'Isaac soit né d'une mère libre, il faut surtout qu'il soit né d'après la promesse. Peu importait que l'ancien peuple naquit, selon la chair, d'une servante ou d'une femme libre telle que fut Cethura, qu'épousa dans la suite Abraham et qui lui donna des enfants qui n'étaient pas des enfants de la promesse (Gn 25,1-2). Ce qui distingue Isaac, c'est qu'il naquit miraculeusement, selon la promesse que Dieu en avait faite, et lorsque son père et sa mère étaient fort avancés en âge.
Voudrait-on, encouragé par l'exemple de l'Apôtre qui prend si manifestement pour des personnages figuratifs les deux premiers fils d'Abraham, examiner ce que les fils de Cethura pouvaient symboliser aussi dans l'avenir, car ce n'est pas en vain assurément, qu'on a écrit ces faits accomplis sous la direction de l'Esprit-Saint? On découvrira sans doute que ces fils de Cethura représentent d'avance les schismes et les hérésies. A la vérité leur mère était libre, comme l'Eglise d'où sont sortis les schismatiques et les hérétiques; mais ils sont nés d'une manière charnelle, et non d'une manière spirituelle ni en vertu d'aucune promesse. Dès lors ils ne sont point héritiers, héritiers de la Jérusalem céleste, que l'Ecriture appelle stérile, pour avoir été longtemps sans engendrer des enfants sur la terre; que la même Ecriture appelle aussi délaissée, parce que avides de biens terrestres les hommes oubliaient la céleste justice, au lieu que la Jérusalem céleste, qui avait reçu la Loi, possédait en quelque sorte un époux.
Aussi Sara figure-t-elle la Jérusalem du ciel, parce qu'ayant reconnue sa stérilité, Abraham fut longtemps éloigné de son lit. Des hommes du mérite d'Abraham ne s'approchaient point de leurs femmes pour satisfaire une ignoble passion, mais uniquement pour perpétuer leur famille. Et quand à la stérilité de Sara fut venue se joindre la vieillesse, il n'y avait plus absolument d'espoir à nourrir; mais aussi quel mérite d'ajouter foi alors à la promesse divine!Assuré donc de cette promesse, Abraham s'approcha, pour accomplir le devoir de la génération, de cette épouse chargée d'années, avec qui il avait cessé tout rapport charnel quand elle était dans la vigueur de l'âge. Et c'est uniquement la cessation de ces rapports qu'il faut voir dans ce texte du prophète cité par l'Apôtre interprétant l'allégorie de Sara et d'Agar: «Les fils de la délaissée seront plus nombreux que les fils de celle qui a un mari;» car Sara est morte avant Abraham et jamais entre eux il n'y eut divorce. Comment dire que l'une était délaissée et que l'autre avait un mari, sinon pour rappeler qu'afro d'avoir des descendants Abraham remplissait auprès d'Agar, qui était sa servante et qui était féconde, le devoir que l'empêchait de remplir auprès de son épouse la stérilité de Sara? C'était toutefois avec l'autorisation et d'après même l'offre spontanée de Sara que le patriarche demandait des enfants à sa servante. Voici en effet une antique règle de justice que rappelle l'Apôtre en écrivant aux Corinthiens: «La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari; le mari de même n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme (1Co 7,4).» Cette obligation, comme les autres, dépend de celui à qui elle est due; et respecter ici le droit d'autrui, c'est garder la chasteté conjugale. Quant à la vieillesse des parents d'Isaac, elle rappelle que si jeune que puisse être le peuple du nouveau Testament, sa prédestination dans la pensée de Dieu, et la Jérusalem du ciel sont fort anciennes. Voilà pourquoi saint Jean écrivait aux Parthes: «Je vous écris, pères, parce que vous avez connu ce qui était dès le commencement (1Jn 2,18).»
Pour les membres charnels de l'Eglise qui forment les schismes et les hérésies, il est vrai qu'ils ont pris dans l'Evangile un prétexte pour - 416 - les faire naître; mais l'erreur charnelle où ils ont pris naissance. et qu'ils emportent avec eux est étrangère à l'antique vérité; aussi sont ils nés, en quelque sorte, d'une mère toute jeune et d'un vieux père, en dehors de toute promesse . N'est-ce pas pour représenter l'antiquité de la vérité que le Seigneur se montre dans l'Evangile avec des cheveux blancs (Ap 1,14)? Ainsi c'est à l'occasion de quelque antique vérité que ces sectaires se sont formés et sont nés en quelque sorte dans la nouveauté de leurs erreurs éphémères.
En résumé, l'Apôtre enseigne que, comme Isaac, nous sommes les enfants de la promesse, et que la persécution d'Ismaël contre Isaac ressemble aux persécutions soulevées contre les chrétiens véritables par les Juifs charnels. Ces persécutions toutefois n'aboutissent pas, attendu que d'après l'Ecriture la servante doit être chassée avec son fils, sans pouvoir hériter avec l'enfant de la femme libre. «Pour nous, poursuit saint Paul, nous ne sommes pas, mes frères, les enfants de la servante, mais les enfants de la femme libre.» Or, c'est cette liberté que maintenant surtout il faut opposer à la servitude des oeuvres de la Loi, dont le joug pesait sur les faux docteurs qui poussaient les Galates à se faire circoncire. .



41. S'éloigner du joug des observances judaïques

(Ga 5,1-3).

En ajoutant: «Restez donc debout,» l'Apôtre indique que les Galates ne sont pas tombés encore; autrement il aurait dû dire relevez-vous. «Et ne vous attachez point de nouveau au joug de la servitude,» dit-il ensuite. Ce joug auquel il leur défend de s'attache ne saurait être que celui de la circoncision et des autres observances semblables du peuple Juif; puisque saint Paul ajoute: «Voici que je vous dis, moi, Paul, que si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien.» Mais que faut-il entendre par ce joug de servitude, puisqu'il s'adresse à des hommes qui n'ont jamais été juifs, et qu'il travaille à empêcher de se faire circoncire? Ici donc reparaît et trouve une preuve nouvelle le sentiment que nous avons manifesté plus haut. En effet je ne découvre qu'un sens dans ces paroles de l'Apôtre: c'est que pour les Gentils il n'y aurait aucun avantage à avoir été délivrés, par leur foi en Jésus-Christ, de l'esclavage de leurs superstitions, si de nouveau ils se faisaient esclaves en se courbant sous le joug de ces observances charnelles que la Loi même de Dieu a prescrites, il est vrai, mais pour soumettre à la servitude un peuple charnel encore. Le Christ ne leur servira de rien, s'ils se font circoncire; s'ils se font circoncire comme le voulaient ceux qui les y poussaient', dans le but de regarder cette circoncision de la chair comme l'espoir de leur salut. Le Christ en effet n'a-t-il servi de rien à Timothée, par la raison que Paul le fit circoncire lorsque jeune encore il devint chrétien? L'Apôtre agit ainsi pour éviter le scandale des siens (1); ce n'était point par esprit de dissimulation, mais en vertu de cette indifférence qui lui a fait dire: «La circoncision n'est rien, l'incirconcision n'est rien non plus (2).» Cette circoncision ne saurait nuire quand on n'y voit pas le salut. Quand donc il ajoute: «Je déclare de plus à tout homme qui se fait circoncire,» il prend la circoncision dans le même sens, il suppose qu'on la recherche comme un moyen de salut. «Qu'il est tenu d'accomplir toute la loi.» Il veut ici qu'au moins la peur d'être astreints à toutes ces observances, à ces observances sans nombre qui sont contenues dans la Loi et que ni les Juifs de cette époque ni leurs pères n'ont pu accomplir, comme Pierre le rapporte dans les Actes des Apôtres (3), les détourne d'accepter le joug sous lequel on voulait les courber.



42. Les observances légales opposées à l'esprit chrétien (4).

«Vous n'avez plus de part au Christ, vous qui cherchez votre justification dans la Loi.» Voilà la proscription dont il a été parlé précédemment; car le Christ est comme proscrit de son héritage lorsqu'il quitte ces chrétiens et qu'en eux rentrent les oeuvres de la loi comme sur une terre délaissée. Le malheur sera pour eux et non pour le Christ; c'est pourquoi l'Apôtre ajoute: «Vous êtes déchus de la grâce.» De fait, puisque la grâce du Christ tend à décharger du fardeau des oeuvres légales ceux-mêmes qui étaient obligés de le porter, n'est-ce pas méconnaître cette grâce immense que de vouloir s'astreindre à accomplir toute la Loi? Le péché n'était pas consommé encore; mais comme la volonté y inclinait déjà, l'Apôtre en parle souvent comme d'un fait accompli.
«Pour nous, c'est par l'Esprit, en vertu de la foi, que nous espérons la justice.» Par conséquent les espérances spirituelles sont l'objet de la foi au Christ, et non les promesses charnelles comme les promesses sur lesquelles s'appuyaient

1 Ac 16,3. - 2 1Co 7,19. - 3 Ac 15,10. - 4 Ga 5,4-12.

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les esclaves de la Loi. Aussi saint Paul dit-il ailleurs: «Nous ne considérons point ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas; car ce qui se voit est temporel tandis que ce qui ne se voit pas est éternel (1).» - Il poursuit: «Car dans le Christ Jésus ni la circoncision, ni l'incirconcision ne servent de rien:» nouveau témoignage que ces pratiques sont indifférentes et preuve nouvelle qu'il n'y a de nuisible dans la circoncision que d'en attendre le salut. Ainsi donc ni la circoncision ni l'incirconcision ne servent de rien devant Jésus-Christ, «mais la foi qui agit parla charité» C'est ici faire allusion à la servitude légale qui agit par crainte.
Vous couriez si bien: qui vous a arrêtés, «pour vous empêcher d'obéir à la vérité?» C'est la pensée que nous avons vue dans ces mots: «Qui vous a fascinés? - Cette persuasion ne vient pas de cette qui vous a appelés;» car c'est une persuasion toute charnelle et Lui vous a appelés à l'indépendance de cette sorte de pratiques. Persuasion se prend ici pour l'objet même de la persuasion. De plus, comme les Juifs qui cherchaient à les entraîner étaient en petit nombre, comparés à la multitude des Galates devenus chrétiens, l'Apôtre les nomme un levain. Que les Galates acceptent ce levain, et s'ils honorent comme des hommes justes et fidèles ces docteurs qui viennent à eux, bientôt toute la pâte sera en fermentation, toute leur Eglise sera infectée et asservie sous le joug des pratiques charnelles. «J'ai en vous cette confiance dans le Seigneur, que vous n'aurez point d'autres sentiments.» Preuve évidente qu'ils ne s'étaient point encore rendus aux faux docteurs. «Mais celui qui vous trouble, en portera la peine, quel qu'il soit.» C'est ici le renversement, si contraire à l'ordre, qui voudrait les rendre charnels, de spirituels qu'ils sont.
On doit croire que parmi ces hommes qui voulaient les placer sous le joug, il y en eut plusieurs qui reconnurent qu'ils en étaient détournés par l'autorité de l'apôtre saint Paul et qui allèrent même jusqu'à dire que saint Paul était de leur sentiment, mais qu'il n'avait pas aimé de le leur faire connaître. L'Apôtre dit donc avec beaucoup d'à-propos: «Et moi, mes frères, si je prêche encore la circoncision, pourquoi suis-je encore persécuté?» C'est qu'il était persécuté par ces hommes qui cherchaient, tout disciples de l'Evangile qu'ils fussent en apparence,

1 2Co 4,18.

à ramener aux observances légales. C'est à eux qu'il fait allusion quand il dit, ailleurs: «Danger de la part des faux frères (1),» et au commencement de notre Épître: «Et la considération de quelques faux frères, qui s'étaient furtivement introduits pour observer la liberté que nous avons dans le Christ Jésus, et nous réduire en servitude (2).» Assurément donc ils cesseraient de le persécuter, s'il prêchait avec eux la circoncision. C'était aussi pour empêcher que les fidèles à qu'il annonçait la liberté chrétienne ne vinssent à les craindre ou à s'imaginer que l'Apôtre les redoutait, que précédemment il publiait son nom avec une entière confiance et disait: «Voici que je vous le déclare, moi Paul: «si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien (3);» c'était comme s'écrier Imitez-moi et ne craignez rien; ou si vous craignez, rejetez sur moi tout le procès.
En disant ensuite: «Le scandale de la croix est donc anéanti,» il répète ce qu'il a déjà exprimé dans ces mots: «Si la justice vient de la Loi, c'est donc en vain qu'est mort le Christ (4).» Toutefois en parlant de scandale il rappelle que ce qui a principalement scandalisé les Juifs dans la personne du Christ, c'est qu'ils le voyaient omettre et dédaigner souvent ces observances charnelles où eux-mêmes plaçaient leur salut. Ces mots reviennent donc à cette pensée: Ainsi c'est en vain que scandalisés de voir le Christ omettre ces pratiques, les Juifs l'ont crucifié, puisqu'on veut y ramener encore ceux pour qui il est mort? Usant ensuite d'une charmante équivoque, l'Apôtre présente ainsi, sous le voile d'une malédiction, une bénédiction véritable: «Plût à Dieu que ceux qui vous troublent, fussent même mutilés!» Qu'ils fussent, non-seulement circoncis, mais mutilés! Car alors ils deviendraient eunuques en vue du royaume des cieux (5) et cesseraient de semer des idées charnelles.



43. La charité, principe des actes chrétiens (6).

Car vous avez été, mon frère, appelé à la liberté.» Ce qui explique ces mots, c'est qu'en les troublant pour les rappeler de, ce qui est spirituel à ce qui est charnel, on les traînait à l'esclavage.
A partir d'ici, il commence à parler, ainsi que j'ai annoncé qu'il le ferait à la fin de son Épître, des oeuvres de la Loi que, de l'aveu de tous, on doit accomplir, aussi sous le nouveau. Testament,

1 2Co 11,26. - 2 Ga 2,4. - 3 Ga 5,2. - 4 Ga 2,21. - 5 Mt 19,12. - 6 Ga 5,13.

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mais en se proposant une autre fin, celle qui doit attirer des coeurs libres, je veux dire la charité qui espère obtenir par là et qui attend avec foi les récompenses éternelles. Ainsi on n'imitera pas les Juifs qui étaient contraints à les accomplir, non par cette crainte chaste qui subsiste dans les siècles des siècles (1), mais par cette autre crainte qui s'arrête à la vie présente. Aussi observaient-ils de la Loi les préceptes cérémoniels sans pouvoir en accomplir les préceptes moraux: la charité seule en est capable. En effet ne pas tuer un homme pour n'être pas mis à mort soi-même, ce n'est pas accomplir le précepte de justice; l'accomplir, c'est ne pas tuer parce qu'il y aurait injustice à le faire, lors même qu'on le pourrait impunément devant les hommes et devant Dieu même. C'est ainsi que la divine Providence ayant livré le roi Saül aux mains de David, celui-ci aurait pu le mettre à mort sans encourir ni la vengeance des hommes, qui l'aimaient beaucoup, ni la vengeance de Dieu, qui lui, avait promis de le faire tomber sous sa main, pour qu'il le traitât comme il lui plairait (2). Mais David l'épargna, parce qu'il aimait son prochain comme lui-même, et parce que tout persécuté qu'il eût été par lui et qu'il dût l'être encore, il aimait mieux qu'il se corrigeât que de le mettre à mort: contemporain de l'ancien Testament sans en être le disciple, ce grand homme avait claire et profonde la foi au futur héritage du Christ, du Christ que cette même foi le portait à imiter. Aussi l'Apôtre dit-il aujourd'hui: «Vous avez été appelés à la liberté, mes frères; seulement ne faites pas de cette liberté une occasion pour la chair;» en d'autres termes, ne vous figurez pas, en entendant ce mot de liberté, que vous pourrez pécher impunément. «Mais soyez par la charité les serviteurs les uns des autres.» En effet servir par charité, c'est servir avec liberté, en obéissant à Dieu sans peine, en faisant avec amour ce qui est demandé, et non pas avec crainte ce qui est forcé.



44. La charité résume toute la Loi. (3).

«Car toute la Loi se résume dans cette seule parole Tu aimeras ton prochain comme toi-même.» Par conséquent il entend ici par toute la Loi les préceptes destinés à régler les moeurs. Aussi les préceptes même cérémoniels, non pas tels que les observent les esclaves, mais tels que les comprennent les fidèles affranchis par Jésus-Christ, se rapportent nécessairement à ce double

1 Ps 18,10. - 2 1S 24,4-8. - 3 Ga 5,14.

commandement de l'amour de Dieu et du prochain; et ces paroles du Seigneur: «Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais la compléter (1),»s'entendent avec raison en ce sens qu'il devait faire disparaître la crainte charnelle et la remplacer par la charité spirituelle, qui peut seule accomplir la Loi divine, «car l'amour est la plénitude de la Loi (2).»
Par conséquent, comme c'est la foi qui obtient le Saint-Esprit 'et que le Saint-Esprit répand la charité divine dans les coeurs de ceux qui pratiquent la justice (3); il n'y a pour personne aucune raison de se glorifier de ses bonnes oeuvres. Aussi pour réfuter ces aveugles qui mettaient leur gloire dans les oeuvres légales, l'Apôtre montre-t-il que ces pratiques cérémonielles déjà vieillies n'étaient que des ombres de l'avenir, et que le Seigneur une fois arrivé ces ombres n'ont plus de raison d'être pour l'héritier affranchi par lui, tandis qne les oeuvres morales ne peuvent s'accomplir que par l'amour avec lequel agit la foi (4). De là il faut conclure que si parmi les oeuvres légales il en est d'inutiles quand on est parvenu à la foi, et d'autres qui n'ont auparavant aucun mérite, il est nécessaire que le juste vive de la foi (5), que soulevé par le fardeau léger du Christ il secoue le joug pesant de la servitude, et que docile à l'aimable direction de la charité il n'outrepasse point les bornes de la.Justice.



45. La charité envers le prochain témoigne de la charité envers Dieu (6).

On pourrait se demander pour quel motif l'Apôtre ne fait mention que de la charité envers le prochain, quand il dit ici que la charité accomplit toute la Loi; et pourquoi aussi traitant la même question dans son Epître aux Romains, il dit également: «Qui aime autrui, accomplit la Loi. En effet: Tu ne commettras point d'adultère, Tu ne seras point homicide, Tu ne déroberas point, Tu ne convoiteras point, et s'il est quelque autre commandement, tout se résume dans cette parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L'amour du prochain n'opère pas le mal; mais la charité est la plénitude de la Loi (7).» La charité n'étant parfaite qu'avec le double précepte de l'amour de Dieu et du prochain, pourquoi l'Apôtre ne fait- il mention, dans cette Épître et dans l'Épître aux Romains, que de l'amour du prochain? N'est-ce point parce que les hommes peuvent simuler l'amour de Dieu, attaqué plus rarement; tandis qu'il est plus aisé de les

1 Mt 5,17. - 2 Rm 13,10. - 3 Rm 5,5. - 4 Ga 5,6. - 5 Ha 2,4. - 6 Ga 5,15-16. - 7 Rm 13,8-10.

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convaincre dé n'avoir pas l'amour du prochain, lorsqu'ils se comportent injustement envers leurs semblables? On ne saurait aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de tout son esprit, sans aimer aussi son prochain comme soi-même; puisque tel est l'ordre ferme de celui qu'on aime de tout son coeur, de toute son âme et de tout son esprit. Qui pourrait également aimer son prochain, c'est-à-dire tous les hommes, comme soi-même, sans aimer Dieu, dont le précepte et la grâce font qu'on peut aimer le prochain? Ces deux préceptes étant donc tellement inséparables qu'on ne peut être fidèle à l'un sans être,fidèle a l'autre, il suffit souvent, quand il s'agit des oeuvres de justice, de rappeler l'un des deux, et on rappelle avec plus d'à-propos celui dont la pratique se prouve plus facilement dans chacun de nous. Aussi saint Jean dit-il: «Celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu, qu'il ne voit pas (1)?» C'est que. plusieurs prétendaient faussement avoir l'amour de Dieu; leur haine contre leurs frères prouvait le contraire; or il est facile de constater cette haine par la conduite et les moeurs de chaque jour.
«Que si vous vous mordez et vous déchirez les uns les autres, prenez garde que les uns les autres vous ne vous consumiez.» C'est surtout ce funeste esprit de chicane et d'envie qui nourrissait parmi eux des divisions déplorables, chacun parlant d'autrui et cherchant sa propre gloire dans de vains triomphes; habitudes fatales qui détruisent la société humaine en y créant mille partis. Mais comment échapper à ces vices, si on ne se conduit par l'esprit et si on ne comprime les convoitises charnelles? Aussi les premières et les plus belles qualités de l'esprit sont l'humilité et la douceur: de là vient, comme je l'ai rappelé déjà, que, le Seigneur s'écrie: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (2);» de la viennent aussi ces paroles d'un prophète: «Sur qui repose mon Esprit, sinon sur l'homme humble, paisible et tremblant à ma parole (3)?».



46. La grâce, nécessaire à la liberté (4).

Nous lisons ensuite: «La chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair; il sont en effet opposés l'un à l'autre, en sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez.» Ces derniers mots sont pour plusieurs- l'occasion de croire que l'Apôtre nous refuse le libre arbitre; mais ils ne remarquent pas que l'Apôtre ne parle ainsi que

1 1Jn 4,20. - 2 Mt 11,29. - 3 Is 66,2. - 4 Ga 5,17.

dans l'hypothèse où les Galates ne voudraient pas conserver la grâce de la foi qu'ils ont reçue et qui leur est nécessaire pour; suivre la direction de l'esprit et ne pas satisfaire les convoitises de la chair; c'est dans le cas Ails rejetteraient cette grâce qu'ils ne pourraient faire ce qu'ils veulent. Que veulent-ils en effet? Produire les oeuvres de justice commandées par la Loi; mais ils sont vaincus par la concupiscence de la chair et ils perdent, en s'y abandonnant, la grâce de la foi. Aussi l'Apôtre écrivait- il encore aux Romains: «La prudence de la chair est ennemie de Dieu; car elle n'est point soumise à la Loi de Dieu et ne saurait l'être (1).» Effectivement, la charité accomplit la Loi, et la prudence de la chair en recherchant les avantages temporels, lutte contre la charité: comment donc peut-elle être soumise à la Loi de Dieu, c'est-à-dire accomplir avec plaisir et fidélité la justice sans la blesser en rien, puisque même en y travaillant elle sera nécessairement vaincue, dès qu'elle apercevra pour elle un plus grand avantage temporel dans l'iniquité que dans la fidélité à la justice?
De même en effet que la première vie de l'homme est antérieure à la promulgation de la Loi, et qu'alors aucune iniquité et aucun acte de méchanceté ne lui étant interdits par personne, il ne cherche sous aucun rapport à résister à ses passions déréglées; ainsi sa seconde vie est la vie qu'il mène sous la Loi avant d'avoir reçu la grâce; le péché lui est alors interdit et il travaille à s'en abstenir, mais il est vaincu parce qu'il n'aime pas encore la justice en vue de Dieu ni en vue d'elle-même et qu'il n'en veut que comme d'un moyen pour se procurer les biens temporels. Si donc il voit, d'un côté la justice et d'autre part une satisfaction temporelle, il est entraîné par le poids même de sa passion pour les biens temporels, et il laisse la justice; il la laisse, puisqu'il né tenait à elle que pour se procurer ce qu'il va perdre s'il y tient encore. Une troisième vie est la vie de la grâce; il n'est alors aucun intérêt temporel qu'on préfère à la justice, ce qui ne peut se faire que par l'amour spirituel que le Seigneur nous a enseigné par son exemple et accordé par sa grâce. En effet, lors même que durant cette troisième vie, on ressentirait encore ces désirs charnels qui ont leur principe dans la fragilité d'un corps mortel, ils ne parviennent pas à triompher de l'âme en la faisant consentir au péché. Le péché, de cette manière, ne règne plus dans notre

1 Rm 8,7.

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corps mortel (1); bien qu'il ne puisse en être complètement banni, tant que ce corps reste un corps mortel. L'empire du péché se détruit donc en nous, premièrement, quand nous obéissons par l'esprit à la Loi de Dieu, quoique notre corps obéisse encore à la Loi du péché (2), c'est-à-dire à l'inclination funeste qui est le châtiment du péché même, dont nous ressentons l'impression dans nos organes, tout en refusant d'y consentir. Ces impressions pourtant finiront par disparaître 'entièrement; car si l'Esprit de Jésus habite en nous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts, rendra aussi, en considération de l'Esprit qui demeure en nous, la vie à nos corps mortels (3).
Maintenant donc il faut vivre sous la grâce, pour faire dans notre esprit ce que nous voulons, bien que nous ne puissions le faire encore dans notre chair; c'est-à-dire pour ne pas consentir aux inclinations du péché jusqu'à lui abandonner nos organes comme des instruments d'iniquité (4), bien que nous ne puissions anéantir complètement ces impressions. De cette manière, si nous ne jouissons pas encore de cette paix éternelle qui sera complète dans toutes les parties de notre être, nous cesserons au moins d'être sous la Loi, d'être coupables de prévarication en consentant au péché et en restant esclaves de la concupiscence de la chair; et nous serons sous le règne de ta grâce, qui ne laisse peser aucune condamnation sur ceux qui sont en Jésus-Christ (5), attendu que le châtiment est infligé, non pas à celui qui combat, mais à celui qui se laisse vaincre.

47. Se conduire par l'Esprit (6).

Il est donc logique que l'Apôtre ajoute: «Si vous vous conduisez par l'Esprit, vous n'êtes pas sous la Loi;» car c'est nous faire entendre qu'on est encore sous la Loi quand en résistant à la chair l'esprit ne fait pas ce qu'on veut, quand on ne se tient pas invisiblement attaché à l'amour de la justice et qu'on se laisse vaincre par les convoitises de la chair (7), quand non-seulement la chair résiste à ta loi de l'esprit mais que de plus elle asservit à la loi du péché, laquelle est dans nos membres (8). Quand en effet on ne se tondait point par l'esprit, on se conduit nécessairement par la chair. Or ce qui est condamnable, ce n'est pas de ressentir les résistances de la chair, c'est de se conduire par la chair. Aussi l'Apôtre

1 Rm 6,12. - 1 Rm 7,25. - 3 Rm 8,11. - 4 Rm 6,13. - 5 Rm 8,1-6. - 6 Ga 5,18. - 7 I Rét. 24,2. - 8 Rm 7,23.

dit-il: «Si vous vous conduisez par l'esprit, «vous n'êtes plus sous la Loi.» De fait il n'a pas dit plus haut non plus: «Conduisez-vous par l'esprit,» et ne ressentez point les convoitises de la chair; mais: «N'accomplissez point les désirs de la chair (1).» Car ne ressentir plus ces convoitises, ce n'est plus combattre, c'est -avoir remporté la victoire en persévérant dans la fidélité à la grâce et être couronné, puisque le corps, une fois devenu immortel, n'éprouvera plus ces impressions charnelles.



48. Les oeuvres de la chair (2).

L'Apôtre fait ensuite l'énumération des oeuvres de la chair, afin de faire comprendre que si on consent à suivre ces désirs charnels on se conduit parla chair et non par l'esprit. «Or on connaît aisément les oeuvres de la chair, dit-il; ce sont la fornication, l'impureté, le culte des idoles, les empoisonnements, les inimitiés, les contestations, les colères, les jalousies, les dissensions, les hérésies, «les envies, les ivrogneries, les débauches et autres vices semblables; et je déclare, comme je l'ai déjà fait, que ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu.» Mais on les commet quand en cédant aux passions de la chair on consent à les accomplir, lors même qu'on n'en est pas capable. Supposé au contraire que malgré les impressions mauvaises on demeure invinciblement attaché à la charité victorieuse, et que loin de faire le mal extérieurement on n'y donne même pas son consentement intérieur, alors on ne commet pas ces désordres et on parviendra au royaume de Dieu. Dans ce cas en effet le péché ne règne pas dans notre corps mortel jusqu'à nous faire obéir à ses convoitises; quoique cependant il y habite, puisque n'y sont point éteints ces penchants naturels avec lesquels nous sommes nés pour mourir, ni ces autres penchants que nous y avons ajoutés par notre propre conduite, lorsqu'en péchant nous avons accru le péché et la condamnation qui pesait sur nous depuis notre origine. Car autre chose est de ne pécher pas, et autre chose de n'avoir pas le péché en soi. Nous ne péchons pas, lorsque le péché ne règne pas en nous, c'est-à-dire lorsque nous n'en suivons pas les inclinations; mais n'avoir plus même en soi ces inclinations, c'est faire plus que de ne pécher pas, c'est n'avoir pas en soi le péché. Si l'on peut durant cette vie atteindre sous plusieurs rapports

1 Ga 5,16. - 2 Ga 19-21.

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à ce degré de perfection, on n'y parviendra néanmoins sous tous rapports qu'à la résurrection de la chair et à la transformation de nos organes.
«Je vous déclare, dit l'Apôtre, comme je l'ai déjà fait, que ceux qui commettent ces désordres ne posséderont pas le royaume de Dieu:» on peut ici se demander dans quelle circonstance il a fait cette déclaration, car il n'en est pas question dans cette Épître. Il l'a donc faite de vive voix, ou bien il savait que les Galates avaient reçu l'Épître adressée par lui aux Corinthiens. Il y dit en effet: «Ne vous abusez point: ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les rapaces, ne posséderont le royaume de Dieu (1).»



49. Les oeuvres de l'esprit (2).

Il était naturel qu'après avoir rappelé ces oeuvres de la chair, auxquelles est fermé le royaume de Dieu, il rappelât aussi les oeuvres de l'esprit, qu'il nomme les fruits de l'esprit. «Au contraire, dit-il donc, les fruits de l'esprit sont: la charité, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la foi, la mansuétude, la tempérance.» Il ajoute: «Contre de pareilles choses il n'y a point de loi;» c'est pourrions faire comprendre que nous sommes sous la Loi, si ces vertus ne règnent pas en nous. Y règnent-elles? Nous usons légitimement de la Loi, car la Loi n'est pas alors destinée à nous réprimer; du reste la justice a pour nous des charmes meilleurs et plus puissants. Voici en effet ce que saint Paul écrit à Timothée: «Nous savons que la Loi est bonne, si on en use légitimement; reconnais que la Loi n'est pas imposée au juste, mais que c'est aux injustes et aux insoumis, aux impies et aux pécheurs, aux scélérats et aux débauchés, aux assassins de père ou de mère, aux homicides, aux fornicateurs, aux sodomites, aux voleurs d'esclaves, aux menteurs, aux parjures et aux autres coupables que condamne la saine doctrine (3);» sous-entendez ici: que la Loi est imposée. Ainsi donc, les fruits de l'esprit règnent dans un homme, quand en lui ne règnent pas les péchés. Or ces fruits excellents y règnent quand ils charment assez pour retenir le coeur au moment des tentations et pour l'empêcher de tomber en consentant au péché. Il est nécessaire en effet que nous agissions conformément à ce qui nous

1 1Co 6,9-10. - 2 Ga 5,22-23. - 3 1Tm 1,8-10.

charme le plus. Exemple: Voici devant quelqu'un l'image d'une belle femme, elle provoque des mouvements charnels; mais si la beauté intime, si la pureté de la chasteté nous charme davantage, nous y conformons alors notre vie et nos oeuvres, avec la grâce que donne la foi au Christ; et le péché ne régnant plus en nous jusqu'à nous faire céder à ses impressions, la justice au contraire y exerçant son empire, nous faisons avec plaisir tout ce que nous savons être agréable à Dieu dans cette vertu. Ce que j'ai dit de la chasteté et du vice contraire, j'ai entendu qu'on l'applique à tous les autres cas.




Augustin, comment. Galates - 38. Sollicitude maternelle de l'Apôtre (1).