Augustin, du mensonge. - CHAPITRE IX. QUELQUES-UNS PENSENT QU'ON PEUT MENTIR POUR SE SOUSTRAIRE A UN ATTENTAT CONTRE LA PUDEUR. RÉFUTATION DE CETTE OPINION.

CHAPITRE IX. QUELQUES-UNS PENSENT QU'ON PEUT MENTIR POUR SE SOUSTRAIRE A UN ATTENTAT CONTRE LA PUDEUR. RÉFUTATION DE CETTE OPINION.


12. Bien que la question ait été examinée et examinée des deux côtés, il ne faut cependant pas se presser de donner la décision, mais prêter une oreille attentive à ceux qui prétendent qu'il n'est pas de mal qu'on ne doive commettre pour en éviter un plus grand, et que l'homme est responsable, non-seulement de ce qu'il fait, mais de tout ce qu'il laisse faire avec son consentement. Si un chrétien a pu être autorisé à offrir de l'encens aux idoles, pour éviter un attentat à sa pudeur dont un persécuteur le menaçait en cas de refus, les partisans de cette opinion se croient en droit de demander pourquoi on n'éviterait pas ce même déshonneur au prix d'un mensonge? Selon eux, le consentement qui ferait que l'on aimerait mieux subir cet outrage que d'offrir de l'encens aux idoles, ne serait pas chose passive, mais un acte; et pour éviter cet acte, on a mieux aimé sacrifier aux idoles. Combien plus volontiers aurait-on menti,si un mensonge avait pu épargner un si affreux déshonneur à un corps sanctifié?

203


13. Là-dessus, voici les points qui méritent d'être examinés: Un tel consentement peut-il être considéré comme un acte? Y a-t-il consentement là où il n'y a pas approbation? Est-ce approbation que de dire: Il vaut mieux subir ceci que de faire. cela? Est-ce bien faire de sacrifier aux idoles plutôt que de subir un attentat contre la pudeur? Et, le cas étant donné, vaudrait-il mieux mentir que d'offrir de l'encens aux idoles? Or, si un consentement de ce genre doit être tenu peur un acte, il faut appeler homicides et même, ce qui est plus grave encore, suicides, ceux qui ont mieux aimé être tués que de rendre un faux témoignage. En effet, à ce taux-là, pourquoi ne dirait-on pas qu'ils se sont donné la mort, puisqu'ils ont mieux aimé la recevoir que de faire ce qu'on exigeait d'eux? Ou bien, si l'homicide paraît plus coupable que le suicide, que dire du cas où l'on proposerait au martyr de rendre un faux témoignage du Christ et d'immoler aux démons, avec menace, s'il refuse, de tuer sous ses yeux, non le premier venu, mais son père, son propre père, qui le supplie de ne pas lui donner la mort en persévérant dans sa résolution? N'est-il pas évident que, s'il restait fidèle à rendre témoignage à la vérité, il ne serait point parricide, mais que ceux qui auraient tué son père mériteraient le nom d'homicides? De même donc que ce martyr ne participerait en rien à ce crime odieux pour avoir mieux aimé voir son père, même coupable de sacrilège, son père dont l'âme va être entraînée aux supplices, mieux aimé, dis je, le voir tuer par d'autres, que d'outrager lui-même sa foi par un faux témoignage; ainsi l'autre chrétien serait innocent de l'attentat commis sur lui, s'il refusait de faire le mal, quelles que pussent être les suites de sa résistance. Que disent, en effet, les persécuteurs de ce genre, sinon: Fais le mal pour nous empêcher de le faire? Et quand cela serait vrai, nous ne devrions pas leur rendre de service en nous rendant nous-mêmes coupables. Mais comme ils font le mal, même quand ils ne tiennent pas ce langage, pourquoi nous le tiennent-ils? Pourquoi ne se livrent-ils pas tout seuls au crime et à la honte? Car on ne peut pas parler ici de consentement, puisque nous n'approuvons- pas ce qu'ils font, que nous désirons qu'ils ne le fassent pas, que nous les en empêchons autant qu'il est en nous, non-seulement en ne participant point à leur action, mais en la repoussant et la condamnant de toutes nos forces.


14. Mais comment, dira-t-on, ce chrétien ne participe-t-il pas à une action qu'on ne commettrait pas, s'il en faisait une autre? Alors nous sommes donc complices de l'effraction d'une porte, puisque le voleur ne la briserait pas si nous ne l'avions pas fermée; nous sommes donc complices de l'homicide, s'il nous arrive de savoir qu'il aura lieu, puisque nous ne tuons pas d'avance les brigands pour les empêcher de le commettre; ou encore, si un homme nous avoue qu'il est dans l'intention de commettre un parricide, nous le commettons donc avec lui, si, ne pouvant l'en détourner ni l'en empêcher par un autre moyen, nous ne le tuons pas, quand nous le pouvons, avant qu'il s'en rende coupable? On pourra répéter exactement dans les mêmes termes Vous êtes son complice: car il n'eût pas fait ceci, si vous eussiez fait cela. Pour moi, je voudrais qu'aucune de ces fautes ne fût commise; mais je ne puis éviter que celle qui dépend de ma volonté; quant à celle d'un autre, si je ne puis l'empêcher autrement, je ne suis point obligé d'y mettre obstacle en faisant une mauvaise action. Ce n'est point approuver le mal, que de ne pas le commettre pour un autre. Celui qui n'approuve ni l'une ni l'autre faute, voudrait que ni l'une ni l'autre faute n'eût lieu; seulement par le pouvoir qu'il en a, il ne commet point celle qui dépend de lui, et par la volonté seulement, il condamne celle qui dépend de la volonté d'un autre.

Si donc à cette proposition: Tu subiras tel tourment, situ n'offres de l'encens aux idoles, le martyr répondait: de neveux ni l'un ni l'autre, je déteste l'un et l'autre; cette réponse ou toute autre de ce genre, fondée sur la vérité, ferait voir qu'il n'y a chez lui aucun consentement, aucune approbation; et quelque traitement que lui infligeassent ses persécuteurs, il serait regardé comme victime et eux comme les seuls coupables, Quoi, dira-t-on, devrait-il se résigner à subir une infamie plutôt qu'à offrir de l'encens aux idoles? Si tu demandes ce qu'il doit faire, je réponds: Ni l'un ni l'autre, car si je disais qu'il doit faire l'une de ces deux choses, j'approuverais cette chose, tandis que je les réprouve toutes les deux. Mais si on me demande laquelle de ces deux actions il doit éviter de préférence, dans le cas où il n'en pourrait éviter qu'une, je réponds: Il doit: (203) éviter un péché personnel, même léger, plutôt que le péché d'un autre, même plus grave. En admettant donc, sauf un examen plus approfondi, que commettre la fornication soit un plus grand mal que de sacrifier aux idoles, du moins ce dernier acte serait le sien, tandis que le premier serait celui d'un autre, bien qu'il le subît; or le péché retombe sur celui qui agit. En effet bien que l'homicide soit plus coupable que le vol, il y a cependant plus de mal à commettre le vol qu'à subir l'homicide. Ainsi l'homme placé dans l'alternative de voler ou de laisser commettre sur lui un homicide, c'est-à-dire d'être tué, devrait éviter son péché propre plutôt que celui d'un autre. Et ce dernier ne pourrait lui être imputé par la raison qu'il aurait été commis contre lui et qu'il aurait pu l'éviter, en en commettant un lui-même.


15. Tout le noeud de la question se réduit donc à demander si l'on ne peut vous imputer aucun péché étranger, bien que commis sur vous et quoique vous ayez pu l'empêcher par une faute plus légère et ne l'avez pas voulu, ou s'il faut faire une exception pour une souillure corporelle. Car personne ne regarde un homme comme souillé pour avoir été tué, jeté en prison, enchaîné, flagellé, ou affligé de douleurs et de tortures de toute espèce; ni pour avoir été proscrit, pour avoir subi des pertes très-graves jusqu'au dernier dénûment, pour avoir été dépouillé des honneurs, ou accablé des plus sanglants affronts et d'injures de toute sorte; non, personne ne sera assez insensé pour appeler immonde celui qui aura subi tout cela. Mais si on le couvre de fumier, ou si on lui introduit par force des ordures dans la bouche, ou si on le déshonore comme on déshonorerait une femme; il inspire une horreur à peu près universelle, et on l'appelle souillé d'ignominie et immonde. D'où il faut conclure que quels que soient les péchés commis par d'autres, sauf ceux qui rendent immonde celui sur qui on les commet, on ne doit point les empêcher en péchant personnellement, soit qu'il s'agisse de soi-même, soit qu'il s'agisse d'un autre, mais qu'on doit s'y résigner et les supporter avec courage, et ne les prévenir par aucune espèce de péché, pas même par un mensonge; au contraire ceux qui se commettent sur l'homme de manière à le rendre immonde, il faut les éviter même au prix du péché, qui du reste ne peut plus être appelé péché dès qu'il a pour but d'empêcher de telles souillures. Car tout ce qu'on serait justement blâmé de ne pas faire cesse d'être un péché. Il en résulte que la souillure dont il est question ne doit pas même s'appeler ainsi, quand on ne peut absolument l'éviter; car celui qui la subit a encore quelque chose de bien à faire: c'est de supporter avec patience ce qu'il ne peut éviter. Jamais souillure corporelle ne rendra immonde celui qui fait le bien. Car tout homme injuste est immonde devant le Seigneur. Donc tout homme juste est pur, sinon devant les hommes, au moins devant Dieu, juge infaillible. Par conséquent l'homme n'est point souillé parle contact corporel, même quand il aurait pu l'éviter; ce qui le souillerait ce serait le péché qu'il aurait commis pour éviter ce contact, mais qu'il n'a point voulu commettre, car tout ce qu'il aurait pu faire pour échapper à ces souillures, n'aurait pas été péché. Donc quiconque ment dans ce but, ne pèche pas.


16. Faut-il encore excepter certains mensonges qu'on ne doit point faire, même au risque de subir ces violences? Si cela est, on ne saurait dire que rien de ce qu'on fait pour éviter ces souillures n'est péché, puisqu'il y aurait certains mensonges qu'on ne pourrait dire sans se rendre plus coupable qu'un subissant les outrages en question. En effet si on cherche quelqu'un pour attenter à sa pudeur, et qu'il soit possible de le cacher à l'aide d'un mensonge, qui osera prétendre qu'on ne doive pas dire ce mensonge? Mais s'il ne peut échapper qu'au prix d'un mensonge qui blesse la réputation d'un autre, qu'en accusant faussement un tiers du genre d'impureté qu'on veut faire subir au premier; par exemple si on nomme un homme chaste et étranger à toute espèce de crime de ce genre et qu'on dise: adresse-toi à lui, et il te procurera quelque chose de mieux pour assouvir ta passion, car c'est son goût et il s'y connaît, et que par là on puisse préserver celui qui était cherché en premier lieu: je ne sais s'il serait permis de blesser ainsi par un mensonge la réputation d'un homme pour sauver de l'outrage le corps d'un autre homme. Jamais on ne doit mentir en faveur de quelqu'un, quand c'est au détriment d'un tiers, bien que le dommage causé par le mensonge soit moindre que celui qu'on préviendrait en mentant. Il ne faut pas prendre de force le pain d'un homme plus (205) vigoureux pour le donner à un plus faible, ni battre de verges un innocent malgré lui, pour faire éviter la mort à un autre. Il en serait autrement s'ils y consentaient; en ce cas, on ne leur ferait plus injure.

CHAPITRE X. IL IVE FAUT JAMAIS MENTIR EN MATIÈRE DE RELIGION.

Mais est-il permis de détourner un attentat honteux du corps d'un homme, en accusant faussement un autre du même crime, même du consentement de celui-ci? c'est une grave question, et je ne sais s'il serait facile de prouver qu'il soit plus juste d'accuser faussement d'un tel crime celui qui consent à subir cette calomnie, que de faire subir ce déshonneur au corps d'un homme qui ne veut pas y consentir.


17. Toutefois si l'on proposait à celui qui a mieux aimé offrir de l'encens aux idoles que d'être déshonoré dans son corps, si on lui proposait, dis-je, de se soustraire à la première injonction en proférant un mensonge injurieux à la mémoire du Christ, il serait le plus insensé des hommes s'il y consentait. Je dis plus: il serait encore plus insensé, si pour se soustraire à l'infâme passion d'un autre, pour éviter un outrage absolument indépendant de sa volonté, il altérait l'Evangile par de faux, éloges du Christ: plus zélé à éviter un attentat contre son corps, qu'à ne pas corrompre, qu'à respecter la doctrine qui sanctifie les âmes et les corps. Il faut donc absolument écarter toute espèce de mensonge de l'enseignement de la religion, et de toutes les explications, de tous les énoncés qui s'y rattachent quand on travaille à l'instruction des autres ou à la sienne. Il est impossible d'imaginer un motif qui justifie le mensonge en tel cas; on ne le peut pas, même dans le but d'attirer quelqu'un plus facilement à cette doctrine. En effet, dès que la vérité est détruite, ou même légèrement atteinte, tout retombe dans l'incertitude: car on ne peut croire comme vrai ce qu'on ne tient pas pour certain. Il est donc permis à celui qui disserte ou discute sur les vérités éternelles et à celui qui les prêche, à celui qui raconte ou explique des événements temporels qui tendent à l'édification religieuse et à la piété, il lui est permis, dis-je, de taire dans l'occasion tout ce qu'il (205) croit devoir passer sous silence; mais il ne peut jamais mentir, par conséquent jamais rien cacher par un mensonge.

CHAPITRE 11. IL FAUT ÉVITER LES MENSONGES QUI NUISENT A UN AUTRE OU A SOI-MÊME. DIFFÉRENCE ENTRE L'HOMME QUI MENT ET LE MENTEUR.


18. Ce point une fois solidement établi, on procède plus sûrement à l'étude des autres espèces de mensonge. Mais on voit déjà clairement qu'il faut s'interdire tous ceux qui blessent quelqu'un injustement: car on ne doit faire à personne un tort, même léger, pour en éviter un plus grave à un tiers. Il ne faut pas davantage se permettre ces mensonges qui ne nuisent pas à un autre, mais ne profitent à personne et font tort à celui qui les profère sans raison. C'est là proprement ce qu'on appelle être menteur. Car il y a cette différence entre le mentant et le menteur. Le mentant est celui qui ment malgré lui; le menteur aime à mentir et goûte intérieurement le plaisir de le faire. Mettons à la suite ceux qui mentent pour plaire aux hommes, non dans le huit de faire tort ou injure à quelqu'un (nous avons déjà écarté cette catégorie) mais pour donner de l'agrément à leurs conversations. La différence qu'il y a entre ces menteurs et ceux dont nous parlions tout à l'heure, c'est que les premiers se plaisent à mentir, éprouvant une jouissance à tromper, tandis que ceux-ci ne cherchent que l'agrément du langage, et qu'ils préféreraient même l'emprunter à la vérité, mais à défaut de vérités qui puissent charmer les auditeurs, ils aiment mieux mentir que de garder le silence. Il leur est difficile cependant de fonder tout un récit sur le mensonge, alors ils mêlent le vrai et le faux, dès que l'intérêt languit. Or ces deux espèces de mensonges ne font point de tort à ceux qui les écoutent, parce qu'il ne s'agit ni de l'enseignement de la religion et de la vérité, ni de rien qui touche à leurs avantages ou à leurs intérêts. II leur suffit de croire possible ce qu'on leur raconte, et d'ajouter foi à un homme qu'ils ne doivent pas juger capable de mentir à tort et à travers. En effet quel mal y a-t-il à regarder le père ou le grand-père d'un tel comme un homme de bien, quoiqu'il ne l'ait pas été, ou à croire qu'il a porté les armes jusqu'en Perse, (206) quand il n'est jamais sorti de Rome? Mais ces mensonges sont très-nuisibles à ceux qui les disent; aux uns, parce qu'ils abandonnent la vérité pour se complaire dans le mensonge; aux autres, parce qu'ils aiment mieux plaire que de rester dans le vrai.

CHAPITRE XII. PEUT-ON MENTIR QUAND CELA EST UTILE A QUELQU'UN SANS NUIRE A PERSONNE. LE MENSONGE N'EST-IL PAS TOUJOURS UN FAUX TÉMOIGNAGE.


19. Après avoir condamné sans hésiter ces espèces de mensonge, nous passons à un autre qui semble comme un progrès vers le bien c'est celui qu'on attribue généralement à un - sentiment de bienveillance et de bonté, quand celui qui ment, non-seulement ne nuit à personne, mais rend même service à quelqu'un. Ici toute la question se réduit à savoir si c'est se faire tort à soi-même que de rendre service à quelqu'un aux dépens de la vérité. Quand même le nom de vérité ne conviendrait qu'à celle qui éclaire les intelligences de sa lumière intérieure et immuable, cependant le menteur dont nous parlons agit du moins à l'encontre d'une certaine vérité: car bien que les sens corporels soient sujets à la déception, c'est aller contre la vérité que de dire qu'une chose est telle ou n'est pas telle, quand ni l'intelligence, ni les sens, ni l'imagination, ni la foi ne le lui disent. Celui qui rend de cette façon service à un autre, ne se nuit-il point à lui-même, ou le service qu'il rend compense-t-il le tort qu'il se fait? c'est là une grave question. S'il en est ainsi il faudra dire qu'il doit se rendre service à soi-même, en disant un mensonge qui ne nuit à personne. Mais ces propositions s'enchaînent mutuellement et les concessions mènent à des conséquences qui jettent dans un grand trouble. En effet si on demande quel tort éprouverait un homme excessivement riche de la perte d'un boisseau de blé pris parmi des milliers et des milliers d'autres, quand ce boisseau peut sauver la vie à celui qui le vole: on arrivera à dire qu'on peut voler sans se rendre coupable et rendre un faux témoignage sans pécher. Or quelle erreur plus criminelle que celle-là? Mais si un autre avait volé ce boisseau, que vous en eussiez été témoin et qu'on vous questionnât là-dessus, ne vous serait-il pas permis de mentir? Quoi! vous le pourriez pour un autre, et non pour vous qui êtes pauvre? Etes-vous obligé d'aimer votre prochain plus que vous-même? Donc dans les deux cas le mensonge est coupable et il faut l'éviter.


20. Peut-être fera-t-on ici une exception: les mensonges,utiles à quelqu'un sans nuire à personne,seraient permis, mais non ceux que l'on dirait pour cacher ou justifier un crime; par exemple un mensonge qui, sans nuire à personne, serait utile à un pauvre, mais dissimulerait un vol, serait coupable; mais si sans nuire à personne, il rendait service à un pauvre, et ne cachait ni ne justifiait aucun vol, il ne le serait plus. Ainsi, quelqu'un cachera son argent devant toi, dans la craince qu'on ne le lui vole ou ne le lui enlève par force; on te questionne là-dessus et tu mens, évidemment tu ne fais tort à personne, tu rends service au propriétaire à qui le secret était nécessaire, et tu n'as dissimulé aucun péché par, ton mensonge: car il n'y a pas de péché à cacher son bien, quand on craint de le perdre. Mais si l'on ne pèche pas en mentant, quand on ne couvre aucune faute, qu'on ne fait tort à personne et qu'on rend service à quelqu'un, que ferons-nous du péché même de mensonge? Car dans l'endroit où l'on nous dit: «Tu ne voleras pas», on nous dit aussi: «Tu ne rendras pas de faux témoignage (1)». Comme la défense s'applique à l'un et à l'autre séparément, pourquoi le faux témoignage est-il coupable quand il couvre le vol ou tout autre péché, et ne l'est-il plus dès qu'il cesse de prêter un voile officieux au mal, alors que le vol et tous les autres péchés sont coupables par eux-mêmes? serait-il donc défendu de cacher le péché et permis de le commettre?


21. Mais si cela est absurde, que dire? n'y aura-t-il faux témoignage que quand on ment pour calomnier quelqu'un, ou pour dissimuler sa fauté, ou pour l'opprimer devant les tribunaux? Car il semble que le juge a besoin de témoin pour connaître une cause. Mais si l'Écriture n'entendait qu'en ces sens le mot de témoin, l'Apôtre n'eût pas dit: «Nous nous trouvons même être de faux témoins à l'égard de Dieu, puisque nous rendons ce témoignage contre Dieu, qu'il a ressuscité le Christ, que pourtant. il n'a pas ressuscité (2)». Par là il fait voir que le mensonge est un


1. Ex 20,15-16 - 2. 1Co 15,15

207

faux témoignage, même quand on le dit pour louer faussement quelqu'un.

CHAPITRE XIII. PEUT-ON MENTIR POUR NE PAS TRAHIR UN HOMICIDE OU UN INNOCENT QU'ON CHERCHE POUR LE FAIRE MOURIR

Serait-ce que le faux témoignage consiste à mentir pour calomnier quelqu'un ou pour dissimuler une faute, ou pour causer un préjudice quelconque? Mais si le mensonge qui tend à ôter à quelqu'un la vie temporelle est détestable, à combien plus forte raison celui qui porte atteinte à la vie éternelle? Or tel est le mensonge qui touche l'enseignement religieux. Voilà pourquoi l'Apôtre qualifie de faux témoignage un mensonge à l'égard du Christ, quoique proféré sous l'apparence d'un éloge. Mais si c'est un mensonge qui ne soit point calomnieux, qui ne couvre aucun péché, qui ne soit point dit sur la réquisition d'un juge, qui serve à quelqu'un sans nuire à personne, faudra-t-il dire que ce n'est point un faux témoignage, ni un mensonge blâmable?


22. Quoi donc! si un homicide cherche asile chez un chrétien, ou que celui-ci connaisse le lieu de sa retraite et qu'il soit interrogé par celui qui cherche le meurtrier pour le mener au supplice: devra-t-il mentir?Mais alors le mensonge ne couvre-t-il pas un péché, puisque celui pour qui on ment a commis un crime horrible? Dira-t-on qu'on ne s'informe pas du péché, mais seulement de la retraite du coupable? Alors ce serait un mal de cacher un péché et non de cacher un pécheur? Oui, sans doute, répondra-t-on . car ce n'est pas en évitant le supplice, mais en le méritant qu'on se rend coupable. Or c'est un point de doctrine qu'il ne faut désespérer de la conversion de personne, ni fermer à qui que ce soit la voie du retour, soit: mais si tu es conduit devant le juge et qu'il te demande où le coupable s'est réfugié; diras-tu: Il n'est pas là, où tu sais qu'il est? diras-tu: Je n'en sais rien, je ne l'ai pas vu, quand tu sais et que -tu as vu? Rendras-tu un faux témoignage, et tueras-tu ton âme pour arracher un homicide à la mort? Ou bien mentiras-tu jusqu'à ce qu'on te mène devant le juge, et diras-tu la vérité quand celui-ci t'interrogera, afin de ne pas être faux témoin? Tu tueras donc un homme en trahissant sa retraite. Or l'Ecriture déclare aussi le traître détestable. Serait-ce qu'on n'est pas un traître, quand on répond la vérité aux questions d'un juge, et qu'on l'est quand on dénonce volontairement un criminel condamné à mort? Mais si tu connais la retraite d'un juste, d'un innocent, condamné à mort par une autorité supérieure, et que tu sois interrogé là-dessus par un juge qui n'a pas fait la loi, mais est chargé de l'exécuter, le mensonge que tu diras en faveur de cet innocent cessera-t--il d'être faux témoignage, parce que celui qui t'interroge n'est pas ici le vrai juge, mais le simple exécuteur du jugement? Et si c'est l'auteur même de la loi qui interroge, ou tout autre juge inique qui veut faire périr un innocent? que feras-tu? seras-tu faux témoin, ou traître? Celui qui dénonce de lui-même à un juge juste la retraite d'un homicide; et celui qui, interrogé par un juge injuste indique la retraite d'un innocent qu'on veut faire mourir et qui s'est confié à sa discrétion, né l'est-il plus? Balanceras-tu, hésiteras-tu entre le crime de faux témoignage et celui de trahison? Eviteras-tu décidément l'un et l'autre en gardant le silence, ou en déclarant que tu ne diras rien? Et pourquoi alors ne pas le faire avant de paraître devant le juge, et éviter ainsi même le mensonge? En évitant le mensonge, tu éviteras aussi le faux témoignage, soit que tout mensonge soit faux témoignage ou non; mais en évitant le faux témoignage tel que tu l'entends, tu n'éviteras pas tout mensonge. Combien n'y a-t-il pas plus de force, plus de vertu à dire: je ne trahirai ni ne mentirai!


23. C'est ce que fit un jour un évêque de Thagaste, Firmus, ferme par le nom, mais plus encore par la volonté. Comme des licteurs envoyés par l'empereur réclamaient de lui un homme qui lui avait demandé asile et qu'il cachait avec le plus grand soin, il répondit qu'il ne pouvait ni mentir ni trahir personne, et les nombreux tourments qu'on lui fit subir (les empereurs n'étaient pas encore chrétiens) n'ébranlèrent pas sa résolution. Conduit devant l'empereur, il se montra sous un jour si admirable, qu'il obtint sans difficulté la grâce de son protégé. Peut-on déployer plus de force, plus de fermeté? Mais, dira quelqu'un plus timide, je puis être prêt à subir tous les tourments, la mort même, pour éviter le péché; mais puisque ce n'est pas un péché de mentir quand on ne nuit à personne, qu'on ne rend (208) pas de faux témoignage et qu'on est utile à quelqu'un: ce serait un acte de folie et un grand péché de s'exposer aux tourments de gaîté de coeur et sans raison, de livrer en pure perte à la fureur des bourreaux une santé, une vie qui peuvent être utiles. Et moi je demande à ce chrétien pourquoi il craint ce qui est écrit: «Tu ne porteras point de faux témoignage (1)», et ne redoute pas ce que le Psalmiste dit à Dieu: «Vous perdrez ceux qui profèrent le mensonge? (2)». - Non pas toute espèce de mensonge, dira-t-il, cela n'est pas écrit; car j'entends le texte, comme si on lisait: Vous perdrez tous ceux qui portent un faux témoignage? - Mais là non plus il n'est pas dit Toute espèce de faux témoignage. - Soit, répliquera-t-on, mais ce péché est rangé parmi ceux qui sont mauvais en tout sens. - Quoi! même celui-ci: «Tu ne tueras pas (3)?» Si tuer est un mal absolu, comment excuser les justes qui, même après la promulgation de la Loi, ont tué beaucoup de monde? Mais on répond que celui qui exécute un ordre juste n'est plus homicide. Je comprends donc cette crainte; mais aussi je reconnais que ce vertueux évêque, en ne voulant ni mentir ni trahir un homme, a mieux compris les textes selon moi, et y a courageusement conformé sa conduite.


24. Mais il s'agit de l'hypothèse où l'on ne nous demande pas en quel lieu se trouve celui que l'on cherche pour le faire mourir, où nous ne sommes pas obligés de le trahir, s'il est si bien caché qu'il ne puisse facilement être découvert sans être décélé; mais où l'on nous demande simplement s'il est là, oui ou non, ou n'y est pas. Si nous savons qu'il y est, nous le trahissons en gardant le silence, ou en répondant que nous ne dirons ni oui ni non

car on en conclura qu'il y est, puisque, s'il n'y était pas, il suffirait, pour ne pas mentir ni trahir, de répondre qu'il n'y est pas. Ainsi notre silence ou notre réponse évasive le trahit, puisque celui qui le cherche entrera, s'il en a le pouvoir, et le découvrira, tandis qu'un mensonge de notre part aurait pu empêcher, écarter ce résultat. Par conséquent, si tu ne sais pas où il est, tu n'as aucun motif de cacher la vérité; tu dois simplement avouer ton ignorance. Mais si tu sais où il est, que ce soit là, ou ailleurs, à cette question: Est-il là ou n'y est-il pas? tu ne dois pas dire: Je ne réponds


1. Ex 20,16 - 2. Ps 5,7 - 3. Ex 20,13

pas à ce que tu me demandes, mais bien: Je sais où il est et je ne te l'indiquerai jamais. Car si on détermine un lieu et que tu te contentes de répondre que tu ne diras rien, c'est comme si tu montrais le lieu même du doigt, puisque tu fais naître un soupçon qui est bien près de la certitude. Mais si tu commences par avouer que tu connais l'endroit et que tu ne veux pas le dire, peut-être pourras-tu donner le change, détourner les recherches et provoquer des violences pour t'obliger à trahir celui qu'on cherche. Dans ce cas, non-seulement tu ne mériteras point le blâme, mais tu seras digne d'éloges, quoique tu puisses souffrir généreusement par fidélité et par humanité, sauf ces honteux outrages qui ne supposent pas la force,, mais l'impudicité dans celui qui les subit. Et c'est là la dernière espèce de mensonge, que nous devons examiner avec plus d'attention.

CHAPITRE XIV. HUIT ESPÈCES DE MENSONGES.

25.La première espèce, l'espèce capitale, celle qu'il faut éviter et fuir avant tout, c'est le mensonge en matière d'enseignement religieux; en aucun cas, on ne doit s'y prêter. Le second, c'est celui qui blesse injustement, celui qui nuit à quelqu'un sans servir à personne. Le troisième sert à l'un, nuit à l'autre, et n'empêche point la souillure du corps. Le quatrième n'a d'autre but que de dire faux et de tromper: c'est le mensonge tout pur. Le cinquième tend à plaire et à jeter de l'agrément dans le discours. Après ces cinq catégories qu'il faut absolument éviter et condamner, vient le sixième: le mensonge qui sert à quelqu'un et ne nuit à personne; comme par exemple quand quelqu'un connaissant le lieu où est cachée une somme qu'on voudrait prendre injustement, répond à qui s'en informe qu'il n'en sait rien. Le sixième ne nuit à personne et profite à quelqu'un, avec la différence que l'on est interrogé parle juge; comme par exemple si l'on ment pour ne pas trahir un homme destiné à la mort, non-seulement un homme juste et innocent, mais un criminel, par la raison que c'est un point de la doctrine chrétienne qu'on ne doit désespérer du salut de personne ni fermer à personne la voie du repentir. Nous avons traité assez longuement ces deux dernières espèces, qui prêtent matière à de grandes controverses (209) et nous avons dit ce que nous en pensons, dans le but d'encourager les forts, les fidèles, les hommes et les femmes amis de la vérité, à les éviter et à supporter avec générosité et courage tous les inconvénients qui peuvent en résulter. La huitième espèce est le mensonge qui ne nuit à personne et sert à détourner de quelqu'un une souillure corporelle, mais seulement celle que nous avons indiquée plus haut. Car les Juifs regardaient comme une souillure de manger sans se laver les mains (1). Que si on veut y en voir une, elle n'est cependant pas telle qu'on doive mentir pour l'éviter. Mais si le mensonge est de nature à faire tort à quelqu'un, dût-il d'ailleurs sauver un homme de ce genre de souillure que tout le monde abhorre et déteste; si on peut mentir quand l'injure qu'il cause est autre que l'espèce d'impureté dont il est question: c'est une autre affaire; car alors il ne s'agit plus du mensonge, mais bien de savoir s'il est permis, même en dehors de tout mensonge, de faire tort à quelqu'un pour détourner d'un tiers ce genre d'ignominie. Je ne le crois pas du tout, même quand on ne parlerait que de torts peu considérables, comme le vol d'un boisseau de blé dont il a été parlé plus haut, et quoiqu'il soit fort embarrassant de décider si nous ne devrions pas causer un dommage de ce genre, dans le cas où il serait possible d'exempter à ce prix d'un odieux attentat celui qui en serait menacé. Mais, je le répète, c'est là une autre question.

CHAPITRE XV. TÉMOIGNAGES DIVINS QUI DÉFENDENT LE MENSONGE. PRÉCEPTES A INTERPRÉTER D'APRÈS LA CONDUITE DES SAINTS.

Revenons maintenant au point que nous voulions traiter, à savoir: s'il faut mentir lorsque le mensonge est la condition indispensable pour nous sauver d'un attentat contre la pudeur ou de quelque autre horrible souillure, quand d'ailleurs ce mensonge ne fera de tort à personne.


26. Un premier moyen d'éclairer la question, c'est de discuter avec soin les textes divins qui défendent le mensonge: s'ils nous ferment toute issue, c'est en vain que nous en chercherons une; car il faut à tout prix observer le commandement divin, et accepter avec courage la volonté de Dieu dans toutes


1. Mt 15,2-20

les conséquences fâcheuses qui peuvent résulter de notre fidélité. Si, au contraire, nous trouvons un moyen d'excuser le mensonge dans le cas supposé, il ne faut pas nous l'interdire. C'est pour cela que les Saintes Ecritures ne contiennent pas seulement les commandements de Dieu, mais aussi la vie et les moeurs des justes, par lesquelles nous pouvons interpréter ce qu'il pourrait y avoir d'obscur dans les commandements du Seigneur. Il faut pourtant excepter tous les faits, d'ailleurs certains et indubitables, qui sont susceptibles d'un sens allégorique, comme sont presque tous les faits rapportés dans les livres de l'Ancien Testament: car qui oserait soutenir qu'il y ait là quelque chose qui n'ait une signification figurée? Quand l'Apôtre, par exemple, affirme que les deux fils d'Abraham, qui nous semblent au premier abord nés simplement et selon l'ordre naturel pour former un peuple (car enfin il n'y avait dans leur naissance rien d'extraordinaire, rien de prodigieux, qui forçât à y voir une figure), affirme, dis-je, qu'ils représentent les deux Testaments (1); quand il nous dit que le merveilleux bienfait accordé par Dieu au peuple d'Israël lorsqu'il le tira de l'odieuse servitude d'Egypte, ainsi que la vengeance qu'il exerça sur lui pendant le voyage à cause de ses infidélités; quand l'Apôtre nous dit que tout cela est arrivé en figure (2); pourrait-on trouver un seul fait qui déroge à cette règle et dont on ose dire qu'il ne renferme aucun sens figuratif? Mais, ces faits mis à part, étudions dans le Nouveau Testament les actions des saints, qui nous sont évidemment proposées pour modèles de conduite, et cherchons-y l'explication de la lettre des commandements.


27. Ainsi nous lisons dans l'Evangile «Quelqu'un te frappe sur une joue, présente lui encore l'autre (3)». Or nous ne trouverons nulle part un plus puissant, un plus parfait modèle de patience que le Seigneur lui-même. Eh bien! ayant reçu un soufflet, il ne dit pas: Voici l'autre joue: mais: «Si j'ai mal parlé, rends témoignage du mal: mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu (4)?» Par où il fait voir que c'est dans le coeur que doit être la disposition à tendre l'autre joue. Et Paul l'apôtre le savait bien: car, souffleté en présence du pontife, il ne dit pas: Frappe


1. Ga 4,22-24 - 2. 1Co 10,1-11 - 3. Mt 5,39 - 4. Jn 18,23

210

encore l'autre joue; mais: «Dieu te frappera, muraille blanchie; tu sièges pour me juger selon la loi, et, contre la loi, tu ordonnes de me frapper (1)»; voyant, d'un coup d'oeil pénétrant, que le sacerdoce des Juifs n'avait plus qu'un lustre extérieur, qu'au fond il était déshonoré par de sales convoitises; en prononçant ces mots, il prévoyait en esprit que la vengeance du Seigneur allait y mettre fin; et cependant il avait le coeur disposé, non-seulement à recevoir des soufflets, mais à endurer toutes sortes de tourments pour la vérité, sans rien perdre de sa tendre affection pour ses persécuteurs.


28. Il est aussi écrit: «Et moi je vous dis de ne jurer en aucune façon». Et cependant l'Apôtre a juré dans ses épîtres (2). Par là il nous montre en quel sens il faut entendre ces paroles: «Je vous dis de ne jurer en aucune «façon»; c'est que le Seigneur craint qu'on ne contracte la facilité de jurer, que de la facilité on ne passe à l'habitude, et que de l'habitude on ne tombe dans le parjure. Aussi ne voit-on pas que l'Apôtre ait juré autrement qu'en écrivant, alors que la réflexion plus mûre modère la précipitation de la langue. Or, cela vient du mal, selon ce qui est écrit: «Ce qui est de plus vient du mal (3)»: non du côté de Paul, mais du côté des faibles, avec qui il employait ce moyen pour faire ajouter foi à sa parole. Car je ne sais si on trouverait dans l'Ecriture un seul cas où il ait juré de vive voix et autrement que par écrit. Et cependant le Seigneur dit «de ne jurer en aucune façon», sans faire d'exception pour le serment par écrit. Mais comme ce serait un crime d'accuser Paul d'avoir violé un commandement, surtout dans des épîtres composées et publiées pour le bien spirituel et le salut des peuples, il faut donc entendre que ce mot «en aucune façon» signifie que tu ne dois pas désirer, pas aimer de jurer, que tu ne dois pas te complaire dans le serment, comme si c'était un bien.


39. Il en est de même de ces textes: «Ne soyez point inquiets du lendemain; ne vous inquiétez de ce que vous mangerez, de ce que vous boirez, ni de quoi vous vous vêtirez ( 4)» . Quand nous voyons que le Seigneur lui-même eut une bourse où était renfermé ce qu'on lui donnait, pour s'en servir suivant le besoin (5); quand nous lisons que les apôtres se


1. Ac 23,3 - 2. Rm 9,1 Ph 1,8 Ga 1,20 - 3. Mt 5,34-37 - 4. Mt 6,25-34- 5 Jn 12,6

procuraient des ressources abondantes pour soulager la pauvreté de leurs frères, et ne songeaient pas seulement au lendemain, mais prenaient des précautions en prévision d'une longue famine, ainsi qu'on le voit dans les Actes des apôtres (1); nous pouvons évidemment conclure que les défenses du Seigneur doivent s'entendre en ce sens que dans toutes nos actions nous n'agissions jamais comme sous la pression de nécessité, soit par désir d'amasser des biens temporels, soit par crainte de la pauvreté.


30. Le Seigneur a aussi recommandé aux apôtres de ne rien emporter avec eux en voyage et de vivre de l'Evangile. Et il a indiqué quelque part le sens de ces paroles, en disant

«Car l'ouvrier mérite son salaire (2)»: par où il fait assez voir que c'est une permission qu'il donne et non un ordre, pour que le prédicateur de la parole se persuade bien qu'il ne fait rien d'illicite quand il reçoit, de ceux à qui il prêche, les choses nécessaires à la vie. Mais qu'il puisse y avoir plus de mérite à ne pas le faire, c'est ce que Paul nous enseigne suffisamment quand, après avoir dit: «Que celui que l'on catéchise par la parole, communique de tous ses biens à celui qui le catéchise (3)»; et répété en beaucoup d'endroits que c'était la louable coutume de ceux à qui il prêchait, il ajoute: «Mais cependant je n'ai point usé de ce pouvoir (4)». C'est donc un pouvoir que le Seigneur accordait, et non un ordre strict qu'il donnait. C'est ainsi que le plus souvent, quand nous ne comprenons pas le sens des paroles, nous devons recourir aux exemples des saints pour saisir ce qui pourrait facilement, sans cela, s'interpréter autrement.


Augustin, du mensonge. - CHAPITRE IX. QUELQUES-UNS PENSENT QU'ON PEUT MENTIR POUR SE SOUSTRAIRE A UN ATTENTAT CONTRE LA PUDEUR. RÉFUTATION DE CETTE OPINION.