Augustin, unions adultères 2013

CHAPITRE XIII. LA RÉCONCILIATION OU LA CONTINENCE.


2013 13. A ceux qui craignent de se réconcilier avec leurs épouses adultères, mais guéries par la pénitence, nous n'avons qu'un avisa adresser: qu'ils gardent la continence. La femme est liée tant que vit son mari, qu'il soit chaste ou impudique; il commet donc l'adultère s'il en épouse une autre. Le lien subsiste lors même qu'une épouse serait répudiée par un époux chaste; à plus forte raison si l'épouse, sans en être séparée, se livre à la fornication. Une seule chose détruit le mariage, c'est la


1.
Gn 38,8-10 - 2. 2Tm 5,14-15 - 3. 1Co 7,9

mort corporelle et non la mort spirituelle par l'adultère. Si donc une femme se sépare d'un mari infidèle et refuse de se réconcilier avec lui, elle doit s'abstenir de contracter un nouveau mariage; et si le mari s'est séparé de sa femme infidèle et refuse de se réconcilier avec elle, même après qu'elle a fait pénitence, qu'il garde la continence; ne fût-il pas disposé à embrasser par choix l'état le plus parfait, il est obligé de s'y soumettre pour échapper au crime. C'est le parti que je conseillerais, lors même que l'épouse serait en proie à une maladie longue et incurable, ou serait à une distance qui rendrait impossible toute relation conjugale; je le conseillerais enfin lors même que la femme, voulant vivre dans la continence, sans en avoir le droit, puisqu'elle n'a pas le consentement mutuel, se séparerait d'un mari resté fidèle. Car tout chrétien croit sans difficulté qu'un mari se rendrait coupable d'adultère, en formant des relations avec une autre femme, parce que la sienne est trop longtemps malade, trop longtemps absente, ou quelle désire vivre dans la continence. La femme renvoyée, fût-elle adultère, son époux commet le même crime en épousant une autre femme, car c'est sans aucune distinction qu'il a été dit: «Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre, est adultère (Lc 16,18)». Si donc celui qui est libre du lien conjugal ne se sent pas porté à imiter la vie des saints, qu'il tremble du moins en face du châtiment réservé aux adultères; si son amour n'est pas assez vif pour lui faire choisir la continence, que la crainte lui aide à comprimer la concupiscence. En effet, si là où il y a crainte il y a travail; là où était le travail, viendra l'amour. Ne nous confions pas à nos propres forces, mais joignons la prière à nos efforts, afin qu'en nous éloignant du mal nous soyons comblés de tous les biens.

CHAPITRE XIV. AUTRE OBJECTION.


2014 14. Vous prétendez ensuite que refuser aux maris l'autorisation de contracter un nouveau mariage du vivant de leurs femmes convaincues d'adultère, c'est mettre ces maris dans la nécessité d'exercer contre elles jusqu'aux dernières violences et même de vouloir leur mort. Et pour peindre cette cruauté vous dites: (189) «Je crois qu'un sens qui exclut la bonté et la piété ne peut être le sens à donner à une parole divine». A vous entendre on dirait que les maris épargneraient leurs femmes adultères, s'il leur était permis d'en épouser d'autres, tandis qu'ils sont incapables de ménagement parce que ce droit leur est refusé. Je dis au contraire qu'ils doivent user de miséricorde envers ces femmes pécheresses, s'ils veulent eux-mêmes obtenir miséricorde pour leurs propres péchés. Cette conduite est plus nécessaire à ceux qui veulent, après avoir renvoyé leurs femmes adultères, vivre dans la continence. En effet, plus ils veulent être parfaits, plus ils doivent être miséricordieux; et comme ils ont besoin du secours de Dieu, la meilleure disposition pour obtenir ce secours, c'est de se montrer indulgents à l'égard de leurs femmes tombées dans l'iniquité. On ne saurait donc trop leur rappeler cette parole du Seigneur: «Que celui qui est sans péché, lui jette la première pierre (Jn 8,7)». Puisque nous parlons à des époux fidèles, nous ne leur disons pas: que celui qui n'est pas adultère, mais d'une manière plus générale: «Que celui qui est sans péché»; dire qu'ils sont sans péché, ce serait s'aveugler eux-mêmes et prouver que la vérité n'est pas en eux (1Jn 1,8). Si donc ils ne s'aveuglent pas, et que la vérité soit en eux, ils se garderont d'une sévérité exagérée. Dans l'intime conviction qu'ils ne sont pas sans péché, ils pardonnent afin qu'il leur soit pardonné, et ils ne sont pas fermés à tout sentiment de bonté et de piété. Il en serait autrement si la piété n'était excitée en eux que par la passion et non par la charité, s'ils n'avaient, pour pardonner, d'autre motif que la liberté de contracter un nouveau mariage et non le désir de se rendre à eux-mêmes le Seigneur propice.


2015 15. Afin de leur inspirer à l'égard de leurs épouses adultères un pardon plus large, plus généreux et plus chrétien, rappelons-leur ces paroles: «Pardonnez au prochain son injustice et vos péchés vous seront remis. Un homme peut-il conserver de la haine contre son frère et chercher sa guérison auprès de Dieu? Il ne veut user d'aucune miséricorde à l'égard de son semblable, et il crie merci pour ses propres péchés? Il n'est qu'une chair fragile, et il conserve de la colère? (190) «Qui donc prendra pitié de ses péchés? (1)» Nous lisons également dans l'Évangile: «Pardonnez et il vous sera pardonné (2)», afin que vous puissiez dire: «Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons les offenses qui nous sont faites (3)». L'Apôtre ajoute: «Ne rendant à personne le mal pour le mal (4)». Enfin si les nombreux passages de la sainte Ecriture sont impuissants à calmer la haine et la vengeance, qu'on se rappelle seulement que l'on est chrétien.


1.
Si 28,3-5 - 2. Lc 6,37 - 3. Mt 6,12 - 4. Rm 12,17


CHAPITRE XV. LE PARDON FONDÉ SUR DES MOTIFS DE CHARITÉ.

C'est là le véritable langage que nous devons tenir; à quoi servirait-il de dire à ces époux: Contentez-vous de renvoyer ces femmes adultères et ne cherchez pas leur mort; vous trouverez dans celles que vous allez épouser une noble consolation à vos douleurs passées: si leur vie devait voles empêcher d'épouser d'autres femmes, vous auriez quelque raison de désirer leur mort; mais puisqu'il vous est permis de contracter de nouveaux mariages, laissez vivre en paix vos premières femmes? Un tel langage, confessez-le, n'aurait aucun des caractères de la persuasion chrétienne; d'abord parce qu'il est erroné, car, du vivant du premier époux, il n'est point permis de contracter un nouveau mariage; et ensuite parce que la compassion que l'on parviendrait à soulever dans leur âme, aurait pour principe non point la charité chrétienne, mais la liberté de convoler à de nouvelles noces. Enfin je vous demande si dans l'ancienne lai ou même dans le droit romain vous trouverez quelque chose qui autorise un mari chrétien à tuer sa femme adultère? Eût-il ce pouvoir, ce qu'il aurait encore de mieux à faire, ce serait de ne pas user de son droit de punir et de s'abstenir d'un nouveau mariage qui pour lui serait illicite. Si enfin il s'obstine à choisir l'un ou l'autre de ces deux partis, qu'il se borne à user de son droit, c'est-à-dire, de faire punir sa femme adultère, et qu'il s'abstienne de ce qui lui est défendu, c'est-à-dire, de se rendre coupable d'adultère du vivant de sa femme. Mais si, et c'est la rigoureuse vérité, il n'est pas permis à un chrétien de tuer sa femme adultère, mais seulement de la renvoyer, qui oserait pousser la démence jusqu'à lui dire: Faites ce qui ne vous est pas permis, afin de rendre licite ce qui vous est défendu? La loi de Jésus-Christ défend tout à la fois et de tuer son épouse adultère et d'épouser une autre femme du vivant de la première; il faut donc s'abstenir à la fois de ce double crime et ne pas faire ce qui est illicite pour se rendre permis ce qui est défendu. Ayant à choisir entre l'homicide et l'adultère, il vaudrait mieux encore s'arrêter à l'adultère; ce serait un moindre crime de contracter un nouveau mariage du vivant de sa première femme, que de verser le sang humain. Mais puisque ce sont là deux crimes formels, ils doivent être tous deux évités, sans qu'on s'arrête à commettre l'un pour l'autre.


CHAPITRE XVI. NOUVELLE OBJECTION.


2016 16. Je sais ce que l'incontinence va nous opposer: celui qui renvoie sa femme adultère, qui lui permet de vivre et de son vivant en épouse une autre, reste perpétuellement dans l'état d'adultère, et ne fait de son crime aucune pénitence efficace puisqu'il refuse de le quitter; fût-il catéchumène, il ne serait point admis au baptême, puisque sa volonté reste attachée au mal; fût-il pénitent, il ne pourrait être réconcilié, tant qu'il n'aurait pas rompu avec sa mauvaise habitude. Supposez au contraire qu'il l'ait tuée, son péché serait un crime transitoire et accidentel, sa volonté n'y resterait pas engagée; le baptême dès lors l'en purifierait s'il est catéchumène; ou, si l'homicide a été commis après le baptême, il serait effacé par la pénitence et par la réconciliation. - Mais de là suit-il que ce qui aurait été un adultère n'est plus un adultère, ce qu'il eût été assurément si le coupable avait contracté un nouveau mariage du vivant de sa première femme? Mettons de côté ce genre d'adultère, et admettons d'abord que quiconque épouse la femme d'un mari encore vivant, répudiée par lui, sans l'avoir mérité par aucune fornication, commet assurément un adultère. Jugez alors sa position: s'il est catéchumène, il ne peut être admis au baptême; s'il est déjà baptisé, il ne peut obtenir son pardon puisqu'il ne renonce pas à son péché; il ne lui reste qu'une chose à faire, s'il le (191) peut, c'est de tuer le mari de celle qu'il a épousée; de cette manière son crime sera lavé par le baptême, ou effacé par la pénitence; on ne pourra l'accuser dé persévérer dans l'adultère, puisque la mort du mari aura rendu la liberté à la femme; son crime devient donc absolument transitoire, et il peut l'expier par la pénitence ou en être purifié par la régénération. Voilà, il me semble, la situation aussi bien dessinée que possible; allez-vous donc en profiter pour accuser la loi de Jésus-Christ de porter les hommes à l'homicide, quand elle proclame qu'épouser une femme du vivant de son mari et répudiée par lui, sans cause de fornication, c'est commettre un adultère?


2017 17. Pour peu que nous pesions sérieusement nos paroles, nous pourrons encore enchérir sur la gravité de votre objection. En effet, pour vous autoriser à croire que l'on peut, sans être coupable d'adultère, épouser une femme renvoyée pour cause d'adultère, vous vous appuyez sur cette raison, «qu'en faisant de ces mariages autant d'adultères, on place les maris dans la nécessité de tuer leurs femmes infidèles, car s'ils les laissent vivre ils ne peuvent contracter de nouveaux mariages. Vous ajoutez: Il ne me semble pas, Père bien-aimé, qu'on puisse regarder comme divine une interprétation qui exclut la bonté et la piété». Mais un adversaire se lève contre vous et vous déclare qu'il ne croira jamais que ce soit un adultère d'épouser une femme répudiée par son premier mari sans aucune cause de fornication; en voici, dit-il, la raison, c'est que par là on inspire aux hommes la pensée de l'homicide, on place les nouveaux maris dans la nécessité de chercher des embûches, de soulever des calomnies, de recourir à toute sorte de crimes et d'accusations pour ôter la vie à leurs rivaux, et rendre ainsi leurs mariages légitimes, d'adultères qu'ils étaient. Il peut ajouter en s'adressant à vous: Bien-aimé frère, je ne puis regarder comme divine une interprétation qui non-seulement exclut toute bonté et toute piété, mais qui excite puissamment à une indigne méchanceté et à une impiété cruelle. Car, que des maris tuent leurs femmes adultères, c'est un crime bien plus léger et bien plus tolérable que de voir des maris adultères tuer des épouses légitimes.

Que pensez-vous de ce raisonnement? Pour ménager une vaine jalousie, devons-nous renoncer à défendre la vérité d'une parole divine; ou bien devons-nous l'accuser de fausseté en soutenant qu'il ne peut y avoir adultère à épouser une femme qui a été répudiée sans cause de fornication, car autrement le second mari se verrait dans l'obligation de tuer son rival pour changer son adultère en un mariage légitime? Je sais que cette seconde opinion vous révolte et que vous ne souffrez point que pour ménager une vaine jalousie on accuse de dureté et de barbarie une loi portée par Jésus-Christ en toute justice et en toute vérité.

Concluez donc aussi qu'il y a véritablement adultère à épouser une femme renvoyée pour cause de fornication, sans vous préoccuper aucunement de savoir si le second mari n'aura pas la pensée de tuer son rival pour légitimer son mariage. S'il en était autrement, pourquoi les ennemis de la foi chrétienne ne vous objecteraient-ils pas que votre doctrine amène les hommes à tuer leurs épouses quand elles sont d'un caractère difficile à supporter, en proie à une longue maladie et impuissantes aux relations conjugales; quand elles sont pauvres, stériles, difformes, et que de leur côté ils ont l'espoir d'en épouser d'autres, qui seront valides, riches, fécondes et belles? L'unique moyen pour eux de se tirer d'embarras, n'est-ce pas la mort? car ils ne peuvent renvoyer leur première femme que dans le cas de fornication ni en épouser une autre, sans se condamner à l'habitude de l'adultère qui les privera infailliblement ou du baptême, ou de la justification par la pénitence. Pour épargner le scandale de tant d'homicides, dirons-nous que l'on peut, sans adultère, renvoyer sa femme sans cause de fornication et en épouser une autre?


CHAPITRE XVII. AUTRE INCONVÉNIENT DE L'OPINION DE POLLENTIUS.


2018 18. Vous prétendez qu'un homme peut, sans adultère, renvoyer sa femme pour cause de fornication et en épouser une autre. Avez-vous pesé les conséquences de cette doctrine? Ne voyez-vous pas que vous autorisez les époux, quand ils ont des femmes qui leur déplaisent pour une foule innombrable d'autres raisons, à les faire tomber dans l'adultère, afin (192) de rompre par là, vous le croyez du moins, le lien conjugal, et de se donner le droit de contracter un nouveau mariage? Quant au crime même qu'ils auront commis par cette pression exercée sur leur femme, ils en obtiendront la remise par le baptême ou par la pénitence, tandis qu'au contraire la grâce et le remède leur seraient refusés si, après avoir répudié sans cause de fornication, ils épousaient d'autres femmes. Mais, dira-t-on peut-être, si une femme est vraiment chaste, toute pression sera inutile pour la faire tomber dans le crime. S'il en est ainsi, que veulent donc dire ces paroles du Sauveur: «Tout homme qui renvoie sa femme sans cause de fornication, la fait tomber dans l'adultère (Mt 5,33)?» Elle était chaste avec son mari, mais se trouvant renvoyée, elle subit tous les assauts de l'incontinence qui la pousse à un nouveau mariage et dès lors à l'adultère.

Peut-être les choses n'en arriveront-elles pas à cette extrémité; toujours est-il que le mari a tout fait dans ce but, et le Seigneur lui imputera ce péché, lors même que la femme resterait chaste. Mais, hélas 1 ne sait-on point combien sont rares les femmes qui montrent envers leurs maris assez de fidélité pour ne point rechercher d'autres époux quand elles se trouvent répudiées? Des femmes qui vivent chastement dans le mariage, on en trouve un très-grand nombre; mais se voient-elles renvoyées, elles ne diffèrent pas à contracter une nouvelle union. Si donc on accepte l'infaillible vérité de cette sentence: «Quiconque renvoie sa femme sans motif de fornication la précipite dans l'adultère»; si d'un autre côté on vous croit sur parole quand vous affirmez qu'un homme dont la femme est adultère peut en épouser une autre, on conclura que le moyen pour un homme de se débarrasser de sa femme qui l'importune, c'est de la faire tomber dans l'adultère en la renvoyant malgré l'honnêteté de ses moeurs; il pourra, quand elle sera devenue adultère, en épouser une autre. Ensuite, le baptême ou la pénitence viendront le purifier de son premier crime, et rien ne pourra empêcher sa justification, puisqu'il n'aura contracté son second mariage qu'après la dissolution du premier. Mais je déclare hautement que de pareilles machinations sont formellement criminelles, que le mari est responsable du crime commis par sa femme, et qu'il est lui-même coupable d'adultère quoiqu'il n'ait contracté mariage qu'après la fornication de sa femme. Il n'aura donc retiré aucun avantage d'avoir cru à votre parole plutôt qu'à la parole de Celui qui a dit sans aucune exception: «Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre se rend coupable d'adultère (1)».


CHAPITRE XVIII. CHOISIR ENTRE LA CONTINENCE CONJUGALE ET LA CONTINENCE VIRGINALE.


2019 19. Cela posé, il ne reste plus à ceux qui comprennent ces paroles que de nous dire ce qui a été dit au Sauveur: «Si tel est l'état du mariage, pourquoi donc se marier?» Notre réponse sera aussi celle qui a déjà été faite: «Tous ne saisissent pas cette parole, il faut en avoir reçu la grâce. En effet, il en est qui sont eunuques en sortant du sein de leur mère, et il en est qui le sont par le fait des hommes; il en est enfin qui se sont rendus tels pour le royaume des cieux. Saisisse qui peut saisir (2)». Donc, que celui qui le peut, saisisse ce que tous ne peuvent saisir. Ce pouvoir n'appartient qu'à ceux à qui Dieu l'a conféré dans les secrets de sa miséricorde toujours juste. Parmi ceux qui se sont condamnés à la continence pour le royaume des cieux, il en est de l'un et de l'autre sexe qui n'ont jamais connu les oeuvres de la chair; il en est d'autres qui après les avoir connues, soit licitement, soit illicitement, y ont renoncé avec courage. Parmi ceux qui en ont usé licitement, les uns n'ont pas dépassé les règles divines et se sont bornés absolument au mariage; d'autres, en usant d'un mariage légitime, ont encore cherché au dehors des satisfactions à leur concupiscence. Après le mariage, ceux-là se condamnent à la continence pour le royaume des cieux, qui perdent leurs épouses par la mort, ou d'un mutuel consentement professent la continence. D'autres, réduits à la nécessité du divorce, par respect pour le commandement qui leur défend sous peine d'adultère de contracter un nouveau mariage, se condamnent aussi à la continence, non pas précisément dans l'espérance plus belle d'une récompense au ciel, mais bien pour éviter un crime qui leur en fermerait l'entrée pour toujours. Car ceux qui sans


1.
Lc 16,18 - 2. Mt 19,10-12

193

nécessité d'aucune sorte, mais seulement par amour pour la perfection se livrent à la continence, pourraient jouir au ciel, même en conservant la pudeur conjugale, d'une récompense qui serait moindre que celle de la virginité, mais qui aura aussi sa grandeur. Mais ceux qui embrassent la continence parce qu'ils craignent, du vivant de leurs épouses, de contracter un nouveau mariage, doivent entourer leur salut d'une sollicitude plus grande que ne le font d'ordinaire ceux qui ont embrassé la continence avec un amour plus volontaire et plus prononcé. Le ciel aussi leur est promis, s'ils évitent l'adultère; mais ils le commettront s'ils ne restent pas continents, car alors, du vivant de leurs premières épouses, ils s'uniront, non pas à d'autres épouses, mais à des adultères. Et si le ciel leur est fermé, où seront-ils si ce n'est là où le salut n'est pas?

CHAPITRE XIX. LA CONTINENCE POUR LES ÉPOUX SÉPARÉS.


2020 20. Je m'adresse donc à eux, et leur rappelant ce qu'ils devraient faire si leurs épouses étaient en proie à une longue maladie, ou placées à une distance infranchissable, ou injustement obstinées à garder la continence, je leur dis hautement que c'est là ce qu'ils doivent faire si leurs épouses se déshonorent par l'adultère et s'attirent ainsi une trop juste répudiation. Qu'ils rejettent tout autre mariage, car ce ne serait plus le mariage, ce serait l'adultère. Je n'oublie pas qu'ici la condition est la même pour l'homme et pour la femme; de même que «la femme sera flétrie par l'adultère si du vivant de son mari elle s'abandonne à un autre homme (Rm 7,3)», de même le mari sera coupable d'adultère si du vivant de sa femme il en connaît une autre. Sans nier que le divorce qui n'est pas motivé parla fornication soit plus coupable, il est cependant toujours vrai de dire que «tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre, est adultère».

Qu'on ne s'effraie pas du fardeau de la continence; il sera léger si on le porte pour Jésus-Christ, et on le portera pour Jésus-Christ si on s'inspire de la foi qui obtient de Celui qui commande l'accomplissement de ce qu'il ordonne. Qu'on ne se laisse point abattre devant cette pensée que la continence est le fruit de (193) la nécessité et non le choix libre de la volonté. Est-ce que ceux qui l'ont embrassée volontairement ne s'en sont pas fait une véritable nécessité? Peuvent-ils y renoncer sans se précipiter dans la damnation? Que ceux donc pour qui la continence est une nécessité, fassent de cette nécessité un acte libre, et pour cela qu'ils se confient non pas en eux-mêmes, mais en Celui de qui procèdent tous les biens. Les uns ont embrassé la continence parce qu'elle est plus parfaite et mérite une gloire plus grande; les autres y ont trouvé un refuge et une dernière planche de salut; que les uns et les autres persévèrent dans cette voie, qu'ils y marchent jusqu'à la fin, qu'ils s'embrasent de zèle, qu'ils multiplient leurs supplications, car là pour . eux est le salut, qu'ils tremblent donc de tomber; les derniers enfin ne doivent pas désespérer de parvenir à la gloire, s'ils restent fidèles par amour à cette continence que leur a imposée la nécessité. Il peut se faire, en effet, que par ses menaces et ses exhortations, par ses épreuves et ses consolations, le Seigneur change en mieux les affections humaines; que des époux s'éprennent avec tant d'ardeur des charmes de la continence, que quand le lien conjugal vient à se briser par la mort de l'autre époux, ils se refusent par voeu ce qui leur est permis par la loi, et ce qu'ils ont commencé par nécessité ils l'achèvent avec la plus parfaite charité. Ils obtiendront sûrement la récompense réservée aux époux qui d'un mutuel consentement ont voué la continence, ou à ceux qui en dehors du mariage ont choisi la virginité comme étant plus parfaite. Mais si leur continence n'exclut pas la pensée de contracter un nouveau mariage quand la mort de l'autre époux les aura rendus libres, leurs dispositions sont beaucoup moins parfaites et ils n'ont plus que le mérite de la pudeur conjugale en vertu de laquelle ils s'abstiennent de ce qu'ils feraient s'ils étaient libres. Pratiquer la continence dans cette intention, c'est donc trop peu pour obtenir les récompenses promises à la continence volontaire, mais c'est assez pour éviter l'adultère.


CHAPITRE XX. LES HOMMES DOIVENT ÊTRE POUR LES FEMMES DES MODÈLES DE PUDEUR.

2021 21. Mes paroles, vous le savez, s'adressent aux deux sexes à la fois; cependant j'avais principalement en vue les hommes qui s'appuyant (194) sur leur supériorité à l'égard des femmes, se croient facilement dispensés de les égaler en pudeur. Qu'ils se souviennent qu'ils sont les chefs et que les femmes ne doivent avoir besoin que de suivre leurs exemples. Quand donc la loi défend l'adultère, chercher pour excuse à l'incontinence la faiblesse de la chair, c'est, sous le prétexte d'une impunité mensongère, ouvrir la porte à bien des ruines. Quelle chair ont donc les femmes pour mériter que les hommes leur refusent ce qu'ils se croient permis à eux-mêmes parce qu'ils sont hommes? Gardons-nous de croire que le sexe le plus noble doive trouver dans l'honneur qui l'entoure une compensation à ce qu'il perd en pudeur; l'honneur, s'il est juste, appartient à la vertu et non pas au vice. Les femmes n'ont comme nous qu'une chair fragile, et voyez cependant à quelle épreuve des maris mettent leur chasteté! Ils voyagent quelquefois pendant de longues années loin de leurs femmes, et cependant ils exigent qu'elles se privent de tout commerce illicite, et qu'elles résistent, pures et sans taches, à toutes les ardeurs de la jeunesse. C'est ce qui arrive en effet pour un grand nombre, surtout en Syrie, où des maris livrés à toutes les préoccupations du commerce abandonnent de jeunes épouses pour ne les retrouver quelquefois que dans la vieillesse. Que les maris conviennent donc que les obligations qu'ils imposent à autrui ne sont évidemment pas impossibles. Si la faiblesse des hommes était impuissante à les accomplir, que serait-ce de la faiblesse encore plus grande des femmes?


2022 22. Quant à ceux qui ne font consister l'excellence des hommes que dans la liberté de pécher, lorsque nous faisons briller à leurs yeux les terreurs de l'éternité pour les éloigner des mariages adultères, notre habitude est de leur proposer la continence des clercs dont plusieurs sont soumis malgré eux à porter le même fardeau de la continence et le portent courageusement jusqu'à la fin avec le secours de Dieu. Voici donc ce que nous leur disons: Que feriez-vous si les peuples usaient de violence et vous contraignaient à porter ce fardeau? N'accompliriez-vous pas avec chasteté les fonctions qui vous seraient imposées? n'auriez-vous pas la pensée de vous tourner vers Dieu pour implorer son secours et des forces auxquelles jusque-là vous n'avez jamais pensé? Quant aux clercs, répondent-ils, ils trouvent une abondante compensation dans les honneurs dont ils sont comblés. Et la crainte, leur répliquons-nous, ne doit-elle pas être pour vous un frein plus puissant encore? En effet si beaucoup de ministres du Seigneur, appelés soudain à charger leurs épaules du fardeau redoutable, s'y sont soumis dans l'espérance de briller un jour avec plus d'éclat dans le royaume du Seigneur; avec combien plus de raison ne devez-vous pas éviter l'adultère et vivre dans la continence, vous qui êtes pressés par la crainte, non pas de moins briller dans le royaume de Dieu, mais de brûler dans les flammes éternelles?

Tel est à peu près le langage que nous essayons de tenir à ceux qui séparés de leurs femmes, soit parce qu'elles les ont quittés, soit parce qu'ils les ont renvoyées comme adultères, veulent contracter un nouveau mariage, en alléguant contre la défense l'infirmité de la chair. Mais fermons ce livre, il en est temps, et prions Dieu de les soustraire à la tentation de se séparer de leurs femmes; ou si cette séparation s'opère, de leur faire trouver dans ce divorce, et dans la crainte de la damnation éternelle, une occasion de pratiquer la chasteté avec plus de constance et plus de perfection.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


Augustin, unions adultères 2013