Augustin, unions adultères 1034

CHAPITRE 26I. CE QUE SIGNIFIE: «NE PAS JETER LES PERLES AUX POURCEAUX».


1034 34. Si ces paroles du Seigneur: «Gardez-vous de donner aux chiens ce qui est saint», devaient être interprétées dans le sens de nos adversaires, Jésus-Christ aurait-il donné la communion à l'Apôtre qui le trahissait et pour qui la communion devait, être une cause de ruine? Il est certain cependant que le sacrilège de Juda ne peut retomber sur le Sauveur. Il est donc bien plus naturel de penser que, par ces paroles, le Seigneur voulait nous faire entendre que les coeurs impurs sont impuissants à porter la lumière spirituelle de l'intelligence. Supposez que cette lumière jaillisse à leurs yeux des lèvres d'un docteur, comme ils ne peuvent la recevoir, ou ils la déchirent


1.
Rm 14,12 - 2. Mt 7,6

avec une sorte de rage, ou ils la foulent aux pieds avec mépris. Si donc le bienheureux Apôtre ne donnait aux enfants, quoique déjà renouvelés en Jésus-Christ, que le lait de la doctrine et non une nourriture solide: «car vous ne pouviez pas la supporter, dit-il, et aujourd'hui encore, vous ne le pouvez pas (1)»; si le Sauveur lui-même dit à ses Apôtres, après leur élection: «J'ai encore beaucoup d'autres choses à vous dire, mais pour le moment vous ne pouvez les entendre (2)»; combien moins l'esprit impur des impies peut-il supporter les enseignements de la lumière spirituelle!

CHAPITRE 28. EN CAS DE MORT ON NE DOIT PAS REFUSER LE BAPTÊME, MÊME AUX CATÉCHUMÈNES QUI VIVENT DANS L'ADULTÈRE.


1035 35. Mais terminons plutôt par où nous avons commencé. Je dis donc qu'en danger de mort on ne doit pas refuser le baptême aux catéchumènes, fussent-ils engagés dans des mariages adultères. Il en serait autrement s'ils étaient en santé; mais si leur vie nous paraît en grand danger, lors même qu'ils ne pourraient répondre pour eux-mêmes, je crois qu'on doit les baptiser, afin que ce péché, comme les autres, se trouve effacé dans le bain de la régénération. Comment savoir, en effet, si ces malheureux n'avaient pas résolu de ne s'abandonner que jusqu'au baptême, aux séductions de la chair; si après avoir recouvré la santé, ils accompliront leur résolution et si, avertis de ce qui s'est passé, ils se rendront à leurs devoirs, ou bien, contempteurs de la grâce reçue ils seront traités comme on traite ceux qui se livrent au mal après leur baptême? Ce que nous disons du baptême, nous devons le dire de la réconciliation, quand la mort menace de frapper un pénitent. Notre mère, la sainte Eglise, ne doit pas vouloir le laisser partir non plus, sans lui conférer le gage de la paix véritable.


1.
1Co 3,2 - 2. Jn 16,12

182



LIVRE SECOND.

Indissolubilité du mariage, même après l'adultère.


CHAPITRE PREMIER. POURQUOI CE NOUVEAU LIVRE.


2001 1. Cher et pieux frère Pollentius, en réponse à votre lettre je vous ai adressé un assez gros volume au sujet des mariages qui se contractent du vivant d'un premier époux. Votre charité en a pris connaissance, et aussitôt vous avez ajouté à votre travail certaines additions dans le but de provoquer une nouvelle réponse de ma part. Je me disposais à vous satisfaire et à joindre mes observations à mon premier écrit pour n'en faire qu'un seul livre, quand j'appris, à mon grand étonnement, que, sur les instances de nos frères, mon travail avait vu le jour sans que l'on soupçonnât qu'il fût nécessaire d'y rien ajouter. Je me vois donc obligé de composer un nouveau volume en réponse à vos additions. Souvenez-vous qu'au lieu de les placer à la fin de votre volume, vous les avez arbitrairement intercalées dans le texte primitif.

CHAPITRE II. POLLENTIUS CROIT QUE LE MARIAGE EST DISSOUS PAR L'ADULTÈRE COMME PAR LA MORT.


2002 2. La première de vos assertions, à laquelle je crois devoir répondre, a pour objet ces paroles de l'Apôtre: «Quant aux autres je leur dis, moi et non pas le Seigneur, que la femme ne doit pas se séparer de son mari; si elle s'en sépare, qu'elle reste dans la continence ou qu'elle se réconcilie avec son époux». Vous argumentez sur ces mots: «si elle s'en sépare»; au lieu d'admettre qu'il s'agit ici d'un mari convaincu d'adultère, auquel cas seulement la séparation est permise, vous supposez que l'Apôtre parle d'un mari chaste; voilà pourquoi, selon vous, il est prescrit à la femme de rester dans la continence, afin de pouvoir se réconcilier avec lui et de lui épargner le danger de l'incontinence et d'un second mariage si sa femme légitime refusait de se réconcilier. Mais s'il s'agit d'un époux convaincu d'adultère, vous affirmez que sa femme n'est plus tenue à rester dans la continence; elle le peut si elle le désire, mais elle ne viole aucun précepte en contractant un nouveau mariage. Vous en dites autant du mari; ainsi vous lui défendez de quitter sa femme si elle n'est pas coupable d'adultère; s'il s'en sépare, vous lui défendez un nouveau mariage afin qu'il puisse se réconcilier avec sa femme, à moins toutefois que celle-ci ne préfère,la continence. En refusant de se réconcilier avec une femme restée chaste, il la porterait à l'adultère, puisqu'il l'exposerait à épouser un second mari du vivant du premier; mais si le mari se sépare parce que sa femme est coupable d'adultère, aucun précepte ne l'oblige à rester continent, et il ne sera nullement adultère en épousant une seconde femme du vivant de la première. L'Apôtre a dit: «La femme est liée pendant toute la vie de son mari; si celui-ci vient à mourir, elle recouvre sa liberté, et peut se marier à qui elle veut (1)». Or, vous pensez qu'on doit interpréter ces paroles en ce sens que si le mari viole la fidélité conjugale il doit être regardé comme s'il était mort et la femme comme si elle était morte; dès lors si l'un des deux se rend coupable d'adultère, l'autre est aussi libre de contracter un second mariage que si la mort réelle était survenue.


1.
1Co 7,10-11 1Co 7,39

183

CHAPITRE 3. RÉFUTATION.


2003 3. Telles sont les idées que vous énoncez; maintenant je vous pose cette question: Regardez-vous comme adultère l'homme qui épouse une femme devenue libre à l'égard de son premier mari? Je pense que vous ne portez pas la sévérité jusque-là. Or, toute femme qui, «du vivant de son mari s'unira à un autre homme, sera appelée adultère, car elle est liée pendant tolite la vie de son époux». Otez ce lien qui l'unit à son mari vivant, et sans aucun adultère elle pourra épouser un autre homme. Si donc elle est liée pendant toute la vie de son mari, ce lien ne peut être brisé que par la mort. Mais, dites-vous, la fornication de l'un ou de l'autre des deux époux place le coupable dans un état identique à la mort; j'en conclus que la femme devient libre par cela même qu'elle commet l'adultère. Comment soutenir en effet que la femme est liée à son mari, tandis que celui-ci est parfaitement libre à son égard? Si donc par le fait même de la fornication elle a cessé d'appartenir à son mari, celui qui l'épousera de nouveau ne pourra être accusé d'adultère.

CHAPITRE IV. SI L'ON PEUT ASSIMILER LA FORNICATION A LA MORT.

Voyez quelle absurdité de soutenir que l'on peut, sans adultère, épouser une femme adultère. Une infamie plus grande encore, c'est d'affirmer que la femme ne sera point adultère, puisqu'elle deviendra réellement l'épouse de son second mari. En effet, dès que l'adultère a rompu le premier lien conjugal, pourvu que le nouvel époux soit libre de son côté, il ne pourra plus être question de mariage adultère, ce sera l'union de deux époux légitimes. Mais où sera donc la vérité de cette parole: «La femme est liée pendant toute la vie de son mari?» Direz-vous que son mari n'est plus en vie? Mais, d'un côté, son âme n'est point séparée de son corps, et de l'autre il est innocent de cette fornication que vous assimilez à une mort véritable; et cependant sa femme a cessé d'être sa femme. Un tel langage n'est-il pas en opposition directe avec ce mot de l'Apôtre: «La femme est liée tant que vit son mari?» Sans doute, me direz-vous (183) peut-être, il vit, mais il a cessé d'être son mari, du moment que par la fornication sa femme a brisé le lien conjugal. Mais alors comment «du vivant de son mari la femme sera-t-elle appelée adultère si elle s'unit à un autre homme?» car, à vous en croire, il a cessé d'être son mari, et le lien conjugal a été rompu par l'adultère. L'Esprit-Saint nous dit qu'elle sera adultère si elle s'unit à un autre homme, du vivant de son mari; de quel mari s'agit-il, si ce n'est pas du sien? Mais s'il a cessé de l'être, ne disons donc plus qu'elle sera adultère si du vivant de son mari elle s'unit à un autre homme; puisqu'elle n'est plus mariée, qui peut, l'empêcher de se marier légitimement? Ne voyez-vous pas que c'est là contredire formellement la parole de l'Apôtre? Vous ne voulez pas de cette contradiction, mais elle découle nécessairement de vos principes. Si donc vous voulez échapper à la conclusion,changez les prémisses et ne dites plus que la fornication frappe de mort le mari ou la femme.


2004 4. Voici donc l'enseignement véritable «La femme est liée tant que vit son mari», c'est-à-dire tant que son âme n'a pas quitté son corps; car «la femme, pendant la vie de son mari, lui reste unie par la loi. Mais si son mari vient à mourir», c'est-à-dire se dépouille de son corps, «elle recouvre toute sa liberté. Donc, pendant la vie de son mari elle sera appelée adultère si elle s'unit à un autre homme. Si son mari meurt, elle devient libre et elle ne sera pas adultère en se mariant de nouveau (Rm 7,2-3)». Ces paroles de l'Apôtre, si souvent répétées, sont la vérité, la vie, la justice et la clarté même. Aucune femme ne peut devenir l'épouse d'un autre homme qu'après que la mort véritable aura dissous le premier mariage; il ne s'agit pas ici de fornication. On peut donc licitement renvoyer une femme coupable d'adultère, mais le lien primitif subsiste dans toute sa force; et tout homme qui épouserait une femme ainsi renvoyée pour cause de fornication, deviendrait adultère par le fait même.

CHAPITRE V. LE MARIAGE N'EST ROMPU QUE PAR LA MORT.

De même que celui qui a reçu le baptême, s'il se rend coupable de quelque crime, est soumis aux rigueurs de l'excommunication et conserve le caractère du sacrement alors même qu'il ne serait jamais réconcilié avec Dieu; de même une femme peut être renvoyée pour cause de fornication, mais le lien conjugal n'en subsiste pas moins, et il subsisterait toujours lors même qu'aucune réconciliation n'aurait jamais lieu; ce lien ne cesse pour la femme que par la mort de son mari. Le fidèle frappé d'excommunication, dût-il jamais ne se réconcilier, ne sera jamais dépouillé du sacrement de la régénération parce que Dieu ne meurt point. Tenons-nous en donc au véritable sens de l'Apôtre et gardons-nous d'attribuer à l'adultère les effets de la mort corporelle, pour en conclure que sa femme peut contracter un nouveau mariage. Il est vrai, l'adultère donne la mort non pas au corps mais à l'âme, ce qui est pire; or, ce n'est pas de la mort de l'âme que l'Apôtre parlait quand il disait: «Si le mari est mort, la femme peut épouser qui elle voudra»; il n'est ici question que de la mort physique et naturelle. Si le lien conjugal était brisé par l'adultère de l'épouse, il en résulterait cette infamie dont j'ai montré toute l'horreur, que la femme se trouverait libre par le seul fait de son crime; elle pourrait dès lors sans être adultère épouser un autre mari, puisque son adultère aurait rompu tous les liens qui l'unissaient à son premier mari. Une telle conclusion révolte non seulement un chrétien mais le sens commun, lequel proclame à sa manière la vérité de cette parole: «La femme est liée tant que vit son mari»; ou, pour parler plus clairement, tant que son mari est présent dans son corps. Il faut en dire autant du mari à l'égard de sa femme. Veut-il donc la renvoyer? Qu'il se garde bien d'en épouser une autre s'il ne veut pas se rendre coupable du même crime que sa femme. De même si la femme abandonne son mari pour cause d'adultère, qu'elle s'abstienne d'en épouser un autre, car elle est liée pendant toute la vie de son mari; la mort seule `de ce dernier peut lui permettre d'épouser un autre homme sans se rendre coupable d'adultère.

CHAPITRE VI. DE LA RÉCONCILIATION ENTRE ÉPOUX APRÈS L'ADULTÈRE.


2005 5. Il vous paraît dur qu'un époux puisse se réconcilier avec l'autre époux coupable d'adultère; supposez la foi vive et rien ne sera (184) plus facile. Pourquoi regarder encore comme adultères ceux que le baptême a régénérés ou que nous croyons guéris par la pénitence? Ces crimes pour l'expiation desquels la loi ancienne n'avait point de sacrifices, sont maintenant expiés par le sang du Nouveau Testament; voilà pourquoi il était alors si rigoureusement défendu à un homme de recevoir son. épouse quand elle avait connu un autre mari. Nous lisons cependant que la fille de Saül, donnée d'abord à David pour épouse et livrée ensuite par son père à un autre mari, fut reprise par David, qui en cela ne désobéissait à la loi ancienne que pour préfigurer le Nouveau Testament (1). Maintenant, depuis que Jésus-Christ a dit à la femme adultère: «Ni moi, je ne vous condamnerai pas, allez et ne péchez plus à l'avenir», qui ne comprend qu'en voyant le Seigneur pardonner, un mari doit pardonner aussi et ne plus reprocher l'adultère à celle qui en a fait pénitence et à qui la miséricorde divine a fait grâce?

CHAPITRE VII. QUE SONT CES MARIS QUI SÉVISSENT CONTRE LEURS FEMMES ADULTÈRES?


2006 6. Mais cette conduite du Sauveur soulève l'indignation des infidèles; on trouve même des chrétiens de peu de foi ou plutôt ennemis de la vraie foi, qui craignant l'impunité pour leurs femmes, arrachent dés exemplaires sacrés le récit de l'indulgence accordée par Jésus-Christ à la femme adultère. Mais a-t-il donné la permission de pécher, Celui qui a dit: «Désormais ne péchez plus?» ou bien pour éviter le scandale de ces malades, Dieu, le souverain médecin de nos âmes, devait-il refuser de guérir cette femme en lui pardonnant son péché? Gardons-nous de croire que ceux qui s'irritent de cette conduite du Sauveur, soient eux-mêmes d'une pureté sans tache et d'une austère chasteté: mettons-les plutôt au nombre de ceux à qui le Sauveur adresse ces mots: «Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre». Ceux qui entendaient ces paroles, sentant tout à coup les tourments de la conscience, s'éloignèrent et cessèrent de tenter le Sauveur et de poursuivre cette femme adultère (2). De nos jours au contraire nous en trouvons qui sont malades et qui repoussent le médecin, qui, coupables


1.
2S 3,14 - 2. Jn 8,7-11

185

d'adultère sévissent contre leurs femmes adultères. Si on leur disait, non pas seulement en général: «Que celui d'entre vous qui est sans péché», mais d'une manière plus précise: que celui qui est innocent de ce péché, «lui jette la première pierre»; peut-être cela leur donnerait-il à réfléchir et à reconnaître enfin qu'ils sont bien coupables de réclamer à grands cris la mort d'une femme adultère, eux qui seraient morts depuis longtemps pour le même crime, si Dieu ne les avait épargnés dans son infinie miséricorde.

CHAPITRE VIII. EN CAS D'ADULTÈRE RÉCIPROQUE, L'HOMME EST PLUS COUPABLE QUE LA FEMME.


2007 7. Malgré ces sages paroles, ils s'obstinent dans leur coupable sévérité; ils vont même jusqu'à s'irriter contre la vérité et répondent à peu près en ces termes: Mais nous sommes des hommes; la dignité de notre sexe ne se verrait-elle pas outragée, si le châtiment réservé aux femmes devait flous atteindre quand nous sortons des règles de la fidélité conjugale? Puisqu'ils sont si fiers d'être hommes, ne devraient-ils pas enchaîner plus virilement leurs concupiscences coupables? Puisqu'ils sont hommes, ne doivent-ils pas se rendre plus parfaitement les modèles de leurs femmes dans la pratique de cette vertu? Puisqu'ils sont hommes, ne doivent-ils pas être plus forts pour résister à la passion? Puisqu'ils sont hommes, enfin, ne doivent-ils pas éviter avec plus de soin d'être les esclaves de la débauche de la chair? Et cependant ils s'indignent s'ils apprennent qu'on a infligé à des hommes le châtiment réservé aux femmes adultères; que n'avouent-ils plutôt que des châtiments plus sévères devraient frapper ceux qui ont plus de force pour vaincre et qui doivent conduire les femmes par l'exemple? C'est aux chrétiens que je m'adresse, à ceux qui recueillent fidèlement cette parole

«L'homme est le chef de la femme (
Ep 5,23)»; puisqu'ils se croient les chefs, qu'ils n'imposent donc aux femmes que l'obligation de les suivre, et dès lors que dans leurs actions ils ne tracent pas une voie où ils ne veulent pas être suivis par leurs femmes.

Mais enfin puisqu'il leur déplaît de voir que l'homme est astreint aux mêmes règles de pudeur que la femme; puisqu'en cette matière en particulier ils préfèrent obéir aux lois du monde plutôt qu'à celles de Jésus-Christ, parce qu'à leurs yeux la législation civile semble mettre une différence en matière d'honnêteté entre l'homme et la femme, qu'ils lisent les décrets portés par l'empereur, Antonin, quoique païen; ils y trouveront qu'un mari qui, dans ses moeurs n'a pas donné l'exemple de la chasteté, n'a aucun droit d'accuser sa femme du crime d'adultère, et que tous deux seront également punis s'ils sont tous deux convaincus du même crime. Voici les paroles de cet empereur telles que Grégorien nous les rapporte: «Mes lettres ne favoriseront aucun parti. Si vous êtes cause de la rupture du mariage, et que la nouvelle union d'Aspasie votre femme soit conforme à la loi Julia, en vertu du présent rescrit elle ne sera pas condamnée pour cause d'adultère, à moins que le fait ne soit bien constant. Les juges rechercheront avec soin si par une vie chaste vous avez porté votre femme à l'amour des bonnes moeurs. En effet, je regarde comme une profonde iniquité que l'homme exige de sa femme une retenue qu'il ne pratique pas lui-même; une telle conduite peut attirer la condamnation du mari, sans faire cesser toute poursuite, et, sous prétexte que le crime est réciproque, sans établir une sorte de composition entre les deux époux».

Si l'honneur de la patrie terrestre exigeait de tels règlements; quelle chasteté plus grande encore ne doit pas exiger la cité céleste et la société des Anges? Concluons du moins que loin d'être plus excusable dans les hommes, l'impureté revêt en eux un caractère d'autant plus prononcé de malice et de honte, qu'ils se gonflent de plus d'orgueil et qu'ils se vantent avec plus de licence. Que les hommes cessent donc de s'indigner contre le pardon accordé par Jésus-Christ à la femme adultère: que plutôt ils reconnaissent le danger qui les menace et qu'ils viennent humblement chercher aux pieds du Sauveur le remède à la maladie qui les travaille. Ce qui s'est fait pour elle ne leur est pas moins nécessaire; puissent-ils recevoir la guérison de leurs adultères, s'arracher à ces crimes, louer la patience de Dieu à leur égard, faire pénitence, accueillir le pardon, et ne plus réclamer le châtiment pour les femmes, et pour eux l'impunité!

186

CHAPITRE IX. LA RÉCONCILIATION OU LA CONTINENCE.


2008 8. Après avoir pesé toutes ces considérations, on est facilement convaincu que dans le mariage la condition est commune, le mal commun, le danger commun, la blessure commune, le salut commun. Si cette conviction engendre l'humilité, elle rend glorieuse et facile la réconciliation entre époux après l'aveu et l'expiation de l'adultère, expiation fondée sur l'efficacité des clefs du royaume des cieux pour la rémission des péchés. Une fois réconciliée à Jésus-Christ, celle qui d'abord avait été renvoyée comme adultère ne méritera même plus le nom d'adultère.

Mais aucun précepte n'oblige à cette réconciliation; le siècle peut même la condamner parce qu'il ne peut avoir l'idée de l'expiation des crimes par la vertu du sang innocent. Qu'on embrasse donc la continence à laquelle aucune loi ne peut s'opposer, et qu'on repousse la pensée de nouveaux adultères. Si, purifiée au moins par la miséricorde divine, la femme adultère ne peut obtenir la réconciliation avec son mari; pourvu qu'ils ne contractent aucun autre mariage qui serait un véritable adultère, nous n'avons rien à opposer. Il nous suffit de sauver ce principe: «La femme est liée tant que vit son mari». Conséquemment le mari est lié tant que vit sa femme. Ce lien est tel que toute autre alliance serait un véritable adultère. Si donc deux époux séparés contractaient mariage chacun de son côté, les quatre époux seraient quatre adultères. En effet, quoique le crime soit plus grand de renvoyer sa femme sans cause d'adultère et d'en épouser une autre - c'est de ce genre d'adultère que parle saint Matthieu - on ne doit pas moins croire à la vérité de ces paroles de saint Marc: «Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre commet contre elle un adultère; et si la femme abandonne son mari et en épouse un autre, elle est également adultère (1)». Saint Luc n'est pas moins formel: «Tout homme qui abandonne sa femme et en épouse une autre est adultère, et celui qui épouse une femme renvoyée par son mari est adultère (2)». Dans le livre précédent nous avons suffisamment expliqué ces différents passages.


1.
Mc 10,11-12 - 2. Lc 16,18

CHAPITRE X. VAINES RÉCLAMATIONS DE L'INCONTINENCE CONTRE LA LOI.


2009 9. Vous me répondez: «Il n'est donné qu'à un petit nombre de vivre dans la continence; voilà pourquoi ceux qui ont renvoyé leurs épouses adultères, et qui ne se sentent pas capables de se réconcilier, se voient exposés à de si grands dangers que la loi de Jésus-Christ leur paraît non pas une loi humaine, mais une loi cruelle». - O mon frère, si vous me parlez des incontinents, je comprends qu'ils aient de longues plaintes à exhaler et qu'ils trouvent la loi de Jésus-Christ plus cruelle qu'humaine. Devons-nous donc, à cause d'eux, pervertir ou changer l'Evangile du Christ? Vous n'êtes ému que des plaintes de ceux qui renvoient leurs épouses convaincues d'adultère et n'ont pas le droit d'en épouser d'autres; et cela, dites-vous, parce que la continence n'est possible qu'à un petit nombre et qu'elle doit n'être l'objet que d'un conseil et non d'un précepte formel. De là vous concluez que si, après avoir renvoyé une femme adultère, on n'a pas le droit d'en épouser une autre, l'incontinence des hommes n'aura que trop lieu de se plaindre.

Mais remarquez donc quel nombre d'adultères nous nous mettons dans la nécessité de laisser commettre, en accueillant ces murmures de l'incontinence. En effet, que faire si frappée dans son corps d'une maladie longue et incurable, une épouse se trouve impuissante pour toute relation conjugale? que faire si la captivité ou toute autre force majeure sépare les époux, le mari sachant que sa femme vit encore? Devra-t-on accueillir les murmures de l'incontinence et permettre l'adultère? Le Sauveur interrogé sur le divorce n'a-t-il pas répondu qu'il n'était point permis et que c'est uniquement par égard pour la dureté de leur coeur que Moïse avait autorisé chez les Juifs le libelle de répudiation et la séparation pour n'importe quel motif? Comment la loi de Jésus-Christ ne déplairait-elle pas à des incontinents qui voudraient renvoyer leurs femmes quand elles sont querelleuses., insolentes, impérieuses, fastidieuses et désobéissantes quand il s'agit du devoir conjugal, et en épouser d'autres? Parce que l'incontinence a horreur de la loi de Jésus-Christ, faudra-t-il changer à leur gré cette loi?

187

De plus si une femme abandonne son mari, ou un mari sa femme non pas pour cause de fornication mais pour cause de continence, et que la partie ainsi renvoyée soit victime de l'incontinence, pourra-t-elle sans adultère contracter un nouveau mariage? Si elle le peut, que devient la vérité de ces paroles: «Il a été dit: Si quelqu'un renvoie sa femme, qu'il lui donne un libelle de répudiation; et moi je vous déclare que quiconque abandonne sa femme si ce n'est pour cause de fornication, la rend coupable d'adultère, et celui qui l'épouse est également adultère (
Mt 5,31-32)?» Cette femme a été renvoyée, ce n'est pas elle qui a rompu le mariage; et comme la continence n'est donnée qu'à un petit nombre, elle cède à l'incontinence et se marie; or ces deux nouveaux époux sont réellement adultères. Tous deux sont coupables, tous deux méritent la réprobation, la femme pour s'être mariée du vivant de son premier mari, et l'époux pour s'être uni à une femme dont le mari était vivant. Accusons-nous de barbarie cette loi du Sauveur qui frappe d'adultère et punit comme telle une femme que son mari a renvoyée sans aucune cause de fornication et qu'il a ainsi réduite à contracter un nouveau mariage, parce que la continence n'est le privilège que du petit nombre? Pourquoi ne pas faire passer comme mort, au point de vue du mariage, celui qui en renvoyant injustement sa femme a ainsi rompu les liens du mariage? Comment pouvez-vous soutenir que tel époux qui, tout adultère qu'il soit n'a pas renvoyé sa femme, a brisé le lien conjugal, tandis que ce même lien n'est pas brisé par cet autre qui a renvoyé sa femme demeurée chaste? Moi j'affirme que dans un cas comme dans l'autre le lien conjugal subsiste et lie la femme pendant toute la vie de son mari, fût-il chaste ou adultère. De là je conclus que toute femme renvoyée par son mari, adultère ou continent, est coupable d'adultère si elle se marie, et celui qui l'épouse est lui-même coupable de ce crime: car «la femme est liée tant que vit son mari».

Nous examinons les plaintes de l'incontinence. Quoi de plus juste que la plainte de cette femme qui nous dit: j'ai été renvoyée, ce n'est pas moi qui me suis séparée; et comme la continence n'est le privilège que d'un petit nombre, ne me croyant pas de ce petit nombre, je me suis mariée pour échapper à l'incontinence; et voici que l'on m'accuse d'adultère parce que je me suis mariée! Devant une plainte aussi légitime, n'allons-nous pas conclure qu'il faut changer la loi divine, pour soustraire cette femme à l'accusation d'adultère? Dieu nous en garde! Mais, direz-vous, on a eu tort de la renvoyer puisqu'elle n'avait commis aucune fornication. Vous avez raison, et c'est pour caractériser le péché du mari que le Seigneur a dit: «Celui qui abandonne sa femme, si ce n'est pour cause de fornication, la rend coupable d'adultère». Mais de ce que le mari a péché en la renvoyant, devons-nous conclure qu'elle n'a pas péché en contractant un nouveau mariage? Les plaintes de cette femme incontinente contre la loi de Jésus-Christ ne serviront qu'à lui attirer encore le châtiment de ses murmures.


CHAPITRE 11. AUTRE OBJECTION DE POLLENTIUS.


2011 11. Examinons maintenant cette nouvelle objection que vous avez glissée dans un autre passage et à laquelle vous n'avez pas voulu répondre. Vous vous sentez tout ému et pris de compassion pour cet homme qui se voit .dans la nécessité d'avoir des relations avec une adultère, non pas par incontinence, mais dans des vues de génération, s'il ne lui est pas permis de la renvoyer et d'en épouser une autre, pendant que la première sera encore vivante. Vos émotions seraient légitimes si le second:mariage n'était pas un adultère, lors même -que la première femme encore vivante serait convaincue de fornication. Mais puisque ce second mariage est un véritable adultère, comme nous l'avons prouvé plus haut, pourquoi prétexter la génération? Avec ce prétexte on en viendrait à tolérer tous les crimes; doit-on, pour s'épargner la honte de mourir sans enfant, se priver de la vie éternelle? Les adultères eux-mêmes ne peuvent que reculer devant cette certitude de passer des bras de la mort naturelle dans les horreurs de la mort éternelle. En effet avec ce but de la génération, on devrait renvoyer non-seulement les femmes adultères mais les épouses les plus chastes si elles étaient stériles, et en épouser d'autres. Vous repoussez vous-même une telle conséquence.


2012 12. Si donc le prétexte de l'incontinence n'est pas une excuse à l'adultère, combien moins doit-on en trouver un dans le désir de se créer une postérité?

188

CHAPITRE XII. LE DÉSIR DE LA MATERNITÉ, BUT UNIQUE DU MARIAGE.

A cette faiblesse que nous appelons l'incontinence, l'Apôtre a opposé comme remède l'honnêteté du mariage. Au lieu de dire: si elle n'a pas d'enfant, qu'elle se marie, il a dit: «Si elle ne peut garder la continence, qu'elle se marie (1)». Si d'un côté on cède à l'incontinence en se mariant, de l'autre on trouve une sorte de compensation dans la génération des enfants. L'incontinence est un vice, le mariage n'en est point, et parce qu'il est un bien, il réduit l'incontinence à n'être qu'un mal véniel. Le but du mariage est donc la génération, c'est ce but que se proposaient les patriarches dans toutes leurs relations matrimoniales. De leur temps la propagation du genre humain était une nécessité, aujourd'hui ce n'en est plus une; alors, comme parle l'Ecriture, «c'était le temps d'embrasser», aujourd'hui «c'est le temps de s'éloigner des embrassements (2)». C'est à notre époque que l'Apôtre faisait allusion dans ces paroles: «Du reste, mes frères, le temps est court, que ceux qui ont des épouses soient comme n'en ayant point (3)». C'est donc aussi pour nous qu'il a été dit: «Saisisse qui peut saisir (4)»; mais que celui qui ne peut garder la continence se marie. Dans les premiers siècles du monde la continence se prêtait aux devoirs du mariage pour faciliter la propagation du genre humain; aujourd'hui le lien conjugal n'est qu'un remède à l'incontinence; de cette manière ceux qui ne peuvent garder la continence trouvent dans l'honnêteté du mariage un moyen d'échapper à la honte du crime et d'aider à la propagation des enfants. Pourquoi donc l'Apôtre n'a-t-il pas dit: si elle n'a pas d'enfant, qu'elle se marie? C'est parce que de nos jours la propagation des enfants n'étant plus un besoin doit céder la place à la continence. Et pourquoi a-t-il dit: «Si elle ne peut garder là continence, qu'elle se marie?» C'est afin que l'incontinence ne la porte pas au crime. Si donc elle peut garder la continence, qu'elle ne se marie point et qu'elle renonce à la maternité. Dans le cas contraire le mariage sera le remède licite qui rendra honnête sa fécondité, et la protégera contre des crimes plus graves.


1. 1Co 7,9 - 2. Si 3,5 - 3. 2Co 7,29 - 4. Mt 19,12

Disons cependant que même dans le mariage légitime cette fécondité n'est pas toujours à l'abri du désordre; plusieurs en effet l'entravent par de coupables actions. Ainsi agissait Onas, fils de Juda, et le Seigneur pour ce crime le frappa de mort (1). C'est assez dire que la propagation des enfants doit être le but premier, naturel et légitime du mariage; ceux donc qui cherchent dans cet état le remède à la concupiscence doivent faire en sorte de ne pas voiler sous un extérieur légitime des désordres révoltants. C'est en parlant des incontinents que l'Apôtre disait: «Je veux que les plus jeunes se marient, qu'elles aient des enfants, qu'elles deviennent mères de famille, et qu'elles ne donnent aucune prise sur elles à l'ennemi de tout bien. Or quelques-unes sont retournées à Satan (2)». En disant: «Je veux que les jeunes se marient», l'Apôtre se proposait de les prémunir contre les ruines entassées par la concupiscence. Voulant ensuite les détourner de ne penser qu'aux émotions maladives de la concupiscence, rappeler le bien propre du mariage et empêcher qu'il ne tombe sous les coups du mépris ou de la négligence, il ajoute aussitôt: «Je veux qu'elles aient des enfants et qu'elles soient mères de famille». Quant à celles qui choisissent la continence, assurément elles choisissent la meilleure part; de quels soins dès lors ne doit-on pas l'entourer non-seulement pour se procurer ce bien supérieur au mariage, mais surtout pour éviter l'adultère? L'Apôtre avait dit: «Si elle ne peut pas conserver la continence, qu'elle se marie; car il vaut mieux se marier que de brûler (3)». Il ne dit pas: il vaut mieux profaner son corps que de brûler.


Augustin, unions adultères 1034