Augustin, contre Donatistes - CHAPITRE VII. SAINT AUGUSTIN ÉTABLIT LA MÊME VÉRITÉ PAR LES TESTES D'ISAÏE, EXPLIQUÉS PAR SAINT PAUL.

CHAPITRE VII. SAINT AUGUSTIN ÉTABLIT LA MÊME VÉRITÉ PAR LES TESTES D'ISAÏE, EXPLIQUÉS PAR SAINT PAUL.


15. Ouvrons maintenant les Prophètes que de témoignages manifestes en faveur de l'Eglise répandue dans toutes les, nations de l'univers! Je me borne à quelques textes, laissant les autres à l'examen de ceux qui voudront consacrer leurs loisirs à les lire dans la crainte de Dieu. Recevons les réponses divines par la bouche du saint prophète Isaïe, et interrogeons ses paroles comme étant les oracles de Dieu. Imposons silence à ces violents et funestes débats des rivalités humaines: prêtons une oreille soumise à la parole du Seigneur. Qu'Isaïe nous dise où la révélation divine lui a fait voir par avance la sainte Eglise de Jésus-Christ; voyons dans ces paroles qui annoncent l'avenir ce qui s'accomplit de nos jours: «Toute la terre a été remplie», dit ce Prophète, «afin qu'elle connaisse le Seigneur; afin que les eaux comblent le lit de la mer. Et en ce jour-là paraîtra la tige de Jessé, et Celui qui s'élèvera pour régner sur les nations: les nations espéreront en lui (1)». Que cette tige de Jessé soit le Christ, issu de David selon la chair, nul chrétien, quel qu'il soit, ne l'ignore. Que si l'on veut disputer, il faut contredire l'apôtre saint Paul qui dans ses épîtres invoque ce témoignage d'Isaïe (2). Le Prophète dit encore: «Israël poussera des feuilles et des fleurs, et ses fruits rempliront



1 Is 11,9-10 - 2. Rm 15,12

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la terre (1)». Israël était fils d'Isaac, petit-fils d'Abraham auquel Dieu promit que dans sa race toutes les nations seraient bénies; or, cette race, selon saint Paul, est Jésus-Christ. Le Christ est issu d'Abraham par Isaac et par Israël, et par ceux dont l'Evangile énumère les générations, jusqu'à l'avènement du Christ (2). Donc ne pas admettre notre interprétation du texte d'Isaïe, c'est aller contre l'Evangile; il faut nier que le Christ soit issu d'Israël, pour oser nier ce que dit le Prophète «Israël poussera des feuilles et des fleurs, et ses fruits rempliront l'univers». Isaïe dit encore: «Je suis le Dieu suprême, je suis présent à tout ce qui arrivera. Les nations ont vu, et les extrémités de la terre ont tremblé (3)». N'est-ce pas la même pensée que la sainte Ecriture exprime ailleurs en disant: «Je suis le premier et le dernier (4)», l'alpha et l'oméga, deux lettres qui, comme tous le savent, s'appliquent au Christ? Ce mot: «le dernier», Isaïe le remplace par ceux-ci: «Je suis présent à tout ce qui arrivera». C'est contredire cette révélation que de se refuser à croire, ou plutôt à voir l'accomplissement de cette prédiction: «Les nations ont vu, et les extrémités de la terre ont tremblé». Isaïe dit encore un peu plus loin: «Jacob est mon serviteur; je lui serai favorable; Israël est mon élu; mon âme l'a accueilli avec bienveillance. J'ai répandu sur lui mon Esprit; il jugera les nations. Il ne criera pas, il ne se reposera pas, et on n'entendra pas sa voix au dehors. Il ne brisera point le roseau à demi rompu, il n'éteindra point le bois qui fume encore; mais il prononcera son jugement selon la vérité. Il brillera d'un vif éclat, et ne sera point brisé, jusqu'à ce qu'il ait établi le jugement sur la terre; et les nations espèreront en son nom (5)». C'est au Christ que conviennent ces paroles, et on les retrouve dans l'Evangile. Aurez-vous assez d'audace pour rejeter un pareil témoignage? Sinon, espérez en Jésus-Christ avec les nations, et ne vous séparez point de ces nations qui espèrent en lui; ou si vous vous en êtes séparés, revenez à l'unité pour ne point périr.


16. Isaïe dit encore: «Et maintenant voici ce que dit le Seigneur: C'est lui qui m'a formé dans le, sein de ma mère pour être



1 Is 27,6 - 2. Mt 1 - 3 Is 41,4-5 - 4. Ap 22,13 - 5 Is 42,1-4

son serviteur, pour que je rassemble autour de lui Jacob et Israël; je m'approcherai de lui et je serai comblé d'honneurs en sa présence, et mon Dieu sera ma force. Et il m'a dit: Ce sera pour toi une grande gloire d'être appelé mon serviteur, pour établir et les tribus de Jacob et pour convertir les enfants d'Israël. Et je t'ai placé, comme le testament de ta race, comme la lumière des nations, afin que tu sois le salut du monde jusqu'aux extrémités de la terre». Et un peu plus loin le même Prophète ajoute: «Voici ce que dit le Seigneur d'Israël: Je t'ai exaucé au temps convenable, et je t'ai assisté au jour du salut». Après avoir rappelé ces paroles, l'apôtre saint Paul en fait voir l'accomplissement chez les chrétiens. Il dit en effet: «Voici maintenant le temps favorable; voici le jour du salut (1)». Ecoutons donc ce qu'ajoute Isaïe: «Je t'ai donné», dit-il, «pour être le testament des nations, pour que tu habites la terre et que tu possèdes l'héritage du désert». Puis il reprend bientôt la même pensée: «Voici qu'ils viendront de bien loin: ceux-ci de l'Aquilon et de la mer; ceux-là du pays des Perses. Tressaille, ô ciel; sois dans la joie, ô terre; que les montagnes fassent éclater leur bonheur: car Dieu a eu pitié de son peuple, et il s'est adressé aux humbles d'entre son peuple. Or, Sion a dit: Le Seigneur m'a abandonné et Dieu ne s'est point souvenu de moi. Est-ce qu'une mère peut oublier son fils? peut-elle ne pas avoir pitié du fruit de ses entrailles? Eh bien! quand même elle oublierait son enfant, cependant jamais je ne t'oublierai, dit le Seigneur. Voici que j'ai décrit tes murailles sur mes mains; tu es en ma présence pour toujours, et bientôt tu seras construite par ceux qui t'ont renversée». Le texte de l'Apôtre ne nous permet point d'appliquer ces paroles au peuple juif; c'est aux chrétiens qu'il les applique. Que signifient donc ces expressions d'Isaïe: «Et bientôt tu seras construite par ceux qui t'ont renversée?» Ne veut-il pas nous apprendre que, les rois de la terre, qui d'abord persécutaient l'Eglise, la protégeront ensuite? Mais comme un grand nombre devaient mourir dans leurs iniquités, le Prophète ajoute: «Et ceux qui t'ont plongée dans la désolation, se sépareront de toi». Puis il annonce



1. 2Co 6,2

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que toutes les nations se joindront à l'Église. «Porte tes regards de tous côtés», dit-il, «et vois tous les peuples. Je vis, dit le Seigneur. «Tous ces peuples formeront ton vêtement, et tu les arrangeras autour de toi comme la nouvelle mariée dispose ses ornements. Ceux que tu auras abandonnés, qui se seront corrompus, qui seront tombés, se trouveront réduits à la plus grande anxiété par ceux qui habitent dans ton sein: qu'ils soient rejetés bien loin de toi tous ceux qui te dévoraient. Voici ce que te diront les enfants que tu avais perdus: Nous sommes à l'étroit dans ce lieu: fais-nous maintenant une place où nous puissions séjourner. Pour toi, tu diras dans ton coeur: Qui donc m'a engendré ces enfants? Car je sais que j'étais sans enfants et veuve. Qui donc à élevé pour moi ces fils? Car j'ai été laissée seule; et ceux-ci où étaient-ils donc? Voici ce que dit le Seigneur: Je porterai mes mains sur les nations, et mes étendards sur les îles; et j'amènerai tes fils dans ton sein; et ils porteront tes filles sur leurs épaules. Les rois seront vos nourriciers; les princesses seront vos nourrices; ils te prieront prosternés la face contre terre, ils baiseront les traces de tes pas, et tu sauras que je suis le Seigneur, et tu ne rougiras pas (1)». Isaïe continue en ces termes: «Écoute-moi, écoute-moi, ô mon peuple; et vous, rois, écoutez aussi: car c'est de moi que sortira la loi, et mon jugement sera la lumière des nations. Ma justice ne tardera pas à venir, mon salut partira bientôt, et les nations seront sauvées par mon bras (2)». De quel bras s'agit-il? Demandons-le aux écrits des Apôtres. L'apôtre saint Paul, après avoir mentionné le témoignage du même Prophète sur l'infidélité du peuple juif, sur ce crime qui empêche le Christ de se manifester à cette nation, ajoute ces mots: «Qui a cru à notre parole, et à qui le bras de Dieu s'est-il manifestés (3)?» Le Prophète dit encore: «Que les déserts de Jérusalem tassent éclater leur joie. Car le Seigneur a eu pitié d'elle. Il a détruit Jérusalem. Mais il manifestera la puissance de son bras en présence de toutes les nations, et toutes les nations jusqu'aux extrémités de la terre verront le salut qui vient de Dieu (4)». Qui



1 Is 49,5-23 - 2. Is 51,4-5 - 3. Rm 10,16 Is 53,1 - 4. Is 59,9-10

serait assez sourd, assez insensé, assez aveugle pogr ne pas se rendre à de pareils témoignages?


17. Passons à des textes encore plus évidents. Les Écritures nous parlent de noces toutes saintes; l'Époux, c'est le Christ, l'épouse, c'est l'Église. Or, Isaïe décrit le caractère de l'un et de l'autre, pour que nous ne puissions nous méprendre ni sur l'époux ni sur l'épouse; se tromper sur l'un des deux, c'est les perdre tous deux. L'Écriture parle de ces noces comme d'une chose mystérieuse, ainsi qu'on le voit par ce texte de l'Apôtre: «Ils seront deux dans une seule chair (1)». C'est l'Époux qui est décrit en premier lieu. Le Prophète entre dans de grands détails, et les Juifs n'ont rien à répliquer. Je ne veux point les rappeler tous. Remarquez seulement ce qui suit: «Il portera leurs péchés», dit-il, «et c'est pourquoi il en possédera un grand nombre comme son héritage; il partagera les dépouilles des «forts, parce que son âme a été livrée à la mort et qu'il a été compté parmi les criminels, et qu'il a soutenu les péchés d'un grand nombre, et qu'il a été livré pour nos iniquités (2)». Toutes ces prédictions, toutes ces prophéties, vous le reconnaissez, ont été faites longtemps à l'avance sur Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cet Epoux, pourquoi a-t-il été livré à la mort, pourquoi a-t-il été compté parmi les impies, pourquoi un si prodigieux abaissement? Qu'a-t-il obtenu par là, quel bien s'est-il procuré? Qui aurait les oreilles assez dures pour ne pas l'entendre, qui serait assez grossier pour ne pas le comprendre, assez aveugle pour ne pas le voir? «C'est pourquoi», dit le Prophète, «il possédera un grand nombre d'hommes, comme son héritage, et il partagera les dépouilles des forts, parce que son âme a été livrée à la «mort, et qu'il a été compté parmi les criminels». Comment donc vous glorifiez-vous de votre petit nombre, ô hérétiques, puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ a été livré, afin de posséder le grand nombre comme son héritage? Et quel est ce grand nombre? Quelle étendue de pays occupe-t-il? Écoutons la suite.


18. L'époux et son caractère viennent de nous être annoncés. L'épouse va se montrer à son tour dans les paroles d'Isaïe. Étudions-la



1. Ep 5,31 - 2 Is 53,11-12

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dans la vérité des Livres saints, et reconnaissons-la dans l'univers. Cette prophétie concernant la sainte Eglise, est aussi rappelée par l'apôtre saint Paul. Plus de refuge pour les ruses et les disputes des hérétiques. «Réjouis-toi, femme stérile qui n'enfantes point», dit-il, «tressaille, pousse des cris d'allégresse; les fils de la femme privée d'époux sont plus nombreux que ceux de la femme qui a un époux (1)». Pourquoi, encore une fois, vous glorifier de votre petit nombre? Ne sont-ils pas nombreux, ceux dont le Prophète disait tout à l'heure: «C'est pourquoi il possédera un grand nombre d'hommes comme son héritage?» Quel est en effet son héritage, sinon son Eglise? «La femme sans époux», dit-il, «aura des fils en plus grand nombre que la femme qui a un époux». Cette femme qui a un époux c'est, au sens de l'Apôtre, la synagogue des Juifs qui avait reçu la loi. C'en est assez pour prouver ce que nous disons. Que les Donatistes comparent leur multitude uniquement composée d'Africains, établis en Afrique, avec la multitude des Juifs dispersés par toute la terre: ils verront combien ils leur sont inférieurs en nombre. Comment donc établir que c'est d'eux qu'il a été dit: «Les fils de la femme sans époux seront en plus grand nombre que ceux de la femme qui a un époux?» Qu'ils comparent ensuite la multitude des chrétiens répandus à travers toutes les nations, avec lesquels ils ne sont pas en communion; et qu'ils voient combien les chrétiens l'emportent par le nombre sur tous les Juifs. Ils pourront enfin comprendre que c'est dans l'Eglise catholique que s'est vérifiée cette prophétie: «Les fils de la femme sans époux seront plus nombreux que ceux de la femme qui a un époux». Admettons qu'on ne voie pas clairement quelle est cette femme ayant un époux, laquelle est inférieure pour le nombre des enfants à la femme sans époux: c'est du moins, à n'en pas douter, l'Eglise du Christ dont il est dit: «Les fils de la femme sans époux sont bien plus nombreux que ceux de la femme qui a un époux». Ne pas en convenir, c'est contredire, non pas moi, mais l'Apôtre.


19. Mais d'où lui viendront ces fils si nombreux? Le Prophète nous l'apprend, quand il ajoute. «Car le Seigneur a dit: Etends la



1. Ga 4,27

place de ta tente et de ton palais, plante des pieux, ne les épargne pas, allonge tes cordes, consolide tes pieux, étends ta demeure à droite et à gauche; et ta postérité possédera les nations, et tu habiteras les villes désertes. Ne crains rien, car tu prévaudras; et ne redoute rien, quand même tu auras été détestée. Tu oublieras ton éternelle honte; tu ne te souviendras pas de l'ignominie de ton veuvage: car je suis le Seigneur qui te fais: le Seigneur est le nom de Celui qui t'a délivrée, et le Dieu d'Israël sera appelé le Dieu de toute la terre (1)». Voilà les bornes jusques auxquelles elle doit étendre ses cordes: le Dieu d'Israël sera appelé le Dieu de toute la terre. C'est d'elle encore que parle ailleurs le même Prophète, et c'est à elle qu'il s'adresse: «A cause de Sion je ne me tairai point, et à cause de Jérusalem je ne me reposerai point, jusqu'à ce que ma justice s'élance comme la lumière. Or, mon salut brûlera comme la flamme, et toutes les nations verront ta justice, et les rois verront ta gloire; et le Seigneur t'appellera du nom qu'il t'a donné lui-même; et tu seras comme une couronne brillante en sa présence, et comme un diadème royal dans la maison de ton Dieu; et on ne t'appellera plus délaissée, et la terre ne sera plus appelée un désert: Car tu seras appelée ma volonté, et ta terre s'appellera l'univers (2)». Peut-on exiger plus d'évidence? Ainsi, dans un seul prophète, que de témoignages, et quelle clarté dans ces témoignages! Et cependant on s'obstine, on contredit non pas un homme, mais l'Esprit de Dieu, la vérité la plus manifeste! Et cependant ceux qui se glorifient du nom de chrétiens, refusent à Jésus-Christ la gloire qui lui est due; ils ne veulent pas que l'on croie à l'accomplissement de ces prophéties, faites à son sujet, si longtemps à l'avance, lors même que les événements sont non plus annoncés, mais montrés, vus, possédés. Je ne veux pas rassembler dans cette lettre les témoignages que rendent tous les Prophètes à l'Eglise qu'ils annoncent, et avec lesquels concordent si bien les événements; j'aurais l'air de croire peu nombreux des textes si abondants néanmoins, qu'à lui seul Isaïe m'en fournirait assez pour prolonger outre mesure cet écrit.



1 Is 54,1-5 - 2. Is 62,12



CHAPITRE VIII. LA DIFFUSION DE L'ÉGLISE DE JÉSUS-CHRIST EST MONTRÉE CLAIREMENT DANS LES PSAUMES.


20. Citons donc maintenant quelques textes des psaumes, composés si longtemps avant le Christ, et réjouissons-nous de voir leurs prédictions accomplies. Et d'abord, que les Donatistes entendent ce que Pétilien, je ne sais pourquoi, a cité dans sa lettre, et ensuite qu'ils prononcent: «Le Seigneur m'a dit: Tu es mon Fils; je t'ai engendré aujourd'hui. Fais-moi une demande, et je te donnerai les nations pour héritage, et jusqu'aux extrémités de la terre pour ta propriété (1)». Jamais chrétien a-t-il douté que cette prophétie ait le Christ pour objet, et que par cet héritage il faille entendre l'Eglise elle-même? Mais elle doit renfermer dans les filets des mêmes mystères les bons et les méchants, et c'est pourquoi le Psalmiste ajoute: «Tu les gouverneras avec une verge de fer, et tu les briseras comme le vase du potier». N'est-ce pas la même justice toujours ferme, toujours inflexible qui dirige les bons, et qui brise les méchants?


21. Quel homme assez égaré, assez peu instruit des divins oracles, pour ne pas reconnaître l'Evangile, lorsqu'il entend chanter ces paroles du psaume: «Ils ont percé mes mains et mes pieds; ils ont compté tous mes os? Pour eux ils m'ont considéré, ils ont porté sur moi leurs regards; ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté le sort sur ma robe (2)». L'Evangéliste, en racontant ce fait, ne s'est-il point rappelé ce témoignage? Or, ce supplice de la croix, ces prodigieux abaissements de la souveraine grandeur, cette effusion du sang innocent de l'Homme-Dieu, qu'ont-ils obtenu? La suite du psaume va nous l'apprendre: «Tous les peuples de la terre se souviendront du Seigneur et se convertiront à lui; toutes les nations adoreront en sa présence: car au Seigneur il appartient de régner, et c'est lui qui dominera sur les nations (3)». L'Apôtre n'a-t-il pas montré qu'il s'agissait des prédicateurs du Nouveau Testament dans les paroles suivantes: «Le son de leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu'aux extrémités du monde (4)?» Et cet autre verset,



1. Ps 2,7-8 - 2. Ps 21,17-19 Mt 27,30 Jn 19,24 - 3. Ps 21,28-29 - 4. Rm 10,18 Ps 18,5

n'est-ce pas à Jésus-Christ qu'il s'applique «Le Dieu des dieux, le Seigneur a parlé, et il a appelé la terre depuis le levant du soleil jusqu'à son couchant; c'est de Sion que vient l'éclat de sa beauté (1)?» N'est-ce pas Jésus-Christ qui prononce ces paroles: «J'ai dormi, après avoir été persécuté?» Et comment le Christ a-t-il été persécuté? «Les dents des fils des hommes sont comme des armes et des flèches, et leur langue est comme un glaive acéré». Quels sont ces enfants des hommes, sinon ceux qui s'écriaient: «Crucifiez-le, crucifiez-le (2)?» Pourquoi tant de souffrances? Quel profit le Christ en a-t-il retiré? Ecoutez la suite: «Elevez-vous au-dessus des cieux, ô Dieu, et que votre gloire s'étende par toute la terre (3)». Ainsi donc le Christ a dormi dans sa passion; et en ressuscitant il s'est élevé au-dessus des cieux. Comment sa gloire s'est-elle répandue par toute la terre? N'est-ce pas parce que son Eglise remplit le monde? Eh bien! hérétiques, ces deux pensées, si courtes, me donnent lieu de vous interroger sur toute la matière de nos discussions. «O Dieu», dit le Psalmiste, «élevez-vous au-dessus des cieux, et que votre gloire s'étende par toute la terre». Pourquoi proclamez-vous que Jésus-Christ a été élevé au-dessus des cieux, et ne voulez-vous pas être en communion avec sa gloire répandue par tout l'univers?


22. Le psaume soixante et onzième est intititulé: «Pour Salomon». Mais les pensées qu'il exprime ne peuvent toutes convenir à ce roi de la terre, qui commit ensuite de si énormes fautes; et nous soutenons victorieusement contre les Juifs que ce psaume se rapporte à Jésus-Christ. Aucun chrétien ne le nie. Il renferme des textes, qui sans aucun doute, concernent le Christ; et on y peut reconnaître aussi l'Eglise répandue dans tout l'univers, après avoir soumis les rois au joug du Christ: «Et il dominera», dit le Psalmiste, «depuis la mer jusqu'à la mer, et depuis le fleuve, jusqu'aux extrémités du monde». Ce fleuve est le Jourdain, où l'Esprit-Saint est descendu sur lui en forme de colombe, et où une voix venue du ciel le manifesta aux hommes. Il est dit ensuite: «Les Ethiopiens tomberont devant lui, et ses ennemis baiseront la terre. Les rois de Tharsis et les îles lui offriront leurs présents; les rois des Arabes et de Saba amèneront, les



1. Ps 49,1-2 - 2. Lc 23,21 - 3. Ps 57,5-6

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leurs. Tous les rois l'adoreront; toutes les «nations le serviront». Et un peu plus loin: «En lui seront bénies toutes les tribus de la terre; toutes les nations le glorifieront. Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël qui seul a fait tous ces miracles. Béni soit son nom glorieux pour l'éternité et dans les siècles des siècles; et toute la terre sera remplie de sa gloire. Ainsi soit-il, ainsi soit-il!» Allez donc maintenant, ô Donatistes, et criez Non, qu'il n'en soit pas ainsi, qu'il n'en soit pas ainsi! Mais vous êtes vaincus par la parole de Dieu qui nous dit: «Qu'il en soit ainsi! qu'il en soit ainsi!» La voilà donc révélée dans les psaumes cette Eglise qui est répandue dans tout l'univers, et sur laquelle se repose la gloire de son Roi. C'est pourquoi son épouse est elle-même une reine, et c'est d'elle qu'il est écrit au quarante-quatrième psaume: «La reine s'est tenue à votre droite; elle était vêtue d'or et couverte des ornements les plus variés». La divine parole s'empresse de l'exhorter en ces termes: «Ecoute, ma fille, et vois; incline ton oreille, et oublie ton peuple et la maison de ton père; car le Roi a recherché ta beauté, et ce Roi c'est ton Dieu u. Remarquez les premières paroles qu'adresse la divine prophétie à l'épouse du Christ. Ecoute, ma fille, et vois». Pour vous, vous ne voulez ni entendre ces prophéties, ni en voir l'accomplissement, mais vous les entendez et vous les voyez malgré vous. Ecoutez donc ce que Dieu lui dit encore: oui, écoutez la prophétie qui prédit, et voyez-en la réalisation dans le monde entier. «A la place de tes pères», dit le psaume, «il t'est né des enfants; tu les établiras princes sur toute la terre». Que d'autres témoignages renferme sur ce point la sainte Ecriture! Je les passe sous silence, mais ceux qui lisent nos saints Livres, les connaissent. Je les connais bien moi-même, et si je ne les cite pas, c'est pour ne point surcharger une lettre qui sollicite une réponse.



CHAPITRE IX. RÉPONSE A CETTE OBJECTION DES DONATISTES LES HOMMES ONT EMPÉCHÉ LA RÉALISATION DE CES PROPHÉTIES.


23. Peuvent-ils rien objecter contre les textes de la loi, des Prophètes et des psaumes, concernant la diffusion partout l'univers de cette Eglise qu'ils aiment mieux combattre dans leur perversité, que de reconnaître en sortant de leur erreur? Que peuvent-ils objecter? Que ces textes sont faux? Qu'ils sont obscurs? Mais ils n'osent dire qu'ils sont faux. Le poids d'une pareille autorité les écrase. Ils en reconnaissent donc la vérité; mais ils prétendent qu'ils ne peuvent se réaliser. Et n'est-ce pas taxer de mensonge une prophétie, que de regarder comme impossible, l'accomplissement de ses prédictions. C'est dire en effet qu'il y a là non pas une prophétie, mais une fausse prophétie. Et si vous leur demandez pourquoi ces prophéties ne peuvent s'accomplir, ils vous répondent: «C'est que les hommes ne le veulent point. L'homme, en effet, a été créé avec le libre arbitre; et s'il le veut, il croit en Jésus-Christ; s'il ne le veut pas, il n'y croit point; s'il le veut, il persévère dans sa foi; s'il ne le veut pas, il n'y persévère point. Et c'est pourquoi, comme l'Eglise commençait à se répandre dans l'univers, les hommes n'ont point voulu persévérer, et la religion chrétienne a disparu du milieu des nations. Elle n'est demeurée que dans les sectateurs de Donat». Est-ce que l'Esprit de Dieu ne connaissait point les volontés des hommes dans l'avenir? Qui serait assez insensé pour le nier? Pourquoi donc ne prophétisait-il pas ce que feraient un jour les volontés des hommes? Si pour être prophète il suffit de faire de semblables prédictions, libre à chacun de prophétiser; si les prédictions ne se réalisent pas, on pourra toujours répondre: «Les hommes ne l'ont pas voulu. Car les chrétiens ont le libre arbitre en partage». C'est ainsi que l'on aurait dû prédire que le Christ mourrait, non pas sur la croix, mais par le glaive. L'effet n'aurait point suivi la prédiction; mais on aurait répondu: «En quoi me suis-je trompé? Les hommes, en vertu de leur libre-arbitre, n'ont pas voulu traiter Jésus-Christ comme je l'avais annoncé, et ils ont fait ce qu'ils ont voulu». Ne voit-on pas que le champ est ouvert à mille prophéties de cette nature, ou plutôt ne voit-on pas que tout homme peut être prophète? Peut-on douter que Judas, s'il l'eût voulu, n'eût point trahi le Christ; que Pierre, s'il l'eût voulu, ne l'eût point renié par trois fois? Mais la prophétie a dit vrai à leur sujet, parce que Dieu prévoit les futures volontés des hommes.329



CHAPITRE X. JÉSUS-CHRIST PAR SES PAROLES A CONFIRMÉ CES PRÉDICTIONS DES PROPHÈTES ET ANNONCÉ QUE SON ÉGLISE SE RÉPANDRAIT PAR TOUT L'UNIVERS.


24. Les coeurs mêmes les plus insensibles sentent la force de ces témoignages. Néanmoins écoutons maintenant la parole du Verbe lui-même, cette parole sortie de la bouche du Verbe incarné. Lorsque, après sa résurrection, il offrait à ses disciples qui doutaient encore, son corps à toucher, à palper, lorsqu'il eut accepté de leurs mains et mangé la nourriture qu'ils lui présentaient, il leur dit: «Telles sont les paroles que je vous ai adressées, lorsque j'étais encore avec vous; je vous disais que tout ce qui avait été écrit à mon sujet dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes devait s'accomplir». Or, n'est-ce pas au sujet du Christ qu'ont été écrits tous les passages que nous avons cités de la loi, des Prophètes et des psaumes, ainsi que nous l'avons fait voir dans le détail? Donc, puisque la Vérité (1) même nous dit: «Il fallait que tout fût accompli», comment les Donatistes peuvent-ils le nier, sans être hérétiques? S'ils trouvent ces prophéties obscures, écoutons le Chef lui-même, cet auteur de toute vérité, nous manifester son propre corps. Jésus-Christ avait dit: «Il fallait que tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes fût réalisé». Ce mot: «A mon sujet», doit-il s'entendre aussi de l'Église? C'est une question que nous pouvions faire à raison de cette parole de l'Écriture: «Ils seront deux dans une seule chair (2)». Or, pour que nous sachions bien que les divins oracles sont vrais, non-seulement quand il s'agit du chef, mais aussi quand il s'agit du corps, l'Évangéliste poursuit en disant: «Alors il leur ouvrit l'esprit, pour qu'ils comprissent les Écritures, et il leur dit: C'est ainsi qu'il a été écrit; c'est ainsi que le Christ devait souffrir et ressusciter le troisième jour». Voilà le chef manifesté, ce chef qui donnait son corps à toucher à ses disciples. Voyez ce que l'Évangéliste ajoute au sujet du corps qui est l'Église, de manière que nous ne puissions nous tromper ni sur l'Époux, ni sur l'épouse. «Ils prêcheront en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les



1. Jn 14,6 - 2. Gn 2,24

nations, en commençant par Jérusalem (1)». Quoi de plus vrai que cette parole, quoi de plus divin, quoi de plus évident? C'est à regret que j'en fais ressortir la valeur, et les hérétiques ne rougissent pas de l'attaquer dans leurs discours.


25. Dites que ces témoignages de la loi, des Prophètes, des psaumes, sont obscurs, figurés, susceptibles d'une autre interprétation; je n'ai rien négligé pourtant pour que vous ne puissiez pas le dire: mais encore, dites-le, si vous le voulez. Y a-t-il aussi de l'obscurité, y a-t-il une voile énigmatique sur ces paroles du Christ: «Il a été écrit et il fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât le troisième jour, et que la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom par toutes les nations en commençant par Jérusalem?» S'il y a quelque chose d'obscur dans cette expression: «J'ai dormi au milieu du trouble», y en a-t-il encore dans celle-ci. «Il fallait que le Christ souffrît?» Si vous trouvez de l'obscurité dans ce texte «Élève-toi au-dessus du ciel, ô Dieu!» en trouverez-vous encore dans celui-ci: «Il fallait que le Christ ressuscitât le troisième jour?» Si vous ne comprenez point ces mots du psaume: «Ta gloire s'étendra par toute la terre (2)»; ne comprendrez-vous pas Les mots du Christ: «Il faut qu'en son nom la pénitence et la rémission des péchés soient prêchées par toutes les nations?» S'il y a de l'obscurité dans ce passage: «Le Dieu des dieux, le Seigneur a parlé, et il a appelé la terre depuis le levant du soleil jusqu'à son couchant»; y en a-t-il dans celui-ci: «Il faut qu'en son nom la pénitence et la rémission des péchés soient prêchées par toute la terre?» Comment est-ce que la terre a été appelée depuis le levant jusqu'au couchant, sinon comme il le dit lui-même: «Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence (3)?» Ces paroles, dites-vous, sont obscures: «C'est de Sion que partira l'éclat de sa gloire (4)». Celles-ci le sont-elles: «En commençant par Jérusalem?» Sion, n'est-ce pas la même ville que Jérusalem? Mais que m'importe? Qu'ils disent encore qu'il n'y a point de rapport entre les textes que j'emprunte à la loi, aux Prophètes, aux psaumes, et ces



1. Lc 24,41-47 - 2. Ps 57,5-6 - 3. Mt 9,13 - 4. Ps 49,1-2

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paroles de Jésus-Christ: ni je ne m'en inquiète, ni je ne m'y oppose. Il faut bien l'avouer cependant, si tout cela n'avait été prédit dans la loi, dans les Prophètes, dans les psaumes, soit dans les textes que j'invoque, soit ailleurs, le Christ n'aurait pas dit: «Il faut que tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes, ait son accomplissement». Puis, après leur avoir donné l'intelligence des Ecritures, il ne leur eût point enseigné ce qui avait été écrit sur lui dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes, en leur disant: «C'est ainsi qu'il a été écrit, et il fallait que le Christ souffrît et qu'il ressuscitât le troisième jour, et qu'en son nom la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées par toutes les nations, à commencer par Jérusalem». Je ne pourrais par moi-même reconnaître ces circonstances écrites dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes; cependant elles y sont écrites. C'est la Vérité même qui nous l'apprend. Mais quand même elle ne dirait pas qu'elles y sont écrites, ne suffirait-il pas à des chrétiens d'entendre le Christ s'exprimer ainsi: «Il faut qu'en son nom la pénitence et la rémission des péchés soient prêchées par toutes les nations, à commencer par Jérusalem?» Mais ses disciples doutaient encore, même après avoir considéré et touché son corps; il voulut affermir leur foi par le témoignage des Ecritures, et leur donner ainsi une preuve plus convaincante encore que la présence de ce corps que leurs yeux voyaient et que leurs mains avaient touché. Reconnaissons donc cette Eglise que la bouche même du Seigneur nous a si bien désignée, dont elle nous montre les débuts et le terme; elle commencera à Jérusalem et s'étendra à toutes les nations.


26. Peut-être dira-t-on que cette Jérusalem n'est pas une cité visible; que c'est une expression figurée; qu'il y a là un sens spirituel, et qu'il s'agit de l'Église tout entière, éternelle dans les cieux, et dans une de ses parties comme exilée ici-bas. Il faut voir aussi dès lors une figure dans ces autres paroles: «Il fallait que le Christ souffrît et qu'il ressuscitât le troisième jour». Or, le prétendre, ce serait cesser d'être chrétien. Si donc il faut entendre dans le sens propre ces dernières expressions, c'est aussi dans le même sens qu'il faut prendre ce qui est dit de cette Eglise universelle qui commencera par Jérusalem. Le Seigneur, en effet, déclare que toutes ces choses ont été' dites à son sujet dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes; et cette déclaration ne pouvait être une figure; autrement ce ne serait pas une déclaration. Ensuite, puisque Jérusalem, dans le sens figuré et spirituel, signifie l'Eglise universelle, comment cette Eglise universelle commencerait-elle par l'Église universelle? Ne serait-ce pas comme si Jérusalem commençait par Jérusalem? Il s'agit donc bien de cette ville dans le sens propre; il est donc bien prouvé que c'est par elle que devait commencer l'Église; Jésus-Christ lui-même nous l'affirme, et il démasque tous les piéges, toutes les ruses des hérétiques. Il continue en effet en ces termes: «Et vous serez témoins de ces choses; et j'envoie sur vous ma promesse. Pour vous, demeurez dans cette ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut». Cette ville où il leur enjoint de rester jusqu'à ce qu'ils aient été revêtus de la force d'en haut, c'est-à-dire de l'Esprit-Saint, qu'il promet de leur envoyer, c'est par elle que commencera l'Église, selon sa prédiction. Si les Donatistes ne croient pas que cette ville soit Jérusalem, qu'ils entendent ce qui suit: «Il les mena jusqu'à Béthanie, et leva ses mains et les bénit. Et après qu'il les eut bénis, il s'éloigna d'eux; et ils retournèrent avec une grande joie dans Jérusalem, et ils demeurèrent toujours dans le temple louant Dieu (1)». La voilà donc montrée cette ville où le Christ leur ordonna de demeurer jusqu'à ce qu'ils fussent revêtus de la force d'en haut.




Augustin, contre Donatistes - CHAPITRE VII. SAINT AUGUSTIN ÉTABLIT LA MÊME VÉRITÉ PAR LES TESTES D'ISAÏE, EXPLIQUÉS PAR SAINT PAUL.