Augustin, de la prédestination des Saints. - CHAPITRE VI. LES VOIES DE DIEU SONT IMPÉNÉTRABLES.

CHAPITRE VI. LES VOIES DE DIEU SONT IMPÉNÉTRABLES.


11. «Beaucoup entendent la parole de la vérité; mais les uns croient et les autres résistent. C'est donc parce que les uns veulent croire et que les autres s'y refusent». Eh! qui l'ignore? Qui pourrait le nier? Mais il faut dire aussi que la volonté des uns est préparée par Dieu, tandis que celle des autres ne l'est pas; et puis, il faut distinguer ce qui vient de la miséricorde de Dieu et ce qui vient de sa justice. «Ce qu'Israël cherchait», dit l'Apôtre, « il ne l'a point trouvé; mais ceux-là seuls l'ont trouvé, qui ont été choisis de Dieu; et les autres ont été aveuglés, selon qu'il est écrit: Dieu leur a donné jusqu'à ce jour un esprit d'assoupissement, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre. Et David dit encore de ces hommes: Que leur table soit pour eux un filet où ils se trouvent enveloppés; qu'elle leur devienne une pierre de scandale et qu'elle soit leur juste punition; que leurs yeux soient tellement obscurcis qu'ils ne voient point, et faites qu'ils soient toua jours courbés contre terre». Voilà tout ensemble la miséricorde et la justice: la miséricorde pour l'élection qui a obtenu la justice de Dieu, et le jugement contre ceux qui ont été aveuglés. Et cependant, ceux-là ont


1. Pr 8 selon les Sept.

cru parce qu'ils l'ont voulu, et ceux-ci n'ont pas cru parce qu'ils ne l'ont pas voulu. C'est donc sur les volontés elles-mêmes que s'est faite l'action de la miséricorde et du jugement. Car cette élection est un pur effet de la grâce, et non point une conséquence de mérites antérieurs. En effet, l'Apôtre avait dit un peu plus haut: «De même donc en ce temps Dieu a sauvé ceux qu'il s'est réservés selon l'élection de sa grâce. Si c'est par grâce, ce n'est donc point par les oeuvres; autrement la grâce n'est plus une grâce (1)». Par conséquent, ceux qui ont obtenu l'élection l'ont obtenue gratuitement; de leur part ils n'y avaient acquis aucun droit antérieur qui eût fait de l'élection une véritable dette; Dieu les a sauvés gratuitement. Quant à ceux qui ont été frappés d'aveuglement, ce châtiment ils l'avaient mérité. «Toutes les voies de Dieu sont miséricorde et vérité (2). Les voies de Dieu sont impénétrables (3)». Regardons comme impénétrables et la miséricorde par laquelle il nous délivre gratuitement, et la vérité qui nous juge en toute justice.



CHAPITRE VII. LA FOI ET LES OEUVRES.


12. Nos adversaires répliqueront peut-être; L'Apôtre établit une distinction entre la foi et les oeuvres; mais quant à la grâce, s'il affirme qu'elle ne vient pas des oeuvres, il ne dit pas qu'elle ne vient point de la foin. C'est vrai; mais le Sauveur déclare formelle ment que la foi est l'oeuvre de Dieu, et il nous ordonne d'accomplir cette oeuvre. En effet, les Juifs lui dirent: «Que ferons-nous pour accomplir l'oeuvre de Dieu? Jésus leur répondit: L'oeuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé (4)». Quanti l'Apôtre, il distingue la foi des oeuvres, comme dans les deux royaumes des Hébreux, Juda est distingué d'Israël, quoique Juda soit Israël. D'un autre côté, il affirme que la justification ne vient pas des oeuvres (5), parce que cette justification est le premier don qui vous soit fait, et que c'est par elle que nous obtenons ce que nous appelons proprement les oeuvres, dont se compose la vie de l'homme juste. Ecoutons-le encore: «C'est par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la foi, et cela ne


1. Rm 11,5-10 - 2. Ps 24,10 - 3. Rm 2,33 - 4. Jn 6,28-29 - 5. Ga 2,16

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vient pas de vous, puisque c'est un don de Dieu»; en vertu de la foi», et non pas par votre propre vertu, car la foi ne vient pas de vous, puisqu'elle est un don de Dieu. «Cela ne vient pas de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie (1)».

On a coutume de dire: Tel homme a mérité de croire, parce que même avant de croire il était un homme de bien. On pourrait le dire du centurion Corneille, dont les aumônes avaient été accueillies, et les prières exaucées avant de croire en Jésus-Christ (2). Et pourtant ce n'était point sans une certaine foi qu'il versait ses aumônes et ses prières. En effet, comment pouvait-il invoquer Celui en qui il ne croyait pas (3)? S'il pouvait être sauvé sans la foi en Jésus-Christ, ce n'était donc pas pour l'édifier que l'apôtre saint Pierre lui fut envoyé comme architecte surnaturel, quoique, «si le Seigneur ne bâtit pas lui-même la maison, c'est en vain qu'ont travaillé ceux qui la construisaient (4)». Et l'on ose nous dire: «La foi vient de nous; mais c'est de Dieu que découlent toutes les autres choses qui concernent les oeuvres de la justice». N'est-ce pas dire que la foi n'appartient pas à l'édifice quand elle en est elle-même le fondement nécessaire? Donc dès que la foi est le point de départ obligé, c'est en vain que l'ouvrier travaille en édifiant la foi, si le Seigneur ne l'édifie pas lui-même intérieurement dans sa miséricorde. Ainsi donc tout ce que Corneille a fait de bien, et avant de croire en Jésus-Christ, et pendant qu'il y croyait, et après y avoir cru, tout cela doit être rapporté à Dieu, sous peine de se perdre dans les illusions de l'orgueil.



CHAPITRE VIII. LA PAROLE ET L'ENSEIGNEMENT DU PÈRE.


13. Notre Sauveur et Maître avait dit: «Ce qui est l'oeuvre de Dieu, c'est de croire en Celui qu'il a envoyé»; presque. aussitôt, et dans le même discours, il ajoute: «Je vous ai tenu ce langage, parce que vous m'avez vu, et que vous n'avez pas cru. Tout ce que mon Père me donne viendra à moi». Qu'est-ce à dire, «viendra à moi», sinon: croira en moi? Mais pour cela, il faut que mon Père le donne. Il continue: «Gardez-vous de murmurer entre vous; personne ne peut venir


1. Ep 2,8-9 - 2. Ac 10,4 - 3. Rm 10,14 - 4. Ps 86,1

à moi, si mon Père, qui m'a envoyé, ne l'attire; et je le ressusciterai au dernier jour. «Il est écrit dans les prophéties: ils seront tous les dociles enfants de Dieu. Quiconque a entendu et appris de mon Père vient à moi (1)». Qu'est-ce à dire: «Quiconque a entendu et appris de mon Père vient à moi?» N'est-ce pas comme s'il disait: Il n'est personne qui entende et apprenne de mon Père, et ne vienne à moi? Car si quiconque a entendu et appris de mon Père, vient, n'est-il pas certain que si quelqu'un ne vient pas, c'est qu'il n'a ni entendu ni appris de mon Père? car s'il eût entendu et appris, il fût venu. Personne n'a entendu et appris sans venir; mais, dit la Vérité suprême: «Quiconque a entendu et appris de mon Père est venu». Elle est très-éloignée des sens de la chair, cette école dans laquelle le Père est entendu et enseigne, afin que l'on vienne au Fils. Là est le Fils lui-même, puisqu'il est son Verbe par lequel il enseigne; et ce n'est point à l'oreille de la chair qu'il s'adresse, mais à l'oreille du coeur.

Là est également l'Esprit du Père et du Fils; car il ne serait pas vrai de dire qu'il n'enseigne point ou qu'il enseigne séparément; ne savons-nous pas que les oeuvres de la Trinité sont inséparables? C'est de l'Esprit-Saint que l'Apôtre a dit: «Ayant donc ce même esprit de foi (2)». Toutefois cet enseignement est plus spécialement attribué au Père, parce que c'est de lui qu'est engendré le Fils, et de lui aussi que procède le Saint-Esprit. Mais laissons là ce mystère de la Trinité, sur lequel j'ai composé quinze livres qui sans doute vous sont parvenus. Répétons-le donc: elle est très-éloignée des sens de la chair cette école dans laquelle Dieu est entendu et enseigne. Nous voyons un grand nombre d'hommes venir au Fils, parce que nous en voyons un grand nombre croire en Jésus-Christ. Où et comment ont-ils entendu et appris du Père, nous ne le voyons pas. Cette grâce est toute mystérieuse; mais peut-on douter qu'elle en soit moins une grâce? Or, cette grâce que la libéralité divine verse secrètement dans le coeur des hommes, n'est rejetée par aucun coeur endurci; car elle est accordée tout d'abord afin de briser cet endurcissement du coeur. Quand donc le Père


1. Jn 6,29 Jn 6,36-37 Jn 6,43-45 - 2. 2Co 4,13

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est entendu, et enseigne intérieurement afin que l'on vienne au Fils, il enlève le coeur de pierre et il donne un coeur de chair, selon la promesse du Prophète (1). C'est ainsi qu'il forme les enfants de la promesse, et les vases de miséricorde qu'il a préparés pour sa gloire.


14. Pourquoi donc le Seigneur n'enseigne-t-il pas tous les hommes, pour les amener à Jésus-Christ? N'est-ce point parce que ceux qu'il enseigne, il les enseigne dans sa miséricorde; et ceux qu'il n'enseigne pas, c'est dans sa justice qu'il leur refuse cet enseignement? Car «il fait miséricorde à qui il lui plaît, et il a endurcit qui il lui plaît»; or, il fait miséricorde en prodiguant ses bienfaits; et il en endurcit en traitant les coupables selon leurs oeuvres. Selon certains auteurs, ces paroles: «Dieu fait miséricorde à qui il lui plaît et il endurcit qui il lui plaît», devraient être attribuées à l'interlocuteur de l'Apôtre, à celui que l'Apôtre apostrophe en ces termes: «Vous me direz peut-être: Après cela pourquoi Dieu se plaint il; car qui donc résiste à sa volonté?» L'Apôtre va-t-il répondre: O homme, ce langage serait une erreur? Ecoutons cette réponse: «O homme, qui êtes-vous pour contester avec Dieu? Un vase d'argile dit-il à celui qui l'a fait: Pourquoi m'avez-vous fait ainsi? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire de la même masse d'argile?» Vous connaissez le reste.

Toutefois, dans un certain sens, le Père enseigne tous les hommes pour les amener à son Fils. Car ce n'est pas en vain que nous lisons dans les prophéties: «Et tous seront dociles à la parole de Dieu»; et le texte sacré ajoute aussitôt: «Tous ceux qui ont entendu de mon Père et ont appris, sont venus à moi». Supposons que dans une ville il n'y ait qu'un seul professeur de belles-lettres, nous aurions le droit de dire de ce professeur que c'est lui qui enseigne à tous les belles-lettres; non pas, sans doute, parce que tous les apprennent, mais parce que tous les étudiants reçoivent de lui leurs leçons. Dans le même sens nous pouvons dire: C'est Dieu qui enseigne tous les hommes à venir à Jésus-Christ, non point parce que tous les hommes y viennent, mais parce que personne n'y vient que par ce moyen. Pourquoi donc ne donne-t-il pas réellement à tous


1. Ez 11,19

ce précieux enseignement? L'Apôtre nous en donne une raison qui doit nous suffire: «Qui peut se plaindre», dit-il, «si Dieu voulant montrer sa colère, et faire connaître sa puissance, souffre avec une patience extrême les vases de colère préparés pour la perdition, afin de faire paraître les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour la glorification (1)?» Voilà ce qui nous explique pourquoi la prédication de la croix est une folie pour ceux qui se perdent, tandis que pour ceux qui se sauvent elle est la vertu et la puissance de Dieu (2)». A tous ces derniers le Seigneur apprend à venir à Jésus-Christ; car il veut que tous soient sauvés, et qu'ils arrivent à la connaissance de la vérité (3). Quant à ceux pour qui la prédication de la croix est une folie, n'est-il pas certain que si Dieu eût voulu leur apprendre à venir à Jésus-Christ, ils y seraient infailliblement venus? Peut-il tromper ou être trompé, Celui qui a dit: «Tous ceux qui ont entendu et appris de mon Père sont venus à moi?» Ce serait donc une erreur de supposer que, parmi ceux qui ont entendu et appris du Père, il en est qui ne viennent pas à Jésus-Christ.


15. «Pourquoi», disent-ils, «Dieu n'enseigne-t-il pas tous les hommes?» Si nous en donnons pour raison que ceux qu'il n'enseigne lias ne veulent pas apprendre, ils nous répondent aussitôt: Que signifient donc ces paroles: «O Dieu, tournez sur nous vos regards, et vous nous vivifierez (4)?» Ou bien, si l'action de Dieu ne va pas jusqu'à rendre bonne la volonté précédemment mauvaise, pourquoi donc, selon le précepte du Seigneur, l'Eglise prie-t-elle pour ses persécuteurs (5)? Telle est pourtant l'interprétation donnée par saint Cyprien à ces paroles de l'Oraison dominicale: «Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel (6)»; comme votre volonté se fait dans ceux qui croient et qui sont en quelque sorte le ciel; qu'ainsi elle se fasse dans ceux qui ne croient pas et qui par là même sont encore terre. En priant pour ceux qui refusent de croire, nous demandons-nous pas que Dieu opère en eux le vouloir (7)? C'est en parlant des Juifs que l'Apôtre disait: «Mes frères, je sens dans mon coeur une grande affection pour le


1. Rm 9,18-23 - 2. 1Co 1,18 - 3. 1Tm 2,4 - 4. Ps 64,7 - 5. Mt 5,44 - 6. Mt 6,10 - 7. Ph 2,13

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salut d'Israël, et je le demande à Dieu par mes prières (1)». Il prie pour ceux qui ne croient pas, et que demande-t-il, si ce n'est la foi? Car ce n'est que par la foi qu'ils peuvent parvenir au salut. Si donc la foi de ceux qui prient prévient la grâce de Dieu, cette même foi prévient-elle aussi la grâce de Dieu en faveur de ceux pour qui l'on demande la foi? Car ce que les croyants demandent pour les infidèles, c'est le don de la foi à ceux qui ne croient pas.

Ainsi donc, devant la même prédication de l'Evangile, les uns croient et les autres ne croient pas; en croyant à la parole extérieure de l'Apôtre, les croyants n'écoutent en réalité que le Père et n'apprennent que de lui; quant à ceux qui ne croient pas, ils entendent la parole extérieure, mais intérieurement ils n'entendent et n'apprennent quoi que ce soit. En d'autres termes, aux uns il est donné de croire, tandis que ce même bienfait n'est pas accordé aux autres. Car, dit le Sauveur, «personne ne vient à moi s'il n'y a été attiré par mon Père, qui m'a envoyé». Ce qui suit rend encore cette vérité plus manifeste. En effet, presque aussitôt Jésus-Christ proclame la nécessité de manger sa chair et de boire son sang; et plusieurs de ses disciples de s'écrier à l'instant: «Cette parole est dure, qui donc peut l'entendre? Jésus sachant en lui-même que sa doctrine soulevait les murmures de ses disciples, leur dit: Ceci vous scandalise? Les paroles que j'ai prononcées sont esprit et vie, mais il en est parmi vous qui ne croient pas». L'Evangéliste ajoute aussitôt: «Jésus connaissait depuis le commencement ceux qui croiraient et celui qui devait le trahir, et il disait: Voilà pourquoi j'ai affirmé que personne ne peut venir à moi, si mon Père ne lui en a fait la grâce (2)». Par conséquent, être attiré à Jésus-Christ par le Père, entendre et apprendre du Père pour venir à Jésus-Christ, ce n'est rien autre chose que recevoir du Père le don de croire en Jésus-Christ. «Personne», disait-il, «ne vient à moi, s'il n'en a reçu le don de mon Père»; telles sont les paroles sur lesquelles se fonde la distinction à établir, non pas entre ceux qui entendent et ceux qui n'entendent pas l'Évangile, mais entre ceux qui embrassent la foi et ceux qui la rejettent.


1. Rm 10,1 - 2. Jn 6,44-46


16. La foi, aussi bien celle qui n'est que commencée que celle qui est parfaite, est donc nécessairement un don de Dieu; don accordé aux uns et refusé aux autres, comme il est impossible d'en douter, à moins de se mettre en contradiction manifeste avec les saintes Ecritures. D'un autre côté, si ce don n'est point fait à tous, le fidèle ne doit point s'en scandaliser, car il sait que le crime du premier homme a fait peser sur tous ses descendants une condamnation tellement méritée, qu'elle resterait parfaitement juste, lors même qu'aucun homme ne devrait y échapper. Si donc plusieurs sont sauvés (et, dans le sort de ceux qui ne le sont pas, ils peuvent comprendre ce qui leur était dû) qu'ils n'en proclament qu'avec plus de reconnaissance la grandeur du bienfait qui leur a été départi. De cette manière, celui qui se glorifie se glorifiera dans le Seigneur et non pas dans ses propres mérites, qui ne sont pas différents de ceux des réprouvés. Maintenant, pourquoi Dieu sauce-t-il plutôt celui-ci que celui-là? N'oublions pas que les jugements de Dieu sont incompréhensibles et ses voies impénétrables (1). Le parti le plus sage pour nous, c'est d'entendre et de dire: «O homme, qui êtes-vous donc pour oser répondre à Dieu (2)?» De quel droit oserions-nous affirmer, comme si nous le connaissions, ce que Dieu a voulu nous cacher? Ne nous suffit-il pas de savoir que Dieu ne saurait vouloir l'injustice?



CHAPITRE IX. SAINT AUGUSTIN JUSTIFIE LE LANGAGE TENU PAR LUI A UNE AUTRE EPOQUE.


17. Vous me rappelez ensuite ce que j'ai écrit dans ma réponse à Porphyre sur l'Époque de l'avènement de la religion chrétienne. Dans cette lettre, je ne me proposais aucunement de me livrer sur la grâce à une discussion longue et approfondie, et pourtant ce que j'en ai dit était suffisant pour la circonstance et pouvait très-facilement être développé par d'autres passages de nos écrits. an me demandait: «Pourquoi Jésus-Christ a-t-il tardé si longtemps à venir sur la terre?» Répondant à cette question, je disais entre autres choses: «On n'objecte point contre le Christ que sa doctrine ne soit point suivie de tout le monde; on sent bien que la même


1. Rm 11,33 - 2. Rm 9,20

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objection pourrait s'adresser aux philosophes et aux dieux; mais que répondront nos païens, si, sans préjudice des raisons cachées peut-être dans les profondeurs de la sagesse et de la science divine, et d'autres causes que les sages peuvent rechercher, nous disons, pour abréger cette discussion, a que le Christ a voulu se montrer au milieu des hommes et leur prêcher sa doctrine dans le temps et dans les lieux où il savait que devaient être ceux qui croiraient en lui? Car il prévoyait que, dans les temps et les lieux où son Evangile n'a pas été prêché, les hommes auraient reçu cette prédication comme l'ont fait beaucoup de ceux qui, l'ayant vu lui-même pendant qu'il était sur la terre, n'ont pas voulu croire en sa mission, même après des morts ressuscités par lui: comme le font aussi de notre temps beaucoup d'hommes qui, malgré l'évident accomplissement des prophéties, persistent dans leur incrédulité, et aiment mieux résister par des finesses humaines que de céder à l'autorité divine après des témoignages si clairs, si manifestes, si sublimes. Tant que l'esprit de l'homme est petit et faible, il doit s'incliner devant la divine vérité. Si donc le Christ n'a vu qu'une grande infidélité dans les premiers temps a de l'univers, quoi d'étonnant qu'il n'ait voulu ni se montrer ni parler à des hommes qu'il savait devoir ne croire ni à ses discours ni à ses miracles? Il est permis de penser que, à ces premières époques, tous les hommes eussent été tels, à en juger par le nombre étonnant d'incrédules que la vérité a rencontrés depuis l'avènement du Christ jusqu'à nos jours.

Cependant depuis le commencement du genre humain, il n'a jamais manqué d'être annoncé par les Prophètes, avec plus ou moins de lumière selon les temps, et avant son incarnation, il y a toujours eu des hommes qui ont cru en lui, depuis Adam jusqu'à Moïse, non-seulement parmi le peuple d'Israël qui, par un mystère particulier, a été une nation prophétique, mais encore parmi les autres nations. En effet, dans les saints livres des Hébreux, on en cite quelques-uns à qui Dieu fit part de ce mystère; ce fut dès le temps d'Abraham; et ces privilégiés n'appartenaient ni à sa race, ni au peuple d'Israël, et ne tenaient en rien au peuple élu. Pourquoi donc ne croirions nous pas qu'il y eut d'autres privilégiés chez d'autres peuples et en d'autres pays, quoique l'autorité de ces livres ne nous eu ait pas transmis le souvenir? C'est pourquoi le salut de cette religion, seule véritable et seule capable de promettre le vrai salut, n'a jamais manqué à quiconque en a été digne, et n'a manqué qu'à celui qui ne le méritait pas; et depuis le commencement de la race humaine jusqu'à la fin des temps, elle a été et sera prêchée aux uns pour leur récompense, aux autres pour leur condamnation. Il en est à qui Dieu n'en a rien révélé, mais il prévoyait que ceux-là ne croiraient pas; et ceux à qui la religion a été annoncée, quoiqu'ils ne dussent pas croire, ont servi d'exemple aux autres. Mais quant aux hommes à qui elle est annoncée et qui doivent croire; leur place est marquée dans le royaume des cieux et dans la société des saints anges (1)».


18. Comprenez-vous que c'était sans aucuns intention de préjuger les décrets mystérieux de Dieu et les autres causes mises en jeu par sa Providence, que j'ai ainsi parlé de la prescience de Jésus-Christ; car cette simple réponse suffisait pour réfuter l'objection des païens et condamner leur infidélité? N'est-il pas évident que Jésus-Christ savait à l'avance par qui, quand et en quels lieux la foi en si parole serait acceptée? Quant à préciser si, après avoir entendu la prédication de l'Evangile, les hommes auraient par eux-mêmes le pouvoir de croire, ou s'ils auraient besoin pour cela d'une grâce spéciale de Dieu; en d'autres termes, si Dieu s'était contenté à les connaître par avance, ou s'il les avait prédestinés à la foi, j'ai pensé que cette discussion n'était alors nullement nécessaire. Ces paroles: «Le Christ a voulu se montrer au milieu des hommes et leur prêcher sa doctrine dans le temps et dans les lieux où il savait que devaient être ceux qui croiraient en lui», pourraient se remplacer par celle-ci: Le Christ a voulu se montrer au milieu des hommes et leur prêcher sa doctrine dans le temps et dans les lieux où il savait qui devaient être ceux qui avaient été élus en lui avant la constitution du monde (2). Mais un tel langage aurait provoqué le lecteur à soulever des questions dont l'étude et l'examen le plus


1. Epit. 102,n. 14, 15. - 2. Ep 1,4

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attentif ont depuis été rendus nécessaires par l'hérésie pélagienne. Je crus donc plus sage et plus prudent de proportionner ma réponse aux besoins de la circonstance, sans préjudice, comme je l'ai dit, des raisons cachées peut-être dans les profondeurs de la sagesse et de la science divine, et d'autres causes dont j'ai cru devoir renvoyer la discussion à un moment plus opportun.



CHAPITRE X. LA FOI EST UN DON DE DIEU.


19. J'ai ajouté: «Le salut de cette religion n'a jamais manqué à quiconque en a été digne, et n'a manqué qu'à celui qui ne le méritait pas». Si l'on demande par quel moyen les uns se sont rendus dignes du salut, les Pélagiens répondent: Par leur volonté humaine; mais nous, nous disons: Par la grâce ou la prédestination divine. Entre la grâce et la prédestination il y a cette seule différence, à savoir que la prédestination est la préparation de la grâce, tandis que la grâce est le don même qui en est fait. De là cette parole de saint Paul: «Cela ne vient point de nos oeuvres, afin que nul ne se glorifie; car nous sommes son ouvrage, étant créés a en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres». Telle est la grâce; l'Apôtre ajoute immédiatement: «Que Dieu a préparées afin que nous pussions y marcher (1)»; telle est la prédestination, absolument inséparable de la prescience, tandis que la prescience peut exister sans la prédestination. Par la prédestination, Dieu a connu par avance ce qu'il ferait lui-même; de là cette parole: «Il a fait ce qui devait arriver (2)». Au contraire, sa prescience peut tomber sur des choses qu'il ne fait pas, par exemple sur les péchés; il est vrai que Dieu frappe les péchés du châtiment qu'ils méritent, selon cette parole de l'Apôtre . «Dieu les a livrés à leur sens réprouvé, afin qu'ils fassent ce qui ne convient pas (3)»; mais ces péchés, qui sont le châtiment d'autres péchés, ne sont pas l'oeuvre même de Dieu, mais la conséquence du châtiment dont il frappe les coupables dans sa rigoureuse justice. Par conséquent, la prédestination de Dieu, et il ne prédestine jamais qu'au bien, n'est, comme je l'ai dit, rien autre chose que la préparation de la grâce; et, de son côté,


1. Ep 2,9-10 - 2 Is 45 selon les Sept. - 3. Rm 1,28

la grâce n'est que l'effet de la prédestination. Nous savons que Dieu promit à Abraham dans sa race la foi des nations, en lui disant: «Je vous ai établi le Père d'un grand nombre de peuples»; ce qui a fait dire à l'Apôtre: «Ainsi, c'est par la foi, afin que nous le soyons par grâce, et que la promesse demeure ferme pour tous ses enfants (1)». Or, cette promesse de Dieu était-elle fondée sur la puissance de notre volonté, et Don pas sur la prédestination? Dieu promit ce qu'il devait faire, et non pas ce que feraient les hommes. En effet, si les hommes font le bien pour rendre gloire à Dieu; de son côté, c'est Dieu qui fait en sorte que les hommes accomplissent ses commandements, et ce ne sont pas les hommes qui font en sorte que Dieu réalise ses promesses. Autrement, la puissance de réaliser ces promesses divines appartiendrait, non pas à Dieu, mais aux hommes, qui seuls accorderaient à Abraham ce qui lui a été promis par le Seigneur. Ce n'est point là ce que crut Abraham; au contraire, «il crut, rendant gloire à Dieu, étant pleinement persuadé qu'il est tout-puissant pour faire ce qu'il a promis (2)». L'Apôtre ne dit pas de Dieu qu'il est tout-puissant pour prédire, pour savoir par avance, car Dieu peut prédire et prévoir des actions qu'il ne fera pas lui-même; mais «Dieu est tout-puissant pour faire», et non point par les autres, mais par lui-même.


20. Dira-t-on que Dieu a promis à Abraham dans sa race les bonnes oeuvres des nations, seul moyen pour lui de promettre ce qu'il fait lui-même, tandis qu'au contraire il n'aurait pas promis la foi des nations, parce que cette foi n'est pas son oeuvre, mais l'oeuvre même des hommes? Ajoutera-t-on que, avant de promettre ce qu'il fait lui-même, il a prévu que ces hommes se détermineraient à croire? Ce n'est point là le sens des paroles de l'Apôtre; car il énonce claires ont la promesse faite par le Seigneur à Abraham de-lui donner des enfants qui marcheraient sur ses traces et imiteraient sa foi. D'ailleurs, si ce n'est pas la foi, mais les oeuvres des nations qui sont l'objet de cette promesse, il restera hors de doute que; dans l'accomplissement de ses promesses, Dieu se trouve à la merci des hommes, puisqu'il n'y a pas de bonnes oeuvres sans la foi, d'après ces paroles: «Le juste vit


1. Gn 17,4-5 - 2. Rm 4,16-21

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de la foi (1); tout ce qui ne se fait point selon la foi est péché (2); sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu (3)». Si donc l'homme ne fait pas ce qu'il lui appartient de faire, sans avoir besoin pour cela d'aucune grâce de Dieu, à son tour Dieu lui-même ne fera pas ce qui pourtant a besoin de son concours. En d'autres termes, si l'homme n'a pas la foi, que pourtant il ne tient que de lui-même, Dieu n'accomplit pas ce qu'il a promis, c'est-à-dire les oeuvres de justice, qui ne peuvent venir que de Dieu. Par conséquent, l'accomplissement des promesses divines n'est plus au pouvoir de Dieu, mais au pouvoir de l'homme. Une telle conclusion est formellement condamnée par la vérité et par la piété; et dès lors, croyons avec Abraham que Dieu est tout-puissant pour faire ce qu'il a promis. Or, il a promis des enfants d'Abraham; ils ne peuvent l'être qu'autant qu'ils ont la foi, donc la foi elle-même est un don de Dieu.



CHAPITRE 11. C'EST DIEU QUI NOUS FAIT FAIRE LE BIEN.

21. Devant ces paroles de l'Apôtre: «C'est par la foi, afin que selon la grâce la promesse demeure ferme», je m'étonne que des hommes préfèrent s'appuyer sur leur propre faiblesse plutôt que de s'appuyer sur la fermeté de la promesse de Dieu. «Mais», dit le Pélagien, «j'ignore quelle peut être la volonté de Dieu à mon égard». Quoi donc? Etes-vous bien assuré vous-même de votre propre volonté? Et vous ne croyez pas l'effet de cette menace: «Que celui qui, est debout prenne garde de tomber (4)?» Puisque l'homme n'est certain, ni de la volonté de Dieu, ni de sa propre volonté, qu'il sache donc confier, non pas à la plus faible, mais à la plus ferme de ces deux volontés, sa foi, son espérance et sa charité.


22. «Si vous croyez, vous serez sauvé (5); par ces paroles», disent les Pélagiens, «une chose est exigée de nous et l'autre nous est offerte. Ce qui est exigé vient de l'homme, ce qui est offert dépend de Dieu (6)». Pourquoi donc ces deux choses ne viendraient-elles pas à la fois de Dieu, et ce qu'il ordonne et ce qu'il offre? Ne le prions-nous pas de donner ce qu'il ordonne? ceux qui ont la foi ne lui


1. Ha 2,4 - 2. Rm 14,23 - 3. He 11,6 - 4. 1Co 10,12 - 5. Rm 10,9 - 6. Lettre d'Hilaire, n. 2.

demandent-ils pas d'augmenter cette foi? ne prient-ils pas pour les incrédules, afin qu'il leur donne la foi? N'est-ce point la preuve évidente que la foi, dans ses développements et dans son origine, est un don de Dieu? Il est dit: «Si vous croyez, vous serez sauvé»; comme il est dit aussi: «Si vous mortifiez par l'Esprit les oeuvres de la chair, vous vivrez». Ici encore une chose nous est commandée et l'autre nous est offerte. «Si vous mortifiez par l'Esprit les oeuvres de la chair, vous vivrez»; ce qui nous est commandé, c'est de mortifier par l'Esprit les oeuvres de la chair; et ce qui nous est offert, c'est de vivre. Dirons-nous que la mortification des oeuvres de la chair n'est pas un don de Dieu, et cela parce que le commandement nous en est fait avec promesse de la vie, si nous l'accomplissons?

Les partisans et les défenseurs de la grâce sont loin d'admettre une semblable conclusion, car elle constitue précisément l'erreur déplorable des Pélagiens, que l'Apôtre réduit au plus honteux silence, quand il leur dit: «Ceux-là sont les enfants de Dieu, qui sont conduits par l'Esprit de Dieu (1)»; comment donc pourrions-nous croire que c'est par notre propre esprit, et non point par l'Esprit de Dieu que nous mortifions les oeuvres de la chair? C'est de ce même Esprit que l'Apôtre disait: «Or, c'est un seul et même Esprit qui opère en nous toutes choses, distribuant chacun ses dons selon qu'il lui plaît (2)». Et parmi ces choses opérées en nous par l'Esprit de Dieu, vous savez que nous nommons la foi. Ainsi donc, la mortification des oeuvres de la chair, quoiqu'elle soit un don de Dieu, nous est cependant commandée avec promesse de la vie éternelle; de même la foi est certainement un don de Dieu, quoiqu'elle soit commandée avec promesse du salut, par ces paroles: «Si vous croyez, vous serez sauvé». D'un autre côté, s'il nous est démontré avec la dernière évidence que ces deux choses, la mortification et la foi, sont pour nous tout ensemble et un précepte formel et un don de Dieu, n'est-ce point pour nous faire comprendre que si nous accomplissons ces préceptes, c'est parce que Dieu nous donne la grâce de les accomplir, comme le prouvent ces expressives paroles du prophète Ezéchiel: «Je ferai que vous


1. Rm 8,13-14 - 2. 1Co 12,11

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fassiez (1)». Méditez ce passage de l'Écriture, et vous verrez clairement, que Dieu promet de faire que les hommes fassent ce qu'il leur ordonne de faire. Il ne passe même pas sous silence leurs mérites, mais leurs mérites mauvais; car il s'annonce comme rendant le bien pour le mal, par cela seul qu'il leur permet d'avoir désormais des mérites bons, en faisant en sorte qu'ils accomplissent les préceptes divins.


CHAPITRE XII. NOUS SERONS JUGÉS SUR NOS OEUVRES RÉELLES.


23. Les raisons sur lesquelles nous nous appuyons pour affirmer la gratuité absolue de la grâce, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, sont clairement énoncées dans de nombreux passages des divines Écritures. Toutefois cette solution, appliquée aux adultes qui jouissent de l'usage de leur libre arbitre, ne laisse pas de heurter certains esprits qui ne voient d'autre motif pour exciter leur zèle et leur piété que la nécessité de se montrer eux-mêmes les premiers généreux envers Dieu, sous peine de ne recevoir de lui aucun bienfait. Mais dès qu'il s'agit des enfants et du Christ Jésus, à la fois Dieu et homme, et médiateur entre Dieu et les hommes (2), il ne saurait plus être question de soutenir que la grâce est obtenue par des mérites précédents. En effet, ces enfants ne présentent plus aucuns mérites antérieurs qui expliquent pourquoi les uns, à l'exclusion des autres, ont été séparés et donnés au souverain Libérateur du genre humain. D'un autre côté, ce n'est en vertu d'aucuns mérites antérieurs que le Verbe s'est fait homme et Libérateur des hommes.


26. Quelle folie de dire que si tels enfants ont obtenu la grâce du baptême avant de mourir, c'est dans la prévision de leurs mérites futurs, tandis que d'autres sont morts sans baptême, parce que Dieu connaissait par avance les péchés dont, en vivant, ils se seraient rendus coupables? Puisqu ils n'ont pas vécu, n'est-il pas évident que Dieu n'avait ni à récompenser une vie bonne, ni à punir une vie mauvaise (3)? L'Apôtre a fixé une limite qu'une imprudente témérité, pour ne rien dire de plus, ne saurait dépasser. Voici ses paroles: «Nous devons tous comparaître


1. Ez 36,27 - 2. 1Tm 2,5 - 3. Lettre de saint Prosper, n. 5.

devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites par son corps (1)». «Qu'il aura faites», et non pas qu'il a ajoutées, ou qu'il aurait faites. En vérité, je cherche, mais en vain, ce qui a pu laisser croire à ces hommes que des enfants seraient punis pour des fautes futures qui, pour eux, ne devaient point se réaliser, ou qu'ils seraient récompensés pour des mérites qu'ils ne devaient même point acquérir.

L'Apôtre proclame que l'homme sera jugé selon les oeuvres qu'il aura faites par son corps. Pourquoi donc cette expression: Par son corps, quand beaucoup de nos oeuvres s'accomplissent uniquement par l'esprit, et non par le corps ou les membres du corps? Combien de crimes intérieurs commis par la pensée, et qui méritent un juste châtiment? Sans parler des autres, se peut-il un crime plus grand que celui-ci: «L'insensé a dit dans son coeur: il n'y a point de Dieu (2)?» Par conséquent, ces paroles: «Chacun recevra selon les oeuvres qu'il aura faites par son corps», doivent se traduire ainsi: Chacun recevra selon les oeuvres qu'il aura faites, pendant qu'il était revêtu de son corps. Quand le corps sera dissous, personne n'en sera de nouveau revêtu qu'à l'époque de la résurrection dernière; et alors ce ne sera plus pour acquérir des mérites, mais pour recevoir, jusque dans son corps, la récompense du bien ou le châtiment du mal que l'on aura fait. En attendant ce grand jour, et pendant cette époque intermédiaire qui suit la mort et précède la résurrection, les âmes sont récompensées du bien ou punies du mal qu'elles auront fait pendant qu'elles étaient unies à leur corps. C'est sur la présence simultanée du corps et de l'âme que se fonde ce dogme important que les Pélagiens nient, et que l'Église proclame, le péché originel. Que ce péché soit pardonné par la grâce de Dieu, ou que, dans sa justice, Dieu lui refuse le pardon, toujours est-il que les enfants, à leur mort, passent du mal au bien par le mérite de la régénération, ou passent du mal au mal par l'effet de leur origine. Telle est la foi catholique, telle est la doctrine professée, sans aucune contradiction, même par certains hérétiques.


1. 2Co 5,10 - 2. Ps 13,1

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Mais s'il s'agit de soutenir que l'homme est jugé, non pas selon les oeuvres qu'il a faites pendant qu'il était revêtu de son corps, mais selon les oeuvres qu'il aurait accomplies s'il eût vécu plus longtemps sur la terre; je dois dire qu'une telle opinion m'étonne et me confond, quand surtout je vois par votre lettre qu'elle est émise par des hommes de talent et d'expérience. Je n'y croirais pas, si j'osais ne pas croire à votre témoignage. Dieu, sans doute, daignera les éclairer, et ils comprendront que si la justice de Dieu ne peut frapper dans les enfants les péchés que plus tard ils auraient commis, sa grâce est toute-puissante pour pardonner aux enfants baptisés les fautes dont ils peuvent se rendre coupables. Celui qui dirait que Dieu, dans sa justice, peut frapper pour des péchés futurs, et qu'il ne peut les pardonner dans sa miséricorde, devrait peser sérieusement la gravité de l'injure que ce langage fait à Dieu et à la grâce. N'est-ce point l'outrager que de supposer qu'il peut connaître les péchés par avance, mais qu'il ne peut les pardonner? C'est là un crime et une absurdité, qui imposeraient à Dieu le devoir rigoureux de refuser le baptême à ceux des enfants qui meurent avant l'âge adulte et qui seraient devenus pécheurs si Dieu les avait laissés sur la terre.




Augustin, de la prédestination des Saints. - CHAPITRE VI. LES VOIES DE DIEU SONT IMPÉNÉTRABLES.