Catéchèses Benoît XVI 36

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Mercredi 25 janvier 2006 - Prière du Roi - Lecture: Ps\i 143, 9-10.12.14-15

Chers frères et soeurs!

1. Aujourd'hui se conclut la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, au cours de laquelle nous avons réfléchi sur la nécessité d'invoquer sans cesse du Seigneur le grand don de la pleine unité entre tous les disciples du Christ. En effet, la prière contribue de manière substantielle à rendre plus sincère et riche de fruits l'engagement oecuménique commun des Eglises et des Communautés ecclésiales.

A l'occasion de cette rencontre, nous voulons reprendre la méditation sur le Psaume 143, que la Liturgie des Vêpres nous propose en deux temps distincts (cf. vv. 1-8 et vv. 9-15). Le ton est toujours celui d'un hymne et, dans ce deuxième mouvement du Psaume, c'est également la figure de l'"Oint" qui entre en scène, c'est-à-dire du "Consacré" par excellence, Jésus, qui attire tous les hommes à lui "afin que tous soient un" (cf. Jn 17,11 Jn 17,21). C'est pour cette raison que la scène qui dominera le chant sera marquée par la prospérité et par la paix, symboles typiques de l'ère messianique.

2. C'est pourquoi le chant est défini "nouveau", un terme qui dans le langage biblique n'évoque pas tant la nouveauté extérieure des mots que la plénitude ultime qui scelle l'espérance (cf. v. 9). On chante donc l'objectif de l'histoire, lorsque finalement se taira la voix du mal, qui est décrite par le Psalmiste comme le "mensonge" et le "parjure", des expressions destinées à indiquer l'idolâtrie (cf. v. 11).

Mais cet aspect négatif laisse place, de manière beaucoup plus vaste, à la dimension positive, celle du nouveau monde joyeux qui va s'affirmer. Tel est le véritable shalom, c'est-à-dire la "paix" messianique, un horizon lumineux qui s'articule en une succession de petites scènes de la vie sociale: elles peuvent devenir également pour nous un souhait pour la naissance d'une société plus juste.

3. Voilà tout d'abord la famille (cf. v. 12), qui se fonde sur la vitalité de sa descendance. Les fils, espérance de l'avenir, sont comparés à des arbres vigoureux; les filles sont représentées comme des colonnes solides qui soutiennent l'édifice de la maison, semblables à celles d'un temple. De la famille, on passe à la vie économique, à la campagne avec ses fruits conservés dans les granges, avec l'étendue de ses troupeaux qui paissent, avec les bêtes de trait qui avancent dans des champs fertiles (cf. vv. 13-14a).

Le regard se tourne ensuite vers la ville, c'est-à-dire vers toute la communauté civile qui jouit finalement du don précieux de la paix et de la tranquillité publique. En effet, les "brèches" que les envahisseurs ouvrent dans les murs de la ville au cours des assauts cessent pour toujours; les "incursions" qui comportent des pillages et des déportations prennent fin et, enfin, le "gémissement" des désespérés, des blessés, des victimes, des orphelins, triste héritage des guerres, ne s'élève plus (cf. v. 14.b).

4. Cette évocation d'un monde différent, mais possible, est confiée à l'oeuvre du Messie et également à celle de son peuple. Tous ensemble, sous la direction du Messie Christ, nous devons travailler pour réaliser ce projet d'harmonie et de paix, en mettant un terme à l'action destructrice de la haine, de la violence, de la guerre. Il faut cependant effectuer un choix en se rangeant aux côtés du Dieu de l'amour et de la justice.

C'est pourquoi le Psaume se conclut par les mots: "Heureux le peuple dont Yahvé est le Dieu". Dieu est le bien suprême, la condition de tous les autres biens. Seul un peuple qui connaît Dieu et défend les valeurs spirituelles et morales, peut réellement aller vers une paix profonde et devenir également une force de la paix pour le monde, pour les autres peuples. Et il peut donc entonner, plein de confiance et d'espérance, avec le Psalmiste le "chant nouveau". On pense spontanément au pacte nouveau, à la nouveauté même qu'est le Christ et son Evangile.

C'est ce que nous rappelle saint Augustin. Dans sa lecture du Psaume, il donne également une interprétation des paroles: "Sur la lyre à dix cordes je joue pour toi". La lyre à dix cordes est pour lui la loi résumée dans ses dix commandements. Mais de ces dix cordes, de ces dix commandements, nous devons trouver la juste clef. Et ce n'est que si l'on fait vibrer ces dix cordes des dix commandements - comme le dit saint Augustin - grâce à la charité du coeur, que leur son est harmonieux. La charité est la plénitude de la loi. Celui qui vit les commandements comme dimension de l'unique charité, chante réellement le "chant nouveau". La charité qui nous unit aux sentiments du Christ est le véritable "chant nouveau" de l'"homme nouveau", capable de créer également un "monde nouveau". Ce Psaume nous invite à chanter "sur la lyre à dix cordes" avec un coeur nouveau, à chanter avec les sentiments du Christ, à vivre les dix commandements dans la dimension de l'amour, à contribuer ainsi à la paix et à l'harmonie du monde. (cf. Discours sur les Ps 143,16, Nuova Biblioteca Agostiniana, XXVIII, Rome 1977, pp. 677).
* * *


Je suis heureux de vous accueillir, chers pèlerins de langue française. Je vous invite à demander au Seigneur, avec toujours plus de ferveur, de faire à son Église le don de l’unité. Soyez toujours et partout des artisans ardents de paix et de fraternité ! Avec ma Bénédiction apostolique.




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Mercredi 1er février 2006 - Louange au roi Yahvé - Lecture: Ps\i 144, 1-2.4-5.8-9

Chers frères et soeurs,

1. C'est à présent le Psaume 144 qui est devenu notre prière, une joyeuse louange au Seigneur qui est exalté comme un souverain aimant et plein de tendresse, préoccupé par toutes ses créatures. La liturgie nous propose cet hymne en deux moments distincts, qui correspondent également aux deux mouvements poétiques et spirituels du Psaume lui-même. A présent, nous nous arrêterons sur la première partie, qui correspond aux versets 1-13.

Le Psaume est élevé au Seigneur invoqué et décrit comme le "roi" (cf. Ps 144, 1), une représentation divine qui domine les autres hymnes des Psaumes (cf. Ps 46 Ps 93 Ps 95-98). Le centre spirituel de notre Psaume est même précisément constitué par une célébration intense et passionnée de la royauté divine. Dans celle-ci, on répète à quatre reprises - comme pour indiquer les quatre points cardinaux de l'être et de l'histoire - la parole hébraïque malkut, "règne" (cf. Ps 144,11-13).

Nous savons que ce symbolisme royal, qui aura également un caractère central dans la prédication du Christ, est l'expression du projet salvifique de Dieu: il n'est pas indifférent à l'histoire humaine, il a même à son égard le désir de réaliser avec nous et pour nous un dessein d'harmonie et de paix. L'humanité tout entière est également convoquée pour accomplir ce dessein, pour qu'elle adhère à sa volonté salvifique divine, une volonté qui s'étend à tous les "hommes", à "chaque génération" et "à tous les siècles". Une action universelle, qui arrache le mal du monde et qui y installe la "gloire" du Seigneur, c'est-à-dire sa présence personnelle efficace et transcendante.

2. C'est vers ce coeur du Psaume, placé précisément au centre de la composition, que va la louange de prière du Psalmiste, qui se fait la voix de tous les fidèles, et qui voudrait être aujourd'hui notre voix à tous. En effet, la prière biblique la plus élevée est la célébration des oeuvres de salut qui révèlent l'amour du Seigneur à l'égard de ses créatures. On continue, dans ce Psaume, à exalter "le nom" divin, c'est-à-dire sa personne (cf. vv. 1-2), qui se manifeste dans son action historique: on parle précisément d'"oeuvres", de "merveilles", d'"exploits", de "puissance", de "grandeur", de "justice", de "patience", de "miséricorde", de "grâce" de "bonté" et de "tendresse".

C'est une sorte de prière litanique qui proclame l'entrée de Dieu dans les événements humains pour conduire toute la réalité créée à une plénitude salvifique. Nous ne sommes pas en proie à des forces obscures, ni solitaires face à notre liberté, mais nous sommes confiés à l'action du Seigneur puissant et aimant, qui a un "dessein" à notre égard, un "règne" à instaurer (cf. v. 11).

3. Ce "règne" n'est pas fait de puissance et de domination, de triomphe et d'oppression, comme, malheureusement, cela se produit souvent pour les règnes terrestres, mais il est le siège d'une expression de pitié, de tendresse, de bonté, de grâce, de justice, comme on le répète à plusieurs reprises tout au long des versets qui contiennent la louange.

La synthèse de ce portrait divin se trouve dans le v. 8: le Seigneur est "lent à la colère et plein d'amour". Ce sont des mots qui évoquent la présentation que Dieu lui-même avait faite de sa propre personne au Sinaï, où il avait dit: "Yahvé, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité" (Ex 34,6). Nous avons ici une préparation de la profession de foi de saint Jean l'Apôtre à l'égard de Dieu, nous disant simplement qu'Il est amour: "Deus caritas est" (cf. 1Jn 4,8 1Jn 4,16).

4. Outre sur ces belles paroles, qui nous montrent un Dieu "lent à la colère, riche en grâce", toujours disponible à pardonner et à aider, notre attention se fixe également sur le très beau verset suivant, le verset 9: "La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses oeuvres". Une parole à méditer, une parole de réconfort, une certitude qu'Il apporte dans nos vies. A ce propos, saint Pierre Chrysologue (380 env.-450 env.) s'exprime ainsi dans le Deuxième discours sur le jeûne: ""Grandes sont les oeuvres du Seigneur": mais cette grandeur, que nous voyons dans la grandeur de la Création, ce pouvoir est dépassé par la grandeur de la miséricorde. En effet, le prophète ayant dit: "Grandes sont les oeuvres de Dieu", il ajouta dans un autre passage: "Sa miséricorde est supérieure à toutes ses oeuvres". Chers frères, la miséricorde remplit le ciel, remplit la terre... Voilà pourquoi la grande, généreuse, unique miséricorde du Christ, qui réserva tout jugement pour un seul jour, assigna tout le temps destiné à l'homme à la trêve de la pénitence... Voilà pourquoi le prophète qui n'avait pas confiance dans sa propre justice se précipite tout entier vers la miséricorde: "Pitié pour moi, mon Dieu - dit-il -, dans ton amour, selon ta grande miséricorde" (Ps 50,3)" (42, 4-5: Sermons 1-62bis, Scrittori dell'Area Santambrosiana, 1, Milan-Rome 1996, pp. 299 301). Et ain-si, nous aussi, nous disons au Seigneur: "Pitié pour moi, ô Dieu, selon la grande miséricorde".
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Je salue cordialement les pèlerins de langue française présents à cette audience, en particulier l’Institut Saint-Dominique de Rome et le Collège Saint-Joseph de Boulogne-Billancourt. Ouvrez vos coeurs à l’amour de Dieu toujours offert dans le Christ Jésus, et soyez dans l’Église des chrétiens disponibles, prêts à servir leurs frères et à annoncer la vérité de l’Évangile !


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Mercredi 8 février 2006

Ton règne est un règne éternel - Lecture: Ps 144, 14.17-18.21

1. Dans le sillage de la Liturgie qui le divise en deux parties, nous revenons sur le Psaume 144, un chant admirable en l'honneur du Seigneur, roi aimant et attentif à ses créatures. Nous voulons à présent méditer sur la deuxième des sections qui constituent le Psaume: il s'agit des versets 14-21 qui reprennent le thème fondamental du premier mouvement de l'hymne.

Dans celui-ci, on exaltait la piété, la tendresse, la fidélité et la bonté divine qui s'étendent à toute l'humanité, touchant chaque créature. A présent, le Psalmiste porte toute son attention sur l'amour que le Seigneur réserve de manière particulière au pauvre et au faible. La royauté divine n'est donc pas détachée et hautaine, comme cela peut parfois se produire dans l'exercice du pouvoir humain. Dieu exprime sa royauté en s'inclinant sur les créatures les plus fragiles et sans défense.

2. En effet, Il est tout d'abord un père qui "soutient tous ceux qui tombent" et qui relève ceux qui sont tombés dans la poussière de l'humiliation (cf. v. 14). Les êtres vivants sont, en conséquence, tendus vers le Seigneur presque comme des mendiants affamés et Il offre, en père attentif, la nourriture qui leur est nécessaire pour vivre (cf. v. 15).

A ce point, fleurit sur les lèvres de l'orant, la profession de foi dans les deux qualités divines par excellence: la justice et la sainteté. "Le Seigneur est juste en toutes ses voies, saint dans toutes ses oeuvres" (v. 17). Il existe en hébreu deux adjectifs typiques pour illustrer l'alliance qui existe entre Dieu et son peuple: saddiq et hasid. Ils expriment la justice qui veut sauver et libérer du mal et la fidélité qui est signe de la grandeur pleine d'amour du Seigneur.

3. Le Psalmiste se place du côté de ceux qui en bénéficient, qui sont définis par diverses expressions; en pratique, ce sont des termes qui constituent une représentation du véritable croyant. Celui-ci "invoque" le Seigneur dans une prière confiante, il le "cherche" dans la vie "avec un coeur sincère" (cf. v. 18), il "craint" son Dieu, respectant sa volonté et obéissant à sa parole (cf. v. 19), mais surtout il l'"aime", assuré d'être accueilli sous le manteau de sa protection et de son intimité (cf. v. 20).

La dernière parole du Psalmiste est, alors, celle par laquelle il avait ouvert son hymne: c'est une invitation à louer et à bénir le Seigneur et son "nom", c'est-à-dire sa personne vivante et sainte qui oeuvre et apporte le salut dans le monde et dans l'histoire. Plus encore, son appel est un appel à faire en sorte qu'à la louange orante du fidèle s'associe chaque créature marquée par le don de la vie: "Son nom très saint, que toute chair le bénisse toujours et à jamais!" (v. 21). C'est une sorte de chant éternel qui doit s'élever de la terre au ciel, c'est la célébration communautaire de l'amour universel de Dieu, source de paix, de joie et de salut.

4. Pour conclure notre réflexion, revenons sur ce doux verset qui dit: "Il [le Seigneur] est proche de ceux qui l'invoquent, de tous ceux qui l'invoquent en vérité" (v. 18). Cette phrase était particulièrement chère à Barsanuphe de Gaza, un ascète mort autour de la moitié du VI siècle, souvent interpellé par des moines, des ecclésiastiques et des laïcs pour la sagesse de son discernement.

C'est ainsi, par exemple, qu'à un disciple qui exprimait le désir "de rechercher les causes des diverses tentations qui l'avaient assailli", Barsanuphe répondait: "Frère Jean, ne crains rien des tentations qui sont apparues contre toi pour te mettre à l'épreuve, car le Seigneur ne te laisse pas en proie à celles-ci. Lorsque l'une de ces tentations te vient, ne prends donc pas la peine d'examiner ce dont il s'agit, mais crie le nom de Jésus: "Jésus, aide-moi". Et il t'écoutera car "il est proche de ceux qui l'invoquent". Ne te décourage pas, mais cours avec ardeur et tu rejoindras l'objectif, dans le Christ Jésus notre Seigneur" (Barsanuphe et Gaza, Epistolario, 39: Collection de Textes patristiques, XCIII, Rome 1991, p. 109).

Et ces paroles du Père de l'Antiquité valent également pour nous. Dans nos difficultés, problèmes et tentations, nous ne devons pas uniquement accomplir une réflexion théorique - d'où venons-nous? - mais nous devons réagir de façon positive, invoquer le Seigneur, maintenir un contact vivant avec le Seigneur. Nous devons même crier le nom de Jésus: "Jésus, aide-moi!". Et nous sommes certains qu'il nous écoute, parce qu'il est proche de celui qui le cherche. Ne nous décourageons pas, mais courons avec ardeur - comme le dit ce Père - et nous atteindrons nous aussi l'objectif de la vie, Jésus, le Seigneur.
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Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier le groupe des pèlerins du Viêt-Nam, accompagnés par Monsieur le Cardinal Jean-Baptiste Pham Minh Mân, Archevêque de Thàn-Phô Hô Chí Minh, les jeunes du Collège Stanislas, ceux d’Ambarès ainsi que les autres groupes de jeunes présents. Que votre pèlerinage à Rome vous rendent disponibles aux appels de Dieu et à l’écoute de sa volonté, pour que vous deveniez toujours plus des témoins joyeux de l’Évangile !

Aujourd'hui, nous nous devons de rappeler Dom Andrea Santoro - merci, merci pour ces applaudissements -, prêtre Fidei donum du diocèse de Rome, tué en Turquie dimanche dernier, alors qu'il était recueilli en prière à l'église. Précisément hier soir m'est parvenue une belle lettre de sa part, écrite le 31 janvier dernier avec la petite communauté chrétienne de la paroisse Sancta Maria à Trébizonde. Hier soir, j'ai lu avec une profonde émotion cette lettre, qui est un reflet de son âme sacerdotale, de son amour pour le Christ et pour les hommes, de son engagement précisément pour les plus petits, sous le signe du Psaume que nous avons écouté. Cette lettre sera publiée dans "L'Osservatore Romano", comme témoignage d'amour et d'adhésion au Christ et à son Eglise. A cette lettre, il a joint un message des femmes de sa paroisse, qui m'invitent à aller là-bas. Et dans la lettre de ces femmes se reflètent également le zèle, la foi et l'amour qui étaient vivants dans le coeur de Dom Andrea Santoro.

Que le Seigneur accueille l'âme de ce serviteur silencieux et courageux de l'Evangile et fasse en sorte que le sacrifice de sa vie contribue à la cause du dialogue entre les religions et de la paix entre les peuples.
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Mercredi 15 février 2006 - Le Magnificat: Cantique de la Bienheureuse Vierge Marie - Lecture: Lc\i 1, 46-50.54-55



Chers frères et soeurs,

1. Nous sommes désormais parvenus au terme du long itinéraire commencé il y a précisément cinq ans, au printemps 2001, par mon bien-aimé Prédécesseur, l'inoubliable Pape Jean-Paul II. En effet, le grand Pape avait voulu parcourir dans ses catéchèses toute la séquence des Psaumes et des Cantiques qui constituent le tissu de prière fondamental de la Liturgie des Laudes et des Vêpres. Désormais parvenus à la fin de ce pèlerinage à travers les textes, semblable à un voyage dans le jardin fleuri de la louange, de l'invocation, de la prière et de la contemplation, nous laissons à présent la place à ce Cantique qui scelle de manière idéale chaque célébration des Vêpres, le Magnificat (Lc 1,46-55).

C'est un chant qui révèle en filigrane la spiritualité des anawim bibliques, c'est-à-dire de ces fidèles qui se reconnaissaient "pauvres" non seulement en vertu de leur détachement de toute idolâtrie de la richesse et du pouvoir, mais également en vertu de l'humilité profonde de leur coeur, dépouillé de la tentation de l'orgueil, ouvert à l'irruption de la grâce divine salvatrice. En effet, tout le Magnificat que nous avons écouté à présent, exécuté par le Choeur de la Chapelle Sixtine est marqué par cette "humilité", en grec tapeinosis, qui indique une situation concrète de pauvreté et d'humilité.

2. Le premier mouvement du cantique marial (cf. Lc 1,46-50) est une sorte de voix soliste qui s'élève vers le ciel pour atteindre le Seigneur. On peut en effet noter la répétition constante de la première personne: "Mon âme... mon esprit... mon Sauveur... me diront bienheureuse... fit pour moi des merveilles...". L'âme de la prière est donc la célébration de la grâce divine qui a fait irruption dans le coeur et l'existence de Marie, faisant d'elle la Mère du Seigneur. Nous entendons vraiment la voix de la Madone, qui parle ainsi de son Sauveur, qui a fait de grandes choses dans son âme et dans son corps.

La structure profonde de son chant de prière est donc la louange, l'action de grâce, la joie reconnaissante. Mais ce témoignage personnel n'est pas solitaire et intimiste, purement individualiste, car la Vierge Marie est consciente d'avoir une mission à accomplir pour l'humanité et son histoire s'inscrit à l'intérieur de l'histoire du salut. Et ainsi, elle peut dire: "Son amour s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent" (v. 50). Avec cette louange du Seigneur, la Madone donne voix à toutes les créatures rachetées qui, dans son Fiat, et ainsi dans la figure de Jésus né de la Vierge, trouvent la miséricorde de Dieu.

3. C'est à ce point que se déroule le deuxième mouvement poétique et spirituel du Magnificat (cf. vv. 51-55). Celui-ci fait davantage penser à un choeur, comme si, à la voix de Marie, s'associait celle de toute la communauté des fidèles qui célèbrent les choix surprenants de Dieu. Dans l'original grec de l'Evangile de Luc, on trouve sept verbes à l'aoriste, qui indiquent tout autant d'actions que le Seigneur accomplit de manière permanente dans l'histoire: "Déployant la force de son bras... il disperse les superbes... il renverse les puissants... il élève les humbles... il comble de biens les affamés... renvoie les riches... il relève Israël".

Dans ces sept oeuvres divines, le "style" dont s'inspire le comportement du Seigneur de l'histoire est évident: il se range du côté des derniers. Il possède un projet qui est souvent caché sous l'apparence terne des événements humains, qui voient triompher "les superbes, les puissants et les riches". Et pourtant, sa force secrète est destinée à se révéler à la fin, pour montrer qui sont les véritables préférés de Dieu: "Ceux qui le craignent", fidèles à sa parole; "les humbles, les affamés, Israël son serviteur", c'est-à-dire la communauté du Peuple de Dieu qui, comme Marie, est constituée par ceux qui sont "pauvres", purs et simples de coeur. C'est ce "petit troupeau" qui est invité à ne pas avoir peur, car le Père a trouvé bon de lui donner son royaume (cf. Lc 12, 32). Et ainsi, ce chant nous invite à nous associer à ce petit troupeau, à être réellement membres du Peuple de Dieu, dans la pureté et dans la simplicité du coeur, dans l'amour de Dieu.

4. Recueillons alors l'invitation que saint Ambroise nous adresse dans son commentaire au texte du Magnificat. Le grand docteur de l'Eglise dit: "Que se trouve en chacun l'âme de Marie pour exalter le Seigneur, que se trouve en chacun l'esprit de Marie qui exulte en Dieu; si, selon la chair, la mère du Christ est une, selon la foi, toutes les âmes engendrent le Christ; chacune, en effet, accueille en elle le Verbe de Dieu... L'âme de Marie exalte le Seigneur, et son esprit exulte en Dieu, car, consacrée en âme et en esprit au Père et au Fils, celle-ci adore avec une pieuse affection un seul Dieu, dont tout provient, et un seul Seigneur, en vertu duquel existent toutes les choses" (Discours sur l'Evangile selon Lc 2,26-27, SAEMO, XI, Milan-Rome 1978, p. 169). Dans ce merveilleux commentaire du Magnificat de saint Ambroise, cette phrase surprenante me touche toujours de façon particulière: "Si, selon la chair, la mère du Christ est une, selon la foi, toutes les âmes engendrent le Christ; chacune, en effet, accueille en elle le Verbe de Dieu". Ainsi, le saint Docteur, interprétant la parole de la Madone elle-même, nous invite à faire en sorte que dans notre âme et dans notre vie, le Seigneur trouve une demeure. Nous ne devons pas seulement le porter dans le coeur, mais nous devons l'apporter au monde, afin que nous aussi, nous puissions engendrer le Christ pour notre temps. Prions le Seigneur afin qu'il nous aide à l'exalter avec l'esprit et l'âme de Marie, et à apporter à nouveau le Christ à notre monde.
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Je suis heureux d’accueillir les pèlerins francophones présents ce matin, notamment les Directeurs diocésains de l’Enseignement catholique de la province de Marseille, accompagnés de Monsieur le Cardinal Bernard Panafieu, les Directeurs et les enseignants du diocèse de Rouen, les jeunes du lycée Saint-Paul de Lille, ainsi que les servants d’autel de Versailles. Puisse votre séjour affermir votre foi et faire grandir en vous le désir de la sainteté !







Mercredi 22 février 2006 - La Chaire de Pierre, don du Christ à son Eglise

22026 Chers frères et soeurs!

La liturgie latine célèbre aujourd'hui la fête de la Chaire de Saint-Pierre. Il s'agit d'une tradition très ancienne, attestée à Rome dès le IV siècle, par laquelle on rend grâce à Dieu pour la mission confiée à l'Apôtre Pierre et à ses successeurs. La "chaire", en latin "cathedra", est littéralement le siège fixe de l'Evêque, placé dans l'église mère d'un diocèse, qui pour cette raison est appelée "cathédrale", et elle est le symbole de l'autorité de l'Evêque et, en particulier, de son "magistère", c'est-à-dire de l'enseignement évangélique que, en tant que Successeur des Apôtres, il est appelé à garder et à transmettre à la communauté chrétienne. Lorsque l'Evêque prend possession de l'Eglise particulière qui lui a été confiée, il s'assoit sur la chaire en portant la mitre et en tenant la crosse. De ce siège, il guidera, en tant que maître et pasteur, le chemin des fidèles dans la foi, dans l'espérance et dans la charité.

Quelle fut donc la "chaire" de saint Pierre? Choisi par le Christ comme "roc" sur lequel édifier l'Eglise (cf.
Mt 16,18), il commença son ministère à Jérusalem, après l'Ascension du Seigneur et la Pentecôte. Le premier "siège" de l'Eglise fut le Cénacle, et il est probable que dans cette salle, où Marie, la Mère de Jésus, pria elle aussi avec les disciples, une place spéciale ait été réservée à Simon Pierre. Par la suite, le Siège de Pierre devint Antioche, ville située sur le fleuve Oronte, en Syrie, aujourd'hui en Turquie, et à cette époque troisième grande ville de l'empire romain après Rome et Alexandrie d'Egypte. Pierre fut le premier Evêque de cette ville, évangélisée par Barnabé et Paul, où "pour la première fois les disciples reçurent le nom de chrétiens" (Ac 11,26), où est donc né le nom de chrétiens pour nous, si bien que le Martyrologe romain, avant la réforme du calendrier, prévoyait également une célébration spécifique de la Chaire de Pierre à Antioche. De là, la Providence conduisit Pierre à Rome. Nous avons donc le chemin de Jérusalem, Eglise naissante, à Antioche, premier centre de l'Eglise rassemblée par les païens et encore unie également avec l'Eglise provenant des Juifs. Ensuite, Pierre se rendit à Rome, centre de l'Empire symbole de l'"Orbis" - l'"Urbs" qui exprime l'"Orbis", la terre -, où il conclut par le martyre sa course au service de l'Evangile. C'est pourquoi au siège de Rome, qui avait reçu le plus grand honneur, échut également la tâche confiée par le Christ à Pierre d'être au service de toutes les Eglises particulières pour l'édification et l'unité du Peuple de Dieu tout entier.

Après ces migrations de saint Pierre, le siège de Rome fut ainsi reconnu comme celui du Successeur de Pierre, et la "chaire" de son Evêque représenta celle de l'Apôtre chargé par le Christ de paître tout son troupeau. C'est ce qu'attestent les plus anciens Pères de l'Eglise, comme par exemple saint Irénée, Evêque de Lyon, mais qui était originaire d'Asie mineure, qui dans son traité Contre les hérésies, décrit l'Eglise de Rome comme la "plus grande et la plus ancienne, connue de tous;... fondée et constituée à Rome par les deux très glorieux Apôtres Pierre et Paul"; et il ajoute: "Avec cette Eglise, en raison de son éminente supériorité, doit s'accorder l'Eglise universelle, c'est-à-dire les fidèles qui sont partout" (III, 3 2-3). Tertullien, quant à Lui, affirme un peu plus tard: "Que cette Eglise de Rome est bienheureuse! Ce furent les Apôtres eux-mêmes qui lui donnèrent, en versant leur sang, la doctrine dans sa totalité" (De la prescription des hérétiques, n. 36). La chaire de l'Evêque de Rome représente donc non seulement son service à la communauté romaine, mais aussi sa mission de guide du Peuple de Dieu tout entier.

Célébrer la "Chaire" de Pierre, comme nous le faisons aujourd'hui, signifie donc attribuer à celle-ci une profonde signification spirituelle et y reconnaître un signe privilégié de l'amour de Dieu, Pasteur bon et éternel, qui veut rassembler toute son Eglise et la guider sur la voie du salut. Parmi les nombreux témoignages des Pères, j'ai plaisir à rapporter celui de saint Jérôme, tiré de l'une de ses lettres, adressée à l'Evêque de Rome, qui est particulièrement intéressante, car elle fait une référence explicite à la "chaire" de Pierre, en la présentant comme havre sûr de vérité et de paix. Jérôme écrit ce qui suit: "J'ai décidé de consulter la Chaire de Pierre, où l'on trouve la foi que la parole d'un Apôtre a exaltée; je viens à présent demander une nourriture pour mon âme, là où je reçus autrefois le vêtement du Christ. Je ne crois en aucun autre primat que celui du Christ; c'est pourquoi je me mets en communion avec ta béatitude, c'est-à-dire avec la chaire de Pierre. Je sais que l'Eglise est édifiée sur cette pierre" (Les lettres I, 15, 1-2).

Chers frères et soeurs, dans l'abside de la Basilique Saint-Pierre, comme vous le savez, se trouve le monument de la Chaire de l'Apôtre, oeuvre de maturité du Bernin, réalisée sous la forme d'un grand trône de bronze, soutenu par les statues de quatre docteurs de l'Eglise, deux d'Occident, saint Augustin et saint Ambroise, et deux d'Orient, saint Jean Chrysostome et saint Athanase. Je vous invite à vous arrêter devant cette oeuvre suggestive, qu'il est aujourd'hui possible d'admirer décorée par de nombreux cierges, et à prier en particulier pour le ministère que Dieu m'a confié. En levant le regard vers le vitrail d'albâtre qui s'ouvre précisément au-dessus de la Chaire, invoquez l'Esprit Saint, afin qu'il soutienne toujours par sa lumière et par sa force mon service quotidien à toute l'Eglise. Je vous remercie de tout coeur de cela, ainsi que de votre pieuse attention.
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Je suis heureux de vous accueillir, chers pèlerins de langue française. Je salue en particulier le Comité fédéral d’Entreprise du Crédit Mutuel, les nombreux jeunes présents ce matin, notamment ceux du diocèse de Sens-Auxerre accompagnés de l’Archevêque, Mgr Yves Patenôtre, ceux du doyenné de Baziège, de Villeurbanne et de Montbrison. Que votre séjour à Rome vous aide à affermir en vous la foi de l’Église qui nous a été transmise par les Apôtres.
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La fête de la Chaire de Saint-Pierre est un jour particulièrement approprié pour annoncer que le 24 mars prochain, je tiendrai un Consistoire, au cours duquel je nommerai les nouveaux Membres du Collège cardinalice. Cette annonce prend place de manière opportune en la fête de la Chaire, car les Cardinaux ont la tâche de soutenir et d'aider le Successeur de Pierre dans l'accomplissement de la mission apostolique qui lui a été confiée au service de l'Eglise. Ce n'est pas un hasard si dans les anciens documents ecclésiastiques, les Papes qualifiaient le Collège cardinalice de "pars corporis nostri" (cf. F.X. Wernz, Ius Decretalium, II, n. 459). Les Cardinaux constituent en effet autour du Pape une sorte de Sénat, auquel il a recours dans l'accomplissement des devoirs liés à son ministère de "principe et fondement perpétuels et visibles d'unité de foi et de communion" (cf. Lumen gentium LG 18).

Avec la création des nouveaux Cardinaux, j'entends donc atteindre le nombre de 120 Membres électeurs du Collège cardinalice, fixé par le Pape Paul VI de vénérée mémoire (cf. AAS 65, 1973, p. 163). Voici les noms des nouveaux Cardinaux:

1. Mgr WILLIAM JOSEPH LEVADA, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi;
2. Mgr FRANC RODE, c.m., Préfet de la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique;
3. Mgr AGOSTINO VALLINI, Préfet du Tribunal suprême de la Signature apostolique;
4. Mgr JORGE LIBERATO UROSA SAVINO, Archevêque de Caracas;
5. Mgr GAUDENCIO B. ROSALES, Archevêque de Manille;
6. Mgr JEAN-PIERRE RICARD, Archevêque de Bordeaux;
7. Mgr ANTONIO CAÑIZARES LLOVERA, Archevêque de Tolède;
8. Mgr NICOLAS CHEONG-JIN-SUK, Archevêque de Séoul;
9. Mgr SEAN PATRICK O'MALLEY, o.f.m. cap., Archevêque de Boston;
10. Mgr STANISLAW DZIWISZ, Archevêque de Cracovie;
11. Mgr CARLO CAFFARRA, Archevêque de Bologne;
12. Mgr JOSEPH ZEN ZE-KIUN, s.d.b., Evêque de Hong Kong.

J'ai en outre décidé d'élever à la dignité cardinalice trois ecclésiastiques âgés de plus de quatre-vingts ans, en considération des services qu'ils ont rendus à l'Eglise avec une fidélité exemplaire et un dévouement admirable. Ce sont:

1. Mgr ANDREA CORDERO LANZA DI MONTEZEMOLO, Archiprêtre de la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs;
2. Mgr PETER POREKU DERY, Archevêque émérite de Tamale (Ghana);
3. P. ALBERT VANHOYE, s.j., qui fut avec un grand mérite Recteur de l'Institut biblique pontifical et Secrétaire de la Commission biblique pontificale. Un grand exégète.

Dans l'assemblée des nouveaux Cardinaux se reflète bien l'universalité de l'Eglise: ils proviennent en effet de diverses parties du monde et revêtent des charges différentes dans le service au Peuple de Dieu. Je vous invite à élever à Dieu une prière particulière au Seigneur à leur intention, afin qu'il leur accorde les grâces nécessaires pour accomplir avec générosité leur mission.

Comme je l'ai dit au début, le 24 mars prochain, je tiendrai le Consistoire annoncé et le jour suivant, le 25 mars, Solennité de l'Annonciation du Seigneur, j'aurai la joie de présider une Concélébration solennelle avec les nouveaux Cardinaux. En cette circonstance, j'inviterai également tous les membres du Collège cardinalice, avec lesquels je souhaite avoir une réunion de réflexion et de prière le jour précédent, le 23 mars.

Concluons à présent par le chant du Pater noster.




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Mercredi 1er mars 2006 - Le Carême: un itinéraire de réflexion et d'intense prière


Catéchèses Benoît XVI 36