Catéchèses Benoît XVI 2

Mercredi 1er mars 2006 - Le Carême: un itinéraire de réflexion et d'intense prière

Chers frères et soeurs,

Aujourd'hui, avec la Liturgie du Mercredi des Cendres, commence l'itinéraire quadragésimal de quarante jours, qui nous conduira au Triduum pascal, mémoire de la passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur, coeur du mystère de notre salut. Il s'agit d'un temps favorable, où l'Eglise invite les chrétiens à prendre une conscience plus vive de l'oeuvre rédemptrice du Christ et à vivre plus profondément leur Baptême. En effet, en cette période liturgique, le Peuple de Dieu, depuis les premiers temps, se nourrit avec abondance de la Parole de Dieu pour se renforcer dans la foi, en reparcourant toute l'histoire de la création et de la rédemption.

De par sa durée de quarante jours, le Carême possède une force évocatrice indéniable. Il entend en effet rappeler plusieurs des événements qui ont rythmé la vie et l'histoire de l'antique Israël, en nous en reproposant également la valeur de paradigme: pensons, par exemple, aux quarante jours du déluge universel, qui aboutirent au pacte de l'alliance scellée par Dieu avec Noé, et ainsi, avec l'humanité, et aux quarante jours passés par Moïse sur le Mont Sinaï, qui furent suivis par le don des tables de la Loi. La période quadragésimale veut surtout nous inviter à revivre avec Jésus les quarante jours qu'il passa dans le désert, en priant et en jeûnant, avant d'entreprendre sa mission publique. Nous aussi, nous entreprenons aujourd'hui un chemin de réflexion et de prière avec tous les chrétiens du monde, pour nous diriger spirituellement vers le Calvaire, en méditant sur les mystères centraux de la foi. Nous nous préparerons ainsi à faire l'expérience, après le mystère de la Croix, de la joie de la Pâque de résurrection.

On accomplit aujourd'hui, dans toutes les communautés paroissiales, un geste austère et symbolique: l'imposition des cendres, et ce rite est accompagné par deux formules riches de sens, qui constituent un appel pressant à se reconnaître pécheurs et à retourner à Dieu. La première formule dit: "Souviens-toi que tu es poussière, et que tu retourneras à la poussière" (cf. Gn 3,19). Ces paroles, tirées du livre de la Genèse, évoquent la condition humaine placée sous le signe de la précarité et de la limite, et entendent nous pousser à placer toutes nos espérances uniquement en Dieu. La deuxième formule se réfère aux paroles prononcées par Jésus au début de son ministère itinérant: "Convertissez-vous et croyez à l'Evangile" (Mc 1,15). C'est une invitation à adhérer de manière ferme et confiante à l'Evangile comme fondement du renouveau personnel et communautaire. La vie du chrétien est une vie de foi, fondée sur la Parole de Dieu et nourrie par elle. Dans les épreuves de la vie et face à chaque tentation, le secret de la victoire se trouve dans l'écoute de la Parole de vérité et dans le ferme refus du mensonge et du mal. Tel est le programme véritable et central du temps du Carême: écouter la Parole de vérité, vivre, parler et faire la vérité, refuser le mensonge qui empoisonne l'humanité et qui ouvre la porte à tous les maux. Il est donc urgent d'écouter à nouveau, au cours de ces quarante jours, l'Evangile, la Parole du Seigneur, parole de vérité, afin qu'en chaque chrétien, en chacun de nous, se renforce la conscience de la vérité qui lui est donnée, qui nous est donnée, afin que nous en vivions et en devenions le témoin. Le Carême nous invite à laisser pénétrer notre vie par la Parole de Dieu et à connaître ainsi la vérité fondamentale: qui sommes-nous, d'où venons-nous, où devons-nous aller, quel est le chemin à prendre dans la vie? Et ainsi, le temps du Carême nous offre un parcours ascétique et liturgique qui, alors qu'il nous aide à ouvrir les yeux sur notre faiblesse, nous fait ouvrir notre coeur à l'amour miséricordieux du Christ.

En nous rapprochant de Dieu, le chemin quadragésimal nous permet de poser sur frères et leurs besoins un regard nouveau. Celui qui commence à voir Dieu, à regarder le visage du Christ, contemple avec un autre regard également son frère, découvre son frère, son bien, son mal, ses nécessités. C'est pourquoi le Carême, comme écoute de la vérité, est le moment favorable pour se convertir à l'amour, car la vérité profonde, la vérité de Dieu, est dans le même temps amour. En nous convertissant à la vérité de Dieu, nous devons nécessairement nous convertir à l'amour. Un amour qui sache adopter l'attitude de compassion et de miséricorde du Seigneur, comme j'ai voulu le rappeler dans le Message pour le Carême, qui a pour thème les paroles évangéliques: "Voyant les foules, Jésus eut pitié d'elles" (Mt 9,36). Consciente de sa mission dans le monde, l'Eglise ne cesse de proclamer l'amour miséricordieux du Christ, qui continue à tourner son regard plein d'émotion vers les hommes et les peuples de tous les temps. "Face aux terribles défis de la pauvreté d'une si grande part de l'humanité - ai-je écrit dans le Message de Carême susmentionné -, l'indifférence et le repli sur son propre égoïsme se situent dans une opposition intolérable avec le "regard du Christ". Avec la prière, le jeûne et l'aumône, que l'Eglise propose de manière spéciale dans le temps du Carême, sont des occasions propices pour se conformer à ce "regard"", au regard du Christ, et nous voir nous-mêmes, l'humanité et les autres, avec ce regard. Dans cet esprit, nous entrons dans le climat d'austérité et de prière du Carême, qui est véritablement un climat d'amour pour nos frères.

Que ce soient des jours de réflexion et d'intense prière, au cours desquels nous nous laissons guider par la Parole de Dieu, que la liturgie nous propose en abondance. Que le Carême soit, en outre, un temps de jeûne, de pénitence et de vigilance sur nous-mêmes, persuadés que la lutte contre le péché ne finit jamais, car la tentation est une réalité de chaque jour, et la fragilité et l'illusion sont l'expérience de tous. Enfin, que le Carême soit, à travers l'aumône et les actions de bien à l'égard de nos frères, une occasion de partage sincère des dons reçus avec nos frères et d'attention aux besoins des plus pauvres et des laissés-pour-compte. Que Marie, la Mère du Rédempteur, modèle d'écoute et de fidèle adhésion à Dieu, nous accompagne dans cet itinéraire pénitentiel. Que la Très Sainte Vierge nous aide à arriver, purifiés et renouvelés dans notre coeur et notre esprit, à célébrer le grand mystère de la Pâque du Christ. Avec ces sentiments, je souhaite à tous un bon et fructueux Carême.
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J’accueille avec plaisir les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier le Séminaire diocésain de Toulouse, les jeunes de l’École Fénelon Sainte-Marie de Paris, ainsi que les pèlerins du diocèse de Luçon, accompagnés de leur Évêque, Mgr Michel Santier. Que ce chemin du Carême commencé à Rome vous conduise tous à la joie de Pâques !


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Mercredi 15 mars 2006 - La volonté de Jésus sur l'Eglise et le choix des Douze

Chers frères et soeurs,

Après les catéchèses sur les Psaumes et sur les Cantiques des Laudes et des Vêpres, je voudrais consacrer les prochaines rencontres du mercredi au mystère de la relation entre le Christ et l'Eglise, en le considérant à partir de l'expérience des Apôtres, à la lumière du mandat qui leur a été confié. L'Eglise a été constituée sur le fondement des Apôtres comme communauté de foi, d'espérance et de charité. A travers les Apôtres, nous remontons à Jésus lui-même. L'Eglise commença à se constituer lorsque quelques pêcheurs de Galilée rencontrèrent Jésus, se laissèrent conquérir par son regard, par sa voix, par son invitation chaleureuse et puissante: "Venez à ma suite, je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes" (Mc 1,17 Mt 4,19). Mon bien-aimé prédécesseur, Jean-Paul II, a proposé à l'Eglise, au début du troisième millénaire, de contempler le visage du Christ (cf. Novo millennio ineunte, n. NM 16s.). En allant dans le même sens, au cours des catéchèses qui commencent aujourd'hui, je voudrais montrer que c'est précisément la lumière de son Visage qui se reflète sur le visage de l'Eglise (cf. Lumen gentium LG 1), en dépit des limites et des ombres de notre humanité fragile et pécheresse. Après Marie, pur reflet de la lumière du Christ, ce sont les Apôtres qui, à travers leur parole et leur témoignage, nous livrent la vérité du Christ. Leur mission n'est toutefois pas isolée, mais se situe dans le contexte d'un mystère de communion, qui inclut tout le Peuple de Dieu et se réalise par étapes, de l'ancienne à la nouvelle Alliance.

Il faut dire à cet égard que c'est interpréter de façon tout à fait erronée le message de Jésus que de le séparer du contexte de la foi et de l'espérance du peuple élu: comme le Baptiste, son précurseur immédiat, Jésus s'adresse avant tout à Israël (cf. Mt 15,24) pour les "rassembler" au temps eschatologique venu avec lui. Et, comme celle de Jean, la prédication de Jésus est dans le même temps un appel de grâce et un signe de contradiction et de jugement pour tout le Peuple de Dieu. C'est pourquoi, dès le premier moment de son activité salvifique, Jésus de Nazareth tend à rassembler le Peuple de Dieu. Même si sa prédication est toujours un appel à la conversion personnelle, il vise en réalité continuellement à la constitution du Peuple de Dieu qu'il est venu rassembler, purifier et sauver. C'est pourquoi l'interprétation individualiste, proposée par la théologie libérale, de l'annonce que le Christ fait du Royaume, apparaît unilatérale et privée de tout fondement. Celle-ci est résumée ainsi en 1900 par le grand théologien libéral Adolf von Harnack dans ses leçons sur L'essence du Christianisme: "Le royaume de Dieu s'accomplit, dans la mesure où il advient dans des hommes individuels, il trouve un accès dans leur âme et eux l'accueillent. Le royaume de Dieu est la suprématie de Dieu, certes, mais c'est la suprématie du Dieu saint dans chaque coeur" (Leçon III, 100s). En réalité, cet individualisme de la théologie libérale est une accentuation typiquement moderne: dans la perspective de la tradition biblique et dans le cadre du judaïsme, dans lequel l'oeuvre de Jésus se place également même dans toute sa nouveauté, il apparaît clairement que la mission tout entière du Fils fait chair possède une finalité communautaire: Il est venu précisément pour unir l'humanité dispersée, il est venu précisément pour rassembler, pour unir le peuple de Dieu.

Un signe évident de l'intention du Nazaréen de réunir la communauté de l'alliance, pour manifester en elle la réalisation des promesses faites aux Pères, qui parlent toujours de convocation, d'unification, d'unité, est l'Institution des Douze. Nous avons écouté l'Evangile sur l'institution des Douze. J'en lis une fois de plus la partie centrale: "Puis il gravit la montagne et il appelle à lui ceux qu'il voulait. Ils vinrent à lui et il en institua Douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher, avec pouvoir de chasser les démons. Il institua donc les Douze..." (Mc 3,13-16 cf. Mt 10,1-4 Lc 6,12-16). Sur le lieu de la révélation, "la montagne", Jésus, à travers une initiative qui manifeste une conscience et une détermination absolues, constitue les Douze afin qu'ils soient avec lui les témoins et les annonciateurs de l'avènement du Règne de Dieu. Il ne subsiste aucun doute sur le fondement historique de cet appel, non seulement en raison de l'ancienneté et de la multiplicité des témoignages, mais également en vertu du simple motif qu'y apparaît le nom de Judas, l'apôtre traître, en dépit des difficultés que cette présence pouvait comporter pour la communauté naissante. Le nombre Douze, qui rappelle de toute évidence les douze tribus d'Israël, révèle déjà la signification d'action prophétique et symbolique implicite dans la nouvelle initiative de refonder le peuple saint. Le système des douze tribus ayant disparu depuis longtemps, l'espérance d'Israël en attendait la reconstitution comme signe de l'avènement du temps eschatologique (que l'on pense à la conclusion du Livre d'Ezechiel: Ez 37,15-19 Ez 39,23-29 Ez 40-48). En choisissant les Douze, en les introduisant dans une communion de vie avec lui et en les faisant participer à sa mission d'annonce du Règne en paroles et en actes (cf. Mc 6,7-13 Mt 10,5-8 Lc 9,1-6 Lc 6,13), Jésus veut dire qu'est arrivé le temps définitif où se constitue de nouveau le Peuple de Dieu, le peuple des douze tribus, qui devient à présent un peuple universel, son Eglise.

Par leur existence même, les Douze - appelés de provenances diverses - deviennent un appel adressé à tout Israël afin qu'il se convertisse et se laisse rassembler dans l'alliance nouvelle, plein et parfait accomplissement de l'ancienne alliance. En leur confiant, au cours de la Cène, avant sa Passion, le devoir de célébrer son mémorial, Jésus indique qu'il voulait transférer à toute la communauté, en la personne de ses chefs, la mission d'être, dans l'histoire, le signe et l'instrument du rassemblement eschatologique, commencé en lui. En un certain sens, nous pouvons dire que précisément la Dernière Cène est l'acte de fondation de l'Eglise, car Il se donne lui-même et crée ainsi une nouvelle communauté, une communauté unie dans la communion avec Lui-même. Sous cette lumière, on comprend la façon dont le Ressuscité leur confère - à travers l'effusion de l'Esprit - le pouvoir de remettre les péchés (cf. Jn 20,23). Les douze Apôtres représentent ainsi le signe le plus évident de la volonté de Jésus concernant l'existence et la mission de son Eglise, la garantie qu'il n'existe aucune opposition entre le Christ et l'Eglise: ils sont inséparables, en dépit des péchés des hommes qui composent l'Eglise. Le slogan qui était à la mode il y a quelques années: "Jésus oui, l'Eglise non" est donc totalement inconciliable avec l'intention du Christ. Ce Jésus individualiste choisi est un Jésus de pure fantaisie. Nous ne pouvons pas avoir Jésus sans la réalité qu'il a créée et dans laquelle il se transmet. Entre le Fils de Dieu fait chair et son Eglise, il existe une continuité profonde, inséparable et mystérieuse, en vertu de laquelle le Christ est présent aujourd'hui dans son peuple. Il est toujours notre contemporain, il est toujours contemporain de l'Eglise construite sur le fondement des Apôtres, il est vivant dans la succession des Apôtres. Et sa présence dans la communauté, dans laquelle Lui-même se donne toujours à nous, est le motif de notre joie. Oui, le Christ est avec nous, le Royaume de Dieu vient.
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Je salue cordialement les pèlerins francophones présents ce matin, en particulier les participants au Chapitre général des Frères de l’Instruction chrétienne de Ploërmel, ainsi que les groupes de jeunes. Que votre séjour à Rome vous fasse entrer en profondeur dans le mystère de l’Église, édifiée sur les Apôtres, vous qui êtes appelés, par votre Baptême, à en être les pierres vivantes !


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Mercredi 22 mars 2006 - Les Apôtres, témoins et envoyés du Christ

Chers frères et soeurs,

La Lettre aux Ephésiens nous présente l'Eglise comme une construction édifiée sur "la fondation des apôtres et des prophètes, dont la pierre angulaire est le Christ Jésus lui-même" (2, 29). Dans l'Apocalypse, le rôle des Apôtres, et plus spécifiquement des Douze, est mis en lumière dans la perspective eschatologique de la Jérusalem céleste, présentée comme une cité dont les murs reposent "sur douze fondations portant les noms des douze Apôtres de l'Agneau" (21, 14). Les Evangiles s'accordent à dire que l'appel des Apôtres marqua les premiers pas du ministère de Jésus, après le baptême reçu du Baptiste dans les eaux du Jourdain.

Selon le récit de Marc (1, 16-20) et de Matthieu (4, 18-22), le cadre de l'appel des premiers Apôtres est le lac de Galilée. Jésus a depuis peu commencé sa prédication du Règne de Dieu, lorsque son regard se pose sur deux paires de frères: Simon et André, et Jacques et Jean. Ce sont des pêcheurs, occupés à leur travail quotidien. Ils jettent les filets, les préparent. Mais une autre pêche les attend. Jésus les appelle avec décision et ils le suivent aussitôt: désormais, ils seront "pêcheurs d'hommes" (cf. Mc 1,17 Mt 4,19). Luc, tout en suivant la même tradition, fait un récit plus élaboré (5, 1-11). Il montre le chemin de foi des premiers disciples, en précisant que l'invitation à se mettre à la suite de Jésus leur est faite après avoir écouté sa première prédication et fait l'expérience des premiers signes prodigieux accomplis par lui. En particulier, la pêche miraculeuse constitue le cadre immédiat et offre le symbole de la mission de pêcheurs d'hommes qui leur a été confiée. Le destin de ces "appelés" sera désormais intimement lié à celui de Jésus. L'apôtre est un envoyé, mais plus encore, un "expert" de Jésus.

C'est précisément cet aspect qui est mis en évidence par l'évangéliste Jean dès la première rencontre de Jésus avec les futurs apôtres. Ici, le cadre est différent. La rencontre se déroule sur les rives du Jourdain. La présence des futurs disciples, venus eux aussi, comme Jésus, de Galilée pour vivre l'expérience du baptême administré par Jean, apporte une lumière sur leur monde spirituel. C'étaient des hommes qui attendaient le Règne de Dieu, désireux de connaître le Messie, dont la venue était annoncée comme imminente. L'indication de Jean le Baptiste, qui montre en Jésus l'Agneau de Dieu (cf. Jn 1,36) suffit pour que s'élève en eux le désir d'une rencontre personnelle avec le Maître. Les phrases du dialogue de Jésus avec les deux premiers futurs Apôtres sont très significatives. A la question: "Que cherchez-vous?", ils répondent par une autre question: "Rabbi (c'est-à-dire: Maître), où demeures-tu?". La réponse de Jésus est une invitation: "Venez et vous verrez" (cf. Jn 1,38-39). Venir pour pouvoir voir. L'aventure des Apôtres commence ainsi, comme une rencontre de personnes qui s'ouvrent l'une à l'autre. Une connaissance directe du Maître commence ainsi pour les disciples. Ils voient où il demeure et commencent à le connaître. En effet, ils ne devront pas être les annonciateurs d'une idée, mais les témoins d'une personne. Avant d'être envoyés évangéliser, ils devront "demeurer" avec Jésus (cf. Mc 3,14), établissant avec lui une relation personnelle. Sur cette base, l'évangélisation ne sera autre qu'une annonce de ce qu'ils ont vécu et une invitation à entrer dans le mystère de la communion avec le Christ (cf. 1Jn 13).

A qui les Apôtres seront-ils envoyés? Dans l'Evangile, Jésus semble limiter sa mission à Israël uniquement: "Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues d'Israël" (Mt 15,24). De façon analogue, il semble circonscrire la mission confiée aux Douze: "Ces Douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes: "N'allez pas chez les païens et n'entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël"" (Mt 10, 5s). Une certaine critique moderne d'inspiration rationaliste avait vu dans ces paroles le manque de conscience universaliste chez le Nazaréen. En réalité, celles-ci doivent être comprises à la lumière de sa relation spéciale avec Israël, communauté de l'Alliance, dans la continuité de l'histoire du salut. Selon l'attente messianique, les promesses divines, immédiatement adressées à Israël, devaient se réaliser lorsque Dieu lui-même, à travers son Elu, aurait réuni son peuple comme le fait un pasteur avec son troupeau: "Je vais venir sauver mes brebis pour qu'elles ne soient plus au pillage [...] Je susciterai pour le mettre à leur tête un pasteur qui les fera paître, mon serviteur David: c'est lui qui les fera paître et sera pour eux un pasteur. Moi, Yahvé, je serai pour eux un Dieu, et mon serviteur David sera prince au milieu d'eux" (Ez 34,22-24). Jésus est le pasteur eschatologique, qui rassemble les brebis perdues de la maison d'Israël et va à leur recherche, car il les connaît et les aime (cf. Lc 15,4-7 et Mt 18,12-14 cf. également la figure du Bon Pasteur dans Jn 10, 11sq). A travers ce "rassemblement", le Règne de Dieu est annoncé à toutes les nations: "Je manifesterai ma gloire aux nations, et toutes les nations verront mon jugement quand je l'exécuterai, et ma main quand je l'abattrai sur elles" (Ez 39,21). Et Jésus suit précisément ce fil prophétique. Le premier pas est le "rassemblement" du peuple d'Israël, afin que toutes les nations, appelées à se rassembler dans la communion avec le Seigneur, puissent voir et croire.

Ainsi, les Douze, engagés pour participer à la même mission de Jésus, coopèrent avec le Pasteur des derniers temps, allant avant tout eux aussi vers les brebis perdues de la maison d'Israël, c'est-à-dire s'adressant au peuple de la promesse, dont le rassemblement est le signe de salut pour tous les peuples, le début de l'universalisation de l'Alliance. Loin de contredire l'ouverture universaliste de l'action messianique du Nazaréen, la limitation initiale à Israël de sa mission et de celle des Douze, en devient ainsi le signe prophétique le plus efficace. Après la passion et la résurrection du Christ, ce signe sera éclairé: le caractère universel de la mission des Apôtres deviendra explicite. Le Christ enverra les Apôtres "dans le monde entier" (Mc 16,15), à "toutes les nations" (Mt 28,19 Lc 24,47), "et jusqu'aux extrémités de la terre" (Ac 1,8).

Et cette mission continue. Le mandat du Seigneur de réunir les peuples dans l'unité de son amour continue encore. Telle est notre espérance et tel est également notre mandat: contribuer à cette universalité, à cette véritable unité dans la richesse des cultures, en communion avec notre véritable Seigneur Jésus Christ.
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Je salue cordialement les pèlerins francophones, en particulier les jeunes du Centre Madeleine Daniélou de Rueil-Malmaison et de l’école Sainte-Marie de Neuilly. Puisse votre pèlerinage à Rome raviver votre foi et vous préparer aux célébrations pascales !


Appel du Pape pour la lutte contre la tuberculose dans le monde


Après-demain, 24 mars, sera célébrée la Journée mondiale des Nations unies pour la lutte contre la tuberculose. Je souhaite un engagement renouvelé, au niveau mondial, afin que soient mises à disposition les ressources nécessaires pour soigner les personnes atteintes par cette maladie qui est, comme chacun sait, associée à la pauvreté. J'encourage les initiatives d'assistance et de solidarité à l'égard de ces patients qui ont besoin d'être aidés pour vivre leur condition avec dignité.





Mercredi 29 mars 2006 - Le don de la "Communion"

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Chers frères et soeurs,

A travers le ministère apostolique, l'Eglise, communauté rassemblée par le Fils de Dieu qui s'est incarné, vit au cours du temps en édifiant et en nourrissant la communion dans le Christ et dans l'Esprit, à laquelle tous sont appelés et dans laquelle ils peuvent faire l'expérience du salut donné par le Père. En effet, les Douze - comme le dit le Pape Clément, III successeur de Pierre à la fin du I siècle - eurent soin de se constituer des successeurs (cf. 1 Clém 42, 4), afin que la mission qui leur était confiée soit poursuivie après leur mort. Tout au long des siècles, l'Eglise, organiquement structurée sous la direction de ses Pasteurs légitimes, a ainsi continué à vivre dans le monde comme un mystère de communion, dans lequel se reflète dans une certaine mesure la communion trinitaire elle-même, le mystère de Dieu lui-même.

L'Apôtre Paul mentionne déjà cette source trinitaire suprême en souhaitant à ses chrétiens: "La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous!" (
2Co 13,13). Ces paroles, écho probable du culte de l'Eglise naissante, soulignent que le don gratuit de l'amour du Père en Jésus Christ se réalise et s'exprime dans la communion réalisée par l'Esprit Saint. Cette interprétation, fondée sur le parallèle étroit que le texte établit entre les trois génitifs ("la grâce du Seigneur Jésus Christ... l'amour de Dieu... et la communion du Saint Esprit"), présente la "communion" comme un don spécifique de l'Esprit, fruit de l'amour donné par Dieu le Père et de la grâce offerte par le Seigneur Jésus.

Par ailleurs, le contexte immédiat, caractérisé par l'insistance sur la communion fraternelle, nous pousse à voir dans la "koinonía" de l'Esprit Saint non seulement la "participation" à la vie divine presque individuellement, chacun pour soi, mais également de façon logique la "communion" entre les croyants que l'Esprit lui-même suscite comme étant son artisan et son principal agent (cf. Ph 2,1). On pourrait affirmer que grâce, amour et communion, se référant respectivement au Christ, au Père et à l'Esprit, sont des aspects différents de l'unique action divine pour notre salut, action qui crée l'Eglise et fait de l'Eglise - comme le dit saint Cyprien au III siècle - "un peuple qui tire son unité de l'unité du Père et du Fils et de l'Esprit Saint" (Saint Cyprien, De Orat. Dom., 23: PL 4, 536, cit. in Lumen gentium LG 4).

L'idée de la communion comme participation à la vie trinitaire est éclairée avec une intensité particulière dans l'Evangile de Jean, où la communion d'amour qui lie le Fils au Père et aux hommes est, dans le même temps, le modèle et la source de la communion fraternelle, qui doit unir les disciples entre eux: "Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés" (cf. Jn 15,12 cf. Jn 13,34). "Que tous, ils soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi" (Jn 17,21 Jn 17,22). Donc, communion des hommes avec le Dieu trinitaire et communion des hommes entre eux. Au cours du pèlerinage terrestre, le disciple, à travers la communion avec le Fils, peut déjà participer à sa vie divine et à celle du Père: "Et nous, nous sommes en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus Christ" (1Jn 1,3). Cette vie de communion avec Dieu et entre nous est la finalité propre de l'annonce de l'Evangile, la finalité de la conversion au christianisme: "Ce que nous avons contemplé, ce que nous avons entendu, nous vous l'annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous" (1Jn 1,2). Cette double communion avec Dieu et entre nous est donc inséparable. Là où se détruit la communion avec Dieu, qui est communion avec le Père, le Fils, et l'Esprit Saint, se détruisent également la racine et la source de la communion entre nous. Et là où la communion entre nous n'est pas vécue, la communion avec le Dieu trinitaire n'est pas non plus vivante et véritable, comme nous l'avons entendu.

A présent, franchissons un pas supplémentaire. La communion - fruit de l'Esprit Saint - est nourrie par le Pain eucharistique (cf. 1Co 10,16-17) et s'exprime dans les relations fraternelles, dans une sorte d'anticipation du monde futur. Dans l'Eucharistie, Jésus nous nourrit, il nous unit à Lui-même, au Père, à l'Esprit Saint et entre nous, et ce réseau d'unité qui embrasse le monde est une anticipation du monde futur dans notre temps. Précisément ainsi, étant une anticipation du monde futur, la communion est un don ayant également des conséquences très réelles, elle nous fait sortir de nos solitudes, de nos fermetures sur nous-mêmes, et nous fait participer à l'amour qui nous unit à Dieu et entre nous. Il est facile de comprendre combien ce don est grand, si l'on pense seulement aux divisions et aux conflits qui touchent les relations entre les individus, les groupes et les peuples entiers. Et s'il manque le don de l'unité dans l'Esprit Saint, la division de l'humanité est inévitable. La "communion" est vraiment la bonne nouvelle, le remède qui nous a été donné par le Seigneur contre la solitude qui aujourd'hui menace chacun, le don précieux qui fait que nous nous sentons accueillis et aimés en Dieu, dans l'unité de son Peuple rassemblé au nom de la Trinité; elle est la lumière qui fait resplendir l'Eglise comme signe dressé parmi les peuples: "Si nous disons que nous sommes en communion avec lui, alors que nous marchons dans les ténèbres, nous sommes des menteurs, nous n'agissons pas selon la vérité; mais, si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres" (1Jn 1, 6sq). L'Eglise se révèle ainsi, en dépit de toutes les fragilités humaines qui appartiennent à sa physionomie historique, une merveilleuse création d'amour, faite pour rendre le Christ proche de chaque homme et de chaque femme qui désire vraiment le rencontrer, jusqu'à la fin des temps. Et dans l'Eglise, le Seigneur demeure toujours notre contemporain. L'Ecriture n'est pas une chose du passé. Le Seigneur ne parle pas dans le passé, mais parle dans le présent, il parle aujourd'hui avec nous, il nous donne la lumière, il nous indique le chemin de la vie, il nous donne la communion et ainsi, nous prépare et nous ouvre à la paix.
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J'accueille avec joie les pèlerins de langue française. Je salue en particulier les jeunes des collèges Saint-André de Bruxelles, Saint-Charles de Marseille, Saint-Joseph de Fleurance et Madeleine Daniélou de Rueil-Malmaison. Que le Seigneur, qui s'est fait proche de vous, vous donne à tous de vivre en communion profonde avec lui et entre vous !


Mercredi 5 avril 2006

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Chers frères et soeurs,


Dans la nouvelle série de catéchèses, commencée il y a quelques semaines, nous voulons considérer les origines de l'Eglise, pour comprendre le dessein originel de Jésus, et comprendre ainsi ce qui est essentiel à l'Eglise, ce qui subsiste au fil des temps qui changent. Nous voulons ainsi comprendre également pourquoi nous sommes dans l'Eglise et comment nous devons nous engager à vivre cela au début d'un nouveau millénaire chrétien.

Considérant l'Eglise naissante, nous pouvons en découvrir deux aspects: un premier aspect est fortement mis en lumière par saint Irénée de Lyon, martyr et grand théologien à la fin du II siècle, le premier à nous avoir donné une théologie en quelque sorte systématique. Saint Irénée écrit: "Là où se trouve l'Eglise, il y a aussi l'Esprit de Dieu; et là où se trouve l'Esprit de Dieu, il y a l'Eglise, ainsi que toute grâce; car l'Esprit est vérité" (Adversus haereses, III, 24, 1: PG VII, 966). Il existe donc un lien profond entre l'Esprit Saint et l'Eglise. L'Esprit Saint construit l'Eglise et lui donne la vérité, répand l'amour - comme le dit saint Paul - dans les coeurs des croyants (cf.
Rm 5,5). Puis il y a un deuxième aspect. Ce lien profond avec l'Esprit n'efface pas notre humanité avec toute sa faiblesse, et ainsi, la communauté des disciples connaît dès le début non seulement la joie de l'Esprit Saint, la grâce de la vérité et de l'amour, mais également l'épreuve, constituée surtout par les oppositions aux vérités de foi, avec les atteintes à la communion qui s'ensuivent. De même que la communion dans l'amour existe depuis les origines et existera jusqu'à la fin (cf. 1Jn 1, 1sq), dès le début surgit aussi malheureusement la division. Nous ne devons pas nous étonner que celle-ci existe également aujourd'hui: "Ils sont sortis de chez nous - dit la Première Lettre de Jean - mais ils n'étaient pas des nôtres; s'ils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous. Mais pas un d'entre eux n'est des nôtres, et cela devait être manifesté" (1Jn 2,19). Il existe donc toujours le risque, dans la vie du monde et également dans les faiblesses de l'Eglise, de perdre la foi, et ainsi de perdre aussi l'amour et la fraternité. Celui qui croit à l'Eglise de l'amour et veut vivre dans cette Eglise a donc le devoir précis de reconnaître également ce danger et d'accepter que la communion avec celui qui s'est éloigné de la doctrine du salut n'est pas possible (cf. 2Jn 9-11).

La première Lettre de Jean montre clairement que l'Eglise naissante fut bien consciente de ces tensions possibles dans l'expérience de la communion: il n'y a pas de voix dans le Nouveau Testament qui ne s'élève avec plus de vigueur pour souligner la réalité et le devoir de l'amour fraternel entre les chrétiens; mais cette même voix s'adresse avec une grande sévérité aux adversaires, qui ont été membres de la communauté et qui, à présent, ne le sont plus. L'Eglise de l'amour est aussi l'Eglise de la vérité, entendue d'abord comme fidélité à l'Evangile qui a été confié par le Seigneur Jésus aux siens. La fraternité chrétienne naît du fait d'avoir été constitués enfants du même Père par l'Esprit de vérité: "En effet, tous ceux qui se laissent conduire par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu" (Rm 8,14). Mais la famille des fils de Dieu, pour vivre dans l'unité et dans la paix, a besoin d'être gardée dans la vérité et guidée avec un sage discernement faisant autorité: c'est ce qu'est appelé à faire le ministère des Apôtres. Et ici nous arrivons à un point important. L'Eglise est entièrement de l'Esprit, mais elle possède une structure, la succession apostolique, dont la responsabilité est de garantir le fait que l'Eglise demeure dans la vérité donnée par le Christ, de laquelle vient également la capacité d'aimer.

Le premier sommaire des Actes exprime avec une grande efficacité la convergence de ces valeurs dans la vie de l'Eglise naissante: "Ils étaient fidèles à écouter l'enseignement des Apôtres et à vivre en communion fraternelle (koinonìa), à rompre le pain et à participer aux prières" (Ac 2,42). La communion naît de la foi suscitée par la prédication apostolique, se nourrit de la fraction du pain et de la prière, et s'exprime dans la charité fraternelle et dans le service. Nous nous trouvons face à la description de la communion de l'Eglise naissante dans la richesse de ses dynamiques internes et de ses expressions visibles: le don de la communion est conservé et favorisé en particulier par le ministère apostolique, qui est à son tour un don pour toute la communauté.

Les Apôtres et leurs successeurs sont donc les gardiens et les témoins autorisés du dépôt de la vérité remis à l'Eglise, de même qu'ils sont également les ministres de la charité: deux aspects qui vont ensemble. Ils doivent toujours penser au caractère inséparable de ce double service, qui est en réalité un seul: vérité et charité, révélées et données par le Seigneur Jésus. Dans ce sens, leur service est tout d'abord un service d'amour: et la charité qu'ils vivent et promeuvent est inséparable de la vérité qu'ils gardent et transmettent. La vérité et l'amour sont deux visages du même don qui vient de Dieu et qui, grâce au ministère apostolique, est conservé dans l'Eglise et nous parvient jusqu'à aujourd'hui ! A travers le service des Apôtres et de leurs successeurs également, l'amour de Dieu Trinité nous rejoint pour nous communiquer la vérité qui nous rend libres (cf. Jn 8,32)! Tout ce que nous voyons dans l'Eglise naissante nous encourage à prier pour les successeurs des Apôtres, pour tous les Evêques et pour les Successeurs de Pierre, afin qu'ils soient vraiment ensemble gardiens de la vérité et de la charité; afin qu'ils soient, en ce sens, vraiment des apôtres du Christ, pour que sa lumière, la lumière de la vérité et de la charité, ne s'éteigne jamais dans l'Eglise et dans le monde.
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J’accueille avec plaisir les pèlerins de langue française, particulièrement les Soeurs de la Congrégation de la Présentation de Marie, les séminaristes de Namur, accompagnés de leur Évêque Mgr André-Mutien Léonard, et les nombreux jeunes présents aujourd’hui. En ces jours qui nous conduisent à la célébration de la mort et de la résurrection du Seigneur, accueillez généreusement en vos coeurs le don de l’amour et de la vérité que Dieu vous fait, ainsi vous serez rendus libres !



Catéchèses Benoît XVI 2