Augustin, comment. Galates - 49. Les oeuvres de l'esprit (2).

50. Enumérations diverses.

On pourrait s'étonner de voir, soit que les oeuvres de la chair ne figurent ici ni dans le même nombre ni dans le même ordre que présente l'Épître aux Corinthiens; soit que les oeuvres spirituelles opposées aux vices charnels soient moins nombreuses que ces derniers; soit enfin qu'à chaque vice ne corresponde pas exactement la vertu contraire, comme à la fornication correspond la chasteté, la pureté à l'impureté. Mais l'Apôtre n'a pas entrepris de faire connaître le nombre, il a voulu plutôt indiquer la nature des vices à fuir et des vertus à rechercher. Aussi en se servant des termes de chair et d'esprit entendait-il nous porter à éviter le péché et le châtiment du péché pour nous attacher à la grâce du Seigneur et à sa justice; il craignait qu'en abandonnant durant la vie cette grâce qui a déterminé le Seigneur à mourir pour nous, nous ne parvinssions pas à l'éternel repos où pour nous aussi vit le Seigneur; et qu'en ne comprenant point la portée du châtiment temporel que le Seigneur a daigné souffrir, pour nous dompter, en, endurant la mort dans sa chair, nous ne vinssions à tomber au milieu des châtiments éternels préparés à l'orgueil qui continue ses révoltes contre Dieu. Voilà pourquoi, après avoir rappelé plusieurs des oeuvres de la chair, il ajoute: «Et autres vices semblables;» montrant assez, par ces paroles, qu'il n'a point voulu faire une énumération bien exacte, mais indiquer seulement et sans gène ce qui se présentait à lui. Il fait de même quand il est question des fruits de l'esprit; il ne dit pas Contre ces choses, mais: «Contre de pareilles choses il n'y a pas de loi;» en d'autres termes, il n'y en a ni contre ce que je viens de rappeler, ni contre les vertus semblables.



51. Rapports entre les vices de la chair et les fruits de l'Esprit dont parle saint Paul.

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- Néanmoins si on y regarde de près, on reconnaîtra qu'il ne manque ni ordre ni règle dans l'opposition signalée entré les vices de la chair et les fruits de l'esprit. Si les rapports ne frappent pas d'abord, 'est qu'il n'y a parfois qu'une chose opposée à plusieurs autres. Mais en voyant figurer, en tête des vices charnels, la fornication, et la charité en tête des vertus spirituelles, quel homme appliqué à l'étude des saintes Lettres ne se sent excité à sonder les mystères qui sont ici renfermés? Qu'est-ce que la fornication? C'est l'amour qui se détache d'une union légitime, et qui court chercher ailleurs des satisfactions charnelles. Mais qu'y a-t-il d'aussi légitimement uni à Dieu, que l'âme puisant en lui la fécondité spirituelle? Elle est d'autant plus pure qu'elle s'attache à lui plus inviolablement. Or cet attachement.est l'oeuvre de la charité. La charité seule conservant ainsi la chasteté de l'âme, est-ce sans motif que saint Paul l'oppose à la fornication? Les troubles qui naissent dans l'âme à la suite de l'acte de fornication sont de véritables impuretés; aussi bien l'Apôtre oppose-t-il à 1'impureté la joie d'un coeur tranquille. L'idolâtrie est la dernière des prostitutions de l'âme; et c'est pour la soutenir qu'a été déclarée à l'Evangile et aux hommes déjà réconciliés avec Dieu, cette guerre furieuse dont les flammes, depuis longtemps éteintes, se rallument pourtant encore. A l'idolâtrie est par conséquent opposée la paix qui nous remet en grâce avec Dieu; et en gardant cette paix dans nos rapports avec les hommes, nous nous corrigeons des péchés d'empoisonnements, d'inimitiés, de contestations, de jalousies, de colères et de dissensions. De même, quand il s'agit de nous conduire, avec la justice et les égards convenables,: dans nos rapports avec les hommes au milieu desquels nous vivons, la patience nous aide à les supporter; la bienveillance, à en prendre soin; et la bonté, à leur pardonner. A quoi bon ajouter que la foi résiste aux hérésies, la douceur à l'envie, la tempérance à l'ivrognerie et à la débauche?



52. Différence entre la jalousie et l'envie.

Qu'on ne confonde, pas l'envie et la jalousie; il y a entre elles des points de contact et pour ce motif on les prend souvent l'une pour l'autre, la jalousie pour l'envie et l'envie pour la jalousie. Cependant comme ces deux passions ont ici chacune sa place, nous devons les distinguer. La jalousie est un chagrin que l'âme éprouve de voir quelqu'un parvenir à ce que deux ou même plusieurs convoitaient, quand un seul pouvait y arriver. Elle trouve son remède dans la paix chrétienne, qui nous porte à désirer ce qui ne fait que nous unir lorsque tous nous y parvenons. Pour l'envie, elle est aussi un chagrin que l'âme éprouve, mais lorsqu'elle voit celui qu'elle en répute indigne obtenir ce qu'elle même ne convoite pas. Son remède est dans la douceur, qui rapporte tout au jugement de Dieu sans résister jamais à sa volonté et qui croit bien ce qu'il a fait plutôt que de s'en rapporter à son appréciation personnelle.



53. Le crucifiement et l'amour (1).

«Quels sont ceux qui ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises?» L'Apôtre le dit ensuite: «Ce sont ceux qui vivent en Jésus-Christ.» Comment sont-ils arrivés à ce crucifiement, sinon par cette crainte chaste qui subsiste dans les siècles des siècles (2), ce qui nous tient sur nos gardes pour n'offenser pas Celui que nous aimons de tout notre coeur, de toute notre âme et de tout notre esprit? L'épouse adultère a peur que son mari n'ait l'oeil sur elle, et l'épouse chaste, qu'il ne s'éloigne: ce n'est pas.la même crainte, l'une s'affligeant de la présence de son époux, et l'autre de son absence. Aussi la première espèce de crainte est une crainte corrompue, elle ne veut pas aller au delà de cette vie; l'autre est chaste et subsiste pendant l'éternité. C'est par cette dernière que le prophète demande à être cloué à la croix quand il dit: «Pénétrez mes chairs de votre crainte (3);» et cette croix est celle dont parle le Seigneur quand il s'écrie: «Prends ta croix et me suis (4).»



54. La vie de l'esprit (5).

«Si nous vivons par l'esprit, poursuit saint Paul, recherchons aussi par l'esprit.» Il est évident que notre vie est en rapport avec ce que nous recherchons, et que nous rechercherons ce que nous aimerons. Par conséquent si se trouvent en présence, d'une part ce que commande la justice, d'autre part ce qui flatte les penchants charnels et qu'on aime l'un et l'autre, on se portera à ce qu'on aimera davantage. L'attrait est-il égal? On ne se portera à rien, mais on sera entraîné quelque part par la crainte ou même malgré soi. La crainte aussi est-elle égale? On restera sûrement exposé au danger, flottant alternativement au souffle de l'amour et au souffle de la crainte. Ah! que la paix du Christ l'emporte alors dans nos coeurs (6).

1 Ga 5,24. - 2 Ps 18,10. - 3 Ps 119,120. - 4 Mt 16,24. - 5 Ga 5,25. - 6 Col 3,15.

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Car en ce cas nous prierons, nous gémirons, nous appellerons à notre aide la main secourable de la divine miséricorde, et Dieu ne méprisera point le sacrifice de nos coeurs contrits, et en nous montrant l'horrible danger dont il nous aura délivrés, il accroîtra en nous les feux de son amour. L'erreur des faux frères, c'est que dans l'impossibilité de nier qu'ils dussent rechercher l'Esprit-Saint, l'auteur et le guide de leu liberté, ils ne croyaient pas qu'ils travaillaient à reculer, en revenant charnellement aux oeuvres serviles. Aussi l'Apôtre ne dit-il pas: «Si nous «vivons par l'esprit,» recherchons l'esprit, mais «Recherchons par l'esprit.» Ils étaient d'accord qu'on est obligé d'obéir à l'Esprit-Saint; mais ils voulaient s'attacher à lui, non par leur esprit, mais par la chair, non pas en recherchant la grâce de Dieu par des moyens spirituels, mais en mettant l'espérance de leur salut dans la circoncision charnelle et les autres observances du même genre.



55. Eviter la vaine gloire (1).

«Ne devenons pas avides d'une gloire vaine, envieux les uns des autres, nous provoquant les uns les autres.» Voilà qu vient à propos et divinement bien: après avoir prémuni les Galates contre les faux docteurs qui cherchaient à les ramener sous l'esclavage de la Loi, il craint que plus éclairés maintenant et pour répondre aux attaques de ces hommes charnels ils ne se livrent aux contestations; il craint aussi que déchargés des pratiques onéreuses de la Loi, le désir d'une gloire vaine ne les rende esclaves de vaines convoitises.



56. Correction fraternelle: dans quel esprit il faut la faire (2).

Rien ne prouve qu'un homme est spirituel comme la correction qu'il fait du péché d'autrui en cherchant plutôt à l'en délivrer qu'à l'humilier, à lui venir en aide qu'à le confondre, et en le faisant autant qu'il le peut. Aussi l'Apôtre dit-il: «Mes frères, si un homme est surpris dans quelque faute, vous qui êtes spirituels, relevez-le.» Mais on ne doit pas s'imaginer que le relever c'est le blâmer pour sa faute avec insolence et dérision, ni le repousser avec orgueil comme un incurable; c'est pourquoi saint Paul ajoute: «En esprit de douceur et veillant sur toi-même, de peur que toi aussi tu ne sois tenté.» Rien effectivement ne dispose tant à la miséricorde que la pensée de ses propres dangers.
Ainsi donc l'Apôtre veut et qu'on ne manque

1 Ga 5,26. - 2 Ga 6,1.

pas au devoir de la correction fraternelle, et qu'on évite les batailles. Combien veulent disputer sitôt qu'ils sont éveillés, et cherchent à se rendormir quand ils ne sauraient plus disputer! L'idée du danger commun doit donc maintenir dans le coeur la paix et la charité; quant à la manière de reprendre, soit plus vivement soit plus doucement, elle doit se régler sur ce que semble demander la guérison du malade qu'on a entrepris. Aussi bien est-il dit ailleurs: «Un serviteur de Dieu ne doit pas disputer, mais être doux envers tous, capable d'enseigner, patient.» Qu'on ne croie pas toutefois que la patience doive empêcher de reprendre le prochain lorsqu'il s'égare, car if est dit encore: «Et reprendre modestement ceux qui s'éloignent de la vérité (1).» Comment allier ces deux mots: reprendre, modestement, sinon en gardant la douceur dans le coeur, tout en jetant sur la plaie quelque parole vive et pénétrante pour la guérir?
On ne doit pas, me semble-t-il, entendre différemment ce passage de la même Epître «Prêche la parole, insiste à temps, à contre-temps, reprends, exhorte, menace avec toute patience et doctrine (2).» A temps est assurément le contraire de à contre-temps. Or aucun remède ne saurait guérir s'il n'est appliqué à temps. Cependant on pourrait unir les mots autrement et lire: «Insiste à temps, reprends à contre-temps;» et continuer ensuite: «Exhorte, reprends avec toute patience et doctrine.» De cette manière on semblerait parler à temps; lorsqu'on s'appliquerait à édifier, et on ne se soucierait pas, en réprimant les désordres, de paraître agir à contre-temps, quand on parle à propos pour les malades qu'on veut guérir. De cette manière encore on pourrait rapprocher de ces deux adverbes les deux verbes qui suivent, et dire: «Exhorte,» en insistant à temps; «menace,» en reprenant à contretemps; puis en intervertissant l'ordre, les deux substantifs qui viennent immédiatement après
«Avec toute patience,» pour souffrir l'indignation de ceux qu'on réprimande; «et toute doctrine,» pour relever les affections de ceux que l'on édifie.
Toutefois, lors même qu'on lirait ces mots comme on les lit le plus ordinairement et comme si l'Apôtre avait écrit: «Insiste à temps,» et si tu ne gagnes rien, «à contre temps;» jamais

1 2Tm 2,24-26. - 2 2Tm 4,2.

on ne doit se départir pour soi-même de l'occasion convenable, et à «contre-temps» signifiera simplement qu'on paraît importun à celui qu'on corrige et qui n'entend pas volontiers ce qu'on lui reproche, bien qu'on sache soi-même que la réprimande se fait à temps et qu'on l'aime, qu'on prend soin de son salut avec un coeur plein de douceur, de retenue et de charité fraternelle. Combien n'y en a-t-il pas qui songeant ensuite à ce qu'on leur a dit, à la justesse des reproches qui leur ont été adressés, se reprennent plus fortement et plus sévèrement eux-mêmes! Ils paraissaient irrités en s'éloignant du médecin; mais l'énergie de sa parole les pénétrant jusqu'à la moëlle des os, ils se trouvent guéris. Or ils ne le seraient pas, si pour traiter un malade dont les membres se gangrènent, nous attendions qu'il nous demandât de bon coeur de porter sur lui le fer ou le feu. Tout en agissant en vue d'une récompense terrestre, les médecins du corps n'attendront pas toujours ce moment eux-mêmes. Est-il beaucoup de malades qu'ils ne doivent lier avant de leur appliquer soit le feu soit le fer? N'en est-il pas moins encore qui' se laissent lier volontairement. La plupart en effet résistent, ils crient qu'ils préfèrent la mort plutôt qu'une guérison obtenue par ces moyens; on n'enchaîne pas, moins tous leurs membres, en leur laissant à peine la liberté de la langue; puis sans consulter leur volonté propre ni celle du. malade qui se débat, mais les prescriptions de l'art, ces médecins travaillent sans que les cris ni les injures du patient puissent émouvoir leur coeur, ni arrêter leur main. Et des ministres qui sont chargés d'exercer une médecine toute céleste, ne veulent regarder qu'au travers d'une poutre haineuse la paille qui est dans l'oeil de leur frère (1), ou bien ils trouveront plus supportable la mort de ce pauvre pécheur, que quelque parole d'indignation proférée contre eux! Ah! il n'en serait pas ainsi, si pour guérir l'âme d'autrui notre âme était aussi saine que le sont les mains des médecins qui opèrent sur nos membres.



57. Nécessité de la charité pour faire la correction fraternelle.

Jamais donc il ne nous faut entreprendre de corriger la faute d'autrui qu'après avoir interrogé, examiné les replis de notre conscience et avoir pu nous répondre sincèrement devant Dieu que nous n'agissons que par amour. Les outrages, les menaces, les persécutions

1 Mt 8,3.

mêmes de celui que tu reprends parviennent-elles à te blesser le coeur? Si tu crois le malade susceptible encore d'être guéri par toi, ne réponds rien avant de t'être guéri d'abord; il serait à craindre que sous l'impression de tes mouvements naturels tu ne consentisses à le blesser, à faire de ta langue un instrument d'iniquité pour commettre le péché (1), pour rendre mal pour mal et outrage pour outrage (2). Car toute parole qui viendrait de ton coeur blessé, serait plutôt un acte de vengeance qu'une correction charitable. Aime donc, et dis ce que tu voudras; et ce qui semblerait une injure n'en sera nullement une, si tu te rappelles, si tu te persuades intimement que tu n'es armé du glaive de la parole de Dieu que pour délivrer ton frère des vices qui font assaut sur lui. Si cependant, ce qui n'est pas rare, après avoir entrepris avec amour et après avoir commencé avec un coeur tout pénétré d'affection, cet acte de charité, il s'est élevé en toi durant l'action même, et pendant que le malade te résiste, un sentiment qui te détourne de la pensée de le guérir et qui t'irrite plutôt contre lui-même,-répands ensuite des larmes pour laver cette tache, et souviens-toi bien, ce qui est fort salutaire, qu'il faut d'autant moins nous enorgueillir à la vue des péchés d'autrui, que nous en faisons nous-mêmes en les reprenant, puisque la colère nous porte plutôt à la colère, que la misère à la compassion.



58. Que comprend la Loi du Christ (3)?

«Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la Loi du Christ:» sans aucun doute la Loi de charité. Mais si aimer le prochain c'est accomplir la Loi; si de plus les livres de l'ancien Testament recommandent avec instance cet amour du prochain (4), en qui saint Paul dit ailleurs que se résument tous les préceptes de la Loi (5); il s'ensuit évidemment que la partie même de l'Ecriture qui a été donnée à l'ancien peuple appartient à cette Loi du Christ, que le Christ est venu faire accomplir par la charité, puisque la crainte n'y suffisait pas (6). Par conséquent c'est partout la même Ecriture et partout le même précepte, prenant le nom d'ancien Testament, lorsqu'il pèse sur les esclaves aspirant à la possession des biens terrestres, et le nom de nouveau Testament, lorsqu'il relève les coeurs libres qui sont embrasés d'amour pour les biens éternels.

1 Rm 6,13. - 2 1P 3,9. - 3 Ga 6,2. - 4 Lv 19,18. - 5 Rm 13,8-9. - 6 Mt 5,17.

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59. Se défier des louanges (1).

«Car si quelqu'un s'estime être quelque chose; comme il n'est rien il s'abuse lui-même.» Ce n'est pas des flatteurs, c'est de lui-même plutôt qu'il est dupe; puisqu'étant plus près de lui-même qu'ils ne le sont, il préfère se voir en eux plutôt qu'en lui Or, que dit l'Apôtre? «Que chacun éprouve ses propres oeuvres, et alors il trouvera sa gloire en lui-même et non dans un autre;» en lui-même, dans le secret de sa conscience; et non dans un autre, non dans celui qui le flatte. «Car chacun portera son fardeau.» Conséquemment ce ne sont pas tes flatteurs qui allégeront les charges de notre conscience plaise même à Dieu qu'ils n'y ajoutent pas, puisque trop souvent, pour ne pas restreindre en les offensant les louanges qu'ils nous donnent, nous négligeons de les guérir en les reprenant, ou même nous étalons avec jactance devant eux quelques-uns de nos avantages, plutôt que de les montrer dans notre vie par la constance. Je ne dis rien ici des mensonges ni des inventions qu'on fait sur son propre compte pour s'attirer des louanges humaines. Est-il rien de plus ténébreux que cet aveuglement? Comment! chercher à tromper4es hommes pour obtenir une gloire si vaine! ce n'est pas tenir compte de Dieu dont le regard plonge dans le coeur . Y a-t-il même aucune comparaison à établir entre l'erreur de cet homme qui te croit bon, et l'égarement auquel tu t'abandonnes lorsque tu cherches à lui plaire par des vertus imaginaires, tout en déplaisant à Dieu par des défauts trop réels?



60. On doit le nécessaire à l'Apôtre (2).

Le reste me parait très-facile à expliquer. L'ordre donné au fidèle d'assurer le nécessaire au prédicateur qui lui annonce la parole de Dieu, revient souvent en effet. Mais il fallait exciter les Galates à multiplier les bonnes oeuvres, à servir le Christ dans sa pauvreté, afin d'être un jour à sa droite avec les agneaux, à faire plus enfin pour l'amour de la foi, qu'ils n'avaient pu faire par crainte de la Loi. Or personne n'était plus à même que l'Apôtre de rappeler avec assurance ce devoir, puisqu'il vivait du travail de ses mains (3), et qu'il ne voulait pas qu'on accomplit en sa faveur cette obligation; montrant ainsi avec plus d'autorité, qu'il avait plus en-vue l'avantage de ceux qui donneraient que l'utilité de ceux qui recevraient.

1 Ga 6,3-5. - 2 Ga 6,6. - 3 Ac 18,3 Ac 20,34 1Co 4,2 1Th 2,9 2Th 3,8.




61. L'éternelle moisson (1).

S'il ajoute ensuite: «Ne vous y trompez pas: on ne se rit point de Dieu,» c'est qu'il sait combien d'affreux propos on entend de la bouche des hommes qui se perdent, lorsqu'on vit dans la foi aux choses invisibles; lorsque tout en voyant les bonnes oeuvres que l'on sème, on ne voit pas la moisson qu'elles produisent. Ce qui est promis d'ailleurs, ce n'est pas une récolte de la nature des moissons de la terre, puisque le juste vit de la foi (2). «Celui, dit l'Apôtre, qui aura semé dans sa chair, en recueillera la corruption.» Ceci s'applique à ceux qui aiment les plaisirs plus qu'ils n'aiment Dieu. Car c'est semer dans la chair que de ne rien faire, même ce qui paraît bien, que dans le dessein de procurer le bien-être au corps. «Mais celui qui sème clans l'esprit, en recueillera la vie éternelle.» Semer dans l'esprit, c'est faire avec foi et charité ce que demande la justice, sans suivre les désirs coupables qui surgissent même du soin de ce corps mortel. Quant à la moisson de l'éternelle vie, elle aura lieu lorsque l'ennemie dernière, lorsque la mort sera détruite, lorsque ce corps mortel sera absorbé parla vie, lorsque, corruptible, il sera revêtu d'incorruptibilité.
Maintenant donc qu'en vivant sous la grâce nous sommes au troisième degré de vie; nous semons dans les larmes, en ne consentant pas, en résistant aux désirs que soulève en nous le corps animal, afin de moissonner dans la joie au moment où ce corps étant transfiguré, nous n'éprouverons plus, de la part de qui que ce soit, ni chagrin ni danger. Car notre corps lui-même est considéré comme une semence. «Il est semé corps animal,» dit ailleurs le même Apôtre; mais c'est pour ajouter, comme allusion à la moisson: «Il ressuscitera corps spirituel (3).» Pensée déjà exprimée par ces mots d'un prophète: «Qui sème dans les larmes, moissonnera dans la joie (4).»
Cependant il est plus facile de bien semer, c'est-à-dire de bien commencer, que de persévérer dans le bien. La récolte en effet encourage à travailler; mais c'est pour ta fin seulement de notre vie qu'on nous promet la récolte; il faut donc de la persévérance. Aussi, «quiconque persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé.» Un prophète crie également: «Attends le Seigneur, et agis avec courage; fortifie-toi le coeur et attends le Seigneur (6).» C'est ce qu'enseigne

1 Ga 6,7-10. - 2 Ha 2,4. - 3 1Co 15,26 1Co 15,44. - 4 Ps 125,5. - 5 Mt 10,22. - 6 Ps 26,14.

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l'Apôtre: «Ne nous lassons point, dit-il, en faisant le bien; car nous moissonnerons sans nous lasser lorsque le temps sera venu. Ainsi donc, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, surtout à ceux qui sont de la famille de la foi.» Quels sont ceux qu'il désigne ici, sinon les chrétiens? A tous en effet nous devons souhaiter la vie éternelle, mais nous ne pouvons rendre à tous les mêmes devoirs de charité.



62. Lâcheté des faux docteurs (1).

Après avoir enseigné que les oeuvres réellement salutaires de la Loi, c'est-à-dire les oeuvres morales, ne peuvent s'accomplir qu'avec l'amour spirituel et non pas avec la crainte servile, l'Apôtre revient à ce qui fait le sujet de toute cette Épître: «Vous voyez, dit-il, quelle lettre je vous ai écrite de ma propre main.» C'est par crainte qu'en publiant une lettre sous son nom on ne vienne à duper les simples. Il ajoute: «Ceux qui vous poussent à vous faire circoncire sont des hommes qui veulent plaire selon la chair et qui n'ont en vue que de ne pas souffrir persécution pour la croix du Christ.» Les Juifs en effet persécutaient à outrance ceux qui paraissaient abandonner leurs traditions d'observances charnelles. L'Apôtre montre combien peu il les redoute en écrivant cette lettre de sa propre main; mais il indique en même temps combien la crainte a d'influence sur ces esclaves des pratiques légales qui poussent les Gentils à se faire circoncire. - «Et eux qui se font circoncire, ne gardent pas la Loi.» Par cette Loi qu'ils ne gardent pas il entend ici celle qui défend de tuer, de commettre l'adultère, de faire de faux témoignage, et qui renferme les autres prescriptions évidemment relatives à la morale; car, nous l'avons déjà dit, on ne saurait l'accomplir qu'autant que l'on a la charité, et l'espérance de ces biens éternels que fait connaître la foi. - Ils veulent vous faire circoncire, poursuit saint. «Paul, pour se glorifier en votre chair;» c'est-à-dire, non seulement afin d'échapper aux persécutions des Juifs, qui ne souffraient pas qu'on livrât la Loi à des incirconcis, mais encore afin de se glorifier devant eux de faire de nombreux prosélytes; car les Juifs, pour faire un seul prosélyte, auraient sillonné la mer et la terre, leur disait le Sauveur (2). - «Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n'est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui

1 Ga 6,11-14. - 2 Mt 23,15.

le monde m'est crucifié et moi au monde. - Le monde, m'est crucifié,» il ne peut rien sur moi; «Et moi au monde, n je ne tiens pas à lui; en d'autres termes encore: Le monde ne saurait me nuire et moi je n'ai rien à désirer de lui. Or, quand on se glorifie de la croix du Christ, on ne cherche pas à plaire en vue d'avantages naturels, car on ne craint pas les persécutions des hommes charnels, qu'a endurées le premier jusqu'à mourir sur la croix, Celui qui a voulu donner par là un grand exemple à ses disciples.



63. La créature nouvelle (1).

«La circoncision n'est rien, ni l'incirconcision.» C'est toujours la même indifférence où l'on doit être relativement à cette pratique. On ne doit donc pas croire qu'il y a eu dissimulation dans l'Apôtre lorsqu'il a fait circoncire Timothée, ni qu'il y en aurait si pour ce motif il consentait à laisser circoncire quelqu'un encore. Ce n'est pas la circoncision en elle même, c'est l'espoir qu'on y met pour le salut, qui nuit aux croyants. On voit en effet, dans les Actes des Apôtres, des Juifs pousser à la circoncision en prétendant que sans ce moyen les Gentils devenus chrétiens ne pouvaient parvenir au salut (2). ainsi ce n'est pas dans l'acte en lui-même, c'est dans ferreur qu'on on y attache, que l'Apôtre voit du danger. «La circoncision n'est rien, ni l'incirconcision, mais la créature nouvelle.» Nouvelle créature désigne ici la vie nouvelle que donne la foi en Jésus-Christ. Cette expression est à remarquer; car il serait difficile de voir désigner sous ce nom de créature ceux-mêmes qui par la foi sont déjà devenus les enfants adoptifs de Dieu. Cependant l'Apôtre dit également ailleurs: «Si donc quelqu'un est uni à Jésus-Christ, il est une créature nouvelle; les choses anciennes ont passé: voilà que tout est devenu nouveau, et ce tout vient de Dieu (3).» Mais quand il écrit: «Et la créature elle-même sera affranchie de la servitude de la corruption,» en ajoutant ensuite: «Non-seulement elle, mais c nous aussi, qui avons les prémices de l'Esprit (4);» saint Paul distingue les fidèles de ce qu'il appelle la créature. C'est ainsi que tantôt il dit qu'ils sont des hommes et tantôt qu'ils n'en sont pas. N'est-il pas vrai que par manière de reproche il dit, quelque part aux Corinthiens qu'ils sont des nommes? Voici ses paroles: «N'êtes-vous pas des hommes et ne vous conduisez-vous pas en hommes (5)?» C'est ainsi encore

1 Ga 6 Ga 15-16. - 2 Ac 15,1. - 3 2Co 5,17-18. - 4 Rm 8,21-23. - 5 1Co 3,3-4.

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qu'il dit de Notre-Seigneur ressuscité qu'il n'est pas un homme; car nous avons lu, dès le commencement de cette Épître: «Non de la part des hommes, ni par l'intermédiaire d'un homme, mais par Jésus-Christ (1);» ailleurs pourtant, qu'il est un homme, comme dans ce passage: «Il n'y a qu'un seul Dieu, ni qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme (2).»
«Quant à tous ceux qui suivent cette règle, pax et miséricorde sur eux, ainsi que sur l'Israël de Dieu;» c'est-à-dire sur ceux qui se préparent véritablement à voir Dieu, et non sur ceux qui portent ce nom d'Israël sans chercher à voir le Seigneur, aveuglés qu'ils sont par la chair quand, rejetant sa grâce, ils 'aspirent à rester des esclaves dans le temps.



64. Stigmates de saint Paul (3).

Au reste, «que personne ne me fasse de la peine.» Il ne veut pas qu'on le fatigue par des contestations turbulentes à propos d'une question suffisamment éclaircie dans cette Épître et dans 1'Épitre aux Romains. «Car, je porte sur mon corps les stigmates de Jésus-Christ notre Seigneur:» en d'autres termes, j'ai avec ma chair d'autres conflits et d'autres luttes; elles s'élèvent contre

1 Ga 1,1. - 2 1Tm 2,5. - 3 Ga 6,17.

moi durant les persécutions auxquelles je suis en butte. Les stigmates sont des traces de châtiments infligés à des esclaves. L'un d'eux, par exemple, a-t-il été mis aux fers ou condamné à d'autres peines semblables pour un manquement ou pour une faute? il porte des stigmates; aussi a-t-il moins de droit à être mis en liberté. L'Apôtre donc appelle stigmates ce qui était comme la marque des persécutions qu'il endurait. Il les regardait comme le châtiment qu'il méritait pour avoir persécuté les Eglises du Christ. Aussi le Seigneur lui-même avait-il dit à Ananie, au moment où celui-ci le redoutait comme un persécuteur des chrétiens: «Je lui montrerai ce qu'il faut qu'il souffre pour mon nom (1).» Toutefois, comme il avait reçu dans le baptême la rémission de tous ses péchés, toutes ces persécutions, loin de lui nuire, préparaient pour lui la couronne de la victoire.



65. Signature de l'Épître (2).

La conclusion de cette Épître est aussi claire que le serait une signature; aussi l'emploie-t-il également dans quelques unes de ses autres lettres: «La grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit, mes frères. Amen.»

1 Ac 9,6. - 2 Ga 6,18.

Traduction de M. l'abbé RAULX.


Augustin, comment. Galates - 49. Les oeuvres de l'esprit (2).