Augustin, adv. ariens 1033

1033 33. Certes, jamais «le Père n'a su, dans sa prescience, qu'il deviendrait le Père de Dieu, son Fils unique», comme nos adversaires le prétendent dans leur impiété portée jusqu'au délire. Il n'a jamais commencé à être Père, par la raison que son Fils lui-même


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Col 1,15-16 - 2. Mt 3,17 - 3. Jn 8,18
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lui est coéternel, et qu'il a engendré avant tous les temps celui par qui il a créé les temps eux-mêmes. Et comme il n'a pas su à l'avance que lui-même il deviendrait Dieu, il n'a pas su non plus à l'avance qu'il deviendrait Père, parce qu'il a toujours été avec le Fils. «La grandeur et la bonté du Père ne surpassent point la grandeur et la bonté du Fils»; car ce n'est pas au Père seulement, mais à la Trinité tout entière qu'il a été dit «Vous êtes Dieu seul grand (1)». C'est aussi avec raison que l'on applique, non pas au Père seulement, mais à la Trinité tout entière cette parole du même Fils: «Nul n'est bon que Dieu seul (2)», lorsqu'il fut appelé bon maître par quelqu'un qui ne connaissait- pas encore sa divinité comme s'il eût dit: Si vous m'appelez bon, vous devez comprendre que je suis Dieu; reconnaissez ma divinité; car nul n'est bon que Dieu seul. La Trinité donc est ce Dieu unique, seul grand et seul bon, auquel, uniquement et à l'exclusion de tout autre, conformément aux préceptes de sa loi, nous rendons le culte appelé culte de latrie.


1034 34. A Dieu ne plaise que nous disions que c'est par humilité, et non pas en toute vérité, que le Fils prononce quelquefois des paroles par lesquelles il se soumet au Père, et proclame celui-ci plus grand que lui. Nous savons, en effet, que dans le Fils, la nature d'esclave n'est pas feinte et simulée, mais véritable: or, c'est précisément à raison de cette qualité d'homme, et en même temps parce qu'il reçoit du Père sa nature divine, sans que le Père reçoive de lui la sienne, c'est, dis-je, pour cette double raison qu'il dit toutes ces choses, dont nos adversaires s'autorisent pour croire et pour enseigner que la nature du Père et la nature du Fils sont différentes l'une de l'autre. Et, au même moment qu'ils se précipitent dans cet abîme d'impiété, ils nous appellent (homousiani) partisans de la consubstantialité, comme pour nous infliger la honte d'un nom nouveau. Telle est, en effet, l'antiquité de la vérité catholique, que tous les hérétiques lui imposent des noms différents, précisément quand ils reçoivent eux-mêmes des noms particuliers, qui entrent dans le langage commun. Ainsi, parmi les hérétiques, les Ariens et les Eunomiens seuls nous donnent le nom de partisans de la consubstantialité, et cela, parce que nous nous servons du mot grec


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Ps 85,10 - 2. Mc 10,18

omoousios, pour défendre contre leur erreur le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et établir que ces trois personnes ont une seule et même substance, ou, pour parler plus énergiquement, une seule et même essence, appelée en grec ousia: ce qui est encore plus clairement exprimé dans ces mots, une seule et même nature. Et cependant, si quelqu'un de ceux qui nous appellent partisans de la consubstantialité, disait que son propre fils n'est pas de la même nature que lui-même, mais qu'il est d'une nature différente, ce fils aimerait mieux être déshérité par lui que de voir cette opinion admise. Quelle est donc l'impiété qui les aveugle à ce point? Ils reconnaissent que le Fils de Dieu est réellement son Fils unique, engendré par lui, et ils ne veulent pas reconnaître qu'il est de la même nature que le Père! Ils lui attribuent, au contraire, une nature différente; inégale, non ressemblante en plusieurs choses et de plusieurs manières, comme s'il n'était pas né de Dieu, mais qu'il eût été par lui créé de rien, et que par là même il fût une créature véritable, Fils par grâce et non point par nature! Ainsi, ceux qui nous appellent partisans de la consubstantialité, comme pour nous couvrir de la flétrissure d'un nom nouveau, ne voient pas qu'ils sont eux-mêmes insensés, lorsqu'ils suivent de tels sentiments.

Mais quand ils reconnaissent que le Fils est né avant tous les siècles, ne sont-ils pas en contradiction avec eux-mêmes, puisque d'une part ils disent qu'il est né avant tous les siècles, et que d'autre part, ils mettent un certain temps avant sa naissance, comme si un temps, quel qu'il soit, n'était pas nécessairement un siècle ou une partie de siècle?

Saint Paul dit à la vérité que le Fils sera soumis au Père même dans le siècle futur «Alors, dit-il, il sera lui-même soumis à celui qui lui a soumis toutes choses (1)». Mais qu'y a-t-il en cela d'étonnant, puisque le Fils doit conserver cette nature humaine, qui est à tout jamais inférieure au Père? Plusieurs, cependant, ont cru devoir entendre cette soumission future du Fils, d'un changement de la nature humaine elle-même, en la substance divine, comme si une chose était soumise à une autre, par cela seul qu'elle est changée et transformée en cette autre. Mais, pour exprimer notre manière de voir à ce


1. 1Co 15,28

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sujet, nous pensons que l'Apôtre a dit que le Fils serait même alors soumis au Père, précisément afin que personne ne crût que l'esprit et le corps humains devaient être détruits en Jésus-Christ par une transformation quelconque: «Afin que Dieu soit tout», non-seulement dans la nature humaine de Jésus-Christ, mais «en tous», c'est-à-dire afin que la nature divine suffise à nous donner la vie et à combler de biens l'immensité de nos désirs. Car Dieu sera tout en tous, lorsque nous commencerons à ne vouloir posséder absolument rien autre chose que lui. Il sera tout en nous, quand nous serons tellement remplis de lui que rien ne nous manquera plus.

Je ne vois pas ce qui porte nos adversaires à croire que «le Fils ait obéi aux ordres qui lui étaient donnés, avant qu'il se fût incarné». A-t-il reçu l'ordre de prendre une chair, et, par là même qu'il accomplissait en cela une mission, doit-il être regardé comme ayant en même temps exécuté un ordre? Qu'ils lisent donc de nouveau ce qui a été discuté plus haut; qu'ils cherchent, qu'ils trouvent, s'ils le peuvent, par quelle autre parole le Père a commandé à sa Parole unique, et comment la dignité du Verbe éternel a pu permettre à celui-ci de se soumettre à cette parole et à ce commandement temporel. Qu'ils comprennent donc enfin que ce n'est point .par le commandement du Père, comme s'il eût relevé d'une autre puissance que la sienne, mais que c'est «lui-même, qui s'est anéanti, prenant la nature d'esclave». Il est vrai «qu'il s'est humilié lui-même, en se rendant obéissant jusqu'à la mort (1)»; mais assurément, il avait alors accompli son incarnation.

Je crois avoir répondu à tout ce que renferme le discours des Ariens, qui nous a été envoyé par quelques frères, afin que nous y répondions. Nous avons cru devoir le transcrire en tête de notre présente controverse, afin que ceux qui nous lisent et qui désirent se rendre compte de la complète exactitude de notre réponse, puissent en prendre connaissance par eux-mêmes. On doit donc lire d'abord ce discours, et ensuite notre réponse. Nous n'avons pas toujours interposé le texte même de. ce discours, afin de ne pas donner trop d'étendue, dans notre réfutation, à notre oeuvre, que nous terminons enfin ici.


1. Ph 2,7-8

Traduction de M. l'abbé BARDOT.


Augustin, adv. ariens 1033